Akademik

BOLIVIE
BOLIVIE

La situation de la Bolivie au cœur du continent sud-américain confère à ce pays une position géopolitique considérable, dont sont conscients les États-Unis et ses puissants voisins, hier le Paraguay et le Chili, aujourd’hui l’Argentine et le Brésil, mais aussi des mouvements révolutionnaires comme celui qu’a dirigé Che Guevara.

Profondément humilié et meurtri par les défaites successives qui, en un siècle, ont ramené sa superficie de 2 340 000 à 1 098 000 kilomètres carrés, en proie à d’incessants coups d’État, le pays offre à ses 7 300 000 habitants (1990) un des niveaux de vie les plus bas du continent.

L’une des sources de cette faiblesse chronique réside dans l’opposition entre les populations des hauts plateaux et celles de la plaine tropicale, et dans les différences raciales entre la paysannerie indienne, quechua et aymara (60 p. 100 de la population), la minorité de métis et une élite dirigeante créole.

Depuis le début des années quatre-vingt, les revenus de la cocaïne sont le soutien d’une économie à la dérive. Cette situation sert de prétexte à une intervention croissante des États-Unis, qui voudraient convertir ce pays en base arrière de leur contrôle de la région.

1. La terre et les hommes

Le pays s’étend sur 1 500 km du nord au sud et sur 1 300 km d’est en ouest. Couvrant 1 098 581 km2, il a des frontières communes avec cinq États: le Pérou, le Chili, l’Argentine, le Paraguay et le Brésil. Les hasards d’une histoire encore proche l’ont privé de sa façade sur la côte désertique du Pacifique. Pays andin, la Bolivie a pourtant 70 p. 100 de sa superficie occupée par les plaines et bas plateaux de l’Est qui sont drainés par les affluents de l’Amazone et du Paraguay. Aussi, tant pour la structure, le relief, le climat que pour les conditions du peuplement, doit-on distinguer la Bolivie andine, où vit 80 p. 100 de la population, de la Bolivie des basses plaines de l’Est.

La Bolivie andine

Les milieux naturels

C’est en Bolivie que les Andes atteignent à la fois leur plus grande largeur et les altitudes moyennes les plus élevées. Elles s’étendent sur plus de 400 km d’est en ouest et l’altitude moyenne du volume montagneux dépasse 3 000 m.

À l’est, la bande subandine est formée de chaînons étroits, anticlinaux, où affleurent des roches du Primaire et du début du Secondaire, séparés par des bassins allongés où se conserve du Tertiaire continental. C’est par failles et flexures que s’élève, à l’ouest, la masse montagneuse des Cordillères orientale et centrale. Ces montagnes, qui dépassent parfois 6 000 m, sont formées de séries épaisses de schistes primaires, soulevées à la fin du Tertiaire par un immense mouvement à grand rayon de courbure. Vers l’est, elles sont entaillées par les vallées profondes des yungas et creusées de bassins faillés comme celui de Cochabamba.

Au sud du 17e parallèle, le relief andin se compose de plateaux étagés et gondolés, s’abaissant d’ouest en est. La surface d’érosion de la Puna , qui contribue à donner aux plateaux leur horizontalité, est dominée de reliefs résiduels orientés, de petits horsts ou même de volcans récents.

Le long de la frontière chilienne, à l’ouest, le bombement qui sert de soubassement à la Cordillère occidentale est rehaussé de grands volcans comme le Sajama (6 520 m), les Payachatas (6 340 m) en contrebas desquels s’étendent d’immenses plateaux volcaniques désertiques.

Le trait le plus original des Andes boliviennes est constitué par la présence de hautes plaines, les altiplanos qui se suivent sur 400 km du nord au sud et ont une centaine de kilomètres de largeur entre les Cordillères orientale et occidentale. C’est moins une haute plaine endoréique qu’une série de vastes bassins, séparés les uns des autres par des chaînons plissés ou des lambeaux de plateaux volcaniques. De l’Altiplano du lac Titicaca au salar d’Uyuni les altitudes s’abaissent de 3 800 à 3 600 m. Au sud, des hautes plaines salées, absolument désertiques, entre 4 500 et 5 000 m, annoncent le désert d’Atacama.

Ces montagnes sont en plein domaine tropical, mais l’ouest et le centre des Andes boliviennes s’inscrivent à l’intérieur de la diagonale aride du continent sud-américain. La saison sèche s’étend de mai à novembre. Les contrastes thermiques quotidiens sont violents. À Uyuni, la température nocturne peut s’abaisser en juin à 漣 20 0C tandis que dans la journée elle dépasse une vingtaine de degrés. La température moyenne annuelle est de 9,8 0C à La Paz (3 700 m), de 6 0C à Potosí (4 000 m), mais elle est de 18 0C dans le bassin de Cochabamba, à 2 500 m. Sur les plateaux de la Cordillère occidentale les précipitations, très irrégulières selon les années, ne dépassent guère 150 mm. C’est le domaine des lacs salés, de la steppe grisâtre, piquetée de touffes de yareta (Asorella bibola ), de tolar (Lepidophyllum quadrangulare ) qui servent de combustibles aux rares pasteurs. À La Paz et sur les plateaux orientaux, les précipitations varient entre 500 et 700 mm et elles dépassent 1 000 mm sur les montagnes exposées au nord-est.

Les milieux humains

La Bolivie est le moins peuplé des pays andins: probablement 7,5 millions en 1991, répartis pour 53 p. 100 sur l’Altiplano et les hauts plateaux, 27 p. 100 dans les grandes vallées du flanc oriental des Andes, comme celle de Cochabamba et les yungas , vallées tropicales, et 20 p. 100 dans les terres chaudes orientales. C’est aussi, pour sa partie andine, le plus «indien». C’est enfin le pays andin le plus pauvre (estimation du quotient du P.N.B. par habitant: 600 dollars environ en 1989).

Malgré une forte natalité, la croissance démographique (de l’ordre de 2,9 p. 100 par an à la fin des années quatre-vingt) fut longtemps plus basse que dans les autres pays andins par suite d’une mortalité élevée, surtout chez les enfants. Aussi, le recensement de 1963 dénombra-t-il 3 556 000 habitants, et celui de 1976 4 700 000 seulement au lieu des 5 millions qui étaient attendus. Le recensement de 1988 dénombra 6 400 000 habitants.

Si le stock biologique «indien» est sans conteste le plus important, il est impossible de dénombrer Indiens, métis et Blancs, les divisions étant davantage sociales que biologiques. En 1990, 35 p. 100 de la population parlait quechua (2 600 000); 25 p. 100 l’aymara, 1 p. 100 des langues amazoniennes et 72 p. 100 l’espagnol, 44 p. 100 de la population était bilingue.

Plus de la moitié de la population du pays vit sur l’Altiplano, principalement entre les rives du lac Titicaca, La Paz et Oruro. Paysans et éleveurs sont groupés en communautés, collectivités de petits exploitants propriétaires de leurs terres depuis la réforme agraire de 1953. Les ressources agro-pastorales sont réduites sur ces plaines situées à la limite des possibilités de culture. Un peu d’orge, des pommes de terre et quelques moutons constituent l’essentiel du revenu paysan, qui, comptabilisé, ne dépasse guère quelques dizaines de dollars par famille. Une grande partie de la population reste analphabète, malgré les efforts de scolarisation.

La réforme agraire a peut-être contribué à la libération psychologique des paysans et allégé les prestations de travail dues au propriétaire, mais elle ne s’est pas traduite par une amélioration importante de leurs conditions d’existence qui restent précaires. Beaucoup doivent aller travailler dans les yungas ou en ville pour survivre.

Les vallées orientales rassemblent 37 p. 100 de la population. L’aménagement des versants s’accompagne souvent de l’édification de terrasses de culture. L’étagement permet des productions agricoles variées: café et coca à l’étage chaud, maïs et blé à l’étage tempéré, orge et pommes de terre à l’étage froid. La densité du peuplement est souvent très élevée (plus de 60 hab. par km2) dans les yungas où subsistent quelques groupes noirs.

Les mines

L’exploitation minière a contribué au peuplement de certains secteurs andins. Aux XVIe et XVIIe siècles, les mines d’argent du Cerro Rico au-dessus de Potosí entraînèrent la croissance d’une ville qui, au temps de sa splendeur, comptait 200 000 habitants (110 000 en 1989). L’étain et, dans une moindre mesure, le zinc, l’argent, le plomb et l’antimoine constituent les bases de l’économie minière de la Bolivie andine. Avant la révolution de 1952, les mines d’étain appartenaient à trois familles, Patiño, Aramayo et Hochschild. Après leur nationalisation, elles ont été gérées par la Comibol (Corporación minera de Bolivia). Avant sa «restructuration» en 1986, rendue nécessaire par l’effondrement des cours sur le marché mondial, la Comibol employait 26 000 personnes. La production d’étain stagne depuis plusieurs décennies: 32 000 t en 1952, 25 000 t en 1967, 33 000 t en 1977, 27 000 t en 1980 et 16 000 t en 1989.

L’étain joue un rôle important dans la balance commerciale. Le mécontentement des mineurs devant la détérioration de leurs conditions d’existence se traduit par une agitation quasi permanente.

Les villes

Les principales villes se trouvent dans les Andes, et d’abord La Paz, la capitale, où se concentrent les administrations (Sucre est une capitale «fictive»). L’agglomération est installée dans une vallée qui creuse l’Altiplano en contrebas de cordillères neigeuses. Elle comptait, en 1989, environ 670 000 habitants. Cochabamba, dans son bassin tempéré et sec, atteint 400 000 habitants. Sucre, siège de l’ancienne Audience de Charcas qui gouvernait le Haut-Pérou à l’époque coloniale, vit, un peu comme Potosí, dans les souvenirs du passé. Elle compte une centaine de milliers d’âmes. Oruro, la ville minière, située en lisière de l’Altiplano sur un important carrefour ferroviaire et routier, approche des 180 000 habitants.

La Bolivie des plaines et des bas plateaux de l’Est

Les milieux naturels

Les plaines et bas plateaux couvrent 70 p. 100 de la surface du pays. L’Est est occupé par le rebord du bouclier brésilien; il s’agit de bas plateaux d’érosion, entaillant le Précambrien et surmontés de buttes de grès et de barres de quartzites.

Ce sont des régions chaudes; les températures moyennes sont de 26 à 27 0C dans le Nord, de 23 à 24 0C dans le Sud. Les pluies tombent d’octobre à mai-juin et, selon les régions, les précipitations varient de 800 mm à plus de 2 000 mm. Dans les plaines du Beni, le paysage végétal est fait de savanes arborées et de forêts-galeries, le long de rivières; les premières pentes andines sont couvertes d’une forêt dense ombrophile.

Les milieux humains

Ces régions chaudes, bien qu’elles aient vu leur population s’accroître en liaison avec le développement des centres de colonisation agricole et l’exploitation pétrolière, ne rassemblent que 20 p. 100 de la population.

La colonisation agricole a été le fait soit de migrations spontanées de paysans andins, à l’étroit sur leurs terroirs montagnards, soit de programmes officiels de mise en valeur aidés par les Nations unies. En outre, des colonies japonaises sont venues s’installer dans la région, et de grandes exploitations d’élevage se sont établies dans le Beni. Cette colonisation agricole s’est heurtée à des difficultés physiologiques (adaptation des Andins au milieu chaud et humide), à des problèmes agronomiques et elle est freinée par l’éloignement des marchés de consommation. Un effort est fait pour développer l’élevage bovin. Des champs de canne à sucre s’étendent à proximité de Santa Cruz de la Sierra et alimentent une raffinerie.

Le pétrole (de 8 à 9 millions de barils par an, soit un peu plus d’un million de tonnes) est exploité dans le piémont andin, autour de Santa Cruz et de Camiri. Tous les puits appartiennent à la société d’État Y.P.F.B. (Yacimientos petroliferos fiscales bolivianos). L’un des problèmes est l’évacuation des hydrocarbures, dont une partie emprunte des oléoducs qui franchissent les Andes avant d’atteindre la côte pacifique.

Des gisements de gaz (qui produisent environ 3 milliards de mètres cubes par an) sont également exploités et une partie de la production est expédiée au Brésil et en Argentine. L’influence des deux grands voisins s’exerce fortement sur ces basses terres orientales, faiblement peuplées et où le contrôle de l’État bolivien s’exerce imparfaitement.

La Bolivie affronte une série de problèmes singulièrement difficiles à surmonter. Elle est en proie à des conflits internes que la révolution de 1952-1953 n’a pas supprimés. Cette révolution s’est d’abord traduite par une redistribution de la terre, mais la stabilité politique n’a pas été acquise pour autant. La Bolivie se heurte à la délicate question des communications. Certes La Paz est reliée au Pacifique par deux voies ferrées, et d’Oruro on peut rejoindre par le rail le port chilien d’Antofagasta et l’Argentine. Santa Cruz est unie au Brésil par une voie ferrée. Mais il s’agit de voies à faible débit. La pauvreté du pays ne facilite pas la construction et l’entretien d’un bon réseau de communications.

Cela constitue un frein au développement de la plus misérable des républiques andines qui finance son équipement à l’aide de crédits étrangers difficilement remboursables.

Si certaines années, la balance commerciale a pu être en équilibre, cet équilibre a été rompu car il dépendait pour l’essentiel de la vente de l’étain sur les marchés mondiaux.

La coca est une production importante des régions chaudes (yungas et plaines). En 1988, les nouvelles plantations furent interdites et une prime à l’arrachage de 2 000 dollars par hectare fut offerte. Malgré les décisions du sommet antidrogue de Carthagène en 1990 et les aides financières des États-Unis destinées à la destruction des plantations, on estime, au début des années quatre-vingt-dix, que la culture de la coca emploie 350 000 personnes et que la valeur de la cocaïne expédiée à l’étranger représente 300 millions de dollars.

2. La formation de l’État bolivien

Les origines

Le territoire où fut proclamée, le 6 août 1825, la République de Bolivie avait déjà une longue histoire. Depuis ces temps préhistoriques où avaient été taillés à Vizcachani les premiers outils de pierre, l’énigmatique civilisation de Tiahuanaco (de 300 à 1100), puis le «royaume» Kolla, enfin, à partir des années 1430, l’empire Inca s’étaient succédé sur le haut plateau des Andes centrales. Ainsi furent mis en place les groupes ethniques qui forment le fonds actuel de la population, Aymaras sur le haut plateau, Quechuas dans les vallées intermédiaires, tribus éparses dans les plaines et les forêts orientales.

Entre 1534 et 1537, les conquérants espagnols, déjà maîtres du Cuzco, font sous la conduite de Saavedra et Almagro une première reconnaissance de ces terres inhospitalières. En 1538, G. Pizarro entreprend d’établir l’autorité de Charles Quint sur ce qui deviendra en 1559 l’Audience de Charcas, rattachée à la vice-royauté de Lima, et sera couramment appelé, au cours de l’époque coloniale, le Haut-Pérou.

Les trois siècles de domination espagnole ont fortement marqué cette province d’Amérique et finalement légué à la République bolivienne un certain nombre de problèmes. Problèmes économiques et sociaux: l’épuisement des métaux précieux, notamment de la fameuse montagne d’argent de Potosí, la misère de la main-d’œuvre indigène asservie tant sur les grands domaines, dans le cadre d’une agriculture de subsistance, que dans les mines, la marginalité des terres orientales abandonnées aux missions... Problèmes politiques aussi: le poids et l’ambition grandissante des métis aux côtés des créoles, le balancement croissant de l’Audience entre Lima et Buenos Aires, entre le Pacifique et l’Atlantique, enfin la profondeur des antagonismes latents et la fréquence des luttes de factions. La dureté de la révolte indigène de 1781 et de sa répression ou la durée de la lutte pour l’indépendance (1809-1825) sont de ce dernier trait des exemples significatifs.

L’indépendance et le démembrement du territoire

S’il avait finalement réussi, l’effort du général Santa Cruz pour confédérer le Pérou et la Bolivie eût abouti à la formation d’un État puissant au cœur du continent sud-américain. Les ambitions des rivaux du dictateur, tant boliviens que péruviens, l’âpreté des particularismes régionaux et les réactions militaires du Chili et de l’Argentine firent échouer en 1839 ce projet audacieux. Le principe de l’équilibre relatif entre petites nations antagonistes dominait au sud du continent, comme il prévalait au nord depuis la dissolution de la Grande-Colombie.

En 1831, pour une surface de 2 340 000 km2 environ, on estimait à un peu plus de un million d’habitants la population bolivienne, d’ailleurs concentrée sur le haut plateau et dans les vallées adjacentes. La faiblesse d’un tel peuplement explique en partie le destin tragique de la jeune république. En un peu plus d’un siècle, elle perdit plus de la moitié de son territoire et fut réduite à 1 090 000 km2 en 1938. Il semble que l’inconscience ou la cupidité de certains gouvernements, la débilité du pouvoir central sur des zones marginales et la faiblesse des armées boliviennes jouèrent dans ce processus un rôle aussi important que l’appétit des nations voisines. Ce démembrement progressif fut la conséquence de trois conflits armés: la guerre du Pacifique (1879-1880) aux côtés du Pérou contre le Chili, les expéditions de l’Acre (1903-1904) contre des séparatistes soutenus par le Brésil et la guerre du Chaco (1932-1935) contre le Paraguay. La Bolivie était une véritable peau de chagrin.

Ces territoires étaient certes fort peu peuplés de Boliviens: même la côte du Pacifique comptait moins de 50 000 habitants. Mais leur perte fut et reste douloureusement ressentie; les classes dirigeantes furent élevées dans un sentiment croissant de frustration nationale. Ces régions représentaient d’importantes ressources économiques: guano et salpêtre de la côte, gomme et bois précieux de l’Acre, gisements pétroliers supposés au Chaco. Surtout, leur amputation signifiait l’emprisonnement progressif de la Bolivie dans son réduit montagneux. Le Chili lui ôtait toute sa façade maritime sur le Pacifique, sans que l’établissement d’une voie de transit franche entre Arica et La Paz, d’après le traité de 1904, compensât réellement le désavantage commercial créé par cette annexion. Le Brésil affirmait son pouvoir de contrôle sur le réseau amazonien, le Paraguay et l’Argentine éloignaient la Bolivie du débouché sur l’estuaire de La Plata: l’accès à l’Atlantique lui était interdit.

La mise sous tutelle politique

Une fois gagnée l’indépendance, les créoles purs ou métissés qui étaient maîtres d’une grande partie des terres, des mines et du commerce, et détenaient de plus le privilège de la culture, pouvaient gouverner à leur guise. Ils se réclamaient en paroles de l’idéologie libérale qui avait donné un sens à la lutte contre la métropole. Ce ne fut guère qu’une apparence, car le vide laissé par l’administration coloniale, les ambitions personnelles, la conception du pouvoir comme voie d’enrichissement privé conduisirent à des pratiques qui contredisaient l’esprit démocratique des institutions. Prétorianisme ou caudillisme militaire déchirèrent le pays. La tradition n’en est pas encore éteinte. De 1825 à nos jours, on a pu compter plus de cent cinquante rébellions graves, pronunciamientos, coups d’État ou révolutions de palais...

En 1857, un groupe d’idéologues appelés «Rouges» tente avec le président Linares de «civiliser» et moraliser la vie politique. La violence de leurs adversaires conduit le régime à une dictature inexorable, vite reprise à leur compte par de nouveaux soudards, Melgarejo ou Morales. La Bolivie semblait une principauté moins gouvernée que pillée par des monarques sans scrupules. La défaite de la guerre du Pacifique marqua le déclin du prétorianisme. Les nouveaux magnats des mines d’argent, Pacheco, Arce, Fernandez Alonso assumèrent à tour de rôle la présidence. La Bolivie s’assagissait. Cependant, l’opposition, qui réclamait le respect des lois pour défendre son droit au pouvoir et attaquait la complicité conservatrice des intérêts économiques de l’Église et de l’armée traditionnelle, se définissait comme libérale. Contre l’oligarchie traditionnelle de Sucre, capitale déclinante, l’ambition de celle de La Paz, ville en plein essor, détermina un conflit entre unitaires et fédéralistes (la guerre civile de 1898-1899) sous le couvert duquel les libéraux triomphèrent des conservateurs. La Paz devint le siège du gouvernement. Malgré son désir de rénover la vie politique, de former un État moderne, et de «professionnaliser» l’armée, cette nouvelle oligarchie mena sous la conduite de I. Montes une politique aussi exclusive que ses prédécesseurs. À l’approche de la crise économique due à la Première Guerre mondiale, les opposants renouèrent avec la tradition de la violence. Le système des clientèles caudillistes se perpétuait: «républicains» autour de Saavedra, «républicains authentiques» autour de Salamanca, plus tard «Union nationale» autour de Siles. Ces partis du deuxième âge cherchaient pourtant à élargir leurs bases politiques dans le petit peuple des villes; le corps électoral du XIXe siècle, limité à quelque 20 000 personnes, avait doublé en 1926.

Mais avant même qu’ait pu se former un système politique vraiment moderne, trop opposé en fait à l’organisation traditionnelle d’une société de type colonial, l’État bolivien se trouvait confronté au problème de son autonomie, tant vis-à-vis des puissances économiques internes que des banques étrangères. Les libéraux se trouvaient pris à leur propre piège. Les recettes fiscales et les ressources en devises du gouvernement, dont les besoins allaient croissant, dépendaient de l’exportation des minerais, et principalement de l’étain. Or les entreprises minières qui dominaient ainsi l’État le laissaient à la portion congrue. Mieux même, comme elles avaient besoin de voies ferrées pour exporter leurs minerais, il fallut que l’État empruntât pour les faire construire. La charge de la dette devint si catastrophique que le contrôle de la majeure partie des recettes douanières passa en 1923 aux mains d’une Commission fiscale permanente dominée par des banquiers étrangers. Dans la période même de sa formation, l’État bolivien était soumis à une double tutelle.

L’exploitation économique

Du XIXe au XXe siècle, la Bolivie offre l’exemple de la formation d’une économie dualiste. L’agriculture qui emploie de loin la majeure partie de la population reste abandonnée aux Indiens et soumise à la routine. Les propriétaires terriens et les autorités des provinces prélèvent sur son produit ce qu’il faut à leur prestige. Cet écrémage systématique des excédents ne favorise ni l’effort ni la novation. Aussi l’agriculture assure-t-elle tout juste la subsistance des paysans et l’approvisionnement des petites villes.

À cette apathie générale du monde rural, qui entraîne celle de l’artisanat urbain, s’oppose la fébrilité des activités spéculatives. Les cycles de la quinine (1830-1850), du guano et du salpêtre (1868-1878) ou de la gomme (1895-1915) donnent tour à tour à certaines régions un dynamisme économique intense, mais bref et artificiel. Il est en effet commandé par le marché mondial et la plupart des profits sont aspirés par l’étranger. Le renouveau des vieilles mines d’argent ne durera de même qu’une vingtaine d’années, jusqu’à l’effondrement relatif des cours vers 1890.

En revanche, la construction des voies ferrées, l’injection de capitaux étrangers et une longue conjoncture favorable vont donner aux petites mines diverses (cuivre, antimoine, wolfram) et surtout à celles d’étain les atouts d’un essor considérable dès les premières années du siècle. En quelque vingt ans, Simón I. Patiño, mineur heureux, devient l’un des plus gros producteurs d’étain du monde. Habile de surcroît au jeu financier, il transfère en 1924 aux États-Unis le siège et les capitaux de ses entreprises, avant de devenir, à la faveur de la crise de 1930, le maître du pool de l’étain. En Bolivie, d’autres suivent ses traces, Aramayo, plus tard Hochschild. Cependant, ce développement minier ne laisse au gouvernement que des miettes, aux 20 000 mineurs un minimum vital et au pays un réseau de voies ferrées de drainage, exclusivement articulé sur les gisements de minerai. Le succès même de cette économie d’enclave finit par avoir des effets négatifs. Les devises qu’elle procure au pays lui permettent de différer par des importations croissantes le développement de l’agriculture et de la petite industrie. Enfin, les variations des cours auront des effets catastrophiques sur les ressources de l’État et détermineront chaque fois de graves à-coups politiques et sociaux (1920, 1928, 1951).

3. La Bolivie contemporaine

Le blocage social

Le nationalisme frustré, la contradiction du développement de l’État et de sa dépendance croissante, l’aggravation du dualisme de l’économie se conjuguent désormais avec l’apparition de distorsions sociales. Jusqu’alors, une élite assez fermée dominait, dans le cadre d’une société de type colonial, une paysannerie indienne asservie et un peuple urbain d’artisans métis. Or, au début du siècle, la croissance démographique déracine nombre de paysans. Les villes se développent plus vite que les secteurs secondaire et tertiaire de l’économie. L’instruction se diffuse lentement sans que l’on puisse créer, faute de capitaux nationaux, les emplois correspondants. Les ambitions de la petite bourgeoisie se heurtent à l’apathie économique générale. À tous les niveaux apparaissent des groupes disponibles qui ne trouvent pas leur place dans l’ancienne société, tandis que celle-ci, raidie sur son principe de domination, se montre incapable de s’ouvrir et de s’adapter.

L’effervescence nationaliste

L’importance de la mobilisation lors de la campagne du Chaco donne à la défaite un aspect de catastrophe nationale. Les classes dirigeantes sont ébranlées. Les jeunes gens instruits remettent tout en question, les indigènes nourrissent l’espoir de se libérer. Les militaires vaincus sont paradoxalement les seuls à pouvoir assumer la responsabilité de ce moment critique. Les héros du Chaco, Toro, Busch et un peu plus tard Villaroel s’arrogent la présidence et tentent d’ouvrir des voies nouvelles: nationalisation du pétrole (1937), création d’un syndicalisme sous tutelle étatique, appel aux Indiens en un grand «congrès d’indigènes» (1945), efforts pour disputer les profits et les devises de l’étain aux trois grandes compagnies. Mais celles-ci ont encore assez de puissance et de clientèle pour bloquer la mutation en opposant quand il le faut des militaires d’ordre, Quintanilla, Peñaranda, Urriolagoitia ou Ballivián, aux militaires de mouvement. Elles ne peuvent empêcher cependant la création de petits partis de contestation extrême: F.S.B. phalangiste, P.O.R. trotskiste, P.I.R. marxiste, ni surtout la formation d’un mouvement moins défini, et de ce fait tactiquement plus souple, le M.N.R. ou Mouvement nationaliste révolutionnaire. Coloré de fascisme par opposition aux États-Unis à l’heure de la Seconde Guerre mondiale, le M.N.R. n’hésitera pas à se teinter d’ouvriérisme, voire d’agrarisme, quand l’alliance des mineurs ou l’appui paysan lui sembleront indispensables. Sauf la phalange, ces partis «modernes» sont anti-impérialistes, projettent une réforme agraire mal définie et la nationalisation des grandes mines d’étain.

La révolution de 1952

Seul le M.N.R., récemment allié aux communistes, fut en posture de manœuvrer au bon moment, c’est-à-dire quand le blocage par les États-Unis du prix de l’étain après la flambée due à la guerre de Corée désarçonna la vieille oligarchie. Les ouvriers, les classes moyennes et les paysans se retrouvèrent indistinctement derrière lui dès sa victoire (avril 1952). Le système des anciennes dépendances paraissait définitivement rompu.

À vrai dire, l’œuvre de cette révolution est inachevée, et les passions qu’elle a suscitées ne sont pas encore éteintes, double raison de controverses.

Les États-Unis avaient été, pendant la Seconde Guerre mondiale, les seuls acheteurs de l’étain bolivien; ils sont restés depuis lors les maîtres de ce marché. Ils tardèrent à reconnaître le gouvernement révolutionnaire de Paz Estenssoro. Mais la perspective du passage de la Bolivie à l’anarchie ou au communisme, en pleine guerre froide, était pour eux inquiétante. Ils jouèrent la carte de l’aide financière et technique, ce qui par la suite leur permit de limiter et de stabiliser la révolution.

Répondant aux diverses pressions que le M.N.R. avait naguère suscitées, mais conservant une certaine prudence, le gouvernement révolutionnaire réalisa d’importantes réformes: nationalisation des trois grandes compagnies minières (1952) et création d’un organisme public pour les gérer (la Comibol), établissement du suffrage universel, création d’une centrale ouvrière (la C.O.B.) et de milices de paysans et d’ouvriers. Enfin, la réforme agraire libéra les Indiens du servage et les rendit propriétaires, par parcelles, des latifundios , qui furent ainsi en grande partie démantelés: à la fin de 1965, 6 500 000 ha avaient été déjà répartis entre 170 000 familles.

La production agricole et minière subit d’abord une chute sensible, tandis qu’une inflation vertigineuse déréglait l’économie et brassait les revenus de tous les groupes sociaux. Cependant, les États-Unis, dont l’aide financière était chaque année plus importante et nécessaire, surent faire accepter par le M.N.R. une politique de stabilisation (1956), une assistance administrative et technique, puis, par le biais de la nécessaire réalimentation en capitaux de la Comibol, une politique de fermeté à l’égard des ouvriers et des mineurs, dont le chef était J. Lechin. L’élan paysan, satisfait, se figeait dans le caciquisme du syndicalisme officiel. Mais l’armée, d’abord démantelée, fut progressivement reconstruite pour équilibrer la force des milices au fur et à mesure que le régime s’éloignait des mineurs. Ce fut elle qui prit la relève, en 1964, lorsque l’éclatement des divers groupes du M.N.R. devint définitif.

En mettant fin à l’expérience populiste et réformiste menée depuis 1952 par le M.N.R., le coup d’État dirigé par les généraux Barrientos et Ovando (4 nov. 1964) inaugurait une nouvelle ère d’instabilité pour la Bolivie.

Certes, le général René Barrientos, démagogue et séduisant, en se prévalant de sa qualité de vice-président de la République se fait légalement élire en juillet 1966, grâce aux voix de la paysannerie. Mais le courant de l’armée représenté par le nouveau président, décidé à liquider les réformes du M.N.R. et à placer définitivement la Bolivie dans l’orbite des États-Unis et du Brésil, va se heurter jusqu’en 1971 non seulement aux forces de gauche, mais à un secteur nationaliste des forces armées.

Une instabilité chronique (1966-1971)

Cette période est en particulier marquée par la guérilla d’Ernesto «Che» Guevara (mai-oct. 1967) dont la déroute est accélérée par la défection du Parti communiste bolivien; par le procès de l’intellectuel français Régis Debray, accusé d’être un des porte-parole de la subversion; et par un nouveau massacre de mineurs, «la nuit de la Saint-Jean», le 24 juin de la même année. Le 21 avril 1969, le général Barrientos trouve la mort dans un accident d’hélicoptère, qualifié de «suspect». La présidence est assurée par un civil, Luis Siles Salinas, que renverse le 26 septembre le général Ovando. Ce dernier réalise quelques réformes, dont la nationalisation de la compagnie américaine Gulf Oil. En octobre 1970, la prise du pouvoir par une junte d’extrême droite provoque une réaction de la gauche de l’armée, dirigée par le général Juan José Torres. Celui-ci proclame son gouvernement «nationaliste et révolutionnaire». Une Assemblée populaire se réunit en juin 1971 afin d’accélérer la radicalisation du régime. Mais, le 21 août 1971, un nouveau soulèvement militaire, soutenu par l’Argentine, le Brésil et, en sous-main, par les États-Unis, porte au pouvoir le général Hugo Banzer. Celui-ci forme un premier gouvernement dans lequel entrent, aux côtés des militaires, des représentants de la Phalange et du M.N.R., qui institutionnalise ainsi son virage à droite.

La dictature du général Banzer (1971-1978)

Le général Banzer commence par éliminer toute opposition: de 1971 à 1978, 14 750 personnes ont été détenues, 20 000 ont quitté le pays pour raisons politiques; la pratique de la torture est systématique; l’université est fermée à plusieurs reprises; en 1974, plus de cent paysans sont massacrés dans la région de Cochabamba. Le gouvernement affronte même en différentes occasions la hiérarchie catholique.

En juillet 1974, le général Banzer rompt avec la Phalange et le M.N.R. Le 9 novembre, une série de décrets «institutionnalisent» la dictature: suspension des activités politiques et syndicales, interdiction des grèves, etc.

Le général Banzer paraît avoir la situation bien en main, d’autant plus que son gouvernement peut se prévaloir sur le plan économique d’une certaine stabilité.

Entre 1971 et 1978, le taux de croissance a dépassé 6 p. 100, et le taux d’inflation n’a été que de 18 p. 100. La balance commerciale est en équilibre. Un plan quinquennal ambitieux a été lancé en 1976.

Mais, avec un revenu annuel moyen de 390 dollars par an, les Boliviens ne devancent en Amérique latine que les habitants d’Haïti. Le salaire d’un mineur de fond est de 1,5 dollar par jour. La mortalité infantile avant l’âge de deux ans est de 202 p. 1 000. Les paysans ne consomment en moyenne que 1 800 calories par jour. L’analphabétisme touche encore plus de la moitié de la population. Cette situation résulte en partie d’un mode de développement qui privilégie les investissements improductifs du secteur tertiaire, aux dépens du développement industriel et de la production de matières premières. La production d’étain, principale source de devises de la Bolivie, a diminué de 3 p. 100 entre 1971 et 1978.

L’exploitation des mines, du pétrole et du gaz naturel, qui n’occupe que 5 p. 100 de la population active, fournit 18 p. 100 du produit intérieur brut (P.I.B.) et 90 p. 100 des exportations, tandis que l’agriculture et l’exploitation des forêts, qui fournissent 15 p. 100 du P.I.B. et 3 p. 100 des exportations, emploient 65 p. 100 de la population.

La dette extérieure est passée de 670 millions de dollars en 1970 à 3 000 millions de dollars en 1979, pour atteindre 3 670 000 millions de dollars en 1981: 68 p. 100 du produit des exportations sont consacrés chaque année à faire face aux échéances.

La crise économique, qui débute en 1978 et qui n’a cessé de s’amplifier (entre 1978 et 1980 l’inflation passe de 7,1 à 45 p. 100 et le P.I.B. de 3,4 à 0,8 p. 100), n’est pas la seule raison de la perte d’autorité du général Banzer. D’autres éléments ont contribué à sa chute, en particulier l’échec des négociations menées avec le général Pinochet, concernant l’octroi à la Bolivie d’une fenêtre sur l’océan Pacifique. Le président du Chili exigeait, en effet, en échange d’un territoire démilitarisé, le couloir d’Arica, une région de l’Altiplano que l’on savait riche en lithium. Cet échec a provoqué un incontestable mécontentement à l’intérieur de larges secteurs de l’armée. Par ailleurs, les classes moyennes, lasses de la répression, réclamaient un partage des responsabilités politiques, monopolisées par les militaires. Enfin, la campagne du président Carter en faveur des droits de l’homme, largement relayée en Bolivie par l’Église catholique, a favorisé le mouvement de contestation.

D’une dictature à l’autre (1977-1980)

À la fin de 1977, le général Banzer annonçait que d’hypothétiques élections, qui devaient avoir lieu en 1980, se dérouleraient le 9 juillet 1978. La proscription d’une partie de l’opposition et le contrôle du vote paysan par l’armée rendaient apparemment l’opération sans risques.

Mais, le 28 décembre 1977, quatre femmes de mineurs entament une grève de la faim en vue d’obtenir une amnistie générale et sans restrictions. Trois semaines plus tard, les grévistes de la faim étaient 1 500, appuyés par les syndicats, l’Église et de larges secteurs de l’opinion publique. Contesté à l’intérieur de l’armée, le général Banzer cédait. Pour les élections, il lançait dans la mêlée son candidat, le général Pereda Asbun. Celui-ci ne l’emportait sur le candidat de la gauche unie (Union démocratique populaire), l’ex-président Hernán Siles Zuazo, qu’au prix de gigantesques fraudes organisées par l’armée. La réprobation des États-Unis et de l’opinion internationale semblait conduire à l’annulation du scrutin, lorsqu’un coup d’État de l’armée porta, le 21 juillet 1978, le général Pereda à la présidence. Celui-ci ayant décidé de n’organiser des élections qu’en 1980, il fut à son tour renversé le 24 novembre 1978, à la suite de l’action d’un groupe d’officiers entrés au Collège militaire en 1954, sous le gouvernement du M.N.R., et violemment opposés au général Banzer. La nouvelle junte, présidée par un modéré, le général Padilla, organisa, le 1er juillet 1979, des élections. Hernán Siles Zuazo (36 p. 100 des voix) l’emporta, mais, n’ayant pas obtenu la majorité absolue des suffrages populaires, il dut recourir au vote du Congrès où la gauche était minoritaire. Faute d’un accord avec Victor Paz Estenssoro (32 p. 100 des voix), arrivé en seconde position, il abandonna la présidence à un chef de l’État «provisoire», Walter Guevara Arce, chargé d’organiser de nouvelles élections. Un putsch avorté du colonel Natush Busch, en décembre 1980, aboutissait à l’accession au pouvoir de Lidia Gueiler.

Le 29 juin 1980, Siles Zuazo l’emportait une nouvelle fois à l’élection présidentielle. Mais, le 17 juillet, veille du jour où la cour électorale devait proclamer les résultats, une junte militaire représentant les trois armes prenait le pouvoir. Les nouveaux présidents étaient Waldo Bernal (aviation), Oscar Tereja (marine) et surtout Luis García Meza (armée de terre), l’homme fort du nouveau régime.

De la dictature au libéralisme sauvage

Toutes les libertés si difficilement reconquises durant la période précédente disparurent. La répression fit de nombreuses victimes dans les rangs de l’opposition, parmi lesquelles on compta le leader du Parti socialiste, Marcelo Quiroga Santa Cruz, assassiné le jour du putsch, et des membres de la direction du Mouvement de la gauche révolutionnaire (M.I.R.) quelques mois plus tard.

Ce coup d’État, directement appuyé par la dictature argentine, présentait en outre la particularité d’avoir été préparé par la maffia de la cocaïne qui, grâce au général Luis Arce Gomez, ministre de l’Intérieur, contrôlait le gouvernement et étendait ses activités en toute impunité. C’est la raison pour laquelle les États-Unis refusèrent durant un an et demi de reconnaître une junte militaire qui bénéficiait par contre du soutien diplomatique des pays socialistes.

Après avoir résisté à une série de tentatives de putsch, le général Luis García Meza dut, le 24 août 1981, céder le pouvoir au général Celso Torrelio. Ce dernier fut à son tour remplacé par le général Vildoso en juillet 1982. Trois mois plus tard, des manifestations grandissantes le contraignirent à remettre le pouvoir au président élu en 1980, Hernán Siles Zuazo.

En octobre 1982, il héritait d’une économie à la dérive, minée par la corruption et le trafic de drogue, mais il avait les mains relativement libres, tant sur le plan intérieur que sur la scène internationale. Trois ans et demi de gouvernement de l’Union démocratique populaire (U.D.P.) allaient cependant se solder par un échec. Celui-ci était d’abord politique, les partis au gouvernement se préoccupant davantage de gagner des positions à l’intérieur de l’appareil d’État que d’élaborer une stratégie commune. Une première crise éclatait en janvier 1983 lorsque le M.I.R. quittait le gouvernement et se séparait de l’U.D.P. Le parti du président, le Mouvement nationaliste de gauche (M.N.R.-I), était lui-même ébranlé par de graves dissensions. Quant à la Centrale ouvrière bolivienne (C.O.B.), son appui se transforma peu à peu en une franche opposition. En mars 1985, les mineurs occupèrent La Paz dans le but déclaré de faire tomber le gouvernement.

Cette instabilité politique et sociale n’a pas permis d’appliquer une politique économique capable de juguler une crise aggravée par des catastrophes climatiques: sécheresse sur l’Altiplano (1982-1984) et inondations du lac Titicaca (1984-1985). Le taux d’inflation pour les six premiers mois de l’année 1985 était de 5 800 p. 100, et la population avait perdu 30 p. 100 de son pouvoir d’achat par rapport à 1982. Éclaboussé par un scandale déclenché par le parrain de la drogue, Roberto Suarez, Siles Zuazo décidait, à la fin de 1984, de réduire d’un an la durée de son mandat.

Les élections générales qui se sont déroulées le 14 juillet 1985 ont traduit une modification radicale du paysage politique. La gauche, qui s’est présentée en ordre dispersé, n’a obtenu que 12,79 p. 100 des suffrages. C’est l’ex-dictateur, le général Hugo Banzer, qui est arrivé en tête du premier tour avec 28,5 p. 100 des voix, précédant de peu le vieux leader du M.N.R., Victor Paz Estenssoro (26,49 p. 100). Cependant, à l’issue du second tour devant le Congrès, c’était ce dernier qui était élu avec 94 voix contre 51 à son rival.

Ils ont ensuite passé un accord qui s’est traduit par la signature du «Pacte pour la démocratie» mettant en œuvre une politique ultra-libérale, la nouvelle politique économique (N.P.E.): blocage des salaires et liberté des prix, autorisation de licenciement, libéralisation totale des importations et des exportations, privatisation ou démantèlement des entreprises nationalisées. C’est dans ce contexte que s’inscrit la «restructuration» de la plus importante d’entre elles, créée en 1952 par Paz Estenssoro lui-même, la Corporation minière bolivienne (Comibol). Les grandes mines d’étain étaient condamnées par l’épuisement des gisements, des coûts de production trop élevés et surtout l’effondrement des cours de ce métal sur le marché mondial depuis octobre 1985. Le 26 août 1986, les mines de Siglo XX et Catavi étaient fermées et neuf autres mines transformées en coopératives ouvrières qui devaient fonctionner sans aide de l’État. Cette mesure a impliqué la mise à pied de 20 000 des 26 000 ouvriers de la Comibol. La plupart n’ont pu trouver un nouvel emploi dans un pays où le taux de chômage s’élève à plus de 20 p. 100 de la population active. Le démantèlement de la Sécurité sociale ou la fermeture de la Banque agricole de l’État ont également touché les secteurs les plus modestes de la population.

La C.O.B., privée d’une grande partie de sa base organisée et, comme le reste des forces de gauche, minée par ses contradictions, a été incapable de s’opposer à cette politique. Quant à la Confédération paysanne, créée en 1979, qui reflétait les préoccupations culturelles de la majorité quechua-aymara du pays, elle a été également affaiblie par les manœuvres de partis politiques incapables de prendre en compte la réalité ethnique du pays.

Si la politique de libéralisation de l’économie a permis de rétablir l’équilibre budgétaire et de ramener l’inflation à moins de 20 p. 100, elle a provoqué, en 1988, une récession sans précédent. Elle explique en particulier la défaite de Gonzalo Sanchez de Lozada, candidat du M.N.R., aux élections générales du 7 mai 1989. Avec 22,98 p. 100 des voix, il est arrivé en tête, devant le général Hugo Banzer, de l’Action démocratique nationaliste, l’A.D.N. (22,61 p. 100), et Jaime Paz Zamora, du M.I.R., de tendance social-démocrate (19,56 p. 100). Contre toute attente, c’est ce dernier qui a été élu président de la République par le Congrès, le 6 août 1989. Le M.I.R. s’est allié pour cela à l’A.D.N. et est mis sur pied un gouvernement de «convergence et d’unité nationale». Des membres de l’A.D.N. occupaient la vice-présidence de la République et une dizaine de ministères, en particulier ceux de la Défense et des Finances. La politique néo-libérale du gouvernement précédent a été poursuivie. En 1992 devait être achevée la privatisation de 158 entreprises du secteur public, conformément aux engagements pris à l’égard des organismes financiers internationaux. La Bolivie a réussi à racheter une partie de sa dette à l’égard des banques privées, qui est ainsi passée de 5 milliards de dollars en 1989 à 3,5 milliards de dollars en 1991, et à renégocier les ventes de pétrole et de gaz naturel avec ses voisins argentins et brésiliens. Les premiers fruits de cette politique se sont fait sentir en 1991: le taux de croissance a été de 4 p. 100, la balance commerciale a été excédentaire de 200 millions de dollars, et les réserves internationales se sont élevées à 240 millions de dollars. Comme dans les pays voisins, ces résultats ont eu pour contrepartie un coût social élevé. En août 1991, la Bolivie connaissait les indices de pauvreté les plus élevés de l’Amérique latine, ce qui pousse 30 p. 100 de la population vers des activités illégales comme la contrebande et le trafic de drogue. Les revenus fournis par la production de la feuille de coca et le trafic de cocaïne dont vivent 600 000 personnes, soit 10 p. 100 de la population, constituent un véritable ballon d’oxygène pour l’économie. Un ministre de l’Intérieur a déclaré: «La valeur brute de la cocaïne pourrait représenter de 53 à 66 p. 100 du P.I.B. de l’économie formelle, et de trois à quatre fois le montant des exportations légales.» On estime que de 500 à 800 millions de dollars restent dans le pays, alors que les exportations légales n’atteignent pas un milliard de dollars. Le décret 21060 publié par le gouvernement de Paz Estenssoro en 1985, qui est la cheville ouvrière de la politique néo-libérale, interdit expressément aux fonctionnaires de la Banque de l’État de rechercher l’origine des capitaux rapatriés en Bolivie, encourageant par là même l’investissement de l’argent de la drogue dans les secteurs productifs de l’économie. À l’issue du sommet anti-drogue de Carthagène, qui a réuni, le 15 février 1990, les chefs d’État bolivien, péruvien, colombien et américain, le président Paz Zamora s’était engagé à provoquer la réduction des surfaces plantées de cocaïers, en accordant 2 000 dollars aux paysans pour chaque hectare reconverti. De 1989 à 1991, les superficies ont été ainsi volontairement réduites de plus de 12 000 hectares. Cependant, les projets de développement alternatifs n’ayant pas apporté de solutions durables aux paysans, on s’attendait, à partir de 1992, à une nouvelle extension des cultures et à une reprise de l’agitation paysanne.

L’opposition aux grands partis de gouvernement – A.D.N., M.N.R., M.I.R. –, dont les alliances peuvent varier, mais qui prônent la même politique économique, a pris un nouveau visage avec le recul des partis de gauche et des organisations syndicales ouvrières: d’une part, des mobilisations de la société civile comme les marches de protestation et les grèves de la faim; d’autre part, la subversion armée. Ainsi, en avril-mai 1992, ont été arrêtés des membres de l’armée de guérilla Tupac Katari (E.G.T.K.), liés aux Ayllu rouges, un groupe dont l’idéologie se rattache à la fois au maoïsme, à l’anarcho-syndicalisme et à l’indigénisme. Il s’était signalé en particulier par une cinquantaine d’attentats depuis juillet 1991. Sur le plan électoral, on assiste au recul des grands partis, discrédités par les scandales et les affaires de drogue, qui ont provoqué la démission du ministre de l’Intérieur qui appartenait au M.I.R., Guillermo Capobianco, le 13 mars 1991, et à la montée de mouvements populistes, comme l’a montré le résultat des élections municipales d’octobre 1991: l’Union civique de la solidarité (U.C.S.), dirigée par le brasseur Max Fernandez, est arrivée en troisième position avec 23,02 p. 100 des voix, et la Conscience de la patrie (Condepa), dont le leader, Carlos Palenque, est le propriétaire d’une chaîne de télévision, en quatrième avec 15,26 p. 100 des voix. La gauche n’a obtenu que 10 p. 100 des voix. L’opposition aux partis traditionnels et à l’ensemble du système politique se propose comme objectif l’élection d’une Assemblée des nationalités, dans le cadre des contre-manifestations suscitées par la célébration du cinquième centenaire de la découverte de l’Amérique.

Bolivie
(république de) (República Boliviana), état d'Amérique du Sud, entouré par le Brésil, le Pérou, le Chili, l'Argentine et le Paraguay; 1 098 581 km²; 6 611 383 hab.; cap. gouv. La Paz; cap. admin. Sucre. Nature de l'état: rép. présidentielle. Langue off.: espagnol. Monnaie: boliviano (BOP). Population: Indiens (Aymaras sur les hauts plateaux, Quechuas dans les vallées), métis (27 %) et Blancs. Relig.: cathol. Géogr. phys. et hum. - à l'O., la Bolivie andine, au climat tropical d'altitude, est formée de chaînes élevées encadrant un haut plateau (4 000 m) parsemé de lacs: l'Altiplano (80 % de la pop.). à l'E., les bas pays chauds et humides de l'Oriente (70 % du territ. et 20 % de la pop.) appartiennent aux bassins de l'Amazone et du Paraguay; la colonisation agraire et l'exploitation pétrolière y progressent. La population, citadine à 50 %, a une forte croissance. écon. - L'agriculture occupe la moitié de la pop. active; la coca constitue la première source de revenus du pays. Gaz naturel, étain, zinc et argent excèdent 75 % des exportations légales. La crise écon. et fin. des années 80 a été sévère. L'austérité préconisée par le F.M.I. a renforcé l'agitation sociale. Hist. - Le Haut-Pérou précolombien (qui comprenait la Bolivie actuelle) fut surtout peuplé par les Aymaras (civilisation de Tiahuanaco, Xe-XIIIe s.). Il fit partie de l'Empire inca jusqu'à la conquête espagnole (1538). Les mines d'argent du Potosí, exploitées dès 1545, enrichirent l'Europe pendant 150 ans; des milliers d'Indiens y trouvèrent la mort. Après de nombreux soulèvements du XVIe au XVIIIe s., la guerre de libération aboutit en 1825 à la fondation de la république par Bolívar et Sucre, son lieutenant. Dès lors, se succédèrent coups d'état, massacres de paysans et de mineurs par l'armée, guerres contre les pays voisins: la façade maritime fut cédée au Chili (guerre du Pacifique, 1879-1894), le Chaco au Paraguay (1935). Après le gouvernement civil de V. Paz Estenssoro (1952-1964), qui effectua la nationalisation des mines et la réforme agraire, les dictatures militaires se sont succédé. Le mouvement de guérilla fondé par "Che" Guevara (tué en 1967) fut anéanti. Les élections de 1982 ont rendu le pouvoir aux civils, mais le malaise écon. et social ne se dissipe pas. En 1997, le général Hugo Banzer, qui avait exercé la dictature de 1971 à 1978, est élu président de la Rép. Cette m. année, les restes de Guevara sont découverts et remis à Cuba.

Encyclopédie Universelle. 2012.