privilégié, iée [ privileʒje ] adj. et n.
• 1265; p. p. de privilégier
1 ♦ Qui bénéficie d'un privilège, qui a des privilèges. Les deux ordres privilégiés de l'Ancien Régime. — N. « Le roi n'est lui-même que le plus privilégié des privilégiés » (Taine).
♢ Dr. Créance privilégiée (⇒ privilège) . Créancier privilégié (opposé à chirographaire) . — Fin. Actions privilégiées (cf. De priorité).
2 ♦ Cour. Qui jouit d'avantages matériels considérables. Les classes privilégiées. ⇒ favorisé, fortuné. — N. « Les privilégiés n'ont pas d'oreille du côté des déshérités » (Hugo). ⇒ nanti.
♢ Qui a de la chance, jouit d'un avantage quelconque. Nous avons été privilégiés, nous avons joui d'un temps splendide. — N. Quelques privilégiés ont pu assister à la cérémonie. ⇒ happy few(anglic.).
3 ♦ Littér. Qui a des dons exceptionnels, une nature d'élite. Un être absolument privilégié.
♢ (Choses) Qui convient mieux que tout autre à telle personne, à telle chose. « Pour les âmes d'élite, il y a des situations privilégiées » (A. Gide). Lieu privilégié, de prédilection. Le génie, dont « le chef-d'œuvre [est] l'expression privilégiée » (Malraux). — Relations privilégiées entre deux chefs d'État.
⊗ CONTR. Défavorisé, déshérité, malheureux.
● privilégié, privilégiée nom Personne qui jouit d'un privilège social, d'un avantage reconnu juridiquement : Les privilégiés de l'Ancien Régime. Personne qui dispose de plus d'avantages matériels que les autres : On a augmenté les impôts des privilégiés. Personne favorisée par rapport à d'autres sur un plan quelconque : Seuls quelques privilégiés ont pu entrer. ● privilégié, privilégiée (synonymes) nom Personne favorisée par rapport à d'autres sur un plan quelconque
Synonymes :
- élu
- favori
privilégié, ée
adj. et n. Qui bénéficie de privilèges (au propre et au fig.). Les classes privilégiées. Une créance privilégiée.
⇒PRIVILÉGIÉ, -ÉE, part. passé, adj. et subst.
I. —Part. passé de privilégier.
II. —Adj. et subst.
A. —Qui jouit de privilèges reconnus. Corps, bourg, ville, province privilégié(e); les classes privilégiées. En Angleterre, il n'y a de nobles privilégiés que ceux à qui la constitution accorde une partie du pouvoir législatif (SIEYÈS, Tiers état, 1789, p.60). Voilà donc dans la constitution intime de la famille un premier principe d'inégalité. L'aîné est privilégié pour le culte, pour la succession, pour le commandement (FUSTEL DE COUL., Cité antique, 1864, p.292). M. Bailly nous lut cette lettre du Roi, qui désapprouvait le mot d'ordres privilégiés, que plusieurs députés du Tiers avaient employé pour désigner la noblesse et le clergé (ERCKM.-CHATR., Hist. paysan, t.1, 1870, p.238).
♦Empl. subst. Le clergé et la noblesse étaient divisés, incertains. Il y a des privilèges que les privilégiés renoncent à défendre. Eux-mêmes doutaient de leurs droits, de leurs forces (JAURÈS, Ét. soc., 1901, p.44). On admire l'abnégation des privilégiés français qui abdiquèrent leurs droits, dans la nuit du 4 août. Ce qui est le plus admirable sans doute, c'est qu'ils n'ont pu faire autrement (ROLLAND, J.-Chr., Buisson ard., 1911, p.1265). V. aristocratie ex. 5.
— Spécialement
♦Domaine écon. et comm. Qui a, seul, le droit d'exercer une certaine activité. Des compagnies privilégiées. Le gouvernement accorde quelquefois à des particuliers, mais plus souvent à des compagnies de commerce, le droit exclusif d'acheter et de vendre certaines denrées, comme le tabac, par exemple, ou de trafiquer avec une certaine contrée (SAY, Écon. pol., 1832, p.201). L'ivrognerie (...) avait été souvent combattue (...) Boris (...) manqua le but, en attribuant à son gouvernement le monopole de l'eau-de-vie. On continua de s'enivrer, mais ce fut désormais dans des cabarets privilégiés (MÉRIMÉE, Faux Démétrius, 1853, p.47).
Action privilégiée. Synon. de action de priorité (v. ce mot B 2).
♦DR. Créancier privilégié. Créancier préféré aux autres en raison de la qualité de sa créance. Il y aurait 13000f à régler à MM. Delloye et Lecou, mes créanciers privilégiés pour cette somme (BALZAC, Corresp., 1840, p.34). [P.méton.] Créance privilégiée. En présence de la mauvaise volonté de mon ex-épouse à payer les dettes privilégiées de la succession de ma mère, je crois qu'il serait bon que vous écrivissiez à cette dame d'avoir à se presser (VERLAINE, Corresp., t.3, 1886, p.154).
— [P. méton.] Auquel est attaché un privilège. Métier privilégié. Les créations d'offices où le titulaire est obligé de fournir une finance, ou un cautionnement dont le gouvernement lui paie un intérêt, sont des espèces d'emprunts perpétuels (...). Une fois qu'on a tâté de cette ressource, quelque peu ridicule, on réduit en offices privilégiés (...) presque toutes les professions, jusqu'à celles de charbonnier et de crocheteur (SAY, Écon. pol., 1832 p.542).
♦RELIG. CATH. Autel privilégié. ,,Autel auquel est attaché le privilège local d'une indulgence plénière appliquée aux défunts pour lesquels la messe est célébrée`` (Foi t.1 1968). Et, avec la permission du duc de Brécé, j'ai plusieurs fois dit la messe sur cet autel privilégié (A. FRANCE, Anneau améth., 1899, p.47).
B. —Qui bénéficie d'avantages que d'autres n'ont pas.
1. Qui bénéficie d'avantages particuliers, d'une préférence, d'un traitement de faveur; p.ext., qui a de la chance, que le sort, les conditions de vie favorisent. Synon. favorisé. Il y a dans le monde des êtres privilégiés, qui ont des parents, une famille (...), des femmes heureuses, qui ont un mari qu'elles aiment (DUMAS père, Demois. St-Cyr, 1843, IV, 11, p.181). Pendant plusieurs mois, la passion triomphante avait imprimé sur son visage (...) une sorte d'assurance optimiste, peut-être même une satisfaction d'amant privilégié (MARTIN DU G., Thib., Sorell., 1928, p.1215). V. gré B ex. de Hugo:
• 1. ... ce n'est pas devant le grand public, mais devant le Roi-Soleil et quelques courtisans privilégiés que fut représentée Athalie.
PROUST, J. filles en fleurs, 1918, p.914.
[En parlant d'une chose] Quoi! Des désordres coupables auront été commis, et l'histoire (...) devra garder le silence! (...) il y aura des vices privilégiés! Des scandales auront un brevet d'impunité (COURIER, Pamphlets pol., Procès, 1821, p.119). Stéphane (...) se dirigea vers le marché (...). Maintenant la vente battait son plein (...) le grouillement des acheteurs s'était fait touffu, avec des oscillations irrésistibles vers les coins privilégiés (ESTAUNIÉ, Simple, 1891, p.104).
♦Empl. subst. Ses ouvrages [du P. Eudes] étaient si rares, que seuls quelques privilégiés se trouvaient à même de les étudier (BREMOND, Hist. sent. relig., t.3, 1921, p.589). Vous, au moins, vous êtes de ces privilégiés qui peuvent comprendre quelque chose aux événements... Et, qui sait? prévoir un peu l'avenir! (MARTIN DU G., Thib., Épil., 1940, p.804).
Privilégié + compl. désignant la pers. ou une chose personnifiée qui accorde des faveurs. Charles (...) était le privilégié de mon père, l'amour de ma mère (...). Bien fait et robuste, il avait un précepteur. Moi, chétif et malingre, à cinq ans je fus envoyé comme externe dans une pension de la ville (BALZAC, Lys, 1836, p.8). Les privilégiés de la gloire sont peut-être les écrivains dont les oeuvres se transmettent de ferveur en ferveur comme le secret d'Isis (GOURMONT, Esthét. lang. fr., 1899, p.299). Comme il arrive souvent dans la nature, ce sont les privilégiées de l'amour qui attirent sur elles les traits extraordinaires de la mort violente (MAETERL., Vie abeilles, 1901, p.181).
— En partic. Qui jouit d'avantages sociaux, matériels considérables. Synon. fortuné, nanti. Une classe privilégiée, jouissant du loisir physique indispensable à la culture intellectuelle (COMTE, Philos. posit., t.4, 1839-42, p.547). Les milieux sociaux privilégiés ont l'habitude d'orienter leurs enfants vers les études supérieures, même quand ils ne sont pas assez doués pour y réussir (CAPELLE, Éc. demain, 1966, p.75).
♦Empl. subst. (suivi éventuellement d'un compl. prép. indiquant la nature des privilèges). Les privilégiés de la fortune, de l'argent. Ce n'est pas l'usage, dis-je, que ces privilégiés des richesses perdent leur temps à des spéculations sociales, à des rêves philosophiques faits tout au plus pour consoler ceux que le sort a déshérités des biens de la terre (DUMAS père, Monte-Cristo, t.1, 1846, p.709). Il avait voulu quitter sa classe, renoncer à l'argent, ne plus être un bénéficiaire, un privilégié, sortir du système enfin (MAURIAC, Chemins mer, 1939, p.135).
— [P. méton.]
♦Qui a rapport, qui est réservé aux privilégiés. —Madame, je n'y vais plus [au Salon] que les jours publics. —Quelle horreur? Il doit y avoir une cohue effroyable! —Beaucoup moins, je vous assure, qu'il n'y en a le jour privilégié (JOUY, Hermite, t.3, 1813, p.341). Des Argentins (...) descendaient des quartiers privilégiés pour se fournir chez elle en caleçons et chemises et taquiner aussi son joli choix d'amies ambitieuses (CÉLINE, Voyage, 1932, p.94). Ces livres usagés, mais pour la plupart dédicacés, (...) les bibelots exotiques qui étaient tous des souvenirs de voyage, toute cette vie discrètement privilégiée, il l'appréciait à distance (BEAUVOIR, Mandarins, 1954, p.129).
♦Auquel sont attachés des avantages, qui procure des avantages. Nous sommes tous destinés à faire notre service militaire comme officiers d'infanterie ou d'artillerie ou comme soldats occupant par les vertus de la culture des emplois privilégiés (NIZAN, Conspir., 1938, p.67). Divers accords avec les compagnies de chemins de fer assuraient à Hachette un tarif privilégié supprimant toute possibilité de concurrence (COSTON, A.B.C. journ., 1952, p.47).
[En parlant d'un laps de temps] Cette malheureuse princesse n'eut même pas la douceur de vingt-quatre heures complètes de cet instant privilégié, si significativement appelé par les Anglais la lune de miel (LAS CASES, Mémor. Ste-Hélène, t.1, 1823, p.853). Il convoqua ses commensaux des heures cruelles et privilégiées (COLETTE, Gigi, 1944, p.131).
2. Qui possède des qualités, des particularités naturelles, favorables, profitables.
a) [En parlant d'une pers.] Qui a des aptitudes exceptionnelles. Une nature privilégiée. Le genre humain est partout le même. Il n'y a point de race privilégiée pour le vrai, pour le beau, pour le bien (COUSIN, Philos. Kant, 1857, p.9). Mon oncle était un de ces êtres (privilégiés ou infirmes?) qui n'ont jamais eu à soutenir ce débat (ABELLIO, Pacifiques, 1946, p.199).
♦Empl. subst. Ne croyez pas que rien se fasse sans le temps et sans l'étude. Quelques privilégiés naissent avec le génie (DUMAS père, Kean, 1836, II, 4, p.131). L'opinion est courante, que (...) le «staccato volant» (...) [est] dans la virtuosité d'archet, (...) [réservé] à certains privilégiés. La statistique confirme d'ailleurs cette opinion (ALEXANIAN, Violoncelle, 1914, p.211).
b) [En parlant d'une chose] Qui a un caractère exceptionnel, une valeur particulière; qui convient particulièrement à quelque chose. Cas, secteur, signe, méthode, moyen privilégié(e). Dans l'Histoire des Ducs de Bourgogne (...) Barante avait trouvé un sujet privilégié (THIBAUDET, Hist. litt. fr., 1936, p.268). [Un voyageur] m'explique qu'il est fatigué (...) mais qu'il aime sa fatigue; il s'y abandonne comme à un bain, elle lui paraît en quelque sorte l'instrument privilégié pour découvrir le monde qui l'entoure (SARTRE, Être et Néant, 1943, p.532). V. heurter ex. 5:
• 2. L'un des aspects les plus importants de cette action [la rupture avec le théâtre humaniste] a été l'attitude des metteurs en scène envers le texte dialogué, considéré comme un simple élément non privilégié du spectacle. Le théâtre humaniste, tout en restant un art composite, considérait le texte littéraire comme l'art de base.
Arts et litt., 1936, p.30-10.
— [En parlant d'un lieu] —(...) à l'endroit même où nous sommes, sous nos pieds, il y a peut-être beaucoup d'or? —Oui, mon garçon, des millions! (...) —C'est donc un pays privilégié que l'Australie? (VERNE, Enf. cap. Grant, t.2, 1868, p.156). Un essaim de Gaulois bituriges [un des peuples de la Gaule] était venu occuper cet emplacement privilégié [celui de Bordeaux] en plein pays aquitain (VIDAL DE LA BL., Tabl. géogr. Fr., 1908, p.374). Il n'est pas de spectacle pour moi qui vaille ce que l'on voit d'une terrasse ou d'un balcon bien placé au-dessus d'un port (...). L'oeil, dans ce poste privilégié, possède le large dont il s'enivre et la simplicité générale de la mer (VALÉRY, Variété III, 1936, p.232).
Prononc. et Orth.:[]. Ac. 1694, 1718: -legié; dep. 1740: -légié. Fréq. abs. littér.:989. Fréq. rel. littér.:XIXes.: a) 1779, b) 516; XXes.: a) 876, b) 1884. Bbg. DUB. Pol. 1962, p.383. —VARDAR Soc. pol. 1973 [1970], p.293.
privilégié, ée [pʀivileʒje] adj. et n.
ÉTYM. V. 1270; de privilégier.
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1 Qui bénéficie d'un privilège, qui a des privilèges. || Les deux ordres privilégiés de l'Ancien Régime. || La caste privilégiée des nobles (cit. 22). || Vassaux privilégiés (→ Cour, cit. 26). || Franchises (cit. 3) des villes privilégiées. — N. || La classe des privilégiés. ⇒ Aristocratie; patricien.
1 (…) si la royauté est un privilège, la seigneurie en est un autre; le roi n'est lui-même que le plus privilégié des privilégiés.
Taine, les Origines de la France contemporaine, I, t. I, p. 25.
♦ Spécialt. Écon. (Choses et personnes). || Monopole (cit. 1) des compagnies privilégiées. — Dr. || Créance privilégiée (→ 2. Frais, cit. 17), créancier privilégié (⇒ Privilège). || Frais (2. Frais, cit. 19) privilégiés. — Fin. || Actions privilégiées. ⇒ Priorité (de). — Dr. anc., dr. canon. || Cas privilégiés. — Liturgie. || Autel privilégié, où toute messe célébrée pour un défunt lui mérite une indulgence plénière.
♦ Par métaphore. || L'hypocrisie (cit. 10, Molière), vice privilégié qui jouit de l'impunité (cit. 2).
2 Cour. Qui jouit d'avantages matériels considérables, qui mène une vie comblée. || Les classes privilégiées. ⇒ Favoriser, fortuné. — N. (→ Patriciat, cit. 2). || Les privilégiés. ⇒ Nanti. || Les privilégiés de la fortune, du sort.
2 Les privilégiés n'ont pas d'oreille du côté des déshérités. Est-ce la faute des privilégiés ? non. C'est leur loi, hélas !
Hugo, l'Homme qui rit, II, IX, II.
♦ Qui a de la chance. || Nous avons été privilégiés, nous avons joui d'un temps splendide. — N. || Les rares privilégiés qui assistaient à ce spectacle.
3 (XIXe). Littér. Qui a des dons exceptionnels, une nature d'élite. || Un être absolument privilégié (→ Aduler, cit. 2). || La noblesse native empreinte (cit. 11) sur les êtres privilégiés.
3 Il est des créatures privilégiées, les Prophètes, les Voyants, les Messagers, les Martyrs, tous ceux qui souffrirent pour la Parole ou qui l'ont proclamée; ces âmes franchissent d'un bond les sphères humaines (…)
Balzac, Séraphîta, Pl., t. X, p. 575.
♦ N. ⇒ Élu (→ Exception, cit. 17, Fromentin). — Spécialt. || Les privilégiés de Dieu (⇒ Prédilection).
♦ Par ext. (Choses). D'un caractère exceptionnel; qui convient mieux que tout autre à telle personne, à telle chose. || Pour les âmes d'élite (cit. 6, Gide), il y a des situations privilégiées. — Lieu privilégié (→ 1. Idéalement, cit. 2; 2. magot, cit. 3).
4 Le génie est ce pouvoir d'autonomie, dont la densité des œuvres est l'expression, et le chef-d'œuvre l'expression privilégiée.
Malraux, les Voix du silence, p. 456.
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CONTR. Défavorisé (V. Défavoriser), déshérité, malheureux.
Encyclopédie Universelle. 2012.