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PRUSSE
PRUSSE

Un État qui se forme lentement, péniblement, par le développement parallèle de deux territoires pauvres à l’est de l’Allemagne. Une dynastie qui réunit ces territoires en 1618 et qui en fait, en près de trois siècles, une grande puissance allemande, européenne, mondiale. Une fin misérable et brutale qui raye de la carte le nom même de cet État: telle apparaît l’histoire de la Prusse. Les ambiguïtés ne manquent pas dans cette histoire. La Prusse, qui a donné son nom à l’État, n’a jamais appartenu au Saint Empire romain germanique. Le Brandebourg, au contraire, en était partie intégrante, et ses souverains comptaient parmi les sept princes électeurs possédant le privilège de désigner l’empereur.

Jusqu’en 1815, la Prusse est un État d’Europe orientale dont le centre de gravité se situe à l’est de l’Elbe. Les acquisitions aux dépens de la Pologne, en 1772, 1793 et 1795, ne font qu’accentuer ce caractère et laissent présager la formation d’un grand État germano-slave.

La société et l’économie sont caractéristiques de cette partie de l’Europe: de grands domaines appartenant à une aristocratie de nobles (les Junkers ), non seulement seigneurs mais possesseurs du sol, dominant une masse de paysans dont la condition est voisine du servage; des cultures extensives (blé et betterave à l’ouest, seigle et pomme de terre à mesure qu’on avance vers l’est) donnant lieu à une exportation par les ports de Königsberg et de Danzig. N’allons pas toutefois imaginer cette société comme purement rurale. Il existe, non seulement dans la capitale, mais à Magdebourg, à Breslau, à Königsberg, une bourgeoisie active et une industrie juxtaposant l’artisanat traditionnel et la manufacture, ancêtre de l’usine moderne. Des traités de 1815 naît une nouvelle Prusse. Elle perd, au profit de la Russie, une partie de ses provinces polonaises. Mais ce qu’elle acquiert dans la région du Rhin (Düsseldorf, Cologne, Aix-la-Chapelle, Trèves, Coblence) modifie sensiblement l’équilibre du royaume. La diminution de l’étendue (300 000 km2 en 1795, 280 000 en 1815) est largement compensée par l’accroissement de la population (elle passe de 8,7 à 11 millions) et surtout par la valeur économique des nouveaux territoires. Les bassins houillers d’Aix-la-Chapelle, de la Sarre et surtout de la Ruhr sont pour la Prusse un atout majeur au moment où commence à se développer la grande industrie de type capitaliste. Favorisée par l’Union douanière (Zollverein ) qu’elle a créée et qu’elle dirige, la Prusse devient une grande puissance économique, cependant que sa victoire sur l’Autriche en 1866 lui donne l’étendue territoriale (348 000 km2 d’un seul tenant) qu’elle conservera jusqu’en 1919. À la fin du XIXe siècle et au début du XXe, l’opposition entre l’ouest et l’est de la Prusse subsiste. Mais, si l’ouest concentre la majorité des grandes régions industrielles, la partie orientale n’est pas pour autant dépourvue d’industries: à celles qu’ont fait naître le charbon et les minerais de Haute-Silésie, la potasse et le lignite de la Saxe prussienne s’ajoutent un grand nombre d’usines: minoteries, sucreries, distilleries, appartenant souvent aux propriétaires du sol et où se transforment les produits de l’agriculture.

État disparate donc, et dont la cohésion n’a pu se maintenir qu’au moyen d’une forte centralisation. C’est le mérite des Hohenzollern de l’avoir compris, assurant ainsi la puissance de la Prusse. Celle-ci a survécu à l’abdication de Guillaume II en 1918. Mais la catastrophe de 1945 a frappé la Prusse plus durement que les autres parties de l’Allemagne.

1. Deux terres déshéritées

Le Brandebourg

L’origine du Brandebourg est à chercher dans la marche que les Carolingiens créèrent au IXe siècle au nord-est de l’Empire contre les peuples slaves groupés sous la dénomination de Wendes. À la fin du Xe siècle, elle fut morcelée en trois parties: Misnie au sud, Lusace au centre, marche du Nord (Nordmark ), cette dernière destinée à surveiller principalement les Wiltzes établis sur la rive droite de l’Elbe inférieur. Le fleuve fut bientôt franchi, et la germanisation gagna le pays entre l’Elbe et l’Oder.

En 1134, l’empereur Lothaire II donne l’investiture de la marche à un seigneur de la région d’Aschersleben (sur le versant nord-est du Harz), Albert l’Ours, qui inaugure la dynastie des Ascaniens. En 1157, Albert s’empare de la citadelle des Wiltzes, Branibor sur la Havel, dont les Allemands transformeront le nom en Brandenburg. Ses successeurs (il meurt en 1172) ont à faire face à une double tâche. D’une part, ils continuent à germaniser le pays situé entre l’Elbe et l’Oder: Francfort, sur ce dernier fleuve, est fondé en 1250. Vers la même époque, les deux villages slaves de Cölln et de Berlin, sur la Spree, deviennent des villes de droit allemand avant d’être réunies en 1307 sous le nom de Berlin. L’Oder est franchi en 1272, et une nouvelle marche (Neumark ) est organisée au confluent de l’Oder et de la Warta, autour de Küstrin (plus tard on donnera le nom d’Altmark à la marche primitive sur la rive gauche de l’Elbe, et celui de Mittelmark au territoire situé entre Elbe et Oder). D’autre part, les margraves de Brandebourg doivent lutter contre les rois de Danemark et de Pologne, mais aussi contre plusieurs princes allemands, leurs voisins: duc de Saxe, margrave de Misnie, archevêque de Magdebourg. Au XIIIe siècle, ils sont au nombre des princes électeurs de l’Empire: le Sachsenspiegel , code de droit coutumier rédigé entre 1220 et 1230, leur reconnaît déjà cette qualité qu’ils ne cesseront plus de posséder.

Le dernier Ascanien meurt en 1319. Le Brandebourg passe aux maisons de Wittelsbach, puis de Luxembourg (1371), en la personne des deux fils de Charles IV, Venceslas et Sigismond, eux aussi porteurs de la couronne impériale. En 1415, Sigismond, ayant contracté auprès de Frédéric de Hohenzollern, burgrave de Nuremberg, un emprunt qu’il était incapable de rembourser, lui donne la marche de Brandebourg avec la dignité électorale. Les domaines des Hohenzollern étaient situés en Souabe et en Franconie: la possession du Brandebourg va faire de ces petits nobles d’Allemagne du Sud les chefs du plus puissant État d’Allemagne du Nord.

Pauvre Électorat, à vrai dire. Sables, bois de pins, lacs, grandes vallées souvent inondées: le Brandebourg est au XVe siècle ce qu’il restera encore pendant deux ou trois cents ans. Aussi les débuts de la dynastie sont-ils modestes: Frédéric Ier (1415-1440), Frédéric II Dent de Fer (1440-1470), Albert l’Achille (1470-1486), Jean le Cicéron (1486-1499), le premier à faire de Berlin sa résidence permanente, Joachim Ier Nestor (1499-1535) pèsent peu en face des autres Électeurs. Joachim II Hector (1535-1571) adhère en 1539 à un luthéranisme mitigé, sécularisant les biens d’Église, mais maintenant la dignité épiscopale. Après Jean-Georges (1571-1598) et Joachim-Frédéric (1598-1608), le premier Hohenzollern important des Temps modernes est Jean-Sigismond (1608-1619). Trois faits marquent son bref règne: son adhésion au calvinisme (1613); l’acquisition, au traité de Xanten (1614), du duché de Clèves sur le bas Rhin, des comtés de Mark et de Ravensberg en Westphalie; et surtout, en 1618, celle (par suite d’arrangements familiaux) du duché de Prusse.

La Prusse, un pays slave conquis par les chevaliers Teutoniques

Plus longtemps encore que le Brandebourg, la Prusse est restée un pays en marge de l’Allemagne, étranger aux destinées de l’Empire. Vers l’an mille, la région côtière entre les estuaires de la Vistule et du Niémen, l’arrière-pays jusqu’à la Vistule et à la Narew étaient habités par une population balte, parente des Lettons et des Lituaniens, les Bruzi. Ces «vieux Prussiens» païens ont mal accueilli les premières tentatives allemandes d’évangélisation. L’œuvre est reprise par les rois de Pologne, chrétiens depuis la fin du Xe siècle. Aux XIe et XIIe siècles les rapports entre Polonais et Prussiens sont tantôt belliqueux, tantôt pacifiques.

Au début du XIIIe siècle, une vive réaction païenne se produit. Incapable d’y résister, le duc Conrad de Mazovie (la Pologne s’est morcelée en plusieurs principautés) fait appel aux chevaliers Teutoniques (1225). Ordre militaire fondé en Terre sainte au XIIe siècle, les chevaliers (Deutschordensritter ) s’étaient repliés en Allemagne, où leur grand maître, qui résidait d’ailleurs à Venise, reçut la dignité de prince du Saint Empire. Hermann de Salza, qui dirige l’ordre depuis 1210, répond à l’appel du duc de Mazovie, qui s’engage à lui laisser la possession des terres conquises. La guerre dure de 1230 à 1283, coupée de brèves périodes de trêve, mais présentant le plus souvent un caractère d’acharnement et d’atrocité. Quand les derniers résistants se réfugient en Lituanie, la plus grande partie de la population prussienne a été massacrée. La conquête est jalonnée par la construction de places fortes (Ordensburgen ) dont beaucoup donneront naissance à des villes: Thorn (1231), Kulm (1232), Marienwerder (1233), Memel (1242), Königsberg (1254), en l’honneur du roi de Bohême Otakar qui a pris part à la «croisade», Marienburg (1274), où les grands maîtres installent leur capitale avant de s’établir en 1456 à Königsberg. Pour remplacer la population décimée, on fait appel à des colons polonais et surtout allemands, cependant que les villes (d’autres se fondent au XIVe siècle: Osterode en 1336, Allenstein en 1348, Eylau en 1355) se peuplent d’une bourgeoisie d’origine allemande et s’organisent en républiques urbaines régies par la «charte de Kulm».

Mais les rapports se tendent entre les Teutoniques et le royaume de Pologne, lié à la Lituanie par une union personnelle. Le 15 juillet 1410 les chevaliers sont écrasés entre Grünewald et Tannenberg par les Polonais et les Lituaniens. En 1466, ils doivent signer le traité de Thorn qui leur enlève l’évêché de Warmie (Ermland) et place le reste de la Prusse sous la suzeraineté de la Pologne. Le déclin de l’ordre paraît irrémédiable. Le hasard d’une élection, l’option prise dans le mouvement de réforme religieuse vont avoir sur les destinées de la Prusse une influence déterminante.

En 1511, le chapitre de l’ordre a élu grand maître Albert de Hohenzollern, l’un des fils du margrave d’Ansbach-Kulmbach. En 1525, après des entretiens avec Luther à Wittenberg et des négociations avec le roi de Pologne Sigismond, Albert décide d’adhérer à la Réforme, de séculariser le domaine de l’ordre et de prendre le titre de duc, toujours sous la suzeraineté polonaise, tandis que les chevaliers restés catholiques regagnent l’Allemagne et établissent leur capitale à Mergentheim. À sa mort (1568), le duché passe à son fils Albert-Frédéric, que l’on place sous la tutelle des Hohenzollern de Brandebourg en raison de son état mental. En 1618, l’Électeur Jean-Sigismond recueille l’héritage d’Albert-Frédéric, réunissant ainsi Prusse et Brandebourg.

2. L’État brandebourgeois-prussien

Lorsque Georges-Guillaume monte sur le trône en 1619, les possessions des Hohenzollern de Berlin s’étendent d’un bout à l’autre de l’Allemagne, mais sont divisées en trois groupes: au centre le Brandebourg, à l’est la Prusse, à l’ouest les territoires dispersés en Rhénanie et en Westphalie. L’effort des Électeurs consistera à les réunir.

La fondation du royaume

Le règne de Georges-Guillaume (1619-1640) correspond aux pires années de la guerre de Trente Ans, celles de la «période suédoise». Lieu de passage pour les belligérants, le Brandebourg est ravagé et dépeuplé, perdant 140 000 habitants sur les 330 000 qu’il comptait au début du conflit. Le relèvement est dû à Frédéric-Guillaume, le Grand Électeur (1640-1688).

Son œuvre intérieure est d’importance: unité administrative (malgré les résistances des États provinciaux) par l’institution d’impôts et de fonctionnaires communs, colonisation des terres pauvres et presque vides d’hommes par l’appel à des Allemands d’autres régions, à des Hollandais, à des Français protestants persécutés par Louis XIV, qui contribueront à l’essor de Berlin. Mais c’est, plus encore, par sa politique extérieure que le Grand Électeur apparaît comme un des princes les plus remarquables de sa dynastie. Aux traités de Westphalie (1648), il obtient des «compensations» pour les ravages subis du fait de la guerre: à l’est de l’Oder, la Poméranie orientale et l’évêché de Kammin; dans la région de l’Elbe, l’évêché d’Halberstadt et l’archevêché de Magdebourg (il s’agit de territoires sécularisés); sur la Weser, l’évêché de Minden, forte position stratégique au débouché de la Porta westfalica. Ensemble d’acquisitions qui tendent à rapprocher les trois domaines de la monarchie brandebourgeoise. Au cours de la première guerre du Nord (1655-1661), Frédéric-Guillaume s’allie successivement au roi de Suède Charles X Gustave, puis au roi de Pologne Jean-Casimir. Il obtient de ce dernier, au traité de Wehlau (1657), la fin du régime de vassalité auquel la Prusse était soumise depuis 1466, et le traité d’Oliva (1660) reconnaît sa pleine et entière souveraineté sur le duché de Prusse. Enfin, à l’égard de Louis XIV, le Grand Électeur pratique une politique tortueuse, tantôt favorable, moyennant subsides, tantôt hostile. Lorsque la guerre de Hollande éclate en 1672, le Brandebourg est dans le camp opposé à la France. Le duché de Clèves est occupé par les troupes françaises. En 1674-1675, l’Électeur est battu par Turenne en Alsace. Au même moment les Suédois, alliés de Louis XIV, envahissent le Brandebourg. Frédéric-Guillaume est vainqueur à Fehrbellin (28 juin 1675) et pénètre en Poméranie suédoise, où Stettin capitule en 1677. Mais le traité de Saint-Germain-en-Laye (1679) le force à restituer toutes ses conquêtes. L’opération n’a donc pas été payante pour le Brandebourg qui doit en 1682 reconnaître les «réunions» opérées par Louis XIV, et s’abstient en 1686 d’adhérer à la ligue d’Augsbourg. Toutefois Fehrbellin a eu chez les sujets du Grand Électeur un retentissement qui fait de cette bataille une victoire nationale. Elle a été possible grâce à une armée permanente dont les effectifs ont été portés à plus de 30 000 hommes.

Frédéric III (1688-1713) se montre, dès son avènement, désireux d’acquérir le titre de roi. L’empereur Léopold Ier résiste. L’Électeur lui fournit de l’argent et des hommes pour les guerres contre la France et contre les Turcs. Lorsqu’une nouvelle guerre menace d’éclater à propos de la succession d’Espagne, l’empereur ne peut se passer de l’aide du Brandebourg. Il cède et, par le «traité de la couronne» (16 nov. 1700), il reconnaît à Frédéric le droit de s’intituler roi en Prusse (qui ne fait pas partie du Saint Empire romain germanique). Le couronnement a lieu le 18 janvier 1701 à Königsberg, lors d’une cérémonie fastueuse, et l’Électeur devient le roi Frédéric Ier.

Le royaume de Prusse au XVIIIe siècle

La subtilité grammaticale par laquelle l’empereur avait cru limiter la portée de ce qu’il avait concédé ne devait pas être durable. Dès le règne de Frédéric-Guillaume Ier (1713-1740), l’appellation de roi de Prusse prévaut dans les chancelleries. Curieux personnage que ce roi, chez qui les traits ridicules et même odieux coexistent avec une très haute idée de ses devoirs de souverain. Il poursuit l’œuvre du Grand Électeur en s’efforçant d’accroître les ressources de l’État et d’obtenir une meilleure gestion des affaires. Mais c’est à l’armée que le Roi-Sergent consacre ses soins les plus attentifs: le règlement par cantons de 1733, s’ajoutant aux engagements plus ou moins volontaires, permet de doter la Prusse d’une armée de 76 000 hommes. Pourtant, Frédéric-Guillaume n’est pas un souverain conquérant. À son avènement, il a trouvé la Prusse impliquée dans la seconde guerre du Nord qu’a déclenchée l’ambition de Charles XII de Suède. Le traité de Stockholm (1720) lui donne une partie de la Poméranie occidentale avec le port de Stettin. Mais, pendant vingt ans, le roi se contente d’accroître et de perfectionner son armée, léguant ainsi à son successeur les moyens de faire la guerre si l’intérêt de la Prusse l’exige.

Son fils, Frédéric II (1740-1786), est le seul des Hohenzollern qui ait mérité le surnom de Grand (cf. FRÉDÉRIC II DE PRUSSE). On rappellera seulement ici à quel point il apparaît comme le continuateur de Frédéric-Guillaume Ier, quelles que soient les dissensions qui ont opposé, avant 1740, le souverain et l’héritier du trône: même politique de gestion prudente et rigoureuse, même effort pour coloniser les terres pauvres du Brandebourg et de la Prusse, même intérêt porté à la force militaire du royaume (les effectifs atteindront 195 000 hommes vers 1780). Mais, à la différence de son père, Frédéric II a passé douze années de son règne à guerroyer contre l’Autriche et ses alliés. Le prix de ces guerres, c’est l’acquisition de la Silésie, confirmée au traité de 1763. Mais à peine l’Allemagne pacifiée, l’attention de Frédéric II se tourne vers les affaires de Pologne. Pour faire échec aux appétits de Catherine II qui aurait volontiers étendu son protectorat sur la Pologne tout entière, il suggère et fait accepter la solution d’un partage (1772). Sa part, ce sera l’évêché de Warmie et la région de la basse Vistule (moins Thorn et Danzig) qui prend le nom de Prusse occidentale: la Prusse est ainsi reliée à l’ensemble Brandebourg-Poméranie-Silésie. Le territoire prussien est passé, entre 1740 et 1786, de 120 000 à 200 000 kilomètres carrés.

La crise de l’État prussien

Le règne des deux successeurs du grand Frédéric correspond à l’une des périodes les plus troublées de l’histoire de l’Europe, celle des guerres de la Révolution française, puis de Napoléon Ier. La Prusse connaît entre 1806 et 1813 des années d’abaissement. En 1815, elle sort transformée de la crise, et, par l’acquisition d’une partie des pays rhénans, cesse d’être une puissance exclusivement nordique.

La lutte avec la France

Frédéric-Guillaume II (1786-1797) est le neveu de Frédéric II. Personnage médiocre intellectuellement et moralement, effrayé par les événements révolutionnaires de France, il laisse ses ministres (Wöllner en particulier) pratiquer à l’intérieur une politique d’intolérance à l’égard de la presse, et plus généralement de la vie intellectuelle et religieuse. La tradition frédéricienne est abandonnée, et seule la publication en 1794 du code préparé depuis des années marque la continuité des deux règnes. Mais les problèmes extérieurs tiennent dans la politique prussienne la première place. Dans les intrigues compliquées auxquelles se complaît la diplomatie de Hertzberg, de Bischoffswerder ou de Lucchesini, quelques points de repère apparaissent. De 1787 à 1792, tout est commandé par la guerre d’Orient qui oppose aux Turcs l’Autriche et la Russie alliées depuis 1782. Mais bientôt la crainte de la propagande révolutionnaire venue de France incite la Prusse à se rapprocher de l’Autriche, malgré l’hostilité qui sépare, depuis Frédéric II, les cours de Vienne et de Berlin. Les premières démarches ont lieu en septembre 1790. La déclaration de Pillnitz (27 août 1791), au moment où Louis XVI est encore suspendu de ses pouvoirs après son arrestation, le traité secret d’alliance du 7 février 1792, signé alors que se développe en France un état d’esprit belliqueux, aboutissent, en juillet, à l’entrée en guerre des troupes prussiennes qui, sous le commandement de Brunswick, franchissent la frontière le 19 août. Valmy, à l’ouest de l’Argonne, marque la pointe extrême de l’avance prussienne (20 sept. 1792). La retraite de Brunswick a donné lieu à maintes explications. La plus vraisemblable est que la situation en Pologne paraissait à Frédéric-Guillaume II beaucoup plus importante que ce qui se passait en France. Pour empêcher l’œuvre de la Diète réformatrice et l’application de la Constitution de 1791, les troupes russes avaient envahi le pays le 19 mai et occupé bientôt toute la Pologne. Le problème se pose dans les mêmes termes que vingt ans plus tôt: protectorat russe ou partage? Frédéric-Guillaume se hâte donc de négocier avec la Russie. Le traité, signé à Saint-Pétersbourg le 2 janvier 1793, accorde à la Prusse Danzig, Thorn et la Posnanie (celle-ci étendue jusqu’aux abords de Varsovie et de Cracovie). Si les troupes prussiennes participent, sur le front occidental, aux campagnes de 1793 et 1794, elles ne représentent que de médiocres effectifs, la majeure partie de l’armée étant occupée à vaincre la résistance des Polonais. Son échec devant Varsovie en septembre 1794 est gros de conséquences. La Russie et l’Autriche s’entendent pour un troisième et dernier partage de la Pologne, faisant à la Prusse sa part, sans qu’elle soit partie au traité (3 janv. 1795). Frédéric-Guillaume se décide alors à négocier avec la France, et la paix est signée à Bâle le 5 avril. Il faudra cependant adhérer le 24 octobre au traité de partage et se contenter de ce qu’offraient la Russie et l’Autriche: Varsovie et le nord du pays, entre le Bug et le Niémen, qui prit le nom de Nouvelle Prusse orientale, Neuostpreussen .

La Prusse s’est donc considérablement agrandie (de près du double) sous le règne de Frédéric-Guillaume II. Mais les nouvelles acquisitions sont des territoires polonais, et cette slavisation de la Prusse représente un risque pour la cohésion de l’État. D’autre part, le gouvernement et l’administration ont souffert de la médiocrité du souverain, particulièrement dangereuse lorsqu’il s’agit d’un régime despotique. Enfin l’armée, malgré la réputation dont elle jouit dans toute l’Europe, n’est plus celle de Frédéric II: les échecs de Valmy et de Varsovie laissent présager les déboires du prochain règne.

Frédéric-Guillaume III (1797-1840) trouve à son avènement un royaume en paix avec toute l’Europe, et en particulier avec la France. L’entente avec celle-ci redevient, comme avant 1756, le pivot de la politique prussienne. Entente profitable: le recès de 1803 vaut à la Prusse les évêchés de Paderborn, Hildesheim, Erfurt (qui appartenait à l’archevêque électeur de Mayence) et une bonne partie de celui de Münster. Mais le roi, hésitant et incertain, partagé entre des clans profrançais et antifrançais, ne veut pas se lier trop étroitement à la politique de la France. L’annexion des territoires polonais a rendu la Prusse limitrophe de la Russie: un rapprochement s’esquisse dès 1802 entre les souverains des deux pays, pour aboutir, le 24 mai 1804, à une alliance défensive. C’est la question du Hanovre, occupé par les troupes françaises et convoité par Frédéric-Guillaume III, qui envenime les relations franco-prussiennes. La reprise des hostilités sur le continent, dans l’été de 1805, accroît la perplexité du roi. Napoléon promettait le Hanovre. Cependant la convention de Potsdam, signée le 3 novembre par Frédéric-Guillaume et le tsar Alexandre, marque l’adhésion de la Prusse à la coalition. Austerlitz modifie les perspectives: par les traités de Schönbrunn (15 déc. 1805) et de Paris (15 févr. 1806), Napoléon accorde à la Prusse le Hanovre contre quelques petits territoires en Franconie et dans la région du Rhin. Bientôt, Frédéric-Guillaume croit savoir que Napoléon envisage de signer la paix avec l’Angleterre et de restituer le Hanovre à George III (qui le possède en tant qu’Électeur). Le clan antifrançais l’emporte à Berlin et, le 1er octobre 1806, la Prusse somme Napoléon d’évacuer l’Allemagne à l’est du Rhin. La réponse en est la double bataille du 14 octobre (Iéna et Auerstaedt), où l’armée prussienne subit une défaite décisive. Le pays est alors presque entièrement occupé (Napoléon entre à Berlin le 27 octobre): seule reste libre la Prusse orientale, et le roi se réfugie à Königsberg. À Tilsitt (9 juill. 1807) la Prusse perd toutes ses possessions à l’ouest de l’Elbe et la presque totalité de ses territoires polonais. Réduit à quatre provinces (Prusse, Poméranie, Silésie, Brandebourg) que leur disposition en équerre rend particulièrement vulnérables, frappé d’une lourde contribution de guerre garantie par une occupation militaire, obligé de limiter son armée à 42 000 hommes, l’État prussien semble pour longtemps hors du jeu européen.

Pays nouveau, structures nouvelles

Pourtant ces années d’abaissement sont aussi celles où se prépare le renouveau. Les artisans n’en sont d’ailleurs pas des Prussiens, mais des Allemands d’autres régions (Rhénanie, Saxe, Hanovre), dont le patriotisme voit dans la Prusse l’État capable, plus tard, de libérer l’Allemagne du joug étranger. Protégés jusqu’en 1810 par la reine Louise, patriote ardente, ils accomplissent en quelques années une œuvre dont on a peut-être exagéré la portée, mais qui n’est nullement négligeable. Le baron de Stein en 1807-1808, le chancelier Hardenberg en 1810-1811 ont attaché leur nom à des réformes telles que l’abolition de la condition servile et la création d’assemblées municipales élues au suffrage censitaire. Humboldt crée en 1810 l’université de Berlin et choisit pour recteur Fichte, qui a prononcé en 1807-1808 ses Discours à la nation allemande . Mais surtout Scharnhorst, aidé de Gneisenau, de Clausewitz, de Boyen, réforme clandestinement une armée dont les effectifs dépassent de beaucoup le chiffre que le vainqueur avait voulu imposer à la Prusse. La participation de l’armée prussienne aux campagnes de 1813, 1814 et 1815 (la «guerre de libération») témoigne de l’ampleur de la régénération, et permet à la Prusse de figurer parmi les grandes puissances qui, réunies à Vienne en 1814-1815, tentent de remodeler la carte de l’Europe après l’écroulement de la domination napoléonienne.

La Prusse de 1815 diffère sensiblement de celle de 1795. Elle cède à la Russie les territoires polonais acquis au troisième partage, en particulier Varsovie. Par contre, elle annexe une partie de la Saxe, et surtout un vaste domaine en Rhénanie et en Westphalie: Münster, Düsseldorf, Cologne, Aix-la-Chapelle, Coblence, Trèves, Sarrebruck deviennent villes prussiennes. La Prusse est désormais une puissance occidentale et limitrophe de la France; mais son territoire n’est pas continu, Hanovre, Brunswick et Hesse-Cassel séparant les domaines prussiens de l’Allemagne centrale et orientale de ceux de l’Allemagne occidentale, soit 280 000 kilomètres carrés, peuplés de quelque 11 millions d’habitants.

Le royaume de Prusse, qui fait partie (sauf pour les provinces de Prusse et de Posnanie) de la Confédération germanique créée en 1815, a donc repris sa place dans le concert européen, parmi les puissances victorieuses. Mais, à l’intérieur, la déception est grande chez les patriotes de 1813 qui aspiraient à un régime libéral. Frédéric-Guillaume refuse la constitution promise en 1815 et s’aligne sur la politique que Metternich impose aux États allemands pour réprimer les mouvements libéraux et nationaux. Pourtant les dernières années du règne de Frédéric-Guillaume III sont loin d’être purement négatives pour l’avenir de la Prusse. D’une part, la loi de 1820 organise une armée forte de 150 000 hommes en temps de paix, dont un état-major général étudie et prévoit l’utilisation éventuelle. D’autre part se réalise par étapes, à partir de 1816 et sous l’impulsion de Motz et de Maasen, une Union douanière (Zollverein ) qui englobe successivement les différentes provinces prussiennes, les États minuscules enclavés dans le territoire prussien, la majeure partie des États allemands du Centre, de l’Ouest et du Sud. En 1834 commence à fonctionner, sous direction prussienne, un marché commun de quelque 25 millions de personnes (la Prusse compte alors 14 millions d’habitants).

Armée et Union douanière permettront à la Prusse de réaliser l’unité allemande à son profit.

L’établissement de l’hégémonie prussienne en Allemagne

Les quelque trente années qui séparent l’avènement de Frédéric-Guillaume IV de la proclamation de L’Empire allemand comptent, elles aussi, parmi les plus agitées de l’histoire, non seulement de la Prusse, mais de l’Allemagne tout entière et même de l’Europe. Cette unité, que n’ont pu faire ni le Parlement allemand de Francfort (1848-1849), ni le roi de Prusse par sa «politique d’union» (1849-1850), sera l’œuvre de la diplomatie et de l’armée prussiennes, c’est-à-dire de leurs chefs: Bismarck et Moltke.

Quelle est donc cette Prusse qui va faire autour d’elle l’unité des pays allemands? C’est au début des années quarante qu’il faut essayer de la présenter sommairement. Sa configuration n’a pas changé depuis 1815: même opposition entre la partie orientale, d’un seul tenant depuis Magdebourg jusqu’à Königsberg en passant par Berlin, Stettin et Danzig, et la partie occidentale axée sur le Rhin moyen et inférieur. L’adhésion de l’Électorat de Hesse-Cassel au Zollverein atténue un peu, au point de vue économique, cette division, mais le Hanovre et le Brunswick restent (jusqu’en 1852) en dehors de l’Union douanière. Même population assez homogène, mais avec deux minorités, l’une «psychologique», les Rhénans étrangers à la mentalité prussienne, catholiques et épris d’un certain libéralisme, l’autre ethnique: les Polonais des provinces orientales, méprisés des Prussiens et soumis dès cette époque à une politique de germanisation que Frédéric-Guillaume IV essayera d’ailleurs d’atténuer. Les principales innovations sont d’ordre économique. Au Zollverein, qui est renouvelé en 1842, il faut ajouter le développement des chemins de fer: des lignes unissent déjà Berlin à Stettin et à Posen, à Breslau, à Dresde (en Saxe), à Magdebourg et à Erfurt, cependant que s’amorce la voie ferrée qui emprunte la vallée du Rhin, et dont le Zollverein favorise l’extension vers les autres capitales allemandes. Les années quarante voient en Allemagne les débuts de l’industrialisation; en Prusse ils affectent des régions bien déterminées, héritières d’une tradition manufacturière: Berlin, Breslau, Magdebourg, Aix-la-Chapelle, Crefeld, Solingen, Elberfeld, Essen (où Krupp est installé depuis 1810). Mais la Prusse de cette époque est encore un pays essentiellement rural, juxtaposant d’ailleurs des types d’agriculture très différents: occidental en Rhénanie, avec polyculture et petite propriété, déjà oriental dans la masse principale du territoire, avec de grands domaines où l’on cultive le blé et la betterave en Brandebourg et en Saxe prussienne, le seigle et la pomme de terre en Poméranie, Posnanie et Prusse orientale. Dans la société, l’influence de l’aristocratie reste prépondérante, en particulier dans l’armée et la haute administration. Si l’on excepte quelques grandes villes (Königsberg, Breslau, Magdebourg et, bien entendu, Berlin), il n’y a guère de véritable bourgeoisie que dans les villes rhénanes devenues prussiennes en 1815.

Les événements de 1848

Le règne de Frédéric-Guillaume IV (1840-1861) semble accumuler les échecs et les projets avortés. Pourtant il a, en un certain sens, servi la cause de l’unité allemande en déblayant le terrain et en éliminant telle ou telle solution qu’on avait cru pouvoir adopter. Dès le début, le nouveau roi se pose en partisan de la liberté et de l’unité allemande. Mais quelle liberté et quelle Allemagne? Le Landtag uni de 1847 est renvoyé dès qu’il prétend contrôler les dépenses de l’État. D’autre part, le roi, pleinement conscient de l’impuissance de la Confédération germanique, voudrait bien réformer le Bundesakt , mais d’accord avec l’Autriche. Comme son plan aboutirait à renforcer la position de la Prusse, quelle sera l’attitude de l’Autriche? Contradiction dans laquelle se débat l’esprit confus de Frédéric-Guillaume IV, «homme d’esprit mais de peu de sens», ainsi que le définissait Tocqueville.

Le grand mouvement de 1848 secoue la Prusse comme les autres États allemands. Après l’émeute du 18 mars à Berlin, le roi nomme un ministère libéral et fait élire une Constituante qui se réunit le 22 mai. Mais, dans l’atmosphère de réaction qui gagne toute l’Allemagne à l’automne, l’assemblée est dissoute le 5 décembre, et c’est le roi qui, le lendemain, octroie une constitution, d’ailleurs assez libérale. En 1849, la nouvelle chambre ne tarde pas à être dissoute à son tour. Une nouvelle constitution octroyée en 1850 établit la prédominance de l’autorité royale sur un Parlement dont la chambre basse est élue d’après un système compliqué (les trois classes) qui avantage les électeurs les plus riches.

Ce sont là événements prussiens. Mais l’attention du roi ne néglige pas Francfort où, depuis le 18 mai 1848, un Parlement allemand essaye de faire naître un Empire allemand destiné à remplacer la Confédération. Quelles seront ses limites? Grande Allemagne englobant l’Autriche, ou petite Allemagne excluant celle-ci, considérée comme un État plurinational où l’élément allemand n’a pas la majorité, et qui se trouve d’ailleurs aux prises avec de graves soulèvements? Dès la fin de 1848, l’assemblée se prononce pour la petite Allemagne. Dans ce cas, l’empereur ne peut être que le roi de Prusse, et c’est lui qui est élu le 28 mars 1849. À deux reprises, le 3 et le 27 avril, Frédéric-Guillaume repousse cette couronne, offerte par une assemblée révolutionnaire, donc illégitime, et que les autres princes allemands refusent de lui reconnaître. Profitant des embarras de l’Autriche, il essaye alors de reprendre le projet par entente directe avec les souverains allemands, mais les États moyens (Bavière et Wurtemberg, bientôt Saxe et Hanovre) refusent. Frédéric-Guillaume se rabat donc sur un plan d’Union restreinte groupant, sous la direction de la Prusse, les petits États allemands. Un parlement de l’Union se réunit à Erfurt (20 mars-29 avr. 1850) et élabore une constitution. Mais l’Autriche (dont Schwarzenberg dirige la politique) ne peut admettre l’Union restreinte, incompatible avec l’Acte fédéral de 1815. Les développements d’une crise intérieure de l’Électorat de Hesse-Cassel faillirent amener, à l’automne de 1850, un conflit entre États allemands, et peut-être même une guerre européenne. Devant l’ultimatum autrichien, la Prusse se soumet à Olmütz (28-29 nov. 1850): elle renonce à l’Union restreinte et s’engage à suivre la politique autrichienne visant à restaurer purement et simplement le régime antérieur à 1848. Le souvenir de cette humiliation, la «reculade d’Olmütz», pèsera longtemps sur la politique prussienne. Elle assombrit la fin du règne de Frédéric-Guillaume. Le roi, qui souffrait de troubles mentaux depuis 1854, doit en 1858 céder le pouvoir à son frère Guillaume, qui devient roi en 1861.

Conquêtes en Allemagne et en France

Le règne de Guillaume Ier (1861-1888) est partagé en deux périodes inégales: roi de Prusse par droit de succession, Guillaume Ier devient dix ans plus tard (1871) empereur héréditaire d’Allemagne par le vote du Reichstag de la Confédération de l’Allemagne du Nord, et surtout par l’offre de tous les souverains allemands représentés par le roi de Bavière Louis II. En fait, c’est à la diplomatie de Bismarck et aux victoires de Moltke qu’est dû cet événement capital. Pourtant, lorsque Bismarck a été nommé en 1862 Premier ministre de Prusse, il s’agissait de résoudre le conflit qui, depuis plusieurs années, opposait le souverain au Landtag, où les libéraux étaient en majorité. Bismarck y parvint par des mesures anticonstitutionnelles, et surtout par les succès de sa politique extérieure. Celle-ci vise avant tout à chasser l’Autriche de la Confédération germanique, condition sans laquelle est impossible l’unité du pays sous la domination prussienne. La victoire de Sadowa (3 juill. 1866) règle la question conformément aux vues de Bismarck. Par droit de conquête, la Prusse annexe plusieurs territoires allemands, dont les souverains se trouvent ainsi dépossédés: les duchés de Schleswig et de Holstein, le royaume de Hanovre, l’Électorat de Hesse-Cassel, le duché de Nassau, la ville libre de Francfort. Elle devient ainsi un État d’un seul tenant, du Niémen à la Sarre, sur 348 000 kilomètres carrés, et dont la configuration restera la même jusqu’en 1919.

L’Autriche est vaincue. Mais un nouvel ennemi menace la construction bismarckienne: La France de Napoléon III. Pour éviter un deuxième conflit armé dans l’été de 1866, Bismarck a dû renoncer à incorporer à la nouvelle Allemagne les quatre États situés au sud du Main (Bavière, Wurtemberg, Bade, Hesse-Darmstadt) et se contenter d’une Confédération de l’Allemagne du Nord présidée par la Prusse. Solution provisoire d’un problème que la victoire prussienne de 1871 permettra de régler selon les vœux de Bismarck: le 18 janvier, à Versailles (170e anniversaire du couronnement de Frédéric de Brandebourg comme roi en Prusse), est proclamé l’Empire allemand, et Guillaume Ie ajoute à son titre de roi de Prusse celui d’empereur.

3. La Prusse, puissance dominante du Reich allemand

L’influence de la Prusse reste prépondérante, quelle que soit la forme prise par le Reich. Moins peut-être sous le Troisième Reich que sous le Deuxième.

L’empire

Ce qui est né à Versailles en 1871 n’est pas un État centralisé, mais un empire fédéral de vingt-cinq États: trois villes libres et vingt-deux royaumes, grands-duchés, duchés et principautés. La prédominance de la Prusse est le caractère essentiel du IIe Reich. La dignité impériale est héréditaire dans la maison de Hohenzollern, et les rois de Prusse: Guillaume Ier, ses successeurs Frédéric III (1888) et Guillaume II (1888-1918), sont en même temps empereurs d’Allemagne. Le chancelier de l’Empire est aussi Premier ministre de Prusse. En fait, sinon en droit: pendant quelques mois de 1873, le maréchal Roon dirige la politique prussienne. Mais la séparation reste exceptionnelle et, sous Bismarck comme sous ses successeurs, les deux fonctions sont exercées par le même personnage. Or les pouvoirs du chancelier n’ont cessé de s’accroître au même rythme que la compétence du Reich. En face de la Prusse (348 000 km2 sur 540 000 pour tout l’Empire; 37,3 millions d’habitants sur 60,6 en 1905), les autres États de l’Empire pèsent peu, qu’il s’agisse des minuscules principautés de Thuringe ou des trois royaumes de Bavière, Wurtemberg et Saxe. L’industrialisation de l’Allemagne ne peut que favoriser la Prusse qui possède les bassins houillers et les grands centres sidérurgiques (Ruhr, Haute-Silésie et Sarre).

Néanmoins la Prusse conserve quelques traits qui constituent son originalité en face des autres États allemands. Elle est l’État le moins homogène au point de vue religieux et ethnique. L’existence d’une forte minorité catholique en Rhénanie et dans les provinces polonaises explique que l’arsenal législatif du Kulturkampf a été voté pour une part par le Reichstag, pour l’autre par le Landtag prussien (1873-1875). Les populations polonaises sont même doublement dans l’opposition, sur le plan religieux et sur le plan national: le gouvernement prussien engage contre elles, sous les ministères de Bismarck et de Bülow, une lutte acharnée pour proscrire l’usage de la langue polonaise et implanter, dans les provinces de l’Est, des colons allemands, en vain d’ailleurs. On n’oubliera pas non plus la présence d’une minorité danoise en Schleswig du Nord. La vie politique prussienne est toujours régie par la Constitution de 1850, moins libérale que la Constitution impériale de 1871: alors que les députés au Reichstag sont désignés par le suffrage universel, le Landtag continue, malgré les protestations des partis de gauche, à être élu selon le «système des trois classes». Enfin on notera l’importance, dans la partie orientale du royaume, de la grande propriété noble: le Junker est un type spécifiquement prussien plutôt qu’allemand.

La république de Weimar

Déposant la couronne impériale le 9 novembre 1918, Guillaume II avait espéré conserver celle de Prusse, mais il dut y renoncer également le 28. La Prusse devient donc une république, et un Land de la République de Weimar. Cette nouvelle Prusse est moins étendue (294 000 km2) que l’ancien royaume: elle a dû céder au Danemark le Schleswig du Nord, à la Belgique les districts ardennais d’Eupen et de Malmédy, à la Pologne la Prusse occidentale (le «corridor» qui sépare la Prusse orientale du reste de l’Allemagne), la Posnanie et une partie de la Haute-Silésie, cependant que Danzig et Memel étaient érigées en villes libres séparées du Reich. La Prusse a pu conserver, en dépit des mouvements séparatistes, le Hanovre et la Rhénanie; elle a annexé, en 1929, l’ancienne principauté de Waldeck: elle demeure ainsi le plus important des dix-sept Länder allemands.

Sous le régime de la Constitution du 30 novembre 1920, la Prusse est gouvernée par des ministères, le plus souvent de coalition, dirigés par des socialistes (Otto Braun, ministre-président de 1920 à 1932, Karl Severing, ministre de l’Intérieur). Le Landtag prussien est donc plus «à gauche» que le Reichstag. Pendant longtemps, le nazisme a peine à s’implanter en Prusse, et la «conquête de Berlin», confiée en 1926 au Dr Goebbels, se heurte à de fortes résistances. Cependant, aux élections du 24 avril 1932, les nazis obtiennent 162 sièges sur 423, alors qu’ils en avaient 6 au Landtag élu en 1928. Devenus ainsi le groupe parlementaire le plus nombreux, ils font élire un des leurs, Hanns Kerrl, à la présidence. Assemblée ingouvernable, où l’affrontement des partis rend impossible la formation d’un nouveau ministère. Le 20 juillet, à la demande de Kerrl, le président Hindenburg nomme le chancelier Papen commissaire du Reich pour la Prusse avec pleins pouvoirs. Relevés de leurs fonctions par Papen, Braun et Severing refusent de quitter leurs bureaux: Hindenburg proclame alors l’état de siège à Berlin et dans le Brandebourg et confie le pouvoir exécutif au général von Rundstedt, commandant la troisième région militaire. Les organisations socialistes et communistes auraient voulu résister, mais le ministère refuse, et se contente d’en appeler à la cour de justice de Leipzig. Événement capital non seulement en Prusse, mais dans toute l’Allemagne, où il apparaît comme la véritable fin de la république de Weimar.

Le IIIe Reich

Il faut se garder d’identifier esprit nazi et esprit prussien. Le poids de la Prusse dans le IIIe Reich tient uniquement à la place qu’elle occupe parmi les pays allemands, par son étendue et sa population. Le nouveau régime imprime pourtant sa marque sur l’État prussien. D’une part, celui-ci subit en 1937 quelques modifications territoriales: cession à Hambourg d’Altona et de Harburg contre Cuxhaven et quelques enclaves, de Wilhelmshaven à l’Oldenburg contre des enclaves en Holstein, annexion de Lübeck.

Mais surtout la Prusse perd, comme les autres Länder de l’Allemagne, ce qu’elle avait pu garder d’autonomie. Le tribunal de Leipzig avait rendu, le 25 octobre 1932, un arrêt ambigu. Dès le 6 janvier 1933 (Hitler est chancelier depuis sept jours), une ordonnance présidentielle met fin aux fonctions du cabinet Braun-Severing et confie le gouvernement au vice-chancelier Franz von Papen. Le Landtag est dissous, et les élections du 5 mars assurent aux nationaux-socialistes 211 des 474 mandats. Le 10 avril, Hitler, qui s’est fait attribuer les pouvoirs de Statthalter en Prusse, nomme Göring ministre-président et ministre de l’Intérieur. Des ministères prussiens (Agriculture et Ravitaillement, Éducation, Intérieur) sont confiés aux titulaires des ministères du Reich correspondants, ou bien tout simplement fusionnés avec ceux-ci. Évolution qui aboutit à la loi du 30 janvier 1934 portant suppression des Landtage , subordination des gouvernements des Länder à celui du Reich, perte, au profit du Reich, de leurs droits de souveraineté.

Disparition de la Prusse

Le partage de l’Allemagne en zones d’occupation auquel les quatre commandants en chef procédèrent en 1945 ne tenait aucun compte des frontières des anciens Länder allemands. Le territoire prussien se trouva ainsi partagé entre les zones soviétique, américaine, britannique et française.

Le problème politique ne tarda pas à se poser. Si l’on voulait (c’était le cas, en particulier, des Américains et des Français) reconstituer l’Allemagne sur des bases fédérales saines, convenait-il de conserver une Prusse démesurée par rapport aux autres États, et qui aurait rapidement déséquilibré la future fédération? Le 25 février 1947, le Conseil de contrôle, composé des quatre commandants en chef réunis à Berlin, prononça la dissolution de l’État de Prusse. Les territoires qui le constituaient se trouvent aujourd’hui répartis entre six des dix Länder de la république fédérale d’Allemagne (Schleswig-Holstein, Basse Saxe, Rhénanie-Westphalie, Rhénanie-Palatinat, Hesse, Sarre), la partie ouest du Grand Berlin, dont le statut reste à définir, la République démocratique allemande (D.D.R.), qui n’a présenté un caractère fédéral que jusqu’en 1952, et, en conformité avec les décisions de la conférence de Potsdam (17 juill.-2 août 1945), les territoires ex-prussiens situés à l’est de l’Oder et de la Neisse occidentale ont été placés «provisoirement» sous administration russe et polonaise. En fait, la plupart de ces territoires ont été annexés par la Pologne, l’U.R.S.S. ne s’étant attribué que la partie nord de la Prusse orientale, où Königsberg est devenu Kaliningrad.

Le nom de Prusse a disparu de la carte par la décision du Conseil de contrôle. Quant au Brandebourg, qui a été pendant quelques années l’un des cinq Länder de la D.D.R., il est redevenu une unité politique du fait de la réunification de l’Allemagne en 1990.

prusse
anc. état de l'Allemagne du Nord. Peuplé de Baltes, le pays, que cernent la Baltique, la Vistule et le Niémen, fut conquis au milieu du XIIIe s. par les chevaliers Teutoniques. Malgré leur puissance, le Polonais Ladislas II Jagellon Ier leur imposa sa suzeraineté (Tannenberg, 1410). En 1525, Albert de Brandebourg, grand maître de l'ordre, embrassa la Réforme et conclut avec la Pologne la paix de Cracovie, qui lui octroyait le titre de duc de Prusse. En 1618, le duché de Prusse fut uni à l'électorat de Brandebourg. Ravagé pendant la guerre de Trente Ans, le nouvel état reçut d'importantes compensations aux traités de Westphalie (1648). Le Grand électeur Frédéric-Guillaume parvint également à s'affranchir de la suzeraineté polonaise, tandis que son fils, Frédéric Ier, obtenait de l'empereur Léopold Ier le titre de roi en Prusse (1701). Dotée de nouveaux territoires (Poméranie occidentale), d'une administration centralisée et, surtout, d'une armée puissante, la Prusse de Frédéric-Guillaume Ier, le Roi-Sergent (1713-1740), contenait en germe l'état puissant que créera Frédéric II le Grand (1740-1786). Mais elle fut vaincue par la France révolutionnaire (Valmy, 1792) et Napoléon Ier (traité de Tilsit, 1807) amputa l'état de plus de la moitié de son territoire. En 1813, la Prusse vainquit Napoléon Ier à Leipzig; en 1815, le traité de Vienne lui accorda la Poméranie suédoise, le N. de la Saxe, la Westphalie et une partie de la Rhénanie. Entrée dans la Confédération germanique, la Prusse y prit une influence prépondérante au détriment de l'Autriche. Après la défaite autrichienne de Sadowa (1866), Guillaume Ier (1861-1888) et son chancelier, Bismarck, imposèrent leur domination sur l'Allemagne et l'entraînèrent dans la guerre contre la France (1870-1871), à l'issue de laquelle le souverain prussien reçut la couronne impériale. Dès lors, l'histoire de la Prusse se confond avec celle de l'Allemagne.
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prusse
n. m. (Acadie) Nom cour. de l'épicéa. Prusse blanc. Prusse noir. (V. épinette.)

Encyclopédie Universelle. 2012.