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MONSÙ DESIDERIO
MONSÙ DESIDERIO

MONSÙ DESIDERIO (1re moitié XVIIe s.)

On attribuait à un certain Monsù Desiderio un ensemble de tableaux représentant des paysages, des architectures imaginaires animées de figures fantomatiques — dont on savait, par des signatures ou des inscriptions au dos des toiles et par le témoignage de De Dominici, que l’auteur avait vécu à Naples dans la première moitié du XVIIe siècle. Bien que le terme de monsù (monsieur) ait toujours, en Italie, désigné un étranger, on avait tenté d’identifier cet artiste avec le graveur toscan Francesco Desiderio da Pistoja. Pour certains critiques, il s’agissait d’un Flamand, pour d’autres d’un Grec. Puis, une inscription relevée par R. Causa au revers d’une Vue de Naples : «Desiderius Barra, ex civitate Metensi in Lotharingia F: 1647» (musée de San Martino, Naples), orienta les recherches vers les archives lorraines. On put établir alors que Monsù Desiderio était fils d’un hôtelier de Metz, qu’il était né vers 1590 et parti pour l’Italie en 1608. Restait la disparité évidente entre certaines des toiles attribuées à ce personnage encore mystérieux. L’énigme s’éclaircit grâce à la découverte, sur plusieurs tableaux qui lui étaient attribués, d’une autre signature présentant d’ailleurs des variantes: Francesco di Nome (Destruction de Sodome ; Présentation de la Vierge au Temple ), D. Nome, Did. Nom., Francesco Did. Nome, l’un avec la date de 1619 (Intérieur de cathédrale ). Ce sont les archives de Naples, cette fois, qui ont permis d’identifier ce second peintre, de découvrir qu’il était, lui aussi, né à Metz vers 1592, qu’il en était parti à peine âgé d’une douzaine d’années, s’était rendu à Rome, avait travaillé huit ans chez le peintre flamand Balthazar Lauwers, avant de se fixer à Naples, où il se mariait en 1613. À partir de ces données, il a été possible d’établir que, dans la production attribuée à Monsù Desiderio, les panoramas «topographiques» attentivement exécutés (Vue de Naples à vol d’oiseau , Vue du Mont Vomero et de San Martino ) reviennent à Didier Barra, alors que les cataclysmes, les écroulements (Destruction de Sodome , coll. M. Gurlani, Rome; Explosion dans une église , coll. part., Londres; Fin du monde , Musée national, Varsovie), les édifices extravagants peuplés de figures (Assassinat dans une architecture imaginaire , coll. part., Rome; Fuite en Égypte , musée des Arts décoratifs, Paris) sont l’œuvre de François de Nome. Ainsi, les cinq tableaux achetés par le comte Harrach, entre 1728 et 1733, à Naples, comme «Monsù Desiderio» (Grand Portique avec statues ; Saint Georges terrassant le Dragon , daté de 1622; Palais imaginaire ; Martyre de sainte Agathe ; Intérieur d’église ), et qui ont servi de point de départ à un premier regroupement de l’œuvre, sont en réalité de François de Nome: l’analogie d’inspiration et de facture avec les œuvres portant sa signature ne laisse aucun doute à cet égard. Il paraît évident que les deux compatriotes, fixés à Naples, travaillèrent ensemble et peignirent même en collaboration un certain nombre de toiles: la Vue de Jérusalem avec une Descente de Croix , par exemple (Scarborough, Angleterre), dont le paysage et la ville sont traités dans la manière de Barra, tandis que les petits personnages du premier plan sont, à coup sûr, de François de Nome; ou la Tour de Babel (Naples), qui associe la grande masse régulière de la tour, due certainement à Barra, aux architectures à colonnes, statues et pinacles que l’on retrouve dans presque toutes les œuvres de Nome. La confusion est venue sans doute de l’oubli dans lequel sont tombées les œuvres de l’un et de l’autre, succédant à une vente en vrac, après leur mort, du contenu de l’atelier sous le seul nom de Monsù Desiderio.

En fait, la personnalité originale, fascinante, est celle de François de Nome, non seulement par son inspiration, dont on a pu montrer d’ailleurs qu’elle relève de la schizophrénie (F. Sluys), mais par la technique picturale que l’artiste a su inventer pour servir sa vision (cernes noirs autour des taches colorées, superpositions de touches en relief, linéaments recreusés dans la pâte jusqu’au fond noir pour créer un réseau filigrané). Sous ces deux aspects, l’art de François de Nome annonce, à certains égards, celui de Magnasco.

Encyclopédie Universelle. 2012.