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WANG ANSHI
WANG ANSHI

WANG ANSHI [WANG NGAN-CHE] (1021-1086)

En 1058, alors qu’il n’est encore qu’un fonctionnaire provincial réputé pour son intégrité et son efficacité, Wang Anshi adresse au trône son Mémoire de dix mille mots (Wanyanshu ), où il suggère une série de mesures pour sortir l’empire des Song d’une situation devenue fort délicate: crise sociale et fiscale, finances lourdement déficitaires, guerre avec les Xixia au nord-ouest, etc. En 1069, appelé à la cour par l’empereur Shenzong juste monté sur le trône, il tente, avec l’appui enthousiaste du jeune souverain, de mettre ses idées en application, et il va le faire avec une singulière énergie. Le train de réformes, audacieuses et controversées, qu’il lance pendant les cinq années suivantes — les «nouveaux règlements» (xinfa ) — n’a pas d’équivalent avant la fin du XIXe siècle. La visée n’est d’ailleurs pas sans rapports: dans les deux cas il s’agit d’«enrichir l’État et renforcer l’armée» (fu guo qiang bing ) pour faire face à la crise intérieure et à la menace extérieure. L’exaltation du rôle de l’État est au cœur de la pensée de Wang Anshi, dont le texte de référence est le Rituel des Zhou , une description idéalisée du gouvernement de la dernière dynastie royale. Il s’agira donc, d’abord, de rendre la bureaucratie plus efficace et d’accroître son dévouement à l’État. Ce qui fait aussi l’originalité de cette pensée, c’est l’idéal d’une économie en expansion, poussée par l’intervention de l’État, permettant à celui-ci d’augmenter substantiellement ses prélèvements et d’accroître en retour la prospérité de la population. En dépit de la réputation qui lui sera faite par la suite, Wang n’est pourtant pas un légiste uniquement soucieux de puissance et de rendement fiscal: en bon confucéen, sa visée ultime est l’éducation du peuple et l’harmonie sociale; mais son bref passage au pouvoir ne lui a laissé le temps que de s’attaquer aux aspects les plus immédiatement pratiques de son programme. Les principales réformes mises en route en 1069-1074 portent sur les domaines suivants:

Mesures fiscales . Une «Commission de planification des finances» est chargée de proposer des réformes et de superviser la gestion financière de l’État. Un effort de rationalisation est fait dans différents domaines. Les livraisons en nature à l’État sont réorganisées de manière à alléger les charges de la population et les coûts de transport: l’État achète, stocke et vend en fonction de ses besoins et des productions locales. Le cadastrage des terres et l’«impôt égalisé» visent à rendre l’impôt foncier plus juste et à éliminer l’évasion fiscale. La corvée est réformée: aux réquisitions par rotation pour le service du gouvernement se substitue une taxe progressive en monnaie, touchant l’ensemble de la population, et dont le produit sert à payer les agents engagés par l’administration.

Mesures d’aide économique . Outre un vaste effort pour accroître la productivité (irrigation, etc.), Wang Anshi met en place un système de prêts publics à faible intérêt pour aider les paysans pauvres à passer la soudure sans recourir à l’usure; les prêts sont en monnaie, les remboursements en principe en grains. Cette mesure est parmi les plus impopulaires auprès des possédants. Une mesure parallèle vise à protéger les petits commerçants des spéculations des grands marchands en leur accordant des prêts, ainsi qu’à stabiliser les prix en faisant acheter leurs stocks par l’administration en cas de mévente.

Réforme de l’administration . Le personnel clérical est pourvu de salaires, contrôlé beaucoup plus étroitement qu’auparavant, et ses membres les plus méritants peuvent désormais faire carrière dans la bureaucratie régulière. Comme on l’a vu, le personnel d’exécution est désormais engagé et payé par l’administration locale (cette pratique durera jusqu’à la fin de l’empire).

Réforme du système d’enseignement . L’Académie impériale, destinée à devenir une pépinière de fonctionnaires, est agrandie et réorganisée. De nombreuses écoles sont créées dans les préfectures. L’enseignement accorde une grande place aux interprétations des classiques imposées par Wang Anshi, mais aussi aux matières concrètes (droit, administration financière, etc.). Dans les examens, les questions pratiques prennent de l’importance au détriment de l’habileté littéraire.

Défense et sécurité . La grande innovation est l’institution des baojia , groupes de surveillance mutuelle destinés à assurer la sécurité locale et, à terme, à permettre le recrutement d’une armée de conscription pour défendre les frontières. On essaie aussi de confier l’élevage des chevaux à la population rurale.

Le succès de ces réformes reposait sur la coopération d’une bureaucratie qui soit intègre et dévouée. Sur ce plan, l’échec de Wang Anshi est patent. La majorité du fonctionnariat, sensible à l’opposition des grands propriétaires et des marchands à un ensemble de mesures qui les privent de nombreuses sources de profit, refuse son appui à Wang. De plus en plus isolé, il démissionne en 1074, pour être rappelé l’année suivante, puis se retire définitivement en 1076. Son œuvre est néanmoins maintenue pour l’essentiel jusqu’à la mort de Shenzong (1086). Les conservateurs, menés par l’historien Sima Guang, font alors un retour en force, mais ils réussissent si mal qu’à la majorité de l’empereur Zhezong (1093) ils doivent rendre le pouvoir aux réformateurs, qui le garderont jusqu’à la chute des Song du Nord (1126).

Wang Anshi aura en tout cas restauré la santé financière de l’État Song, ce qui n’était pas un mince exploit, encore que le fardeau qui pesait sur la population en ait été accru. Nombre de ses innovations ont été sabotées de son vivant, ou dénaturées pendant la «post-réforme» d’après 1093, mais d’autres ont été irréversibles. Si l’on considère l’ampleur de sa vision des fonctions économiques de l’État, on peut dire qu’il n’a pas eu d’héritiers; en revanche, certains développements amorcés pendant son passage au pouvoir n’ont fait que s’amplifier jusqu’à la fin des Song: la centralisation administrative et la concentration du pouvoir au sommet, l’évolution vers une forme d’absolutisme impérial, et aussi une intolérance et un conformisme croissants dans la vie politique et intellectuelle, notamment après 1093, qui ont contribué à discréditer aux yeux de la postérité cette phase d’extraordinaire créativité institutionnelle, menée par un lettré et un homme d’État de carrure exceptionnelle.

Encyclopédie Universelle. 2012.