PRÉCIOSITÉ
La préciosité, entendue au sens le plus strict, c’est-à-dire historique, originel en quelque sorte, s’est épanouie en France au cours de la période de 1650 à 1660, qui a pu, à juste titre, être appelée la «poussée précieuse». Les précieux et les précieuses au temps de Mlle de Scudéry et de l’abbé de Pure ont été les premiers à porter ce nom et restent les seuls, au fond, qui doivent le conserver. Car, hors de là, l’épithète, louangeuse ou péjorative, ressortit à la langue de la critique et, se détachant du contexte et des réalités historiques où elle est née et où elle a pris sa pleine et authentique signification, devient une qualification esthétique ou morale aux critères mal définis.
Apparences et caricatures
On se fonde, pour dater l’apparition des précieuses, sur une lettre du chevalier Renaud de Sévigné à Christine de France, duchesse de Savoie, le 3 avril 1654: «Il y a une nature de filles et de femmes à Paris que l’on nomme «précieuses», qui ont un jargon et des mines, avec un démanchement merveilleux: l’on en a fait une carte pour naviguer en leur pays.» Dès lors, on trouve de nombreuses allusions à la mode du jour sous la plume de nouvellistes ou de pamphlétaires, plus soucieux, il est vrai, de bizarrerie ou de polémique que d’objectivité. On fait des airs et des vaudevilles, des chansons, des comédies, des ballets pour tourner en ridicule la «secte façonnière». Mais quel crédit accorder à de tels portraits qui accablent les victimes sous la charge et la caricature? Il convient de rectifier ces données partiales par les renseignements que nous fournissent des textes fort divers: citons notamment les Epistres de Scarron, la Nouvelle allégorique de Furetière, les Lettres de Mme de Sévigné, les Mémoires et la Carte du pays de Braquerie de Bussy-Rabutin, les Satires et le Dialogue des héros de roman de Boileau, les Entretiens d’Ariste et d’Eugène du père Bouhours, les Œuvres de Saint-Évremond, les Mémoires de Mlle de Montpensier et son Histoire de la princesse de Paphlagonie , l’Académie des femmes de Samuel Chappuzeau, les Œuvres de Charles Cotin, celles de l’abbé Paul Tallemant, le Portrait de la coquette de Félix de Juvenel, la Carte de la Cour de Gabriel Guéret, les Mémoires sur les Grands Jours d’Auvergne de Fléchier, la Joueuse dupée de Jean de La Forge, etc. Mais les trois témoignages les plus importants restent le roman à clef, encore mal éclairci, de l’abbé de Pure, La Prétieuse, ou le Mystère des ruelles , qui a paru en quatre volumes de 1656 à 1658, les Précieuses ridicules de Molière, représentées pour la première fois à l’hôtel de Bourgogne le 18 novembre 1659, et les œuvres de Baudeau de Somaize, les Véritables Précieuses , Le Grand Dictionnaire des précieuses , Les Précieuses ridicules nouvellement mises en vers , le Procès des précieuses en vers burlesques , le Dialogue de deux précieuses sur les affaires de leur communauté , le Grand Dictionnaire des précieuses , historique , poétique , géographique , cosmographique , chronologique et armoirique. On ne saurait, toutefois, accepter tels quels les traits que Molière et Somaize prêtent aux précieuses; il faut faire la part de l’exagération et de la parodie. Il convient, en outre, de remarquer qu’ils se sont surtout attachés l’un et l’autre aux innovations de langage, d’ailleurs ridiculisées à plaisir, mises à la mode dans les ruelles. Le roman de l’abbé de Pure donne au contraire avec mesure des renseignements nombreux et dignes de foi sur les préoccupations des cercles précieux, leurs goûts, leurs discussions, les revendications féministes qui s’y font jour. Mais les contemporains, en rassemblant leurs griefs contre les précieuses sous trois chefs d’accusation principaux: la corruption de la langue, l’affectation des manières et le refus de l’amour, n’ont vu de la préciosité, le plus souvent, de Pure mis à part, qu’une sorte de snobisme éphémère. Faute de recul, ils n’en ont pas soupçonné l’importance, ni évalué les implications; ils l’ont réduite à une affaire de rivalité entre des coteries, assimilant la préciosité à la préciosité ridicule et donnant très vite au mot «précieux» une valeur péjorative.
Le vrai visage de la préciosité
En réalité, la préciosité a revêtu des aspects beaucoup plus complexes. Elle n’est pas cet esprit superficiel et léger qu’on lui attribue d’ordinaire. Frivole parfois, attirée par des riens galants tels qu’on en trouve dans les Poésies de Voiture, les Recueils manuscrits de Valentin Conrart, ceux de Charles de Sercy, elle ne se cristallise pas seulement dans quelques jeux gratuits des ruelles, comme les innombrables sonnets consacrés au perroquet de Mme du Plessis-Bellière. Elle ne se limite pas à quelques excentricités de langage, prêtées par Molière à Cathos et Magdelon et soigneusement recueillies par Somaize. Elle dépasse le pur verbalisme d’une poésie uniquement formelle, faite pour distraire l’âme délicate de quelques oisifs, habitués choisis d’un petit nombre de salons. Passionnément éprise de qualité idéale, elle se conçoit comme une aristocratie, mais elle ne reconnaît qu’une supériorité, celle de l’esprit. Bien loin de se constituer en un monde fermé, accueillante aux nouveautés, elle l’est aussi aux nouveaux venus; à l’hôtel de Rambouillet, les gens de lettres les plus originaux et les plus décriés, Louis de Neufgermain, bohème et bouffon, Vauquelin des Yveteaux, libertin et dissolu, l’abbé de Croisilles, condamné à mort pour avoir épousé une certaine Marie Poque, sont admis dans la Chambre bleue avec des roturiers comme Voiture, Chapelain, Conrart, Ménage, Pellisson; celui-ci, fraîchement arrivé de sa province, est présenté par Conrart dans les cercles parisiens et reçu aux samedis de Mlle de Scudéry.
Les origines de la préciosité posent une question très controversée. On a parfois vu en elle la manifestation d’un phénomène plus vaste, européen, qui s’incarne dans l’euphuisme en Angleterre, dans le marinisme au-delà des Alpes et dans le gongorisme en Espagne. En fait, Lily, Sidney et Donne sont à la fois trop éloignés par leurs dates et par leur esprit pour avoir eu un ascendant, même minime, sur la génération précieuse de 1650; ils n’avaient rien à lui apporter qu’elle n’ait pu trouver, selon les cas, chez Honoré d’Urfé, Antoine de Nervèze, Philippe Desportes ou Laugier de Porchères, c’est-à-dire chez des auteurs d’une autre époque, déjà vieillis et, sauf le premier, tombés depuis longtemps dans le ridicule. Les influences italiennes et espagnoles ont pu être, en revanche, beaucoup plus sensibles, pour deux raisons essentielles: les écrivains français du temps connaissent les littératures de ces pays et y puisent souvent sujets et inspiration; la belle société apprend l’italien et l’espagnol, suffisamment pour pouvoir lire les œuvres dans le texte. La mode s’en mêle et, sans tomber dans les excès du XVIe siècle, incite de plus en plus les beaux esprits des ruelles à ne pas négliger ce moyen de paraître et de se faire valoir. Mais le côté social de la préciosité, l’épanouissement de la vie mondaine, le rôle des salons demeurent français. Ils ne sont pas la conséquence de l’italianisme et de l’hispanisme; ils sont, au contraire, la condition de leur succès. De même, les revendications féministes, telles qu’elles apparaissent notamment dans le roman de l’abbé de Pure, dans les œuvres de Mlle de Scudéry, chez Molière et chez nombre d’autres auteurs moins importants, n’ont rien à voir avec les apports des nations voisines. Le style des écrivains espagnols ne correspond plus, en outre, sur bien des points, au goût des cercles précieux; les procédés de B. Gracián, par exemple, sont beaucoup plus proches de ceux de Nervèze, des Escuteaux, de François Desrues dans ses Marguerites françoises , que de ceux qu’on admire dans les ruelles en 1650. On peut en dire autant des Aphorismes, ou Sentences dorées d’Antonio Pérez dont les images rappellent celles de Laugier de Porchères, au début du siècle. L’art de Góngora, avec sa poétique audacieuse, ses métaphores qui aboutissent à la périphrase et à l’énigme, son hermétisme, son emphase, ses recherches de vocabulaire et de syntaxe, ne ressemble guère à la manière de Pellisson, de Mlle Desjardins ou de Mme de Villedieu, même si l’on relève chez les cultistes, comme chez les précieux, une identique faveur de l’adjectif substantivé («un brutal», «un habile», «l’abrégé», «le rampant»), parfois accompagné d’une épithète («une diserte oublieuse») ou d’un complément déterminatif («le suprême des venins», «le sérieux de ma rêverie»), et la même abondance des substantifs abstraits au pluriel. Quant au Cavalier Marin, très en faveur vers 1620-1630, il semble bien n’avoir eu qu’une action diffuse, à une époque antérieure au mouvement précieux; ce dernier rejette les couleurs trop voyantes des marinistes, leurs métaphores ampoulées qui mettent le règne végétal et minéral au pillage, leur vision de la nature remplie d’allégories et de souvenirs de la mythologie classique, leur passion des jeux de mots, des concetti et des pointes.
C’est dans le domaine français qu’il faut chercher les origines de la préciosité. L’Astrée s’impose d’abord; elle a plu aux précieuses pour de multiples raisons: culte de l’honnête amitié, primauté de la femme, débats et cours d’amour, courtoisie des conversations, galanterie des échanges de lettres, prose soutenue, parfois poétique, assez coulante et douce, pleine d’ampleur et de majesté. Guez de Balzac et Voiture ont été, chacun à sa façon, deux grands maîtres pour les ruelles; l’éloquence, les grands mots, la rhétorique, l’emphase même du premier les comblent d’aise; l’esprit, l’ironie, le badinage du second les ravissent. Claude de Malleville, dans ses Lettres amoureuses , a donné des modèles de belles dissertations de casuistique sentimentale et passionnelle. Jean-François Sarasin, qui fréquenta les samedis de Mlle de Scudéry et prit part à la fameuse journée des madrigaux, eut ses œuvres publiées, posthumes, par Pellisson qui les fit précéder d’un long Discours de présentation; on a même pu dire que cette publication fut un manifeste des précieux. Mais c’est à Corneille que revient la première place; selon Somaize, il est le héros des précieuses; on admire ses petits vers dans les salons et il a collaboré au Recueil de Sercy; les ruelles ne font pas de distinction entre l’idéal qu’il leur propose dans son théâtre et celui que décrit longuement Mlle de Scudéry dans ses romans et elles unissent dans une même admiration l’auteur de Clélie et celui d’Œdipe. Les héroïnes du grand dramaturge, par leur souci de la gloire, et leur haute idée de la prééminence féminine, par leur penchant pour l’amour tendre et langoureux, sont aussi des héroïnes précieuses. La langue même de Corneille et son style offrent nombre de tournures et d’expressions qui ont fait fureur dans le jargon à la mode.
Un phénomène social et moral
La préciosité correspond en outre à toute une évolution des esprits et des mœurs et illustre un phénomène social et moral autant que littéraire et linguistique. Elle implique une profonde transformation de la société au cours de la première moitié du siècle. Elle coïncide en effet avec la suprématie définitivement assurée à Paris sur la province; elle est parisienne d’origine et d’esprit. Elle résume en elle cinquante années d’efforts vers les belles manières, la distinction, la politesse et le raffinement. Elle suppose le développement de l’instruction, la diffusion du savoir, le goût des belles-lettres, chez les femmes en particulier. Elle couronne le règne de la galanterie, de l’esprit et de l’honnêteté. Elle méprise le bourgeois au moment même où une partie importante de la bourgeoisie, par de laborieux efforts, assure sa promotion et lui fournit de nombreux adeptes. Grâce à elle, la femme sort victorieuse d’une longue querelle sur ses droits et sa dignité. Selon l’abbé de Pure, dans la Prétieuse , on se hasarde même à mettre en question, dans certains cercles, les fondements du mariage et de la famille; on revendique avec âpreté le droit au mariage à l’essai, au divorce et à l’espacement des maternités.
Dès lors, on comprend mieux la place de la préciosité au XVIIe siècle. On la situe plus exactement, par exemple, vis-à-vis du baroque. Elle n’en est pas, comme on l’a dit parfois, la pointe assagie. Ainsi, la métaphore baroque quand elle utilise le minéral et le métal, est surtout décorative et ornementale; elle fait appel aux sens, à la vue et à l’imagination; la métaphore précieuse, même si elle met à profit des éléments identiques, a une portée et une signification tout autres; elle établit entre la fleur, le métal ou le joyau et le monde de l’homme un réseau de correspondances, d’analogies, qui cherche à dépeindre, à pénétrer plus intimement, à analyser l’univers moral et spirituel dont la métamorphose (genre pratiqué notamment par Voiture sous la forme de poème en prose: Métamorphose de Lucine en rose , Métamorphose de Julie en diamant ), comme le portrait, tente de rendre compte. Le baroque, à la fois «monarchique, aristocratique, religieux et terrien», s’oppose à la préciosité, qui naît dans le monde mesuré des salons, vit à l’échelle humaine, n’a pas de préoccupations eschatologiques, mêle indistinctement les classes sociales, noblesse et bourgeoisie, et se révèle urbaine, profane, égalitaire et intellectuelle. E. Faguet pensait que le précieux est «à deux doigts du burlesque, parce que le burlesque n’est pas autre chose que le précieux, qui ne contient plus même un grain de sincérité, mais qui s’amuse purement et simplement de lui-même. Alors, pour peu qu’il s’y mêle de trivial, il devient burlesque». Cependant, si on est en droit de parler d’un genre burlesque aux procédés artificiels, aux effets calculés (mots familiers, bas, techniques, étrangers, archaïques ou pittoresques, proverbes, bigarrure verbale), il n’y a pas de genre précieux proprement dit: le précieux s’éparpille partout, dans la poésie, le roman, le théâtre, les mémoires, la correspondance; l’un est à peu près uniquement littéraire et très limité, il est autonome; l’autre déborde les questions de langue et de style et reflète toute une conception de la vie.
La préciosité, née de l’héritage d’Honoré d’Urfé, de Guez de Balzac, de Voiture et de Corneille, a inspiré toute une littérature psychologique et morale, surtout abondante dans la poésie et le roman, mais représentée aussi à l’occasion par la tragédie; même, elle n’est pas étrangère à la naissance et au succès d’un genre nouveau comme l’opéra. Elle conçoit la vie et l’amour, et l’anatomie des cœurs, comme un moyen de culture de soi. Elle se retrouve dans le théâtre cornélien qui l’aide à se hausser, au-dessus des banalités de la vie, jusqu’aux grandeurs héroïques exemplaires. Elle aime opposer et distinguer, par un effort cérébral et lucide; elle a le goût des débats élevés, des dissertations subtiles, des définitions précises et nuancées. Mais elle laisse aussi volontiers aller son imagination; elle la repaît de magnificence et de somptuosité; le Grand Cyrus et la Clélie , plus tard La Princesse de Clèves la ravissent par le spectacle de cérémonies et de fêtes parées de tous les prestiges du faste et du luxe. Attirée par le purisme, soucieuse de délicatesse et de bon usage, elle vise aussi à l’expression riche, à une langue brillante, à un style orné. Pour magnifier les êtres et les choses, elle se meut dans le superlatif. Elle s’aventure dans de nouvelles analyses du cœur humain et, pour faire œuvre de moraliste et de psychologue, elle cultive les maximes, les métamorphoses, les portraits. Elle veut cerner non point les apparences, mais l’essence même des êtres. En étroite dépendance du monde de qualités qu’elle conçoit, elle élabore une langue qui tend vers la plus grande abstraction. Après elle, elle a laissé des traces profondes chez Molière, quelques critiques qu’il en ait faites, chez La Fontaine et chez Racine. Elle nourrit les réflexions du chevalier de Méré, les remarques grammaticales du père Bouhours, elle pénètre l’atmosphère romanesque et la psychologie amoureuse de La Princesse de Clèves et elle marque de son empreinte les Maximes de La Rochefoucauld. Elle aura des effets nombreux et durables, au-delà de l’époque classique, jusqu’à Fontenelle et à Marivaux.
préciosité [ presjozite ] n. f.
• 1664; « grande valeur » v. 1300; de précieux
1 ♦ Hist. littér. Ensemble des traits qui caractérisent les précieuses et l'esprit précieux du XVII e s. « la préciosité la plus exquise pousse à droite et à gauche ses vrilles capricieuses » (Gautier). — Le mouvement précieux. Histoire de la Préciosité.
♢ Recherche stylistique analogue. ⇒ cultisme, euphuisme, gongorisme, marinisme. Préciosité de la littérature courtoise, de Pétrarque.
2 ♦ Cour. Caractère affecté, recherché du langage, du style. ⇒ 2. affectation, maniérisme, recherche. « ce souci d'élégance et de préciosité, qui fit son art s'écarter si délibérément de la vie » (A. Gide).
♢ Rare Expression précieuse. « Ses archaïsmes prétentieux et ses préciosités » (Maupassant).
⊗ CONTR. Simplicité.
● préciosité nom féminin (bas latin pretiositas, -atis) Tendance au raffinement dans le jeu des sentiments et dans l'expression littéraire, qui se manifesta en France dans certains salons au cours de la première moitié du XVIIe s. Caractère de quelqu'un dont les manières, le langage, les sentiments sont empreints d'une délicatesse et d'un raffinement artificiels. ● préciosité (citations) nom féminin (bas latin pretiositas, -atis) Jean-Baptiste Poquelin, dit Molière Paris 1622-Paris 1673 Mon Dieu ! ma chère, que ton père a la forme enfoncée dans la matière ! Les Précieuses ridicules, 5, Cathos Jean-Baptiste Poquelin, dit Molière Paris 1622-Paris 1673 Ne soyez pas inexorable à ce fauteuil qui vous tend les bras il y a un quart d'heure ; contentez un peu l'envie qu'il a de vous embrasser. Les Précieuses ridicules, 9, Cathos Jean-Baptiste Poquelin, dit Molière Paris 1622-Paris 1673 Vite, voiturez-nous ici les commodités de la conversation. Les Précieuses ridicules, 9, Magdelon Charles de Marguetel de Saint-Denis de Saint-Évremond Saint-Denis-le-Gast, Manche, 1613-Londres 1703 On dit un jour à la reine de Suède que les précieuses étaient les jansénistes de l'amour. Le Cercle, à M. P… Ninon de Lenclos ● préciosité (synonymes) nom féminin (bas latin pretiositas, -atis) Caractère de quelqu'un dont les manières, le langage, les sentiments...
Synonymes :
- afféterie
- mièvrerie
Contraires :
- simplicité
préciosité
n. f.
d1./d HIST et LITTER Ensemble des caractères propres au mouvement précieux du XVIIe s., à l'esprit, aux manières qu'il inspirait.
d2./d Recherche ou affectation dans le langage, les manières.
⇒PRÉCIOSITÉ, subst. fém.
A. —1. Ensemble des traits (concernant les manières, le comportement, l'expression des sentiments, le langage) particuliers aux Précieuses du XVIIes. L'essentiel est de définir la préciosité pour elle-même. Et la préciosité, telle qu'elle a été, ne peut se comprendre qu'à partir des circonstances historiques dont elle est issue, à un moment précis, et qui ne se retrouvent identiques nulle part ailleurs (R. LATHUILLÈRE, La Préciosité, t.1, 1966, p.14).
— P. anal. Comportement, manières, esthétique, langage comparables à ceux des Précieuses. Un hôtel de Rambouillet en 1881: un monde où l'on cause et où l'on pose, où le pédantisme tient lieu de science (...) la préciosité de délicatesse (PAILLERON, Monde où l'on s'ennuie, 1869, I, 2, p.7).
2. Période de l'histoire littéraire française dominée par les Précieuses. (Ds Lar. Lang. fr., Lexis 1975).
B. —1. Délicatesse extrême, raffinement voire affectation dans les manières, le langage. Synon. mièvrerie, mignardise. Cet accent de l'Allier qui arrondit vaniteusement certains mots et abrège avec préciosité les autres (ALAIN-FOURNIER, Meaulnes, 1913, p.219). Pour sa préciosité dans les compliments qu'il fait [Max Jacob] sans cesse aux gens, Apollinaire dit qu'elle lui est naturelle (LÉAUTAUD, Journal littér., 3, 1916, p.223). Il s'habillait avec recherche sinon avec préciosité (SIMENON, Vac. Maigret, 1948, p.24).
2. Expression artistique très raffinée où les nombreux détails, les ornementations dominent l'ensemble de la création. Synon. maniérisme. Pour un artiste dans l'état de M.Picasso, parvenu à la limite extrême de l'adresse, au bord de la préciosité et de la mièvrerie, cette découverte [de la sculpture nègre] fut une illumination (GILLET, Art fr., 1938, p.164):
• ♦ Le seul art vraiment chrétien est celui qui, comme saint François, sait épouser la pauvreté (...). Rien de moins chrétien, de moins spirituel que l'ornementation de Brou. Très beau pourtant, mais profane. La préciosité commence avec la dépense inutile.
GIDE, Journal, 1926, p.823.
— LITT. Style manquant de naturel, marqué par un grand nombre de mots rares et de métaphores recherchées. Synon. afféterie, manière, recherche, subtilité. Notre défunt ami se montre très féroce à notre égard, attaque notre préciosité, nie notre observation en des critiques assez bêtes et très réfutables (GONCOURT, Journal, 1887, p.712). J'ai lu Glatigny (de Catulle-Mendès). C'est assommant, à force de préciosité sans raison et aussi d'inexcusable vulgarité (RIVIÈRE, Corresp. [avec Alain-Fournier], 1906, p.57).
— P. méton. Élément recherché, précieux d'une expression artistique. Son tableau est peint à grandes touches, sans préciosités ni tapotages (HUYSMANS, Art mod., 1883, p.38). La spontanéité des motifs, la santé des harmonies (...) le mépris des vaines préciosités, étaient les caractéristiques des oeuvres produites en ce miraculeux concert (WILLY, Bains de sons, 1893, p.304). De merveilleux châteaux aujourd'hui disparus, dernières demeures féodales où la fierté des vieilles forteresses s'égayait de préciosités gothiques (HOURTICQ, Hist. art, Fr., 1914, p.118).
Prononc. et Orth.:[]. Att. ds Ac. dep. 1835. Étymol. et Hist.1. 1466-67 preciosité «prix, valeur» (Metam. d'Ov., Vat. Chr. 1686, f° 46 v° ds GDF.); encore bien att. au XVIes. (v. ex. ds HUG.); 2. a) ca 1475 «affectation» sans milles mignotizes ne preciositez (Enseignem. de la duchesse Anne, p.66, Chazaud ds GDF.); b) 1664 «comportement, manières des précieux et précieuses du XVIIes.» la préciosité ridicule (ROBINET, Panégyr. de l'Éc. des Fem., éd. Gay, p.27 ds LIVET Molière t.3, p.347); 3. a) 1678 «affectation dans les manières et le langage» (LA FONTAINE, Fables, VII, 5 ds OEuvres, éd. H. Régnier, t.2, p.117); b) 1881 «maniérisme du style» (ZOLA, Romanc. natur., E. et J. de Goncourt, p.207); c) 1888 «expression affectée» (MAUPASS., Pierre et Jean, p.XXVI). Empr. au lat. d'époque impériale pretiositas «grande valeur, haut prix», dér. de pretiosus, v. précieux; une 1re fois ca 1370, comme dér. de précieux: en puissance et en precieuseté (N. ORESME, Ethiques, éd. A. D. Menut, X, 14, fol. 212b, p.523). Fréq. abs. littér.:56. Bbg. LATHUILLÈRE (R.). La Préciosité. Genève, 1966, t.1, 686 p.—PELOUS (J.-M.). Amour précieux, amour galant 1654-1675. Paris, 1980, 524 p.—WARSHAW (J.). Recurrent préciosité. In: [Mél. Elliott (A.M.)]. Mod. Lang. Notes. 1916, t.31, pp.129-135.
préciosité [pʀesjozite] n. f.
ÉTYM. 1664; « grande valeur », v. 1300, aussi précieuseté; 1671, Mme de Sévigné : « L'honnêteté et la préciosité d'un long veuvage », dans le sens probable de « délicatesse, scrupule »; de précieux, précieuse (II.).
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1 Hist., littér. Ensemble des traits qui caractérisent les précieuses et l'esprit précieux du XVIIe siècle; le mouvement, le courant précieux. || La préciosité est un phénomène moral et social autant que littéraire. || La préciosité des salons, des ruelles. || Préciosité dans la poésie, le roman, la conversation, les manières…
1 Leurs conversations sont de véritables entretiens pointus où la préciosité la plus exquise pousse à droite et à gauche ses vrilles capricieuses et ses fleurs bizarres aux parfums enivrants. — La préciosité, cette belle fleur française qui s'épanouit si bien dans les parterres à compartiments des jardins de la vieille école, et que Molière a si méchamment foulée aux pieds dans je ne sais plus quelle immortelle mauvaise petite pièce.
Th. Gautier, les Grotesques, IX, p. 330.
2 Un écrivain du temps a donné une exacte description de la préciosité. Les précieuses, écrit-il, ne se sont pas contentées d'exercer leur empire « sur les habits et sur quelques bagatelles ». Elles l'ont étendu « sur le langage, sur les mœurs, et même sur les choses les plus spirituelles » (Dialogue de la Mode et de la Nature, 1662). Ce qu'il appelle « les choses les plus spirituelles » ce sont, n'en doutons pas, l'amour et ses problèmes.
Antoine Adam, Hist. de la littérature franç. au XVIIe s., t. II, p. 29.
2 Caractères esthétiques ou moraux présentés, soit en France, avant ou après les « Précieuses », soit à l'étranger, par différents groupes, hommes, écrivains, artistes animés d'un esprit analogue à celui de la société et de la littérature précieuse du XVIIe siècle. ⇒ Cultisme, euphuisme, gongorisme, maniérisme, marinisme, marivaudage. || Préciosité de la littérature courtoise, de Pétrarque.
3 Il est à souhaiter que les historiens se décident à rendre au mot de préciosité son véritable sens. La préciosité est une mode qui apparaît en 1654 (…) On ne saurait sans arbitraire parler de la préciosité des débuts du XVIIe siècle, car la préciosité n'a aucune relation avec l'art baroque de Nervèze, de La Serre et même de Scudéry. Nul moyen non plus de parler de la préciosité de Racine, et les vers prétendus précieux que l'on cite de lui sont simplement de la poésie galante, celle de toute son époque et non pas seulement des cercles précieux. Ce que l'on appelle préciosité en France répond au seicentismo étudié par les historiens italiens. Il s'agit là d'un mouvement général des lettres dans toute l'Europe occidentale, mais qui est resté étranger aux cercles précieux de 1654-1660. Le terme de baroque est sans aucun doute celui qui lui conviendrait le mieux.
Antoine Adam, Hist. de la littérature franç. au XVIIe s., t. II, p. 26, note 1.
3 (XVIIe). Cour., péj. Caractère affecté, recherché, du langage et du style. ⇒ Affectation, afféterie, concetti, entortillage, manière, recherche, subtilité. || Réputation de préciosité et d'hermétisme (cit. 3). || La coquetterie (cit. 2) du paradoxe et de la préciosité. || Écrivain qui triomphe de sa préciosité naturelle (→ 1. Fort, cit. 30). || « Cette triple formule d'exécration (contre Mallarmé) : obscurité, préciosité, stérilité » (Valéry).
4 (…) tourmenté par ce souci d'élégance et de préciosité, qui fit son art s'écarter si délibérément de la vie.
Gide, Si le grain ne meurt, I, X, p. 263.
♦ Rare. || Une préciosité : expression précieuse, recherchée (→ Juron, cit. 0.1).
5 La langue française, d'ailleurs, est une eau pure que les écrivains maniérés n'ont jamais pu et ne pourront jamais troubler. Chaque siècle a jeté dans ce courant limpide, ses modes, ses archaïsmes prétentieux et ses préciosités, sans que rien surnage de ces tentatives inutiles, de ces efforts impuissants.
Maupassant, Pierre et Jean, « Le roman ».
♦ Péj. Affectation dans les manières. ⇒ Mièvrerie, mignardise. || La préciosité d'un homme du monde.
4 Rare. Raffinement.
6 (…) une simplicité apparente extrême dans l'ensemble, et une incroyable préciosité dans les détails infiniment petits : telle est la manière japonaise de comprendre le luxe intérieur.
Loti, Mme Chrysanthème, XXXV.
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CONTR. Désinvolture, simplicité.
Encyclopédie Universelle. 2012.