CANCER
Dans les organismes multicellulaires animaux ou végétaux, chaque cellule constitue une entité morphologiquement et fonctionnellement distincte mais qui est soumise à des mécanismes de contrôle et de régulation extrêmement rigoureux. En fait, sa vie est régie par les informations qu’elle reçoit constamment des cellules et tissus qui l’environnent; inversement, elle émet à chaque instant des signaux qui informent les autres cellules sur son activité. Cette communication intercellulaire s’effectue par trois grands types de mécanismes:
– les canaux de jonction intercellulaires liant une cellule aux cellules adjacentes; ils disparaissent dès les premières étapes de la marche vers l’autonomie cellulaire qui caractérise la cancérogenèse;
– le système paracrine, c’est-à-dire la sécrétion par une cellule de molécules dont la durée de vie est très courte et qui ne peuvent donc atteindre, par diffusion, que les cellules situées à proximité;
– enfin, le système endocrine dans lequel les substances sécrétées (telles les hormones) passent dans le sang et peuvent ainsi atteindre toutes les régions de l’organisme.
La croissance d’un organisme pendant la vie embryonnaire puis jusqu’à l’âge adulte est régie par des messagers chimiques. Ceux-ci assurent ensuite la constance rigoureuse du nombre de cellules dans l’organisme adulte. La prolifération cellulaire est contrôlée par deux groupes de messagers: les facteurs de croissance, qui incitent la cellule à se diviser, et les inhibiteurs, qui l’en empêchent. Un exemple illustrera la puissance et la finesse de ces mécanismes de contrôle: si, par une intervention chirurgicale, on ôte les deux tiers du foie d’un rat, on constate qu’environ douze heures après cette exérèse des milliards de cellules dans le reliquat hépatique se mettent à se diviser. Cette régénération est contrôlée en partie par des substances qui circulent dans le sang puisque, si préalablement à l’hépatectomie on a greffé du tissu hépatique dans la rate, celui-ci entre également en prolifération.
Cependant, cette prolifération est minutieusement contrôlée car, en quelques jours, le foie va retrouver non seulement sa masse initiale, mais aussi sa forme, ce qui nécessite des systèmes paracrines complexes, analogues à ceux qui permettent au foie d’acquérir sa forme au moment de l’embryogenèse.
Le contrôle de la prolifération cellulaire est si précis que les cellules arrêtent de se diviser quand le nombre de cellules engagées dans un cycle de division est suffisant pour reconstituer la masse initiale; dès lors, à nouveau, les cellules ne se divisent plus que pour remplacer les cellules qui meurent.
Dans une tumeur, ces systèmes ne fonctionnent plus ou fonctionnent mal. Un cancer, en général, est constitué par la descendance d’une seule cellule devenue cancéreuse. Cette transformation d’une cellule normale en une cellule cancéreuse est restée mystérieuse jusqu’aux années 1980, mais on connaît maintenant ses mécanismes [cf. ONCOGENÈSE]: elle est due à l’accumulation d’une série de défauts à l’intérieur du génome d’une cellule, en général de cinq à dix lésions distinctes. Les unes correspondant à des pannes dans le système d’accélération qui s’emballe ou fonctionne sans incitation extérieure (par exemple, le récepteur émet le signal en l’absence du facteur de croissance ou la cellule sécrète son propre facteur de croissance); d’autres proviennent du dysfonctionnement des systèmes d’inhibition.
Cette transformation s’effectue généralement en plusieurs étapes. Il y a, entre la cellule normale et la cellule cancéreuse, une série d’intermédiaires que l’on peut individualiser: lésions précancéreuses, par exemple polype dans l’intestin, condylome sur le col utérin, dyskératoses au niveau de la peau. Ces lésions sont formées de cellules qui obéissent mal au système du contrôle, voire qui sont devenues autonomes mais qui ne sont pas encore cancéreuses, car elles n’ont pas atteint un niveau d’autonomie leur permettant de migrer dans les tissus voisins (fig. 1) ou de donner naissance à des colonies de cellules tumorales dans d’autres tissus après avoir migré dans le sang (métastases). Cette évolution s’effectue en plusieurs étapes; les lésions de plus en plus malignes apparaissent quand un défaut moléculaire supplémentaire survient dans l’une des cellules précancéreuses.
Chez l’homme, plusieurs dizaines d’années s’écoulent, en moyenne, entre l’apparition des premières cellules tumorales mais non encore cancéreuses et l’émergence d’un véritable cancer. Un des objectifs du dépistage est l’identification et la destruction de ces lésions précancéreuses afin d’éviter l’apparition d’un véritable cancer capable d’envahir les tissus voisins. Lorsqu’un cancer est établi, il continue à évoluer ou, comme on dit, à progresser, et l’une des étapes essentielles de cette progression est l’apparition de cellules capables de migrer à distance et de donner naissance à des métastases.
Des mécanismes d’immunosurveillance, qui seront examinés plus loin, sont, chez les Vertébrés supérieurs, chargés de détruire les cellules n’appartenant pas aux tissus normaux, donc aux cellules reconnues comme anormales. Les tumeurs spontanées sont donc les descendantes des cellules ayant échappé pour des raisons diverses à l’immunosurveillance.
Le cancer apparaît donc comme une maladie générale présentant une évolution complexe, dominée par la variabilité dans le temps des relations entre les cellules cancéreuses et l’hôte qui les contient. La maladie est d’abord souvent précédée par la longue période des lésions précancéreuses: par exemple, dans le cancer du col utérin, les dyskératoses, les condylomes, les cancers in situ; ces lésions se distinguent les unes des autres par des troubles de plus en plus accentués de la différenciation cellulaire et de la prolifération cellulaire; dans le cancer in situ, comme dans un véritable cancer, les cellules épithéliales se multiplient de façon autonome, anarchique et ne se différencient plus, mais elles demeurent incapables de franchir la couche basale et d’envahir la musculeuse, ce ne sont donc pas de véritables cancers (fig. 1).
Vient ensuite la phase occulte pendant laquelle le clone de cellules tumorales croît lentement selon son rythme propre. Contrairement à ce que l’on a longtemps cru, la durée du cycle de division cellulaire n’est pas plus courte dans les cellules cancéreuses que dans les cellules normales, mais le rythme auquel elles se divisent (c’est-à-dire la proportion de cellules en cycle de division cellulaire) est devenu totalement indépendant des besoins de l’organisme. Chaque tumeur se divise à un rythme propre, qui varie peu au cours de la croissance tumorale, et que l’on peut caractériser par le temps de doublement, c’est-à-dire le temps nécessaire pour que le nombre de cellules soit multiplié par deux. Ce temps de doublement varie selon le type de tumeur entre une semaine et un an. Il est en moyenne de quelques mois. Ainsi, pour passer de la cellule initiale à une tumeur de 1 gramme, soit un milliard de cellules, seuil à partir duquel la tumeur devient détectable, il faut trente temps de doublement, soit en moyenne de cinq à dix ans, avec des variations considérables selon le tissu à partir duquel le cancer s’est développé.
Cette période occulte est suivie de la phase clinique pendant laquelle la tumeur continue à croître jusqu’à ce que le diagnostic soit posé. Si celui-ci est effectué avant que la tumeur ait atteint la taille où s’effectue la dissémination métastatique, le cancer est une maladie locorégionale que l’on peut guérir par chirurgie et/ou radiothérapie. Si le diagnostic est effectué après la naissance des métastases, il s’agit d’une maladie généralisée dont le traitement est beaucoup plus difficile et aléatoire.
Le cancer est aujourd’hui, en France, la cause de 25 p. 100 des décès (32 p. 100 chez l’homme, 23 p. 100 chez la femme). Son incidence relative ne peut que croître à mesure que les autres affections seront mieux contrôlées par la médecine. À l’heure actuelle, 50 p. 100 environ des cancéreux sont guéris, mais les nouveaux progrès ne sauraient venir que de la recherche. La recherche médicale contre le cancer devrait être l’un des grands enjeux de la fin du XXe siècle.
1. Généralités
La maladie cancéreuse
L’épidémiologie des cancers
Contrairement à une croyance répandue, le cancer n’est pas une maladie récente. On trouve des stigmates de cancers osseux sur les momies égyptiennes ou précolombiennes, le cancer du sein est décrit dans des papyrus égyptiens vieux de quatre mille ans, et le nom de cancer a été donné aux tumeurs malignes par Hippocrate il y a deux mille cinq cents ans. Ce qui est vrai est que, le cancer étant une maladie dont la fréquence croît rapidement avec l’âge (fig. 2), la proportion des décès par cancer est restée très faible tant que l’espérance de vie était courte. Or celle-ci a commencé à augmenter qu’à la fin du XVIIIe siècle; elle n’était que de trente-huit ans en 1830, quarante-cinq ans en 1900, pour atteindre soixante-dix-huit ans aujourd’hui. La baisse de la mortalité due aux autres maladies, en particulier les maladies infectieuses, a donc permis d’atteindre l’âge où le cancer est fréquent. C’est ainsi que le cancer causait en France moins de 10 p. 100 des décès au début du siècle, 20 p. 100 en 1975, 25 p. 100 aujourd’hui, soit environ cent trente-cinq mille décès. Il est probable que ce pourcentage va augmenter encore en raison des succès remportés dans la prévention et le traitement des maladies cardio-vasculaires; chez les hommes, le cancer est déjà devenu la première cause de mortalité, comme il l’est chez les femmes entre vingt-cinq et soixante-cinq ans.
Cependant, si, au lieu du pourcentage de décès de tous âges confondus, on considère la fréquence à âge constant, par exemple soixante ans, le tableau est fort différent. En effet, les données statistiques disponibles depuis le début du siècle dans les pays occidentaux montrent que la fréquence est restée inchangée pendant toute cette période, malgré l’industrialisation et l’irruption de centaines de millions de tonnes de nouveaux produits chimiques dans notre environnement qui en est résultée. Entre 1950 et 1985, la mortalité par cancer en France a augmenté de 1,1 p. 100 par an chez les hommes et diminué de 0,6 p. 100 par an chez les femmes. Chez les hommes, l’augmentation est due essentiellement aux cancers provoqués par le tabac (poumon, larynx, etc.) et est liée à l’augmentation de la consommation tabagique pendant cette période, tandis que la mortalité des cancers non dus au tabac diminue légèrement.
Cela prouve que le cancer n’est pas une maladie liée à l’industrialisation et à la civilisation moderne. On trouve d’ailleurs des cancers dans la plupart des espèces animales: des Insectes aux Mammifères. Dès qu’un organisme est composé d’un grand nombre de cellules, il y a une probabilité non négligeable pour que l’une de ces cellules échappe aux contrôles et devienne cancéreuse.
L’augmentation de la fréquence des cancers avec l’âge s’explique simplement par l’accumulation, dans une même cellule, d’un nombre suffisant de défauts génétiques. Quelle est la cause de ces défauts, c’est-à-dire des modifications des chromosomes ou des molécules d’ADN qui les composent? Trois origines sont possibles:
– des erreurs survenues au cours de la duplication des molécules d’ADN ou de la division cellulaire. Toute accélération de la prolifération cellulaire, quelle qu’en soit la cause (irritation chronique, inflammation, etc.), accroît donc le risque de mutation ;
– l’intégration, dans le génome d’une cellule, d’un ADN viral ou d’origine virale. Cet ADN peut soit contenir des oncogènes, soit perturber le fonctionnement des gènes proches de la région où il s’est inséré;
– des agents physiques ou chimiques capables de provoquer des lésions de l’ADN. Les agents chimiques cancérogènes peuvent être d’origine endogène (fabriqués par l’organisme lui-même) ou d’origine exogène, venus de l’extérieur (air, alimentation, etc.).
Pour permettre la prévention des cancers, il fallait identifier les facteurs responsables et estimer la contribution de chacun d’entre eux. Ce fut l’objet des enquêtes épidémiologiques qui ont été effectuées au cours de la seconde moitié du XXe siècle.
Facteurs environnementaux
Au début du XXe siècle, on avait observé de nombreux cas de cancer de la vessie chez les ouvriers d’usines chimiques fabriquant certains colorants, ainsi que des leucémies et des cancers de la peau chez les pionniers de la radiologie. C’était la preuve que, chez l’homme comme chez l’animal, des agents chimiques ou physiques peuvent provoquer des cancers, mais ces observations restaient anecdotiques et de tels mécanismes semblaient exceptionnels. En fait, les premières enquêtes épidémiologiques ayant démontré l’importance prééminente des facteurs extérieurs à l’organisme sont celles qui concernent le tabac.
Entre 1930 et 1950, devant l’extraordinaire augmentation de la fréquence du cancer du poumon, les cancérologues suspectèrent les gaz d’échappement des automobiles et le bitume des routes. Il fallait en faire la preuve. En 1950, R. Doll et B. Hill interrogèrent 650 malades atteints de cancer du poumon et 650 sujets témoins hospitalisés dans le même établissement pour d’autres affections. Il apparut que les deux groupes ne différaient que par un seul caractère: 96 p. 100 des cancéreux étaient ou avaient été des fumeurs, contre 80 p. 100 dans le groupe témoin. De plus, le nombre moyen de cigarettes fumées était légèrement plus grand chez les premiers que chez les seconds. Sur ces critères, ils conclurent au rôle cancérogène du tabac, déduction qui fut accueillie avec scepticisme. Cependant, d’autres enquêtes concordantes furent rapidement publiées; de plus et surtout, des enquêtes prospectives, au cours desquelles plusieurs dizaines puis centaines de milliers de sujets bien portants furent interrogés puis suivis, confirmèrent le risque et montrèrent que celui-là est proportionnel au nombre de cigarettes fumées par jour et à la durée pendant laquelle on a fumé. Il n’y a pas de seuil, car une ou deux cigarettes par jour sont déjà dangereuses.
L’importance historique de ces travaux est grande. D’abord, ils montrèrent les conséquences néfastes d’une habitude ancienne et considérée jusque-là comme relativement peu dangereuse. Les optimistes crurent que la connaissance du risque de la cigarette suffirait à faire chuter sa consommation; en fait, si le public se pénétra des dangers du tabac, le pourcentage de fumeurs ne diminua que très lentement, et essentiellement parmi les couches les plus instruites de la population, faisant du tabac un handicap supplémentaire des milieux les plus défavorisés. Les études épidémiologiques faites à ce propos soulignent la complexité du processus de prise de décision et l’abîme qui sépare « souhaiter » de « vouloir ».
La deuxième conséquence importante de la découverte de l’effet carcinogène du tabac a été de prouver le rôle des facteurs exogènes. Dans ces conditions, les milliers de nouveaux produits chimiques qui ont été fabriqués et disséminés dans la nature par l’industrie moderne ne risquaient-ils pas de provoquer une augmentation de la fréquence des cancers? Depuis les années 1950, de nombreux groupes de chercheurs se consacrent à ces enquêtes. Sans entrer dans le détail des travaux qui ont été accomplis, on peut en dégager les conclusions essentielles. Si l’on fait abstraction de l’augmentation de la fréquence des cancers dus au tabac (poumon, voies aérodigestives supérieures, œsophage, rein, vessie), la fréquence de ceux-là à âge constant a, comme nous l’avons vu, peu varié depuis un siècle. Certains types de cancers sont aujourd’hui plus fréquents. Il en est ainsi, par exemple, pour le cancer du sein ou celui de la prostate. Inversement, d’autres cancers sont aujourd’hui moins fréquents, tels ceux de l’estomac ou du col de l’utérus. Ces variations se compensent approximativement, c’est pourquoi la fréquence globale a peu changé. Or, si l’irruption dans notre milieu d’un grand nombre de nouveaux produits chimiques avait eu un impact global notable, cette fréquence aurait dû croître une vingtaine d’années plus tard. Les deux organes qui sont les plus exposés aux pollutions sont l’estomac, pour les boissons et les aliments, et les poumons, pour l’air. Or la fréquence des cancers de l’estomac a diminué, tandis que, chez les non-fumeurs, celle du cancer du poumon est restée constante.
Par ailleurs, les enquêtes épidémiologiques ont montré, pour plusieurs types de cancers, des corrélations qui, associées aux études biologiques, ont permis d’en identifier les causes (cf. tableau), telles que certains cancérogènes chimiques (tabac, amiante, etc.) ou physiques (rayons U.V. du soleil, rayonnements ionisants), des virus (l’EBV pour la maladie de Burkitt, le cancer du naso-pharynx, la plupart des maladies de Hodgkin, le virus de l’hépatite B pour le cancer du foie, le HTLV-I pour certaines leucémies, le papillome pour les cancers du col utérin et de la verge). Au total, dans les pays occidentaux, les virus jouent un rôle dans environ 15 p. 100 des cancers, mais cette proportion est nettement plus élevée dans les pays du Tiers Monde, où les conditions d’hygiène sont moins bonnes.
Les comparaisons géographiques montrent que, à âge constant, la fréquence des différents cancers varie considérablement. Ces différences ne sont pas dues à des facteurs ethniques, comme le montre la comparaison entre les Noirs qui vivent en Afrique ou en Amérique, ou les Japonais qui vivent au Japon ou aux États-Unis. L’étude des populations migrantes a permis de préciser le rôle de l’environnement social et culturel. On estime, aujourd’hui, qu’environ 80 p. 100 des cancers sont dus à cet environnement, dont 75 p. 100 liés au mode de vie individuel et 5 p. 100 au milieu.
Cependant, hormis les cas d’exposition massive à un cancérogène (tabac), l’origine est en général multifactorielle, et un va-et-vient entre enquêtes épidémiologiques et études biologiques est nécessaire pour analyser la séquence plus ou moins complexe des phénomènes et le rôle des différents facteurs: par exemple, virus et aflatoxine (substance fabriquée par une moisissure, Aspergillus niger , qui infecte les arachides stockées dans de mauvaises conditions) pour le cancer du foie, virus et infections bactériennes pour le cancer du col, excès de sel dans l’alimentation et infections bactériennes pour les cancers gastriques, etc.
Un exemple illustre la complexité des mécanismes d’action des cancérogènes. L’étude, par D. Burkitt, d’un cancer de la face très caractéristique qui atteint les enfants dans le centre de l’Afrique montra que celui-là était très fréquent dans les vallées, le long des cours d’eau ou sur les bords des lacs, mais rare sur les hauts plateaux, bien qu’il s’agisse des mêmes ethnies ayant le même mode de vie. Cela suggérait donc la responsabilité d’un virus inoculé par un moustique. L’examen de fragments de tumeurs en Angleterre permit l’identification du virus d’Epstein-Barr (EBV), mais celui-ci est apparemment banal et est trouvé chez de nombreux enfants sains. De plus, lors d’une transmission accidentelle à un technicien de laboratoire, on s’aperçut qu’il provoquait une maladie bénigne assez fréquente, la mononucléose infectieuse. Comment un même virus pouvait-il tantôt provoquer une angine guérissant spontanément dans tous les cas, et tantôt un cancer très grave? Il fallut plusieurs années de recherche pour le comprendre. L’enquête épidémiologique de G. de Thé montra que, si l’on dose les anticorps contre ce virus chez les jeunes enfants en bonne santé, ce sont ceux dont le taux est le plus élevé qui ont la plus grande probabilité d’avoir un cancer. On put progressivement reconstituer l’histoire de la maladie: contamination massive dès les premiers mois de la vie, puis période de latence jusqu’à ce que, à l’occasion d’une baisse des défenses immunologiques provoquées généralement par le paludisme, les cellules infestées par le virus deviennent capables de se multiplier rapidement. À l’occasion de cette prolifération rapide peuvent apparaître, chez certains enfants, des lignées de cellules précancéreuses (immortalisées), puis, à la faveur d’une nouvelle mutation, une cellule peut devenir pleinement cancéreuse. On trouve donc, à l’origine de la maladie de Burkitt, trois facteurs distincts: une contamination massive par un virus survenue au cours des premiers mois de la vie, une baisse des défenses immunologiques provoquée par le paludisme et la malnutrition, la survenue de défauts supplémentaires dans le génome de cellules lymphoïdes contaminées par le virus au cours de leur prolifération rapide.
Problèmes de prévention
Pour les besoins de la prévention, il est essentiel d’évaluer les responsabilités des différents agents cancérogènes et le bénéfice qui résulterait de leur suppression. Doll et Peto ont estimé qu’en France environ 30 p. 100 des morts par cancer sont dues au tabac (au total, si l’on tient compte des morts par maladies pulmonaires et cardio-vasculaires, le tabac tue 65 000 Français par an), 10 p. 100 à l’alcool, 30 p. 100 à l’alimentation, 5 p. 100 aux comportements sexuels ou à l’exposition aux rayons ultraviolets (U.V.) du soleil. Pour les 5 p. 100 dus au milieu, environ 3 p. 100 correspondent aux cancers professionnels, de 1 à 2 p. 100 à la pollution de l’air, à l’eau et à l’alimentation, et moins de 1 p. 100 à la radioactivité naturelle ou artificielle. Malgré leur caractère approximatif, ces chiffres montrent les priorités: d’abord et avant tout, lutter contre le tabac, puis mieux analyser les facteurs alimentaires nocifs (abus de matières grasses d’origine animale, suralimentation) ou bénéfiques (fruits et légumes riches en vitamines A, C, E), enfin consacrer les moyens nécessaires à la lutte contre les cancers professionnels sur le plan de la recherche et de la formation. L’exposition aux rayons solaires constitue également un facteur de risque important en raison de l’effet carcinogène des rayons U.V. Ils causent deux types de cancer de la peau: d’une part, les cancers spino- et basocellulaires de la peau, qui sont très fréquents mais facilement curables et exceptionnellement mortels; d’autre part, les mélanomes, beaucoup moins fréquents mais très graves car mortels malgré le traitement dans environ la moitié des cas. Les mélanomes sont dus aux expositions intenses quand la peau est blanche, avant qu’elle ne soit bronzée par le soleil. Typiquement, ce sont des cancers observés chez les citadins qui s’exposent brutalement à un soleil intense. Il existe deux facteurs de risque, d’une part l’âge – les expositions au soleil dans les premières années de la vie et jusqu’à quinze ans sont particulièrement dangereuses –, d’autre part, la coloration de la peau – les blonds et les roux encourent un risque beaucoup plus grand que les bruns de type méditerranéen. Les cas de décès pour mélanome ont augmenté très rapidement au cours de ces dernières décennies, et on prévoit qu’au début du XXIe siècle ils seront aussi fréquents que les décès par cancer du sein. En pratique, trois recommandations s’imposent: se protéger du soleil par des chapeaux, des vêtements légers et des crèmes antisolaires qui arrêtent les rayons U.V., surtout ceux de courte longueur d’onde qui sont les plus dangereux; éviter les coups de soleil et les expositions à un soleil intense quand la peau est blanche; n’utiliser qu’avec de grandes précautions les brunissages artificiels par rayons U.V., qui peuvent être dangereux si les lampes ne sont pas parfaitement réglées.
La pollution pose des problèmes particuliers, mais les données épidémiologiques montrent que son rôle est modeste. Cependant, quelques cas où l’on a pu analyser l’influence d’une pollution massive (comme en Europe de l’Est) montrent qu’elle peut avoir un effet décelable, notamment pour la pollution de l’air en conjonction avec le tabac. Pour agir de façon pertinente, il faudrait connaître la forme de la relation entre la dose et l’effet, de façon à pouvoir évaluer le risque des faibles concentrations de cancérogènes auxquelles est exposée la population à partir des risques de fortes concentrations. Malheureusement, cette relation n’est connue avec une certaine précision que pour le tabac, où elle est de type kD 2t 4 (où k est une constante, D la dose exprimée en nombre de cigarettes par jour et t le temps pendant lequel le sujet a fumé, exprimé en années). Si ce type de relation était valable pour les autres cancérogènes, une exposition courte à de faibles concentrations n’aurait que des conséquences minimes. Cependant, certains, pour estimer le risque, utilisent une relation linéaire, où l’effet est proportionnel à la dose, quelle que soit celle-ci. Avec une telle relation, de faibles concentrations comporteraient des risques notables, et c’est pourquoi certains environnementalistes américains demandent des mesures drastiques pour réduire les concentrations de polluants chimiques dans l’air et dans l’eau. Ces mesures coûteraient très cher, aussi la communauté scientifique est-elle très réticente, car elle craint que ces sommes considérables d’argent ne soient dépensées sans bénéfice réel pour la population alors que, utilisées dans d’autres domaines, elles pourraient rendre de grands services.
Le seul moyen de faire progresser les connaissances serait d’obtenir des données directes dans le domaine des faibles doses. Plusieurs approches sont possibles: des enquêtes portant sur un très grand nombre de sujets (cette méthode est très coûteuse mais constitue un ultime recours); des méta-analyses regroupant plusieurs enquêtes, dont chacune a fourni des différences non significatives en l’absence d’un nombre suffisant d’événements, mais dont l’étude combinée pourrait apporter des données significatives; l’utilisation de marqueurs biologiques sensibles, par exemple des modifications de l’ADN cellulaire (tels des adduits), dont on a établi qu’ils sont corrélés avec la probabilité d’apparition d’un cancer. Il est ainsi concevable d’identifier des états précancéreux, beaucoup plus fréquents que les cancers. L’importance pratique des problèmes posés par le tabagisme passif, l’exposition à de faibles doses de rayonnements ionisants ou de toxiques chimiques, le rôle de l’alimentation dans la genèse des cancers devaient donner à ces divers types de recherche une importance croissante.
Causes génétiques des cancers
Depuis plus d’un siècle, une question est posée: le cancer est-il héréditaire? Il y a un demi-siècle, les recherches effectuées chez la souris ont montré qu’on pouvait, en faisant se croiser entre eux pendant des dizaines de générations les descendants d’un même couple et en excluant à chaque génération les souriceaux dont les caractéristiques étaient différentes, obtenir des souris de race pure et que ces races pures se distinguaient les unes des autres par des variations considérables dans la fréquence des cancers. Plus récemment, on a constaté des caractères héréditaires indiscutables pour trois cancers assez rares de l’enfant (cancer de la rétine ou rétinoblastome, cancer du rein ou néphroblastome, cancer médullaire de la thyroïde). Cependant, ce n’est qu’au cours de ces cinq dernières années que l’on a identifié les défauts génétiques responsables. Le premier a avoir été reconnu est celui du rétinoblastome, qui est responsable des cancers de la rétine [cf. ONCOGENÈSE]; la prédisposition héréditaire est due à la perte sur l’un des deux chromosomes de la même paire du gène codant une protéine appelée Rb. De ce fait, il suffit que ce gène mute ou disparaisse sur le seul chromosome qui en est porteur, dans l’une des cent millions de cellules qui tapissent la rétine, pour que cette protéine disparaisse. Or elle est un « suppresseur » puissant de la prolifération cellulaire et sa disparition permet l’apparition de ce cancer à partir de cette cellule sans gène Rb fonctionnel.
Cependant, à côté de ces cancers héréditaires, on s’intéresse de plus en plus à des prédispositions génétiques qui augmentent faiblement mais significativement la probabilité d’apparition d’un cancer. En effet, certains cancers, par exemple celui du sein, sont plus fréquents dans certaines familles que dans d’autres. Cela ne signifie pas que toutes les femmes de cette famille auront un cancer du sein, mais simplement que chez elles la fréquence des cancers du sein sera légèrement plus élevée (de 10 à 15 p. 100) que dans les autres familles. De nombreuses équipes tentent d’élucider les mécanismes génétiques qui sont à l’origine de ces prédispositions, et les résultats déjà obtenus sont très encourageants. Leurs identifications permettront de reconnaître les sujets à risque et de les surveiller particulièrement attentivement.
De telles prédispositions génétiques existent vraisemblablement pour plusieurs cancers (sein, côlon, peau, thyroïde, etc.) mais cela n’exclut pas le rôle du mode de vie et de l’environnement. Il y a fréquemment association des deux et, comme très souvent en biologie, une combinaison entre l’inné et l’acquis. Prenons l’exemple simple des cancers de la peau: les personnes à peau très brune et a fortiori les personnes de couleur ont très peu de cancers de la peau, même si elles s’exposent intensément au soleil. Inversement, la susceptibilité est très grande chez les blonds, mais le risque est très faible pour eux s’ils prennent la précaution de peu s’exposer au soleil, alors qu’il est très élevé chez ceux qui ont pris des bains de soleil étant enfants, avec une peau très pâle; ce à cause de la mode stupide du naturisme et parce qu’une belle couleur bronzée flattait l’orgueil de la mère.
Facteurs de risques
Ces considérations aident à comprendre ce que l’on appelle les facteurs de risques. Ceux-ci permettent de définir les sujets chez qui la probabilité d’apparition d’un cancer est plus grande que dans l’ensemble de la population. Par exemple, le risque de cancer du poumon est vingt fois plus élevé chez un sujet fumant vingt cigarettes par jour que chez les non-fumeurs, le risque du cancer de l’œsophage ou de la bouche et du pharynx est cinquante fois plus élevé chez les hommes qui fument plus de vingt cigarettes par jour et boivent plus d’un litre de vin par jour que chez ceux qui ne fument pas et boivent moins d’un tiers de litre de vin par jour, etc.
La fréquence des cancers du sein varie notablement selon les régions et les habitudes. Elle est, par exemple, quatre fois plus grande en Europe du Nord qu’en Europe méditerranéenne. Les principaux facteurs de risques sont: l’âge à la première grossesse (plus celle-ci est tardive, plus le risque est élevé; il est, par exemple, double chez les femmes dont le premier enfant naît après trente ans qu’il ne l’est chez celles qui le mettent au monde avant vingt ans); l’obésité; l’âge aux premières règles (le risque est d’autant plus élevé que la puberté est précoce); l’âge à la ménopause (le risque est d’autant plus élevé que celle-ci est tardive ou a été retardée artificiellement); une nourriture riche en graisses d’origine animale (viande, produits laitiers non écrémés).
La fréquence du cancer du col de l’utérus varie, à âge égal, de plus de dix fois selon les régions du monde. Les facteurs de risques sont l’âge au premier rapport sexuel, le nombre de partenaires sexuels ou, ce qui a les mêmes conséquences, le nombre de partenaires féminins qu’a eus le partenaire masculin, notamment s’il a fréquenté des prostituées. Cette influence s’explique par le rôle que joue un virus, le virus Papilloma , à l’origine de ce cancer. À côté de ce virus, d’autres facteurs jouent un rôle important, en particulier les infections bactériennes gynécologiques (gonococcies, salpingites, etc.) qui irritent les muqueuses et stimulent la prolifération cellulaire. Cela explique le rôle favorisant du nombre d’avortements et de grossesses et aussi la raison pour laquelle ce cancer diminue de fréquence en fonction de l’élévation du niveau de vie et d’une amélioration de l’hygiène gynécologique. Cependant, la prévention de ce cancer est théoriquement facile grâce aux frottis cervico-vaginaux. Elle est en fait moins efficace qu’on n’aurait pu l’espérer, car les couches défavorisées de la population – qui sont celles où le risque est le plus grand – sont aussi celles qui se soumettent le moins régulièrement aux examens de dépistage systématique.
La clinique en cancérologie
Histoire naturelle des cancers
On distingue quatre phases au cours de la progression d’une tumeur:
– Les lésions précancéreuses existent pour pratiquement tous les cancers, mais ce n’est que pour les cancers du col de l’utérus et du côlon que l’on a tenté, par le dépistage systématique et le traitement des lésions précancéreuses, de réduire la fréquence des cancers.
– La tumeur cancéreuse localisée est née à partir d’une cellule cancéreuse et a grossi progressivement; elle peut s’infiltrer dans les tissus voisins, mais à cette phase elle n’a pas encore disséminé à distance.
– Les ganglions lymphatiques satellites sont envahis: les cellules tumorales ont acquis la propriété de migrer le long des vaisseaux lymphatiques et de donner naissance à des colonies dans les ganglions qui n’ont pas encore été disséminées par voie sanguine. Les études effectuées sur le cancer du sein montrent que la probabilité d’envahissement des ganglions axillaires croît avec la taille de la tumeur et qu’à mesure que celle-ci grossit il y a un, puis deux, puis trois, etc., ganglions envahis. Cependant, la taille au moment de l’envahissement du premier ganglion varie considérablement d’une tumeur à l’autre et dépend des caractéristiques biologiques de la tumeur. Dans certaines tumeurs du sein, les plus malignes, cette propagation lymphatique s’effectue alors que la tumeur est encore trop petite pour être palpable ou même visible sur les examens radiologiques. À l’autre extrême, des tumeurs énormes, de 5 à 6 centimètres de diamètre, sont encore localisées. À ce stade locorégional d’envahissement lymphatique, les tumeurs sont encore curables par chirurgie ou radiothérapie. Il n’en est plus de même au stade ultérieur de généralisation métastatique.
– La naissance d’une métastase implique que des cellules tumorales ont été capables de franchir les limites de la tumeur, d’atteindre un vaisseau sanguin, d’y pénétrer, puis de quitter celui-ci en franchissant en sens inverse la paroi sanguine, de se fixer dans les tissus étrangers et de s’y multiplier. C’est la dissémination métastatique. On voit que, par rapport à la propagation lymphatique, une étape supplémentaire a été franchie. Lors de l’envahissement ganglionnaire, les cellules tumorales sont restées confinées dans la circulation lymphatique. Pour donner naissance à une métastase, elles utilisent la circulation sanguine. Il faut remarquer que cette propriété d’entrer et de sortir des vaisseaux sanguins s’observe pour les différentes catégories de globules blancs du sang (lymphocytes, granulocytes, etc.). Les cellules tumorales ont acquis cette propriété tout en restant capables de se multiplier de façon autonome dans un tissu qui n’est pas le leur. De nombreuses recherches tentent de déterminer quels sont les gènes dont l’activation ouvre la voie à la dissémination.
Les études effectuées sur le cancer du sein montrent qu’il existe une corrélation très étroite entre la capacité d’envahissement des ganglions et celle de donner naissance à une métastase. Les tumeurs qui envahissent précocément les ganglions sont aussi celles qui donnent aussi précocément naissance à des métastases. Cependant, la taille des tumeurs lors de la naissance de la première métastase est en moyenne dix fois plus grande que celle qu’avait la tumeur lors de l’envahissement du premier ganglion. Comme pour l’envahissement ganglionnaire, il existe des variations considérables de la taille tumorale au moment de la dissémination métastatique mais une liaison très étroite existe entre le volume tumoral et la probabilité de dissémination.
Sur le plan pratique, la généralisation métastatique aggrave sérieusement le pronostic, car il est très difficile de guérir des métastases. Souvent, celles-ci ne deviennent détectables que longtemps après le traitement de la tumeur primitive. En effet, la vitesse de croissance des métastases, quoique plus rapide que celle de la tumeur primitive, est néanmoins relativement lente; le temps de doublement des métastases est en moyenne de deux mois, ce qui signifie que, entre le moment de l’essaimage initial d’une cellule et celui où la métastase devient cliniquement détectable, il s’écoule en moyenne cinq ans. Cela explique qu’un certain délai soit nécessaire avant que l’on puise affirmer la guérison. Ce délai est prolongé s’il y a eu récidive locale, car celle-ci peut donner naissance à des métastases.
Diagnostic
La connaissance de l’histoire naturelle des tumeurs explique l’intérêt d’un diagnostic précoce afin de réduire la probabilité de métastase. Plus la tumeur est petite, plus les chances de guérison définitive, après un traitement locorégional, sont grandes.
Un cancer peut se développer au niveau de n’importe quel tissu de l’organisme. Aussi les signes qui feront suspecter ou découvrir ce cancer varient-ils selon le tissu atteint et son environnement. Il n’y a aucun signe qui soit commun à tous les cancers, ou même à un grand nombre de cancers, et qui puisse donner l’alarme; il n’est, non plus, aucun examen sanguin qui permette de distinguer un sujet cancéreux d’un sujet non cancéreux. On ne peut donc pas donner un schéma unique de découverte valable des différents types de cancer.
Les signes d’alarme peuvent être la découverte de la tumeur, par exemple une tumeur mammaire. Ce peut être encore une ulcération et donc un saignement, notamment pour les cancers des voies digestives, du rein et des voies urinaires, de l’utérus: bref, toutes les tumeurs provoquant des hémorragies susceptibles de s’extérioriser. Des douleurs parfois attirent l’attention, mais une tumeur cancéreuse peut être indolore pendant toute son évolution; cela dépend de sa localisation, qui rend plus ou moins précoces les compressions des voies nerveuses sensitives. Des troubles du transit feront découvrir des tumeurs des voies digestives ou aériennes. Parfois, ce sont des signes généraux – pâleur, fatigue, perte d’appétit, amaigrissement – qui attirent l’attention. Aucun de ces signes n’est spécifique; beaucoup sont très banals et se rencontrent en dehors de toute tumeur. Au cours de ces dernières décennies, des progrès très importants ont été accomplis:
– Grâce à l’information au public: on a répété pendant les cinquante dernières années qu’il fallait se méfier de toute grosseur ou de tout nodule décelé en un point quelconque de l’organisme, de grains de beauté apparus dans des régions exposées au soleil, de pertes sanguines gynécologiques, de sang dans les selles ou les urines, de vomissements teintés de sang, d’un amaigrissement inexpliqué, d’une modification des habitudes intestinales (constipation ou diarrhée). Ces incitations commencent à porter leurs fruits. Par exemple, les femmes ont appris à se méfier des tumeurs mammaires et à consulter leur médecin à ce sujet. Deux chiffres montrent l’ampleur des progrès accomplis. En 1950, le diamètre moyen des tumeurs du sein diagnostiquées à l’Institut Gustave-Roussy à Villejuif était de 5,5 centimètres; il n’était plus que de 2,2 centimètres en 1987. On voit sur la figure que 70 p. 100 des malades ont déjà des métastases occultes ou décelables quand le diamètre est de 5,5 centimètres; ce pourcentage tombe à 25 p. 100 pour les tumeurs de 2,2 centimètres.
– Grâce à l’éducation des médecins: les connaissances médicales s’accroissent rapidement et, dans un domaine aussi mouvant que la cancérologie, il faut constamment tenir les médecins informés de l’évolution des techniques et des concepts.
– Grâce encore à l’amélioration des méthodes de diagnostic qui découle de quatre progrès décisifs accomplis à partir de 1960.
L’imagerie médicale a fait de gigantesques progrès grâce aux ordinateurs. À la radiologie classique, devenue plus performante, sont venus s’ajouter les ultrasons (échographie), le scanneur, la résonance magnétique, la scintigraphie avec isotopes radioactifs. On peut aujourd’hui détecter des tumeurs de quelques millimètres de diamètre partout dans l’organisme alors qu’il était généralement impossible de descendre au-dessous de 12 à 15 millimètres il y a vingt ans. Par exemple, grâce à la mammographie, on peut trouver des tumeurs du sein de 3 à 4 millimètres de diamètre, qui sont impossibles à déceler par la palpation la plus fine. Il en est de même pour les lésions du foie ou du cerveau.
L’endoscopie , c’est-à-dire la possibilité d’introduire un périscope souple qui permet d’aller voir la paroi interne du tube digestif, de la bouche à l’anus, des bronches, des voies urinaires, du péritoine, etc., et de faire, si besoin, des prélèvements au niveau des zones suspectes.
Les marqueurs biochimiques : un certain nombre de cancers libèrent dans la circulation sanguine des substances caractéristiques du type de tumeur auquel ils appartiennent. Ainsi, les tumeurs de la prostate sécrètent le PSA (prostate specific antigen ), certains cancers digestifs l’antigène carcino-embryonnaire, les tumeurs du foie l’alpha-fœto-protéine, les cancers différenciés de la thyroïde la thyroglobuline, les cancers médullaires de la thyroïde la thyrocalcitonine. Ces marqueurs ne sont jamais spécifiques d’un cancer, ils peuvent être aussi bien sécrétés par des tumeurs bénignes ou même, dans certaines circonstances, des tissus sains. Néanmoins, ils ont fait faire des progrès considérables. En premier lieu, parce que, lorsqu’on soupçonne l’existence d’un cancer sans connaître le tissu au niveau duquel celui-ci se développe, ils apportent un élément utile d’orientation. Ensuite, et surtout, parce que l’évolution du taux sanguin du marqueur permet de suivre l’évolution du cancer sous traitement; la disparition de ce marqueur confirme la rémission complète, cependant qu’une remontée ultérieure fait craindre un récidive. Les marqueurs permettent ainsi de piloter le traitement et incitent à rechercher une lésion résiduelle si, à la fin du traitement, leur taux reste anormalement élevé, puis à rechercher une récidive s’ils s’élèvent à nouveau.
Les ponctions biopsies : quand une lésion a été détectée par imagerie médicale ou examen clinique, il faut faire la preuve de sa nature maligne. Le diagnostic de cancer a de telles implications psychologiques et thérapeutiques qu’une certitude est indispensable. Celle-ci ne peut être obtenue que par l’examen histologique, c’est-à-dire l’étude au microscope d’un fragment de tumeur, ce qui permet d’étudier à la fois la morphologie des cellules et la façon dont elles sont disposées les unes par rapport aux autres, donc l’architecture du tissu. Une intervention chirurgicale était autrefois nécessaire pour effectuer le prélèvement d’un fragment de tumeur. On sait aujourd’hui le faire avec des aiguilles, de calibres divers, quelle que soit la région de l’organisme où se trouve la tumeur, en suivant le cheminement de l’aiguille sous contrôle d’imagerie jusqu’à la zone suspecte. Selon le cas, on effectue une véritable biopsie, ou bien on recueille juste quelques cellules que l’on examinera au microscope (examen cytologique), avant de vérifier ultérieurement le diagnostic, lors du traitement, par examen histologique.
Dépistage
Pour diagnostiquer les cancers aussi tôt que possible au cours de leur évolution, on peut préconiser des examens systématiques sur l’ensemble de la population, c’est-à-dire même chez les sujets qui ne présentent aucun trouble apparent. C’est ce qu’on appelle le dépistage, qui ne peut être légitimement mis en œuvre que si certaines conditions sont réunies. L’examen doit être efficace (puissance diagnostique élevée, risque d’erreur faible), dénué de tout effet nocif, bien accepté et non douloureux. Le cancer que l’on recherche doit être suffisamment fréquent, et le diagnostic que le dépistage permettra doit améliorer le pronostic de façon telle que le nombre de cancers détectés et de vies épargnées justifie à la fois la gêne apportée à la population par ces opérations de dépistage et leur coût global, qui est nécessairement élevé (environ 1 milliard de francs par an pour le dépistage du cancer du sein en France).
Le cancer du poumon est facilement diagnostiqué par une radiographie. Mais le diagnostic précoce n’améliorant pas le taux de guérison, son dépistage systématique est de peu d’intérêt.
Les dépistages systématiques du cancer du sein et du col de l’utérus sont en revanche utiles (fig. 3). Le comité des experts de la Communauté européenne a recommandé pour le cancer du sein une mammographie tous les deux ou trois ans entre cinquante et soixante-neuf ans et pour le col utérin un frottis cervico-vaginal tous les trois ans entre vingt-cinq et soixante-dix ans.
On peut espérer du dépistage une réduction de la mortalité de 30 p. 100 pour les cancers du sein apparus chez des sujets âgés de plus de cinquante ans (soit environ un gain de 3 000 vies par an) et de 50 p. 100 pour les cancers du col utérin (soit un gain d’environ 1 000 vies par an). Cependant, ces résultats ne seront obtenus que si l’ensemble de la population accepte de se soumettre aux examens de dépistage, si ceux-ci sont parfaitement exécutés et si les sujets dépistés sont bien suivis et soignés. L’expérience montre qu’il est très difficile de mettre en place une infrastructure capable de satisfaire à ces exigences, et de nombreuses tentatives de dépistage se sont soldées par des échecs. Si les examens ne sont pas effectués correctement ou s’ils sont mal interprétés, on risque de rassurer à tort des sujets porteurs de lésion, d’inquiéter inutilement des sujets sains. Dans ces cas, le dépistage peut devenir plus nuisible qu’utile.
Bilan préthérapeutique et pronostic
Le diagnostic du cancer ayant été posé, il faut en faire le bilan, c’est-à-dire préciser la position exacte de la tumeur, ses limites, rechercher l’envahissement des tissus voisins. Il faut examiner les aires ganglionnaires satellites à la recherche de ganglions suspects, les organes qui peuvent être le siège de métastases (notamment foie, poumon, os, etc.). On dosera le taux du ou des marqueurs afin d’avoir un point de référence pour les bilans ultérieurs, enfin on appréciera l’état général du malade. Outre les examens cliniques et radiologiques, on peut être amené à pratiquer des examens complexes parfois pénibles; le malade doit les accepter car il faut connaître de façon précise l’extension des lésions. Le malade s’inquiète parfois de ce bilan qui peut s’étaler sur une ou plusieurs semaines; il est en fait indispensable, car il permettra de choisir judicieusement le traitement qui peut, selon les résultats du bilan, varier considérablement.
En dehors des métastases suffisamment volumineuses pour être décelables, on sait qu’il peut en exister de petites non encore détectables mais dont l’existence éventuelle changerait le pronostic et justifierait un traitement général par chimiothérapie ou autre méthode. Il faut donc s’attacher à estimer ce risque. La taille de la tumeur et l’envahissement ganglionnaire sont des éléments importants mais non suffisants. Selon les cas, les caractéristiques histologiques (grade) ou biochimiques (présence de certains oncogènes) de la tumeur ainsi que celles du malade (âge, sexe, état général) ont une influence plus ou moins importante et peuvent aider au choix du traitement.
La thérapeutique en cancérologie
Le choix du traitement doit encore tenir compte des souhaits du malade et de son état psychologique. Certains malades n’acceptent pas les mutilations que comportent certaines interventions et préfèrent des solutions qui permettent de conserver l’organe ou la fonction. Par exemple, dans les cancers du larynx de taille importante deux attitudes sont possibles: soit une exérèse chirurgicale qui, en enlevant largement la tumeur et les tissus voisins, donne les plus grandes chances de guérison définitive mais qui, en supprimant le larynx, empêche ou gêne considérablement la parole, ce qui, dans certaines professions, a des conséquences extrêmement graves; soit une association chimiothérapie première et radiothérapie. Dans ce cas, la voix est conservée mais le risque de récidive locale est notablement plus élevé; cependant, celle-ci peut encore être guérie par une grande intervention chirurgicale pratiquée lors de la récidive. Au total, le pourcentage de survie à long terme est très voisin dans les deux cas, mais le traitement conservateur permet dans deux tiers des cas la conservation d’une voix normale. Le malade peut donc choisir – en fonction de sa profession, de son désir de conserver une phonation et de son acceptation des souffrances et des angoisses que causent une récidive – le schéma thérapeutique qui lui convient le mieux.
Les traitements conservateurs permis par les associations radiochirurgicales (par exemple, cancer du sein) ou chimiothérapie-radiothérapie (par exemple, cancer de l’anus) sont en plein développement et l’on peut espérer que, progressivement, ils permettront d’éviter les grandes mutilations et les séquelles causées par les traitements classiques. Quelle que soit la méthode thérapeutique utilisée, la guérison ne peut être obtenue que si la totalité des cellules tumorales capables de se multiplier indéfiniment a été tuée ou stérilisée. Or, dans une tumeur de 1 gramme, il y a 1 milliard de cellules et la taille moyenne des tumeurs lors du diagnostic est d’environ 100 grammes. Comme toutes les cellules tumorales ne sont pas capables de se multiplier, il suffit que le pourcentage des cellules cancéreuses survivantes soit inférieur à 1 sur 1 milliard pour stopper l’évolution de la tumeur. Quand le pourcentage de survie cellulaire est supérieur, il y a de grandes probabilités pour que la tumeur récidive. Or un reliquat tumoral d’une masse inférieure à 100 milligrammes est impossible à déceler cliniquement ou radiologiquement. La disparition complète de la tumeur est déjà un résultat appréciable puisqu’elle correspond à un taux de survie cellulaire inférieur à une cellule sur mille, mais elle ne permet pas, on le voit, d’affirmer la guérison définitive.
L’arsenal thérapeutique
Trois méthodes jouent un rôle prédominant dans le traitement des cancers: la chirurgie, la radiothérapie, la chimiothérapie.
La chirurgie . Dès le milieu du XVIIIe siècle, Helvetius puis son élève Le Dran montrent, grâce à l’étude du cancer du sein, que les tumeurs ont une évolution d’abord locale puis locorégionale avant de se généraliser. La conclusion qu’ils en tirent est qu’il faut ôter la tumeur chirurgicale le plus tôt possible. Mais, en fait, la chirurgie n’a pris son essor qu’après les découvertes de l’anesthésie puis de l’asepsie. Ce n’est donc qu’à partir de 1880 que se développe la chirurgie moderne des tumeurs. En effet, une tumeur, même si elle paraît petite, nécessite une exérèse assez large, car elle infiltre généralement les tissus sains environnants; aussi les résections localisées sont-elles fréquemment suivies de récidive. Par exemple, pour le cancer du sein dans le traitement préconisé par Halsted en 1889, l’amputation est associée à celle des muscles pectoraux et à un curage du creux axillaire; le pourcentage de guérisons est considérable mais la femme est mutilée, le bras a perdu sa force, elle n’ose plus prendre des bains de mer ou porter une robe décolletée. Ce n’est qu’à partir de 1970, grâce aux associations entre chirurgie et radiothérapie, que l’on a réduit l’étendue de l’acte chirurgical pour aboutir aux traitements conservateurs qui sont aujourd’hui le plus fréquemment utilisés: simple tumorectomie avec curage axillaire limité suivie de radiothérapie sur le sein et les ganglions. De même, une combinaison chimiothérapie-chirurgie pour les ostéosarcomes des membres évite dans une proportion élevée de cas l’amputation du membre, ce qui était autrefois la règle.
La chirurgie demeure aujourd’hui le premier traitement des cancers, et environ la moitié des guérisons lui sont dues. Elle a fait, au cours de ces dernières décennies, d’immenses progrès. La maîtrise des chirurgiens, la qualité de l’anesthésie et de la réanimation expliquent que, quel que soit le siège de la tumeur, la chirurgie est possible et son étendue n’est limitée que par la crainte des conséquences, esthétiques et fonctionnelles, des délabrements chirurgicaux, encore que, grâce à la chirurgie réparatrice, de véritables reconstructions sont devenues possibles, par exemple au niveau de la face et des seins.
La radiothérapie . Elle est née dans les années qui ont suivi la découverte des rayons X (1895) et de la radioactivité (1896). Les rayonnements ionisants tuent les cellules mais, hélas, à la fois les cellules normales et néo-plasiques. La crainte de complications au niveau des tissus sains constitue le facteur qui limite les doses et donc l’efficacité du traitement, puisque la proportion de cellules cancéreuses survivantes est d’autant plus faible que la dose est plus grande. La radiothérapie ne s’est donc vraiment développée qu’à partir de 1920, quand des études expérimentales et cliniques (Regaud) ont montré qu’en fractionnant l’irradiation en de nombreuses séances on réduisait davantage l’effet nuisible sur les tissus sains que l’effet bénéfique sur les cellules cancéreuses, en raison d’une réparation plus rapide des lésions dans les cellules et les tissus sains. Les recherches en radiobiologie continuent à représenter l’une des deux grandes voies de progrès en matière de thérapeutique par rayonnements ionisants.
L’autre source d’avancée en radiothérapie a été l’introduction de techniques permettant de délivrer des doses de rayonnement plus élevées sur la tumeur qu’aux tissus sains voisins: l’introduction de rayonnements de haute énergie qui sont plus pénétrants et permettent donc de traiter des tumeurs situées profondément dans l’organisme (appareils de télécobalthérapie, accélérateurs linéaires), la délimitation précise de la tumeur grâce aux méthodes modernes d’imagerie, le remplacement du radium par les isotopes radioactifs ont représenté des étapes décisives vers une irradiation plus sélective, donc plus efficace et moins dangereuse.
La radiothérapie est à l’origine de plus du tiers des guérisons des cancers. Elle est de plus en plus souvent associée soit à la chirurgie (celle-ci effectuant l’exérèse des grosses masses qui nécessiteraient des doses très élevées et donc dangereuses pour les tissus sains, par exemple le traitement conservateur du cancer du sein), soit à la chimiothérapie.
La chimiothérapie est née pendant la dernière guerre à la suite d’observations effectuées lors d’accidents survenus pendant la manipulation de gaz asphyxiants. Elle est fondée sur l’emploi de produits toxiques qui agissent surtout sur les cellules au moment de la division cellulaire. L’effet de la chimiothérapie est donc plus important sur les tissus à prolifération rapide, qu’il s’agisse de tumeur ou de tissus sains, par exemple la moelle osseuse. Comme dans le cas de la radiothérapie, les doses que l’on peut administrer sont limitées par la crainte de complications surtout sanguines dues à la baisse de l’activité de la moelle osseuse et donc du nombre de cellules dans le sang. De très nombreux types de substances ont été essayés et utilisés. Certaines d’entre elles se combinent avec diverses molécules spécifiques de la cellule, en particulier l’ADN, qu’elles rendent non fonctionnelles; d’autres entrent en compétition avec des métabolites naturels ayant une formule chimique très voisine, ralentissant ainsi les synthèses indispensables normalement opérées par la cellule; d’autres, enfin, empêchent la division cellulaire de s’effectuer normalement. L’origine de ces substances est très diverse: produits de synthèse, alcaloïdes végétaux, antibiotiques fabriqués par des micro-organismes, etc. Leur intérêt majeur est de pouvoir atteindre les cellules malignes en tout point de l’organisme. Pendant une vingtaine d’années, la chimiothérapie est restée peu efficace et a surtout été utilisée sur des malades lorsque les autres thérapeutiques avaient échoué. Puis, progressivement, on a appris à la manier grâce à des progrès effectués dans deux directions:
– Comme dans le cas de la radiothérapie, on a appris à mieux répartir l’effet dans le temps en effectuant des administrations discontinues des cytotoxiques de façon à donner à la moelle osseuse et aux autres tissus sains le temps de se régénérer. La connaissance des caractéristiques de la cinétique de prolifération des tissus sains et des divers types de tumeurs a grandement contribué à cette optimisation de la chronologie d’administration des cytotoxiques utilisés. On est ainsi parvenu à délivrer des doses beaucoup plus élevées, ce qui est essentiel puisque, comme pour la radiothérapie, la proportion des cellules cancéreuses survivantes est d’autant plus faible que la dose est plus élevée.
– On a augmenté l’efficacité grâce à la découverte de cytotoxiques plus actifs et surtout en apprenant à les associer. En effet, le problème majeur de la chimiothérapie est la résistance vis-à-vis du cytotoxique utilisé. Celle-ci peut être soit spontanée, soit acquise à la suite de quelques administrations du médicament utilisé. Pour contourner cette difficulté, on choisit les médicaments en fonction du type de tumeur et surtout on les associe pour que la chimiorésistance vis-à-vis de l’un des cytotoxiques utilisés n’ait pas de conséquences graves.
La mise en œuvre de cette stratégie, depuis le milieu des années 1960, a abouti à de grands succès. On a pu ainsi guérir des cancers disséminés sur lesquels les traitements locorégionaux, comme la chirurgie ou la radiothérapie, n’avaient aucune action. Le premier succès important a été remporté sur la leucémie, maladie inexorablement mortelle jusqu’au milieu des années 1960. Puis, au début des années 1970, la chimiothérapie commence à jouer un rôle de plus en plus important dans le traitement des cancers de l’enfant, des tumeurs embryonnaires (par exemple, le cancer du testicule), des cancers des tissus hématopoïétiques (lymphomes, maladie de Hodgkin), sans doute parce que, dans ces trois types de tumeurs, la prolifération est rapide.
On espérait alors que des succès analogues pourraient être obtenus sur les épithéliomas, les cancers les plus fréquents. Malheureusement, l’efficacité de la chimiothérapie est beaucoup plus limitée dans ces cas, et il est difficile d’obtenir des taux de survie des cellules cancéreuses inférieurs à 1 p. 1 000, ce qui est très insuffisant pour guérir les cancers mais peut néanmoins contribuer utilement au traitement. Ainsi, on utilise la chimiothérapie pour détruire les métastases à un moment où celles-ci sont encore très petites et pas encore détectables (métastases occultes). L’efficacité de cette chimiothérapie, dite adjuvante, a été démontrée dans des essais où l’on a comparé la fréquence des métastases chez des groupes de malades ayant ou non reçu une chimiothérapie après traitement de la tumeur primitive par chirurgie ou radiothérapie. Une autre utilisation d’importance grandissante consiste à utiliser les cytotoxiques pour réduire la taille des tumeurs avant radiothérapie ou chirurgie. Il est alors possible soit d’augmenter faiblement le taux de guérison locale (cancer du poumon, certains cancers des voies aérodigestives supérieures), soit de permettre des traitements moins mutilants, voire conservateurs, comme nous l’avons déjà vu.
La chimiothérapie est responsable d’environ 5 p. 100 des guérisons, mais en outre elle contribue, de façon difficile à quantifier, aux résultats thérapeutiques obtenus par les associations dans laquelle elle est incluse.
Hormonothérapie
Les cancers des glandes endocrines ou exocrines (sein, prostate, ovaire, thyroïde) ont souvent conservé la dépendance hormonale des tissus glandulaires dont ils dérivent. En effet, un sein ou une prostate se développent au moment de la puberté sous l’influence d’hormones qui contrôlent ensuite leur activité fonctionnelle; les cellules saines sont dotées de récepteurs vis-à-vis de ces hormones, et il en est souvent de même des cellules cancéreuses. Dans ces cas, la prolifération de ces dernières est régulée par des hormones. D’où l’idée, exploitée depuis 1941, d’utiliser ce mécanisme pour freiner ou arrêter la croissance tumorale. Par exemple, l’arrêt de la sécrétion des hormonales, grâce au freinage ou à la suppression de l’organe qui les synthétise (par exemple, l’ovaire qui sécrète les œstrogènes stimule par leur intermédiaire la croissance des cancers du sein), ou le blocage des récepteurs constituent des approches thérapeutiques qui ont fait de grands progrès depuis vingt ans et obtiennent aujourd’hui de grands succès.
Les modalités du traitement
Essais thérapeutiques
Cependant, les progrès que l’on peut encore escompter obtenir par ces traitements ou ces associations sont relativement limités, et il faut donc des critères très rigoureux pour les évaluer. Depuis trente ans, on avance lentement, chaque pas peut sembler petit mais leur addition a un effet considérable. Inversement, les inconvénients de ces nouvelles méthodes peuvent ne pas être négligeables: le traitement est plus long, il est souvent mal toléré. Par exemple, les agents cytotoxiques provoquent des complications immédiates (nausées, vomissements, perte de poids, chute des cheveux) et tardives (stérilité notamment, car les organes sexuels de reproduction, tels les testicules ou les ovaires, sont très vulnérables).
Après que l’on a tiré de l’expérimentation animale tout ce que l’on peut attendre pour savoir si un nouveau traitement est globalement utile, il n’est pas d’autre méthode pour estimer son intérêt que de l’essayer chez l’homme. Ces essais sont faciles à interpréter quans le bénéfice est évident, mais ce n’est généralement plus le cas. L’interprétation peut être très difficile quand le bénéfice est modeste. Or, pour un cancer comme le cancer du sein ou du côlon, une amélioration de 10 p. 100 du taux de guérison, qui peut sembler faible et est difficile à démontrer, représenterait un gain de plusieurs milliers de vies en France. Le seul moyen de démontrer la supériorité d’une nouvelle méthode est alors d’administrer à des groupes de malades aussi semblables que possible soit le traitement classique, soit le nouveau traitement dont on espère davantage, puis de comparer le devenir à long terme (de 5 à 10 ans) de ces deux groupes. C’est grâce à de tels essais conduits avec une méthodologie rigoureuse que l’on a pu mettre au point puis estimer les bénéfices des nouvelles méthodes de radiothérapie, de chimiothérapie et de leurs associations. On a ainsi substitué des données objectives et indiscutables aux impressions subjectives fondées sur l’observation de quelques malades. La mise en œuvre d’essais est donc un impératif moral vis-à-vis des malades de demain, il faut simplement veiller à ce que ces essais donnent toute garantie de respect des malades et ne leur faire courir aucun risque. C’est la fonction des structures médicales et des comités d’éthique dont le rôle est considérable; mais il ne faut jamais oublier que la plus grande faute contre l’éthique serait de ne pas faire d’essai, c’est-à-dire d’oublier les devoirs que l’on a envers ceux qui seront malades demain.
Indications thérapeutiques et résultats
Le choix d’un traitement dépend du type de tumeur et de son extension au niveau local et à distance par voie de métastases. Il nécessite une connaissance pratique des différentes possibilités d’action. Dans de nombreux cas, le traitement peut faire appel successivement ou même simultanément à différents types de thérapeutique. Par exemple, l’acte chirurgical pourra être précédé ou suivi de chimiothérapie, la radiothérapie précédée ou suivie de chimiothérapie, la chimiothérapie suivie de radiothérapie ou de chirurgie des métastases, ou d’immunothérapie. On s’oriente à l’heure actuelle de plus en plus vers ces schémas thérapeutiques complexes dans l’espoir d’augmenter le pourcentage de cas guérissables.
Les progrès réalisés ont, de fait, été considérables. Le nombre de malades cancéreux (cancers épithéliaux de la peau exclus, car il sont guéris dans plus de 98 p. 100 des cas) survivant sans récidive ni métastase cinq ans après le traitement est passé de 25 p. 100 en 1948 à 50 p. 100 en 1988. L’amélioration de la survie a résulté, d’une part, d’une meilleure information du public, qui a entraîné une consultation et donc un traitement plus précoce; d’autre part, des nombreux progrès du diagnostic et du traitement qui ont été pour l’essentiel la conséquence soit d’un progrès technique (nouveaux instruments, nouveaux médicaments), soit d’essais cliniques. L’immense bond en avant des connaissances fondamentales sur le cancer n’a encore eu que peu de retombées cliniques. Ces progrès sont très variables selon le type de cancer. Pendant ces vingt dernières années, les pourcentages de guérison de certaines tumeurs du testicule sont passées de 20 à 95 p. 100, de certaines tumeurs de l’ovaire de 10 à 50 p. 100, de certaines leucémies de l’enfant de 5 à plus de 75 p. 100; par contre, le pronostic d’autres tumeurs est resté pratiquement inchangé. Aussi, les résultats thérapeutiques varient avec les types de cancers. Les chances de guérison vont de 90 p. 100 pour les tumeurs placentaires, pour certaines formes de cancers du sein, à 10 p. 100 pour certains cancers de l’œsophage.
Les chances de guérison augmentent avec le temps écoulé « sans rechute », mais la signification du temps écoulé varie selon le type de cancer. Pour les cancers à vitesse de croissance rapide, les récidives surviennent dès les deux ou trois premières années, alors que, pour les tumeurs à croissance lente, elles peuvent s’observer pendant vingt ans. Les résultats thérapeutiques sont par ailleurs grandement influencés par la taille de la tumeur et par la précocité du diagnostic. Il suffit pour s’en convaincre de comparer les pourcentages de survie après cinq ans pour les cancers suivants, selon qu’ils sont l’objet de traitement sur une tumeur de petite dimension (1er chiffre) ou plus volumineuse (2e chiffre): pour le sein 85 p. 100 et 35 p. 100, le col de l’utérus 75 p. 100 et 10 p. 100, la bouche 80 p. 100 et 20 p. 100, et le rectum 50 p. 100 et 5 p. 100.
À moyen et à long terme, les perspectives de progrès sont riches de possibilités dans plusieurs domaines. Les greffes de moelle permettent, par exemple, d’augmenter considérablement les doses de chimiothérapie, puisqu’on n’est plus limité par la crainte d’aplasie des tissus hématopoïétiques. Dans certains cas, on prélève de la moelle au malade avant le début du traitement, puis on la lui réinjecte après la fin de celui-ci. Cette méthode ne peut être utilisée que lorsque la moelle n’est pas envahie par les cellules cancéreuses ou lorsqu’il est possible de détruire spécifiquement celles-ci avant réinjection. Quand cela n’est pas possible, on peut utiliser la moelle d’un sujet ayant le même groupe tissulaire, généralement un proche parent. Si les groupes tissulaires ne sont pas suffisamment semblables, le risque est soit un rejet de la moelle transplantée par le système immunologique du receveur, soit une réaction de la moelle transplantée contre le receveur; cette réaction de greffon contre l’hôte est à l’origine de complications très graves et parfois mortelles. Malgré ces difficultés, la greffe de moelle prend une part croissante dans la stratégie thérapeutique, surtout pour les leucémies et les lymphomes. Néanmoins, ces traitements toujours dangereux sont rarement pratiqués chez des sujets de plus de quarante ans.
L’immunothérapie consiste à stimuler les réactions de l’organisme contre les cellules malignes. Cette méthode ne peut être utilisée que lorsque l’organisme reconnaît les cellules malignes comme différentes de ses propres cellules normales, ce qui n’est le cas que dans quelques tumeurs, par exemple celles qui sont causées par des virus. L’expérimentation animale a fait naître à cet égard des espérances trompeuses, car les tumeurs transplantables sont très différentes des tumeurs spontanées, et sont reconnues comme étrangères par l’organisme. Quoi qu’il en soit, après une vogue initiale puis l’amertume des désillusions, on mesure mieux aujourd’hui les possibilités et les limites de l’immunothérapie. La preuve que l’immunothérapie pouvait jouer un rôle dans les tumeurs humaines a été apportées par S. A. Rosenberg quand il a obtenu des rémissions en réinjectant à un malade des lymphocytes qu’il avait prélevés sur ce patient puis cultivés in vitro en présence d’interleukine 2. L’interleukine 2 est un facteur de croissance des lymphocytes T, qui les fait se multiplier au cours des réactions immunologiques. Depuis, des résultats ont été obtenus en utilisant l’interleukine 2 seule, qui agit comme immunomodulateur puissant, mais qui provoque des effets toxiques. Les résultats encourageants ont surtout été obtenus chez des malades atteints de cancer du rein ou de mélanomes. On continue de chercher des produits moins toxiques et des procédures moins lourdes. Des inducteurs de sécrétions de lymphokines ont donné des résultats encourageants mais inconstants. En son état actuel, l’immunothérapie est cantonnée à des essais cliniques tout en constituant un des espoirs pour l’avenir.
La thérapie génique représente un autre domaine de recherche. Maintenant que l’on a identifié les défauts du génome qui caractérisent les cellules cancéreuses, il est tentant d’essayer de les corriger, de faire redevenir normales des cellules cancéreuses. Quelques résultats ont déjà été obtenus chez l’homme dans certaines leucémies, mais ils sont inconstants et temporaires. Dans l’avenir, en utilisant des procédés permettant d’introduire spécifiquement des gènes dans les cellules malades, notamment des virus capables de reconnaître les cellules malignes et de pénétrer en elles, on pourrait introduire dans ces cellules soit des gènes suppresseurs dont l’absence a contribué au processus de cancérogenèse, soit des fragments de molécules bloquant le fonctionnement des oncogènes ou neutralisant leurs produits.
Immunothérapie et thérapie génique peuvent être associées. Ainsi S. A. Rosenberg a utilisé des lymphocytes de malades capables de reonnaître les cellules tumorales et y a introduit in vitro par manipulation génétique des gènes induisant la sécrétion de substances toxiques pour les cellules, par exemple de l’interleukine 2 ou du TNF (tumor necrosing factor ).
Ainsi, à côté de la lente progression due à l’amélioration de techniques classiques que nous avons connues au cours de la seconde moitié du XXe siècle et qui devrait se prolonger, voit-on se profiler à l’horizon des avancées plus spectaculaires. Celles-ci, cependant, ne résulteront que d’efforts prolongés et communs des chercheurs et des cliniciens travaillant en étroite coordination afin d’accélérer toutes les étapes qui vont de la conception théorique d’un nouveau mécanisme de traitement jusqu’à l’essai clinique. L’expérience a montré que ce processus était long et s’étalait toujours sur une ou deux décennies, c’est pourquoi il faut pousser activement la recherche à tous les niveaux – de la prévention du cancer au dépistage, du diagnostic précoce aux nouvelles méthodes de traitement –, afin que, vers la fin du premier tiers du XXIe siècle, le cancer ait été relégué au rang des fléaux historiques, à côté de la peste et de la tuberculose.
2. Virus et cancers humains
L’intérêt des virus oncogènes, pour la recherche fondamentale, vient de ce que l’on peut suivre leur présence et leur activité moléculaire au niveau des cellules infectées, ainsi que la réponse de l’organisme à l’agression virale, grâce aux techniques d’immunovirologie. En conséquence, l’étude des cancers viro-associés conduit à l’espoir d’agir de façon de plus en plus efficace contre ces virus, par des vaccins ou d’autres drogues antivirales.
Caractéristiques des différents virus associés aux cancers humains
Cancers génitaux et virus papillomateux
Dans l’ordre de fréquence et d’importance pour la santé publique, les cancers génitaux associés aux virus papillomateux viennent en premier. En effet, on peut dénombrer plus de 500 000 nouveaux cas de cancer du col de l’utérus par an. À ceux-ci vient s’ajouter un nombre encore mal estimé de cancers de la vulve et du pénis et de cancers anaux, qui, eux aussi, sont vraisemblablement associés à des virus papillomateux. Parmi les nombreux virus papillomateux humains (HPV) aujourd’hui dénombrés (plus de 50 à ce jour), seuls les HPV 16 , 18 et 33 sont associés aux cancers génitaux. Les virus papillomateux ont un ADN de faible poids moléculaire (103 kD) et s’intègrent au sein du patrimoine génétique de la cellule transformée. Ces petits virus ne contiennent pas de séquences cellulaires de type « onc ». Leur activité oncogène serait liée à une intégration dans des sites privilégiés du patrimoine génétique des cellules cibles. Les recherches en biologie moléculaire avancent à grands pas et le mécanisme de transformation par les HPV sera sans doute déchiffré rapidement. Cette compréhension des événements moléculaires ouvrira de nouvelles voies de traitement et sans doute de prévention.
Outre ces virus papillomateux, d’autres cofacteurs apparaissent nécessaires pour le développement des cancers génitaux. Les facteurs environnementaux incluent le tabagisme par cigarette et peut-être le virus herpes genitalis (HSV-2). Zur Hausen, en 1982, a suggéré que le virus HSV-2 pouvait agir comme un initiateur dans le processus à étapes multiples du cancer du col de l’utérus. Comme dans les autres systèmes virus-cancers, des facteurs héréditaires pourraient conférer soit une sensibilité particulière, soit une résistance au niveau individuel vis-à-vis des cancérogènes viraux ou chimiques de l’environnement. Certaines habitudes d’hygiène d’origine culturelle peuvent avoir une influence sur le développement de ces cancers génitaux. Ainsi, la circoncision chez les garçons à la naissance ou à l’âge prépubertaire a un impact significatif sur la fréquence des cancers du col de l’utérus, en conduisant sans doute à la présence de virus papillomateux au niveau du pénis. En Chine, il existe des différences de taux de prévalence du cancer du col de l’utérus allant du simple dans les régions du Sud au triple dans les régions du Nord, en liaison probable avec les modalités de l’hygiène corporelle, rendue plus facile par le climat chaud et culturellement mieux établie au Sud qu’au Nord.
Cancer primitif du foie et virus HBV
Le cancer primitif du foie, associé au virus de l’hépatite B (HBV), est le deuxième cancer viro-associé, par son importance mondiale. En effet, le nombre minimal estimé de nouveaux cas de cancer primitif du foie est d’environ 260 000 par an pour le monde entier. Ce petit virus à ADN, dont le poids moléculaire est aussi de 103 kD, ne contient pas d’oncogène, c’est-à-dire de séquence d’origine cellulaire qui encoderait un polypeptide transformant. Il semble pouvoir induire une transformation néoplasique de la cellule hépatique par intégration de son génome à proximité de séquences cellulaires qui contrôleraient les activités de certains récepteurs ou de différenciation cellulaire.
Comme pour les cancers génitaux, des facteurs environnementaux et génétiques seraient vraisemblablement impliqués dans le développement de ce cancer primitif du foie. L’aflatoxine B1 , puissant hépatotoxique et carcinogène chimique chez l’animal, présent dans les arachides contaminées par l’Aspergillus flavus , paraît être étiologiquement impliquée, à la suite des études de Linsell et Peers, qui ont montré qu’il existait une relation quantitative entre la consommation d’aliments contaminés par l’aflatoxine B1 et le risque de développer un cancer primitif du foie. À ce jour, aucune évidence n’a été obtenue sur l’existence de facteurs génétiques entraînant une résistance ou une sensibilité accrue vis-à-vis soit du virus de l’hépatite B, soit de l’aflatoxine B1, mais il est probable que des facteurs génétiques interviennent, qui pourraient expliquer le développement d’un cancer au niveau individuel.
Cancers liés au virus d’Epstein-Barr
Le troisième système virus-cancer en importance épidémiologique et l’un des plus étudiés au niveau fondamental correspond à l’association entre un virus herpès ubiquitaire, le virus d’Epstein-Barr (EBV), et deux types de proliférations malignes: d’une part, le lymphome africain de Burkitt (BL) et, d’autre part, le cancer du rhinopharynx (NPC). Le virus EB, comme les deux précédents virus, ne contient pas de gène onc. De plus, il ne semble pas nécessaire au génome EBV de s’intégrer au génome cellulaire pour exprimer son activité mitogénique au niveau des lymphocytes B. Le mécanisme moléculaire de l’immortalisation des cellules B in vitro par le virus EB n’est pas encore totalement élucidé. Il semble néanmoins qu’il faille plusieurs étapes transcriptionnelles et translationnelles, impliquant plusieurs gènes viraux, pour que l’immortalisation des cellules B soit initiée puis maintenue. S’il existe deux ou peut-être trois gènes codant pour des polypeptides type EBNA (Epstein-Barr Nuclear Antigen), un troisième gène, codant pour un antigène de membrane (LYDMA) reconnaissable par le système immunitaire et représentant une cible privilégiée pour certaines cellules T cytotoxiques, paraît nécessaire.
Pour le lymphome de Burkitt , trois étapes semblent nécessaires, chacune d’entre elles ayant des causes indépendantes. Nos enquêtes en Ouganda ont montré que la première étape serait liée à une infection précoce et massive chez l’enfant africain, qui laisse des marqueurs de risque pour le lymphome de Burkitt sous forme d’anticorps IgG anti-VCA à titres très élevés. Le premier événement qui initie le processus serait lié à une lymphoprolifération polyclonale B, laquelle est normalement contrôlée par une immunité cellulaire spécifique. La deuxième étape semble correspondre à une déficience de cette immunité cellulaire spécifique causée par un paludisme holo- ou hyperendémique, comme l’ont montré Moss et ses collaborateurs. Cette deuxième phase a pour conséquence de laisser se poursuivre l’expansion polyclonale des lymphocytes B infectés par le virus EB. La troisième et dernière étape paraît être liée à une activation de l’oncogène cellulaire c-myc, causée par une translocation impliquant les chromosomes 8 et 14 dans la plupart des cas et, dans 20 p. 100 des cas, les chromosomes 8 et 22 ou 8 et 2.
Le rôle du virus d’Epstein-Barr (EBV) dans le développement du cancer du rhinopharynx (NPC) reste encore une énigme. En effet, le virus EB est lymphotrope et le cancer du rhinopharynx est un carcinome indifférencié de la muqueuse respiratoire ciliée qui entretient des relations privilégiées avec un tapis lymphoplasmocytaire sous-jacent. Qu’il y ait une association étroite liant géographiquement la survenue de cancer NPC à l’EBV (quelle qu’y soit la prévalence du NPC) et une présence régulière de marqueurs moléculaires viraux au sein des cellules carcinomateuses indifférenciées plaide en faveur d’un rôle étiologique de ce virus dans le développement de ce cancer. À l’opposé du lymphome de Burkitt, l’activité transformante du virus pourrait prendre place dans les cellules épithéliales et intervenir à un stade tardif du processus à étapes multiples aboutissant au développement de ce cancer. En effet, les enquêtes séro-épidémiologiques prospectives menées par le Pr Zeng Yi, en collaboration avec notre laboratoire, ont montré qu’un développement tumoral est précédé par une activation de la latence EBV mesurable par des taux croissants d’anticorps de la classe IgA dirigés contre les antigènes de structure (VCA) et les antigènes précoces (EA) du virus EB. Quelles sont les causes de cette activation virale qui précipite l’événement clinique tumoral? Des enquêtes épidémiologiques et anthropologiques ont caractérisé comme facteur de risque un mode de vie traditionnel et un niveau socio-économique bas. Des facteurs alimentaires ont été soupçonnés par A. Hubert, et des nitrosamines volatiles ont été mises en évidence par Poirier et ses collaborateurs dans les spécimens alimentaires consommés le plus fréquemment par les groupes ethniques à risque. Au niveau de l’alimentation chinoise, ces études confirment celles qui ont été faites précédemment par Yu et ses collaborateurs. Les nitrosamines présentes dans l’alimentation de ces groupes ethniques agissent-elles comme activateur de la latence EBV? Pour l’instant, nous ne le savons pas encore. Par ailleurs, des études récentes montrent la présence de substances activantes de l’EBV dans des extraits de certains aliments consommés quotidiennement par ces populations.
Quelle prévention possible?
Indépendamment de la poursuite des efforts en matière de:
– développement de vaccins antiviraux dans le but d’une prévention primaire;
– détection précoce grâce à des marqueurs viraux des cancers in situ ou, mieux, des lésions précancéreuses;
– interventions thérapeutiques antivirales;
l’intervention préventive contre certains cofacteurs est absolument indispensable.
Les cancers viro-associés résultant de l’aboutissement d’un processus à étapes multiples, on peut se demander si une intervention contre un cofacteur autre que les virus pourrait aider à prévenir certains cancers. Le premier exemple est celui du cancer primitif du foie , où deux facteurs au moins sont impliqués, d’une part le virus de l’hépatite B, pour lequel un vaccin existe mais n’est pas distribué pour des raisons de coût, et, d’autre part, un facteur alimentaire constitué par des aliments contaminés par l’Aspergillus flavius contenant de l’aflatoxine B1, hépatotoxique et carcinogène puissant. Quelques essais ont été effectués par des organismes internationaux (F.A.O., C.I.R.C., O.M.S.) pour essayer de modifier les conditions de stockage des arachides ; mais, à notre connaissance, aucune évaluation sur l’incidence du cancer primitif du foie n’a été faite à ce jour. Pourtant, des études récentes au Swaziland (Peers et coll., communication personnelle) ont montré que la consommation d’aflatoxine émerge comme un des facteurs déterminants des variations géographiques de prévalence du cancer primitif du foie.
Pour le cancer du rhinopharynx, certaines habitudes alimentaires paraissent jouer un rôle déterminant car elles pourraient être associées à une exposition à des nitrosamines volatiles. Sera-t-il possible de modifier certaines coutumes alimentaires ou plutôt de suggérer des modifications peut-être minimes dans la préparation de certains aliments pour voir disparaître ce cofacteur important?
Au niveau des cancers génitaux et du sida, les habitudes d’hygiène sexuelle peuvent favoriser ou au contraire prévenir la transmission des virus HPV, herpès, HIV, etc. L’utilisation de préservatifs pourrait avoir un rôle essentiel dans la prévention du sida et des cancers génitaux. Mais, là encore, les habitudes culturelles peuvent être un frein puissant à leur emploi. L’intervention de carcinogènes chimiques liés à certaines infections génitales bactériennes ou fongiques fait penser qu’une hygiène sexuelle simple pourrait avoir un effet significatif sur la prévention des cancers génitaux.
Pour conclure cette analyse, il faut souligner que la médecine du XXIe siècle devra être en même temps prédictive et curative. La notion de médecine prédictive énoncée par J. Dausset et J. Ruffié est fondée sur la caractérisation des facteurs génétiques associés à un risque accru vis-à-vis de certaines maladies, ainsi que sur l’existence présumée de gènes de résistance ou de sensibilité à des agents environnementaux, biologiques ou chimiques, responsables du développement de maladies dégénératives telles que les maladies de surcharges, cardio-vasculaires ou cancéreuses. La médecine prédictive devra avoir un double souci d’efficacité au niveau collectif , avec diminution du coût relatif de la santé, et au niveau individuel , dans la mesure où la connaissance pour chaque individu de son profil de risque particulier pourrait l’amener à modifier certains de ses comportements et, par là même, à éliminer ou à retarder significativement certains risques de maladies mortelles.
3. L’immunité anticancéreuse
Le rôle du système immunitaire est d’assurer l’intégrité du soi, donc de reconnaître et de rejeter tout matériel (virus, bactéries, cellules) étranger à l’organisme. Il a été postulé que les cellules tumorales qui se développent après transformation de cellules normales par différents agents (virus, carcinogènes chimiques, etc.) pouvaient développer des structures nouvelles, être reconnues par le système immunitaire, et donc être rejetées par celui-ci. En fait, les observations cliniques suggérant une réaction immune antitumorale sont disparates et conduisent presque toujours à des raisonnements par analogie plutôt qu’à de véritables démonstrations. Cependant, à côté des exceptionnelles guérisons spontanées de cancers, il est possible de regrouper un faisceau d’arguments:
– l’incidence accrue de cancers, en particulier du système lymphoïde, chez les malades ayant une déficience congénitale ou acquise du système immunitaire; le cas de malades atteints de sida est, de ce point de vue, hautement informatif: plus de 30 p. 100 d’entre eux développent un lymphome (tumeur du système lymphoïde) ou une tumeur de Kaposi (cancer de la peau); on sait que ce n’est pas le virus de l’immunodéficience humaine (VIH), causal du sida, qui est directement responsable de ces cancers; ils sont, en fait, la conséquence indirecte des altérations du système immunitaire par le VIH;
– l’incidence accrue de cancers en fonction de l’âge, marquant le déclin concomitant du système immunitaire;
– l’apparition de cancers après des traitements immunosuppresseurs, comme la radiothérapie et certaines chimiothérapies;
– des pauses dans le développement et même des régressions tumorales, décrites en particulier chez l’adénocarcinome du rein, le mélanome, les hématosarcomes, le choriocarcinome et le lymphome de Burkitt;
– enfin, la haute fréquence de cancers dans certaines familles, qui peut être suggestive de l’expression de gènes de réponse immune comme il en a été décrit pour les tumeurs mammaires chez les souris exposées au virus responsable de ces tumeurs. Le fait que des individus qui possèdent certains gènes du complexe majeur d’histocompatibilité, HLA, aient une prédisposition à des maladies comme le diabète insulinodépendant, l’hémochromatose ou la spondylarthrite ankylosante a ouvert un champ d’investigations nouveau pour l’étude des cancers. À ce jour, cependant, alors que les preuves que des altérations génétiques congénitales favorisent le développement de certains cancers affluent, elles n’impliquent qu’exceptionnellement le système immunitaire.
Parallèlement à ces observations cliniques suggérant que le système immunitaire joue un rôle dans la défense anticancéreuse, se sont développés des travaux expérimentaux pour établir et comprendre ce rôle. Deux types d’expériences sont à la base de ces études: les transplantations de tumeurs chez des souris profondément immunodéprimées et les « vaccinations » de souris immunocompétentes vis-à-vis des greffes tumorales. Ainsi, une souche de souris mutantes dépourvues de thymus, appelées nude (« nue » en anglais) en raison de leur absence de poil, ne possède aucun lymphocyte T. Du fait de leur grave déficit immunitaire, elles acceptent toutes les greffes de cellules – tumorales ou non – et même celles de cellules cancéreuses humaines. Ces expériences démontrent que les lymphocytes T, absents chez les souris nude, sont nécessaires au rejet des greffes de tumeur. Mais le taux de cancers apparaissant spontanément n’est pas plus élevé chez ces souris que chez les souris normales.
La première démonstration directe de la capacité du système immunitaire à reconnaître et à éliminer des cellules tumorales fut apportée en 1953 par le groupe de N. K. Foley, aux États-Unis. Ces chercheurs ont immunisé des souris en leur injectant des cellules tumorales en quantité trop faible pour permettre la prise d’une tumeur. Les souris ainsi immunisées se sont révélées résistantes à la greffe ultérieure de la tumeur immunisante, alors qu’elles restaient vulnérables à la greffe d’autres tumeurs. Cette expérience, dans le droit-fil des découvertes pastoriennes sur les défenses antibactéries, établit le caractère spécifique de la défense antitumorale, au moins dans ce modèle. Elle suggère fortement l’existence d’antigènes associés aux tumeurs. Ceux-ci peuvent être reconnus par le système immunitaire, au même titre que les antigènes d’un organisme étranger.
L’existence de relations entre système immunitaire et cancers a abouti à la formulation, dans les années soixante, de la théorie de la surveillance immunitaire. Cette théorie postule que, lorsqu’une cellule normale est transformée en cellule maligne, elle exprime à sa surface des antigènes nouveaux. Ainsi, identifiée comme étrangère par le système immunitaire, elle peut être détruite. De nombreuses cellules variantes, précancéreuses ou cancéreuses, seraient donc éliminées au fur et à mesure de leur formation, un cancer ne se développant que lorsqu’il y a conjonction entre la transformation maligne et un certain état d’immunodéficience. L’intérêt de cette théorie – qui n’a jamais reçu de démonstration expérimentale – réside dans son corollaire, l’existence d’antigènes spécifiques de cancers, qui permet en effet d’envisager l’utilisation du système immunitaire dans la lutte anticancéreuse.
Les antigènes des cancers
On appelle antigène toute substance capable de déclencher une réaction immunitaire dirigée contre elle. La quête d’antigènes spécifiques de tumeurs, c’est-à-dire de molécules présentes uniquement sur les cellules cancéreuses et absentes des cellules normales, a été longue et souvent décevante. Cette vision restrictive est donc aujourd’hui presque totalement abandonnée au profit de la notion plus large d’antigènes associés aux tumeurs. De tels antigènes ont été identifiés. Ils sont d’origines et de natures diverses. Différents types de modifications antigéniques peuvent être trouvés simultanément dans les cellules cancéreuses:
– les antigènes normalement présents dans un tissu sain peuvent être diminués en quantité ou absents dans les tissus cancéreux. C’est le cas, notamment, des molécules d’histocompatibilité HLA. Ces molécules jouent un rôle essentiel dans le déclenchement des réactions immunitaires, car ce sont elles qui « présentent » les antigènes aux lymphocytes T. Ces derniers effectuent la discrimination entre soi et non-soi, première étape du déclenchement d’une réaction immune, par la reconnaissance conjointe de l’antigène et des molécules HLA. Le système immunitaire est donc « aveugle » devant des cellules cancéreuses qui n’expriment pas de molécules HLA;
– des antigènes présents dans l’organisme sain peuvent être anormalement exprimés sur les cellules cancéreuses. Ainsi, des antigènes embryonnaires, normalement absents des tissus sains adultes, sont-ils réexprimés dans certaines cellules cancéreuses. C’est le cas, en particulier, de l’antigène carcinoembryonnaire (ACE) habituellement présent sur les cellules du côlon fœtal et sur les tumeurs du côlon chez l’adulte. L’ACE circule aussi dans le sérum des malades ayant un cancer digestif, et une élévation de son taux révèle souvent une récidive de la maladie. Aujourd’hui, son dosage est utilisé en routine pour suivre les malades atteints de cancers digestifs. L’alpha-fœtoprotéine est une autre molécule présente pendant la vie fœtale et augmentée dans les maladies du foie chez l’adulte. Elle n’est pas pathognomonique du cancer du foie. Elle est, en fait, produite par les cellules hépatiques dans toutes les situations de prolifération intense comme les cancers, mais aussi au cours de la régénération du foie après un traumatisme ou après une hépatite virale;
– d’autres antigènes normalement localisés dans certains organes ou tissus sains adultes peuvent apparaître dans des cellules cancéreuses d’un autre organe. Par exemple, des antigènes TL (Thymus leukæmia ), normalement présents dans le thymus de certaines souches de souris, ont été trouvés sur les cellules leucémiques d’autres souches de souris;
– des antigènes de cellules cancéreuses peuvent être directement liés à l’agent provoquant la tumeur. Dans le cas de virus cancérigènes, ces antigènes peuvent être synthétisés sous la dépendance directe du virus, ou encore fabriqués par la cellule cancéreuse, sous l’effet des modifications induites par le virus dans le métabolisme cellulaire. C’est le cas du lymphome de Burkitt, une des rares tumeurs humaines, avec certaines leucémies, pour laquelle on puisse démontrer une étiologie virale. Il s’agit d’ailleurs d’un cas extrêmement intéressant où un même virus, de type herpès, le virus d’Epstein-Barr (EB) peut être responsable, selon les cas, de maladies très différentes: en Europe et aux États-Unis, le virus EB est responsable d’une maladie bénigne, la mononucléose infectieuse; en Afrique, en zone d’endémie paludéenne, c’est l’agent causal du lymphome de Burkitt; en Chine, les sujets infectés développent un cancer de la gorge, le cancer du nasopharynx. Des réactions immunitaires dirigées soit contre des protéines virales, soit contre des antigènes des cellules infectées ont été mises en évidence chez de nombreux malades. L’effet de ces réactions immunes sur l’évolution de la tumeur n’est pas connu, bien qu’une corrélation ait été trouvée entre la présence de certains anticorps et le pronostic de la maladie;
– enfin, les antigènes des tumeurs peuvent être des produits d’oncogènes. On sait aujourd’hui que la transformation cancéreuse d’une cellule implique un dysfonctionnement d’un ou plusieurs gènes impliqués dans les processus de prolifération cellulaire. Ces gènes, dont le fonctionnement anormal est responsable de la cancérisation cellulaire, sont appelés « oncogènes ». Ils peuvent être multiples et différents. La prolifération de cellules normales est sous le contrôle de nombreuses molécules. Des facteurs de croissance, produits dans des conditions particulières, doivent se lier à des récepteurs spécifiques pour activer une chaîne de réactions intracellulaires aboutissant à la synthèse d’ADN et à la prolifération. Si une cellule produit en permanence son propre facteur de croissance (phénomène d’autocrinie) ou si le récepteur fonctionne en l’absence de facteur, ou encore si la machinerie intracellulaire est activée en permanence, il se produit une prolifération anarchique aboutissant souvent à un cancer. Les oncogènes responsables de ces dysfonctionnements codent pour les oncoprotéines qui sont quelquefois légèrement différentes des protéines équivalentes des cellules normales et peuvent alors être antigéniques et reconnues par le système immunitaire. La disposition d’anticorps reconnaissant un produit d’oncogène présent uniquement dans des cellules cancéreuses fournirait, en principe, un outil thérapeutique d’une grande spécificité. C’est pourquoi il s’agit d’un champ actif de recherches.
La machinerie immunitaire et le cancer
Afin de développer une réponse efficace vis-à-vis de substances étrangères, l’organisme dispose d’une machinerie immunitaire développée et complexe. Les cellules de base du système immunitaire sont les lymphocytes. Nés dans la moelle osseuse après maturation de la lignée lymphoblastoïde, ils colonisent les organes lymphoïdes périphériques (sang, rate, ganglions lymphatiques, plaques de Peyer de l’intestin, amygdales, etc.), soit après passage dans le thymus, où ils subissent une différenciation particulière, soit directement. Les lymphocytes qui ont subi l’influence thymique sont appelés lymphocytes T (thymodépendants). Ces lymphocytes T sont à la fois les cellules régulatrices de la machinerie immunitaire et les cellules effectrices cytotoxiques des réactions immunes spécifiques, c’est-à-dire qu’elles détruisent les cellules qui expriment un antigène contre lequel elles ont été sensibilisées.
Les lymphocytes T sont responsables du rejet des greffes d’organes et de l’élimination des cellules infectées par un virus. En fait, un lymphocyte T cytotoxique ne peut détruire une cellule modifiée soit par un virus, soit par une substitution chimique (comme dans une transformation maligne) que si la cible et le lymphocyte expriment en commun (en tout ou partie) les mêmes antigènes d’histocompatibilité. Pour détruire leur cible, les lymphocytes T s’y attachent à l’aide de récepteurs spécifiques qui reconnaissent le complexe antigène sensibilisant-antigène d’histocompatibilité. Le phénomène général de restriction allogénique doit être considéré très sérieusement dans les tentatives d’immunothérapie par cellules tumorales allogéniques, car il implique qu’un animal (ou un individu) pourra développer des cellules T cytotoxiques vis-à-vis d’antigène(s) associé(s) à sa propre tumeur et pas vis-à-vis de la tumeur d’un autre animal (ou individu), même d’origine semblable.
En plus de leur fonction effectrice directe, les lymphocytes T ont un rôle régulateur des fonctions immunitaires. Ils peuvent augmenter (lymphocytes T amplificateurs, ou helpers ) ou supprimer (lymphocytes T suppresseurs) les différentes réactions immunitaires. Cette activité régulatrice se fait par l’intermédiaire de messagers protéiques appelés cytokines ou interleukines. Ces interleukines sont produites au cours des réactions immunitaires. Elles ont la propriété d’amplifier ou d’inhiber ces réactions, mais ont aussi des effets multiples sur d’autres systèmes d’homéostase, comme le système nerveux central ou le système endocrinien. Certaines cytokines, comme les interférons ou l’interleukine 2 (IL-2), sont déjà utilisées pour le traitement de cancers.
D’autres lymphocytes ne migrent pas à travers le thymus et peuplent directement les organes lymphoïdes périphériques. Il s’agit principalement des lymphocytes B (pour bone marrow-derived : « dérivés de la moelle des os », des lymphocytes K (killer ) et NK (natural killer ).
Les lymphocytes B, facilement reconnaissables au fait qu’ils expriment à leur surface des molécules d’immunoglobulines (molécules d’anticorps), ont pour fonction de produire des anticorps qu’on retrouve dans le sérum. Par fusion de lymphocytes B et de cellules cancéreuses de myélome, on obtient des hybridomes qui ont acquis de la cellule cancéreuse la propriété de proliférer indéfiniment, et du lymphocyte B celle de synthétiser des anticorps. Chaque hybridome produit en permanence un seul type d’anticorps. Ceux de ces anticorps monoclonaux qui reconnaissent des antigènes associés aux tumeurs sont aujourd’hui des outils essentiels au diagnostic et au suivi des cancers et seront peut-être demain des outils thérapeutiques.
Les lymphocytes K ont la capacité de détruire des cellules sur lesquelles se sont fixés des anticorps spécifiques de classe IgG, par l’intermédiaire d’un récepteur pour les IgG. À l’inverse des lymphocytes T, les cellules K n’ont pas de récepteur spécifique pour un antigène, mais il suffit qu’elles rencontrent une cellule tumorale sur laquelle seraient fixées quelques molécules d’anticorps pour la détruire.
Les cellules NK ont la capacité de détruire spontanément les cellules tumorales et pas les cellules normales. Elles n’ont pas de spécificité pour un antigène, mais elles savent reconnaître une structure particulière sur les cellules tumorales. Peut-être s’agit-il donc d’un mécanisme de défense primitif contre les cellules tumorales. Une indication préliminaire a d’ailleurs déjà été apportée sur le rôle des cellules NK dans la défense antitumorale; il existe des souches de souris qui possèdent génétiquement la possibilité de développer un grand nombre de cellules NK, et d’autres qui en développent peu. Ces dernières sont beaucoup moins résistantes à la greffe de cellules tumorales que les premières. Le fait que l’activité tueuse des cellules NK soit considérablement augmentée par des cytokines comme les interférons, et surtout comme l’IL-2, suggère qu’elles pourraient être en partie responsables des effets thérapeutiques de ces cytokines.
La régulation des réponses immunitaires
La régulation des réactions immunitaires est, pour une grande part, assurée par les cytokines. Dès la première étape de présentation de l’antigène, des molécules comme l’interféron 塚 (IFN 塚) ou l’IL-1 augmentent l’efficacité de la présentation et provoquent la production d’autres cytokines par les lymphocytes.
La production d’anticorps fait intervenir six cytokines: outre l’IFN 塚 et l’IL-1, l’IL-2 et l’IL-4 font proliférer les lymphocytes B, l’IL-5 donne un signal de maturation, et l’IL-6, enfin, permet leur différenciation finale en cellules productrices d’anticorps.
La production des lymphocytes T cytotoxiques s’effectue selon le même procédé. L’IL-1 provoque l’expression de récepteurs de l’IL-2 ainsi que la production d’IL-2, qui agit comme facteur de croissance sur les précurseurs des lymphocytes T cytotoxiques. Ces derniers ne répondent au signal de croissance de l’IL-2 que s’ils ont déjà rencontré l’antigène associé aux molécules HLA. L’interaction des lymphocytes T avec l’antigène provoque la production de récepteurs liant fortement l’IL-2; en présence de ce facteur, les cellules T prolifèrent alors et se différencient en cellules cytotoxiques.
Les autres réactions immunitaires, plus primitives car elles ne nécessitent pas de reconnaissance de l’antigène, s’enchaînent suivant le même modèle, l’IL-2 étant le principal facteur de croissance de tous les types de cellules tueuses.
Effets pléiotropiques des cytokines
Certaines cytokines exercent des activités régulatrices permettant à des cellules de communiquer entre elles pour aboutir au développement des réactions immunitaires: c’est le cas des facteurs de croissance du système immunitaire, comme l’IL-1, l’IL-2, l’IL-4, ou encore l’IFN 塚. D’autres cytokines exercent une activité effectrice détruisant elles-mêmes des cellules tumorales ou des cellules étrangères, comme les lymphotoxines appelées aussi tumor necrosis factors (agents tueurs de tumeur), car elles sont capables de détruire in vivo des cellules tumorales. C’est également le cas de l’IFN 塚, qui, outre ses activités immunorégulatrices, possède, comme les autres interférons, une activité antivirale en protégeant les cellules de la multiplication des virus. D’autres cytokines, enfin, ont une activité de différenciation cellulaire: associée à d’autres facteurs, l’IL-3 permet, à partir d’une cellule souche de la moelle osseuse, d’obtenir les cellules des trois lignées hématologiques (lymphoïde, granulocytaire et érythrocytaire).
Ainsi, à partir d’un contact avec l’antigène et d’une première étape d’amplification de la réponse immunitaire survient toute une série de facteurs doués d’activités multiples qui permettent au système immunitaire d’interagir à l’intérieur de lui-même, mais aussi avec d’autres systèmes à l’intérieur de l’organisme. Grâce à leur activité pléiotropique, les cytokines jouent un rôle capital dans ces interactions: une cytokine donnée n’a pas une cible cellulaire unique, toute cellule exprimant un récepteur d’affinité suffisante pour la cytokine peut répondre au stimulus qu’elle apporte. Pour certaines cytokines, le champ d’activité est extrêmement important. Ainsi l’IL-1 agit-il non seulement sur les lymphocytes T auxiliaires et les lymphocytes B, mais aussi sur d’autres cellules qui n’ont rien à voir avec le système immunitaire: cellules musculaires, nerveuses, endothéliales, hépatiques... Un exemple des effets non immunologiques de l’IL-1 est donné par son action sur la fièvre qui se développe au cours des infections bactériennes ou virales. On a longtemps cherché quel était le facteur pyrogène suscitant l’élévation de la température. On sait aujourd’hui que la fièvre n’est pas due à la bactérie ou au virus directement, mais à la réaction immunitaire. L’IL-1, molécule centrale du déclenchement de la réponse immunitaire, augmente la température du corps, associant la défense thermique à l’immunité spécifique du micro-organisme. Elle produit encore d’autres effets car elle agit sur les cellules du système nerveux central (elle fait dormir), sur les cellules de l’endothélium vasculaire, sur les cellules graisseuses, sur les cellules de la peau (elle peut être utile en cas de brûlure ou de blessure) et sur les muscles; c’est enfin le facteur central des réactions inflammatoires.
L’IL-6 est une autre cytokine aux activités multiples. Elle agit sur les lymphocytes B, dont elle induit la différenciation finale en cellules productrices d’anticorps; elle exerce un effet positif sur la croissance de certaines tumeurs sécrétrices d’anticorps et active également les lymphocytes T. En dehors du système immunitaire, elle agit sur le foie, où elle provoque la production de protéines de phase aiguë, et sur l’hypothalamus, en induisant de la fièvre; dans les os, elle est responsable des phénomènes de résorption osseuse; dans les articulations (où elle est produite par les cellules synoviales), elle active la dégradation du cartilage. Sa production peut être le fait de nombreux types cellulaires, parmi lesquels les lymphocytes T, les macrophages, les fibroblastes, les cellules endothéliales, les cellules synoviales et les ostéoblastes.
Une molécule produite par une simple réaction immunitaire peut donc agir dans tout l’organisme. Ainsi, en sachant que des effets similaires à ceux de l’IL-1 et de l’IL-6 sont dus à d’autres interleukines et à l’IFN 塚, on peut imaginer l’amplification générale, l’interaction régulatrice et effectrice déclenchées par l’activation du système immunitaire. Cette notion est à prendre en compte pour les tentatives d’immunothérapie utilisant les cytokines.
cancer [ kɑ̃sɛr ] n. m.
• 1372; mot. lat. « crabe » → chancre
♢ Astrol. Quatrième signe du zodiaque (22 juin-22 juillet). — Ellipt Elle est Cancer, née sous le signe du Cancer.
2 ♦ (1478) Tumeur ayant tendance à s'accroître, à détruire les tissus voisins et à donner d'autres tumeurs à distance de son lieu d'origine (métastases). ⇒ néoplasme, tumeur (maligne). Avoir un cancer. « Les cancers, maladies du code qui commande à la genèse et à la multiplication cellulaire » (J. Hamburger). Cancer du sein, du poumon, du foie. Détection précoce, traitement d'un cancer (⇒ chimiothérapie, radiothérapie) . Cancer généralisé. — Par ext. Prolifération anormale, anarchique, de cellules, sans qu'elle prenne l'aspect d'une tumeur. La leucémie est un cancer du sang.
♢ Vx Tumeur qui ronge les chairs. ⇒ carcinome, épithélioma, sarcome.
3 ♦ Fig. Ce qui ronge, détruit; ce qui prolifère de manière anormale et dangereuse. « Le cancer de la jeunesse, c'est ce doute sur soi-même » (B. et F. Groult).
● cancer nom masculin (latin cancer, crabe) Nom générique du crabe tourteau. ● cancer nom masculin (de cancer) Ensemble de cellules indifférenciées qui, échappant au contrôle de l'organisme, se multiplient indéfiniment, envahissent les tissus voisins en les détruisant, et se répandent dans l'organisme en métastases ; la maladie qui en résulte. Mal insidieux capable de gangrener un groupe : Le cancer de la drogue. ● cancer (expressions) nom masculin (de cancer) Cancer bronchiolo-alvéolaire, cancer pulmonaire particulier, tapissant la face interne des alvéoles sans en détruire l'architecture. Cancer broncho-pulmonaire, cancer développé aux dépens des tissus des bronches et des poumons.
cancer
n. m.
d1./d MED Tumeur maligne caractérisée par la prolifération anarchique des cellules d'un organe, d'un tissu.
d2./d Fig. Danger insidieux, mal qui ronge.
d3./d ASTRO Le Cancer: constellation zodiacale de l'hémisphère boréal. Tropique du Cancer: tropique boréal. ASTROL Signe du zodiaque (22 juin-22 juillet). - Ellipt. Il est cancer.
Encycl. La cancérisation peut atteindre tout organe. Les plus souvent atteints sont: chez la femme, le sein, l'intestin, l'estomac, l'utérus; chez l'homme, le poumon, la trachée, l'estomac, la prostate, l'oesophage; chez l'enfant, le sang et la moelle osseuse. Les recherches, notam. épidémiologiques, ont permis de savoir qu'il n'y a pas une cause unique des cancers, mais qu'entrent en jeu divers facteurs: terrain immunitaire, prédispositions génétiques, processus viral, environnement, etc. Le cancer peut s'étendre localement, régionalement, et à distance, par dissémination sanguine ou lymphatique (métastase). Le traitement est d'autant plus efficace qu'il est précoce. Il dépend de la localisation, du type histologique, du stade d'évolution. Plusieurs thérapeutiques sont utilisées: chirurgie, radiothérapie, chimiothérapie, immunothérapie. De nombreux cancers traités à temps sont auj. guéris.
I.
⇒CANCER1, subst. masc.
A.— ASTRON. Quatrième constellation du Zodiaque située dans la partie la plus septentrionale de l'écliptique :
• Quand il [l'homme] lève les yeux vers les astres, là-haut,
Le cancer resplendit, le scorpion flamboie,
Et dans l'immensité le chien sinistre aboie.
HUGO, Les Contemplations, t. 3, 1856, p. 462.
B.— GÉOGR. Tropique du Cancer. Tropique boréal. Le tropique du Cancer le partage [golfe du Mexique] en méridional et en septentrional (BAUDRY DES LOZIÈRES, Voyage à la Louisiane, 1802, p. 158).
Rem. En zool., synon. de cancre1 « crabe ».
Prononc. et Orth. :[]. Pour la prononc. de r final cf. aster. Ds Ac. 1718-1878.
II.
⇒CANCER2, subst. masc.
PATHOL. Tumeur maligne due à une multiplication anarchique des cellules d'un tissu organique. Le cancer du sein si fréquent chez les Israélites est à peu près inconnu chez les Japonais (Hist. de la sc., 1957, p. 1394) :
• 1. Elle a dix-huit ans; il y en a cinq qu'elle est tourmentée par un horrible cancer qui lui ronge la tête.
J. DE MAISTRE, Les Soirées de Saint-Pétersbourg, t. 1, 1821, p. 251.
— P. métaph. ou au fig. [En parlant d'une situation, des systèmes de valeurs, de l'usage d'un pouvoir, d'une influence devenus excessifs, etc.] Détérioration lente. Cependant le cancer de l'esclavage gagnait de proche en proche (MICHELET, Introd. à l'Histoire universelle, 1831, p. 417). Souvent le cancer du plaisir ronge les lieux et les êtres auxquels il s'attache ... (MAURIAC, Journal 1, 1934, p. 10) :
• 2. La littérature moderne, en beaucoup de cas, est un cancer des mots.
SARTRE, Situations II, 1948, p. 304.
Prononc. et Orth. :[]. Cf. aster. Ds Ac. 1694-1932. Étymol. et Hist. 1. 1372 signe du cancer « signe du zodiaque » (CORBICHON, Nativitez des hommes, à la suite des Propriét. des choses, éd. 1522 ds R. Hist. litt. Fr. t. 6, p. 290); 2. 1478 « tumeur maligne » (La Grande Chirurgie de Guy de Chauliac [éd. 1478] ds Fr. mod. 1965, p. 203); 1503 (Le Guidon en francoys, 219a, éd. 1534 ds Rom. Forsch. t. 32, p. 24); av. 1755 fig. (ST-SIM., 411, 147 ds LITTRÉ : Le luxe est une plaie qui est devenue le cancer intérieur qui ronge tous les particuliers). Empr. au lat. cancer « écrevisse, crabe » (< gr. , Epicharme, [IVe-Ve s. av. J.-C.], 53 ds LIDDEL-SCOTT), PLINE, Nat. 9, 43 ds TLL s.v., 228, 41; désigne ensuite un signe du zodiaque (CIC. Arat., fragm. 23, 2, ibid., 229, 30; cf. en gr. Eudoxe ds HIPPARCH., I, 2, 18 ds LIDDEL-SCOTT) et la maladie (CELS. 6, 18, 4 ds TLL s.v., 231, 10); cf. en gr. HIPPOCRATE, Aph. 6, 38 ds LIDDEL-SCOTT) au sens fig. (en parlant de l'amour) (PÉTRONE, 42 ds TLL s.v., 231, 55).
STAT. — Cancer1 et 2. Fréq. abs. littér. :262. Fréq. rel. littér. :XIXe s. : a) 209, b) 230; XXe s. : a) 346, b) 604.
DÉR. 1. Cancérigène, adj. Capable de provoquer l'apparition d'un cancer. Agent, facteur cancérigène. — [], [-]. Lar. encyclop. : cancérigène ou cancérogène; QUILLET 1965 : cancérogène. ROB. Suppl. 1970 : cancérigène. QUILLET Suppl. 1971 : cancérogène, ,,ne pas dire cancérigène``. — 1re attest. 1920-24 agent cancérigène [ROUSSY (F. Widal, P.-J. Teissier, G.-H. Roger, Nouv. traité de méd., fasc. 5, p. 32)]; de cancer2 étymol. 2, suff. -gène. 2. Cancérose, subst. fém. ,,Tout cancer disséminé`` (Méd. Biol. t. 1 1970). Au fig. [Le ministre] : ... qui vous dit que ma méchanceté n'a pas quelque rapport souterrain avec ma tendance à la cancérose? (L. DAUDET, Cœur brûlé, 1929, p. 70). — [] — 1re attest. 1929 id.; de cancer2 étymol. 2, suff. -ose.
BBG. — BAMBECK (M.). Lexicalisches und Etymologisches. Z. rom. Philol. 1961, t. 77, pp. 321-335 [Cr LECOY (F.). Romania. 1963, t. 84, p. 282]. — DUCH. 1967, § 12.1. — GOHIN 1903, p. 363. — LE BRETON GRANDMAISON. Langage de l'astrologie. Vie Lang. 1972, p. 278. — Liste des termes et expr. à substituer à des mots étr. ou barbares. Déf. Lang. fr. 1970, n° 53, p. 34 s.v. cancérigène. — MARTY (O.). Du Bon usage de la lang. fr. Déf. Lang. fr. 1970, n° 51, pp. 27-30 s.v. cancérigène. — ROG. 1965, p. 109. — SIGURS 1963/64, p. 37, 54, 387.
cancer [kɑ̃sɛʀ] n. m.
ÉTYM. 1372, « signe du Zodiaque »; lat. cancer, cancri « crabe, écrevisse ». → 1. Cancre, chancre.
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1 Vx. Crabe; crustacé à pinces.
2 Astron. Constellation zodiacale de l'hémisphère boréal figurant un crabe. || Tropique du Cancer : tropique Nord.
♦ Astrol. Quatrième signe du zodiaque, correspondant à la période du 22 juin au 22 juillet. — Ellipt. || Elle est cancer : elle est née sous le signe du cancer.
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II (1478; le sens a évolué de « maladie rongeante » [→ Chancre] à « tumeur », puis s'est spécialisé [fin XIXe] au sens de « néoplasme »).
1 Cour. Tumeur ayant tendance à s'accroître, à détruire les tissus voisins et à donner d'autres tumeurs à distance de son lieu d'origine (métastases). ⇒ Tumeur (maligne); et aussi carcinome, épithéliome, néoplasme, sarcome, squirrhe. || Cancer du sein; de l'estomac.
1 (…) un cancer du sein, qui la faisait beaucoup souffrir, ne lui permettant plus d'écrire elle-même.
Rousseau, les Confessions, II.
♦ Méd. et cour. (l'idée de tumeur n'étant plus essentielle). État pathologique (et non pas : maladie) caractérisé par des lésions (cellulaires ou tissulaires) résultant d'une prolifération non contrôlée par l'organisme. || Vie cachée, développement d'un cancer. || Prendre, déceler un cancer à son premier stade, à temps. || Dissémination à distance d'un cancer. ⇒ Métastase. || Symptomatologie, diagnostic du cancer, par examen histologique, biopsie. || Pronostic et choix thérapeutique en matière de cancer (système T. N. M. : étude des tumeurs, état des nodules, existence de métastases). || Facteurs pouvant favoriser les cancers (⇒ Cancérogène); facteurs chimiques, physiques, viraux, génétiques du cancer. || Traitements, thérapeutiques du cancer : chirurgie (exérèse), traitement par radiations (radiothérapie, bombe au cobalt. ⇒ Bêtathérapie, curiethérapie), chimiothérapie, immunothérapie. — Cancer de la gorge, de la langue, de l'estomac, du foie, de la prostate… || Cancer du sang. ⇒ Leucémie. || Cancer généralisé. — Avoir un cancer. || Il s'est arrêté de fumer par peur du cancer. || Être soigné pour un cancer. — Le cancer de qqn, son cancer. || Son cancer est guéri.
➪ tableau Principales maladies et affections.
♦ Par comparaison :
2 (…) ce désir était comme un cancer qui la minait.
Flaubert, Bouvard et Pécuchet, p. 274.
2 (Av. 1755). Fig. Ce qui ronge, détruit.
3 Le luxe est une plaie qui est devenue le cancer intérieur qui ronge tous les particuliers.
3.1 Le cancer de la jeunesse, c'est ce doute sur soi-même. On passe probablement sa vie à s'espérer capable d'autre chose que ce qu'on fait. Mais finalement, au jour de sa mort, on est désespérément réduit à ses actes.
Benoîte et Flora Groult, Journal à quatre mains, p. 127.
♦ Ce qui prolifère de manière anormale et dangereuse.
4 Comment guérir la concupiscence ? Elle n'est jamais limitée à quelques actes : c'est un cancer généralisé; l'infection est partout.
F. Mauriac, Souffrances et Bonheur du chrétien, p. 92.
♦ Spécialt. Extension d'une influence, d'un pouvoir jugés néfastes. || « Le rapporteur conclut en proposant qu'un groupe de travail recense les manifestations du “cancer” administratif et détermine les entraves qu'il conviendrait d'éliminer en priorité » (le Monde, 5 janv. 1968).
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DÉR. Cancéreux, cancérisation, cancériser. — V. aussi cancéri-, cancéro-, carcino-.
Encyclopédie Universelle. 2012.