LEVURES
Les Levures sont des Champignons microscopiques, aux cellules ovoïdes de quelques millièmes de millimètres de largeur, se détachant facilement les unes des autres et, de ce fait, bien adaptées à la propagation dans les liquides. Les représentants les plus utilisés par l’homme sont les levures de bière et de boulangerie, agents très actifs de la fermentation alcoolique. Elles transforment rapidement, quand l’air fait plus ou moins défaut, les sucres du jus de raisin, comme les sucres solubles du moût de bière en alcool éthylique tandis que se dégage du gaz carbonique. C’est le dégagement de gaz carbonique, à partir de faibles teneurs en sucre soluble des farines panifiables, qui fait lever la pâte. La levure de boulangerie, produite industriellement et vendue sous forme de pains cubiques, est donc un amas de cellules vivantes: il ne faut pas la confondre avec les levures «chimiques», préparations à base de carbonates et de bicarbonates destinées elles aussi à produire du gaz carbonique à la cuisson.
Toutes les Levures ne sont pas capables de provoquer une fermentation; certaines, comme le mycoderme du vin, consomment au contraire l’alcool, et vivent à l’air, formant un film sec et blanc (voile mycodermique) à la surface du vin, qu’elles altèrent. Beaucoup de Levures et d’organismes levuriformes vivent dans les liquides sucrés, mais il s’en trouve aussi dans le sol, la mer, le tube digestif, les galeries d’insectes. Des Levures utilisatrices de lactose se rencontrent dans les produits laitiers et certains fromages. Enfin, un petit nombre de Levures pathogènes sont à signaler, tout spécialement le Candida albicans , responsable du muguet des jeunes enfants, des vaginites..., affections mineures sauf en cas d’état de santé déficiente ou si on expose le patient à des traitements antibiotiques massifs détruisant la concurrence bactérienne et favorisant par là la prolifération des Levures. En revanche, Cryptococcus neoformans , disséminé par les pigeons, peut provoquer des méningites fatales. On peut signaler qu’actuellement la plupart des antibiotiques actifs sur les bactéries sont inefficaces sur ces Levures pathogènes.
Morphologie, cytologie et reproduction
Les Levures, bien qu’utilisées inconsciemment par l’homme depuis plus de 5 000 ans pour la préparation de boissons alcoolisées, ne sont en fait considérées comme les êtres vivants unicellulaires responsables de la fermentation que depuis le XIXe siècle. F. J. F. Meyen, en 1837, propose le nom de Saccharomyces pour la levure de bière, organisme incolore de petite taille, qui se reproduit par bourgeonnement: une petite hernie apparaît en un point de la surface d’une cellule mère, grossit et s’étrangle; le bourgeon ou cellule fille peut alors se détacher, grossir encore, bourgeonner à son tour (fig. 1). L’état unicellulaire est facile à réaliser en milieu liquide agité, mais en milieu solide le bourgeonnement donne naissance à des thalles buissonnants, formés de cellules levures bout à bout qui, par accumulation, forment des colonies visibles à l’œil. Chez d’autres Levures (Kloeckera, Hanseniaspora ...), le bourgeonnement n’a lieu qu’aux deux pôles de la cellule, qui prend fréquemment un aspect biapiculé ou en citron. Cependant, certaines Levures de distillerie ne bourgeonnent pas et se multiplient par fission (Schizosaccharomyces ).
D’autre part, d’authentiques Levures bourgeonnantes sont pourvues d’un thalle plus organisé autour d’axes filamenteux à cloisons transversales, comme dans un vrai mycélium de champignon supérieur; plus souvent, les cellules axiales ne sont que des cellules levures très allongées, sans cloisons vraies les séparant (pseudomycélium , fig. 2).
Tous les intermédiaires existent entre des thalles cohérents à structures mycéliennes et l’état unicellulaire: la définition des Levures ne peut être basée ni sur la vie unicellulaire, ni sur le bourgeonnement, ni sur le pouvoir fermentaire, bien que les représentants les plus typiques cumulent ces trois caractères.
À côté de la multiplication végétative, des spores internes ont été observées, pour la première fois, par T. Schwann en 1839, et interprétées en 1886 par A. de Bary comme des ascospores: les Levures sporogènes ou «Levures vraies» sont donc des champignons Ascomycètes (fig. 3). Beaucoup de champignons levuriformes n’ont, à l’inverse, jamais montré d’ascospores et sont des Levures anascosporées ou «Levures fausses», classées, de ce fait, dans les Fungi imperfecti .
Les ascospores, formées le plus souvent par quatre dans l’asque, sont normalement haploïdes et issues directement de la réduction chromatique: ce sont des éléments du cycle sexué. Toutefois, la position de la fécondation et de la fusion nucléaire qui s’ensuit varie beaucoup et permet de distinguer différents cycles (fig. 4).
La cellule de Levure est une cellule typique d’eucaryote comprenant une paroi rigide, un noyau limité par une membrane nucléaire, un cytoplasme contenant divers organites et inclusions dont des mitochondries et une grande vacuole.
La paroi des Levures représente de 6 à 30 p. 100 du poids de la cellule, sa rigidité confère à la cellule sa forme propre. Elle est constituée d’au moins trois couches dont la composition chimique diffère de celles des cellules végétales aussi bien que de celle des bactéries. Les deux couches les plus internes sont constituées de polymères du glucose (glucane) différents par les types de liaisons chimiques, la taille des macromolécules, et leurs propriétés. La couche interne est constituée pour 85 p. 100 de glucane, formé de glucoses liés en 廓 1-3 et pour 15 p. 100 de glucane 廓 1-6, les deux chaînes étant ramifiées. La couche centrale est formée surtout de glucane 廓 1-3 peu ou pas ramifié. La fraction interne de la paroi est constituée d’une molécule ramifiée de mannane donc la chaîne principale est faite d’unités de mannoses liés en 見 1-6 et les chaînes latérales d’unités de mannoses liés en 見 1-2 ou 見 1-3. La chitine ne représente que 1 p. 100 de la paroi des levures non mycéliennes; mais ce polymère linéaire de N-acétylglucosamines liés en 廓 1-4 possède une teneur plus élevée chez les Levures filamenteuses.
Beaucoup de Levures forment une capsule extérieure à la paroi constituée le plus souvent de phosphomannanes accompagnées de molécules hydrophobes de type sphingolipides. Chez certains Cryptococcus pathogènes, les propriétés antigéniques de la capsule peuvent avoir un intérêt médical.
Des fimbriae fungiques ont été observés à la surface de certaines Levures, ils sont relativement plus longs chez les Levures Basidiomycètes que chez celles qui sont de type Ascomycètes.
Le noyau, difficilement observable, peut être vu par l’utilisation du microscope à contraste de phase sur des cellules en croissance aérobie dans un milieu contenant 20 p. 100 de gélatine. Les colorations classiques, Feulgen, Giemsa, peuvent aussi
être employées avec succès. La mitose observable chez des cellules en division se produit sans disparition de la membrane nucléaire chez les Levures de type Ascomycètes. Le nombre de chromosomes est variable, 17 chez les Saccharomyces , 3 chez Hansenula holstii et H. wingii , 2 chez H. anomala .
Une grande vacuole, sphérique en général, occupe une grande partie du volume cellulaire et se divise en même temps que la cellule; elle est colorable par le rouge neutre et l’on attribue cette propriété à la présence d’un cristal d’orthophosphate polymérisé (volutine).
Les mitochondries présentent les mêmes caractéristiques que celles des cellules eucaryotes. L’ADN mitochondrial représente de 5 à 20 p. 100 de l’ADN total, il a souvent une teneur en guanine-cytosine inférieure à celle de l’ADN nucléaire; sa structure est circulaire chez S. cerevisiae . Cet ADN possède des gènes permettant la synthèse de certaines enzymes respiratoires, comme le cytochrome b , par l’intermédiaire de ribosomes mitochondriaux. Ces gènes fournissent un modèle très étudié de «gène mosaïque», c’est-à-dire d’un gène discontinu, propre aux eucaryotes, dans lequel des portions d’ADN ou exons, recopiés par l’ARN messager mitochondrial, sont séparés par des bouts d’ADN non recopiés ou introns. Le rôle de ces introns est encore mal défini. Dans les mutations qui conduisent à la perte du pouvoir respiratoire chez des Levures donnant des colonies plus petites que la normale, et appelées universellement «petites» (p size=1漣), les ADN mitochondriaux sont concernés (cf. GÉNOME - Le génome mitochondrial).
Le cytoplasme contient des microvésicules à catalase (microbodies) dont la taille varie de 0,5 à 1 猪m chez Candida tropicalis en phase de croissance sur un milieu contenant des alkanes.
Enfin, on a pu mettre en évidence, dans le cytoplasme, un ADN circulaire de 2 猪m, souvent associé à la membrane; ce plasmide de levure permet d’envisager des manipulations génétiques comme on en réalise actuellement chez les bactéries.
Principaux types et classification
Les Levures «vraies» , ou Levures ascosporogènes , forment des ascospores dans des asques qui sont des cellules d’aspect ordinaire ou issues de la fusion de deux cellules végétatives; ces asques ne sont pas inclus dans des fructifications comme c’est le cas de la plupart des Ascomycètes ; aussi les classe-t-on dans les Hémiascomycètes (cf. tableau).
Les Levures «fausses» , ou Levures anascosporogènes , forment un ensemble hétérogène (cf. tableau) constitué, pour une part de formes issues des Levures vraies, mais qui, pour des causes diverses – par exemple, maintien de l’état haploïde –, ne forment pas d’ascospores, pour une autre part de Champignons supérieurs, Euascomycètes et Basidiomycètes ayant acquis, avec le bourgeonnement, des thalles dissociables et une vie plus ou moins franchement unicellulaire. Une similitude des caractères biochimiques entre tel Pichia sporogène et tel Candida ou Torulopsis asporogène pouvait, au plus, permettre de supposer que ce dernier était la forme imparfaite du premier jusqu’au jour où des confrontations entre Candida permirent d’observer enfin les ascospores caractéristiques. En outre, d’autres critères ont permis de mieux connaître les affinités entre Levures et, notamment, entre formes parfaites et imparfaites: l’immunologie, l’étude des polyosides de membranes par analyse et spectre de résonance magnétique, les dosages de guanine et de cytosine des ADN.
L’hétérogénéité du genre Candida , supposée par les systématiciens, confirmée par les dosages de guanine et de cytosine, est expérimentalement prouvée par la mise en évidence progressive de leurs cycles. Si certains Candida sont des haplontes de Saccharomyces , de Pichia , de Hansenula , de Kluyveromyces ou encore de Metchnikowia , d’autres sont des haplontes de Basidiomycètes du type Ustilaginales ou Charbons, capables, après appariements convenables, de donner des éléments typiques de Basidiomycètes: boucles et dicaryons. Des Levures rouges classées jusqu’ici dans le genre Rhodotorula doivent de même être considérées désormais comme des Basidiomycètes Ustilaginales saprophytes (cf. Symposium on Yeasts , 1969).
Nutrition et métabolisme
Les Levures, comme tous les Champignons, sont hétérotrophes et exigent donc du carbone organique. Certaines se contentent de glucose, d’autres demandent en outre vitamines, amino-acides... Leurs besoins azotés sont généralement couverts par des sels d’ammonium, mais d’autres substances peuvent être utilisées: acides aminés, urée..., ou même les nitrates (cas de Hansenula ). Les Levures peuvent, selon les espèces, tirer profit de divers glucides, mais elles sont rarement capables d’attaquer des polyosides (inuline, amidon) et ne peuvent se nourrir de xylanes, celluloses... Par contre, c’est parmi elles que l’on rencontre les spécialistes de la fermentation alcoolique: Pasteur (Études sur la bière , 1876) a montré que la levure de bière, capable de respirer à l’air, provoque en anaérobiose la fermentation; l’apport d’oxygène inhibe peu à peu celle-ci; c’est «l’effet Pasteur». Dans l’ensemble, le pouvoir fermentaire est, cependant, moins répandu que le pouvoir respiratoire: toutes les Levures peuvent respirer, à l’exception des mutants RD (déficients respiratoires), aux mitochondries inexistantes ou peu différenciées, alors que seules quelques-unes fermentent, par exemple Saccharomyces (cf. FERMENTATION).
Utilisations
Agro-industrie
Les Levures représentent certainement le groupe le plus important de micro-organismes exploités par l’homme. Depuis la plus haute antiquité, elles ont joué un rôle de premier ordre dans l’alimentation humaine: vinification, panification, brasserie, fromagerie. La plus ancienne utilisation est la fabrication de boissons alcoolisées: à partir de fruits mûrs aux sucres solubles, la fermentation peut se produire spontanément, dès le pressurage, grâce à la présence de levures sauvages. Lorsque la matière première est de l’amidon (d’orge pour la bière, de riz pour le saké), une hydrolyse préalable est nécessaire; elle est réalisée par des amylases tirées du grain d’orge mis à germer (maltage) ou apportées par des moisissures, le jus fermentescible est ensuite ensemencé par des levures sélectionnées.
Si certaines Levures osmophiles supportent de fortes doses de sucre (de 65 à 70 p. 100), la fermentation est freinée par la toxicité de l’alcool dès que ce produit atteint le taux de 13 ou 14 p. 100; dans les meilleurs cas, le taux ne peut dépasser 18 ou 19 p. 100.
Les Levures ayant une grande valeur nutritrive peuvent entrer dans la ration alimentaire animale ou humaine. Dans ce but, la production de «levure-aliment» – ou P.O.U. (protéines d’organismes unicellulaires) – s’effectue sur des substrats très variés:
– le lactosérum par exemple, produit résiduaire des fromageries, est un excellent milieu de culture permettant le développement de Levures utilisant le lactose comme source de carbone; ce sont des souches de Kluyveromyces lactis qui ont le meilleur rendement;
– les mélasses de betteraves et de cannes à sucre, riches en saccharose, permettent d’obtenir des biomasses protéiques ou des levures pour la panification, les deux espèces les plus couramment cultivées sur ces substrats étant Saccharomyces cerevisiae et Candida utilis ;
– les liqueurs sulfitiques, résidus de la fabrication de la pâte à papier, riches en pentoses, ainsi que les hydrolysats cellulosiques provenant de déchets forestiers, pailles de blé ou autres céréales, fournissent des milieux de culture pour Candida utilis ;
– enfin les hydrocarbures, essentiellement les paraffines normales, les gasoils paraffiniques, le méthane et le méthanol (produit d’oxydation du méthane) peuvent servir de substrats pour la croissance de nombreuses espèces du genre Candida . On peut signaler que des analyses biologiques de ces «levures du pétrole» ont démontré l’absence de toute toxicité ou effet nuisible important imputable à ces protéines microbiennes introduites dans l’alimentation animale ou humaine.
Après avoir été utilisées comme facteurs de fermentation à des fins alimentaires, puis comme agent de production de protéines, la dernière utilisation des Levures tend à faire jouer à ces micro-organismes un rôle d’agent de production d’alcool industriel (source d’énergie) pouvant servir de substitut ou d’additif à des carburants d’origine fossile. Les Levures, essentiellement des souches du genre Saccharomyces , grâce à leurs hautes capacités fermentaires peuvent assurer la bioconversion de nombreux produits végétaux en éthanol.
Les matières premières disponibles pouvant conduire à la fabrication d’alcool-carburant sont réparties en trois groupes:
– Les produits sucrés, contenant des composés hydrocarbonés sous forme de mono ou disaccharides donc directement fermentescibles, c’est le cas des mélasses déjà citées; on évalue actuellement à 3,3 t la quantité moyenne de mélasse nécessaire à l’obtention de 1 t d’alcool. Dans ce groupe une place particulière doit être faite à l’inuline, polyoside de réserve plus complexe présent dans les artichauts et les topinambours mais directement hydrolysé et fermenté en alcool avec un bon rendement par certaines espèces de levures telles que Kluyveromyces fragilis, Candida macedoniensis, Torulopsis colliculosa , etc.
– Les produits amylacés, présents dans les tubercules, racines ou graines; les réserves glucidiques sont dans ce cas sous forme d’amidon non directement fermenté par les Levures. La préparation du moût de fermentation nécessite alors une hydrolyse par voie chimique ou par voie enzymatique, ce qui augmente les prix de production de l’éthanol. En climat tropical (Brésil, Indonésie...), les racines de manioc sont une source prometteuse: 10 t de manioc permettent de préparer 1 t d’alcool. Parmi les graines amylacées, le riz en Asie, le maïs aux États-Unis, l’avoine et le seigle en Europe de l’Est sont utilisés depuis longtemps comme source d’éthanol.
– Les produits cellulosiques qui nécessitent, comme dans le cas de l’amidon, un prétraitement hydrolytique destiné à libérer les monomères glucidiques de la cellulose. Cela implique l’intervention de cellulases produites essentiellement par des moisissures du genre Aspergillus ou Trichoderma ou la réalisation de cultures mixtes levures-bactéries, ces dernières assurant la dégradation de la cellulose en glucides qui seront alors fermentés par les Levures. Cette technologie étant difficile à mettre en œuvre, il vaut mieux envisager l’utilisation de souches de Levures auxquelles on aura conféré par manipulation génétique des propriétés cellulasiques.
Biologie moléculaire
Bien qu’elles appartiennent au règne végétal, les Levures, comme tous les Champignons, ont un métabolisme voisin de celui des Animaux. Par conséquent, la cellule de Levure, qui est facile à cultiver, est de plus en plus utilisée en biologie moléculaire afin de définir les mécanismes fonctionnels intracellulaires. L’analyse du génome a été entreprise à partir des années 1975, permettant, notamment, le séquençage du gène du cytochrome C par Michel Smith (prix Nobel de chimie 1993).
En 1989, la C.E.E. a initié un programme de séquençage systématique qui concerne près de soixante-dix laboratoires œuvrant dans onze pays de la Communauté. L’investissement (20 millions d’écus en huit ans) concerne trois programmes consécutifs (BAP, BRIDGE et BIOTECH). D’autres centres de recherche s’intéressent, chez Saccharomyces cerevisiae et Saccharomyces pombe , au cycle cellulaire, afin d’élucider le rôle du MPF (mitotic promoting factor ) incorporant la protéine p 34 (cycline) qui déclenche la division. Les mécanismes de la translocation intracellulaire des protéines et de la régulation de la transcription des gènes sont en cours de décryptage.
En outre, les levures sont désormais des instruments privilégiés pour le génie génétique: la construction des YAC (yeast artificial chromosomes ) permet d’insérer dans le génome des levures des séquences exogènes qui sont ensuite transmises aux levures filles (clonage); cela rend possible la constitution de «banques» d’ADN (cf. HOMME - Le génome humain).
Encyclopédie Universelle. 2012.