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PLAUTE
PLAUTE

Des «enfances» du théâtre comique latin, il n’est guère permis que de nous interroger sur quelques traditions populaires et religieuses le plus souvent confondues, et sur un petit nombre d’informations historiques dues surtout à Tite-Live (Histoire romaine , VII, II). En outre, que peut-on juger de ces vivaces manifestations du rire sur le tréteau que furent, à l’origine, le mime , de souche sicilienne ou de la Grande-Grèce, tout ensemble parade clownesque et sujet d’irrévérence, qui finit dans l’indécence et la grossièreté, et l’attellane campanienne, théâtre de types caricaturaux, qui préfigure la commedia dell’arte et le répertoire des «pupazzi» français du Guignol? En effet, à partir du moment où succède à ces jeux scéniques du terroir la comédie de modèle grec, il ne demeure que peu de chose: trois titres incertains d’un prestigieux écrivain venu de Tarente, Livius Andronicus, qui «créa» le nouveau théâtre à Rome, de courts fragments de son contemporain Naevius, et trois cents vers du Gaulois Statius – ce qui compte peu au regard des vingt-six comédies de Plaute et de Térence.

Encore plus mal connues sont les suites d’un genre littéraire après lequel le théâtre latin paraît revenir, à travers l’atellane et le mime, à ses tendances primitives. Le regret de tant de richesses perdues nous incite à aborder avec force prudence l’examen d’une œuvre comme celle de Plaute.

Le répertoire plautinien

Titus Maccus Plautus né à Sarsina en Ombrie, à la fois auteur et animateur de théâtre, comme Shakespeare et Molière, passe pour avoir composé cent trente pièces, dont vingt nous sont parvenues, que l’on peut justement tenir pour authentiques. Ce sont, dans l’ordre alphabétique, aucune chronologie n’ayant pu être établie avec certitude: Amphitryon , Asinaria (La Comédie aux ânes ), Aulularia (La Marmite ), Bacchides (Les Deux Bacchis [nom de femmes]), Captivi (Les Captifs ), Casina (nom de femme), Cistellaria (La Comédie du coffre ), Curculio (Le Charançon ), Epidicus (nom d’esclave), Menaechmi (nom des jumeaux sur qui repose l’action), Mercator (Le Marchand ), Miles gloriosus (Le Soldat fanfaron ), Mostellaria (La Comédie du fantôme ), Persa (Le Persan ), Poenulus (Le Carthaginois ), Pseudolus (nom d’esclave), Rudens (Le Câble ), Stichus (nom d’esclave), Trinummus (les Trois Écus d’argent ) et Truculentus (Le Brutal ). Mentionnons, pour mémoire, une vingt et unième comédie inscrite à ce répertoire, la Vidularia (La Comédie de la valise ) dont les quelques fragments – environ cent vingt vers – que l’on a conservés ne nous apprennent rien qui vaille, sauf que le sujet était sans doute le même que celui de Rudens . Cela n’a rien de surprenant, étant donné que Plaute, comme plus tard Térence, emprunte ses sujets et ses types aux écrivains grecs de la comédie moyenne ou de la nouvelle comédie (IVe siècle). Les mieux connus de ces écrivains sont Antiphane, Philémon, et surtout Ménandre dont on a retrouvé en 1905 de nombreux fragments d’œuvre, et dont on possède, depuis les années 1950, une comédie pratiquement complète, Dyscolos (Le «Pénible» ). Les pièces de ces poètes tournaient autour d’un thème commun: l’amour d’un fils de famille pour une touchante créature réduite à l’esclavage, amour contrarié par les parents, favorisé, au rebours, par un coquin de valet du genre Scapin, jusqu’au moment du final où l’on découvre, pour la satisfaction générale, que la jeune personne est de condition libre. Au service de cette intrigue assez mince, qui ne trouve sa variété que dans le dosage et l’utilisation plus ou moins plaisante ou subtile de ses éléments, vient une galerie de types convenus, encore qu’il soit possible d’en modifier çà et là certains traits pour pimenter l’action comique: l’amoureux, quelquefois flanqué d’un compagnon de plaisirs, son barbon de père, qui a jeté sa gourme et se résout à vieillir tant bien que mal, mais qui traite son fils avec sévérité; la mère, souvent acariâtre; la courtisane avide, comme le veut son métier; l’esclave, parfaitement amoral, favorisant avec délectation les intérêts de son jeune maître. Suivent quelques «utilités» dont l’importance varie de comédie à comédie: le proxénète, le militaire vantard, le parasite de la maison, bon à tout faire pourvu qu’on le nourrisse, le cuisinier toujours prêt à faire sauter l’anse du panier...

Il s’agit de savoir dans quelle mesure Plaute a fait «son bien» de cet apport des maîtres de la comédie hellénique, et cela pour la plus grande joie d’un parterre mélangé, mais non point grossier, comme on l’a souvent prétendu. L’installation matérielle des spectacles était sommaire: une estrade en bois, sorte d’échafaud in tempus structum , suivant l’expression de Tacite, assez semblable à l’image rudimentaire qu’en donnent les vases peints de l’Italie méridionale et précédé d’un espace semi-circulaire réservé aux notables, derrière qui s’entassait, en gradins provisoires, la foule des spectateurs. La complication dans l’architecture de la scène, la décoration et la machinerie n’apparaissent qu’au Ier siècle après J.-C. Le décor jusque-là devait être, sinon inexistant, du moins très simple et du type «passe-partout». Et rien, dans le reste des moyens offerts au chef de troupe, ne pouvait notablement compenser cette indigence. Le masque, recours très sûr de suggestion dramatique, n’est en usage, selon nos informations les plus certaines, qu’après Térence. Quant aux costumes, compte tenu des illustrations, qui les représentent et de tout un matériel archéologique, peintures murales, statuettes, terres cuites, vases, dont on trouvera la description détaillée dans l’ouvrage de Margareta Bieber, paru en 1920: Die Denkmäler zum Theaterwesen im Altertum , ce n’est sans doute pas dans ces équipements stéréotypés, réduits à un petit nombre de modèles et de couleurs, qu’il faut chercher un élément de variété et de surprise. En somme, Plaute devait se trouver un peu dans la situation de Molière à ses débuts. Il fallait satisfaire un public que les prologues de ces comédies nous révèlent tumultueux, difficile, blasé sans doute par la présentation d’un appareil scénique invariable. Il ne restait que le recours à l’action pour soutenir l’intérêt du parterre, en essayant de compenser par le mouvement dramatique ce qu’on ne pouvait lui offrir en fastes extérieurs. Mais l’action tient au texte; elle est dans le texte seul. On se trouve ainsi ramené, à la fois par notre information, par notre ignorance et par des considérations qui ont quelque chance de répondre à l’idée qu’on se faisait du rire à cette époque, à l’étude attentive des pièces elles-mêmes.

On peut mentionner ici, au préalable, à leur juste place, quelques questions de science et de patience, qui relèvent davantage de la recherche philologique que du pur souci théâtral. Des savants de tous les pays se sont interrogés à l’envi, depuis la fin du XIXe siècle, sur le traitement exégétique et critique du «corps» littéral plautinien, et sur certains autres problèmes concernant sa «situation» dans l’histoire de la comédie. L’auteur s’est accommodé des patrons grecs, nous l’avons dit; mais a-t-il suivi chacun d’eux en stricte forme, ou les a-t-il combinés, à son gré, puisant çà et là un acte ou une scène? Cette question, dite de la contaminatio , c’est-à-dire d’un mélange dont Térence dit que Plaute l’a pratiqué, à l’exemple de Naevius et d’Ennius, mais dont on ignore encore en quoi il pouvait consister, s’accompagne de quelques autres: celle des remaniements du texte au cours des «reprises» sur le théâtre (retractatio ), celle qui concerne les prologues annonçant les comédies, celle enfin de la division en actes. Les éditions en distinguent cinq pour chaque pièce, mais nous savons que cette répartition traditionnelle est l’œuvre de J.-B. Pius, vers 1500, s’inspirant lui-même du travail que Donat avait fait pour Térence. La plupart des critiques modernes se prononcent contre ce découpage, et décident soit en faveur d’une action continue, soit, comme nous l’avons établi, pour une suite de «mouvements» coupés de brefs temps de pause, qui n’ont qu’un lointain rapport avec ce qu’on appelle des entractes. Ce propos nous amène à étudier de plus près la constitution de la farce plautinienne.

Structure de la comédie

Le mot «farce» n’a rien de péjoratif, car le genre qu’il désigne, loin d’être une simple «exploitation complaisante du burlesque», consiste bien plutôt dans cette «dénonciation fulgurante» des vices et des ridicules dont parle Jules Romains, riche en décharge comique et requérant par excellence une vertu de mouvement sans laquelle il n’est pas de vraie poésie dramatique. Si l’on s’avise de le comparer à Aristophane, on constate que Plaute demeure un écrivain de second ordre, car il est loin de posséder l’étonnant et multiple génie du comique grec. Il ne brille ni par la profondeur de la pensée, ni par l’originalité de l’observation psychologique, ni par la hardiesse de la polémique sociale. Et c’est tant mieux peut-être, car, lorsqu’il s’agit d’étudier la pure technique d’un genre, il n’est rien de tel que le génie d’un artiste pour offusquer le jugement du critique, fausser les proportions et défier l’analyse. Or, Plaute est, avant tout, le créateur d’une forme de théâtre où tout est subordonné au rire – caractère, action, style –, et où ce rire est obtenu par des moyens rigoureusement déterminés, dans le cadre d’une pièce bien faite, celle d’un maître ouvrier.

Comment se présente-t-il à nous, directement, avec son talent de franc amuseur, sa maîtrise verbale et sa virtuosité dans les jeux d’une entraînante rythmique? Ici encore les discussions abondent, qui ne sont, pour la plupart, que «disputes à l’allemande». On sait que Térence a imité assez fidèlement les auteurs grecs de la nouvelle comédie, car le poète prend soin de nous renseigner lui-même sur son système dramatique, sinon sur ses procédés d’adaptation. Avec Plaute, on aborde un domaine infiniment plus complexe: la variété probable des divers modèles hélléniques qu’il est malaisé d’apprécier, les différences de structure que présentent ses comédies, la forme déconcertante de certaines d’entre elles, l’introduction de l’élément lyrique dans le développement de l’action, tout paraît commander un souci d’examen particulier. Un premier courant critique, présumant la perfection des œuvres grecques, tend à inscrire au compte de Plaute les prétendues inconséquences de technique qu’on relève dans ses comédies. Un autre courant s’inspire de considérations absolument opposées; mettant en doute la perfection de la comédie nouvelle, il consacre, dans l’étude des sources, une large place à d’autres éléments: concessions faites au goût du public, influence des farces sud-italiques, imitation de l’atellane, des jeux fescennins et de la satura , qui sont autant de manifestations naïves, portant les germes de toute comédie. Au vrai, semble-t-il, deux tentations s’offraient à Plaute: ou se faire le continuateur des grecs, et améliorer un art mécanique dûment établi de l’intrigue et de la composition, ou bien faire éclater les vieux cadres, et réintégrer dans l’architecture comme dans le mouvement comique une fantaisie qui en modifie le caractère en le ramenant délibérément vers un autre chemin: celui d’un divertissement plus primitif, plus libre, et, partant, plus poétique. Cela dit, et au terme d’une juste analyse, comme l’a écrit Mlle Frété: «On ne peut reprocher [à Plaute] une composition hasardeuse [...] Ses pièces, même à la simple lecture, donnent le sentiment de la cohérence, de la clarté, de l’enchaînement serré et net [...] Une comédie de Plaute semble être une œuvre d’art, non seulement par le prestige du style, mais par l’architecture même de la synthèse dramatique.» Il suffirait de dire, au bout du compte, qu’il connaissait à fond son métier, celui qui consiste bonnement à réjouir son public, à force d’effets et de chocs saisis dans le vif du genre dramatique. Car son théâtre forme un répertoire à peu près complet des moyens de faire rire, de tous ceux que nous retrouvons après lui, diversement dosés, mais identiques, chez les Italiens, chez Tabarin, chez Molière, ou encore, plus près de nous, chez Scribe, Labiche, Feydeau et les maîtres modernes du vaudeville; disons mieux: c’est du théâtre drôle, tout net et tout nu. Comme disait J. H. Périgny, «il fonce au but dans le dru de l’intention burlesque», et peut-être, cherchant surtout à combler le parterre, se copie-t-il lui-même, d’une pièce à l’autre, en exploitant avec bonheur des procédés éprouvés. Il faut aussi tenir compte – et largement, à notre avis – du fait que la comédie plautiniene relève de l’ordre musical et que l’élément rythmique est une composente essentielle de sa valeur d’entraînement. Les chansons (cantica ) tiennent une place importante dans le déroulement de l’action, et le problème est de savoir à quelle origine remonte cet apport lyrique. On possède sur cette question des travaux aussi subtils que nombreux, mais seule demeure, à notre avis, la constatation que le caractère essentiel du lyrisme de Plaute semble pouvoir se définir par un rapport étroit du rythme musical à la phrase, partant, à la pensée et à l’action comiques. La comédie plautinienne se présente comme une ligne mélodique dont le parlé, le récitatif et le chant constituent les phases également nécessaires, et leur alternance obéit, pour chaque pièce, à la loi unique d’une démonstration : le thème du rire trouve sa solution, et le mouvement qui le supporte, en armature, s’épuise avec lui, pour se résoudre «en rien», selon l’expression de Kant, c’est-à-dire en pur sursaut d’allégresse. Il y a là un type de création globale et d’expression directe que l’on n’a guère retrouvé que chez Molière. En un temps où le théâtre, avide de se renouveler, remonte d’instinct à ses sources et aux formes les plus simples du jeu dramatique, Plaute, le premier de nos «farceurs», nous apparaît comme un auteur toujours moderne.

Plaute
(en lat. Titus Maccius Plautus) (v. 254 - 184 av. J.-C.) poète comique latin. Nous possédons 21 de ses 130 comédies: Amphitryon, Aulularia ("la Marmite", qui inspira l'Avare de Molière), Curculio ("le Charançon"), Miles gloriosus ("le Soldat fanfaron"), etc.

Encyclopédie Universelle. 2012.