DYNAMIQUE MOLÉCULAIRE
Dans les conditions habituelles de leur existence, de nombreux composés chimiques, et tout particulièrement les complexes de coordination et les dérivés organométalliques, sont le siège de fluctuations de structure, souvent rapides. On se limite ici aux phénomènes dynamiques qui entraînent ou impliquent, au moins transitoirement, une modification de la structure interne des molécules, par opposition à ceux qui consistent, par exemple, en une rotation ou une translation des molécules les unes par rapport aux autres dans leur milieu. Les complexes de coordination et les dérivés organométalliques ne se distinguent d’autres composés moléculaires, ceux de la chimie organique en particulier, que par la grande variété des processus dynamiques dont ils sont animés.
L’importance de ces phénomènes ne se situe pas seulement au niveau de la connaissance des molécules, de leur structure et des fluctuations de ces structures, mais également dans leur contribution à la compréhension de la réactivité chimique: lors de la rencontre de deux molécules, il se produit des modifications, un ajustement des structures, pour permettre l’approche des deux partenaires et réaliser les conditions géométriques et électroniques nécessaires pour atteindre l’état de transition, prélude à la transformation chimique. C’est enfin la dynamique des molécules qui, dans une large mesure, permet et contrôle de nombreux processus biologiques, entre autres les processus enzymatiques.
Une nouvelle composante de la connaissance des structures des molécules
La connaissance de la constitution et de la structure des molécules et donc la description que l’on sait en donner ne cessent de s’affiner (fig. 1). Dans un premier temps, on est parvenu à déterminer leur composition élémentaire, c’est-à-dire la nature et les proportions relatives des atomes des différents éléments constitutifs, tels que les révèlent les analyses qualitatives et quantitatives, ce qui permet d’en donner la formule brute. L’étape suivante a été l’établissement de l’ordre dans lequel ces atomes sont liés entre eux (c’est-à-dire exercent entre eux des interactions fortes) pour constituer le squelette de la molécule; cela conduit à la formule développée. Dans un troisième stade, on a su localiser les atomes les uns par rapport aux autres dans l’espace, en termes d’angles et de distances interatomiques. Il en est résulté une image tridimensionnelle des structures moléculaires, que révèle par exemple leur examen par diffraction des rayons X. Enfin, depuis environ une décennie, une nouvelle dimension, le temps, est devenue accessible à ces investigations. Du même coup, l’image de l’édifice moléculaire s’est animée: nombre de molécules, qu’elles soient naturelles ou synthétiques, loin d’être rigides et figées, s’avèrent être perpétuellement dotées, dans les conditions normales de leur existence, de mouvements, de pulsations et de phénomènes d’échange et de restructuration extrêmement variés, du moins en phase liquide et parfois même dans l’état cristallin.
Ce caractère dynamique constitue désormais une composante importante de la connaissance des structures des molécules et une base essentielle à la compréhension de leurs propriétés physiques et spectrales, ainsi que de leur comportement réactionnel.
Notions de structure en solution
La dynamique des structures moléculaires est généralement étudiée en phase fluide (liquides purs ou solutions), c’est-à-dire dans les états voisins de ceux où se produisent le plus souvent les réactions chimiques. Mais, en raison même de cette dynamique, la structure d’un composé en solution n’est pas nécessairement celle qu’il adopte dans l’état cristallin, de sorte que la notion de structure en solution demande à être précisée. Dans le solide, le réseau cristallin maintient – ou piège – le plus généralement la molécule dans l’une de ses conformations (disposition géométrique des atomes dans l’espace). L’édifice moléculaire est alors essentiellement rigide, et seules des vibrations de faible amplitude des atomes autour de leurs positions d’équilibre sont autorisées. Dans le cas général, cette structure est définie de manière univoque par des angles interatomiques fixes, des distances internucléaires constantes, des orientations bien définies et un empilement régulier de l’entité moléculaire de la maille cristalline.
En solution, plusieurs facteurs sont susceptibles de modifier cet état de choses: l’ordre à longue distance disparaît, mais, surtout, la molécule, n’étant plus emprisonnée dans la maille cristalline par la force de l’énergie réticulaire, peut retrouver certains de ses degrés de liberté internes (déformations des angles de liaison, rotations de groupes d’atomes les uns par rapport aux autres, modifications du mode de liaison, etc.) et parfois adopter une ou plusieurs conformations différentes de celle qui est observée dans le cristal. Il suffit alors que la barrière d’énergie qui s’oppose à la transformation de l’une en l’autre de ces diverses formes structurales soit faible pour que la molécule oscille rapidement de l’une à l’autre et prenne un caractère dynamique. Par ailleurs, les molécules en solution ne sont plus seules de leur espèce: celles du solvant s’organisent autour d’elles et peuvent contribuer à modifier la structure initiale; les molécules de solvant peuvent même se lier à l’atome métallique central d’un complexe de coordination ou se substituer à l’un ou l’autre de ses coordinats initiaux. Enfin, les molécules en solution peuvent réagir entre elles, échanger des fragments, donner naissance à diverses formes d’association ou de dissociation. Il en résulte alors de nouvelles entités moléculaires qui sont souvent en équilibre dynamique rapide entre elles, trop rapide pour que les entités individuelles puissent être isolées. La connaissance de la constitution moléculaire de la solution ainsi que celle de la dynamique des équilibres qui s’y établissent font partie intégrale de la connaissance de la structure en solution d’une entité moléculaire qui initialement, à l’état solide, était unique (et que l’on peut souvent régénérer par simple évaporation du solvant). Ici, la frontière entre la notion de structure et celle de réactivité s’estompe.
Une méthode privilégiée pour l’étude de la dynamique moléculaire: la résonance magnétique nucléaire
Pour observer un phénomène de dynamique moléculaire, suivre les fluctuations de structures et mesurer leur fréquence, il faut disposer d’une méthode dont le temps caractéristique – c’est-à-dire le temps qu’il lui faut pour réagir à la présence des atomes dans un site moléculaire donné et les «voir» dans ce site – soit comparable à la durée du mouvement que l’on veut étudier. Si ce temps caractéristique est trop court par rapport au phénomène, la méthode ne pourra donner de la molécule qu’un instantané figé, et un autre «cliché», pris un instant plus tard, aura de fortes chances d’en donner une autre image; ce sera le cas des spectroscopies infrarouge et ultraviolette qui ont le plus souvent une base de temps bien trop courte, en regard du temps nécessaire pour que le phénomène s’accomplisse. À l’inverse, si le temps caractéristique est trop long, l’image ne représentera plus qu’une situation moyenne; ainsi, les méthodes d’analyse chimique classiques sont trop lentes pour enregistrer une fluctuation qui se produit plusieurs fois pendant le temps que prend une seule analyse.
La fréquence des changements de conformation et des échanges d’atomes envisagés ici se situe très souvent dans le domaine de 1 à 10 000 mouvements (ou cycles) par seconde à la température ambiante. Cela correspond pour chaque molécule à une durée de vie moyenne entre deux changements consécutifs de structure de l’ordre de 1 seconde à 1/10 000 de seconde et à des énergies d’activation – énergie nécessaire pour provoquer la transformation – de 5 à 24 kilocalories par mole.
La méthode la mieux adaptée à l’étude de ce domaine de fréquence – celle à laquelle on doit le plus d’informations – est la résonance magnétique nucléaire (R.M.N.). Son temps caractéristique permet l’étude routinière de phénomènes dont la fréquence est précisément dans ce domaine (cf. tableau). D’autres techniques, telles diverses méthodes de relaxation, puis la spectroscopie de micro-ondes, viennent relayer la R.M.N. pour l’étude de phénomènes plus rapides encore (jusqu’à 1012 hertz).
Comment les fluctuations des structures moléculaires se répercutent-elles sur l’allure des courbes spectrales en R.M.N. et permettent-elles au chimiste de les appréhender? En spectroscopie de R.M.N., l’échantillon à examiner, placé dans un champ magnétique intense, est irradié par une onde électromagnétique dont la fréquence 益 appartient au domaine des ondes hertziennes. Sous certaines conditions, il peut alors se produire un échange d’énergie (une résonance) entre l’onde électromagnétique et certains des noyaux atomiques présents dans l’échantillon, ce qui se traduit par un signal lorsqu’on mesure le spectre d’absorption d’énergie en fonction de la fréquence d’irradiation. Par ailleurs, deux noyaux d’un même élément, mais pris dans des environnements chimiques différents, entreront en résonance à des fréquences 益1 et 益2 légèrement différentes et donneront naissance à deux signaux distincts dans le spectre. Le principe d’incertitude d’Heisenberg nous apprend qu’il existe une relation constante entre la différence 益 des fréquences 益1 et 益2 et le temps minimum 精 que les atomes doivent passer dans un environnement donné pour «être vus» dans cet environnement par l’onde électromagnétique. Il se trouve que, pour une onde choisie dans le domaine hertzien, ces différences 益 observées sont telles que 精 est du même ordre de grandeur que le temps nécessaire à l’échange de deux substituants entre deux sites non équivalents de très nombreuses molécules stéréodynamiques.
On peut, dans une certaine mesure, comparer le spectromètre à un appareil photographique. Si le temps d’ouverture de l’obturateur (le temps caractéristique de l’appareil) est du même ordre que le temps nécessaire à un sujet mobile pour traverser le champ de l’objectif, la photographie sera floue. Il y aura certes incertitude sur la position exacte du sujet au moment de la photographie mais l’impression du mouvement sera donnée.
Voyons comment évolue le spectre de R.M.N. d’une molécule en fonction de la température lorsque des atomes s’échangent entre des sites non équivalents. Prenons l’exemple du pentaméthoxyniobium, de formule Nb (OCH3)5, dont la structure dimère Nb2(OCH3)10, rigide dans le solide, a été récemment démontrée par diffraction des rayons X. Les groupes méthoxy OCH3 occupent dans cette structure des sites de trois types (fig. 2), désignés par t 1, t 2 et p , correspondant à trois environnements différents et pour lesquels on attend donc trois signaux distincts dans le spectre de R.M.N. du proton si la molécule est rigide. C’est ce qu’on observe lorsque le spectre est mesuré à 漣 74 0C mais, lorsque la température s’élève, le spectre se modifie: on assiste à la fusion – ou coalescence – des pics t 1 et t 2 d’abord, puis du signal qui en résulte avec le pic p , ce qui révèle l’existence d’un passage rapide des groupes OCH3 d’un site à l’autre de la structure. Enfin, l’analyse de la forme des courbes spectrales, et c’est là un des exemples où le chimiste utilise l’ordinateur, a montré que les échanges entre les sites t 1 et t 2, d’une part, puis entre ceux-ci et le site p , d’autre part, devaient résulter de deux processus indépendants dont les barrières énergétiques ont pu être calculées et pour lesquelles des mécanismes ont été proposés. Le premier se répète tous les centièmes de seconde et le second tous les dixièmes de seconde environ à la température ambiante.
Libre rotation autour d’une liaison
L’un des premiers types de mouvements intramoléculaires qui ait été reconnu est la libre rotation du carbone dans une molécule organique. Elle se produit lorsque deux groupes ne sont liés que par une liaison simple entre deux atomes, et que ces groupes peuvent tourner l’un par rapport à l’autre autour de cette liaison (fig. 3). En réalité, cette rotation n’est pas tout à fait libre, mais est freinée chaque fois que l’un des substituants de l’un de ces atomes passe en regard d’un des substituants de l’autre, ce qui correspond à une situation déstabilisée (conformation éclipsée); la structure sera plus stable au contraire lorsque les substituants des deux atomes liés s’évitent au maximum (conformation décalée). Il existera donc une certaine barrière énergétique (l’énergie d’activation) à franchir pour passer d’une conformation décalée à une autre, barrière d’autant plus importante que les substituants seront plus volumineux.
Le phénomène n’est pas limité à la rotation autour de liaisons carbone-carbone, comme le montrent les composés des formules 4 a à 4 d et peut tout aussi bien impliquer un métal de transition 神-lié (fig. 4 d).
La libre rotation peut être considérablement freinée lorsque les deux groupes concernés sont liés par une interaction – ou liaison – à caractère multiple qui, pour permettre les recouvrements d’orbitales nécessaires à son existence, tend à maintenir les substituants des atomes liés dans un même plan. C’est alors la conformation éclipsée qui constitue le puits de potentiel énergétique dans lequel la libre rotation est partiellement bloquée (fig. 5).
La pyramide trigonale
De nombreuses molécules possèdent un atome tricoordiné qui forme avec ses trois substituants une pyramide trigonale (fig. 6 a) dont il occupe le sommet. La molécule d’ammoniac NH3 et les amines NR3, où R est un reste hydrocarboné, en sont des exemples, ainsi que bien d’autres composés dans lesquels l’azote est remplacé par le phosphore, le soufre, l’arsenic, etc. On constate le plus souvent que la pyramide se retourne comme un parapluie; cette inversion de configuration (fig. 6 c), au cours de laquelle l’atome central passe au travers du plan formé par les trois substituants (fig. 6 b), peut se produire à des fréquences très rapides dès la température ambiante: 1010 fois par seconde pour l’ammoniac, beaucoup moins vite si l’azote porte des substituants plus lourds ou s’il est engagé dans une structure cyclique comme dans le composé montré en 6 d, auquel l’inversion simultanée des deux atomes d’azote donne un mouvement qui n’est pas sans rappeler un battement d’ailes (la fréquence des battements est, à la température ambiante, de l’ordre de 300 fois par seconde). Dans ce dernier cas, la tension qui résulte de l’existence des cycles élève considérablement la barrière d’énergie qu’il faut franchir pour passer par l’état de transition plan (fig. 6 b). La fréquence de l’inversion est une caractéristique remarquablement constante, à une température donnée, de la molécule étudiée, à tel point que l’on a réalisé des horloges à ammoniac servant d’étalon pour la mesure du temps.
L’inversion du tétraèdre
Le carbone tétraédrique, c’est-à-dire l’atome de carbone porteur de quatre substituants disposés aux sommets d’un tétraèdre, est l’unité constituante de base des molécules organiques. Il est caractérisé par une grande rigidité stéréochimique: on a estimé que l’inversion d’une molécule de méthane, CH4, se produit en moyenne tous les 10 000 ans! Dans la pratique, un carbone tétraédrique ne s’inverse pas sans rupture de liaison. Cette rigidité ne se retrouve pas dans les dérivés tétracoordinés de la plupart des autres éléments, pour lesquels l’inversion du tétraèdre est souvent très rapide, trop rapide pour permettre la séparation des deux molécules isomères, images l’une de l’autre dans un miroir, que l’on obtient lorsque les quatre substituants sont tous différents. C’est le cas par exemple des deux molécules montrées en 7 a et 7 b (où M est un atome de zinc ou de cadmium), qui peuvent être assimilées à deux hélices, l’une tournant à droite, l’autre à gauche, mais dont les pas s’inverseraient un grand nombre de fois par seconde à la température ambiante. Au cours de cette inversion, il arrive un moment où l’atome M et ses quatre substituants sont coplanaires; dans le cas du zinc et du cadmium, cette disposition est défavorisée, tant pour des raisons de plus grand encombrement stérique que pour des raisons électroniques, et correspond au sommet de la barrière d’énergie qu’il faut franchir pour que l’inversion se produise.
Dans d’autres cas, lorsque l’état plan est stabilisé par certains facteurs électroniques (effets du champ des coordinats) et devient d’énergie comparable à celle du composé tétraédrique, l’atome tétracoordiné peut adopter les deux géométries, tétraédrique et plane; toutes deux correspondent à des puits de potentiel. Il arrive alors que l’on puisse obtenir et isoler les deux formes, c’est-à-dire deux molécules de même composition, et présentant les mêmes connections interatomiques, mais différant par les angles interatomiques et donc dans leurs propriétés. Les composés 7 c, plan et diamagnétique, et 7 d, tétraédrique et paramagnétique, en sont un exemple: ils ont pu être séparés, conservent leur structure indéfiniment dans l’état solide, mais s’interconvertissent à un rythme rapide dès qu’ils sont mis en solution.
La pseudorotation des coordinats autour d’un élément pentacoordiné
Les molécules dans lesquelles un élément central porte cinq substituants sont de plus en plus fréquemment rencontrées, en particulier dans la chimie du phosphore, mais également dans celle des métaux de transition. La pentacoordination est également importante dans la mesure où on la trouve impliquée dans de nombreux états de transition et intermédiaires au cours des réactions chimiques (addition transitoire d’un cinquième substituant sur un atome tétracoordiné, ou départ de l’un des substituants d’un atome initialement hexacoordiné). La fluctuation rapide des structures moléculaires y est la règle.
Il existe essentiellement deux manières d’ordonner régulièrement cinq substituants autour d’un atome: aux cinq sommets, soit d’une bipyramide trigonale (structure 8 a), soit d’une pyramide à base carrée (structure 8 b), centrées sur cet atome. La première est le plus fréquemment rencontrée dans l’état fondamental, c’est-à-dire lorsque les molécules sont au repos à basse température. Elle se caractérise par deux types de sites (ou sommets) distincts, les sites équatoriaux (e ) disposés à 1200 l’un de l’autre dans un plan contenant l’atome central, et les sites apicaux (a ) situés sur un axe perpendiculaire à ce plan. Mais les barrières d’énergie qui s’opposent au passage des substituants de l’un à l’autre de ces sites sont souvent faibles, de sorte que l’échange des substituants entre sites, qui peut donner naissance à de nouvelles molécules, isomères des molécules initiales si les substituants sont différents (par exemple, les structures 8 c, d et e), est souvent très rapide dès la température ambiante.
L’existence de ces échanges rapides se traduit dans les spectres de R.M.N. par la présence d’un signal seulement pour les cinq substituants dans les molécules P5, Fe(CO)5 ou encore Rh[P(OCH3)]5, bien que la structure en bipyramide trigonale ait pu être établie sans ambiguïté par spectrométrie infrarouge, diffraction électronique, etc., et que l’on attendrait donc deux signaux en R.M.N. si la molécule était figée, l’un pour les substituants en position apicale, l’autre pour ceux qui occupent les sites équatoriaux. Il doit donc exister un ou plusieurs mécanismes qui permettent l’échange rapide des substituants entre sites apicaux et équatoriaux. Cela est confirmé par le dédoublement des signaux généralement observé lorsque les mesures spectrales sont réalisées à basse température, c’est-à-dire dans des conditions où les processus d’échange sont considérablement ralentis.
Le mécanisme le plus généralement invoqué pour ces échanges est la «pseudorotation» (fig. 9), dans laquelle on assiste à une augmentation de l’angle formé par deux des liaisons équatoriales et à la diminution simultanée de l’angle formé par les liaisons apicales (9 a). Durant ce mouvement, ces deux paires de liaisons restent dans des plans mutuellement perpendiculaires dont l’intersection porte la cinquième liaison, qui joue un rôle de «pivot» au cours de la pseudorotation. Une configuration intermédiaire en forme de pyramide à base carrée est atteinte lorsque les deux angles déformés deviennent égaux (9 b). Si le mouvement se poursuit, les substituants initialement situés en position apicale finissent par occuper les positions équatoriales et vice versa (9 c).
L’existence de plusieurs isomères en interconversion rapide a parfois été reconnue. Dans l’exemple des composés 8 c, d et e, les deux isomères identifiés dans la solution, 8 c et d, sont différents de celui qui a été trouvé dans la phase solide, 8 e. On conçoit également l’importance déterminante que peuvent avoir ces phénomènes d’échange sur les produits d’une réaction, lorsqu’un intermédiaire pentacoordiné a une durée de vie suffisante pour subir des pseudorotations.
Complexes octaédriques
De très nombreux composés métalliques sont connus dans lesquels l’élément central porte six substituants disposés aux six sommets d’un octaèdre régulier. Cette disposition géométrique est plus rigide que les précédentes, et l’échange des substituants entre les sommets de l’octaèdre se fait le plus souvent par dissociation d’un de ces substituants suivie de recombinaison après passage par une structure pentacoordinée stéréolabile.
C’est l’isomérisation des trischélates octaédriques qui a soulevé le plus d’intérêt. Les trischélates sont des composés dans lesquels l’atome de métal est entouré de trois substituants dont chacun porte deux sites de fixation. Même si ces trois substituants sont symétriques et identiques, deux structures isomères sont possibles (fig. 10 a et b), entre lesquelles la relation est celle de deux hélices de pas inverse.
L’inversion du pas de l’hélice peut se produire soit sans rupture de liaison, par exemple en faisant pivoter l’une des faces de l’octaèdre par rapport à la face opposée et en passant donc par l’intermédiaire d’un prisme droit (fig. 10 c), soit après rupture de l’une des attaches d’un substituant et passage par une espèce pentacoordinée (fig. 10 d).
Nombres de coordination plus élevés
Plusieurs conformations stables d’énergies souvent très voisines deviennent possibles pour les coordinances 7 et 8. La figure 11 montre par exemple une projection de la surface d’énergie potentielle correspondant à la répulsion qu’exercent entre eux huit coordinats identiques disposés autour du métal; elle montre qu’il n’existe plus de barrière de potentiel s’opposant au passage d’un complexe dodécaédrique (D) à une forme antiprismatique (A) puis à une nouvelle forme dodécaédrique...
Les composés organométalliques: des structures très turbulentes
On désigne sous le nom de composés organométalliques une classe de composés de plus en plus vaste dans lesquels un ou plusieurs atomes de carbone figurent parmi les substituants d’un élément métallique. Ces composés présentent souvent un caractère dynamique très prononcé qui n’est pas sans relations avec les phénomènes catalytiques que ces dérivés sont connus pour induire. Une grande variété de processus dynamiques élémentaires ont été identifiés, parmi lesquels on trouve des rotations autour de certaines liaisons, des changements du mode de liaison, des sauts d’un site de coordination à un autre, des phénomènes d’association et de dissociation, etc., qui confèrent à ces composés des structures très turbulentes. Quelques exemples sont donnés: dans la molécule 12 a, l’atome de fer porte deux cycles carbonés pentagonaux. L’un est disposé perpendiculairement à l’axe constitué par le fer et le centre du pentagone (de sorte que les 5 atomes de carbone sont à la même distance du fer, et lui sont liés avec la même efficacité) et tourne rapidement dans son plan, alors que l’autre est situé dans un plan qui contient l’atome de fer, de sorte qu’à un instant donné un seul des atomes de carbone lui est lié; mais ce sont chacun des cinq atomes du cycle qui jouent successivement ce rôle, grâce à un processus de «sauts» réguliers et rapides du fer de l’un à l’autre. Dans la molécule 12 b, ce sont les positions respectives du substituant CO et du cycle qui s’échangent rapidement.
La chimie organométallique est riche en composés dans lesquels un dérivé éthylénique, par exemple une molécule d’éthylène, est lié latéralement (liaison 神) à un atome métallique: dans ce mode de liaison les deux atomes de carbone de la molécule d’éthylène sont à égale distance du métal, mais l’ensemble n’est généralement pas figé et les molécules d’éthylène tournent rapidement dans leurs plans autour des axes métal-éthylène, ce qui se traduit par exemple dans les spectres de R.M.N. du composé 12 c, par une coalescence des signaux des protons intérieurs Hi et extérieurs He .
Les complexes dans lesquels une molécule éthylénique est 神-liée jouent un rôle primordial dans de nombreux processus catalytiques, tels que la catalyse de polymérisation Ziegler-Natta ou la catalyse d’hydrogénation utilisant RhCl[P(C6H5)3]3, dont le mécanisme implique une fluctuation rapide du mode de liaison: la molécule d’éthylène initialement 神-liée (fig. 13 a) vient réversiblement s’insérer dans une liaison Rh-H (fig. 13 b).
On assiste également à une alternance rapide du mode de liaison du substituant bicyclique carboné (une molécule de naphtalène) dans le composé 14: à gauche (fig. 14 a), l’atome de ruthénium est situé dans le plan du naphtalène auquel il est lié par l’un des carbones seulement (liaison 靖), alors que l’atome d’hydrogène initialement lié à ce carbone dans le naphtalène a «sauté» sur le métal; à droite (fig. 14 b), la molécule de naphtalène est disposée latéralement, de sorte que l’atome de ruthénium est lié simultanément à l’ensemble des atomes de carbone de l’un des cycles (liaison 神).
Le coordinat allyle est particulièrement turbulent, comme l’illustre la figure 15, dans laquelle on le montre lié au métal, soit par l’un des carbones terminaux seulement, auquel cas on assiste souvent au passage rapide du métal de l’un à l’autre des deux atomes terminaux, soit latéralement, les trois atomes de carbone étant alors liés au métal et le plan de coordinat devenant quasi perpendiculaire à un axe coordinat-métal. Dans ce cas, le coordinat peut tourner dans son propre plan, peut aussi se retourner comme une crêpe, ou, grâce au passage par un intermédiaire dans lequel le métal est lié par l’une des extrémités, provoquer un échange des atomes d’hydrogène intérieurs ou syn (Ha ) et extérieurs ou anti (Hb ).
Une autre situation qui engendre communément des fluctuations de structure se présente lorsqu’un coordinat possède davantage de sites de fixation que le métal ne peut en utiliser; il arrive alors souvent que le métal les utilise alternativement. Dans le composé de la figure 16, par exemple, le cyclooctatétraène possède quatre doubles liaisons susceptibles d’être liées au fer, mais celui-ci, pour des raisons de saturation électronique, ne peut en utiliser que deux à la fois, qu’il maintient d’ailleurs dans un même plan, les deux autres étant rejetées vers l’extérieur. Mais l’atome de fer utilisera toutes ces liaisons successivement en tournant autour du cycle par sauts réguliers et en lui imposant des contorsions excentriques rapides.
Macromolécules et biopolymères
Les macromolécules sont également sujettes à de telles fluctuations de structure. Ainsi, les chaînes d’atomes qui constituent de nombreux polymères sont-elles capables, dans une large mesure, de s’allonger, de se tordre, de se pelotonner sur elles-mêmes, de se déplier, ou de s’associer entre elles en fonction de contraintes extérieures. Les biopolymères n’y échappent pas; c’est souvent, bien au contraire, grâce à de subtils et rapides changements de conformation qu’ils remplissent leurs fonctions physiologiques. La réorientation structurale d’une protéine, par exemple, peut être provoquée par une modification du milieu environnant (modification du pH, de la concentration en sels ou en gaz dissous). Elle peut encore être due à la reconnaissance par la protéine, dans son voisinage, d’une espèce moléculaire spécifique à laquelle elle s’associera pour un instant. Cette réorientation aura pour conséquence de libérer ou de bloquer un site réactif de la protéine et de contrôler ainsi une réaction vitale. Par exemple, dans le mécanisme de la respiration, l’hémoglobine libère son site capteur d’oxygène grâce à une modification de sa conformation, elle-même asservie à la teneur du milieu en oxygène.
Encyclopédie Universelle. 2012.