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LYDIE
LYDIE

La Lydie s’est développée à l’extrémité occidentale du plateau anatolien, échancré par les vallées de l’Hermos au nord, du Caystre au centre et du Méandre au sud. Ces moyennes vallées et les plateaux qui les séparent sont favorables à la culture des céréales et de la vigne, à l’élevage des chevaux et des moutons, au commerce, surtout entre l’Asie intérieure et les rivages de la mer Égée; les richesses du sous-sol ne sont pas à dédaigner, et c’est entre les mines d’or du Tmolos et les sables aurifères du Pactole que Sardes, la capitale, se dresse sur un éperon de rochers rouges qui domine la plaine de l’Hermos. Aussi, selon l’expression de Georges Radet, la Lydie représente «une sorte de coin enfoncé dans la charpente de l’Asie Mineure comme pour y faire pénétrer ce qui vient de l’archipel et de la Grèce». Grâce à l’intelligente exploitation de ces ressources naturelles, la Lydie jeta le vif éclat d’une civilisation mixte sous la dynastie des Mermnades (env. 685-546 av. J.-C.).

Naissance de la puissance lydienne

Le pays porta d’abord le nom de Méonie et, dans L’Iliade , les Méoniens figurent parmi les peuples alliés de Troie. Selon Hérodote, une dynastie des Héraclides, fils de l’Héraclès indigène ou Sandon, s’empara du pays vers 1200 avant J.-C. Auparavant, la dynastie des Atyades aurait été à l’origine d’une expédition destinée à coloniser l’Étrurie. Aucun vestige archéologique ne vient cependant éclairer l’histoire de la Lydie avant le VIIIe siècle. Il se pourrait que les conquérants du début de l’âge du fer aient introduit le nom lydien, tandis que la masse de la population restait anatolienne. Plus ou moins indépendante de la Phrygie, la Méonie était devenue un royaume lorsque, vers 685, le dernier des Héraclides, Candaule, succomba sous les coups de Gygès qui appartenait à la famille des Mermnades (les «Faucons»).

Le premier document à mentionner Gygès et les Lydiens est une tablette du roi d’Assyrie Assurbanipal, où il est question de Gugu, roi de Luddu; celui-ci recherche alors l’alliance assyrienne pour résister à l’invasion des Cimmériens qui avaient déjà ravagé le royaume d’Ourartou et la Phrygie; Gygès réussit alors à les battre et envoya en Assyrie deux chefs cimmériens chargés de chaînes. Comme Midas de Phrygie, Gygès s’était aussi tourné vers les cités grecques du littoral, où aboutissaient les caravanes parties de Sardes; s’il prend Colophon et Magnésie du Sipyle, et échoue devant Smyrne, il ménage Milet et se rend compte de la domination commerciale qu’elle exerce en direction du nord; il fonde donc Dascylion (659) pour concurrencer sur la Propontide la colonie milésienne de Cyzique, fondée en 676. Il entoure surtout de prévenances Éphèse, qui lui avait accordé une aide financière, et envoie des offrandes à Delphes.

Mais Gygès s’allie avec le pharaon Psammétique en lutte contre l’Assyrie; abandonné de celle-ci, il est vaincu et tué lors d’une nouvelle attaque des Cimmériens, vers 652; son fils Ardys doit s’humilier devant le roi d’Assyrie. Cependant, les Barbares dévastent Sardes, Éphèse et Magnésie du Méandre: des fragments de l’œuvre du poète Callinos d’Éphèse témoignent de la terreur durable causée par leur passage, et ce n’est que dans le troisième quart du VIIe siècle que le danger cimmérien sera conjuré.

Les Mermnades

Après l’orage, la Lydie connaît une brillante renaissance. Délivrée de tout souci du côté de l’Assyrie depuis la mort d’Assurbanipal (626), la Lydie se développe sous deux rois peu connus, Ardys (652-615) et Sadyatte (615-610), mais surtout sous Alyatte (610-561) et Crésus (561-546). Après Gygès, ces souverains s’intéressent aux cités grecques du littoral: Ardys s’empare de Priène et ravage chaque année le territoire de Milet (sans toutefois anéantir celle-ci), jusqu’à ce qu’un traité soit conclu en 604 par son successeur Alyatte grâce à l’intervention de l’oracle de Delphes et du tyran de Corinthe Périandre; ainsi, le débouché de la vallée du Méandre passe sous le contrôle lydien. Alyatte s’empare aussi de Colophon et détruit Smyrne (575), pour le plus grand profit de Cymé et d’Éphèse, débouchés respectifs des vallées de l’Hermos et du Caystre. Il laisse à ces cités leur autonomie tout en les soumettant à un «protectorat» (G. Radet): les cités gardent leurs constitutions, qui sont garanties par des chartes royales; le roi n’impose pas de garnisons lydiennes, mais favorise l’installation de tyrans dont le nom même provient de l’Asie Mineure, tout en se rapprochant de l’étrusque turan (seigneur); ainsi, les Melas gouvernent Éphèse pendant un siècle; le tyran, personnage influent, répartit le tribut et fournit un contingent en cas de guerre.

La Carie est également soumise. À l’est, si la Phrygie avait été conquise, la menace mède commençait à se faire sentir; une éclipse opportune, prévue par Thalès, interrompit un premier affrontement entre les troupes d’Alyatte et de Cyaxare sur les bords de l’Halys, qui fut reconnu comme frontière entre Médie et Lydie (585). La politique inaugurée par Gygès avait donc été menée à bien. Il devait revenir à Crésus de l’achever en soumettant Milet.

Prospérité de la Lydie sous Crésus

Sous Crésus, la Lydie s’étend sur toute l’Asie Mineure à l’ouest de l’Halys. Des Éoliens, des Ioniens et des Doriens, Crésus se borne à exiger un tribut. La Lydie se trouve donc en contact avec le monde grec. Non seulement les Grecs accueillaient les caravanes parties de Sardes, mais ils vinrent en nombre s’installer à Sardes. Les mariages mixtes durent se multiplier, à l’imitation de celui d’Alyatte avec une Ionienne. En même temps, l’art grec pénétrait en Lydie (on a retrouvé à Sardes de la céramique grecque du VIIe siècle), tandis que la langue grecque devenait celle des gens instruits: c’est en grec que le Lydien Xanthos écrivit au Ve siècle l’histoire de sa patrie, qui n’est connue aujourd’hui que par des citations. C’est aussi à Sardes que naquit le poète Alcman (seconde moitié du VIIe siècle), qui devait plus tard se fixer à Sparte. Les Grecs établis en Lydie cherchèrent même à jouer un rôle politique et ils tentèrent d’évincer Crésus pour le remplacer par un des leurs.

Les Mermnades, quant à eux, ne manquaient pas d’afficher leur philhellénisme. À la cour de Crésus se pressaient non seulement les marchands et les hommes politiques, mais aussi un groupe de personnages illustres qui forment, dans une tradition peu soucieuse d’exactitude chronologique, les Sept Sages, et notamment le savant Thalès, le philosophe Bias, des hommes d’État tels que Pittacos de Mytilène ou Solon. Les Mermnades témoignent aussi leur respect des divinités de la Grèce. Ainsi, au début du règne de Crésus, les Éphésiens révoltés obtinrent leur pardon grâce à une ruse qui consistait à réunir par une corde leur citadelle et le temple d’Artémis. Sparte reçut l’or nécessaire à l’exécution d’une statue d’Apollon. Des offrandes furent faites à Apollon Isménien de Thèbes et au héros Amphiaraos d’Oropos en Béotie, mais les ambassades les plus fameuses furent dirigées, avec habileté, sur Delphes, où ex-voto, statues et bijoux s’accumulèrent; en échange de ces présents, Delphes accorda au roi le droit de cité, la priorité dans la consultation de l’oracle, une place d’honneur aux Jeux, toutes marques qui équivalaient à conférer un brevet d’hellénisme. Au vrai, la possession du littoral asiatique suffisait à Crésus, qui cherchait à gagner seulement l’amitié des habitants des îles et de la Grèce d’Europe. Mais, en même temps, l’hellénisme pénétrait à l’intérieur de l’Asie.

La civilisation lydienne ne manquait pas non plus de présenter un certain attrait aux yeux des Grecs. Sans être vraiment des créateurs, les Lydiens étaient des initiateurs qui combinaient les éléments orientaux et ceux en provenance de l’Égée. Il est donc difficile de dégager des traits exclusivement lydiens, à commencer par la langue, disparue dès l’époque de Strabon (Ier siècle av. J.-C.). Le tombeau d’Alyatte, avec son tumulus, était de type phrygien. Ce furent pourtant les Lydiens qui frappèrent pour la première fois, dès le règne de Gygès, une monnaie faite d’électrum, un alliage naturel d’or et d’argent; au milieu du VIe siècle, Crésus frappait l’or pur et l’argent, et se livrait à la première expérience de bimétallisme, dans le but de conférer à son numéraire une valeur universelle. Cette invention devait être adoptée par les cités ioniennes puis, au cours du VIIe siècle, par les cités commerçantes de Grèce.

Dans le domaine musical, les Lydiens allièrent l’héritage assyrien aux créations des Phrygiens, et leurs airs de flûte furent adoptés par les Grecs. Grâce à la Lydie, les calculs des astrologues et les cartes des géographes babyloniens se transmirent à l’école de Milet. C’est enfin aux Lydiens que l’on doit les jeux de hasard des Grecs.

Sardes était le foyer de toutes ces activités: la richesse de ses marchés, son cosmopolitisme, la vie de plaisirs que l’on y menait et dont le quartier du Bon Coin était le symbole permettent d’y voir une préfiguration d’Alexandrie.

Si grandes étaient la richesse et la puissance de Crésus qu’aucune des cités ioniennes ne songea à répondre aux offres de Cyrus, le roi des Perses, si ce n’est Milet. Devant le danger perse, Crésus avait fait alliance avec le roi de Chaldée Nabonide et avec le pharaon Amasis. Sûr de sa force, il accepta et perdit une première bataille en Cappadoce. Cyrus ne lui laissa pas le temps de se ressaisir et vint le faire prisonnier dans Sardes (546): Crésus eut la vie sauve et termina ses jours dans une prison dorée, à la cour de son vainqueur.

L’imagination grecque se plut néanmoins à embellir la figure du dernier des Mermnades, reconnaissant ainsi la dette de l’hellénisme vis-à-vis de l’Asie et de l’Orient.

Lydie
anc. pays de l'Asie Mineure, sur la mer égée, que les Perses prirent au roi Crésus (546 av. J.-C.); cap. Sardes.

Encyclopédie Universelle. 2012.