embrasser [ ɑ̃brase ] v. tr. <conjug. : 1>
1 ♦ Prendre et serrer entre ses bras (⇒ accoler, enlacer, étreindre), spécialt pour marquer son amour ou son affection et en accompagnant ce geste de baisers. Il l'embrassa tendrement, avec effusion (cf. Faire la bise). « Elle l'avait serré des deux bras, l'embrassant, l'étouffant » (Martin du Gard). — Je vous embrasse affectueusement, de tout mon cœur..., formules finales d'une lettre adressée à une personne qui vous est chère. — Poét. « Je me jetterai à ses pieds, j'embrasserai ses genoux » (Fénelon), je l'implorerai (dans l'attitude du suppliant antique).
♢ PROV. Qui trop embrasse mal étreint : qui veut trop entreprendre risque de ne rien réussir.
2 ♦ Par ext. Donner un baiser, des baisers à (qqn). ⇒ 1. baiser. « vous embrassant à pleine bouche, avec ses grosses lèvres » (Loti ). Embrasser qqn sur les deux joues. Embrasser qqn comme du bon pain. Pronom. Ils s'embrassaient sur la bouche. ⇒ se bécoter.
3 ♦ Fig. Littér. Adopter (une opinion, un parti). ⇒ choisir, épouser. Embrasser la carrière de... « Avez-vous aussi l'intention d'embrasser l'islamisme ? » (Loti). Embrasser l'intérêt, le parti, la défense de qqn, s'y attacher avec ardeur, le faire sien, le défendre.
4 ♦ Par anal. Saisir par la vue dans toute son étendue. Embrasser la scène du regard. « De là, il embrassait d'un coup d'œil tout le pays » (Zola).
♢ Fig. Appréhender par la pensée. ⇒ comprendre, concevoir. « Si la pensée embrasse l'infinie simultanéité des faits » (Loti). « Les affaires d'un État sont d'une étendue que l'esprit d'un homme n'embrasse point » (France).
♢ Contenir, englober. ⇒ comprendre. « Une histoire devrait embrasser toute la période obscure [...] » (Renan).
● embrasser verbe transitif (de bras) Donner des baisers à quelqu'un : Un père qui embrasse ses enfants. Littéraire. Prendre, tenir entre ses bras quelqu'un ou quelque chose ; étreindre : Il embrassait le réverbère pour éviter de tomber. Littéraire. Adopter un métier, un parti, une opinion, s'y engager : Il avait embrassé la carrière militaire. Saisir par la vue quelque chose dans son ensemble : Embrasser du regard une chaîne de montagnes. Littéraire. Concevoir quelque chose, le saisir par la pensée : Un esprit qui embrasse les données complexes d'un problème. Littéraire. Englober, contenir quelque chose dans sa totalité : Ce roman embrasse un demi-siècle d'histoire. ● embrasser (citations) verbe transitif (de bras) Eugène Labiche Paris 1815-Paris 1888 Académie française, 1880 Embrassons-nous, Folleville. Titre d'un vaudeville (1850) Jean Racine La Ferté-Milon 1639-Paris 1699 Je ne l'ai point encore embrassé d'aujourd'hui. Andromaque, I, 4, Andromaque Jean Racine La Ferté-Milon 1639-Paris 1699 J'embrasse mon rival, mais c'est pour l'étouffer. Britannicus, IV, 3, Néron ● embrasser (homonymes) verbe transitif (de bras) ● embrasser (synonymes) verbe transitif (de bras) Donner des baisers à quelqu'un
Synonymes :
- enlacer
- étreindre
Littéraire. Adopter un métier, un parti, une opinion, s'y engager
Synonymes :
- adhérer à
- adopter
- épouser
- suivre
Littéraire. Concevoir quelque chose, le saisir par la pensée
Synonymes :
- connaître
- pénétrer
Littéraire. Englober, contenir quelque chose dans sa totalité
Synonymes :
- couvrir
- englober
- occuper
embrasser
v. tr.
d1./d Serrer, étreindre entre ses bras.
|| Prov. Qui trop embrasse mal étreint: qui entreprend trop de choses à la fois s'expose à n'en réussir aucune.
d2./d Par ext. Donner un baiser, des baisers à. Embrasser un enfant.
|| v. Pron. (récipr.) Ils s'embrassèrent tendrement.
d3./d Fig. Saisir par la vue (une vaste étendue). Un point de vue élevé d'où l'on embrasse toute la vallée.
|| Saisir par l'intelligence (des choses nombreuses et variées). Vouloir embrasser tous les problèmes à la fois.
d4./d Fig. Contenir, englober. Cette science embrasse bien des matières.
d5./d Fig. Choisir, prendre (un parti), adopter (une idée, une carrière). Embrasser la cause des déshérités. Embrasser une carrière.
⇒EMBRASSER, verbe trans.
I.— Prendre entre ses bras en serrant contre soi.
A.— [Le suj. désigne une pers.]
1. [Le compl. d'obj. désigne une chose] Embrasser qqc. (vieilli). Embrasser un tronc d'arbre, tenir qqc. embrassé. Je me dépouille de mon habit, j'embrasse l'orme et je commence à monter (CHATEAUBR., Mém., t. 1, 1848, p. 81) :
• 1. Elle marchait derrière les faucheurs en tordant un lien de javelle. Tous les sept pas (...) elle se baissait, elle embrassait sur la terre les épis renversés, elle les serrait contre elle, elle les attachait d'un lien, elle rejetait sur la terre une gerbe...
GIONO, Que ma joie demeure, 1935, p. 449.
— P. ext.
♦ [Avec un seul bras] Un de mes bras nus, presque horizontal, embrassait le dossier (ARNOUX, Roi, 1956, p. 257).
♦ [Avec les mains, les cuisses ou les jambes] D'admirables mains de soldat, (...) des mains qui avaient embrassé la poignée du sabre (BALZAC, Béatrix, 1839-45, p. 20). Gassien, dont les cuisses embrassaient une sorte de créneau (ARNOUX, Suite var., 1925, p. 165).
2. [Le compl. d'obj. désigne une pers.] Embrasser qqn. Tenir qqn embrassé. Il aurait voulu l'embrasser des deux bras et la battre (POURRAT, Gaspard, 1931, p. 186).
— Loc. Embrasser les pieds, les genoux de qqn. Se prosterner à ses pieds, serrer ses genoux en l'implorant, (formule de supplication). Ma part dans ta vengeance! Oh! Fais-moi cette grâce! Et s'il faut embrasser tes pieds, je les embrasse! (HUGO, Hernani, 1830, III, 8, p. 91). Les habitans embrassèrent les genoux du Vercingétorix, et le supplièrent de ne pas ruiner la plus belle ville des Gaules (MICHELET, Hist. romaine, t. 2, 1831, p. 248).
— Emploi pronom. réciproque. Je les jetai dehors [les deux hommes] si brusquement qu'ils s'embrassèrent avec violence deux fois de suite (MAUPASS., Mt-Oriol, 1887, p. 86).
— Spéc. Étreindre (quelqu'un) avec ses bras pour exprimer son amitié, son affection, sa tendresse, son amour... Il s'avança précipitamment vers lui, et l'embrassa avec toutes les démonstrations d'une vive amitié (GENLIS, Chev. Cygne, t. 2, 1795, p. 180). En parlant ainsi, il [Musdoemon] étreignait en ennemi celui qu'il venait d'embrasser en frère (HUGO, Han d'Isl., 1823, p. 554) :
• 2. ... nous étions dans les bras l'un de l'autre. Marguerite cachait sa figure sur mon épaule; elle était à moi. Quel bonheur de pouvoir embrasser ainsi celle qu'on aime, devant tout le monde, devant ses parents, devant ses amis! ... Ah! qu'on est fier de la tenir, et quelle force il faudrait pour vous l'ôter!
ERCKMANN-CHATRIAN, Histoire d'un paysan, t. 1, 1870, p. 494.
♦ P. méton. Ces bras qui embrassent si tendrement (E. DE GUÉRIN, Lettres, 1840, p. 384).
♦ Emploi pronom. réciproque. Nous nous embrassâmes à tour de bras et nous baisâmes à pleines lèvres (VERLAINE, Œuvres complètes, t. 5, Confess., 1895, p. 155).
Rem. 1. Cette étreinte s'accompagne souvent d'un baiser (cf. citation de Verlaine), d'où l'emploi extensif (infra), rendu d'autant plus nécessaire que le verbe baiser évoluait vulgairement. 2. Il n'est pas toujours aisé, lorsque le cont. n'apporte pas la précision, de discerner si l'étreinte s'accompagne ou non d'un baiser.
♦ P. ext. Donner un ou plusieurs baisers (à quelqu'un) généralement en le prenant et le serrant dans ses bras. Embrasser sa mère, sa femme, ses enfants. Kobus, entourant Iôsef de ses deux bras, se mit à l'embrasser les larmes aux yeux (ERCKM.-CHATR., Ami Fritz, 1864, p. 204). Il avait un furieux désir d'elle, et il aurait bien voulu l'embrasser à la bouche et la baiser (JOUVE, Scène capit., 1935, p. 22) :
• 3. ... sans parler, elle l'étreignait de nouveau et l'embrassait jusqu'à l'étouffement. — L'enfant redoutait fort ces rudes et silencieuses caresses.
REIDER, Mlle Vallantin, 1862, p. 43.
SYNT. Embrasser ses parents, un ami; embrasser les joues de qqn, embrasser qqn sur les (deux) joues; embrasser qqn au front, sur le front; embrasser les yeux, les cheveux, le cou de qqn; embrasser qqn sur la bouche/sur les lèvres, embrasser qqn à pleine bouche/à pleines lèvres; embrasser qqn avec amour, ardeur; embrasser qqn très fort, de toutes ses forces, de tout son cœur; embrasser qqn en cachette; embrasser qqn longuement, tendrement, passionnément; ne pas oser embrasser qqn, avoir envie d'embrasser qqn, permettre à qqn de nous embrasser, se laisser embrasser par qqn; charger qqn d'embrasser qqn; embrassons-nous.
♦ [Formules épistolaires] Votre fille qui vous embrasse; je t'embrasse cordialement, tendrement; je t'embrasse en cœur et en esprit; je t'embrasse comme je t'aime; en attendant, je t'embrasse mille fois sur tes lèvres adorées; je n'ai plus que la place de vous embrasser. Je vous embrasse et vous serre contre un cœur qui vous est dévoué (BALZAC, Corresp., 1838, p. 367).
— En partic. Embrasser la main de qqn.
♦ [D'une femme] Lui faire le baisemain . Synon. baiser sa main :
• 4. ... son fils ayant embrassé la main dudit [Jacques Blanche], comme elle lui avait dit : « On n'embrasse que la main d'une femme », son enfant lui avait répondu : « Mais maman, il a l'air d'une vieille demoiselle. »
GONCOURT, Journal, 1892, p. 237.
Rem. LITTRÉ, condamnant l'emploi de embrasser dans le sens « donner un/des baisers », note, à propos de l'expr. embrasser la main (d'une femme) : ,,On lit parfois dans les auteurs contemporains : il lui embrasse la main. C'est mal parler; il faut dire : il lui baise la main. Embrasser c'est non appliquer la bouche, mais serrer dans les bras``.
♦ [D'un homme d'Église, en signe de respect] :
• 5. Sa piété c'est une drôle de piété! C'est de s'enfermer, se mettre sous clef, le jour, chez elle; et puis d'aller embrasser les mains des abbés, ces sales mains-là!
GONCOURT, Journal, 1868, p. 449.
— Rare. [Le compl. d'obj. désigne une chose] Elle se baissait pour embrasser la pierre du turban ou pour coller son oreille à la tombe (LAMART., Destinées poésie, 1834, p. 393). Mais j'aurais aussi bien embrassé un bouquet, ou une pêche mûre. Il y a des parfums qu'on ne respire bien qu'avec la bouche (COLETTE, Cl. Paris, 1901, p. 116).
♦ En partic., dans le domaine relig. Notre Havre-de-Grâce, Garde-nous, etc... (...) Médaille que j'embrasse; Garde-moi (NOUVEAU, Valentines, 1886, p. 243). Paulina embrassait la relique de saint Vincent (JOUVE, Paulina, 1925, p. 225). Il s'est reprosterné à genoux, il embrassait son crucifix... Il faisait des mille signes de croix... (CÉLINE, Mort à crédit, 1936, p. 668).
— P. métaph. Mon talon glissa sur une écorce de pastèque, et j'embrassais certainement le sol (...) si la jeune femme n'eût avancé le bras pour me soutenir (FRANCE, Le Crime de Sylvestre Bonnard, Paris, Calmann-Lévy, 1900, p. 49).
— Emploi pronom. réciproque. Se donner, échanger un/des baisers. Époux qui s'embrassent tendrement, couple qui s'embrasse éperdument. Sur l'écran, deux amoureux s'embrassaient à pleine bouche (DABIT, Hôtel, 1929, p. 111).
B.— P. anal. [Le suj. désigne une chose, le compl. d'obj. désigne une chose ou une pers.] Embrasser qqc. ou qqn. L'enserrer, l'entourer. Terre au sein verdoyant, mère antique des choses, Toi qu'embrasse océan de ses flots amoureux (LECONTE DE LISLE, Poèmes ant., 1852, p. 37).
— Emploi pronom. réciproque. Dix châtaigniers s'étaient embrassés sans doute au courant des siècles pour n'en former qu'un (FABRE, Xavière, 1890, p. 101).
— P. ext., TYPOGR. Le texte embrassé par une accolade doit toujours en être plus ou moins détaché (E. LECLERC, Nouv. manuel typogr., 1932, p. 172).
II.— Au fig.
A.— [Le suj. désigne une pers. ou un attribut de la pers., le compl. d'obj. désigne une chose abstr.]
1. Vx, rare. Prendre à cœur quelque chose, le prendre à son compte, s'en charger. Sa conscience [de Bénédict] embrassait cette tâche [l'éducation de Valentin] avec ardeur (SAND, Valentine, 1832, p. 242) :
• 6. Ayant emporté la réforme malgré son père et sa famille, la jeune abbesse en voulut embrasser d'abord les entières conséquences. Afin de rester plus libre dans l'obligation unique et de ne devoir rien à César, elle commença par se retrancher strictement toute demande de secours et d'argent auprès de M. Arnauld, ...
SAINTE-BEUVE, Port-Royal, t. 1, 1840, p. 187.
— P. ext.
a) S'attacher par libre choix à quelque chose, y adhérer, l'adopter et s'y consacrer.
♦ Vx. Embrasser un état; (vieilli) embrasser une carrière, une profession, une religion, un culte... Lopez finit par une prière au Dieu des chrétiens, dont j'avois refusé d'embrasser le culte (CHATEAUBR., Génie, t. 2, 1803, p. 182). J'ai été journaliste (...) Durant vingt années, (...) je n'avais, je l'espère, jamais trahi ma profession, embrassée d'un libre choix (VEUILLOT, Odeurs de Paris, 1866, p. 30) :
• 7. Je me sondais, cherchant un état que je pusse embrasser sans trop de dégoût, quand feu l'Empereur m'en trouva un; il me dit soldat de par la maladresse de sa politique.
HUYSMANS, Les Soirées de Médan, Sac au dos, 1880, p. 110.
♦ Vieilli. Embrasser une opinion, des idées, des principes, une doctrine, une théorie... L'âme mobile de la comtesse embrassa avec enthousiasme l'idée de ce nouveau genre de vie (STENDHAL, Chartreuse, 1839, p. 22) :
• 8. [Godefroid :] — Quel est le fait qui vous a conduit à mener la vie que vous menez ici? Car, pour embrasser la doctrine d'un pareil renoncement à tout intérêt, on doit être dégoûté du monde...
BALZAC, L'Envers de l'hist. contemp., Madame de La Chanterie, 1850, p. 267.
♦ Embrasser la cause, le parti de qqn ou qqc.; embrasser les intérêts, la querelle, les adversités (vx), la défense de qqn. Si l'intérêt de l'humanité vous touche, osez embrasser la cause de la liberté (PROUDHON, Propriété? 1840, p. 347) :
• 9. ... combien y en a-t-il qui se mettent à genoux dans l'église qu'ils décorent? — Beaucoup de philosophes embrassent sa cause et la plaident, comme des avocats généreux celle d'un client pauvre et délaissé; (...); mais il est rare que cette croix soit à leur côté dans la solitude.
VIGNY, Servitude et grandeur militaires, 1835, p. 214.
SYNT. Embrasser la cause du plus faible, des opprimés, de la pauvreté, de la paix, du patriotisme, de la Révolution.
b) Vouloir entreprendre, s'engager dans, se lancer dans quelque chose. Embrasser trop de choses à la fois, embrasser moins que qqn, vouloir trop embrasser. La phrénologie embrasse un plus vaste dessein; elle poursuit l'identification du monde moral et du monde physique (REYBAUD, J. Paturot, 1842, p. 100) :
• 10. ... il [le fort psychique] est spécialement adapté à la multiplicité : il peut embrasser à la fois plusieurs actions, plusieurs conversations, plusieurs projets, plusieurs moments du temps, même s'ils divergent entre eux. Sa pensée est panoramique et complexe, elle englobe de nombreux points de vue.
MOUNIER, Traité du caractère, 1946, p. 260.
♦ Proverbe. Qui trop embrasse, mal étreint. Qui veut entreprendre trop de choses en même temps s'expose à n'en mener aucune à bien. [P. réf. à ce proverbe] :
• 11. Je sais bien que j'ai tort, qu'il y a des limites à se donner. À cette condition, l'on crée. Mais il n'y a pas de limites pour aimer et que m'importe de mal étreindre si je peux tout embrasser.
CAMUS, L'Envers et l'endroit, 1937, p. 115.
c) Vx. Embrasser une occasion. La saisir, ne pas la laisser échapper :
• 12. Ce Spartiate possédoit de grandes propriétés, et se trouvoit en même temps écrasé de dettes. Il embrassa donc avidement l'occasion de se décharger de celles-ci, mais il ne voulut plus de la réforme aussitôt qu'elle atteignit ses biens.
CHATEAUBRIAND, Essai sur les Révolutions, t. 2, 1797, p. 176.
2. [Le suj. désigne une pers. ou un attribut visuel de la pers., le compl. d'obj. désigne qqc. qui se situe dans l'espace et appartient au champ visuel] Saisir quelque chose, globalement et dans toute son étendue, par le regard. Elle embrassait ce spectacle clair d'un regard indolent qui semblait heureux (FRANCE, Jocaste, 1879, p. 143) :
• 13. Malgré la faible clarté des lanternes, d'un vif regard il embrassa la scène, cette cohue noyée d'ombre, dont il connaissait chaque face, les haveurs, les chargeurs, les moulineurs, les herscheuses, jusqu'aux galibots.
ZOLA, Germinal, 1885, p. 1391.
SYNT. Embrasser qqc. du/d'un regard, de l'œil; embrasser tout d'un coup d'œil; regard qui embrasse l'horizon, toute l'étendue de qqc; œil qui embrasse d'un coup une surface, un vaste horizon.
— P. anal. Embrassant le fleuve d'un geste emphatique (A. DAUDET, Jack, t. 1, 1876, p. 303). Pied-d'Alouette fit un geste vague, embrassant un quart de l'horizon (FRANCE, Mannequin, 1897, p. 69).
— P. ext. [Le suj. désigne une pers. ou l'un de ses attributs intellectuels; le compl. désigne qqc. d'abstr.] Saisir par l'esprit, appréhender quelque chose, dans son ensemble et sous tous ses aspects, par la pensée, l'imagination, la mémoire... Un être (...), à longue portée de regard, capable d'embrasser d'un coup d'œil une suite de situations et leurs conséquences (TAINE, Notes Paris, 1867, p. 283) :
• 14. Il faudrait, pour qu'une théorie scientifique fût définitive, que l'esprit pût embrasser en bloc la totalité des choses et les situer exactement les unes par rapport aux autres; ...
BERGSON, L'Évolution créatrice, 1907, p. 208.
SYNT. Embrasser qqc. dans son ensemble, sous tous les aspects; embrasser l'ensemble d'un sujet, de sa vie; embrasser plusieurs objets à la fois, embrasser à la fois la théorie et la pratique, embrasser et circonscrire l'étendue de qqc., embrasser (un sujet) dans une vaste synthèse; esprit qui embrasse toutes choses, qui embrasse et combine tout; intelligence qui embrasse tout d'un coup d'œil; génie qui embrasse une multitude d'objets d'un coup d'œil; génie qui embrasse une multitude d'objets d'un coup d'œil; imagination qui embrasse de vastes objets; n'embrasser que les contours des choses.
♦ Emploi abs. Il [M. Cousin] s'élève, il embrasse, il généralise, il a des conceptions d'artiste et des verves d'orateur (SAINTE-BEUVE, Caus. lundi, t. 1, 1851-62, p. 116).
B.— [Le suj. désigne une chose]
1. [Le compl. d'obj. désigne un espace géogr.] Contenir dans son étendue, s'étendre sur l'espace de. La concession embrasse deux mille kilomètres carrés (REYBAUD, J. Paturot, 1842, p. 31) :
• 15. [Catherine II] eut à gouverner ce puissant empire qu'elle agrandit dans tous les sens, et qui embrassait le nord jusqu'au pôle et l'orient jusque par delà l'aurore, ...
SAINTE-BEUVE, Nouveaux lundis, t. 2, 1863-69, p. 205.
— Spéc., TYPOGR. Quelle que soit la manière dont elles sont tournées, les accolades sont décollées du côté de la partie qu'elles embrassent (E. LECLERC, Nouv. manuel typogr., 1932, p. 401). La colonne ainsi complétée est recouverte sur la droite par un filet vertical embrassant toute la hauteur (E. LECLERC, Nouv. manuel typogr., 1932 p. 389).
2. [Le compl. d'obj. désigne un espace de temps] S'étendre sur, couvrir. Ce Frédéric II domine tout ce demi-siècle que son règne embrasse presque en entier (MONTALEMBERT, Ste Élisabeth, 1836, p. XXII) :
• 16. ... ces pensées qui sommeillent au fond de nous à notre insu, et qui sont plus profondes et plus larges que notre pensée claire, car elles embrassent, dit-on, le passé et l'avenir, ...
BARRÈS, Le Mystère en pleine lumière, 1923, p. 16.
3. [Le suj. est au sing., le compl. d'obj. désigne deux ou plusieurs choses] Contenir, englober, renfermer, toucher à. Il convient, (...) de ne pas étendre à tel point la définition du caractère qu'elle embrasse tout le contenu de la vie psychologique (MOUNIER, Traité caract., 1946, p. 60) :
• 17. ... le christianisme est en particulier compliqué [dit le malade au docteur-citoyen]. Il embrasse tant de contradictions intérieures ou introduites qu'il peut de soi donner réponse à tout.
PÉGUY, De la Grippe II, 1900, p. 29.
SYNT. Savoir qui embrasse tous les domaines, distinction qui embrasse un champ immense de cas, unité qui embrasse une multiplicité de parties, école qui embrasse plusieurs nations et bien des systèmes, période qui embrasse les quatre règnes d'une dynastie, amour qui embrasse à la fois la créature et la création; embrasser la totalité des phénomènes dans un principe.
Rem. Les dict., sauf Ac. et Lar. Lang. fr. enregistrent embrassure, subst. fém. [Correspond à embrasser I] Constr. ,,Ceinture formée par une bande de fer, dont on entoure une poutre, une pièce de charpente, un tuyau de cheminée et qui l'embrasse`` (HAVARD t. 2 1888).
Prononc. et Orth. :[], (j')embrasse []. Ds Ac. 1694-1932. Étymol. et Hist. 1. Ca 1100 « tenir entre ses bras (le plus souvent en signe d'affection) » [d'où « donner un baiser »] (Roland, éd. Bédier, 2202); 2. ca 1130 enbracier « saisir, se charger de » (Juise, 86 ds T.-L.); 3. 1580 « contenir, comprendre » (MONTAIGNE, Essais, éd. A. Thibaudet, livre I, chap. XX, p. 119); 4. av. 1662 « saisir par la vue, la pensée (une chose dans son étendue) » (PASC., Pens. III, 16 ds DG). Dér. de bras; préf. en-; dés. -er. Fréq. abs. littér. :9 644. Fréq. rel. littér. : XIXe s. : a) 13 883, b) 24 276; XXe s. : a) 15 224, b) 8 274. Bbg. DARM. Vie 1932, p. 154. — GRIMAUD (F.). Pt Gloss. du jeu de boules. Vie Lang. 1968, p. 194.
embrasser [ɑ̃bʀɑse] v. tr.
ÉTYM. 1080; le sens « donner un baiser » (sans « prendre dans ses bras ») est encore signalé comme « néologisme » par Hatzfeld à la fin du XIXe; de em- (en-), bras, et suff. verbal.
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———
1 Vieilli (compl. n. de chose). || Cet arbre est si gros, que deux personnes ne sauraient l'embrasser (Académie). — Au p. p. || Tenir qqch. embrassé.
1 Ensanglantant l'autel qu'il tenait embrassé ?
Racine, Andromaque, III, 8.
♦ (Compl. n. de pers.). Étreindre avec les deux bras. || Embrasser étroitement qqn (→ Châtier, cit. 3).
2 J'embrasse mon rival, mais c'est pour l'étouffer.
Racine, Britannicus, IV, 3.
3 Il embrasse un homme qu'il trouve sous sa main, il lui presse la tête contre sa poitrine; il demande ensuite qui est celui qu'il a embrassé.
La Bruyère, les Caractères, IX, 48.
♦ Spécialt. Serrer entre ses bras, en démonstration d'amitié, d'amour, d'affection, de tendresse (« caresse qui est souvent accompagnée d'un baiser », note Littré). → Approcher, cit. 58; attendre, cit. 42; bas, cit. 10; caresser, cit. 4; congratuler, cit. — REM. Ce sens devient archaïque ou ambigu au cours du XIXe s., avec l'évolution du sens 2. || Il l'embrassa tendrement, avec effusion. || Sauter au cou de qqn pour l'embrasser. — Je vous embrasse tendrement, mille fois, de tout mon cœur…, formules finales d'une lettre.
4 (…) j'estime tous les hommes mes compatriotes et embrasse un Polonais comme un Français (…)
Montaigne, Essais, III, IX.
5 Lorsqu'un homme vous vient embrasser avec joie (…)
Molière, le Misanthrope, I, 1.
6 Je sentis aussitôt que la jolie prêcheuse ne pourrait se défendre d'être embrassée à son tour. Cependant, elle voulut fuir; mais elle fut bientôt dans mes bras (…)
Laclos, les Liaisons dangereuses, Lettre XXIII.
7 (…) comme elle l'embrasse ! comme elle l'étreint ! comme elle l'étouffe ! (…) Au milieu de ces effusions, l'homme du comptoir se réveille.
Alphonse Daudet, le Petit Chose, IV, p. 48.
♦ Embrasser les pieds, les genoux de qqn, se jeter à ses pieds, serrer ses genoux pour l'implorer. ⇒ Implorer, supplier (→ Auparavant, cit. 6).
8 Je me jetterai à ses pieds, j'embrasserai ses genoux, je ne le laisserai point aller qu'il ne m'ait accordé de vous suivre.
Fénelon, Télémaque, IV.
2 Donner un baiser, des baisers à (qqn). ⇒ 1. Baiser. — Embrasser qqn au front (→ Dérober, cit. 12), sur le front, sur les deux joues, sur les lèvres, sur la bouche. || Embrasser qqn à bouche que veux-tu (cf. fam. Rouler une galoche, un patin, une pelle). — Embrasser la bouche, les lèvres de qqn.
REM. Ce sens, aujourd'hui admis par l'Académie (huitième éd., 1932), était jugé abusif par P. Larousse (1870) et condamné par Littré. L'évolution érotique du verbe baiser explique l'extension moderne de embrasser.
9 On lit parfois dans les auteurs contemporains : il lui embrasse la main. C'est mal parler; il faut dire : il lui baise la main. Embrasser c'est non appliquer la bouche, mais serrer dans les bras.
Littré, Dict., art. Embrasser.
10 Viens m'embrasser, François, dit la meunière en asseyant l'enfant sur ses genoux et en l'embrassant au front avec beaucoup de sentiment.
G. Sand, François le Champi, IV, p. 54.
11 (…) à propos d'un rien vous embrassant à pleine bouche, avec ses grosses lèvres ballantes qui mouillent un peu, mais qui sont bien fraîches, bien rouges (…)
Loti, Mme Chrysanthème, XIV, p. 91.
12 (…) ayant souvent embrassé, sans grand plaisir, des lèvres de petites filles, et oubliant que c'était parce que je ne les aimais pas, je désirais peu les lèvres de Marthe.
R. Radiguet, le Diable au corps, p. 43.
13 Il plie le journal, embrasse Juliette, qui s'arrange pour dérober ses lèvres; puis il se hâte de sortir.
J. Romains, les Hommes de bonne volonté, t. II, I, p. 9.
♦ (À la fin d'une lettre amicale). || En attendant de vous revoir, je vous embrasse. || Ton père qui t'embrasse. || Embrasse les enfants pour moi. || Embrasser la main de qqn, lui faire le baisemain.
3 (Par anal. du sens 1; sujet n. de chose). Littér. Enserrer, entourer. ⇒ Ceindre, ceinturer, environner. || Les draperies qui embrassent le corps. ⇒ Épouser (→ Caresser, cit. 12). || Le lierre embrasse l'ormeau. || L'océan embrasse toute la terre.
13.1 En voyant sa fille s'approcher d'elle avec son compagnon, l'excellente femme, reconnaissante pour toutes les attentions de Séil-kor, se tourna en souriant vers le jeune nègre, et dit d'une voix douce, en lui montrant Nina : « Embrasse-la ! »
Séil-kor, pris de vertige, entoura son amie de ses bras et déposa sur ses joues fraîches deux chastes baisers qui le laissèrent ivre et chancelant.
Raymond Roussel, Impressions d'Afrique, p. 226.
13.2 Ce baiser dans son lit, c'était le don attendu avec une impatience fiévreuse dont le merveilleux pouvoir calmait comme un enchantement, comme l'huile la mer, son cœur agité. Le geste de sa mère qui se baissait pour l'embrasser exterminait aussitôt l'inquiétude et l'insomnie.
Proust, Jean Santeuil, Pl., p. 206.
4 (Sujet n. de personne). S'attacher à, commencer à pratiquer… || Embrasser une carrière. ⇒ Choisir, prendre. || Embrasser une religion (→ Courtoisie, cit. 1). || Embrasser la profession des armes; la vie religieuse.
14 Quel qu'eût été le motif de son changement de religion, elle fut sincère dans celle qu'elle avait embrassée.
Rousseau, les Confessions, II.
♦ Accepter (une idée, une opinion). ⇒ Accepter, adopter, partager, prendre, suivre; sien (faire sien). || Embrasser la cause, le parti de qqn. || Embrasser une opinion, des idées, des principes (→ Détacher, cit. 6). || Embrasser la cause de la paix.
15 Non, non, n'embrassez pas de vertu par contrainte (…)
Corneille, Horace, II, 4.
16 Quel est le grand reproche que les prédicateurs du XVIIe siècle adressent aux libertins ? C'est d'avoir embrassé ce qu'ils désiraient, c'est d'être arrivés aux opinions irréligieuses parce qu'ils avaient envie qu'elles fussent vraies.
Renan, Souvenirs d'enfance…, V, III, p. 215.
♦ Prendre à cœur (qqch.). || Embrasser l'intérêt, le parti, la défense de qqn, s'y attacher avec ardeur, le faire sien, le défendre. ⇒ Épouser.
17 Vous saurez embrasser bien mieux son intérêt.
Corneille, Horace, V, 3.
♦ Vouloir entreprendre, s'engager dans (qqch.). || Il embrasse trop d'affaires, de choses à la fois. ⇒ Charger (se). || Il veut trop embrasser. — ☑ Prov. Qui trop embrasse mal étreint : qui veut trop entreprendre risque de ne rien réussir (→ Avoir les yeux plus grands que le ventre).
18 Dans les grandes affaires, il faut tout envisager, et se contenter de ce qu'on peut exécuter avec succès, sans vouloir embrasser tout à la fois (…)
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II
1 (Sujet n. de chose). Contenir en soi (concrètement, dans l'espace). ⇒ Comprendre, couvrir, recouvrir. || Royaume qui embrasse plusieurs provinces. || Son domaine embrasse une grande partie de la commune. ⇒ Occuper, renfermer, tenir. || Embrasser un grand espace (→ Agrandir, cit. 1).
2 (Sujet n. de personne). Saisir par la vue, par le regard (qqch. dans toute son étendue). ⇒ Apercevoir, voir. || Embrasser d'un coup d'œil, d'un regard tout l'espace parcouru (→ Côte, cit. 9; cabinet, cit. 6; dépouiller, cit. 27). — Regard, œil qui embrasse tout l'horizon.
19 De là, il embrassait d'un coup d'œil tout le pays.
Zola, la Faute de l'abbé Mouret, p. 31.
3 (XVIIe). Saisir par la pensée. ⇒ Comprendre, concevoir, connaître. || Embrasser l'ensemble d'une question (→ Appréhension, cit. 2; circonscrire, cit. 5; cycle, cit. 5). || L'esprit d'un seul homme ne peut embrasser tant de questions complexes (→ Affaire, cit. 57). || Embrasser un sujet dans son ensemble, sous tous ses aspects. || Son intelligence embrasse tout d'un coup d'œil.
20 L'esprit plane sur les sommets comme s'il avait des ailes; d'un regard, il embrasse les plus vastes horizons, toute la vie humaine, toute l'économie du monde, le principe de l'univers, des religions, des sociétés.
Taine, les Origines de la France contemporaine, t. II, II, p. 121.
21 Si votre pensée s'élance dans l'espace et dans le temps; si elle embrasse l'infinie simultanéité des faits qui se passent sur toute la surface de la terre (…)
Loti, Aziyadé, III, XL, p. 132.
22 C'est Littré (…) qui, pour la première fois, a essayé de rattacher la langue française actuelle dans son ensemble à ses états anciens depuis mille ans, et non seulement du premier coup d'œil il a réuni en vue de ce noble but une telle masse de matériaux qu'on a peine à croire qu'un seul homme ait pu les recueillir, mais il a su les mettre en œuvre sans embarras, les utiliser avec attention et finesse, les embrasser d'une vue constamment claire et souvent étonnamment pénétrante.
G. Paris, Journal des Savants, oct.-nov. 1890.
23 (…) ce qui lui manquait (à Villeneuve) c'était l'intelligence supérieure qui permet d'embrasser de grands desseins (…)
Louis Madelin, Hist. du Consulat et de l'Empire, Avènement de l'Empire, XII, p. 173.
4 (1580; sujet n. de chose). Contenir, englober (abstraitement). || C'est une question complexe qui embrasse bien des matières. ⇒ Comprendre, toucher (à). || Les êtres, les choses qu'embrasse un concept. ⇒ Compréhension, extension. — Ce dictionnaire (cit. 6) embrasse la langue classique et la langue moderne. || Science qui embrasse l'univers (→ Astronomie, cit. 3).
24 La foi embrasse plusieurs vérités qui semblent se contredire (…)
Pascal, Pensées, XIV, 862.
25 Une histoire des Origines du Christianisme devrait embrasser toute la période obscure et, si j'ose le dire, souterraine, qui s'étend depuis les premiers commencements de cette religion jusqu'au moment où son existence devient un fait public, notoire, évident aux yeux de tous.
Renan, Vie de Jésus, Introd., p. 41.
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s'embrasser v. pron. (Récipr.).
1 Se serrer dans les bras l'un de l'autre (→ Attendre, cit. 42; convulsif, cit. 2).
26 (…) le Destin, pour lui faire plaisir, fit embrasser en bonne amitié ceux qui un moment auparavant ne s'embrassaient que pour s'étrangler.
Scarron, le Roman comique, II, 6, p. 184.
27 Ça s'est éteint, ils se sont trouvés dans la nuit. Ils se sont embrassés de l'emplein des bras pour se sentir le gros du corps.
J. Giono, le Grand Troupeau, in Œ. roman., Pl., t. I, p. 596.
2 Se donner mutuellement un baiser (cf. fam. Se sucer le caillou, la pomme, la poire…). → Brinder, cit. || S'embrasser sur la bouche, sur les deux joues. || Allons, la dispute est finie, embrassez-vous !
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embrassé, ée p. p. adj.
♦ Voir à l'article. ⇒ aussi Embrassé, adj.
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CONTR. Repousser.
DÉR. Embrassade, embrassant, embrasse, embrassé, embrassement, embrasseur, embrassure.
Encyclopédie Universelle. 2012.