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PROPERCE
PROPERCE

La biographie du plus grand représentant de la poésie amoureuse romaine nous échappe presque entièrement: peu de témoignages extérieurs, et les allusions à sa propre personne contenues dans sa poésie sont obscures ou parfois, sans doute, fictives.

L’œuvre de Properce, qui se présente, dans son ensemble, comme une suite de variations sur l’amour, comme une odyssée intérieure, n’est pas à résumer. Certains poèmes esquissent un art d’aimer et donnent des conseils à qui aspire à être le parfait amant. C’est déjà l’inspiration ovidienne qui apparaît. Mais surtout la mise en forme littéraire de la passion constitue pour Properce une originalité dont il tire fierté.

Cynthia ou l’inspiration

Sextus Propertius est contemporain de Virgile, mais plus jeune que lui. On place, par conjecture, sa naissance vers 57 avant J.-C., peut-être un peu plus tard. Il appartenait à une famille noble, certainement riche, qui vivait dans la région d’Assise, mais il nous apprend qu’il avait perdu son père de très bonne heure et quelques années plus tard sa mère. Frappé par les confiscations qui accompagnèrent la guerre civile après la victoire des triumvirs (en 41 avant J.-C.), il ne tenta pas de reconstituer sa fortune et se contenta de mener à Rome la vie d’un poète oisif; ses ressources semblent pourtant avoir été suffisantes pour lui assurer l’indépendance et, s’il fut ami de Mécène, il ne paraît pas en avoir été, à l’instar d’Horace et de Virgile, le client attitré et l’obligé.

Properce choisit parmi les genres poétiques celui de l’élégie, qui avait pris à Rome, depuis Cornelius Gallus et, tout récemment, avec l’œuvre de Tibulle, un développement inconnu dans la littérature grecque. La cause de ce choix est, en partie du moins, la passion qu’il conçut, vers 30 avant J.-C., pour une jeune femme qu’il appela Cynthia et qui, si l’on en croit une indication d’Apulée dans l’Apologie (X), s’appelait Hostia (d’autres disent Roscia). Les historiens modernes s’interrogent sur la condition réelle de celle-ci, les uns voulant qu’elle fût une prostituée, les autres une femme mariée et volage. Il semble bien que ce fut une femme «libre», qui avait renoncé aux contraintes du mariage (ce qui était, légalement, son droit) et choisissait à son gré son compagnon du moment. Les mœurs romaines connaissaient et toléraient fort bien de telles situations. Mais cela impliquait l’incapacité juridique de fonder un foyer légalement reconnu. Du moins, la législation «morale» d’Auguste formula-t-elle expressément cette interdiction, à laquelle le poète fait allusion. Cynthia écrivait des vers, et c’est peut-être l’une des raisons pour lesquelles le poète lui a donné ce surnom («celle du Cynthe», épithète apollinienne); mais il faut aussi penser que l’exemple de la Délia de Tibulle a joué un rôle dans ce choix, le Cynthe étant la montagne de Délos.

De la passion à la louange de Rome

La chronologie des poèmes de Properce s’établit avec une relative clarté; la plus ancienne des élégies qui se laissent dater est la pièce VI du livre I; elle remonte à 29 avant J.-C., et l’on y trouve des allusions évidentes à une pièce de Tibulle (I, III), qui est du printemps de 31. D’autre part, il y a, dans le livre II, une élégie (cf. la pièce XXXI), qui ne saurait dater que du début d’octobre 28. Ce qui implique que le livre I, intitulé par Properce Cynthia, Livre unique (Monobiblos ), fut composé très vite, en 29-28, sous la double influence de l’amour et des Élégies de Tibulle. Une quinzaine de mois suffit donc pour écrire, ou rassembler, cette vingtaine d’élégies dont les deux dernières, qui font allusion aux jours sombres de Pérouse et à la guerre civile, sont évidemment des essais de la prime jeunesse ajoutés pour faire nombre.

Le deuxième livre se situe entre le mois d’octobre 28 et la fin de l’année 25; il comprend trente-quatre poèmes environ (certaines coupures entre les poèmes, telles que les indiquent les manuscrits, sont sans doute à réviser). Le livre III représente trois années de labeur: 25, 24, 23. Le livre IV, commencé après 23, fut-il publié du vivant de Properce? On ne sait. La plus récente allusion datée qu’il renferme se rapporte à l’année 16 avant J.-C.; peut-être ne fut-il publié qu’en 12, l’année où Auguste revêtit le grand pontificat, mais ce n’est qu’une hypothèse; la date de la mort de Properce ne nous est pas connue.

Formé pendant les guerres civiles, Properce vit l’épanouissement de la poésie augustéenne, à laquelle il participa; mais il fut moins sensible que Virgile et Horace aux angoisses et aux espoirs de cette génération. Longtemps centré sur son amour, il affirme que Cynthia est la seule source de son inspiration, ce qui, presque entièrement vrai pour le premier livre, le devient de moins en moins à mesure que l’œuvre avance. Le livre IV contient des «élégies romaines», où l’inspiration nationale, patriotique, voire archéologique, est dominante.

De l’amour et de l’art

On trouve chez ce poète de l’amour tous les moments de la passion, et non de la seule passion éprouvée par le poète; ainsi ce curieux poème (I, X) où Properce chante le bonheur de son ami Gallus, au cours d’une nuit d’amour dont il avait été lui-même le témoin. Ce sont les poèmes du bonheur: Properce est aimé de Cynthia, et les préceptes affirmés comme autant de certitudes sont l’expression de ce bonheur de l’amant comblé. Mais Cynthia est infidèle: elle ne se considère pas comme liée par son amour pour le poète, elle se donne à d’autres; viennent alors les poèmes de la jalousie, ou plutôt du désespoir amoureux, l’affirmation que Properce, lui, gardera sa fides , sa loyauté à celle qui ne saurait, croit-il, manquer de lui revenir. Peu à peu, cet amour prend une dimension presque divine: Cynthia n’est plus une femme ordinaire, elle est comparée aux grandes héroïnes de la légende, aux archétypes des grands mythes amoureux. Ce qui confère à cet amour une sorte d’immortalité. Il occupe exclusivement l’âme du poète qui, pour rester fidèle à son amie, renonce à tout ce qui fait la vie d’un Romain: assurer sa descendance, sa gloire, sa fortune. Tibulle proclamait déjà un tel renoncement, Properce reprend le thème. Poète artiste, il dissimule les sutures entre l’inspiration personnelle et le métier. Disciple avoué de Callimaque, il recourt aux procédés de la poésie alexandrine non seulement dans les pièces du livre IV, consacrées aux antiquités romaines (Jupiter Férétrien, Tarpéia, l’autel d’Hercule, Vertumne, etc.), mais aussi dans la poésie amoureuse. Ainsi la comparaison de Cynthia avec les héroïnes du passé légendaire reprend-elle, à travers l’élégie narrative alexandrine, peut-être un thème hésiodique, celui du «catalogue des femmes». Cette formalisation littéraire de la passion, Properce en est fier. C’est surtout à partir du livre III, et peut-être en se situant par rapport à Horace, qui achève alors les trois premiers livres des Odes , qu’il paraît avoir pris conscience de cette originalité. À ce moment, l’inspiration amoureuse commence à s’épuiser chez lui, et il veut trouver place dans la cohorte des poètes du cercle de Mécène. Mais quelques tentations d’imiter Virgile devaient le convaincre que sa vocation était plus modeste. Cynthia d’abord, présente dans le livre IV, meurt, mais son ombre poursuit le poète, venant lui affirmer que, en dépit de toutes les trahisons, elle lui a gardé sa fidélité. D’où une élégie amoureuse, l’une des dernières de l’œuvre, à la fois épilogue d’une longue passion et «descente aux enfers», qui n’est pas sans se souvenir du livre VI de L’Énéide.

Properce
(en lat. Sextus Aurelius Propertius) (v. 47 - v. 15 av. J.-C.) poète latin. Ses élégies décrivent les tourments de l'amour passionné.

Encyclopédie Universelle. 2012.