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QUASARS
QUASARS

La nature des quasars, découverts en 1961, reste énigmatique malgré les très nombreux travaux théoriques et observationnels qui leur ont été consacrés. La luminosité de certains d’entre eux est extrêmement élevée: elle peut atteindre plus de mille fois celle des galaxies les plus brillantes. Pourtant, ces objets ont de très faibles dimensions: ils sont au moins cent mille fois plus petits que les galaxies elles-mêmes. Une théorie a été formulée pour expliquer ce phénomène: les quasars seraient des trous noirs , c’est-à-dire des corps extrêmement compacts, situés dans le noyau des galaxies et dont la masse pourrait être, dans certains cas, égale à dix milliards de fois celle du Soleil. L’énergie serait libérée par du gaz interstellaire tombant sur ces corps à la surface desquels le champ gravitationnel est énorme.

1. La découverte des quasars

L’établissement des premières cartes radio du ciel, dans les années 1950, a montré qu’il existait deux classes principales de radiosources. La première classe était constituée de sources concentrées dans le plan galactique; cette distribution particulière montrait qu’il ne pouvait s’agir que d’objets situés dans notre Galaxie, ce qui a été très rapidement confirmé lorsqu’on a pu prouver que le rayonnement observé provenait d’objets de nature bien connue, nuages d’hydrogène ionisé et restes de supernovae. Cependant, une partie des sources découvertes avec les radiotélescopes primitifs de l’époque était distribuée de façon isotrope sur la voûte céleste; il pouvait s’agir d’objets dont la distance au Soleil était très petite par rapport à l’épaisseur du disque de notre Galaxie (les étoiles les plus brillantes, donc les plus proches, sont elles aussi distribuées uniformément sur tout le ciel), mais il était également possible que ces radiosources soient au contraire situées à de très grandes distances, bien au-delà des limites de notre Galaxie, leur distribution, comme celle des galaxies, reflétant l’homogénéité et l’isotropie de l’Univers. L’amélioration des techniques permit rapidement de localiser les plus intenses de ces radiosources avec une précision suffisante pour qu’il apparaisse que certaines d’entre elles coïncidaient avec des galaxies qui étaient toujours des galaxies elliptiques, jamais des spirales. Cependant, dans certains cas, aucune galaxie n’était visible à l’emplacement de la radiosource, même sur les photographies obtenues avec les télescopes les plus puissants. Puis, en 1961, la précision des mesures de positions s’étant encore améliorée, on put montrer que deux radiosources, 3C 48 et 3C 273, coïncidaient avec des objets que rien, sur des photographies, ne distinguait d’une étoile (3C désigne le troisième catalogue de radiosources établi par le Mullard Radio Astronomy Laboratory de l’université de Cambridge, en Angleterre, dirigé alors par Martin Ryle, qui obtint en 1974 le prix Nobel de physique; le nombre qui suit est le numéro d’ordre de la source dans le catalogue). S’agissait-il de radioétoiles? On sait que le Soleil est un émetteur d’ondes radio; c’est même la source la plus intense du ciel. Cependant, une étoile identique au Soleil, mais située à la distance des étoiles les plus proches, ne serait pas détectable, même avec les radiotélescopes les plus sensibles. Si 3C 48 et 3C 273 étaient des radioétoiles, leur luminosité radio devait donc être considérablement plus élevée que celle du Soleil. Pour répondre à cette question, on étudia les spectres optiques de ces deux objets. Le résultat fut surprenant: ces spectres ne ressemblaient à ceux d’aucune étoile connue. Ils étaient caractérisés par des raies en émission, mais ces raies n’étaient pas celles qui sont produites par les atomes les plus abondants – hydrogène, azote, oxygène, soufre, etc. – que l’on observe dans le spectre de nombreuses étoiles ou nébuleuses galactiques. Il fallut plusieurs mois pour réaliser qu’on était en fait en présence de raies connues, mais que celles-ci avaient subi un décalage spectral vers le rouge considérable, de 15,8 p. 100 dans le cas de 3C 273, décalage dû à l’effet Doppler-Fizeau et conséquence de l’expansion de l’Univers. Cette découverte fut l’œuvre de l’astronome américain d’origine néerlandaise Maarten Schmidt, qui travaillait à l’observatoire du mont Palomar. L’astronome américain Edwin P. Hubble avait montré en effet, dès 1929, que l’Univers est en expansion et que toutes les galaxies s’éloignent les unes des autres avec une vitesse d’autant plus grande que ces galaxies sont plus lointaines. La vitesse de récession mesurée pour 3C 273 était égale à 43 600 kilomètres par seconde; une telle vitesse correspond, d’après la loi de Hubble, à une distance considérable, de l’ordre de un milliard et demi d’années-lumière. Connaissant la distance et l’éclat apparent de 3C 273, on peut aisément en déduire sa luminosité: elle est énorme, plusieurs centaines de fois supérieure à celle des galaxies les plus brillantes. Une galaxie est un amas de quelques centaines de milliards d’étoiles, et sa luminosité n’est autre que la somme des luminosités des étoiles qui la constituent. Mais 3C 48 et 3C 273, nous l’avons vu, ont de faibles dimensions angulaires; on ne les distingue pas des étoiles, alors qu’à la distance de 3C 273 une galaxie est aisément «résolue» (elle a un diamètre apparent mesurable). Une autre surprise attendait les astronomes: en 1964, on annonça que les éclats de 3C 48 et de 3C 273 variaient d’une façon erratique, avec une constante de temps caractéristique de l’ordre de quelques mois; ces objets devaient donc avoir des dimensions linéaires extrêmement petites, inférieures à la distance que la lumière peut franchir en quelques mois. Ce phénomène a depuis lors été confirmé pour de nombreux quasars (fig. 1). Ces distances étant inférieures aux dimensions des condensations centrales, nucléaires, des galaxies, on était donc en présence d’objets dont la luminosité énorme était contenue dans des limites très petites; il ne pouvait s’agir d’étoiles. Pour contourner ce problème, on a imaginé que ces objets mystérieux n’étaient pas situés aux distances considérables indiquées par leur décalage spectral, que celui-ci n’était pas dû à l’expansion de l’Univers, mais à une autre cause, inconnue, et qu’ils étaient beaucoup plus proches. Une controverse a ainsi opposé pendant de nombreuses années deux écoles; elle est aujourd’hui éteinte.

On a découvert d’innombrables radiosources extragalactiques et identifié plusieurs milliers d’entre elles à des objets d’apparence stellaire (un catalogue publié en 1996 en recensait 8 609 dans la gamme de décalages spectraux comprise entre 0,1 et 4,9). On a baptisé ceux-ci quasars, contraction de l’expression anglaise quasi-stellar radio sources . Certains de ces quasars ont un décalage spectral très grand, correspondant à une vitesse de récession proche de celle de la lumière. Si l’on admet que l’âge de l’Univers est égal à 20 milliards d’années, on voit le plus lointain d’entre eux tel qu’il était il y a près de 19 milliards d’années, temps que mettent pour nous parvenir les photons qu’il émet.

Une propriété importante des quasars est leur excès de rayonnement ultraviolet. Ils sont plus brillants dans l’ultraviolet que la plupart des étoiles qui ont le même éclat vu à travers un filtre bleu. Cette propriété fut découverte par l’astronome américain Allan R. Sandage; elle lui permit d’entreprendre la recherche des quasars à l’emplacement de radiosources connues en comparant deux clichés du même champ stellaire pris l’un à travers un filtre bleu, l’autre à travers un filtre ultraviolet. Il découvrit ainsi bon nombre de quasars à l’emplacement des radiosources mais aussi, chose surprenante, un nombre beaucoup plus grand encore d’«étoiles» présentant un excès d’ultraviolet mais ne coïncidant avec aucune radiosource. Une étude spectroscopique ultérieure montra qu’il s’agissait d’objets en tout point identiques aux quasars, mis à part l’absence de toute émission radio. On a pris l’habitude d’appeler ces objets quasars, qu’ils soient radioémissifs ou non, car cette émission radio semble être un phénomène tout à fait secondaire: l’énergie émise dans le domaine radio n’excède en effet jamais 1 p. 100 de l’énergie qui est émise dans les autres domaines de longueur d’onde, infrarouge, optique ou X (l’observation des quasars avec les satellites d’astronomie X a montré que tous les quasars sont des sources de rayonnement X intenses, les luminosités X et optiques étant du même ordre de grandeur).

2. Les galaxies de Seyfert

En 1943, l’astronome américain Carl K. Seyfert isolait une classe de galaxies qui désormais portent son nom. Ces galaxies sont caractérisées par un noyau compact et brillant dont le spectre présente des raies en émission intenses et larges, ce qui indique que le gaz responsable de cette émission est animé de mouvements rapides pouvant atteindre plusieurs milliers de kilomètres par seconde. Ces galaxies semblaient être rares: la liste de Seyfert n’en contenait que douze. L’article par lequel Seyfert annonçait sa découverte passa inaperçu pendant près de vingt ans. Puis, après la découverte des quasars, on s’avisa que le spectre des noyaux des galaxies de Seyfert et celui des quasars présentaient des similitudes frappantes. Une étude approfondie montra cependant que les douze galaxies de Seyfert ne pouvaient pas être considérées comme représentant un phénomène physique unique. En 1973, on distingua deux classes principales; on les appela Seyfert 1 et Seyfert 2. Les noyaux des galaxies de Seyfert 1 ont toutes les propriétés des quasars: raies d’émission larges, composante optique compacte et variable, émissivité X, mais ils sont beaucoup moins brillants. Entre-temps, on s’était aperçu que les moins lumineux des quasars présentaient sur les meilleurs clichés une faible nébulosité entourant le noyau «quasi stellaire». L’idée émergea alors que les quasars ne sont rien d’autre que des noyaux de Seyfert de type 1 si brillants que la galaxie sous-jacente est complètement oblitérée et ne peut être détectée. À l’inverse, on peut dire que les noyaux des galaxies de Seyfert 1 sont des quasars de luminosité si faible que les galaxies qui les entourent apparaissent presque normales, mis à part un noyau un peu trop brillant. Près de 2 p. 100 des galaxies proches ont un noyau de type Seyfert 1; le phénomène quasar est donc extrêmement fréquent. Cependant, les quasars sont d’autant moins nombreux que leur luminosité est plus grande. Mais un noyau de type Seyfert 1 ne peut être détecté que s’il est suffisamment brillant comparé à la condensation centrale des galaxies qui, elle, est constituée d’étoiles. On peut donc imaginer qu’une fraction plus importante encore de toutes les galaxies contienne un miniquasar, que les techniques actuelles ne permettent pas de détecter. Cette hypothèse a été confirmée par deux découvertes. La première a montré que l’une des galaxies les plus proches, M 81, contenait un miniquasar dont la luminosité est près de dix fois inférieure à celle du noyau de Seyfert 1 le plus faible connu jusqu’alors; ce miniquasar est, comme les autres, une source de rayonnement X. La seconde découverte a été la détection d’une source de rayonnement X compacte dans le noyau d’un certain nombre de galaxies jusqu’alors considérées comme normales; une étude optique plus complète de ces galaxies a permis de montrer que, dans presque tous les cas, elles présentaient effectivement les caractéristiques des miniquasars.

L’une des caractéristiques du spectre optique des quasars et galaxies de Seyfert 1 est d’avoir des raies d’émission dues aux atomes d’hydrogène très larges, indiquant, nous l’avons vu, des mouvements de plusieurs milliers de kilomètres par seconde; mais à ces raies larges de l’hydrogène se superposent des raies en émission plus étroites dues aux atomes hydrogène, oxygène, azote, soufre, etc. (fig. 2). Les intensités relatives de ces raies montrent que les conditions physiques qui règnent dans le gaz où elles sont formées sont très particulières et très différentes de celles que l’on observe dans les régions d’hydrogène ionisé par des étoiles chaudes. Le spectre des noyaux de galaxies de Seyfert 2 est identique à celui des raies étroites des quasars, mais on n’observe pas dans ces galaxies de noyau optique compact et variable comme dans les Seyfert 1; ces noyaux ne sont en général pas des sources de rayonnement X; là encore, tout laisse penser qu’un miniquasar peut être présent, mais, ou bien il est si faible qu’il faudrait d’autres moyens observationnels pour le mettre en évidence, ou bien il nous est caché par un nuage de poussière opaque. Près de 3 p. 100 des galaxies proches sont du type Seyfert 2; près de 5 p. 100 de toutes les galaxies pourraient donc contenir un miniquasar.

3. La source d’énergie des quasars

Les radiogalaxies elliptiques ont une structure radio formée de deux lobes symétriques par rapport à la galaxie. Une fraction des radioquasars ont une structure semblable. De plus, un certain nombre de radiogalaxies ont un noyau optique du type Seyfert 1. Tout cela indique que les radiogalaxies ne se distinguent très probablement des radioquasars que par la faiblesse du noyau optique. Nous avons vu que la puissance émise par ces radiosources était négligeable par rapport à celle que l’on trouve dans les domaines optique ou X. Ce qui est plus intéressant, c’est la quantité d’énergie stockée dans ces lobes radio. On a compris depuis bien longtemps que l’émission radio des sources extragalactiques est due au rayonnement d’électrons ultrarelativistes (c’est-à-dire qui sont animés d’une vitesse très proche de celle de la lumière) accélérés dans un champ magnétique. Lorsqu’on connaît la puissance radio d’une source et le volume responsable de cette émission, il est relativement facile de calculer la quantité totale d’énergie stockée dans les lobes radio sous forme de champ magnétique et de particules relativistes. Certaines radiogalaxies sont extrêmement étendues: leur extension totale peut atteindre 10 millions d’années-lumière (fig. 3). L’énergie stockée est considérable; elle représente l’énergie qui serait libérée par la désintégration totale d’une masse égale à un million de masses solaires; si cette énergie provenait d’une réaction nucléaire, c’est cent millions de fois la masse du Soleil qui serait nécessaire car le rendement d’une telle réaction (c’est-à-dire la fraction de la masse qui est transformée en énergie) n’excède pas 1 p. 100. Et il ne s’agit là que d’une limite inférieure, pour plusieurs raisons: durant les dizaines ou centaines de millions d’années pendant lesquelles les lobes radio se sont peu à peu formés à partir de l’énergie éjectée du noyau de la galaxie, il y a eu des pertes; par rayonnement d’abord, mais une fraction des électrons ultrarelativistes a pu également s’échapper des lobes et disparaître dans l’espace intergalactique; il existe une autre raison, sans doute plus importante encore, qui peut expliquer pourquoi l’énergie totale libérée est supérieure à ce qu’il en reste dans les lobes tels que nous les observons: quel que soit le mécanisme de production d’énergie, il est peu probable que la majeure partie de l’énergie émise le soit sous forme d’électrons relativistes et de champ magnétique. La conclusion inévitable est donc que certains quasars et radiogalaxies contiennent en leur centre une masse qui doit, dans certains cas, dépasser de 10 à 100 millions de fois celle du Soleil, dans un volume très petit comme l’attestent les variations d’éclat rapides observées dans de nombreux quasars. Plusieurs théories ont été élaborées quant à la nature de ce corps massif et compact; celle qui résiste le mieux aux critiques et que bien des astronomes sont prêts à accepter, bien qu’il n’y ait aucune preuve définitive de sa validité, est qu’il s’agit d’un trou noir. Un trou noir est un corps dont la densité est si élevée que la vitesse de fuite à sa surface (la vitesse qu’il faudrait donner à un projectile pour qu’il puisse échapper à son attraction gravitationnelle) est supérieure à la vitesse de la lumière; il en résulte que rien, pas même la lumière – les photons –, ne peut s’échapper de tels corps. La vérité oblige à dire que l’existence même de tels objets est encore hypothétique. Pourtant, si l’on admet leur existence, on peut expliquer raisonnablement certaines propriétés des quasars et surtout la puissance énorme de certains d’entre eux.

Si l’on suppose qu’il existe un trou noir au centre d’une galaxie, le gaz et les étoiles qui l’entourent pourraient subir son attraction et s’en approcher progressivement; on peut démontrer que pendant cette approche le gaz formera un disque en rotation autour du trou noir, la vitesse de rotation augmentant très vite lorsque la distance au trou noir diminue; à cause de sa viscosité, le gaz s’échauffe, atteint des températures très élevées et rayonne dans le domaine X. Le processus que nous venons de décrire n’est pas sorti tout droit du cerveau d’astrophysiciens trop doués d’imagination; il existe dans notre Galaxie un grand nombre d’objets que l’on appelle des binaires X; il s’agit d’étoiles binaires dont l’un des membres est une étoile à neutrons, c’est-à-dire une étoile dont la masse est comprise entre une et trois fois celle du Soleil, mais qui a une densité très élevée, insuffisante toutefois pour être appelée trou noir. La vitesse de fuite à la surface d’un tel astre est de l’ordre du tiers de la vitesse de la lumière seulement, ce qui est déjà considérable. Si la distance entre les deux membres du couple est petite comparée au diamètre du compagnon de l’étoile compacte, il arrive que les couches les plus externes de l’atmosphère de ce compagnon soient capturées par l’étoile à neutrons, qui devient une source de rayonnement X par le processus, dit d’accrétion, que nous venons de décrire.

Il peut en principe exister des trous noirs de n’importe quelle masse. La luminosité d’un trou noir de masse donnée ne peut excéder une certaine limite, directement proportionnelle à cette masse, et que l’on appelle la limite d’Eddington, du nom de l’astronome et physicien anglais Arthur Stanley Eddington, qui l’a mise en évidence. L’explication de cette limite est très simple: l’accrétion peut être extrêmement efficace; il semble que 40 p. 100 de la masse du gaz qui tombe sur le trou noir puisse être libérée sous forme d’énergie, de photons. Tant que la quantité de masse qui tombe par unité de temps sur le trou noir est faible, la luminosité, c’est-à-dire la quantité totale d’énergie libérée, est directement proportionnelle à cette masse. Mais les photons qui s’éloignent entrent en collision avec la matière qui tombe et, lorsque la luminosité atteint la valeur fixée par Eddington, le flux de photons est tel qu’il stoppe la matière qui s’approche; il y a là une sorte d’autorégulation. Il s’ensuit que, lorsqu’on observe un trou noir d’une certaine luminosité, on peut en déduire que la masse de ce trou noir est supérieure à celle qui correspond à la limite d’Eddington; en effet, si elle était plus faible, la luminosité ne pourrait être aussi élevée que celle que l’on observe.

Le quasar de plus grande luminosité que l’on ait découvert est tel que, si un trou noir en est vraiment la source d’énergie, sa masse, à cause de la limite d’Eddington, doit être au moins égale à dix milliards de fois celle du Soleil. Cela représente environ 1 p. 100 de la masse totale d’une galaxie géante.

Il faut remarquer que les quasars aussi lumineux sont très rares et que dans la plupart des cas une masse beaucoup plus petite est requise; le miniquasar observé dans le noyau de la galaxie de Seyfert NGC 4151 pourrait avoir une masse n’excédant pas un million de fois celle du Soleil.

4. Le modèle unifié

On appelle galaxies à noyau actif tous les objets auxquels nous venons de faire allusion plus ou moins rapidement – quasars radioémissifs ou non, radiogalaxies, galaxies de Seyfert de type 1 ou de type 2 – et d’autres, dont nous n’avons pas encore parlé, les objets de type BL Lacertæ. Découverte en 1929 par l’astronome allemand Cuno Hoffmeister dans la constellation du Lézard (Lacerta en latin), BL Lacertæ est une «étoile» variable; on a montré en 1968 qu’elle était associée à une radiosource intense, compacte et elle-même rapidement variable, et qu’il ne s’agissait pas vraiment d’une étoile mais du noyau compact d’une galaxie ayant un décalage spectral de 0,07; son spectre optique est continu, c’est-à-dire qu’il ne présente ni raie en émission ni raie en absorption. Depuis lors, plusieurs dizaines d’objets de ce type ont été découverts. Une de leurs propriétés les plus étranges est que la radiosource qui leur est associée est en général double et que la distance entre les deux composantes croît à une vitesse apparente supérieure à la vitesse de la lumière. Il ne s’agit évidemment là que d’un simple effet de projection, qui se produit si l’une des composantes se dirige vers l’observateur avec une vitesse inférieure à celle de la lumière, mais très voisine de cette dernière. On se trouve donc en présence d’objets possédant une caractéristique commune – une activité importante de leur noyau – mais qui se manifeste sous des formes très diverses.

Au début des années 1980, une découverte importante est venue apporter quelque lumière dans ce désordre apparent: certaines galaxies de Seyfert de type 2, celles dont le spectre optique ne présente pas de raies de l’hydrogène larges, possèdent de telles raies dans l’infrarouge proche. C’est la preuve que les galaxies de Seyfert 2 sont des galaxies de Seyfert 1 dont la partie centrale, responsable de l’émission des raies larges, nous est cachée par un nuage de poussière interstellaire; la poussière absorbe en effet la lumière, mais l’absorbe d’autant plus que la longueur d’onde est plus courte: un nuage peut être transparent dans l’infrarouge et opaque dans le visible. On pense désormais que les galaxies de Seyfert 1 et 2 sont identiques; toutes ont un noyau très compact émettant un spectre continu dont l’intensité varie dans le temps et des raies en émission larges, au centre d’un tore de poussière. Si l’observateur est situé dans une direction proche de l’axe du tore, il voit le noyau; s’il est situé près du plan du tore, le noyau lui est caché par la poussière, l’apparence de l’objet est celle d’une galaxie de Seyfert 2. Le nuage producteur des raies en émission étroites est plus grand que le tore de poussière; il reste donc visible quelle que soit l’orientation de la galaxie par rapport à l’observateur.

Les radiosources extragalactiques – galaxies ou quasars – sont constituées, nous l’avons vu, de deux lobes étendus situés de part et d’autre de l’objet optique; ces lobes sont «nourris» par un double jet d’électrons relativistes issus du noyau. Si l’observateur se trouve situé très près de l’axe du jet, il voit un objet de type BL Lacertæ: les électrons relativistes qui se dirigent vers lui émettent par rayonnement synchrotron des photons dont l’énergie est considérablement augmentée par effet Doppler-Fizeau. Le noyau habituel des quasars est toujours là, mais il est oblitéré par ce rayonnement continu amplifié.

On est donc parvenu à construire un modèle dans lequel toutes les galaxies à noyau actif sont des objets semblables, mais vus sous des angles différents. Il reste cependant une difficulté importante: les objets radioémissifs sont toujours associés à des galaxies elliptiques, alors que les objets non radioémissifs se trouvent aussi bien dans des elliptiques que dans des spirales. Seules les galaxies elliptiques seraient donc capables de fabriquer des jets radio relativistes. Les galaxies elliptiques, ou du moins certaines d’entre elles, résultent de la fusion, à la suite d’une rencontre, de deux galaxies, elliptiques ou spirales. Il se pourrait que ce soit ce phénomène de fusion qui permette la formation d’un jet.

5. L’évolution cosmique des quasars

Lorsqu’on eut constaté que les quasars non radioémissifs sont beaucoup plus nombreux que ceux qui sont associés à une radiosource intense, et réalisé qu’il était relativement aisé de les découvrir, on entreprit de faire des recherches systématiques de ces objets dans des aires limitées du ciel en s’efforçant d’atteindre des magnitudes de plus en plus élevées, c’est-à-dire des objets d’éclat apparent de plus en plus faible. On a pu ainsi estimer la variation du nombre de quasars qui existent dans chaque degré carré du ciel, en fonction de leur magnitude.

Ce nombre croît évidemment avec la magnitude: sur chaque cliché, le nombre de quasars faibles est supérieur au nombre de quasars brillants. Mais, là encore, une surprise attendait les observateurs: le nombre des quasars croît plus vite avec la magnitude qu’il ne le ferait si l’Univers était uniformément peuplé; en d’autres termes, la luminosité ou, cela revient au même, le nombre des quasars augmente avec la distance ou, ce qui est encore équivalent, lorsqu’on remonte dans le temps, puisque la lumière qu’on reçoit de ces objets met d’autant plus de temps à nous parvenir que leur distance est plus élevée. En mesurant le décalage spectral vers le rouge, c’est-à-dire la distance, de tous les quasars observés sur un cliché couvrant une petite portion du ciel, on est en mesure de calculer l’ampleur de cet effet d’évolution; on a pu montrer que le nombre de quasars par unité de volume était 100 000 fois plus élevé il y a 14 milliards d’années (soit 6 milliards d’années après le début de l’expansion, dans le cas d’un Univers âgé de 20 milliards d’années) qu’il ne l’est maintenant, tel que nous l’observons dans notre voisinage; cela bien sûr ne concerne que les quasars les plus lumineux; les autres sont trop faibles pour être détectés aux distances très grandes qui sont ici en cause.

Cependant, l’étude de l’évolution cosmique des quasars est compliquée par les effets amplificateurs des lentilles gravitationnelles. Ce phénomène consiste en ceci qu’un objet massif (une galaxie, un amas de galaxies) peut former deux ou plusieurs images distinctes et amplifiées d’un objet situé derrière lui. Plusieurs dizaines de quasars doubles ou multiples sont connus; le premier d’entre eux fut découvert fortuitement en 1979 par l’astronome britannique Dennis Walsh et ses collaborateurs, Robert F. Carswell et Ray J. Weymann. Ainsi, l’éclat apparent des quasars, ou tout au moins d’une fraction d’entre eux, est supérieur à ce qu’il serait en l’absence de ce phénomène, faussant dans une certaine mesure le calcul de leur luminosité.

Cette constatation que les quasars étaient plus nombreux dans le passé a une conséquence importante si l’on accepte l’hypothèse que les quasars sont les manifestations de trous noirs situés au cœur des galaxies. En effet, la masse d’un trou noir peut croître avec le temps par adjonction de matière qui, en tombant sur lui, le rend lumineux, comme nous l’avons vu; cette masse ne peut jamais décroître, puisque rien ne peut s’échapper du trou noir. On estime qu’il y a 14 milliards d’années une galaxie parmi 100 millions contenait un trou noir dont la masse était au moins égale à 10 milliards de fois celle du Soleil; ce nombre était cent fois plus élevé pour les trous noirs dix fois moins massifs.

On obtient ces nombres en supposant qu’à cette époque les quasars rayonnaient à leur puissance maximale permise par la limite d’Eddington. Mais, à présent, le nombre de quasars de même luminosité est 100 000 fois plus petit; pourtant, les trous noirs, si trous noirs il y a, doivent toujours exister. Cela conduit tout naturellement à faire l’hypothèse qu’un grand nombre de galaxies proches contiennent en leur noyau un trou noir, pas nécessairement aussi massif que les valeurs que nous venons de citer, mais qui pourrait atteindre de un à dix millions de fois la masse du Soleil et qui serait beaucoup moins lumineux que la limite permise par Eddington. Les trous noirs ne sont lumineux que dans la mesure où ils peuvent se nourrir de gaz ou d’étoiles qui, passant à proximité, sont happés dans leur champ de gravité. Si ce gaz ou ces étoiles viennent à manquer, le trou noir s’éteint; et c’est ce qui nous ramène à la recherche de phénomènes de faible intensité dans le noyau des galaxies proches, phénomènes qu’on ne puisse expliquer par des processus plus conventionnels et qui seraient des indices de la présence d’un trou noir de masse relativement élevée, mais «à court de combustible». Nous avons vu qu’une galaxie sur vingt au moins contient très probablement un miniquasar; mais on a observé, dans peut-être 50 p. 100 de toutes les galaxies proches, des indices d’activité à un faible niveau qui pourrait trahir la présence d’un trou noir; cela cependant, même si l’on croit à l’existence des trous noirs, est encore extrêmement spéculatif.

Quelle que soit leur véritable nature, les quasars sont néanmoins des objets extrêmement utiles pour étudier les propriétés de l’Univers à très grande distance; ils sont en effet, et de loin, les objets les plus lumineux que la nature ait conçus, ce qui permet de les observer alors même qu’ils sont aux confins de l’Univers.

Le quasar connu le plus lointain a une vitesse de récession égale à 94,4 p. 100 de la vitesse de la lumière. L’âge de ce quasar correspond à environ 7 p. 100 de l’âge de l’Univers, lui-même compris entre 15 et 20 milliards d’années. Il existait donc déjà lorsque l’Univers n’avait encore qu’un peu plus d’un milliard d’années. Ce temps très court à l’échelle astronomique a suffi pour former non seulement une galaxie, mais aussi un trou noir massif en son centre, ce qui pose des problèmes pour les théories actuelles de la formation des galaxies. Ces problèmes deviendraient plus aigus encore si des objets ayant une vitesse plus grande venaient à être découverts. Nous pourrions alors être contraints à prendre au sérieux des théories selon lesquelles les trous noirs seraient nés tout au début de l’Univers, avant les galaxies, qui se seraient alors formées autour d’eux.

Mais si ce que nous avons dit plus haut se vérifiait, si les quasars n’étaient pas un accident affectant un petit nombre de galaxies, mais si au contraire on arrivait à prouver que chaque galaxie contient en son noyau un trou noir massif, trou noir dont la formation remonterait aux premiers âges de l’Univers et qui peut-être se serait formé au moment même où les galaxies se sont condensées à partir de la matière diffuse qui remplissait l’Univers, il se pourrait que ceux-ci, qui, à leur début, rayonnaient une quantité d’énergie considérable car ils disposaient d’autant de gaz qu’ils pouvaient en consommer, aient eu une grande importance dans la façon dont les galaxies ont évolué.

Et peut-être est-ce là l’une des raisons pour lesquelles une part importante des moyens d’observation dont les astronomes disposent – télescopes, radiotélescopes, satellites – est consacrée à l’étude de ces objets passionnants.

Encyclopédie Universelle. 2012.