ABLATIF
ABLATI
Dans les langues à flexion, l’ablatif est une forme marquée dont les valeurs syntaxiques sont diverses. Les grammairiens de l’Antiquité lui avaient donné ce nom issu du radical latin qui signifie «ôter» dans la mesure où ils étaient sensibles à l’un de ses principaux rôles, celui de désigner une opération d’extraction; des emplois souvent voisins, sémantiquement, rappellent cette fonction essentiellement spatio-temporelle, qu’il s’agisse de marquer l’origine d’un procès (localisation ou agent) ou encore sa datation ponctuelle.
En réalité, et pour s’en tenir au domaine indo-européen, l’emploi de l’ablatif dans le syntagme prépositionnel ne doit pas faire oublier les autres types de distribution complémentaire où se dessinent différentes oppositions. Dans l’opposition entre prépositions suivies de l’accusatif et prépositions suivies de l’ablatif, c’est généralement le contenu sémantique qui est en jeu; ainsi, l’opposition sera pertinente pour traduire le fait qu’il y ait ou non déplacement. L’opposition entre régime à l’accusatif et régime à l’ablatif est souvent le fait de contraintes lexicales superficielles. Enfin, par rapport à l’opposition entre degré plein et degré zéro de la préposition, un système comme le latin accorde à des classes de mots prises globalement (les noms géographiques, les êtres animés, etc.) des statuts particuliers.
La plupart de ces couples, véritables sous-systèmes, s’expliquent par le fait que l’ablatif, lorsqu’il est représenté dans la flexion (comme c’est le cas en latin), a hérité les valeurs d’un ancien instrumental disparu et d’un locatif qui ne subsiste qu’à l’état de traces archaïques. Lorsque le système flexionnel n’a pas conservé l’ablatif (cas du grec), ses valeurs sont transférées au génitif ou au datif, ce qui aurait tendance à prouver que le contenu sémantique de l’opération exprimée par un cas n’a pas de réalité mentale universelle, mais seulement une valeur grammaticale dans un système donné.
ablatif [ ablatif ] n. m. et adj.
• XIVe ; « qui enlève » XIIIe; lat. ablativus
I ♦ N. m. Ling. Cas de la déclinaison latine, indiquant qu'un substantif sert de point de départ ou d'instrument à l'action. Mettre un mot à l'ablatif. Ablatif absolu : proposition participiale dont le sujet et le verbe sont à l'ablatif.
II ♦ Adj. (1970; repris à l'angl. ablative, de to ablate) Propre à l'ablation.
● ablatif nom masculin (latin ablativus, de ablatus, enlevé) Cas, utilisé en latin, en sanskrit, en finnois, etc., exprimant la séparation, l'éloignement. ● ablatif (expressions) nom masculin (latin ablativus, de ablatus, enlevé) Ablatif absolu, en latin, proposition participiale circonstancielle à l'ablatif.
ablatif
n. m. LING Cas de la déclinaison latine exprimant le point de départ, l'origine, la séparation, l'éloignement.
⇒ABLATIF, subst. masc.
Cas de la déclinaison lat. réservé principalement au compl. circ.
Il marque le point de départ, l'éloignement, la séparation. Il s'emploie sans prép. ou avec les prép. ab, de, ex, etc.
Il marque par ailleurs le rapport instrumental, en partic. l'instrumental d'accompagnement quand il est lié à cum :
• 1. L'ablatif proprement dit — ou ablatiuus casus du latin auferre (ablatum) « ôter, enlever » — marque le point de départ, l'éloignement, la séparation. Au sens local, comme complément des verbes de mouvement, c'est l'ablatif de la question unde (...).
L'ancien instrumental, en plus du moyen proprement dit, exprimait l'accompagnement (casus sociatiuus), comme du reste en français la préposition avec (...). Mais alors que le latin emploie l'ablatif seul dans la fonction d'instrument, il tend à le caractériser habituellement par la préposition cum dans celle d'accompagnement (...).
L'ablatif instrumental, maintenu sans la préposition cum, indique le moyen, c'est-à-dire avec quoi l'action est faite, et il s'applique le plus souvent à des objets ou à des choses, que le verbe soit à l'actif ou au passif ...
ERN.-TH. 1959 (1re éd. 1951), § 101, 109, 113.
Rem. 1. Le mot entre dans des expr. où le compl. déterminatif désigne des effets de sens partic. :
— Ablatif de la circonstance concomitante (ERN.-TH. 1959 [1re éd. 1951], § 111)
— Ablatif de différence (ERN.-TH. 1959 [1re éd. 1951], § 117)
— Ablatif de manière (ERN.-TH. 1959 [1re éd. 1951], § 117)
— Ablatif de mesure (ERN.-TH. 1959 [1re éd. 1951], § 117)
— Ablatif de point de vue (ERN.-TH. 1959 [1re éd. 1951], § 117)
On parle parfois dans les gramm. scol. du lat. de :
— Ablatif d'agent
— Ablatif d'abondance
— Ablatif de cause
— Ablatif de châtiment
— Ablatif de durée
— Ablatif de privation
— Ablatif de prix
— Ablatif de qualité (ERN.-TH. 1959 [1re éd. 1951], § 112)
Pour ablatif absolu, cf. absolu.
Pour ablatif-locatif, cf. locatif.
Rem. 2. La notion d'ablatif n'appartient pas à la gramm. fr. Certains y ont cependant recours pour définir qq. emplois des prép. à et de :
• 2. « Ablatif » temporel. A l'ablatif de lieu du type : Il arrive de Paris, correspond ce qu'on pourrait appeler un ablatif-temporel : A quelques semaines de là, maman demanda de l'argent ...
LE BIDOIS 1967 (1re éd. 1935), § 1835.
Prononc. :[ablatif].
Étymol. — Corresp. rom. : a. prov., n. prov., cat. ablatiu; esp., port., ital. ablativo; roum. ablativ.
I.— Subst. 2e moitié XIVe s. « cas de la déclinaison indiquant qu'un subst. sert de point de départ ou d'instrument à l'action » terme gramm. (Jean LEFÈVRE, La Vieille, Cocheris, 109 ds Rev hist. litt., I, 179 : Pourquoi il aime l'ablatif Puisqu'il n'a cure du datif).
II.— Adj. Fin XIVe s. [sans indication de sens] (Aalma, 29 ds Roques, Rec. lex., II, p. 6 : ablatiuus, tiua, tiuum : ablatif). Mil. XVe s., terme gramm. empl. par jeu de mot (Ch. D'ORLÉANS, Rondeaux, éd. P. Champion, XIX, 9 : Quant rencontré a un accusatif Qui sa robe lui a fait ablative ... [le galant a perdu sa robe en sautant par la fenêtre]).
Sens I empr. au lat. ablativus subst., terme de gramm. dep. QUINTILIEN, Inst. orat. 1, 4, 26 ds TLL s.v., 104, 23; cf. IVe s. Ps. SERGIUS, Gram. Keil IV, 535, 1 ibid., 14 : ablativus dictus, quod per eum auferre nos ab aliquo aliquid significemus ut « ab hoc magistro »; fréq. en lat. médiév. (Mittellat. W. s.v.); sens II au lat. ablativus adj., terme de gramm. « qui régit l'ablatif » : Ve s. Pompei comment. artis Donati, Keil V, 274, 33 ds TLL s.v., 104, 79.
HIST. — La réflexion des théoriciens de la gramm. fr. aux XVIe, XVIIe s., XVIIIe s. sur la nature de l'ablatif a très souvent pris les formes d'une mise en cause de la dénomination de ce cas gramm. : a) Ils récusent l'appellation d'ablatif parce qu'elle est sém., qu'elle ne correspond qu'à une partie des emplois de l'ablatif. J.-C. Chevalier (cf. bbg. op. cit. pp. 346-349) écrit : ,,Sanctius rappelle que Scaliger a protesté contre les dénominations accordées aux cas et proposé qu'ils fussent purement et simplement numérotés; on se rappelle que Scaliger comme Ramus voyaient dans cette procédure un moyen (...) de se débarrasser d'une gênante captatio : la référence à « l'appel » du cas vocatif, au « don » du cas datif, ou surtout à « l'accusation » du cas accusatif a entraîné toutes sortes de fortes discussions ...`` D'où la dénomination fréquente de sixième cas pour l'ablatif ds les dict. des XVIIe et XVIIIe s. L'article ablatif de C.-C. du Marsais ds Encyclop. repris ds le Dictionnaire de grammaire et de littérature (1789) se situe dans cette tradition : ,,Ablatif (...) C'est le sixième cas des noms latins. Ce cas est ainsi appelé du latin ablatus, ôté, parce qu'on donne la terminaison de ce cas aux noms latins qui sont le complément des prépositions a, absque, de, ex, sine, qui marquent extraction ou transport d'une chose à une autre (...) : ce qui ne veut pas dire qu'on ne doive mettre un nom à l'ablatif que lorsqu'il y a extraction ou transport; car on met aussi à l'ablatif un nom qui détermine d'autres prépositions, comme clam, pro, prae, etc. Mais il faut observer que ces sortes de dénominations se tirent de l'usage le plus fréquent, ou même de quelqu'un des usages. C'est ainsi que Priscien, frappé de l'un des usages de ces cas, l'appelle cas comparatif; (...) Varron l'appelle cas latin, parce qu'il est propre à la langue latine.`` N. Beauzée, dans une note ajoutée à cet art., écrit : ,,Quant à l'origine du nom Ablatif, telle que l'assigne ici M. du Marsais avec les autres grammairiens, il est clair qu'on auroit pu, avec autant de fondement, donner à ce cas un tout autre nom (...). En effet, s'il se joint à absque, sine, il se joint aussi à cum, qui a un sens contraire; s'il détermine de, ex, il détermine aussi pro. Est-il croyable qu'on ait donné à ce cas un nom qui ne caractérise que l'un de ses usages, et qu'on n'ait pas eu l'intention ou l'adresse de le désigner d'une manière qui lui convînt partout?`` N. BEAUZÉE, Gramm. (1789). b) Certains grammairiens proposent d'appeler l'ablatif cas de la préposition. ,,Sanctius l'appelle cas de la préposition; l'appeler ablatif est une dénomination d'un cas très particulier, car l'ablatio n'est qu'une des possibilités de l'ablatif.`` (J.-C. CHEVALIER, op. cit., p. 349) : ,,... car, comme les cinq premiers cas n'ont pas pu suffire pour marquer tous les rapports que les choses ont les unes aux autres, on a eu recours, dans toutes les langues, à une autre invention, qui a été d'inventer de petits mots pour être mis avant les noms, ce qui les a fait appeler prépositions (...). Et en latin, quoiqu'il y en ait qu'on joigne à l'accusatif, amor erga Deum, amour envers Dieu, on a néanmoins inventé un cas particulier, qui est l'ablatif, pour y en joindre plusieurs autres, dont il est inséparable dans le sens, au lieu que l'accusatif en est souvent séparé, comme quand il est après un verbe actif ou devant un infinitif.`` (O.-C. ARNAULD, II, VI, p. 27 ds J.-C. Chevalier, op. cit., pp. 522-523). ,,Sanctius, Vossius, la méthode de Port-Royal, et les grammairiens les plus habiles, soutiennent que l'ablatif est le cas de quelqu'une des propositions qui se construisent avec l'ablatif; en sorte qu'il n'y a jamais d'ablatif qui ne suppose quelqu'une de ces prépositions exprimées ou sous-entendues.`` (C.-C. DU MARSAIS, Gramm. 1789).
STAT. — Fréq. abs. litt. :4.
BBG. — CHEVALIER (J.-C.). Histoire de la syntaxe, naissance de la notion de complément dans la grammaire française (1530-1750). Genève, 1968, pp. 346-349. — DEM. 1802. — Gramm. 1789. — MAR. Lex. 1961 [1951]. — SPRINGH. 1962.
ablatif [ablatif] n. m. et adj.
ÉTYM. XIVe; au XIIIe « qui enlève »; du lat. ablativus.
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1 N. m. Ling. Sixième cas de la déclinaison latine, indiquant qu'un substantif sert de point de départ ou d'instrument à l'action. || Mettre un mot à l'ablatif. || Ablatif absolu.
0 Le français a perdu sa déclinaison, et cependant il continue d'employer des ablatifs absolus. — « Lui mort, toutes nos espérances sont anéanties. » — « La nouvelle s'étant répandue, des attroupements se formèrent. »
Michel Bréal, Essai de sémantique, p. 53.
2 Adj. (V. 1970; repris à l'angl. ablative, de to ablate). Propre à l'ablation. || « Le choc thermique très intense peut également rendre fragile le revêtement ablatif que l'on trouve sur tous les corps de rentrée actuels, voire le fissurer » (la Recherche, p. 227, juil.-août 1970).
Encyclopédie Universelle. 2012.