ARTHROPODES
Le terme Arthropode, signifiant «qui a des pieds articulés», a été créé en 1845 par Siebold et Stannius. Sous ce nom sont groupés «les animaux de forme parfaitement symétrique, pourvus d’organes locomoteurs articulés et dont les masses centrales du système nerveux constituent un anneau ganglionnaire entourant l’œsophage et une chaîne ganglionnaire ventrale partant de cet anneau». Ces animaux sont les Crustacés, les Myriapodes, les Arachnides et les Insectes; les trois quarts des formes animales vivantes se trouvaient ainsi réunis dans ce nouvel embranchement.
C’est toutefois Latreille qui, le premier, avait pressenti l’utilité de ce groupement. À partir de 1825, classant le règne animal en familles naturelles et reconnaissant un vaste ensemble, les Céphalidiens, ou animaux instinctifs (= animaux sensitifs de Lamarck), il regroupe les Crustacés, les Arachnides et les Insectes en une «race» qu’il nomme les Condylopes, animaux articulés pourvus de pièces articulées, et dont il donne une longue description très détaillée. Ce terme correspond exactement à celui d’Arthropode créé vingt ans plus tard, mais il n’a pas eu la chance d’être retenu et de survivre.
1. Le métamère, unité structurale fondamentale de l’Arthropode
Les téguments sont recouverts d’une cuticule dont la partie profonde est imprégnée de chitine, complexe d’un polyacétylglucosamine, imprégné de protéines et, parfois aussi, de sels de calcium (Crustacés, Myriapodes Diplopodes).
Le corps est constitué d’éléments (ou métamères) semblables, reliés les uns aux autres par de souples membranes. Les métamères se forment au cours du développement, par fragmentation de la bande germinative (ectoderme, mésoderme et leurs dérivés compris, fig. 1). Cette fragmentation, cette métamérisation existe aussi chez les Annélides, lors du développement de la larve trochophore, et chez les embryons de Vertébrés.
Le métamère, à sa naissance, est essentiellement défini par la présence d’une paire de sacs cœlomiques (par fragmentation interne du cœlome). Puis, le développement et l’organogenèse se poursuivent et le métamère s’achève avec la participation de l’ectoderme. Un métamère achevé, chez l’Arthropode, est complexe (fig. 2) et possède typiquement un segment ectodermique avec tergite dorsal et sternite ventral, limité en avant et en arrière par les sillons intersegmentaires, un segment musculaire, un segment vasculaire, un segment nerveux, une paire de néphridies, ou organes de l’excrétion, et une paire d’appendices.
2. Le corps de l’Arthropode et la formation des tagmes
Le processus de métamérisation n’aboutit pas, chez les Arthropodes, à un corps constitué de segments identiques. Mais, par arrêt de croissance de l’un ou de l’autre des constituants métamériques, par fusion partielle ou totale de certains d’entre eux, par disparition de certaines structures (appendices, par exemple), s’est constitué un corps d’aspect varié, apparemment hétérogène. Cela fait dire que, chez l’Arthropode, la segmentation est hétéronome alors qu’elle est homonome chez les Annélides. On peut toujours reconnaître, chez l’Arthropode, une tête résultant de la fusion de l’acron avec un certain nombre de métamères, dits céphalisés, un soma segmenté (le corps proprement dit) et un telson non segmenté, très réduit, portant l’anus. Mais d’autres processus, d’ordre évolutif, modifient encore l’aspect du soma par association de segments en régions morphologiquement et fonctionnellement spécialisées que l’on nomme tagmes. On parle par exemple de trois tagmes chez l’Insecte: tête, thorax, abdomen; chez le Crustacé, céphalon, péréion et pléon; de deux tagmes chez les Chélicérates, prosoma et opisthosoma. Parfois, mais rarement, c’est une réunion presque totale de tous les segments qui donne au corps d’un Acarien, par exemple, l’aspect non segmenté. De leur côté, les appendices peuvent persister, disparaître ou se transformer dans tel ou tel tagme. Le corps de l’Arthropode est donc très varié dans sa forme et dans sa composition apparente, mais le métamère existe toujours, bien qu’il passe parfois inaperçu. Seules des recherches anatomiques intéressant les organes internes permettent de retrouver les traces de la métamérie fondamentale, estompée de l’extérieur.
3. L’appendice arthropodien
Si l’on admet que les Arthropodes actuels dérivent de formes fossiles, on peut affirmer que l’appendice arthropodien est, typiquement et fondamentalement, double, c’est-à-dire qu’il possède deux rames, formées d’articles placés bout à bout, l’une externe (exopodite), l’autre interne (endopodite), s’insérant toutes deux sur une région commune unique mais tri-articulée (le sympodite). Ce type d’appendice existe chez des formes marines: les Trilobites, fossiles, et les Crustacés. En fait, même chez ceux-ci et surtout chez les Arthropodes terrestres, l’appendice est simple; il s’insère sur une région basale, ou coxale, qui comprend un, deux ou trois articles. Les appendices remplissent des fonctions très différentes et, pour ce faire, se modifient considérablement par rapport au type fondamental imaginé par les morphologistes: appendices ambulatoires, ou pattes, appendices masticateurs (mâchoires, maxilles, maxillules, mandibules, chélicères, antennes). Le polymorphisme appendiculaire, chez les Arthropodes, est considérable et rend difficiles les problèmes que tentent de résoudre les classificateurs.
4. Anatomie interne
Musculature
Les muscles sont typiquement striés et réunis en faisceaux indépendants; ils s’attachent à la paroi du corps ou sur des replis internes de celle-ci nommés apodèmes dont l’ensemble représente un véritable endosquelette. Dans quelques cas existent cependant des formations internes, d’origine mésodermique (endosternites), sur lesquelles certains muscles s’attachent. Ceux-ci (fig. 2) sont classés en longitudinaux, en tergo-sternaux, en tergo-coxaux, en sterno-coxaux et en appendiculaires. La myologie comparée pose des problèmes difficiles, mais les documents qu’elle fournit sont très importants dans les recherches sur la métamérie.
Système nerveux et organes des sens
Le système nerveux central, en principe, rappelle celui des Annélides; il se compose d’un cerveau divisé en trois parties et d’une chaîne ventrale. Le protocérébron , où se trouvent le corps central et les corps pédonculés (centres d’association en relation avec les yeux), est très complexe. Le deutocérébron réunit les ganglions qui, chez les Insectes, innervent les antennes: ce sont des centres olfactifs réunis par une commissure supra-œsophagienne; il est réduit chez certains Crustacés (Isopodes) et souvent absent chez les Chélicérates. Le tritocérébron , élément moteur des secondes antennes des Crustacés et des chélicères chez les Chélicérates, est composé de deux ganglions reliés par une commissure sous-œsophagienne. La chaîne nerveuse ventrale a des aspects très variés, un certain nombre (parfois la totalité) de ganglions abdominaux venant se réunir à ceux des segments porteurs de pattes. En principe, trois paires de nerfs partent de chaque ganglion: deux dorsales, motrices, et une ventrale, sensitive. La partie antérieure du tube digestif est innervée par un système stomatogastrique dont le ganglion principal porte des noms variés: œsophagien, frontal, etc. La structure de ce système neurovégétatif est complexe et varie beaucoup selon les classes.
Les organes des sens, qu’ils soient visuels (ocelles, yeux simples, yeux composés) ou olfactifs (æsthestacs, sensilles, etc.), sont très nombreux et différents. L’étude de ces organes (principalement olfactifs) a été poussée très loin depuis la mise en évidence de phéromones intervenant dans les principaux actes de la vie des Arthropodes (reproduction, vie sociale, reconnaissance); ces études ont été fortement stimulées par la mise au point de la microscopie électronique à balayage et à transmission.
Glandes endocrines
Les mécanismes humoraux sont complexes et de nombreuses glandes ont été reconnues chez les Arthropodes; leurs hormones agissent sur le déclenchement des mues, la croissance, la reproduction, la différenciation des sexes, les changements de coloration; certaines de ces substances jouent un rôle essentiel dans les mécanismes de diapause. Elles portent des noms variés: glande de mue des Crustacés (organe Y), glande prothoracique des Insectes, glande de mue (tissu endocrine) des Araignées, glande du sinus des Crustacés, corps cardiaques et paracardiaques des Insectes, organes de Schneider des Araignées, plaques paraganglionnaires chez de nombreux Arachnides, cellules neurosécrétrices intra- ou extracérébrales, glandes androgènes, etc. Certaines hormones sont chimiquement bien connues (par exemple les ecdystéroïdes intervenant chez tous les Arthropodes lors des mues).
Appareils digestif, respiratoire, circulatoire et excréteur
De ces appareils d’aspect très divers, voici les données essentielles. On distingue trois régions dans le tube digestif: la première, antérieure (stomodeum); la deuxième, postérieure (proctodeum), toutes deux d’origine ectodermique; la troisième, intermédiaire (intestin moyen), d’origine endodermique, accompagnée ou non de glandes annexes. La respiration peut être cutanée chez les petites formes aquatiques ou terrestres; elle s’effectue, selon les classes, soit à l’aide de branchies portées par la base des pattes, soit à l’aide de phyllotrachées, de trachées ou de pseudotrachées. Le cœur, toujours dorsal, est entouré d’une cavité close, ou péricarde, avec laquelle il communique par des fentes métamériques (ostioles). Le système circulatoire est réduit, on parle cependant d’artères, de veines, mais le réseau vasculaire n’est pas clos (sinus); un pigment respiratoire (hémoglobine et, le plus souvent, hémocyanine) existe souvent dans le plasma; on distingue différentes catégories cellulaires dans ce liquide. Sauf chez les Insectes, où elle est assurée par les tubes de Malpighi, l’excrétion est réalisée par des néphridies modifiées ayant persisté dans certains segments; elles représentent des canalicules d’origine mésodermique faisant communiquer le cœlome avec l’extérieur: glandes antennaires, maxillaires, coxales, reins labiaux, etc. Des tissus et des cellules spécialisées (néphocytes, œnocytes, etc.) jouent également un rôle important dans l’excrétion.
Appareil reproducteur et reproduction
Très varié, l’appareil reproducteur des Arthropodes peut être schématisé comme suit. Les éléments gonadiques, métamériques, se réunissent au cours du développement embryonnaire pour fournir une gonade (paire ou impaire) où toute trace de segmentation a disparu. Les gonoductes débouchent soit dans un, soit dans deux orifices dont la position est variable; on les trouve à la limite du pléon et du péréion chez les Crustacés, dans le thorax chez les Myriapodes Diplopodes, dans les premiers segments de l’abdomen chez les Chélicérates et à l’extrémité postérieure de l’abdomen chez les Insectes et les Myriapodes Chilopodes. Chez les Pycnogonides, les orifices sexuels existent dans les deuxièmes coxas d’une ou de plusieurs pattes. Les sexes sont séparés, mais dans certains groupes, comme celui des Crustacés, la tendance à l’hermaphrodisme est manifeste. La reproduction parthénogénétique est fréquente, irrégulière (ou facultative) mais parfois assez régulière, alternant avec la génération sexuée. Cette dernière s’accomplit selon des modes bien différents: par coït où les organes d’accouplement jouent un rôle essentiel, par l’entremise d’appareils temporaires fabriqués pour les besoins de la cause (spermatophores) ou par emploi d’organes spéciaux portés chez le mâle, par certains appendices modifiés (appendices sexuels).
5. Développement et croissance
Au cours du développement embryonnaire, chez les Arthropodes, le blastopore ne persiste jamais pour donner l’anus: ce sont donc des prostomiens. L’origine du feuillet mésodermique subit de telles variations, comme l’organogenèse d’ailleurs, qu’il est impossible d’en dresser un schéma convenant à l’ensemble des Arthropodes. Le développement postnatal comporte différents stades: larvaires, puis nymphaires conduisant à l’état adulte ou imaginal. Chaque stade commence et finit par une mue (sauf l’imaginal bien entendu): le rejet de la cuticule qui couvre les téguments est nécessaire à la croissance. Celle-ci est donc nécessairement discontinue. Chaque mue peut provoquer des remaniements histologiques ou organiques profonds; on parle alors de métamorphoses. Mais une étude précise des larves des Arthropodes que l’on qualifie de «sans métamorphoses» (Arachnides, par exemple) montre qu’il existe, en fait, une gamme graduée de changements. Chez tous les Arthropodes les phénomènes de développement et de croissance sont commandés par des mécanismes endocrines.
Le développement est qualifié d’épimorphe lorsque le nombre des segments du corps est réalisé dès la naissance, ou anamorphe , si ce nombre varie et se complète progressivement. Ces deux catégories de développement coexistent parfois dans une même classe (Myriapodes, par exemple). Mais si l’on se penche, non plus sur le nombre des segments, mais sur tel ou tel caractère, sur tel ou tel organe, on s’aperçoit bien vite que ces deux catégories coexistent aussi chez une même espèce, chaque caractère ou chaque organe ayant une réelle autonomie morphogénétique. Dans le domaine des recherches micro-évolutives, les Arthropodes, par le nombre et la variété de leurs formes larvaires, nymphaires et adultes, prouvent la richesse d’invention de la nature, richesse qui, chez les formes parasites, est encore plus frappante, voire inattendue.
6. Classification et évolution
On reconnaît, actuellement, trois sous-embranchements parmi les Arthropodes. Les Trilobitomorphes , à carapace dorsale divisée en trois régions par deux sillons longitudinaux, n’ont pas dépassé l’ère secondaire; ils étaient tous marins, possédaient des antennes préorales et leurs appendices ventraux presque tous semblables étaient du type biramé. Les Chélicérates , dépourvus d’antennes, ont leurs appendices antérieurs (chélicères) transformés en pinces; la région céphalique, non individualisée, correspond à un ensemble de métamères réunis à l’acron; on les sépare en Mérostomes marins, presque tous disparus à la fin de l’Ère primaire (sauf les Limules qui ont persisté jusqu’à nos jours) et en Arachnides à respiration aérienne. Les Antennates, ou Mandibulates, forment le dernier sous-embranchement; il comprend les Myriapodes, les Crustacés et les Insectes, lesquels représentent les neuf dixièmes des Arthropodes actuels.
On rattache aux Arthropodes, sous le nom de Pararthropodes (porteurs de griffes), certains groupes présentant des caractères arthropodiens: les Onychophores, ou Péripates, les Tardigrades et les Linguatules.
Les Arthropodes étaient bien différenciés antérieurement au Cambrien et une origine polyphylétique de ce vaste ensemble est possible. Néanmoins le développement révèle de nombreuses affinités avec celui des Annélides. Si l’on veut rechercher encore plus loin, dans le temps, l’origine des Arthropodes, on aboutit à cette conclusion qu’Arthropodes et Annélides ont certainement des ancêtres communs.
L’existence de très nombreux fossiles marins d’Arthropodes laisse penser qu’au cours de son évolution cet embranchement est passé de la vie aquatique à la vie terrestre; nombreux sont les partisans de cette hypothèse. Il est sûr que l’évolution, dans certains domaines, fut progressive surtout en ce qui concerne le système nerveux. Celui-ci, chez les Insectes sociaux, par exemple, atteint un degré de complexité qui permet des manifestations psychiques confinant à l’intelligence.
On parle aussi d’évolution régressive. Le deutocérébron a disparu chez les Chélicérates, par exemple. On ne saurait cependant affirmer que le psychisme des Araignées est inférieur à celui des Insectes. Les Arthropodes apportent la preuve que, si la simplification organique évolutive existe, elle n’entraîne nullement une régression dans les manifestations vitales.
arthropodes [ artrɔpɔd ] n. m. pl.
• 1845; arthropodion 1827; de arthro- et -pode
♦ Zool. Embranchement d'invertébrés comprenant des animaux au corps chitineux segmenté, aux membres formés de pièces articulées (anciennt articulés). Les crustacés, les myriapodes, les insectes, les arachnides sont des arthropodes. — sing. Un arthropode.
arthropodes
n. m. pl. ZOOL Embranchement de métazoaires invertébrés coelomates caractérisés par un tégument rigide, inextensible, qui leur impose une croissance par mues et une structure articulée. Les arthropodes, qui représentent 80 % des espèces animales connues, comprennent notam. les crustacés, les insectes, les myriapodes et les arachnides.
— Sing. Un arthropode.
arthropodes [aʀtʀɔpɔd] n. m. pl.
ÉTYM. 1884, en zool., in T. L. F.; mot créé en botanique (arthropodion, in Boiste, 1823; arthropode, 1845), repris en zool.; du lat. méd. arthropoda (Siebold et Stannius, 1845), des éléments grecs correspondant à arthro- et -pode. → Articuler, cit. 2.
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♦ Embranchement du règne animal comprenant les animaux des milieux maritime, terrestre et aérien, invertébrés, à pattes articulées, dont le corps, parfaitement symétrique, est formé de segments. || Les crustacés, les myriapodes, les arachnides, les insectes sont des arthropodes. || Le développement des arthropodes s'opère par des transformations (mues, métamorphoses); presque tous sont ovipares; leur tête porte des antennes et un appareil masticateur; au thorax sont attachés les organes de locomotion; tête et thorax sont parfois soudés ensemble et forment le céphalothorax (prosoma); l'abdomen fait suite au thorax et il s'y ajoute parfois un postabdomen.
0 Il y avait donc un dieu pour les insectes aussi, un messie pour les coléoptères et pour les arthropodes, un sauveur tout noir, caparaçonné, couvert d'antennes et de pattes, et qui avait donné pour toujours son ordre magique !
J.-M. G. Le Clézio, la Fièvre, p. 159.
♦ Divisions des arthropodes : Antennates, Chélicérates, Pararthropodes, Proarthropodes (sous-embranchements).
♦ Au sing. || Un arthropode.
♦ (1926, Cuénot). || Arthropodes aberrants (ou Pararthropodes), réunion (pseudo-embranchement) de trois groupes d'animaux présentant certains caractères des arthropodes et certains des annélides (Onychophores, Tardigrades, Pentastomides).
Encyclopédie Universelle. 2012.