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GUITARE
GUITARE

Parmi tous les instruments de musique, la guitare, sous des déguisements divers, a connu depuis ses origines jusqu’à sa prodigieuse fortune présente un sort privilégié. Cela tient à la facture même de l’instrument. Sa caisse plate n’exige pas pour sa fabrication une lutherie de haute école, mais l’efficacité de ses formes lui confère de remarquables possibilités musicales. D’autre part, ses dimensions – variables – restent toujours dans des limites raisonnables qui en font la compagne peu encombrante du voyageur. Elle est l’instrument populaire par excellence, mais ses possibilités expressives et la richesse de sa technique la destinent aux exercices de virtuosité les plus savants et les plus raffinés. Elle se prête aux styles les plus divers et traduit tout aussi naturellement les motifs rythmiques que les accords d’une écriture harmonique, mais sous les doigts d’artistes habiles elle se révèle également propre à la mélodie.

La guitare a été utilisée de tout temps pour accompagner le chant: grâce à la nature de son timbre et au volume modéré de sa sonorité, elle soutient la voix humaine sans jamais la masquer. Il n’est pas étonnant que, depuis des siècles, le chanteur et sa guitare forment un couple aussi prédestiné que le cavalier et sa monture.

Il suffit d’écouter trois notes de guitare pour comprendre les raisons de son succès. Une seule note de guitare possède une forme de valeur esthétique évidente. Issu d’un bruit initial, le son se stabilise, s’épure, s’installe dans la durée, se colore d’harmoniques, et s’amortit lentement dans son propre sillage. C’est là l’image même du fait musical élémentaire. La «forme» du son de la guitare est si forte, si solide, qu’elle s’accommode à tous les traitements de l’enregistrement et de la reproduction acoustiques. Sa qualité «phonogénique» constitue un atout majeur à notre époque où presque toute la musique que l’on consomme est distribuée par les chaînes hi-fi et la télévision

1. Origine et transformations

C’est dans l’iconographie qu’il faut chercher la première trace de l’instrument à cordes ancêtre de la guitare. Un détail d’un bas-relief tiré de la tombe du roi de Thèbes qui régna entre 3762 et 3703 avant J.-C. représente un homme agenouillé tenant dans ses mains un instrument à cordes et à manche. Son voisin tient une harpe. Ainsi, l’existence de la «guitare» est attestée trente-huit siècles environ avant notre ère. Les Égyptiens la nommaient kithara , les Chaldéens chetarah , les Assyriens ketharah , les Grecs kithara , les Arabes quit ra . Il semble bien que le mot tire son origine du vieux persan ki-t r (ki signifiant «trois», et t r , «cordes»). Selon cette hypothèse, le premier instrument qui porta ce nom était pourvu de trois cordes.

La kithara grecque (cithare) possédait sept cordes. À Alexandrie, en Égypte, fut organisée en 285 avant J.-C. une réunion de trois cents kitharistes. On apprend ainsi qu’il était interdit, sous peine de sanction grave, d’ajouter une corde à la kithara , son équilibre esthétique étant reconnu comme parfait.

Il existait dès le VIe siècle au pays de Galles un instrument qui semble être logiquement le trait d’union entre la lyre et la guitare: c’est le crwth . Il se présentait comme une lyre dont on aurait fermé les branches. Il possédait une caisse de résonance et l’on avait adapté un manche sous les cordes qui étaient au nombre de six. On sait que Richard Cœur de Lion (1157-1199) participa à divers concours de crwth avec des troubadours de Provence.

La cathédrale de Saint-Jacques-de-Compostelle possède, au porche de la Gloire (1168-1188), une sculpture qui représente une guitare, avec ses incurvations extérieures traditionnelles. On en trouve également en France, à l’abbaye de Saint-Georges-de-Boscherville (Rouen) et à la cathédrale de Chartres. On estime généralement que la guitare fut vraiment adoptée par les troubadours attachés au duché d’Aquitaine vers le XIe siècle et que sous le règne du duc Guillaume IX (1071-1127) quelque neuf cents formes d’instruments existaient, parmi lesquels vingt-cinq étaient les plus utilisés. La harpe, le luth et la guitare jouissaient de la plus grande vogue. En 1209, le démembrement du duché d’Aquitaine entraîne la dispersion de tous ces musiciens; l’usage de la guitare se répand en Europe. En Angleterre, dotée de quatre cordes, elle prend le nom de gittern .

Un troubadour, Giralt Riquier de Narbonne (1230-1294), se réfugie en Espagne auprès d’Alphonse X le Sage, roi de León et de Castille. Entouré de musiciens français, espagnols et maures, le roi fait écrire et composer des centaines d’hymnes et de chansons à la gloire de la Vierge Marie. Ces recueils constituent les précieuses Cantigas de Santa María . C’est dans l’un des quatre codices des Cantigas que l’on retrouve consignée l’existence simultanée sous le règne d’Alphonse X de deux instruments: l’un, la guitarra latina , représentée avec les incurvations extérieures et les ligatures en demi-tons sur le manche, et l’autre, la guitarra morisca , ovale de face, piriforme de profil, très proche du luth, nantie de trois cordes seulement.

Le premier guitariste espagnol dont l’histoire ait retenu le nom est un certain Juan de Palencia que l’on signale dès 1414. Deux autres guitaristes espagnols, Alonso de Toledo et Rodrigo de la Guitarra, sont mentionnés en 1417.

Avec l’arrivée des Français en Espagne, sous Alphonse X, les Espagnols reçoivent du même coup l’influence de la culture musicale du reste de l’Europe. Ils font de la guitare – améliorée – un instrument de musique savante. Ils doublent les cordes, en ajoutent deux autres et simplifient la construction de l’instrument en inventant le dos plat. L’instrument est appelé vihuela , du mot viula (dérivé lui-même de fidicula ) utilisé par les troubadours. (Les Portugais conserveront violao pour désigner la guitare.) Dans sa célèbre Declaración de instrumentos musicales (1549 et 1555), Juan Bermudo écrit que pour transformer une guitare en vihuela, il suffit d’ajouter deux paires de cordes. En retirant ces dernières de la vihuela, on obtient une guitare.

Chacun de ces deux instruments prendra alors une orientation bien définie: la guitare reste dans les mains populaires tandis que la vihuela sera utilisée par les musiciens cultivés.

2. D’une littérature aux méthodes

Un siècle après l’apparition de l’imprimerie en Europe, don Luys Milán, gentilhomme attaché à la cour du roi du Portugal et des Îles, publie sous le titre d’El Maestro un recueil de musique qui renferme exclusivement des pièces instrumentales conçues pour la vihuela, ainsi que des chansons avec accompagnement de vihuela. Il parut en 1535 à Valence, et on le considère à juste raison comme le premier monument de la littérature de guitare.

Trois ans plus tard, en 1538, furent édités à Valladolid, les Six Livres du Dauphin de la musique (Delfín de música ) composés par Luys de Narváez, qui inaugure en Espagne l’exercice des variations sur un thème.

En 1546, trois livres de musique chiffrée pour vihuela d’Alonso Mudarra paraissent à Séville. Dans le troisième livre sont publiées pour la première fois de petites pièces écrites pour la guitare, alors dotée de trois doubles cordes et d’une simple. Dans les trois décennies qui suivent, divers recueils de musique pour vihuela sont édités en Espagne, ainsi ceux d’Enriquez de Valderrábano en 1547, de Diego Pisador en 1552, de Miguel de Fuenllana en 1554, de Luys Venegas de Hinestrosa en 1557, d’Estebán Daza en 1576. Le dernier musicien espagnol qui composera pour la vihuela sera le compositeur aveugle Antonio de Cabezón, le «Bach espagnol»; il publia diverses œuvres pour instruments à touches, pour harpe et pour vihuela en 1578.

En France, c’est Guillaume Morlaye qui, bien que «maître de luth», confie à Robert Granjon et Michel Fezandat la publication, dès 1550, du premier recueil de guitare. Il sera suivi par Simon Gorlier, «excellent joueur», et Adrien Leroy qui publie chez son beau-frère Robert Ballard cinq Livres de guiterre en cinq ans dès 1551.

Vers le dernier quart du XVIe siècle, le registre de la guitare est augmenté par l’adjonction d’une cinquième double corde. Cette innovation est généralement attribuée, à tort, au poète de Ronda , Vicente Espinel, mais il est probable que ce dernier contribua seulement à populariser cette amélioration. Cette addition de cordes, ainsi que le dos plat qui sera définitivement adopté dès la seconde moitié du XVIIe siècle, va faire qualifier la guitare d’«espagnole».

Dans les années 1580, une terrible épidémie de peste ravage Barcelone. Un médecin catalan, Joan Carlos Amat, constate que les convalescents qui ont eu la chance de se tirer de cette impitoyable maladie restent atteints d’une neurasthénie pernicieuse, que seule la musique lui semble susceptible de guérir. C’est dans ce dessein qu’il écrit alors une méthode de guitare où est enseignée la manière d’accompagner les chants. Ainsi parut la première méthode de guitare, en 1596, à Barcelone. Elle entraîna des imitations diverses qui contribuèrent de manière décisive à la diffusion de la guitare en Europe.

Le premier ouvrage de guitare du XVIIe siècle parut à Bologne, en Italie, en 1606, signé Girolamo Montesardo. Ses conventions d’écriture alphabétique furent adoptées par tous les guitaristes italiens et certains Espagnols.

L’Espagnol Luis de Briceño, attaché à la cour de Louis XIII, fit éditer en 1626 à Paris une méthode de guitare qui est une imitation évidente du livre de Joan Carlos Amat. Un Portugais, Nicolas Doisi de Velasco, publia à Naples en 1640 une méthode de guitare. D’autres, surtout italiens, suivirent son exemple.

Un musicien va les surpasser tous par sa compréhension profonde de l’instrument: Francesco Corbetta. En tirant parti du rasgueado (accords plaqués) et du punteado (mélodie chantée sur une corde), il affina singulièrement la technique de la guitare et lui conféra ainsi des possibilités polyphoniques aussi attrayantes que celles du luth. Recommandé à Louis XIV par le duc de Mantoue, il s’installa à la cour de France. Le Roi-Soleil, passionné de guitare et de danse, prit des leçons avec un certain sieur Jourdan de la Salle, qui deviendra, pour Molière, le modèle du bourgeois gentilhomme. «La guitare, nous rapporte madame de Motteville dans ses Mémoires , devint son instrument favori, et en dix-huit mois il avait égalé son maître.»

Cet illustre exemple fut aussitôt imité par tous les grands des cours royales d’Europe. Francesco Corbetta fit paraître La Guitare royale en 1671 à Paris, puis passa à la cour d’Angleterre où il fut nommé musicien de la reine. Corbetta eut en France divers disciples de qualité: Vabrey et Médard, mais le plus important et le plus attachant est sans conteste Robert de Visée, à qui son maître céda sa charge de musicien de la cour. Nous connaissons l’art de Robert de Visée par son Livre de guitare , qu’il fit éditer à Paris en 1682 et qui révèle un compositeur de haute qualité. Mais c’est en Espagne que fut cependant publiée la plus importante méthode du XVIIe siècle, celle de Gaspar Sanz, professeur de guitare du fils naturel de Philippe IV et de María Calderón, don Juan d’Autriche. Pour adoucir l’austérité de ses leçons auprès de son élève princier, il lui enseigna la musique à travers les chants et danses populaires d’Espagne. Se prenant à son propre jeu, il étendit ses recherches et publia en 1674 à Saragosse son Instrucción de música sobre la guitarra española ..., recueil d’une grande richesse musicale qui contient un nombre très important de chants et danses populaires alors pratiqués en Europe.

À cette époque, la guitare est en faveur dans presque tous les pays d’Europe, comme le prouve la publication de divers ouvrages pour cet instrument: celui de Lucas Ruíz de Ribayaz parut en 1677 à Madrid et Bruxelles, suivi par le dernier traité du XVIIe siècle, publié en 1684 par l’Espagnol Francisco Guerau. Le Français Nicolas Derozier évoque la guitare dans un traité de 1699 publié à Paris, mais il la traite en instrument d’ensemble. François Campion fut nommé dès 1703 par Louis XIV professeur de théorbe et de guitare à l’Académie royale de Paris. Il publia de Nouvelles Découvertes sur la guitare en 1716 ainsi qu’un traité d’accompagnement où apparaissent les premières fugues composées pour guitare. Un amateur italien, Ludovico Roncalli, fit paraître un recueil de musique de guitare en 1692.

3. Éclipses et renouveaux

Dès 1720, la mode des instruments champêtres se répandit en France. «Voilà où nous mène la bergerie», disait un critique de l’époque, faisant allusion à la vie pastorale de Louis XV. Il ajoutait, dans les colonnes du Mercure de France de 1739: «Les instruments à cordes pincées ne peuvent plus contenter un public habitué au bachique tapage de l’orchestre symphonique.» Dès lors, théorbes et guitares, de sonorité trop faible, tombèrent en défaveur. Le luth, lui, demeura prisé en Allemagne grâce principalement à Ernst Gottlieb Baron et Sylvius Leopold Weiss. En raison de ce relatif maintien du luth dans le monde de la musique, une cinquantaine de méthodes de guitare plus ou moins réussies furent publiées au XVIIIe siècle. L’instrument, pourtant, se transforme et évolue. Sa forme s’affine, sa taille se creuse, ses incurvations s’accentuent. Dès la seconde moitié du siècle, on lui adjoint une sixième double corde. Puis, peut-être pour éviter la critique que l’on adressait aux luthistes «qui passaient les trois quarts de leur temps à accorder leur instrument et le dernier quart à jouer faux», on simplifie le nombre des cordes de la guitare qui compte alors six cordes simples. Il semble que cette simplification doive être attribuée aux musiciens allemands.

La guitare suscite un regain d’intérêt vers 1770, avec Miguel Garcia, devenu plus tard le padre Basilio, moine cistercien, organiste de la chapelle de l’Escorial et maître de musique de la reine María Luisa, c’est-à-dire, avant tout, professeur de guitare. Il fut bientôt entouré de divers disciples, tels Federico Moretti et Dionisio Aguado. La guitare recommença à connaître les faveurs des musiciens et du public.

Paris devint, pendant tout le premier tiers du XIXe siècle, le principal foyer de la guitare. Des virtuoses comme les Italiens Matteo Carcassi et Ferdinando Carulli s’y installèrent, ainsi que les Espagnols Dionisio Aguado et Fernando Sor. Ce dernier est incontestablement le plus grand guitariste du XIXe siècle. Né en 1778 à Barcelone, il avait reçu une formation musicale complète. À côté du solfège, de l’harmonie, du contrepoint, il avait appris à jouer de l’orgue, du piano, du violoncelle et de la guitare. Contemporain de Franz Liszt et de Niccoló Paganini, Fernando Sor subit l’influence du «virtuosisme», qui fut la marque du XIXe siècle. La technique de l’instrument en fut notablement transformée.

Pendant ce temps, un virtuose italien, Mauro Giuliani (1780-1840), s’était installé à Vienne; il fut le rival direct de Fernando Sor. On doit à Giuliani les premiers concertos pour guitare et orchestre interprétés publiquement.

Vers 1840, la guitare tombe de nouveau en décadence en France et dans presque toute l’Europe. Éloignée du domaine musical et artistique, sa technique piétine dans la routine, on l’utilise comme passe-temps; les Andalous la reprennent pour leur répertoire populaire exclusivement; on lui reproche de n’être pas audible hors du silence parfait.

Malgré les améliorations morphologiques apportées à la guitare par les luthiers français et italiens (René-François de Lacote, Luigi Panormo), un Andalou s’aperçoit que la guitare ne satisfait plus les auditeurs en groupe. C’est un menuisier natif d’Almería, Antonio Torres Jurado, installé à Séville en pleine période des cafés cantantes où de nombreux guitaristes flamencos se produisent. Esprit révolutionnaire, ce constructeur invente alors la guitare archétype, lui donnant ses proportions définitives et une sonorité d’une puissance incontestablement supérieure. Il dégage de la construction des guitares certaines théories, toujours en vigueur, en prouvant que la pièce principale de la guitare est la table d’harmonie et que celle-ci doit être en sapin.

4. Guitares et guitaristes

La guitare noble eut son apôtre en Francisco Tárrega, né en 1852 à Castellón de la Plana, près de Valence. Sa vie fut celle d’un grand mystique, une vie de passion pour son art, dépourvue d’ambitions étrangères à son idéal. Après des études de piano et d’harmonie au conservatoire de musique de Madrid, Tárrega se consacre à la guitare dont il rationalise la technique instrumentale. Fasciné par la musique de Bach, de Mozart et de Beethoven, il réalisa la transcription pour guitare d’un certain nombre de pièces classiques, en même temps qu’il enrichissait le répertoire de compositions originales.

Deux ardents disciples de Tárrega, Miguel Llobet et Emilio Pujol, contribuèrent à répandre dans divers pays le goût de la guitare classique.

Si Tárrega rendit à la guitare ses lettres de noblesse, la valeur exceptionnelle d’Andrés Segovia (1893-1987) fut à leur mesure. On doit à cet interprète hors pair d’avoir conféré à la guitare un prestige égal à celui des grands instruments solistes comme le piano, le violon et le violoncelle. Il a introduit la guitare dans les salles de concert du monde entier, attiré les publics d’élite, poussé à la création de classes de guitare dans divers conservatoires de musique.

«Il est presque impossible d’écrire pour la guitare sans en jouer soi-même», affirmait Berlioz. L’influence capitale d’Andrés Segovia dans le monde de la musique sera d’avoir été le premier guitariste à obtenir de compositeurs non guitaristes – en se mettant lui-même à leur disposition, en acceptant d’être leur «cicerone» comme il le dit plaisamment lui-même – qu’ils écrivent des œuvres originales pour son instrument. Le premier fut le Madrilène Federico Moreno Torroba (1891-1982), puis suivirent les Français Albert Roussel, Alexandre Tansman, le Mexicain Manuel M. Ponce, le Catalan Joan Manén, l’Italo-Américain Mario Castelnuovo-Tedesco, le Suisse Hans Haug, les Espagnols Oscar Esplá, Carlos Pedrell, Federico Mompóu, Joaquín Rodrigo... «Longtemps, dit Segovia, les guitaristes ont cru que la guitare était un jardin dont ils avaient la clef en exclusivité. Je crois, moi aussi, que c’est un jardin, et très beau, mais dont on doit laisser la porte ouverte aux compositeurs contemporains.»

Derrière ce chef de file brillent des solistes de premier plan, parmi lesquels il convient de citer le Vénézuélien Alirio Díaz, les Britanniques Julian Bream et John Williams, la Française Ida Presti, prématurément disparue. Parmi les compositeurs, on trouve enfin des musiciens qui n’écrivent plus spécialement pour la guitare d’Andrés Segovia mais pour l’instrument lui-même. En outre, la multiplicité des compétitions internationales de renom consacrées aux guitaristes classiques atteste la vigueur de la guitare dans le monde entier et en augure la permanence dans celui de la musique. Ramón Montoya, à la légendaire réputation, des guitaristes flamencos comme Sabicas, Niño Ricardo et surtout le «révolutionnaire» Paco de Lucía ont contribué à en renforcer la vogue universelle.

En Amérique du Sud, du Mexique à la Terre de Feu, la popularité de la guitare croît de jour en jour. En Russie, la guitare populaire adopte, au XIXe siècle, non seulement les cordes en acier, mais également une septième corde; la guitare classique y semble actuellement reprendre droit de cité.

En fait, longtemps «montée» de cordes de boyau depuis ses origines, la guitare a été dotée, dès 1940, de cordes de nylon qui présentent l’avantage d’être à la fois moins fragiles, d’une précision cylindrique plus grande, d’une sonorité plus puissante et d’une plus longue durée d’émission sonore. Cependant, il est bon de souligner que les cordes de nylon n’ont pas totalement supplanté celles d’acier. Les guitares à cordes métalliques – en acier pur pour les aigus, entourées de métal pour les graves – sont d’origine nord-américaine. Le système des cordes métalliques entraîne une tension plus importante des cordes et permet un volume sonore plus grand. Son timbre a la particularité d’être légèrement dissonant.

Qu’elles soient à table et fond plats ou bombés, les guitares ainsi qualifiées d’«acoustiques» ont connu, depuis leur création aux États-Unis vers 1870, une carrière populaire des plus enviées.

Le système permet de les fabriquer en série. Leur faible prix en a favorisé la diffusion auprès des artistes de jazz et de variétés. Vers les années 1960, l’ancien système des doubles cordes (encore présent jusqu’au milieu du XVIIIe siècle) est popularisé. Les guitares acoustiques de douze cordes métalliques, accordées par paire à l’unisson, apparaissent. Cependant, il est bon de préciser que les chanteurs de blues du delta du Mississippi les utilisaient dès le début de ce siècle.

La guitare à six ou douze cordes, autrefois construite en bois, a des éclisses et un fond moulé en plastique; elle est communément appelée guitare «sèche» par opposition à la guitare «électrique».

Celle-ci représente le dernier stade d’évolution dont l’origine se situe vers les années quarante-cinq. Le problème fondamental de la caisse de résonance est totalement escamoté et la caisse devient pleine. Sa forme obéit à la seule fantaisie de ses constructeurs. Ses qualités de timbre importent peu. Grâce à l’ingéniosité des électroniciens, cet instrument – qui n’a de la guitare que le manche – peut produire un son puissant, souvent distordu, contrôlé et modifié à volonté, prolongé à la manière d’une guitare hawaiienne – dont le lent vibrato et la modulation ouverte et ample sont à l’origine de ces recherches. Une aussi grande variété de formes, de nombre de cordes, de production sonore souligne la santé populaire de cet instrument dans les cinq continents.

On a parfois dit que la faveur dont jouit la guitare en cette fin du XXe siècle était un phénomène social unique dans l’histoire des instruments de musique. Et l’on avance le chiffre de 250 à 300 millions de guitares dans le monde!

guitare [ gitar ] n. f.
• 1360; esp. guitarra, ar. gîtâra, gr. kithara; cf. cithare
Instrument de musique à cordes (généralement six) que l'on pince avec les doigts, muni d'un manche ( touche, touchette) et d'une caisse de résonance. fam. gratte. La rosace d'une guitare. Jouer de la guitare. Tablature de guitare. Guitare classique. Guitare électrique, à son amplifié électriquement. Guitare sèche, sans amplificateur. — Guitare basse, à quatre cordes. ⇒ 1. basse. Guitare espagnole, à cinq cordes. Guitare flamenco. Guitare folk ou jazz. Guitare à douze cordes. Guitare hawaïenne, à quatre cordes, aux sons gémissants.

Guitare poisson sélacien vivipare, d'aspect intermédiaire entre un requin et une raie, et qui se nourrit de petites proies débusquées dans la vase.

guitare
n. f.
d1./d Instrument de musique à cordes pincées, à manche et à corps aplati des deux côtés. D'origine orientale, la guitare fut introduite par les Maures en Espagne.
Guitare électrique, munie de micros magnétiques reliés à un amplificateur.
d2./d ICHTYOL Poisson cartilagineux, aussi appelé raie guitare, à la forme caractéristique, pouvant atteindre 2 m de long, fréquent dans les eaux côtières d'Afrique occidentale.

⇒GUITARE, subst. fém.
I. — MUSIQUE
A. — Instrument à cordes pincées, muni d'un manche à chevillier plan et recouvert d'une plaque de touches divisée par des filets, à caisse de résonance ovale, légèrement étranglée sur les côtés, dont le fond et la table, percée d'une rosace, sont plats. En votre qualité d'Espagnol, vous êtes tenu de savoir pincer de la guitare (MÉRIMÉE, Théâtre C. Gazul, 1825, p. 64). Des musiciens, des guitares sous leurs capes, donnent des sérénades (LARBAUD, Barnabooth, 1913, p. 63) :
1. C'est un grand mystère que la profusion d'harmonies qu'un musicien espagnol peut tirer d'une guitare. Il semble que les cordes se multiplient à l'infini tant elles portent de nuances et d'éclat. Il n'est pas jusqu'au bois de la caisse qui ne donne une cadence marquée par les ongles.
T'SERSTEVENS, Itinér. esp., 1933, p. 106.
SYNT. Pincer, gratter les cordes d'une guitare; jouer de la guitare; gratter, racler, accorder une guitare; tirer des chants de la guitare; s'accompagner sur/à la guitare; prendre, donner des leçons de guitare; chant, bourdonnement, son boiseux de la guitare.
P. métaph. Tout cet ensemble de choses calmes, rassurantes, hospitalières ne détendait point les nerfs d'Isabelle, frémissants comme les cordes d'une guitare qu'on vient de pincer (GAUTIER, Fracasse, 1863, p. 376). V. guimbarde ex.
P. méton. Joueur de guitare. Il y avait un guitariste qui voyagea longtemps avec Paganini (...). Tous deux, violon et guitare, donnaient des concerts partout où ils passaient (BAUDEL., Paradis artif., 1860, p. 330). On poussait les tables vers les murs, et la guitare s'asseyait près de l'accordéon (JOUVE, Scène capit., 1935, p. 15).
P. ext. Tout instrument à cordes pincées ressemblant plus ou moins à la guitare. Guitare arabe, cosaque. L'un tenait une guitare légère (...); l'autre une sorte de rebec (GOBINEAU, Nouv. asiat., 1876, p. 48) :
2. On entend frissonner et vibrer mollement,
Communiquant aux bois son doux frémissement,
La guitare des monts d'Inspruck, reconnaissable
Au grelot de son manche où sonne un grain de sable...
HUGO, Légende, t. 1, 1859, p. 363.
Guitare hawaïenne. ,,Instrument dont la vibration caractéristique est obtenue par le glissement sur le manche d'un bloc de métal`` (Lar. 20e). Les inflexions à la Armstrong se transforment sur cet instrument [la guitare] en glissandos qui rappellent fâcheusement la guitare hawaïenne (PANASSIÉ, Jazz hot, 1934, p. 166).
Guitare électrique. Guitare sans caisse de résonance et dont le son est amplifié électriquement (cf. ROB., Lar. Lang. fr.). Anton. fam. guitare sèche.
B. — Au fig., vieilli. ,,Rengaine, théorie banale ou maxime rebattue`` (LARCH. 1858, p. 558). Autre guitare! C'est la même guitare (Ac. 1932). Une autre guitare qu'il serait temps aussi de reléguer parmi les vieilles lunes (...) c'est l'Inspiration (VERLAINE, Œuvres posth., t. 2, Baudel., 1865, p. 18). Ah ça, tu crois donc que j'écoute toutes les guitares que tu me grattes depuis une heure? (HUYSMANS, Marthe, 1876, p. 97). Dans les Ballades, Victor Hugo s'amuse en grand virtuose, mais la Fiancée du Timbalier est devenue une guitare (THIBAUDET, Hist. litt. fr., 1936, p. 158) :
3. ... elle n'a fait que me dire sa joie d'avoir ce volume sur lequel a prié ce grand soldat, ce grand croyant. Enfin, elle m'a joué toute la guitare des convictions héroïques.
BOURGET, Cosmopolis, 1893, p. 18.
II. — CHARPENT. ,,Assemblage de charpente composé surtout de pièces courbes, qui est employé pour soutenir les toits en saillie des lucarnes ou pour empêcher la pluie poussée par le vent de pénétrer par une fenêtre`` (CHABAT 1881).
REM. 1. Guitariser, verbe intrans. Jouer de la guitare. P. métaph. Les domestiques chantaient dans les voitures qui suivaient celles de leurs maîtres, répondaient à l'appel du coucou, imitaient les premières notes de la chevêche, guitarisaient (MORAND, Flagell. Séville, 1951, p. 77). 2. Guitaronne, subst. fém. Guitare de grandes dimensions (cf. Hist. de la mus., Paris, Larousse, 1965). La Sérénade. Un luth, une guitaronne et un hautbois. Symphonie discordante et ridicule. Mme Laure à son balcon, derrière une jalousie (BERTRAND, Gaspard, 1841, p. 105).
Prononc. et Orth. : []. Att. ds Ac. 1694-1932; ds 1694 et 1718, s.v. guitarre; ds 1740, s.v. guittare (cf. aussi FÉR. 1768). Étymol. et Hist. 1. Mus. 1275-80 quitarre (J. DE MEUN, Rose, éd. F. Lecoy, 21001); 2. id. 1349 guitare moresche (Comptes de l'hôtel de Jean, duc de Normandie in WRIGHT ds QUEM. DDL t. 9); 1360 guitarre (Inv. du duc d'Anjou, n° 119 ds GAY); 3. 1866 archit. (LITTRÉ). Empr. à l'esp. guitarra, attesté dep. ca 1330 (J. RUIZ d'apr. COR.; la guitarra morisca est déjà représentée dans l'iconogr. esp. dans la 2e moitié du XIIe s., Cantigas de Santa Maria d'Alphonse X le Sage, v. Mus.), empr. à l'ar. kitâra ( dans un texte d'Espagne du XIe s. d'apr. COR.), lui-même empr. au gr. « cithare »; 1 représente une autre adaptation du mot esp. avec assourdissement de la consonne initiale (v. FEW t. 2, p. 719a). Fréq. abs. littér. : 336. Fréq. rel. littér. : XIXe s. : a) 428, b) 730; XXe s. : a) 395, b) 433. Bbg. Archit. 1972, p. 213. - GEORGE (K.E.M.). Arg. jouer du violon. Romania. 1969, t. 90, pp. 538-545. - HOTIER (H.). Le Vocab. du cirque et du music-hall en France. Paris, 1973, p. 112. - KIDMAN (J.). Les Empr. lexicol. du fr. à l'esp. des orig. jusqu'à la fin du 15e s. Paris, 1969, pp. 119-124. - REINH. 1963, p. 272.

guitare [gitaʀ] n. f.
ÉTYM. 1349; quitarre, v. 1275; esp. guitarra (1330) et arabe gītṭarāh, grec kithara. → Cithare.
tableau Mots français d'origine arabe.
———
I
1 Instrument de musique à six (ou cinq) cordes que l'on pince avec les doigts. Gratte, I., 4. (fam.). || La guitare rappelle le violon par la forme mais possède à la place des ouïes une ouverture circulaire ou rosace; son manche est divisée en cases pour guider l'emplacement des doigts ( Touche, touchette). || D'origine orientale, la guitare est devenue l'instrument national de l'Espagne. || Jouer, racler de la guitare. || Solo de guitare flamenco (ou flamenco); sérénade, romance à la guitare. || Guitare espagnole, à cinq cordes. || Chanter en s'accompagnant d'une guitare (→ Apporter, cit. 10; aubade, cit. 1; basque, cit. 2). || Œuvres classiques pour luth ou clavecin interprétées à la guitare.La guitare est beaucoup utilisée en jazz.Chorus de guitare. || Guitare basse. 1. Basse, 2. || Mauvaise guitare. Guimbarde (vx).
1 (…) déjà le son des guitares causait de l'inquiétude aux pères, et alarmait les maris jaloux (…)
A. R. Lesage, le Diable boiteux, I.
2 On jugeait encore à ses traits et à la vivacité de ses yeux, qu'elle devait avoir fait racler bien des guitares.
A. R. Lesage, Gil Blas, VII, VII.
3 (…) le prince touchait languissamment les cordes de sa guitare (…)
A. de Vigny, Cinq-Mars, XIX.
4 L'orchestre, composé d'une grande et d'une petite guitare, d'une espèce de violon aigu et de trois ou quatre paires de castagnettes, commença à jouer les jotas et les fandangos indigènes (…)
G. Sand, Un hiver à Majorque, III, I, p. 167.
Guitare électrique, dont le son est amplifié électriquement.Guitare sèche, sans amplificateur.
Abusivt. Instrument à cordes pincées ou grattées. Balalaïka, banjo, cithare, guiterne, guzla, luth, lyre, mandoline, turlurette. || Guitare arabe, orientale, dont la vibration provient du glissement d'une pièce de métal sur le manche. Guimbri. || Guitare hawaïenne, aux sons gémissants. Ukulele.
5 (…) une petite guitare arabe, à trois cordes, au ventre en calebasse et au long manche d'ébène et d'ivoire, qui servit à la Péri dans sa scène de séduction musicale (…)
Th. Gautier, Portraits contemporains, Marilhat, p. 240.
Par comparaison :
6 (…) les nerfs d'Isabelle, frémissants comme les cordes d'une guitare qu'on vient de pincer (…)
Th. Gautier, le Capitaine Fracasse, XVI, p. 174.
7 Si la sensibilité est une sorte de guitare que nous avons en nous-mêmes et que les objets extérieurs font vibrer, on a tant raclé sur cette pauvre mienne guimbarde que quantité de cordes en sont cassées depuis longtemps (…)
Flaubert, Correspondance, 449, 28 déc. 1853, t. III, p. 419.
2 Par métonymie. Guitariste. || La guitare est excellente, dans cette section rythmique.
3 Musique pour la guitare; jeu de la guitare. || Apprendre la guitare classique, la guitare espagnole. || Guitare de jazz.
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II (1858). Fig. Vx. Rengaine, banalité rebattue. || « C'est la même guitare » (Académie, 1932). mod. Disque. || Autre guitare !
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III (1866). Techn. Assemblage des bois utilisés dans la construction des toits des lucarnes.
DÉR. Guitariser, guitariste.

Encyclopédie Universelle. 2012.