⇒AHEURTER, verbe trans.
I.— Emploi trans., rare, vieilli, littér.
A.— Aheurter qqn. ,,Obstiner [contrecarrer] quelqu'un, exciter son humeur. Il ne faut pas trop l'aheurter. Si vous l'aheurtez davantage, il finira par éclater. Il est familier et de peu d'usage.`` (Ac. 1798).
Rem. Absent des éd. ultérieures du dict. de l'Ac.; attesté encore ds BESCH. 1845 (aheurter quelqu'un par des discours, avec des réponses à un paradoxe, etc.).
B.— Fig. Être aheurté à qqn ou à qqc.
1. Être arrêté par quelqu'un ou par quelque chose.
Rem. Attesté ds DG sans autre indication et ds ROB. avec la notat. vieilli, qui citent tous 2 la même attest. de cet emploi au fig. : ,,... il y a des obscurités [dans le Christianisme]. Et sans cela on ne seroit pas aheurté à Jésus-Christ.`` (PASCAL, Pensées, 1662).
2. Être en conflit (moral) :
• 1. Ces deux êtres également admirables sous plus d'un rapport, également maladroits au bonheur conjugal, également incompréhensifs, aussi peu faits que possible pour s'accorder, sont restés toute leur vie déplorablement aheurtés l'un à l'autre (avec une sorte de réconciliation résignée, pathétique, l'avant-veille de la mort de ma tante). Ces deux époux, profondément malheureux l'un par l'autre, sont toujours restés parfaitement fidèles l'un à l'autre, et m'ont permis de comprendre que les pires drames conjugaux ne sont peut-être pas ceux de la jalousie.
A. GIDE, Journal, 1932, p. 1102.
II.— Emploi pronom., vieilli, littér.
A.— S'obstiner, s'attacher opiniâtrement à quelque chose. S'aheurter à un sentiment, à une opinion (Ac. 1798-1932). Synon. s'entêter, s'opiniâtrer :
• 2. Où est la raison que les guerres finissent? Pourquoi la paix reviendrait-elle de notre vivant? Mais il y a des pensées auxquelles nous devons tous nous aheurter si nous ne voulons pas tomber dans le plus horrible désespoir : l'Allemagne ne peut s'arrêter de vaincre, si elle veut vivre.
J. GREEN, Journal, 1941, pp. 107-108.
1. S'aheurter à + inf. :
• 3. Pourquoi toujours des vers? écrivez donc en prose,
Me disent souvent ceux avec qui je cause.
Ne vous aheurtez pas à tenir ce pari.
A. POMMIER, Crâneries et dettes de cœur, 1842, p. 5.
2. S'aheurter sur qqc :
• 4. « M. Arnauld, disait Bossuet dans sa vieillesse et parlant loin du public, M. Arnauld avec ses grands talents était inexcusable d'avoir tourné toutes ses études, au fond, pour persuader le monde que la doctrine de Jansénius n'avait pas été condamnée. » Car c'est en effet sur ce point particulier et tout personnel que s'aheurta en définitive je ne dirai pas cette belle intelligence, mais bien ce vigoureux entendement d'Arnauld.
Ch.-A. SAINTE-BEUVE, Port-Royal, t. 4, 1859, p. 68.
3. Emploi abs. :
• 5. Voilà pourquoi ce qui subjugue et illumine les uns est aussi ce qui endurcit et aveugle les autres. Signum contradictionis. Il s'y rencontre un tel mélange des contraires, que les malintentionnés y trouvent toujours de quoi s'aheurter, les fidèles, de quoi se conduire et s'éclairer.
M. BLONDEL, L'Action, 1893, p. 396.
Rem. Attesté ds Ac. 1798-1932, BESCH. 1845, Lar. 19e, Nouv. Lar. ill., DG, Lar. 20e, ROB., Lar. encyclop., QUILLET 1965, Lar. Lang. fr. (avec la notat. class.).
B.— Plus fréq. Se heurter à ou contre quelque chose, s'arrêter devant un obstacle, une difficulté. S'aheurter à un obstacle (Ac. 1798). S'aheurter à des difficultés imaginaires (QUILLET 1965) :
• 6. Il [Pascal] va se heurter par moments, s'aheurter (c'est son mot) aux écueils qu'il est plus sage à la raison, et même à la foi, de tourner que de découvrir et de dénoncer à nu...
Ch.-A. SAINTE-BEUVE, Causeries du lundi, t. 5, 1851-1862, p. 534.
• 7. La raison et la foi, c'est la double barrière contre laquelle on voit de siècle en siècle venir s'aheurter les esprits superbes et égarés. (Mgr. F.A.P. Dupanloup).
Lar. 19e, 1866.
Rem. Attesté ds Ac. 1798-1932, LITTRÉ, Nouv. Lar. ill., Lar. 20e, Lar. encyclop. (avec la notat. lang. class.), QUILLET 1965, Lar. Lang. fr. (avec la notat. class. et littér.).
Prononc. :[], avec un [h] facultatif, d'apr. PASSY 1914. Cf. heurter.
Étymol. ET HIST. — Mil. XIIe s. trans. « heurter, frapper, d'où briser, écraser » (Cambr. Ps., 136, 9, éd. Michel ds T.-L. : bunewred ki tendrat e ahurterad ses petiz enfanz a la pierre). — XVIe s.; mil. XIIe s. pronom. « se heurter, s'achopper » (Ibid., 90, 12, éd. Michel ds GDF. : En lur palmes te porterunt, que par aventure ne se ahurt a la pierre li tuens piez), sens donné comme vieilli par ROB. 1960; d'où emploi fig. XIVe s. « s'obstiner » (BOCCACE, Nobles malh., III, XVI, f° 76 r°, éd. 1515, ds GDF. : Adhonc il se adheurta a plus chauldement poursuivre la chose qu'il n'avoit peu accomplir par empoisonner le senat, si cuyda ouvrer de fait et de violence d'armes).
STAT. — Fréq. abs. litt. :3.
BBG. — BÉL. 1957. — JUNGO (M.). Le Vocabulaire de Pascal étudié dans les fragments pour une Apologie. Contribution à l'étude de la langue de Pascal. Paris, [1950], p. 70, 74. — Mots rares 1965. — PRÉV. 1755.
aheurter [aœʀte] v. tr.
ÉTYM. Mil. XIIe; de à, et heurter.
❖
♦ Vx. Heurter (qqch.); arrêter devant un obstacle. — Au passif. || Être aheurté (à qqch., à qqn).
1 Il y a des obscurités (dans le christianisme) sans cela on ne serait pas aheurté à Jésus-Christ.
Pascal, Pensées, in T. L. F.
——————
s'aheurter v. pron.
♦ || S'aheurter à une opinion, à une résolution, s'y arrêter, s'y tenir avec opiniâtreté. || « C'est un homme qui s'aheurte tellement à ce qu'il s'est mis une fois dans la tête qu'on ne le fait jamais revenir » (Académie). ⇒ Entêter (s'), obstiner (s'), opiniâtrer (s'). || S'aheurter sur un point… (Sainte-Beuve, in T. L. F.).
2 (…) Votre belle-mère avait envie que je vous fisse religieuse (…) et de tout temps elle a été aheurtée à cela.
Molière, le Malade imaginaire, I, 5.
♦ Vx ou littér. Se heurter (à, contre un obstacle, une difficulté).
REM. Le mot, quoique rare, est encore attesté au XXe s. (Gide, J. Green, in T. L. F.); il est très littéraire.
❖
DÉR. Aheurtement.
Encyclopédie Universelle. 2012.