CANTATE
Issu de cantare , qui signifie «chanter», le mot «cantate» est l’exact pendant du mot «sonate», issu de sonare . La définition de la cantate est donc «quelque chose qui se chante». Semblable dénomination ne peut, tout au moins au début, recouvrir une forme très précise. Aussi les premières cantates ne sont-elles pratiquement que des airs, à une ou plusieurs voix, avec accompagnement d’instruments, sans autre caractéristique. Il y eut, du reste, des cantates bien avant que le terme fût utilisé. Les essais tentés au XVIe siècle dans le sens d’un mélange des voix et des instruments mènent directement à de véritables cantates. Lorsque, dès 1539, Luca Martini compose une œuvre pour le mariage d’Éléonore de Tolède avec Côme de Médicis, il écrit, sans qu’elle en porte le titre, une cantate de cour. Lorsque Monteverdi, un peu plus tard, compose des madrigaux concertants, il compose vraiment des cantates dramatiques. Le terme est tellement vague qu’il peut couvrir des œuvres totalement diverses avant le XVIIIe siècle, la cantate peut être destinée à la chambre, ou au concert, ou encore à l’église. On voit que le champ est singulièrement large. Quant au terme lui-même, il apparaît pour la première fois en 1620, dans le titre d’un recueil du compositeur vénitien Alessandro Grandi, Cantade e Arie a voce sola . En 1676, Giovanni Maria Bononcini intitule une de ses œuvres Cantata da camera . Le terme a enfin trouvé sa forme définitive, même s’il va continuer de recouvrir des compositions de caractères extrêmement différents.
La cantate de chambre
Ce ne sera que par hasard, et par une utilisation abusive du mot, que la cantate prendra à certains moments de l’histoire musicale un sens plus précis. Il faut bien affirmer que, la plupart du temps, le terme servira aux compositeurs à «chapeauter» un peu n’importe quelle œuvre comportant du chant – de préférence choral – accompagné. De sorte qu’on ne peut presque jamais parler de style fixe pour les cantates au XVIIe siècle. Cantates «de chambre», cantates de concert ou d’église, les compositeurs en fixent au fur et à mesure la forme suivant les besoins ou l’inspiration du moment.
On doit se borner à donner pêle-mêle quelques noms pour situer et suivre l’évolution du genre à travers ses premiers balbutiements. Pour la «cantate de chambre», c’est l’Italie qui donne le la . Tosi à Bologne, Caccini et Rossi à Rome, mais surtout l’école vénitienne (Cavalli, Cesti et Vivaldi) et l’école napolitaine (Stradella et Scarlatti) mettent à la mode cette forme de cantate profane destinée aux divertissements des riches personnages qui ont les moyens de faire exécuter de la musique à leur domicile.
La cantate profane de concert
Lorsque la cantate de chambre prend des proportions plus grandes, elle dépasse les limites du salon, où elle se confinait, et gagne l’estrade des salles de concert. Encore faut-il ne jamais oublier que les concerts, en cette époque lointaine, ne touchent qu’une infime minorité, puisque le «grand public», celui qui va aujourd’hui au concert, n’existe point encore. Il ne s’agit donc pas, pour la cantate, de changer d’utilisateur: c’est toujours le même monde de privilégiés qui est le client normal des compositeurs, sauf de très rares exceptions. C’est donc seulement une question de dimension qui distingue la cantate de chambre de la cantate profane de concert. Cette dernière devient une sorte de petit opéra, privé des prestiges de la scène, dans lequel la musique joue un rôle d’autant plus important qu’il n’y a point de décors pour situer l’intrigue. Toutes proportions gardées, la cantate, œuvre de «musique pure» dans la mesure où le jeu scénique n’existe pas, est comparable aux œuvres conçues pour la radiodiffusion, et dans lesquelles l’expression, dans sa totalité, vient de la musique, et de la musique seule. Les Diletti pastorali de Schein, les Cantaten de Caspar Kittel, les Arien de Heinrich Albert – toutes œuvres imitées de l’italien – montrent de quelle faveur la cantate de concert jouit dès la première moitié du XVIIe siècle en Allemagne. Plus tard, et toujours en Allemagne, cette «grande cantate» trouvera de merveilleux illustrateurs avec Telemann, Keiser, Hasse, Haendel, les deux Haydn, Mozart lui-même, sans parler de quelques œuvres de Bach. En réalité, c’est en France que ce genre va rencontrer sa forme la plus riche et la plus flatteuse. Entre 1680 et 1750, de nombreux compositeurs français s’attaquent, en effet, avec succès au genre. Ils y mettent tout ce qu’une époque, raffinée s’il en fut, leur suggère; de plus, cette période coïncide exactement avec l’épanouissement du classicisme musical. On sait que la littérature et la musique sont en perpétuel décalage dans leur évolution. Plus d’un quart de siècle et parfois cinquante années séparent une œuvre littéraire de son équivalent musical. Lully est à un demi-siècle de distance de Malherbe, Monteverdi vient cinquante ans après Ronsard, et Rameau ou Bach écrivent leurs grands chefs-d’œuvre quarante à cinquante ans après Racine et Molière. C’est d’ailleurs ce qui explique l’hiatus qui existe entre le texte de Molière, par exemple, et la musique que Lully compose pour lui. Alors que la grande école classique, en littérature, vient à sa pleine efflorescence de 1670 à 1680, les grands classiques musicaux, eux, ne commencent pas avant 1720 (Rameau naît en 1683, Bach, Haendel et Domenico Scarlatti naissent en 1685). De Marc Antoine Charpentier à Rameau, en passant par Destouches, Monteclair, Clérambault, Campra ou Boismortier, l’école française produit de véritables chefs-d’œuvre dans un genre qui, traité par ces compositeurs, tend à devenir un opéra de salon complet, avec airs, récitatifs, ensembles, chœurs, et épisodes orchestraux descriptifs. À l’époque, la cantate était considérée comme le domaine privilégié où pouvaient se mêler étroitement, en une synthèse idéale, la vivacité du style italien et la délicatesse du style français.
La cantate sacrée
La cantate, au XVIIIe siècle, connaît, dans le champ de la musique sacrée, un avatar important: il s’agit de la cantate d’église du culte luthérien, celle-là même qu’illustrera avec tant de bonheur J.-S. Bach. On connaît la part prépondérante que tient, dans la liturgie luthérienne, l’assemblée des fidèles. Ces derniers ont à chanter ensemble des morceaux destinés à la méditation commune, les chorals. C’est donc autour de ces chorals que va s’articuler la cantate d’église au XVIIIe siècle. Considérée comme une simple prédication en musique, la cantate s’écarte de l’oratorio dans la mesure où elle refuse tout élément véritablement dramatique ou épique. L’anecdote est absente de la cantate. Les solistes eux-mêmes ne sont que des représentants de l’assemblée des fidèles. Sans doute est-ce Bach qui en a donné les plus prestigieux exemples. Mais la voie avait été tracée avant lui par des compositeurs comme Pachelbel ou Buxtehude, dont il s’est profondément inspiré. Chez Bach lui-même, les cantates de la jeunesse se distinguent de celles de l’âge mûr; dans les premières cantates, les textes sont tirés directement des saintes Écritures, alors que ce sont des poètes d’inspiration mystique – Salomo Franck, par exemple – qui lui fournissent, dans les cantates de la maturité, ce que l’on peut bien appeler des livrets; l’influence de l’opéra italien sera d’ailleurs très sensible dans ces dernières, ne serait-ce que dans la forme même des airs. À la même époque, Haendel compose ses anthems , qui, dans le cadre de l’Église anglicane, correspondent exactement aux cantates luthériennes. Après la fin du XVIIIe siècle, la cantate, au sens où l’entend Bach, perd toute faveur auprès des fidèles. On ne la retrouvera que bien plus tard, et au concert.
Métamorphoses de la cantate
Il semble que le mot même de cantate ait pris, dès lors, un sens quasi officiel, et même, parfois, péjoratif. Les fêtes de la Révolution française sont le prétexte à bien des manifestations populaires où la musique a sa place sous forme de cantates académiques. L’Empire enchaîne avec cette mode, ce qui nous vaut des œuvres compassées et assez inutiles de Lesueur ou de Méhul.
Enfin, le XIXe siècle voit fleurir un grand nombre d’ouvrages où l’orchestre se mêle aux chœurs, et qui peuvent, par retour à l’étymologie, prendre le nom de cantates. Mais il semble que ce soit là un abus de vocabulaire. Le mot de cantate reprend, en effet, le caractère très vague qu’il avait à l’origine, et il est fait fi de la lente évolution qui avait amené la cantate à sa forme du XVIIIe siècle. Aussi imprécis que le terme de prélude, le mot de cantate a retrouvé à l’époque contemporaine une faveur certaine auprès des compositeurs. L’immense variété des œuvres qu’il sert à nommer rend inutile de les énumérer.
La «cantate de Rome»
Néanmoins, il est un genre de cantate qui, entre 1803 et 1968, a conservé le même contenu. Il s’agit de l’œuvre pour trois solistes et orchestre qui servait de travail imposé aux concurrents du concours de Rome de composition musicale. On connaît le déroulement de ce concours; il menait à ce «premier grand prix de Rome» qui, en France, constituait la plus haute récompense à laquelle pouvait prétendre un musicien: une première épreuve, qui durait six jours, obligeait les candidats à écrire (sans l’aide d’un piano) une fugue d’école et un chœur avec orchestre sur des paroles imposées; après ce premier «galop», six candidats étaient retenus par le jury (la section musicale de l’Académie des beaux-arts et trois jurés adjoints); ces six candidats étaient à nouveau enfermés, mais pour cinq semaines cette fois, aux prises avec un livret, conçu pour trois personnages, dont ils devaient faire un ouvrage lyrique d’environ vingt-cinq minutes, pour trois chanteurs et orchestre. On a bien décrié cette malheureuse cantate. Il est vrai, trop vrai, qu’elle était souvent écrite en vers de mirliton, et que la vérité dramatique n’y apparaissait que bien faiblement. Il n’en reste pas moins qu’elle permettait aux candidats doués de faire la preuve de leur talent, sinon de leur génie. Des interludes orchestraux, des airs, des ensembles donnaient au jury le loisir d’apprécier facilement les qualités des candidats. Pendant les dernières années de l’existence du concours, la cantate fut remplacée par un poème lyrique, d’une forme beaucoup plus lâche, qui, à notre sens, était beaucoup moins probant que la bonne vieille cantate.
cantate [ kɑ̃tat ] n. f.
• 1703; it. cantata « ce qui se chante » → sonate
♦ Scène lyrique à un ou plusieurs personnages avec accompagnement; musique d'une telle scène. Les récitatifs, les airs, les chœurs d'une cantate. Les cantates religieuses, profanes, de J.-S. Bach.
● cantate nom féminin (italien cantata, de cantare, chanter) Composition profane ou religieuse à une ou plusieurs voix, avec accompagnement.
cantate
n. f. Pièce musicale à caractère lyrique composée pour une ou plusieurs voix avec accompagnement d'orchestre.
⇒CANTATE, subst. fém.
A.— Vx, LITT. Poème lyrique écrit pour être mis en musique et chanté :
• 1. Entre toutes ces poésies [grecques] les plus populaires (...) sont les cantates qui célèbrent les vainqueurs des quatre grands jeux.
TAINE, Philos. de l'art, t. 2, 1865, p. 178.
B.— MUS. Pièce vocale, d'inspiration profane ou religieuse, pour une ou plusieurs voix, composée de récitatifs et d'airs. Les cantates de J.-S. Bach.
— P. méton. Paroles ou musique d'une telle pièce :
• 2. Oui, ce sera un des progrès de l'empire : il aura donné à tout, jusqu'à l'esprit français, une bassesse, un goût de police, je ne sais quelle laide et lâche tournure d'agent provocateur. Le pamphlet, en ce temps-ci, sera une des formes de la cantate. Juvénal a son mot d'ordre et Molière vise le sénat.
E. et J. DE GONCOURT, Journal, 1862, p. 1180.
Prononc. et Orth. :[]. Ds Ac. 1718-1932. Étymol. et Hist. 1703 (BROSSARD, Dict. de mus., Paris, in-fol., s.v. cantata : au plur. cantate. On commence à rendre ce terme François, par celuy de Cantate). Empr. à l'ital. cantata (fin XVIe s. d'apr. DEI), part. passé substantivé du verbe cantare correspondant à chanter. Fréq. abs. littér. :67.
DÉR. Cantatille, subst. fém., peu usité. Petite cantate, généralement à une seule voix. Mon ami le bachelier (...) qui passa toute une nuit pluvieuse à sonner des cantatilles sur sa mandoline, au pied de la croisée d'une belle (NODIER, La Fée aux miettes, 1831, p. 62). — Dernière transcr. ds DG : kan-tà-'. Finale transcrite avec [] mouillé ds FÉR. Crit. t. 1 1787, GATTEL 1841, NOD. 1844, FÉL. 1851 et LITTRÉ; avec yod ds LAND. 1834 et DG. — 1re attest. 1752 (Trév. Suppl.); de cantate, suff. -ille. — Fréq. abs. littér. : 1.
BBG. — HOPE 1971, p. 357. — KOHLM. 1901, p. 36.
cantate [kɑ̃tat] n. f.
ÉTYM. 1703; ital. cantata « ce qui se chante », p. p. fém. de cantare « chanter »; → Sonate, toccata.
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1 Didact. Poème lyrique écrit pour être mis en musique et chanté.
2 Mus. (plus cour.). Pièce musicale composée sur un tel texte lyrique, pour une ou plusieurs voix accompagnée(s). || Récitatifs, airs, duos d'une cantate. || Cantate pour soprano, ténor et orchestre à cordes. || Cantate religieuse, sacrée. || Cantates profanes. || Les cantates de Bach.
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DÉR. Cantatille.
Encyclopédie Universelle. 2012.