MÉLODRAME
Le mélodrame est un genre décrié. Sa réputation a été grande et René Charles Guilbert de Pixérécourt (1773-1844), le «Corneille du mélodrame», gagnait, à produire des mélodrames, plus de 25 000 francs par an. Somme énorme. De nos jours, le mélodrame «est victime d’un reproche majeur et général: il est populaire, boulevardier, vulgaire; c’est la tragédie du pauvre ou le drame du pauvre», écrit P. Frantz, qui ajoute: «Il n’est décrit qu’à travers deux figures si fréquentes de l’histoire littéraire, celle de la décadence et celle de l’enfance; il est décrit tantôt comme l’ultime décadence de la tragédie, [...] tantôt comme l’enfance du drame romantique.»
Au commencement, le mot mélodrame est quasi synonyme d’opéra; c’est le cas pendant la seconde moitié du XVIIIe siècle; après quoi, tout en conservant l’idée que l’action doit s’y accompagner de musique, le mot désigne une sorte bien précise de drame populaire, de «tragédie des boulevards» (Geoffroy). L’origine du mélodrame est complexe; il tient du roman noir auquel il doit son goût de la terreur et des effets pathétiques: ses rapports avec le drame bourgeois sont rendus évidents par la présence de personnages bourgeois et populaires, par ses tendances moralisatrices, et plus encore peut-être par son goût du visuel, du «tableau». Mais on a pu montrer sans paradoxe qu’il devait aussi beaucoup à la tragédie: «J’ai respecté dans mes drames les trois unités, s’écrie Pixérécourt, autant qu’il m’a été possible.» Surtout, le mélodrame voisine avec la tragédie par le recours systématique à la terreur et à la pitié, et plus précisément avec la tragédie pseudo-classique par l’usage des stéréotypes psychologiques et moraux.
1. Mélodrame et Révolution
Le début de la Révolution de 1789 marque la naissance du mélodrame, comme si l’intervention de l’histoire dans la vie concrète des hommes de la rue et le droit nouveau du tiers état aux privilèges de la culture étendaient le champ d’action du théâtre. En effet, les premières œuvres datent de 1790-1791 (Olympe de Gouges, Le Couvent, ou les Vœux forcés , 1790; Lemierre d’Argy, Calas, ou le Fanatisme , 1791; Boutet de Montvel, Les Victimes cloîtrées , 1792), et tous les historiens du mélodrame insistent sur le rôle déterminant de la Révolution; ainsi Nodier, réfléchissant après coup au rôle de l’histoire dans l’avènement du mélodrame et à son succès après la Révolution: «À ces spectateurs solennels qui sentaient la poudre et le sang, il fallait des émotions analogues à celles dont le retour à l’ordre les avait sevrés. Il leur fallait des conspirations, des cachots, des échafauds; des champs de bataille, de la poudre et du sang. [...] Il fallait leur rappeler dans un thème toujours nouveau de contexture, toujours uniforme de résultats, cette grande leçon dans laquelle se résument toutes les philosophies, appuyées sur toutes les religions: que même ici-bas la vertu n’est jamais sans récompense, le crime n’est jamais sans châtiment. Et que l’on n’aille pas s’y tromper! Ce n’était pas peu de chose que le mélodrame! C’était la moralité de la Révolution.»
Le grand moment du mélodrame se situe après 1794, et même après 1800, sous le Consulat et l’Empire. C’est que, dans sa forme la plus aboutie, le mélodrame n’est pas seulement lié à la Révolution: il est marqué par le régicide et la mort de Louis XVI. On peut voir en lui une réécriture fantasmatique de l’histoire qui nie le parricide en replaçant dans ses droits le père déchu ou martyrisé. Le mélodrame est en tout cas chez Pixérécourt l’histoire d’une restauration, d’un retour à l’ordre naturel.
Dès 1793-1794, le théâtre de Molière, dit théâtre des Sans-Culottes, va jouer les mélodrames de Loaisel de Tréogate, Le Château du diable (1792) ou La Forêt périlleuse (1797). Après quoi ce sont toutes les scènes du Boulevard du crime qui abriteront les mélodrames, et tout particulièrement la Gaîté, théâtre attitré de Pixérécourt. Un des traits frappants est sans doute le succès du mélodrame dans toutes les couches de la société; Guilbert de Pixérécourt est, parmi les hommes de théâtre, non le plus illustre mais le plus populaire. En 1800, mille cinq cents représentations seront données de Coelina , tant à Paris qu’en province, car le mélodrame s’étend à toute la France; en 1803, il y aura mille trois cent trente représentations de Tékéli ; et même en 1830, quand la vogue du mélodrame commence à passer, le Latude du même Pixérécourt connaît encore plus de mille représentations. C’est que le mélodrame est un théâtre pour tous. Certes, il est d’abord fait pour «cet être réel, palpable, animé, passablement dramatique et cependant jusqu’à nous tout à fait oublié par les metteurs en œuvre de la scène qui s’appelle le peuple» (Nodier). Mais aucun spectacle au XIXe siècle ne saurait réussir sans la présence du public riche. Or, si le petit peuple s’installe au «paradis» dès le Directoire, la bonne société – ou plus exactement la «nouvelle société» – occupe les places chères. En 1810, La Gazette de France parle de «la vogue constante qui pousse à nos théâtres secondaires les meilleures compagnies». La Citerne de Pixérécourt voit «le merveilleux de la chaussée d’Antin lutter dans la foule avec le rustique habitant du faubourg Saint-Antoine». Du Directoire à la Restauration, la bourgeoisie petite et grande va se donner à elle-même le spectacle qu’elle procure au peuple. On le voit, s’il est une forme de théâtre qui obtient l’unanimité des classes sociales, c’est bien le mélodrame.
2. Structures et langages du mélodrame
Dans le spectacle qu’offre le mélodrame, les conflits sont résorbés et comme phagocytés: il n’y a pas de véritable problème politique, moral ou social, et tout le monde adopte en définitive un système des valeurs identiques: le Traître se nomme lui-même «scélérat» et «coquin». Aucune transgression morale ou sexuelle; et, au cas où l’auteur aurait la tentation de mettre en scène une quelconque transgression, il serait vite rappelé à l’ordre par la censure. En réalité, le mal est toujours le fait du Traître; c’est sa perversité qui produit les désastres à quoi s’ajoutent, parce que le spectaculaire est la règle, les catastrophes naturelles: orages, incendies, tremblements de terre, tempêtes, voire raz-de-marée ou éruptions volcaniques. Le mal dû aux égarements de la nature se combine ainsi avec celui qui naît de la perversité du méchant. Pris en tenailles, entre l’un et l’autre, le mal historique et l’injustice sociale ne trouvent pas leur place. Enfin, le mal dont le Traître est la cause se voit nécessairement désamorcé et racheté par le héros aidé de la divine Providence.
De là une constellation de personnages déterminant un réseau de forces qui dessine une structure codée immuable. Tout d’abord, le Traître est le sujet actif dont le vouloir égoïste a fait entrer le mal dans le monde, et auquel s’oppose le héros désintéressé, «anti-sujet» qui fera triompher le bien. Le Traître, presque toujours solitaire, est lié à ses victimes par une paternité ou par une pseudo-paternité d’emprunt: il est oncle, tuteur, protecteur. En général, c’est un homme, les femmes étant plutôt vouées au rôle de victime. À la fois cynique, car il ne doit pas tromper le spectateur, et hypocrite pour ses victimes, le Traître se caractérise par la puissance de ses désirs: il veut tout, non seulement la jolie et innocente héroïne, mais surtout le pouvoir, et d’abord l’argent. Le Traître est mû par une véritable prédestination au mal. Face à lui, le Héros, souvent seul, est masqué lui aussi, mais cette fois pour le bien. Dans la presque totalité des cas, il apparaît comme l’être sans désir, désintéressé et surtout chaste; on sait qu’il s’agit là d’un trait fréquent du héros populaire qu’on retrouve dans le western, comme si l’acte héroïque auquel se mêle le désir en était dévalué. Dans l’ombre du Héros, évolue le Niais, personnage essentiel; issu du peuple, il est aussi celui qui apporte dans un scénario presque toujours pathétique le comique et le sourire. Le Niais représente dans le canevas mélodramatique l’enfant-peuple, dont le rôle est de seconder maladroitement les efforts du Héros.
Les victimes du Traître, sauvées par le Héros, seront d’abord les jeunes gens amoureux, que distinguent la vertu, l’innocence, le malheur, l’amour chaste. Ainsi, la jeune fille est la victime désignée du sadisme du Traître: enlevée, parfois torturée, convoitée, jamais violée, elle arrive au dénouement virgo intacta . Enfin, le père est un personnage clé; si son rôle est souvent réduit, il n’en est pas moins le principal bénéficiaire de l’action ; la tâche de ses enfants comme du Héros sera en effet de le restaurer dans ses droits. Glorifié, presque divinisé, il est le représentant de la morale et de la justice: «Un père offensé qui pardonne est la plus parfaite image de la divinité» (L’Homme aux trois visages ). De même, dans Le Monastère abandonné , un père apparaît «dans l’attitude imposante d’un dieu vengeur».
Il existe, surtout chez Pixérécourt, un canevas type du mélodrame, avec des étapes bien précises: a ) avant le drame, le point de départ est constitué par un malheur passé dont le méchant a été la source ou l’auxiliaire (on a détrôné le roi, ruiné le père de famille, etc.); b ) l’acte premier montre un bonheur fragile, à peine libéré du mal antérieur: le jeune homme va épouser la jeune fille; c ) le Méchant ourdit sa trame et révèle les intrigues fomentées à l’intérieur du cercle idyllique; le danger est pressant; la nature ajoute ses orages aux bouleversements humains; d ) mais le Héros veille: aidé de la Providence, il démasque le Méchant (règle absolue, jusque dans le mélodrame pessimiste de l’époque tardive). Le Traître est toujours puni, même s’il est trop tard pour ses victimes. Ainsi, le dénouement de la fable se caractérise par la récupération du passé et l’expulsion du Méchant; l’ordre se rétablit, la famille dispersée se ressoude, le père triomphe et retrouve ses honneurs et privilèges.
Parce qu’il fige le temps dans un passé irrémédiable, le mélodrame est le contraire d’un drame historique. D’où la facilité avec laquelle il peut se plier à l’unité de temps, le seul processus qu’il connaît étant celui du retour à l’ordre. Quant à l’espace, il obéit à deux impératifs contradictoires: tout d’abord, il est le lieu du spectaculaire . La révolution dramaturgique de la fin du XVIIIe siècle qui fait coïncider espace scénique et décors inspirés de la nature permet au mélodrame de montrer toutes sortes de tableaux prestigieux: orages, tempêtes, mais aussi ruines et châteaux mystérieux. Il peut ainsi mettre à profit les nouvelles toiles peintes et les anciennes machines. Dans Coelina , «le théâtre représente un lieu sauvage [...]. Des sapins, répandus çà et là, semblent encore faire ressortir davantage l’aspérité de ce séjour. [...] Pendant l’entracte, on entend le bruit éloigné du tonnerre; bientôt l’orage augmente, et au lever du rideau toute la nature paraît en désordre; les éclairs brillent de toutes parts, le torrent roule avec fureur, les vents mugissent, la pluie tombe avec fracas, et des coups de tonnerre multipliés, qui se répètent cent fois par l’écho des montagnes, portent l’épouvante et la terreur dans l’âme.» Mais l’espace du mélodrame est aussi un lieu fermé, perpétuellement menacé, une sorte de domaine idyllique où s’est glissé l’esprit du mal. L’espace de l’errance, de la sauvagerie est là, tout près, pour que s’y égarent les amants, pour que le Héros y affronte les brigands, pour que la jeune fille y surmonte sa peur: c’est la forêt, piège et refuge, c’est la caverne, abri ou menace. Espace psychique, symbolique, grâce auquel le mélodrame échappe à ses conventions pour devenir un domaine onirique où rôde l’angoisse; la musique pourra s’y donner libre cours.
Il ne faudrait pas croire que le style mélodramatique soit simple, coulant et familier. J.-P. Davoine a pu montrer combien il peut être proche du langage tragique. Quant à sa «couleur» proprement populaire, il la doit à l’usage de la prose et à cette forme particulière de rupture syntaxique qu’on appelle le style haletant: phrases coupées, interpellations, exclamations, silences, toute une rhétorique du phrasé de l’émotion trouve sa place dans l’écriture du mélodrame. Pixérécourt se fait gloire d’écrire avec la plus grande simplicité, une simplicité qui comprend cependant tous les artifices rhétoriques, toutes les figures de l’excès (antithèses, hyperboles) nécessaires à l’expression dramatique et caractéristiques du style néoclassique. «C’est un langage pour monde clos par l’intermédiaire duquel l’âme populaire communie dans l’émotivité et la grandiloquence qui sont pour elles signes de dignité tragique» (J.-M. Thomasseau). L’écriture tragique apporte au mélodrame la dignité et la grandeur dont il se pense dépourvu. En même temps, l’épithète mélodramatique, épithète «émotive» s’il en est, donne à la fable toute la clarté requise. Ainsi dans Coelina : «Cachée derrière la porte de ce cabinet, j’ai entendu le complot infernal tramé contre ce malheureux par vous et votre indigne valet.»
À travers un langage unifiant, que parlent tous les personnages y compris le Traître (seul le Niais traduit le même système de valeurs dans un dialecte plus infantile), l’écriture mélodramatique doit assurer non seulement la clarté de l’histoire racontée mais aussi celle de la morale qui lui est nécessaire. Relevons, dans Les Chefs-d’œuvre du répertoire des mélodrames (1825), cette formule caractéristique: «Le mélodrame donc [...], surtout quand rien ne s’y passe qui ne soit à la portée de la classe ouvrière et manufacturière, ne peut qu’être utile, politique même, et contribuer de plus à maintenir cette même classe dans le bon chemin des qualités morales si nécessaires au repos de chaque famille et de la société entière.»
3. Évolution
Dès la fin de la Révolution, le grand homme du mélodrame sera Guilbert de Pixérécourt. «Tout était dit, tout était fait quand je parus. Il fallait donc inventer un nouveau théâtre.» S’il n’a point créé le mélodrame, Pixérécourt en a du moins fixé les lois tout au long de soixante-trois œuvres et de trente mille représentations. Parmi ses plus grands succès, citons Victor, ou l’Enfant de la forêt (1798), Coelina, ou l’Enfant du mystère (1800), L’Homme aux trois visages, ou le Proscrit de Venise (1801), La Femme à deux maris (1802), Tékéli, ou le Siège de Montgatz (1803), Les Ruines de Babylone (1810), Latude, ou Trente-Cinq Ans de captivité (1814).
Mais Pixérécourt n’est pas seul; le mélodrame est un genre fécond, et cela dès le début, avec Loaisel de Tréogate, Caigniez, bientôt Ducange, Benjamin Antier avec qui Pixérécourt collaborera.
De plus le mélodrame, genre vivant, ne peut manquer d’évoluer: en 1823, Benjamin Antier écrit L’Auberge des Adrets , dont le point de départ est un fait divers particulièrement tragique. Cette œuvre marque un tournant: par ses jeux de scène et son interprétation, un comédien, Frédérick Lemaître fait passer le mélodrame du sérieux au grotesque, en créant la figure subversive du bandit Robert Macaire, ancêtre du Mackie de l’Opéra de quat’sous de Brecht. Désormais, le mélodrame porte sa propre contestation. L’Auberge des Adrets et sa suite, Robert Macaire (1834), connurent un succès inouï; ces œuvres apportaient à Hugo la confirmation de sa théorie du grotesque. Du même coup, Frédérick Lemaître, en devenant un interprète du drame romantique, allait lui donner l’aura «grotesque» dont il avait besoin.
Au reste, à la fin de la Restauration, le contenu du mélodrame change: il recommence, comme au début de la Révolution, à condamner les aristocrates et les prêtres, sa structure manichéenne lui permettant d’exprimer les contenus politiques les plus opposés. Les écrivains romantiques n’ignorent pas l’efficacité du mélodrame. Et les critiques hostiles auront beau jeu de moquer le poison de Lucrèce Borgia , la hache d’Angelo , l’escalier de Chatterton , et de tenter d’assimiler drame et mélodrame. La différence fondamentale entre l’un et l’autre ne réside pas tant dans l’arsenal de la violence et du hasard (poison, tortures, miraculeuses reconnaissances) que dans leur structure.
Alors que dans le mélodrame la restauration de l’ordre est la règle quasi absolue, le drame romantique met en lumière la discontinuité tragique de l’histoire et des destins humains. Et le génie des écrivains – d’un Hugo en particulier – casse le langage convenu pour inventer un langage nouveau. Mais si le mélodrame a coloré le drame romantique, l’inverse aussi est vrai. Un jour, Alexandre Dumas fils reçoit d’un jeune provincial, Félix Gaillard, le manuscrit d’un mélodrame; il voit le parti qu’il peut en tirer et en fait La Tour de Nesle (1832). À partir de ce moment, on peut dire que le mélodrame est encore bien plus influencé par le drame que l’inverse. Il va lentement modifier ses caractéristiques propres, sans pouvoir changer son langage. La Lucrèce Borgia de Victor Hugo (qui doit quelque chose à La Tour de Nesle ) est à l’origine directe du grand mélodrame d’Anicet Bourgeois, La Vénitienne ; et Victor Hugo ne craint pas de lui reprendre son bien avec Angelo . Bel échange!
Cependant, une sorte de pessimisme s’installe dans le mélodrame. En témoignent La Nonne sanglante , grand succès du même Anicet Bourgeois, Trente Ans de la vie d’un joueur de Ducange, où s’illustra toute sa vie Frédérick Lemaître, ou encore Dix Ans, ou la Vie d’une femme et Marie Jeanne , que joua Marie Dorval jusqu’à son dernier jour et qui fixèrent son image de «lys brisé». Grands mélodrames romantiques qu’Artaud prétendait aimer.
Le mélodrame a dans le siècle un héritier: le drame populaire, dont les caractéristiques sont un peu différentes: Les Deux Orphelines , La Porteuse de pain sont des mélodrames populistes. Mais le vrai mélodrame paraît bien mort. Peut-on encore le jouer? Il semble bien que non. Trop rigide, d’écriture et de langage trop datés, porteur d’une «idéologie» trop visible, il ne supporte ni d’être parodié (il contient sa propre parodie), ni d’être joué au premier degré.
mélodrame [ melɔdram ] n. m.
• 1762; de mélo- et drame
1 ♦ Anciennt Œuvre dramatique accompagnée de musique.
2 ♦ (1788) Drame populaire dont, à l'origine, un accompagnement musical soulignait certains passages et que caractérisent l'invraisemblance de l'intrigue et des situations, la multiplicité des épisodes violents, l'outrance des caractères et du ton. Le traître du mélodrame. « Vive le mélodrame où Margot a pleuré ! » (Musset). — Péj. Héros, personnage, scène, style de mélodrame. — Œuvre (théâtrale ou non) qui tient du mélodrame. Ce film est un véritable mélodrame !
3 ♦ Situation réelle semblable à un mélodrame. Faire un, du mélodrame.
♢ Abrév. fam. (1872) MÉLO [ melo ]. Aimer les mélos. Nous voilà en plein mélo ! — Adj. Un film mélo. Une histoire un peu mélo.
● mélodrame nom masculin Œuvre dramatique accompagnée ou soutenue par de la musique. Dans la tragédie grecque, dialogue chanté entre le coryphée et un personnage. Depuis la fin du XVIIIe s., drame populaire où sont accumulées des situations pathétiques et des péripéties imprévues. (Encore très prisé au XIXe s., le genre fut brillamment illustré par Anicet-Bourgeois, Paul Féval, Dennery et Xavier de Montépin.) Œuvre dont les situations cherchent exagérément à frapper la sensibilité : Film qui tourne au mélodrame. Situation artificiellement tragique et outrée : On nage en plein mélodrame. ● mélodrame (citations) nom masculin Alfred de Musset Paris 1810-Paris 1857 Vive le mélodrame où Margot a pleuré. Poésies, Après une lecture
mélodrame
n. m. Drame populaire qui cherche à produire un effet pathétique en mettant en scène des personnages au caractère outré dans des situations compliquées et peu vraisemblables.
⇒MÉLODRAME, subst. masc.
A. — HIST. DU THÉÂTRE
1. Œuvre dramatique où le texte est accompagné de musique instrumentale. J'ai donc écrit Amphion, et j'ai appelé ceci:Mélodrame. Je n'ai pas trouvé d'autre terme pour qualifier cet ouvrage, qui n'est certainement ni un opéra, ni un ballet, ni un oratorio (VALÉRY, Variété III, 1936, p.88):
• 1. Ses conversations (...) le ramenaient aux projets (...) d'une forme de drame musical tenant le milieu entre l'opéra récitatif et le drame parlé (...). Œuvre neuve: car il ne s'agit pas de marcher dans les traces de Beethoven, de Weber, de Schumann, de Bizet, quoiqu'ils aient pratiqué le mélodrame avec génie...
ROLLAND, J.-Chr., Amies, 1910, p.1177.
2. Drame populaire, parfois accompagné de musique, caractérisé par une intrigue compliquée et par l'accumulation de situations violentes et pathétiques. Le besoin des émotions vives est la source des plus grands plaisirs causés par les Beaux-Arts, il ne faut pas en conclure qu'on doive changer les tragédies en mélodrames, ni les comédies en farces des boulevards (STAËL, Allemagne, t.3, 1810, p.193). Le mélodrame, ce fils bourgeois du drame romantique, est encore plus mort que lui dans les tendresses du peuple (ZOLA, Th. Raquin, 1867, p.II).
— Péj. De mélodrame, loc. adj. Comme on en voit dans les mélodrames. Synon. grandiloquent, outré. Héros de mélodrame. Ces Terroristes de mélodrame (...) seroient incapables de maintenir trois jours en permanence l'instrument de mort qui retomberoit sur eux (CHATEAUBR., Ét. ou Disc. hist., t.1, 1831, p.CX). Mécontent de ne pas trouver en lui-même un caractère parfaitement droit, il se précipitait dans l'excès opposé, et se voyait sans déplaisir sous l'aspect d'un traître de mélodrame (LARBAUD, F. Marquez, 1911, p.86).
B. — P. anal., péj.
1. Œuvre, situation romanesque ou dramatique, grotesque par ses exagérations, notamment dans l'expression des sentiments. Tourner au mélodrame. Marguerite n'est pas une héroïne de mélodrame; ce n'est vraiment qu'une femme, une femme comme il en existe beaucoup, et elle n'en touche que davantage (NERVAL, Faust, 1840, p.6). Continué ma pièce avec des difficultés grandissantes. Il faut l'arracher au mélodrame (GREEN, Journal, 1955, p.67):
• 2. Je passe alternativement de l'emphase la plus extravagante à la platitude la plus académique (...). Parole d'honneur! J'ai peur que ce ne soit poncif et rococo en diable. D'un autre côté, comme il faut faire violent, je tombe dans le mélodrame.
FLAUB., Corresp., 1857, p.239.
2. Situation grotesque par ses outrances, notamment dans l'expression exagérée des sentiments. Qui est malade? Vous ou moi? Je ne veux ni mélodrame ni attendrissement (VIALAR, Brisées hautes, 1952, p.109).
REM. 1. Mélo, subst. masc. [Par apocope de mélodrame] a) [Correspond à supra A2] Elle fut saisie (...) de l'air de reine de l'actrice, — qui jouait en effet une reine dans un mélo romantique (ROLLAND, J.-Chr., Amies, 1910, p.1167). b) [Correspond à supra B] Il fixe ses interlocuteurs droit dans les yeux avec son regard bleu dur et parle à toute vitesse (...). Pas de détours, pas de mélo (Le Monde, 12 oct. 1980, p.8, col.5). 2.Mélodramaturge, subst. masc. Auteur de mélodrame. Dussé-je me mettre à dos tous les beaux esprits du boulevard, je suis forcé de convenir qu'il y a entre l'auteur anglais [Shakespeare] et nos mélodramaturges tout l'espace qui sépare le génie de la nullité (JOUY, Hermite, t.5, 1814, p.275).
Prononc. et Orth.:[]. Att. ds Ac. dep. 1835. Étymol. et Hist. 1. 1768 [éd.] «sorte de drame parlé dont certaines scènes comportent un accompagnement musical» (ARNAUD, Essai sur le Mélodrame ou Drame lyrique ds Variétés littér., t.3, p.256); 2.1788 «drame de ton populaire où sont accumulées les péripéties imprévues» (E. VAN BELLEN, Les Origines du mélodrame, p.3, note d'apr. FEW t.6, 1, p.687a). Comp. de l'élém. form. mélo- et de drame. Fréq. abs. littér.:246. Fréq. rel. littér.: XIXe s.: a)508, b)333; XXe s.: a) 282, b) 263.
DÉR. Mélodramatiser, verbe trans., rare. Rendre mélodramatique. Mlle Sarah Bernhardt use son charme et sa puissance poétique sur le personnage de Mrs Clarkson (...) qu'elle fatalise et «mélodramatise» encore (A. DAUDET, Crit. dram., 1897, p.61). — [], (il) mélodramatise []. — 1re attest. 1876 (ID. in Journal officiel, 21 févr., p.1330, 1re col. ds LITTRÉ Suppl. 1877); de mélodrame, suff. -iser, d'apr. dramatiser.
BBG. — ESNAULT (G.). Qq. dates. Fr. mod. 1952, t.20, p.140 (s.v. mélo). — QUEM. DDL t.4 (s.v. mélodramaturge), 23 (s.v. mélo). — MACK. t.2 1939, p.236.
mélodrame [melɔdʀam] n. m.
ÉTYM. 1762, in Variétés littéraires de F. Arnaud et J. A. B. Suard, à l'article « Essai sur le mélodrame ou drame lyrique »; de mélo-, et drame, d'après l'ital. melodramma.
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1 Anciennt (parfois écrit mélo-drame). Œuvre dramatique accompagnée de musique. ⇒ Opéra.
0.1 La scène de Pygmalion est un exemple de ce genre qui n'a pas eu d'imitateur. En perfectionnant cette méthode, on réunirait le double avantage de soulager l'acteur par de fréquents repos, et d'offrir au spectateur l'espèce de mélodrame le plus convenable à sa langue. Ainsi cette espèce d'ouvrage pourrait constituer le genre moyen entre la simple déclamation et le véritable mélodrame dont il n'atteindra jamais la beauté.
Rousseau, Fragments d'observations sur l'Alceste…, 1774.
2 (1834). Drame populaire dont, à l'origine, un accompagnement musical soulignait certains passages et que caractérisent la complexité de l'action, la multiplicité des épisodes violents, l'outrance et la simplification des caractères, le moralisme manichéen, le style souvent relâché et le caractère spectaculaire de la mise en scène (⇒ Tableau). Par abrév. || Mélo. || Les mélodrames de Pixérécourt. || Le traître du mélodrame. || La tradition du mélodrame se perpétue dans les drames du Grand-Guignol.
1 Et, que tous les pédants frappent leur tête creuse,
Vive le mélodrame où Margot a pleuré !
A. de Musset, Poésies nouvelles, « Après une lecture ».
2 Le général s'était en allé poliment avant la fin du dîner pour conduire ses deux enfants au spectacle, sur les boulevards, à l'Ambigu-Comique ou à la Gaieté. Quoique les mélodrames surexcitent les sentiments, ils passent à Paris pour être à la portée de l'enfance, et sans danger, parce que l'innocence y triomphe toujours.
Balzac, la Femme de trente ans, Pl., t. II, p. 781.
3 (…) le crime n'était pas toujours puni et la vertu récompensée, aussi régulièrement que dans les mélodrames du beau temps de la Gaîté (…)
Th. Gautier, Souvenirs de théâtre…, « Hist. de la marine ».
♦ (1840). Péj. || … de mélodrame : qui évoque le mélodrame (⇒ ci-dessous, sens 4). || Scène (→ Inexorable, cit. 4), style de mélodrame.
3 Péj. Œuvre (théâtrale ou non) qui tient du mélodrame. || Ce cinéaste vient de tourner un mélodrame insipide et pleurnichard.
4 Conduite, comportement, discours… qui évoque le mélodrame par sa sentimentalité excessive, son outrance jouée (surtout dans faire un, faire du mélodrame). → Faire du cinéma, une comédie, un drame, une scène, etc.
4 La passion, je sais ce que c'est. À condition, toutefois, qu'on ne fasse pas de mélodrame. Non, non, de la pudeur. Pas de larmes. Pas de désespoir.
G. Duhamel, Chronique des Pasquier, IV, XIV.
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DÉR. Mélodramatique, mélodramaturge.
Encyclopédie Universelle. 2012.