MYOCARDE
On nomme myocarde le tissu contractile qui forme la plus grande partie du cœur. Il est composé de cellules, ou «fibres», groupées en faisceaux. On a longtemps admis qu’elles constituaient un système unitaire, c’est-à-dire un syncytium histologique; cette conception a été démentie par l’observation en microscopie électronique qui a montré que chaque cellule est entièrement entourée d’une membrane. Néanmoins, l’excitation peut aisément se propager d’une cellule à l’autre, au moins dans les conditions physiologiques, et c’est pourquoi on peut qualifier l’ensemble du myocarde de syncytium fonctionnel. La contraction, ou systole cardiaque, correspond au raccourcissement synchronisé des cellules myocardiques, sous l’effet de l’interpénétration, à l’intérieur des cellules, de fins éléments de nature protéique, les myofilaments, groupés en une architecture particulière: les myofibrilles (cf. MUSCLES, chap. 1).
Le déclenchement des contractions du cœur des Mammifères ne se fait pas sous l’influence d’une commande nerveuse, comme dans les muscles striés, mais sous l’influence de potentiels d’action [cf. ÉLECTROPHYSIOLOGIE] apparaissant spontanément et rythmiquement au niveau d’un tissu particulier, le tissu nodal . Les cellules de ce tissu, groupées en amas ou nœuds (de Keith et Flack, de Tawara), n’ont pas de fonction contractile très développée, mais elles assurent la stimulation physiologique qui entretient l’automatisme fonctionnel du cœur. Cette stimulation se propage à l’ensemble du myocarde par l’intermédiaire d’un tissu conducteur (faisceau de His et réseau de Purkinje).
Un potentiel d’action cardiaque est dû à l’inversion temporaire de la polarisation membranaire de repos (polarisation diastolique). Ainsi se produit une onde de dépolarisation dont l’originalité remarquable est sa longue durée, plusieurs centaines de millisecondes (comparativement à celle des nerfs ou des muscles squelettiques). La dépolarisation membranaire entraîne la contraction myofibrillaire; dans cette succession d’événements (couplage excitation-contraction), les ions calcium jouent un rôle essentiel.
Les fibres nerveuses afférentes (sympathiques ou parasympathiques), n’ayant aucun rôle dans l’excitation du myocarde, se distribuent simplement entre les cellules cardiaques (principalement de la région auriculaire) sans s’articuler avec elles par des plaques motrices; elles libèrent des médiateurs chimiques (adrénaline et acétylcholine) qui modifient en particulier le rythme du tissu automatique nodal et l’activité du tissu myocardique.
Le travail du cœur utilise la plus grande partie de l’énergie produite par le métabolisme cardiaque. Celui-ci est aérobie chez les Mammifères, de telle sorte que l’anoxie entraîne la disparition très rapide des contractions cardiaques chez ces animaux (il en va différemment pour d’autres Vertébrés: un cœur de tortue, par exemple, peut travailler normalement pendant plus de deux heures en anoxie complète). Ce métabolisme très actif est, en outre, très adaptable, car dans la plupart des cas le cœur peut consommer divers substrats (glucides ou lipides).
Les troubles du métabolisme et de la vascularisation du muscle cardiaque sont les principaux responsables de la pathologie du myocarde, dont l’importance ne cesse de croître. Les recherches cliniques et étiologiques, malgré d’immenses progrès, n’ont élucidé qu’une partie des problèmes complexes que posent les maladies du myocarde. Cela explique les efforts considérables que l’on poursuit dans ce domaine, avec l’espoir d’atteindre à une prévention efficace de ces maladies.
1. Physiologie
Histologie et ultrastructure
Le myocarde est un muscle rouge dont les cellules, en microscopie optique, paraissent striées transversalement car elles renferment des myofibrilles à zones sombres et claires. Les cellules myocardiques (fig. 1) sont généralement de faible diamètre (10 micromètres environ), allongées (de 50 à 200 micromètres), et présentent des bifurcations à l’extrémité digitée desquelles un accolement a lieu avec les cellules voisines, formant des disques intercalaires. En certains points de ces disques, l’accolement membranaire entre deux cellules devient extrêmement étroit (jonctions serrées), et l’on suppose que c’est à ce niveau que s’effectue le plus facilement la conduction intercellulaire. Les cellules myocardiques, entourées d’une membrane ou sarcolemme, possèdent un cytoplasme ou sarcoplasme et contiennent, outre les myofibrilles, un seul noyau et divers types d’organites parmi lesquels une grande quantité de mitochondries qui renferment les enzymes de la respiration.
Les myofibrilles sont des faisceaux de myofilaments formés eux-mêmes de filaments d’actine et de bâtonnets de myosine disposés longitudinalement et capables, grâce à la formation de ponts entre leurs molécules respectives, de s’interpénétrer plus ou moins profondément, imposant ainsi à la cellule les variations de longueur et de tension dont résulte la contraction. Les myofibrilles sont entourées d’un réseau de fins canalicules qui constitue une sorte de filet à larges mailles: le réticulum sarcoplasmique longitudinal. Ce réticulum ainsi que les mitochondries constituent des sources intracellulaires de calcium.
Le sarcolemme s’invagine à intervalles réguliers au niveau de la région centrale des disques clairs (niveau des stries Z), formant des tubes transverses qui pénètrent dans la profondeur cellulaire et y entrent en contact avec des vésicules dites terminales émanant du réticulum longitudinal (ce sont de véritables réservoirs calciques); d’autres vésicules s’accolent au sarcolemme périphérique.
Les cellules du tissu nodal sont plus petites, plus irrégulières et moins riches en myofibrilles que les cellules myocardiques; la conduction y est lente. Les cellules du tissu conducteur sont aussi moins riches en myofibrilles que les cellules myocardiques, mais beaucoup plus grosses et groupées en faisceaux dans lesquels la conduction est beaucoup plus rapide que dans le reste du cœur.
Contractilité
On peut étudier la contractilité du cœur en enregistrant soit les variations de pression qu’il développe à l’intérieur de ses cavités, soit ses variations de volume ou de dimensions (cf. appareil CIRCULATOIRE), soit encore les variations de longueur d’un fragment de tissu cardiaque ou les variations de la tension que ce fragment peut exercer. Les procédés d’enregistrement les plus courants sont fondés sur l’utilisation de systèmes mécanoélectriques (systèmes à résistance, à inductance ou à capacitance variables, systèmes piézoélectriques) ou mécanoélectroniques, optiques.
Le décours de la contraction enregistrée au niveau d’un fragment isolé de myocarde (fragment d’oreillette, muscle papillaire, trabécule ventriculaire, ventricule droit entier chez les petites espèces telles que le rat, etc.) est plus simple que celui de la systole enregistrée au niveau du cœur entier, surtout si l’on s’affranchit du phénomène de désynchronisation physiologique de la contraction qui dépend du temps nécessaire à la conduction de l’excitation, de l’étage auriculaire à l’étage ventriculaire. Pour cela, on stimule le fragment de tissu en toutes ses parties simultanément à l’aide d’électrodes multiples ou de grande surface. Dans ces conditions, le phénomène enregistré ressemble fort à la secousse d’un muscle squelettique, mais, à la différence de ce que l’on observe pour ce dernier, l’enregistrement simultané de l’activité mécanique et de l’activité électrique cellulaire (autrement dit l’électrocardiogramme) montre que la durée du potentiel d’action cardiaque est en général au moins égale à celle de la phase ascendante du mécanogramme (fig. 2). Cet état de fait est en étroite relation avec l’impossibilité de réaliser la fusion des contractions cardiaques successives, autrement dit l’intétanisabilité du cœur.
Les cellules myocardiques peuvent être considérées, d’un point de vue mécanique, comme constituées d’un système contractile élémentaire et d’éléments élastiques en série et en parallèle. Le phénomène mécanique tel qu’il se développe au niveau du système contractile élémentaire (état actif, selon Hill) se trouve déformé et ralenti quand on l’enregistre à l’extérieur des cellules, du fait de la présence des éléments élastiques. Il l’est toutefois beaucoup moins dans le cœur que dans le muscle squelettique.
Le myocarde présente une viscosité élevée; si on le soumet à une brusque élongation permanente, il résiste fortement, puis cède progressivement.
Bien que le myocarde soit un muscle puissant, il n’est toutefois pas capable d’exercer des forces aussi grandes, par unité de surface, que le muscle squelettique, peut-être parce que sa richesse en myofibrilles se trouve proportionnellement amoindrie par l’énorme quantité de mitochondries qu’il contient.
Il existe une relation entre la longueur (L) imposée à un faisceau de fibres cardiaques pendant la diastole et l’amplitude de la tension systolique (Ts) que ce faisceau est capable d’exercer (fig. 3). La partie ascendante de la courbe traduit le fait que les fibres exercent une contraction d’autant plus grande qu’elles sont soumises, au repos, à un étirement plus important. Une telle relation a été observée depuis longtemps sur le cœur entier, où elle s’exprime, en général, non en termes de longueur et de tension, mais en termes de pression ou de volume diastoliques (le volume du cœur est d’autant plus grand que ses fibres sont plus étirées). Cette loi, connue sous le nom de loi de Starling , explique que le cœur puisse se contracter d’autant plus énergiquement qu’il reçoit une quantité plus grande de sang. Des substances comme le calcium et la noradrénaline augmentent la tension systolique sans déplacer l’optimum de la courbe (fig. 3). La longueur diastolique permettant le développement d’une tension systolique maximale correspond au point d’étirement pour lequel cesse l’interpénétration des filaments d’actine et des bâtonnets de myosine; les étirements plus importants ne sont pas physiologiques dans le cas du cœur.
La tension systolique n’est pas la seule caractéristique qu’il faille prendre en considération dans l’étude des performances cardiaques: la vitesse avec laquelle le cœur est capable d’éjecter le sang qu’il contient, c’est-à-dire la vitesse de raccourcissement de ses fibres, est également très importante (fig. 4). Or cette vitesse est, comme la tension systolique, d’autant plus grande que l’étirement initial est plus grand. Mais elle dépend aussi d’un autre facteur qui est la résistance que rencontreront les fibres dans leur tentative de raccourcissement ou, si l’on préfère, la charge à vaincre. L’augmentation de la charge à vaincre réduit la vitesse de raccourcissement des fibres. Pour le ventricule gauche, cette charge à vaincre n’est autre que la pression du sang dans l’aorte. Donc, plus cette pression sera élevée, plus la vitesse de raccourcissement sera faible et plus le volume de sang éjecté en systole sera petit. D’autre part, pour une pression sanguine aortique donnée, la vitesse de raccourcissement sera d’autant plus grande que le remplissage du cœur sera meilleur, car il augmentera l’étirement des fibres; d’où l’importance d’un bon retour veineux.
La contraction cardiaque dépend encore dans une très large mesure de la fréquence de fonctionnement du tissu. Chez la plupart des espèces (sauf le rat), pour les fréquences très basses, la contraction est de faible amplitude; elle croît lorsque la fréquence augmente, passe par un maximum, puis décroît pour les fréquences très élevées. Lorsqu’on passe brusquement d’une fréquence à une autre, l’amplitude de la contraction n’atteint que progressivement sa nouvelle valeur (phénomène de l’escalier). D’autre part, la modification d’un seul intervalle dans une série régulière de systoles entraîne des changements d’amplitude de contraction qui se répercutent sur plusieurs des systoles ultérieures, souvent une demi-douzaine ou plus. Ainsi, lorsqu’un intervalle est fortement raccourci (fig. 5), la contraction prématurée (extrasystole) est de faible amplitude (et parfois disparaît presque complètement) tandis que les systoles ultérieures subissent une augmentation brusque d’amplitude, souvent très marquée pour la première, progressivement moindre pour les suivantes, jusqu’au retour à la contractilité normale (potentiation post-extrasystolique). Cette propriété a été utilisée en clinique: en imposant, de façon régulière, des extrasystoles très précoces, on abaisse la fréquence efficace du cœur, tout en améliorant sa contractilité (stimulation pairée).
Activité électrique cellulaire
La polarisation membranaire de repos (diastolique) varie selon les tissus: les régions nodales, et en particulier le centre d’automatisme, ont un potentiel diastolique maximal plus faible (de 60 à 70 mV) que le myocarde ou le tissu conducteur (de 70 à 90 mV). Le potentiel d’action [cf. ÉLECTROPHYSIOLOGIE] des cellules cardiaques se caractérise par sa durée relativement longue, généralement comprise entre 100 et 500 ms; il se compose en principe d’une phase ascendante rapide, suivie d’une phase de dépolarisation maintenue, plus ou moins ample et durable, qui constitue le «plateau». L’amplitude et le décours des potentiels d’action varient selon les régions du cœur et aussi selon les espèces. La figure 6 donne une vue d’ensemble schématique de l’activité électrique des principaux tissus cardiaques enregistrée chez le chien à l’aide de microélectrodes intracellulaires. On y remarque, entre autres, la faible amplitude des potentiels d’action des régions nodales, qui sont dépourvus de phase ascendante rapide et qui ne présentent pas d’inversion de potentiel, ainsi que l’existence, au niveau du centre d’automatisme (pacemaker ) normalement localisé dans le nœud de Keith et Flack, d’une lente dépolarisation diastolique (potentiel de pacemaker) précédant le potentiel d’action. L’existence d’une telle pente de dépolarisation diastolique est l’indice de la proximité d’un centre d’automatisme.
On admet que les phénomènes électriques cardiaques sont, comme ceux des autres tissus excitables, la conséquence de variations de perméabilités (ou de conductances) passives pour différents ions; elles entraînent, du fait de l’existence de gradients transmembranaires de concentrations, des entrées ou des sorties d’ions et, par conséquent, le transfert de charges électriques à travers la membrane. Or, on peut déterminer pour chaque ion A un potentiel dit d’équilibre (EA) qui dépend du rapport des concentrations en ions A à l’extérieur des cellules et dans leur cytoplasme [cf. ÉLECTROPHYSIOLOGIE]. Lorsque le potentiel de membrane Em est égal à EA, l’ion A ne peut ni entrer ni sortir de la cellule; lorsque Em est différent de EA, il peut, au contraire, y entrer ou en sortir et, étant une particule chargée, donner naissance à un courant électrique que l’on peut mesurer dans certaines conditions (par la technique dite du «voltage clamp», c’est-à-dire du potentiel imposé). Un courant d’entrée nette d’ions positifs amènera à l’intérieur de la membrane des charges positives et entraînera une dépolarisation membranaire. (Un tel courant est généralement dû à une entrée d’ions sodium ou calcium dans les cellules qui en sont moins pourvues que ne l’est le milieu où elles vivent.) Un courant de sortie nette d’ions positifs (généralement potassium) entraînera, au contraire, une repolarisation. Le courant électrique transmembranaire i A dû à un ion A est, à chaque instant, égal au produit de la conductance de la membrane pour cet ion (g A) par la différence entre EA et le potentiel électrique membranaire Em à l’instant considéré: i A = g A(Em 漣 EA).
Il a été montré que, comme dans de nombreux autres tissus excitables (axone géant, fibre nerveuse myélinisée, fibre musculaire squelettique, etc.), le développement de la brusque dépolarisation que représente la phase ascendante des potentiels d’action cardiaques est dû à une rapide augmentation de conductance pour le sodium (fig. 7). En revanche, le plateau s’est révélé d’interprétation plus complexe: pour rendre compte de cette dépolarisation maintenue, il faut supposer l’existence prolongée d’un courant net entrant de cations, ce qui implique que les courants entrants (courant sodique, et surtout calcique) restent, pendant toute cette période, supérieurs aux courants sortants (courant potassique, par exemple). Ce déséquilibre est facilité par une diminution du courant potassique sortant à la suite d’une baisse de conductance potassique lorsque la cellule est dépolarisée (on dit alors qu’il y a rectification anormale ). Quel ion peut être tenu pour responsable du maintien du courant entrant net au cours du plateau? On admet depuis 1968 que le courant entrant responsable du plateau est à la fois calcique et un peu sodique et qu’il pénètre par un «canal» membranaire lent; celui-ci est différent du «canal» sodique rapide qui donne naissance à la phase ascendante rapide. Depuis quelques années, les techniques d’isolement cellulaire (par digestion enzymatique) ont permis l’analyse des courants ioniques membranaires au niveau d’une seule cellule myocardique. La technique du patch-clamp (qui consiste à isoler à la pointe d’une microélectrode une portion de membrane de l’ordre de 1 猪2) permet de «visualiser» le courant calcium élémentaire qui s’écoule au niveau d’un et d’un seul canal membranaire lorsque celui-ci est conducteur, c’est-à-dire ouvert.
La repolarisation (c’est-à-dire la fin du potentiel d’action) apparaît lorsque le courant sortant devient supérieur aux courants entrants. Cela peut être dû, selon les tissus cardiaques, soit à l’existence d’une rectification retardée mettant en jeu une ou plusieurs composantes du courant potassique, soit à la disparition du courant entrant, soit aux deux phénomènes simultanément.
Tous les tissus cardiaques ne possèdent pas des perméabilités membranaires identiques: chez certains, l’augmentation initiale de perméabilité sodique (canal rapide) est peu développée et, de ce fait, la phase ascendante du potentiel d’action est lente et de faible amplitude; c’est, en particulier, le cas du tissu nodal.
L’automatisme cardiaque peut s’expliquer par le jeu combiné de plusieurs perméabilités ioniques membranaires. Les principaux courants sont: un courant entrant lent calcique et peut-être sodique qui s’active lentement au cours de la dépolarisation diastolique, un courant entrant (i f ), dépendant de la concentration en sodium extracellulaire et qui s’active également dans la gamme des potentiels de pacemaker. Ces différents courants entrants, associés à une lente diminution de la conductance potassique au cours de la diastole, vont permettre d’amener le potentiel de pacemaker à sa valeur seuil et ainsi de déclencher spontanément le potentiel d’action sinusal (au niveau du nœud de Keith et Flack) responsable de l’automatisme cardiaque.
Dans les tissus non automatiques, le même phénomène peut survenir sous l’effet d’une dépolarisation électrique, imposée, par exemple, par la proximité d’une cathode ou par le voisinage d’une cellule subissant elle-même la dépolarisation brutale que constitue le potentiel d’action: c’est par ce dernier mécanisme d’excitation de proche en proche que se réalise le phénomène physiologique de conduction. Dans un tissu structuralement aussi complexe que le cœur, l’aptitude à la conduction n’est pas la même en tous les points: lorsqu’une fibre peu ramifiée donne, en un certain point, naissance à des ramifications multiples, des risques de ralentissement ou de blocage de conduction apparaissent de ce fait; il en est de même lorsque la conduction s’effectue d’une région normalement polarisée (myocarde normal) vers une région plus faiblement polarisée (tissu nodal ou zones ischémiées, par exemple). L’enregistrement des potentiels intracellulaires peut refléter ces imperfections de la conduction cellulaire: les potentiels d’action sont alors distordus par des ressauts ou des ruptures de pentes, traces d’activités électriques cellulaires plus ou moins lointaines.
Couplage excitation-contraction: rôle du calcium
Le déclenchement de la contraction cardiaque est lié au développement du potentiel d’action dont on a vu qu’il permettait, entre autres choses, une pénétration de calcium à l’intérieur des cellules. Or, la suppression du calcium extracellulaire entraîne en quelques minutes la disparition des contractions cardiaques. De plus, il est aujourd’hui bien établi que cet ion joue un rôle fondamental dans la mise en tension myofibrillaire en empêchant une protéine, la troponine (associée à la tropomyosine), d’inhiber la formation de ponts entre l’actine et la myosine.
Il est montré que la contraction dépend de la concentration instantanée en calcium ionisé autour des myofibrilles: cette concentration augmenterait au cours du potentiel d’action du fait, d’une part, de l’entrée de calcium externe dans les cellules, d’autre part, du passage dans le cytoplasme d’une certaine quantité du calcium contenu pendant la diastole dans des réservoirs intracellulaires (citernes du réticulum sarcoplasmique et peut-être mitochondries); ce déplacement du calcium intracellulaire pourrait être la conséquence de la dépolarisation membranaire, influençant par contiguïté les membranes des réservoirs internes. Lors de la repolarisation membranaire, le calcium est en partie récupéré par les réservoirs, en partie rejeté à l’extérieur, d’où la concentration calcique autour des myofibrilles entraînant leur relaxation.
Les variations progressives de contractilité telles que le phénomène de l’escalier et la potentiation post-extrasystolique peuvent être attribuées à des redistributions internes du calcium, mettant en jeu les réservoirs dont la décharge ou la recharge exigent apparemment pour s’achever plusieurs systoles successives. Il existe, en outre, des contractions durables ou permanentes qui apparaissent en absence de tout potentiel d’action: ce sont des contractures . On peut les attribuer à un envahissement de la cellule par le calcium, soit que celui-ci entre de manière excessive, par exemple à la suite d’une dépolarisation permanente, soit que les réservoirs intracellulaires deviennent incapables de le recapter.
2. Métabolismes dans le myocarde normal
Le myocarde est, à l’état normal, un organe presque exclusivement aérobie. Sa dépendance à l’égard de l’oxygène est telle qu’il ne peut contracter de dette en oxygène, sa consommation s’adapte immédiatement au travail et cesse avec lui, contrairement à ce qui se passe dans le muscle d’origine squelettique. Son équipement membranaire est riche en récepteurs, adrénergiques entre autres, capables de l’adapter rapidement à l’exercice. Il est en revanche peu doué pour la synthèse protéique, qui y est normalement lente et peu active. Ces caractères sont à l’évidence dus au fait qu’il s’agit d’un muscle en travail permanent, contrairement aux autres.
Énergétique
Le myocarde tire sa couleur rouge de la richesse de son contenu en myoglobine, transporteur qui véhicule l’oxygène dans la cellule, et en mitochondries, particules intracellulaires dans lesquelles l’oxygène catalyse la synthèse d’ATP (adénosine-triphosphate) grâce à un système étagé d’oxydoréductions couplé à des phosphorylations. L’ATP ne peut traverser ni les membranes mitochondriales, ni la membrane plasmique externe qui délimite chaque cellule. L’énergie dont il est porteur sera transférée dans le cytoplasme sous forme de créatine phosphate (CP) grâce à une CP-kinase. La synthèse d’ATP à partir de CP retransforme l’énergie potentielle de réserve, qui est celle de la CP, en énergie directement transformable en énergie mécanique. La chaîne d’oxydoréduction est alimentée par l’intermédiaire du cycle de Krebs par les produits de la 廓-oxydation des acides gras, essentiellement non estérifiés, et ceux de la glycolyse. Ces produits sont traités dans le premier cas par des enzymes mitochondriales et dans le second par des enzymes cytoplasmiques, y compris pour la formation anaérobie d’ATP.
Le cœur normal arrêté consomme environ 2,5 ml . min-1 . 100 g-1 d’oxygène, chiffre qui passe à 8-14 ml . min-1 . 100 g-1 sur le cœur battant. Lorsqu’il n’y a pas de variations dans le pH, le contenu en oxygène ou en hémoglobine du sang artériel, le sang veineux coronaire issu du cœur est presque complètement privé d’oxygène et la consommation d’oxygène du cœur ne peut être réglée qu’en changeant le débit coronaire; le tableau 1 montre bien que le cœur, organe aérobie par excellence, consomme de préférence des acides gras, substrats qui ne sont utilisables qu’en aérobiose.
Il peut utiliser le lactate, ce que ne peut pas faire le muscle d’origine squelettique, parce que le cœur possède une isoforme de la lactate déshydrogénase qui catalyse dans la première étape de la glycolyse la réaction lactate 燎 pyruvate, dans le sens pyruvatelactate.
Le myocarde dispose donc d’ATP surtout d’origine aérobie (très accessoirement à l’état normal d’origine anaérobie) comme source majeure directement utilisable d’énergie. La transformation en énergie mécanique se fera au niveau du sarcomère, unité élémentaire de la contraction presque identique dans le cœur et le muscle d’origine squelettique (cf. MUSCLES, spécialement fig. 3). Le sarcomère comprend deux groupes de filaments, fins et épais, qui s’entrecroisent comme les doigts d’une main. Leur glissement les uns par rapport aux autres détermine le mouvement contractile, cyclique dans le cas du cœur. Le glissement est produit par le mouvement de la tête des molécules de myosine; c’est à ce niveau que se fait la transformation d’énergie chimique en énergie mécanique et que l’ATP s’hydrolyse, la réaction étant catalysée par l’ATPase de la myosine. L’activité de cette enzyme est linéairement corrélée à la vitesse maximale de raccourcissement du myocarde pour une charge nulle, Vmax.
Membranes
La membrane externe de la cellule musculaire cardiaque est le siège d’un riche équipement en récepteurs, ou en molécules analogues à des récepteurs. On citera notamment la (Na+, K+)-ATPase, enzyme spécifiquement inhibée par la digitaline ; cette drogue augmente la contractilité. Cette enzyme rétablit le gradient sodique normal dans la cellule myocardique enrichie en Na+ au début du potentiel d’action (fig. 7). Parmi les récepteurs membranaires proprement dits (tabl. 2), les plus importants sont les récepteurs 廓 adrénergiques, activés physiologiquement par l’adrénaline et la noradrénaline, hormones du stress, qui, par cet intermédiaire, activent la contraction et dilatent les coronaires. Les récepteurs 見 jouent surtout un rôle sur les coronaires, bien que les 見1 aient aussi un effet inotrope, c’est-à-dire relatif à l’intensité de la contraction. De connaissance récente, les récepteurs à l’adénosine rendent compte des effets du café sur l’inotropisme, la fréquence cardiaque et la vasomotricité coronaire. La plupart de ces récepteurs transmettent (transduction) le signal d’activation par l’intermédiaire d’un complexe de 3 peptides, la G (ou N)-protéine. Les G-protéines sont une famille polymorphique, chacune étant, probablement, spécifique d’un récepteur donné (fig. 8). C’est par l’intermédiaire de cette protéine qu’ils peuvent activer ou inhiber (tabl. 2) soit le système enzymatique conduit par l’adénylate-cyclase et qui aboutit au cyclique AMP, messager intracellulaire qui, dans le cœur, active le courant entrant calcique et la relaxation, soit le cycle phospho-inositol en agissant sur la phophodiesterase qui hydrolyse la phosphatidyl-inositol 4,5-di-P, et libère l’IP3, messager capable de libérer du Ca2+ dans le cytoplasme. L’effet de couplage va assurer l’amplification du signal hormonal. La biologie moléculaire a permis en ce domaine d’importantes découvertes. Le gène de la (Na+, K+)-ATPase a été isolé, et le cDNA obtenu a permis de déterminer le caractère polymorphique de cette enzyme clé du fonctionnement cellulaire; les gènes des récepteurs 廓1 et 廓2 adrénergiques sont aussi connus et isolés, dépourvus d’introns, ce qui suggère une origine très ancienne, ils codent pour une protéine complexe transmembranaire. Enfin, on sait qu’au moins l’un des gènes codant pour une G-protéine est un oncogène.
Les anabolismes
Le myocarde n’est pas fait pour synthétiser (exception faite pour le cas de l’hormone natriurétique) une hormone précise, mais pour assurer sa maintenance. La synthèse d’acides gras est normalement peu active, mais le cœur est le seul organe où elle se fasse, par élongation, dans les mitochondries. Le glycogène y est peu abondant. La synthèse des protéines y est peu active, la majorité de celles-ci étant des protéines contractiles qui, comme la myosine, ont une demi-vie longue. Le myocarde est caractérisé par le fait que la synthèse des bases pyrimidiques n’utilise pas ou peu l’acide orotique et se fait à partir de l’uracile. Enfin, dans le cœur adulte, les myocytes sont dépourvus d’ADN polymérase et ne peuvent se diviser par mitose, ce qui interdit toute régénération myocardique.
Le cœur, glande endocrine . Les cellules musculaires de l’oreillette peuvent sécréter une hormone, le facteur natriurétique, qui augmente très rapidement la quantité de sel excrétée par le rein. La sécrétion est déclenchée lorsque l’oreillette est distendue, par exemple en augmentant le volume sanguin. Le myocarde possède par ailleurs un système rénine-angiotensine propre, distinct des systèmes circulants (cf. ALDOSTÉRONE et TENSION ARTÉRIELLE), capable de sécréter de l’angiotensine II qui contracte les vaisseaux coronaires et augmente la contractilité du cœur.
3. Métabolismes dans le cœur malade
Ischémie et anoxie
La privation d’oxygène, telle qu’on l’obtient dans l’asphyxie, l’insuffisance respiratoire, va perturber gravement les métabolismes, essentiellement aérobies, du myocarde (fig. 9). L’absence d’oxygène bloque l’oxydation phosphorylante intramitochondriale, ce qui entraîne l’accumulation des formes réduites de ce cycle (dont le NADH), une certaine acidose, une diminution de l’ATP, et donc de la contractilité. Les produits accumulés de ce fait stimulent allostériquement par effet Pasteur la glycolyse, qui devient seule source, anaérobie, d’énergie: le pyruvate n’étant plus oxydé, le cœur produit du lactate, précieux indice en clinique. Les acides gras, qui ne sont plus oxydés, sont estérifiés pour être mis en réserve; ils jouent par ailleurs un rôle détergent, ce qui perméabilise les membranes. L’ADP non utilisé va se dégrader en adénosine, vasodilatateur coronaire bénéfique utilisé en thérapeutique.
L’ischémie, plus fréquente, combine les méfaits de l’anoxie à ceux d’une suppression du drainage cardiaque. D’origine athéroscléreuse habituellement, la plaque d’athérome obturant les vaisseaux du cœur, l’ischémie s’accompagne d’une acidose plus marquée, le lactate ne pouvant être évacué, ce qui va accélérer les dégâts de la membrane externe, par l’entremise des lysosomes qui vont libérer des protéases. C’est souvent à la reperfusion myocardique, circonstance qui se rencontre dans les greffes cardiaques ou dans la chirurgie à cœur ouvert, que les dégâts les plus importants peuvent se produire sous l’effet des radicaux libres , si des précautions particulières ne sont pas prises.
Les surcharges cardiaques
Adaptation à court terme
Lorsque la pompe cardiaque est sollicitée par un surcroît de travail, elle s’adapte, elle le fait instantanément grâce à la loi de Starling, qui n’est que l’application myocardique de la relation tension-longueur du muscle (cf. MUSCLES, fig. 3): le volume de sang présent en fin de diastole augmente, ce qui va étirer les fibres en début de contraction et donc augmenter la tension active développée. Simultanément, par simple application de la relation vitesse-post-charge (cf. MUSCLES, fig. 4), la vitesse de raccourcissement du ventricule va diminuer. Ce mécanisme intervient en cas de surcharge brutale, par exemple dans le ventricule droit après une embolie pulmonaire massive.
Adaptation à long terme
Une surcharge mécanique chronique, celle qui est obtenue par une hypertension artérielle, va entraîner des mécanismes plus permanents d’adaptation (fig. 10) qui mettent en jeu l’expression même du génome myocardique.
a ) Sur un plan quantitatif, la masse myocardique va croître, ce qui multiplie le nombre des unités contractiles et diminuera la contrainte pariétale d’après la loi de Laplace, qui dit que la tension pariétale d’un ballon, ou du ventricule, est proportionnelle à la pression à l’intérieur du ballon et à son diamètre, mais inversement proportionnelle à l’épaisseur de la paroi du ballon (ou du ventricule). La biologie moléculaire a apporté plusieurs précisions concernant le mécanisme qui préside au développement de l’hypertrophie:
– plusieurs signaux sont émis par le génome en réponse à une surcharge mécanique, certains, comme l’apparition de transcrits issus d’oncogènes, jouant un rôle dans la prolifération tissulaire;
– la régulation est complexe et semble assurée à la fois au niveau de la transcription des gènes (portion 5 non codante du gène) et à celui de leur traduction cytoplasmique.
b ) Sur un plan qualitatif, la qualité de la contraction a changé: le cœur éjecte à chaque battement une quantité normale de sang malgré la résistance que lui oppose la circulation systémique d’un sujet ayant une forte hypertension artérielle, mais il le fait aux dépens de la vitesse de contraction qui est plus lente (la vitesse de contraction n’est pas la fréquence cardiaque).
Le métabolisme du Ca2+ est lui-même spécifique d’espèce (tabl. 3). Chez le rat, dont le cœur possède normalement trois isomyosines, il y a redistribution de ces isoformes qui favorise la forme à ATPase basse et défavorise celle qui a une activité élevée. C’est le même processus qui rend compte de la plasticité du muscle squelettique [cf. MUSCLES]. D’autres isoenzymes sont redistribuées, créatine-kinase, lactate-déshydrogénase, mais cela est moins déterminant. L’homme, au contraire, ne possède qu’une seule isoforme de la myosine; on ignore le mécanisne qui explique chez lui le ralentissement de la contraction, mais il s’agit probablement de changements dans les protéines membranaires transportant le Ca2+.
myocarde [ mjɔkard ] n. m. ♦ Anat. Muscle strié réticulaire épais, qui constitue la partie contractile du cœur. Le myocarde joue un rôle essentiel dans la circulation du sang. ⇒aussi endocarde, péricarde. Infarctus du myocarde.
● myocarde nom masculin Muscle du cœur assurant, par sa contractilité et son élasticité, la vidange et le remplissage des cavités cardiaques et donc la circulation sanguine. ● myocarde (expressions) nom masculin Biopsie du myocarde, examen médical consistant à prélever des fragments du muscle du cœur pour les étudier au microscope. Infarctus du myocarde, nécrose d'une partie plus ou moins importante du myocarde (muscle cardiaque), consécutive à une obstruction brutale d'une artère coronaire.
myocarde
n. m. ANAT Tunique du coeur, constituée de fibres musculaires striées.
— Infarctus du myocarde: V. infarctus.
⇒MYOCARDE, subst. masc.
ANAT. Tissu musculaire du coeur constituant la partie contractile de la paroi cardiaque. Infarctus du myocarde. Les artérioles du myocarde quand elles éclatent une par une, c'est une harpe pas ordinaire... C'est malheureux qu'on revienne jamais de l'angine de poitrine (CÉLINE, Mort à crédit, 1936, p.29). Kiaer observait une augmentation de la fréquence des contractions sur des fragments de myocarde présentant une pulsation rythmique (J. VERNE, Vie cellul., 1937, p.145).
Prononc. et Orth.:[]. Att. ds Ac. 1935. Étymol. et Hist. 1877 (LITTRÉ Suppl.). Formé des élém. myo- et -carde, gr. - de «coeur».
DÉR. 1. Myocardie, subst. fém. ,,Syndrome d'insuffisance cardiaque de cause indéterminée, survenant en l'absence de tout substrat anatomique décelable`` (Méd. Flamm. 1975). Certaines dégénérescences du myocarde, ou myocardie, dont la cause reste obscure (R. SCHWARTZ, Nouv. remèdes et mal. act., 1965, p.68). — []. — 1re attest. 1931 (Lar. 20e); de myocarde, suff. -ie. 2. Myocardite, subst. fém. Inflammation du myocarde. Dans les cas typiques de myocardite typhique, le coeur se présente comme affaissé sur lui-même, flasque (WIDAL, LEMIERRE, ABRAMI ds Nouv. Traité Méd. fasc.3 1927, p.75). Le diagnostic de myocardite se précise par l'examen du pouls qui devient irrégulier, petit, filant, et par l'auscultation qui montrera des battements sans force, précipités ou ralentis (GARCIN, Guide vétér., 1944, p.189). — []. Att. ds Ac. 1935. — 1re attest. 1855 (LITTRÉ-ROBIN); de myocarde; suff. -ite.
myocarde [mjɔkaʀd] n. m.
ÉTYM. 1877; de myo-, et suff. -carde.
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♦ Anat. Muscle strié réticulaire épais, qui constitue la majeure partie de la paroi du cœur. || Le myocarde joue un rôle essentiel dans la circulation du sang. ⇒ aussi Endocarde, péricarde. || Infarctus (cit. 1) du myocarde. || Revascularisation du myocarde.
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DÉR. Myocardite.
Encyclopédie Universelle. 2012.