CROSSOPTÉRYGIENS
Le terme de Crossoptérygien fut créé par Huxley (1861) pour regrouper les Cladistia, ou Brachioptérygiens (Polypterus , Calamoichthys ) actuels avec divers poissons fossiles, dont les Actinistia, ou Cœlacanthiformes, qui n’étaient alors pas encore connus dans la nature actuelle. Plus tard, la classification des Crossoptérygiens subit de nombreuses modifications, notamment à la suite du regroupement des Cladistia avec les Actinoptérygiens. De nos jours, le terme de Crossoptérygien tend à être abandonné car il correspond à un regroupement artificiel de poissons actuels et fossiles dont les caractères sont très âprement discutés.
Le mieux connu des Crossoptérygiens est l’unique Actinistien actuel, Latimeria chalumnae (le «cœlacanthe»), pêché en 1938 sur la côte orientale de l’Afrique du Sud par J. L. B. Smith. La découverte de cet animal provoqua une grande émotion car on croyait les Cœlacanthidés éteints depuis la fin du Crétacé. Depuis cette date, près de quatre-vingts exemplaires de cette espèce ont été capturés, et il a été possible d’étudier son comportement dans son milieu naturel. L’étude anatomique de Latimeria chalumnae a été principalement effectuée au Muséum de Paris par J. Millot, J. Anthony et D. Robineau, à partir de spécimens pêchés aux Comores.
Le cœlacanthe: exemple de Crossoptérygien actuel
Latimeria chalumnae vit dans la région du canal de Mozambique par des fonds de 700 m en moyenne (il convient de remarquer immédiatement qu’à l’ère primaire, les cœlacanthes vivaient dans des eaux peu profondes et avaient une répartition mondiale). Son corps épais (fig. 1), ramassé, ce qui en fait un médiocre nageur, se termine par une queue apparemment protocerque mais, en réalité, diphycerque, qui est séparée en deux lobes par un prolongement axial en éventail. Les écailles, de type cosmoïde, sont de grande taille. En plus de la caudale, on compte sept nageoires.
De façon générale, on peut considérer que le squelette est régressé par rapport aux formes fossiles: le cartilage y est abondant.
Le crâne est constitué de deux ensembles (une portion ethmosphénoïdienne en avant et une portion oticoccipitale en arrière) articulés l’un par rapport à l’autre. La mâchoire supérieure ne possède pas de maxillaires; la mâchoire inférieure est reliée à la boîte crânienne par une double articulation (les cartilages carré et symplectique), fait extrêmement rare. L’arc hyoïdien, qui fait suite à la mandibule, présente un hyomandibulaire bien développé (caractère qui éloigne Latimeria des Dipneustes). Enfin, cinq arcs branchiaux s’ajoutent à la constitution du squelette viscéral crânien.
Le squelette axial est unique chez les Vertébrés actuels: il se compose d’un long tube élastique (corde) en tissu fibreux, dense et résistant, tube qui pénètre largement dans la partie postérieure du crâne, atteignant l’hypophyse. Cette particularité se retrouve chez tous les Crossoptérygiens fossiles, ce qui dénote son caractère primitif. Les vertèbres, les arcs neuraux et hémaux sont réduits à de petites pièces cartilagineuses.
La ceinture scapulaire est complètement indépendante du crâne. Le membre (pectoral ou pelvien) est un axe de quatre pièces, à l’extrémité duquel s’articulent des nodules cartilagineux supportant les rayons de la membrane natatoire.
Le tube digestif, analogue à celui des Poissons, s’ouvre par une bouche où abondent des dents de formes variées qui servent plus à prendre les proies (petits poissons) qu’à les mâcher.
La respiration s’effectue par les branchies. Cependant, comme chez les Dipneustes actuels, Latimeria possède un poumon. Celui-ci est dégénéré (envahi par de la graisse) et de grande dimension. Il n’y a pas de vessie natatoire.
La circulation est encore imparfaitement connue, mais il faut signaler la morphologie très primaire du cœur. Entièrement linéaire, il «évoque de façon saisissante un cœur d’embryon de Vertébrés arrêté au cours de l’ontogenèse» (Millot et Anthony, 1958).
D’un rein unique dorso-médian partent deux uretères qui débouchent dans la poche cloacale au niveau de la papille uro-génitale après s’être dilatés chacun en une vessie. Les gonades sont dissymétriques dans les deux sexes. On sait maintenant que Latimeria est ovo-vivipare. Les œufs, peu nombreux, de la taille d’une orange, présentent une masse vitelline énorme. Des fœtus portant une poche vitelline ventrale ont été découverts en 1975 dans l’oviducte d’une femelle, mais un tel mode de reproduction avait été suggéré dès 1972 par H. P. Schultze, qui avait découvert dans le Carbonifère des États-Unis de jeunes cœlacanthes fossiles présentant un sac vitellin identique.
L’encéphale est placé très en arrière dans la boîte crânienne et n’en occupe qu’un volume égal au centième. Ce fait jette un doute sur la valeur des reconstitutions de l’encéphale proposées par Romer (1937), Stensiö (1963) et Jarvik (1980) à partir des moulages endocrâniens de divers Crossoptérygiens fossiles (Megalichthys , Eusthenopteron , Nesides ). L’encéphale de Latimeria partage avec celui des Tétrapodes, mais aussi celui des Sélaciens et des Cyclostomes, une structure inversée de sa partie antérieure (télencéphale). Il s’agit là d’un caractère primitif pour les Vertébrés.
Comme chez beaucoup de Poissons de fond, l’œil est phosphorescent. Latimeria se singularise encore par la présence d’un organe sensoriel, dont le rôle est totalement inconnu, placé dans la portion tout à fait rostrale du museau. C’est un sac fibreux plein d’où partent trois paires de canaux, l’ensemble étant innervé par la branche ophtalmique du trijumeau.
Les Crossoptérygiens fossiles
Outre les Actinistiens (ou Cœlacanthiformes), connus depuis le Dévonien, on regroupe classiquement dans les Crossoptérygiens les Ostéolépiformes, les Porolépiformes et les Struniiformes (ou Onychodontiformes), tous principalement dévoniens et ne dépassant pas le Permien inférieur.
Le principal caractère unissant les Crossoptérygiens, dans leur conception actuelle, est l’articulation de leur boîte crânienne en deux parties, l’une antérieure (ethmosphénoïdienne), l’autre postérieure (otico-occipitale). Pour certains paléontologues, cette articulation «intracrânienne» serait une spécialisation apparue tard dans l’histoire des Ostéichthyens. Pour d’autres, il s’agirait de la trace d’une ancienne segmentation crânienne et, par conséquent, d’un caractère archaïque pour les Ostéichthyens. À la suite des travaux de Jarvik (1942, 1980), il est devenu classique de considérer que deux groupes de Crossoptérygiens, les Ostéolépiformes et les Porolépiformes (regroupés sous le nom de Rhipidistiens) possédaient des narines internes, ou choanes, et, donc, étaient à l’origine des Tétrapodes. Ainsi, l’anatomie des Rhipidistiens les mieux connus (Eusthenopteron , Porolepis ) a-t-elle toujours été interprétée à la lumière de celle des Tétrapodes. La comparaison entre le squelette de la nageoire pectorale de l’Ostéolépiforme Eusthenopteron et celui du membre des Tétrapodes est devenue un classique de la paléontologie et de l’anatomie comparée. Mais en 1981, D. Rosen, B. Gardiner, P. Forey et C. Patterson révolutionnèrent profondément toutes les idées classiques sur la place des Crossoptérygiens dans la phylogénie des Vertébrés. Ces ichthyologistes démontrèrent en effet que la présence de choanes chez les Rhipidistiens était loin d’être certaine (il s’agirait de simples lacunes des capsules nasales, recouvertes par les os dermiques du palais) et que la majorité des ressemblances entre l’anatomie des Rhipidistiens et celle des Tétrapodes n’étaient que des caractères primitifs pour l’ensemble des Ostéichthyens, car présents également chez les Actinoptérygiens primitifs. Ces chercheurs remirent à l’honneur l’hypothèse déjà ancienne d’une proche parenté entre les Dipneustes et les Tétrapodes alléguant que les Dipneustes sont les seuls Poissons partageant avec les Tétrapodes de véritables choanes, homologues de la narine postérieure des autres Poissons. En 1982, une paléontologue chinoise, M. M. Zhang, découvrit dans le Dévonien inférieur du Yunnan (Chine) des Dipneustes extrêmement primitifs conservant une grande ressemblance avec certains Porolépiformes. Il s’agit là de la preuve que les Dipneustes, très spécialisés dès le Dévonien, «descendent» bien des Crossoptérygiens, ou plus exactement doivent être regroupés avec eux dans un grand ensemble monophylétique, les Sarcoptérygiens, caractérisés par des nageoires pourvues d’un lobe charnu, dont les membres des Tétrapodes ne sont qu’un dérivé. En outre, ces Dipneustes primitifs de Chine (Diabolepis ) possèdent encore deux narines externes, ce qui prouve que la «choane» des Dipneustes et celle des Tétrapodes sont le résultat d’une convergence. Diabolepis présente un toit crânien intermédiaire entre celui des Dipneustes plus dérivés et celui des Porolépiformes. Parmi ces derniers, certains genres (Youngolepis, Poroichtys ) sont proches des Dipneustes; donc les Porolépiformes seraient paraphylétiques. Un petit groupe de Crossoptérygiens du Dévonien supérieur, les Panderichthyides, jadis classés parmi les Costéolépiformes, seraient proches parents des Tétrapodes (même structure crânienne, réduction des nageoires impaires, humérus allongé) mais l’extrémité de leurs nageoires paires, encore ichtyenne, n’évoque guère les doigts des Tétrapodes.
crossoptérygiens [ krɔsɔpteriʒjɛ̃ ] n. m. pl. ♦ Zool. Sous-classe de poissons osseux très primitifs, représentée par des fossiles du primaire et du secondaire et par le cœlacanthe.
crossoptérygiens
n. m. pl. ZOOL Sous-classe de poissons ostéichthyens surtout florissante au carbonifère et au permien, représentée actuellement par le seul coelacanthe.
— Sing. Un crossoptérygien.
crossoptérygiens [kʀɔsopteʀiʒjɛ̃] n. m. pl.
ÉTYM. 1875; lat. sc. crossopterygii (Huxley, 1861), du grec krossos « frange », et pterux, pterugos « aile ». → -ptère.
❖
♦ Zool. Ordre de poissons très primitifs, représenté par des fossiles de l'ère primaire et par le cœlacanthe. — Au sing. || Un crossoptérygien.
0 (…) les Poissons crossoptérygiens (…) chez lesquels apparurent les premiers signes d'une adaptation à la vie terrestre.
Jean Guibé, les Batraciens, p. 13.
Encyclopédie Universelle. 2012.