LORRAINE
La région Lorraine tire son nom de l’ancien État de Lotharingie. Elle se compose de quatre départements: Meurthe-et-Moselle, Meuse, Moselle et Vosges, couvrant 23 540 km2 (densité: 98 hab./km2 en 1982). La Lorraine est une des plus importantes régions de passage entre l’Europe du Nord (pays rhénans) et l’Europe méditerranéenne. Bien qu’appartenant au bassin (géologique) de Paris, mais à cause du réseau hydrographique organisé autour de la Meuse et de la Moselle, la Lorraine s’ouvre au monde germanique auquel elle a longtemps appartenu (Saint-Empire romain de nation germanique). La géographie aussi bien que l’histoire expliquent la vocation européenne d’une terre qui pendant des siècles a été l’enjeu entre la France et l’Allemagne.
1. Géographie
La géographie physique: prédominance des lignes sud-nord
Les principaux reliefs caractérisant la Lorraine sont de direction sud-nord: Vosges, Côtes de Moselle, Côtes de Meuse, Argonne. Mis à part les Vosges du Sud (cristallines), le reste de la région est formé par des roches sédimentaires, les plus anciennes affleurant à l’est, les plus récentes à l’ouest. L’inclinaison des couches est est-ouest. L’alternance entre couches dures (calcaires, grès) et couches tendres (argiles, sables) détermine des côtes (ou cuestas ) qui constituent l’originalité de la Lorraine. Le tracé des côtes est plus rectiligne au nord qu’au sud. Le revers des côtes, formé par l’affleurement des couches dures (calcaires), constitue des plateaux plus ou moins étendus: Pays-Haut, La Haye, Hauts de Meuse, Barrois. Les fronts de côtes dominent des dépressions creusées dans les roches tendres: Saulnois, Pays des Étangs, Woëvre, Xaintois, Vermois. La différence d’altitude peut dépasser 200 m. Des buttes témoins, restes de l’avancée des plateaux, précèdent les fronts: Toul (Barine, Saint-Michel), Pont-à-Mousson, Sion, Vaudémont, Grand-Couronné.
Les calcaires et argiles dominent à l’ouest. À l’est, la série liasique et surtout triasique comprend des grès qui peuvent atteindre 450 m d’épaisseur (Vosges du Nord, Warndt), donnant un relief de plateaux profondément incisés par les rivières. Les Vosges appartiennent à l’Europe du Mittelgebirge. Quant à la partie sud, vieille montagne hercynienne, elle a été soulevée au Tertiaire, ce qui explique l’érosion de la plus grande partie de la couverture sédimentaire. Les glaciations quaternaires ont laissé des traces: auges, verrous engendrant des cascades, moraines accumulant l’eau des lacs, etc.
Un climat qui permet la culture de la vigne et des arbres fruitiers
La mauvaise réputation du climat lorrain est exagérée. Elle est liée au fait que l’hiver de 1939-1940, alors qu’une partie de l’armée française était en position dans la ligne Maginot, était exceptionnellement dur. Les influences océaniques dominent, mais en hiver les influences continentales peuvent l’emporter: la Lorraine subit l’oscillation des masses d’air d’origine différente, ce qui peut rendre le temps désagréable. Les moyennes thermiques sont de 1,4 0C et 1,3 0C à Metz et à Nancy, mais seulement de 漣 2,6 0C au ballon de Servance (1 218 m). Certains hivers, les températures peuvent tomber à 漣 20 0C. En juillet, la moyenne varie, dans les régions basses, entre 17 0C et 18 0C. Les précipitations sont de 673 mm à Metz, de 737 mm à Nancy, mais de 1 780 mm à Gérardmer et de 1 649 mm au ballon de Servance. Les Vosges, qui sont un véritable château d’eau, ont un climat de montagne à tendance océanique. Les Pays des Côtes sont privilégiés: moindre nombre de jours de gel, ensoleillement plus important. La culture de la vigne et l’arboriculture montrent bien que le climat lorrain n’est pas aussi mauvais que certains le disent.
La crise économique provoque le recul démographique
L’industrialisation explique l’évolution démographique et la répartition de la population. De 1,24 million d’habitants, en 1801, celle-ci a passé à 2,33 millions en 1975. Depuis lors, elle diminue, par émigration, du fait de la profonde crise que connaît la région. Elle est inférieure à 2,3 millions en 1992. La natalité (13,6 p. 1 000) est égale à la moyenne nationale. La Moselle, qui réunit 43,8 p. 100 de la population, a aussi le taux de natalité le plus élevé, 13,9 p. 1 000, et le taux de mortalité le plus bas, 8,5 p. 1 000. Néanmoins, l’évolution démographique reste inquiétante. Le vieillissement de la population s’accentue.
Un important espace agricole
Si l’image de marque de la Lorraine se rapporte surtout aux paysages industriels, il convient de souligner qu’elle est aussi une grande région agricole. Le peuplement remonte au Néolithique. La romanisation a été profonde autour de Metz. Les forêts restent très étendues, les militaires ayant limité les défrichements, à partir du XIXe siècle, pour des raisons défensives (taux de boisement: 34 p. 100; France: 24 p. 100). Les Vosges constituent un monde à part: les exploitations sont disséminées dans le paysage. Leur taille est moyenne (40-50 ha). Il s’agit d’exploitations familiales. La polyculture dominait jadis. De nos jours, l’élevage bovin l’emporte. La production fromagère est importante (pâtes molles: Tholy, Bresse, Géromé, Munster). Dans les vallées et sur les plateaux, les exploitations sont de taille plus grande. Celles de plus de 100 ha ne sont pas rares. Si le village-rue domine, il ne faut pas sous-estimer le rôle des fermes champêtres dispersées dans le paysage. Elles ont toutes leurs parcelles regroupées autour des bâtiments principaux. Ce sont les éléments les plus progressistes. La polyculture traditionnelle (céréales, cultures fourragères, élevage) est abandonnée au profit de l’élevage d’embouche (races charolaise, frisonne...) ou au profit de la monoculture céréalière. Depuis la fin des années 1970, la culture du maïs grain a connu un grand essor, mais elle est limitée par les pluies automnales précoces. Le port de Metz, premier port fluvial céréalier de France, stimule la céréalisation de la Lorraine. Les agriculteurs ne constituent plus que 4 p. 100 des actifs (2,8 p. 100 en Meurthe-et-Moselle; 11,2 p. 100 en Meuse; 2,4 p. 100 en Moselle; 6,8 p. 100 dans les Vosges). Les cultures traditionnelles peuplantes, vignes (Côtes de Moselle), arboriculture (mirabelles de Metz et de Toul), ont été découragées et sont, contrairement à ce qui se passe en république fédérale d’Allemagne et au Luxembourg, en recul. Les Côtes présentent d’immenses friches.
Une région industrielle en mutation profonde
L’industrie a longtemps reposé sur les richesses locales: bois, sel, minerai de fer, charbon. Il en est résulté une concentration dans quelques parties, notamment dans le Nord, à proximité de la Sarre et du Luxembourg, où ces activités ont connu, grâce à la géologie, une intensité exceptionnelle. Dans le Saulnois (pays du sel) se situe un des plus vastes gisements de sel gemme du monde. Ce dernier se présente sous forme de lentilles qui sont exploitées par une seule mine, mais surtout par pompage de la saumure obtenue après injection d’eau. L’exploitation se concentre dans la basse vallée de la Meurthe autour de Dombasle. Le sel raffiné constitue les deux tiers de la production nationale. La saumure est utilisée dans la chimie pour la fabrication de matière plastique. Le minerai de fer fut extrait dès le XIIIe siècle (Hayange, Moselle). Le tournant se place au début du XVIIIe siècle, lorsque la famille Wendel, d’origine flamande (Van Dael), loue une forge à Hayange, dans la vallée de la Fensch. En 1705, Wendel signe un accord avec le représentant du roi pour la fourniture de boulets. Dans cette région frontalière où les forteresses vont connaître un essor considérable, la sidérurgie trouve dans l’armée son principal client. Petit à petit, d’autres «capitaines d’industrie» se tournent vers la sidérurgie dans les autres vallées: Orne, Chiers, Moselle. L’extraction du minerai (teneur en fer: 32 p. 100) se pratique dans deux bassins. Le plus grand se situe dans le triangle Thionville-Longwy-Briey. Il compte plus de 90 p. 100 des réserves. Le second est localisé près de Nancy, mais toutes les mines ont été fermées. Alors qu’en 1913 on comptait une cinquantaine de mines, il n’en reste plus que trois (1993) en exploitation. L’arrêt total de l’extraction n’est retardé qu’en raison de problèmes sociaux. L’extraction avait dépassé 50 millions de tonnes par an au cours des années 1960-1970. Elle est tombée à une demi-douzaine de millions de tonnes. La teneur en phosphore (2 p. 100) a longtemps ralenti l’essor sidérurgique. L’invention du procédé Thomas Gilchrist, utilisé pour la première fois en 1881, à Hayange, provoqua un développement rapide. La division politique de la Lorraine (1871-1918) amena des différences de structure importantes. Les usines édifiées par les Allemands en Moselle (Rombas, Uckange, Knutange, Thionville) furent construites plus tardivement que celles du Pays-Haut (Longwy) et étaient de ce fait plus modernes et plus productives. Lorsqu’en 1918 la région retrouva son unité politique, les différences avec le Pays-Haut furent masquées par la crise mondiale et les nécessités du réarmement. Elles éclatèrent lors des crises de 1978 et 1984. Depuis 1945, deux usines seulement ont été construites: Sollac (1952) à Sérémange, au débouché de la Fensch, et Gandrange (1970), au débouché de l’Orne. Ces localisations marquent le glissement inéluctable, mais retardé par les événements politiques de 1871-1918, de la sidérurgie vers le sillon mosellan. On a trop longtemps vécu sur les investissements passés, notamment allemands. Le laminoir de Thyssen, à Hagondange, inauguré en 1912, n’a été arrêté qu’en 1977. La sidérurgie employait, en 1968, plus de 90 000 salariés. Il en reste moins de 15 000 en 1993, sans que les suppressions d’emplois aient été compensées par ailleurs. La situation s’est aggravée à partir de 1984, provoquant des manifestations impressionnantes à Longwy et à Metz. Le journal Le Républicain lorrain (Metz, tirage de plus de 200 000 exemplaires) titra en grosses manchettes «La Lorraine trahie» (30 mars 1984) ou «La Lorraine dit non» (31 mars 1984). À Longwy, la sidérurgie n’est plus qu’un souvenir. Les sites sidérurgiques survivants sont Hayange, Florange, Gandrange, Pont-à-Mousson et Neuves-Maisons. Thionville, qui s’intitulait fièrement «la métropole du fer», a perdu toute sa sidérurgie. La reconversion est un échec. Des 13 000 emplois promis dans l’automobile à peine la moitié a été créée (Citroën à Metz et à Ennery). L’usine de Renault à Batilly, qui devait créer 3 000 emplois, n’en offre que 1 000. La création de deux pôles de conversion (Pompey, Gandrange) relève d’une optique trop étroite et manquant d’efficacité. Le bassin sidérurgique est dans une situation désespérée. Le bassin houiller Mosellan ne forme qu’un avec celui, plus anciennement exploité, de la Sarre. Les formations houillères de l’anticlinorium de Sarrebruck affleurent en Sarre, mais plongent vers le sud-ouest du côté français. L’ensemble des veines houillères représente une épaisseur de 37,5 m de charbon, mais les venues d’eau ont longtemps retardé l’extraction. Le grand essor est postérieur à 1945 et se place dans le cadre d’une politique d’industrialisation de la France. Le maximum de la production est atteint, avec 15 millions de tonnes, en 1967. La production est de 8 millions de tonnes en 1992. Elle sera arrêtée en 2 007. Longtemps, on a prétendu que le charbon lorrain n’était pas cokéfiable. En le mélangeant à des charbons étrangers, cela est devenu possible à partir de 1952. Les effectifs des houillères, nationalisées en 1946, sont tombés entre 1960 et 1986 de 43 000 salariés à moins de 20 000. L’emprise des houillères est considérable. Elles ont déterminé une industrie chimique (Carling, Marienau, Saint-Avold) dont les effectifs sont également en baisse. La construction de la centrale nucléaire de Cattenom sur la Moselle (production théorique: plus de 30 milliards de kWh) accentue le déclin du bassin houiller.
L’industrie textile (laine, coton, lin) était implantée dans les Vosges avant 1871. Toutefois, le traité de Francfort allait entraîner une expansion insoupçonnée. Les industriels textiles alsaciens, pour garder le marché français, transférèrent ou créèrent des établissements textiles sur le versant lorrain des Vosges. Des villages ou des bourgs se transformèrent en villes industrielles: Thaon, Igney, Vincey, Nomexy, Senones, etc. En 1968, le textile et l’habillement employaient plus de 30 000 salariés. On en compte moins de 15 000 en 1993; on peut toutefois noter que l’industrie de l’habillement a repris une partie des effectifs venus des usines textiles. Néanmoins, en 1992, les filés constituent près de 38 p. 100 de la production nationale, tandis que les tissus de coton en représentent 34 p. 100. Le total des emplois de l’industrie dans le département des Vosges est tombé entre 1975 et 1992 de 74 000 à moins de 50 000. Les rares nouvelles industries (métallurgie, mécanique, sous-traitance automobile, matières plastiques) se sont installées dans la partie aval des vallées ou dans l’avant-pays, la «Plaine». Les industries traditionnelles du bois (meubles, jouets) de même que celles du papier et du carton (la plus grosse fabrique de France de cahiers pour écoliers, à Etival) sont atteintes par la crise.
Vers une nouvelle géographie de la Lorraine
La crise et la dévalorisation de la frontière franco-allemande entraînent une nouvelle géographie. Le Nord semble favorisé (proximité de la R.F.A. et du Benelux). Metz est devenu capitale de la Lorraine dans le cadre de la réforme régionale de 1972. La ville est le plus grand carrefour autoroutier de l’est de la France. Les nouvelles industries s’installent de préférence dans le sillon mosellan, entre Metz et Thionville ou autour de Nancy. Le recensement de 1990 fait de Metz la ville la plus importante de Lorraine (123 900 hab.). Pourtant, absente de la communauté nationale entre 1871 et 1918, elle n’a profité d’aucune compensation pour les pertes ou spoliations subies. La Lorraine manque de grandes villes. Nancy, capitale de l’ancien duché de Lorraine, dépasse à peine 100 000 habitants (Bar-le-Duc, Verdun, Épinal, Saint-Dié ont moins de 50 000 hab.). La crise fait que les schémas d’aménagement (S.D.A.U.) regroupant deux régions, Metz-Thionville avec plus de 600 000 habitants et Nancy-Toul-Lunéville avec 450 000 habitants, ne sont plus appliqués. Le salut de la Lorraine est lié à son ouverture à l’Europe (plus de 30 000 travailleurs frontaliers vers la R.F.A. et le Luxembourg).
2. Histoire
Romains et Barbares
C’est à l’âge de la pierre polie que des établissements humains durables apparaissent en Lorraine. Une longue période de paix favorisa la mise en culture des plaines et les débuts de l’économie pastorale. Le sel, richesse essentielle du sous-sol, attira le long de la Seille les hommes du Néolithique, qui mirent au point la technique d’évaporation des eaux salées recueillies dans de grands bassins plats. Un peu plus tard, ces Celtes, tirant parti des vastes forêts des plateaux et du minerai des côtes de Moselle, esquisseront les premiers fondements de l’industrie métallurgique: le camp d’Affrique, installé au sud de Nancy, sur un éperon, à proximité de la minette, demeure le témoignage le plus remarquable de ces créations celtiques. De ce temps date la division en deux peuples, les Médiomatriques et les Leuques, qui ont pour capitales respectives Metz et Toul.
Rome s’imposa sans difficulté: elle apporta au pays une paix de trois siècles et une économie plus rationnellement conçue. Grâce à ses bois et à ses minerais, la région devint pour l’Empire la principale pourvoyeuse d’armes et d’outils. La campagne, d’abord divisée en exploitations moyennes, puis en vastes latifundia, fait l’objet d’une mise en valeur systématique. Des routes importantes (celle de Lyon à Trèves, coupée à Metz par celle de Reims à Strasbourg) règlent la circulation des hommes et l’écoulement des produits. Camille Jullian a naguère mis en lumière cette fonction essentielle: «Un élément, écrit-il, fut capital dans la vie de la Lorraine et surtout dans ses réactions sur le dehors: c’est la route [...]. La Lorraine est attirée vers le dehors et le dehors est attiré vers elle par deux grandes routes, l’une de rivière, l’autre de terre.» De remarquables vestiges monumentaux (aqueduc de Jouy-aux-Arches, sanctuaires du Donon et du mont Héraple) témoignent de la présence et de la grandeur romaines. C’est par les voies impériales que pénètrent les religions nouvelles: soldats et marchands apportent les cultes à mystères, ceux d’Isis et de Mithra; les premières églises chrétiennes apparaissent après 300, à Trèves et Metz d’abord, puis à Verdun et à Toul.
Mais, bien avant la constitution des diocèses, la Romania était minée par la poussée des Barbares: Alamans, Francs Saliens, Ripuaires s’infiltrèrent d’abord dans les pays de la Moselle et de la Meuse moyennes, puis y déferlèrent après le retrait des légions en 406; aujourd’hui encore, la limite des langues marque la frange méridionale du peuplement massif des Francs: partie du Donon en direction de Dieuze, elle contourne Metz à l’est, sépare Audun-le-Tiche d’Audun-le-Roman avant de se diriger vers Arlon.
Parmi les divisions politiques créées par les Barbares, le royaume d’Austrasie, qui s’étend de la rive gauche du Rhin au littoral de la mer du Nord, occupe une place éminente: le roi Sigebert Ier (561-575) et la reine Brunehaut firent de Metz, devenue leur capitale, un foyer de civilisation brillante et surent y maintenir la permanence des lettres latines. Dans une Europe repliée sur elle-même, se défiant de toute aventure maritime, les pays de la Moselle et de la Meuse continuaient à exercer dans l’économie continentale du temps leur traditionnelle fonction de relation.
Naissance de la Lotharingie
La médiocrité des derniers Mérovingiens engendra un état d’anarchie favorisant l’ambition des grandes familles: en 751, elle permit à Pépin le Bref, chef des Arnulfiens, de ceindre la couronne royale. La nouvelle dynastie s’attacha à la Mosellane où se trouvaient la plupart de ses domaines patrimoniaux; Charlemagne et ses successeurs se plurent à y résider et en firent le centre de leur empire. La région tout entière put ainsi participer avec éclat à la renaissance carolingienne: dans les écoles épiscopales et monastiques, des clercs ornent de riches manuscrits, tandis qu’à Metz l’évêque Chrodegang (742-766) réalise une réforme liturgique, bientôt proposée en modèle à l’Occident tout entier, et que les traités spirituels de l’abbé Smaragde de Saint-Mihiel connaissent une audience universelle. Metz et Verdun, en relation avec la Méditerranée et l’Orient, deviennent d’importants marchés internationaux et se consacrent au commerce des produits exotiques.
Très tôt, cependant, la permanence des traditions successorales franques et le processus de dissociation féodale compromirent gravement l’unité impériale de l’Occident. Le traité de Verdun de 843 partagea l’Empire entre les trois fils de Louis le Pieux: l’aîné, Lothaire, reçut la bande médiane, étirée du sud-est au nord-ouest, de l’Adriatique à la mer du Nord. À sa mort, en 855, une nouvelle division laissa à son fils Lothaire II le territoire s’étendant de la bordure alpestre à l’embouchure du Rhin: ce fut le Lotharii regnum , ou Lotharingie, ancêtre de la Lorraine. Tout arbitraire qu’apparaisse dans son principe le tracé lotharingien, il répond à des réalités naturelles et humaines: il épouse les lignes du relief, le cours des fleuves, les voies de circulation ou d’échanges. Bien au-delà de l’éphémère construction diplomatique du traité de Verdun, la permanence lotharingienne marquera toute l’histoire de la Lorraine: par elle s’expliquent des aspects essentiels de ses engagements politiques, de ses créations artistiques, de ses options spirituelles.
Seigneuries, villes et principautés
La mort de Lothaire II sans héritier légitime fit du pays la proie de rivalités confuses et conduisit les grands à faire appel au roi de Germanie Henri Ier: la Lorraine se ralliait ainsi à la dynastie saxonne, avant d’associer, pour plusieurs siècles, ses destinées à celles du Saint-Empire.
Le milieu du Xe siècle marque, pour les pays mosellans et mosans, le début d’un lent déclin politique. Incapables d’asseoir eux-mêmes leur autorité dans la région, les souverains germaniques eurent pour principe de diviser et d’opposer entre elles les puissances locales. En 959, la Lotharingie fut scindée en deux duchés, la Basse et la Haute-Lorraine: celle-ci finit par confisquer à son profit le nom de Lorraine. En 1048, la dignité ducale échut à Gérard de Châtenois, dont les descendants devaient régner sept siècles sur le pays. D’autres principautés rivales se constituaient vers le même temps: au nord, le comté de Luxembourg; à l’ouest, le comté de Bar érigé en duché en 1354. Mais le fait capital est le développement d’importants «évêchés» au cœur même de la région: pour entraver la puissance des dynasties princières, les rois germaniques s’appuyaient sur l’Église et donnaient aux évêques les droits comtaux, aussi bien dans leurs villes épiscopales que dans leurs domaines du plat pays. Le contraste entre terres ducales et terres «évêchoises» devait être un élément fondamental de la civilisation lorraine durant toute son histoire. Ces antagonismes rivaux n’expliquent pas seuls l’état de demi-sommeil de la Lorraine après l’an mille: la reprise du commerce maritime au cours du XIe siècle, la poussée colonisatrice de l’Allemagne vers l’est contribuèrent à déplacer les grands courants d’échanges vers le littoral méditerranéen et atlantique ou vers des fleuves comme le Rhin et l’Oder; la Lorraine cessa alors d’être le pivot de l’économie continentale.
Dans le chaos féodal, deux grandes forces se dessinaient. D’abord la croissance de l’influence française. Officiellement terre d’Empire, la Lorraine demeurait tributaire des courants littéraires, artistiques ou spirituels issus du royaume: tous les centres urbains étaient de langue française; des maîtres d’œuvre formés en Champagne édifiaient les grandes cathédrales gothiques et celles-ci, à leur tour, inspiraient une multitude d’églises. En 1301, le traité de Bruges permit au roi de France d’imposer indirectement sa tutelle politique par la création, sur la rive gauche de la Meuse, du Barrois mouvant de la Couronne, c’est-à-dire dans la dépendance féodale de celle-ci: c’était la première grande étape d’une progression systématique vers l’est. La chevauchée victorieuse de Jeanne d’Arc illustrera le loyalisme de la mouvance barroise à son prince légitime. Mais en même temps que pénétrait et se diffusait l’influence française, la Lorraine fortifiait sa cohésion interne et élargissait son assise spatiale: c’est sur cette dialectique que se fondèrent, à la fin du Moyen Âge, les traits spécifiques de sa civilisation. Au XVe siècle, une heureuse politique matrimoniale permit d’unir le duché de Lorraine à celui de Bar. En 1477, la victoire de René II à Nancy brisa la tentative de Charles le Téméraire de restaurer l’ancienne Lotharingie en unissant ses États bourguignons à ses possessions flamandes. La défaite du duc de Bourgogne eut des conséquences politiques durables: elle contribua à élever la Lorraine du rang de grande principauté à celui d’État moderne et à donner à ses habitants la conscience claire de posséder une patrie; dans l’ordre international, elle empêcha la formation d’une nation intermédiaire entre la France et la Germanie, capable de faire obstacle à leurs affrontements violents.
Humanisme, civilisation classique et catholicité
De graves menaces pesèrent sur la Lorraine au XVIe siècle: l’occupation par la France, en 1552, des villes de Metz, Toul et Verdun mit fin à l’indépendance des Trois-Évêchés, mais elle portait aussi en puissance l’incorporation au royaume des duchés de Lorraine et de Bar. Le danger ne fut pourtant qu’à échéance lointaine: les minorités royales et le déchirement des guerres de religion écartaient dans l’immédiat toute tentative d’annexion; le XVIe siècle fut même pour la Lorraine ducale un siècle de grandeur. Antoine Ier (1508-1544) sut maintenir ses États à l’abri des hostilités et, au traité de Nuremberg de 1542, il se libéra de la tutelle impériale. Son petit-fils, Charles III (1559-1608), alla plus loin: il intégra son pays à la grande politique, devint l’animateur de la Ligue et proclama la volonté des princes lorrains de se faire les hérauts de la catholicité. Si le luthéranisme et le calvinisme ne réalisèrent dans les duchés que des conquêtes sporadiques, la réforme catholique y connut des destinées brillantes. Jalon médian de l’axe idéologique étiré de l’Adriatique aux Flandres, la Lorraine prétendait ordonner la défense religieuse de l’Europe. Cette fonction explique le nombre et la variété de ses fondations monastiques, particulièrement celles des Franciscains et des Jésuites: l’université de Pont-à-Mousson, fondée en 1572 et confiée à la compagnie de Jésus, allait devenir pour l’Église romaine l’un des puissants bastions de reconquête et assumer dans les pays d’entre-deux un rôle semblable à celui d’Ingolstadt en Allemagne.
Ces raisons de géographie spirituelle associées à un certain monolithisme social déterminent la nature de la floraison artistique: peuplée de paysans, privée, sauf dans les villes épiscopales, d’un grand patriciat urbain, la Lorraine ne connut qu’une Renaissance tardive. De grands artistes, comme Ligier Richier, y perpétuent l’esprit de la chrétienté médiévale, et le palais ducal de Nancy, contemporain des châteaux de la Loire, demeure fidèle à la structure défensive de l’ancienne forteresse. Mais à cette note archaïsante se mêle la marque d’influences extérieures, françaises, rhénanes ou italiennes, ces dernières sensibles en particulier dans l’œuvre gravé de Jacques Callot ou encore dans l’ordonnance régulière de la «ville neuve» de Nancy, réalisée entre 1591 et 1598 par des architectes venus de la péninsule.
L’ouverture au cosmopolitisme fut brutalement interrompue peu après 1630 par les hostilités de la guerre de Trente Ans: le ralliement des Lorrains à la cause impériale et catholique ne traduit pas seulement une réplique aux menaces d’annexion de Richelieu; il manifeste plus encore un attachement profond à l’idéal de la chrétienté et une défiance foncière à l’égard du nationalisme étatique. Si la guerre de Trente Ans et les conflits qui suivirent furent pour la Lorraine une époque de misère et de ruine, les valeurs positives ne furent pas absentes de ces années sombres: les noms de saint Pierre Fourier, de la mère Alix Le Clerc sont attachés à des initiatives sociales et à une œuvre scolaire durable, tandis que Georges de La Tour témoigne, dans le dépouillement mystique de son art, du rayonnement de l’école française de spiritualité.
La Lorraine au siècle des Lumières
La paix et l’indépendance, rétablies au traité de Ryswick en 1697, inaugurent pour la Lorraine une ère de prospérité et de brillante floraison intellectuelle. Des souverains «éclairés», tels Léopold Ier (1697-1729), Stanislas Leszczy ski (1737-1766), achèvent la rationalisation de l’ordre institutionnel. La stabilité politique, l’ouverture des frontières sur les marchés extérieurs stimulent l’activité économique, en particulier l’industrie manufacturière et le commerce d’entrepôt.
Comme la plupart des pays d’Europe, la Lorraine fut touchée par le mouvement des Lumières, mais sa situation géographique et son indépendance diplomatique firent d’elle un lieu cosmopolite de refuge ou de rencontre: à la cour de Lunéville, résidence du prince, se pressent savants, hommes d’État et philosophes, tandis que l’académie de Nancy, fondée en 1751 par le roi de Pologne, réalise un équilibre subtil mais durable entre les tendances du «parti dévot» et celles du «mouvement». Héritiers de la tradition des anciens ducs, les souverains poursuivent la transformation monumentale de leurs États. Léopold fait édifier par Germain Boffrand, élève de Jules Hardouin-Mansart, le château de Lunéville; le même architecte inspirera, dans son économie générale, la primatiale de Nancy. Mécène, mais aussi philosophe, Stanislas sut donner à la vie de l’esprit et aux arts un prodigieux élan: par ses initiatives propres et par le génie de son premier architecte, Emmanuel Héré, sa capitale s’enrichit d’un groupe de places (place Royale, Carrière, Hémicycle, place d’Alliance) où s’unissent harmonieusement la grâce du XVIIIe siècle et la majesté du XVIIe finissant. De tels ensembles ne visent pas seulement à l’embellissement de la cité, mais à son ordonnance rationnelle et à son organisation pratique: ils marquent ainsi à la fois un moment essentiel de l’histoire de l’art et une conception nouvelle de l’urbanisme.
Des œuvres analogues, moins éclatantes cependant, se retrouvent dans les évêchés: de somptueux palais épiscopaux s’élevèrent à Verdun et à Toul; à Metz, l’architecte Blondel donna au centre de la ville une parure classique. De telles créations portent la marque du génie français avec peut-être une variété d’expression plus étendue, reflet du milieu humain cosmopolite des anciennes terres ducales ou évêchoises.
La Lorraine dans le monde contemporain
Officiellement province du royaume depuis la mort de Stanislas en 1766, la Lorraine paracheva sous la Révolution son intégration dans l’unité française. Ses habitants surent éviter les excès les plus graves et faire la preuve de leur traditionnelle modération. Cependant, les paysans, qui depuis longtemps souffraient de l’exiguïté de la propriété terrienne, se félicitaient de la disparition des redevances seigneuriales et de la vente des biens nationaux. Le rétablissement de l’ordre, la stabilité monétaire, le retour au culte catholique, la gloire des champs de bataille rallièrent à l’Empire la plupart des esprits: aucune province ne donna au nouveau régime plus de maréchaux et de généraux. La monarchie des Bourbons, puis celle de Louis-Philippe parurent ternes aux Lorrains, accoutumés aux fastes militaires: les catholiques libéraux manifestèrent dans les colonnes du journal nancéien L’Espérance leur désir de changement, tandis que la nostalgie de l’indépendance perdue s’exprimait dans le mouvement «lotharingiste», illustré par le baron Guerrier de Dumast. Les incertitudes puis les excès de la IIe République devaient d’ailleurs souder la cohésion des masses rurales contre les «partageux» et rassembler autour du nom de Louis-Napoléon d’imposantes majorités.
Au reste, c’est après 1870 qu’apparaissent les problèmes les plus graves. En créant la «terre impériale» d’Alsace-Lorraine (Reichsland Elsass-Lothringen ), le traité de Francfort divisait la Lorraine, dont il rattachait le nord-est à l’Empire allemand. Dans leur ensemble, les pays mosellans conservèrent à l’égard de la France une indéfectible fidélité; cependant, l’influence d’une forte minorité allemande, l’attrait exercé par le Zentrum sur des populations attachées à la foi catholique infléchirent beaucoup d’esprits vers la conquête de libertés constitutionnelles, dans le cadre d’un État confédéré. Quant à la Lorraine demeurée française, elle se sépara de la gauche par sa répulsion envers toute forme d’antimilitarisme et d’anticléricalisme; province frontière, pénétrée du sentiment d’être plus que toute autre la sauvegarde de la patrie, elle fit preuve d’un nationalisme très strict, volontiers ombrageux, dont les romans de Maurice Barrès ont donné l’orchestration la plus brillante. Les grandes souffrances endurées au cours des deux guerres mondiales devaient confirmer ces sentiments.
C’est aussi à la fin du XIXe siècle que la Lorraine connut les transformations économiques les plus radicales: avec la découverte, en 1878, du procédé de déphosphoration du minerai, ce pays traditionnellement rural vit se constituer une industrie lourde qui atteignit rapidement une importance mondiale. Longtemps tenus pour des richesses inépuisables, les mines et le groupe sidérurgique lorrains voient aujourd’hui leur avenir compromis: la concurrence de minerais étrangers plus riches, jointe aux actuelles facilités de transport des matières pondéreuses, tendent à déplacer vers les zones littorales les installations industrielles. Des « reconversions » économiques et psychologiques s’imposent avec urgence dans ce pays où s’affirme la montée des jeunes. Les éléments constitutifs non seulement de l’économie mais de la civilisation lorraine se trouvent sans nul doute en péril. Dans cette conjoncture difficile, on ne manquera pas cependant d’être frappé par le fait que, dans l’Europe de l’Union européenne, la Lorraine rejoint les anciennes constructions historiques de l’Austrasie et de la Lotharingie, qu’elle cesse d’être un «bastion» et redevient un trait d’union: la route fluviale ou terrestre demeure, comme autrefois, l’élément essentiel de sa vocation. L’avenir de cette province est peut-être de retrouver, dans un monde moins cloisonné, ses fonctions de liaison et ses traditionnelles valeurs d’universalisme.
● lorrain, lorraine adjectif et nom De Lorraine.
Lorraine
anc. province du N.-E. de la France, auj. Région administrative. Hist. - Sous Charlemagne, la Lorraine fut la Francia media. Le partage de Verdun (843) la plaça dans le territoire de Lothaire Ier, qui la donna (855) à Lothaire II; elle prit alors le nom de Lotharingie. Déclarée indépendante de l'Empire par Charles Quint (1542), la Lorraine fut amputée, au profit de la France, des Trois-évêchés (1552). Cédée au roi de Pologne (1738), elle échut à la France à la mort de celui-ci (1766). Dès 1770, elle exploita ses mines de fer. En 1871, l'Allemagne annexa une partie des dép. de la Meurthe et de la Moselle, que la France reprit en 1919.
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Lorraine
région admin. française et région de la C.E. formée des dép. de Meurthe-et-Moselle, de la Meuse, de la Moselle et des Vosges; 23 540 km²; 2 368 366 hab.; cap. Metz, qui forme, avec Nancy et Thionville (40 835 hab.), une métropole d'équilibre. Géogr. et écon. - Drainée par la Meuse et la Moselle, la Région s'étend sur l'E. du Bassin parisien et le versant occid. des Vosges; ses hauts plateaux ont des hivers longs et rudes et des étés chauds et orageux. Bien dotée en ressources naturelles: minerai de fer, charbon, sel gemme, la Lorraine est devenue, à la fin du XIXe s., une puissante rég. d'industries lourdes, attirant une forte immigration; les vallées vosgiennes développaient l'industrie du coton. L'industrie n'emploie auj. que le tiers des actifs; modernisée, elle n'a pu enrayer le chômage (depuis 1970) et l'émigration. La Lorraine a créé, avec la Belgique et le Luxembourg, un pôle européen de développement.
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Lorraine
Encyclopédie Universelle. 2012.