enivrer [ ɑ̃nivre; enivre ] v. tr. <conjug. : 1>
♢ Spécialt Droguer. « Le laudanum, pris en quantité trop grande, peut enivrer » (Baudelaire). — Pronom. Se mettre en état d'ivresse. ⇒fam. se soûler .
2 ♦ Fig. Remplir d'une sorte d'ivresse des sens; d'une excitation ou d'une émotion agréable et souvent trouble. ⇒ exalter, exciter, transporter, troubler. L'air vif qui enivre. « on ne voit plus que carnage; le sang enivre le soldat » (Bossuet). « Sa beauté m'enivrait » (Musset). — Pronom. « Je m'enivre des odeurs » (Baudelaire).
♢ Spécialt Rendre ivre d'orgueil (cf. Faire perdre la tête). « Ces grands peuples que leur gloire enivre tout d'un coup » (Duhamel). « jeune, enivré par ses succès » (Barrès).
⊗ CONTR. Désenivrer, dégriser.
● enivrer verbe transitif Mettre quelqu'un en état d'ivresse ; soûler : La vodka l'a enivré. Remplir quelqu'un d'exaltation, d'une émotion vive : Ses succès l'ont enivré. ● enivrer (difficultés) verbe transitif Prononciation [̃ ;&ph98; ;&ph93; ;&ph106; ;ʀ&ph89; ;], avec en- prononcé comme dans encadrer et en faisant entendre le n. Orthographe Avec un seul n (celui du préfixe). ● enivrer (synonymes) verbe transitif Mettre quelqu'un en état d' ivresse ; soÛler
Synonymes :
- soûler (familier)
Contraires :
- dégriser
- dessoûler
Remplir quelqu'un d'exaltation, d'une émotion vive
Synonymes :
- entêter
- étourdir
- exciter
- griser
- soulever
enivrer
v. tr.
d1./d Rendre ivre. Le vin enivre.
d2./d Fig. étourdir, exalter. Enivrer de louanges.
|| v. Pron. Il s'enivrait des senteurs printanières.
⇒ENIVRER, verbe trans.
1. [Le suj. désigne une boisson] Synon. griser, soûler; anton. désenivrer, dégriser. On peut aussi l'isoler [de l'alcool] (...) dans le lait; témoin les nourrices dont le lait peut enivrer les enfants (MACAIGNE, Précis hyg., 1911, p. 267). Folie (...) de ce vin qui nous enivre (DUHAMEL, Terre promise, 1934, p. 61). Le vin rouge enivre plus vite que les autres (FARAL, Vie temps St Louis, 1942, p. 190).
♦ Fréq. au passif. Être enivré d'alcool, de liqueur. Sortant d'une épouvantable orgie, enivré de vin (CHATEAUBR., Natchez, 1826, p. 496).
♦ Absol., rare. Le vin, la bière enivre (Ac.).
— P. anal. [Le suj. désigne des substances, fumées ou vapeurs dont l'effet est le même que celui des boissons] Un barbiturique peut enivrer; la fumée du tabac, le haschich, les vapeurs d'un pressoir enivrent. Synon. monter à la tête, étourdir. Et des herbes séchées aux odeurs acides m'enivraient (BOSCO, Mas Théot., 1945, p. 267).
2. [Le suj. désigne une pers.]
a) Avec une valeur factitive. Faire boire (quelqu'un) jusqu'à (le) mettre en état d'ivresse. [Le] commandant (...) servira mieux le navire. Et le jour où je l'ai nommé il s'enivre et enivre ses capitaines (SAINT-EXUP., Citad., 1944, p. 878).
b) Emploi pronom. Se mettre en état d'ivresse, d'ébriété. Synon. se soûler, se griser, s'émécher; (pop.) se cuiter, se poivrer, picoler. Il braille, il s'enivre avec eux, il joue avec eux aux dés, aux cartes (FAURE, Hist. art, 1921, p. 54). L'on peut s'enivrer pour oublier qu'on s'est enivré (ALAIN, Propos, 1909, p. 66). Les dieux boivent, seuls les hommes inintelligents s'enivrent (ABELLIO, Pacifiques, 1946, p. 46) :
• 1. Il (...) débarqua avec Temple dans une maison de bootleggers. Le jeune homme s'enivra à mort et pendant qu'il cuvait son whisky, un crime fut commis dans la maison.
CAMUS, Requiem pour une nonne, 1956, p. 867.
B.— Au fig.
1. [À propos de l'effet à la fois agréable et souvent un peu trouble de certaines sensations, émotions ou excitations] Remplir d'une sorte d'ivresse. L'air vif m'enivre; le son de sa voix, sa beauté l'enivrait; la musique enivre l'âme. Synon. étourdir, griser, transporter, soulever, exalter; anton. dégriser, apaiser, calmer, refroidir. Le soleil déjà terrible, enivrait les cigales (MAURIAC, Myst. Frontenac, 1933, p. 107). Il se pencha sur cette gorge dont la naissance l'enivra comme s'il l'eût pour la première fois découverte. Adorable trésor de la féminité (ARAGON, Beaux quart., 1936, p. 379). Mais l'image qui la laissait la veille insensible, l'enivrait maintenant d'une tendresse poignante (BERNANOS, Mouchette, 1937, p. 1339) :
• 2. La contemplation de l'objet enivre tant l'individu que l'objet devient aussi vivant que l'individu lui-même mais que ses lignes flottent et que le morceau expressif surgit seul, éclatant, hallucinatoire, rayonnant la force et l'amour.
FAURE, Hist. de l'art, 1921, p. 172.
— Emploi pronom. L'homme moderne s'enivre de dissipation (VALÉRY, Variété III, 1936, p. 265). Il pouvait la nuit, à la lueur tremblante de la chandelle, s'enivrer de grands mots, de rhétorique païenne (BRASILLACH, Corneille, 1938, p. 37) :
• 3. Proscrire ou exalter la vie — la première conception s'enivre de la vie, de son rythme et de son intensité ressentie; elle se laisse emporter par elle comme par un cheval effréné dont la course multipliera les sensations de vitesse, d'ardeur, grisera d'une plus étroite et épuisante participation.
HUYGHE, Dialogue avec le visible, 1955, p. 398.
2. En partic. [En parlant de l'effet extrême de certaines émotions] Rendre ivre d'orgueil. (Quasi-)synon. enorgueillir. C'est de cette assurance à l'état pur que je me suis laissé énivrer (ROMAINS, Hommes bonne vol., 1939, p. 193). L'heureux défi à la mort, le sentiment de gloire qui enivre et rend l'air respiré vivifiant (G. BATAILLE, Exp. int., 1943, p. 42) :
• 4. Il choisit et il juge. Il est celui que n'enivre pas la victoire, dont il mesure et la précarité, l'incertitude, et les limites...
MARROU, De la Connaissance hist., 1954, p. 276.
♦ Absol. La prospérité enivre (Ac.).
♦ Emploi pronom. S'enivrer des éloges qu'on reçoit; s'enivrer de la bonne opinion de soi-même (Ac.).
Prononc. et Orth. :[], (j')enivre []. Ds Ac. 1694-1932. Les éd. de 1762 et de 1835 mettent en garde contre la prononc. []. Cf. aussi LAND. 1834, GATTEL 1841, LITTRÉ. Pour éviter toute ambiguïté, FÉR. Crit. t. 2 1787 propose d'écrire ennivrer, ennivrant, ennivrement, le doublement de n préservant la nasale et la compos. de la prép. en, car, comme le souligne BUBEN 1935 § 96, c'est sous l'influence de l'écriture (effet Buben) que la prononc. s'altère. MART. Comment prononce 1913, p. 132 s'indigne que des gens instruits et même des typographes aillent jusqu'à écrire énivrer avec un accent aigu, ,,écriture et prononciation, également, barbares auxquelles il faut résister de toutes ses forces, aussi longtemps qu'on le pourra``. LITTRÉ constate l'incohérence de Ac. qui écrit énamourer mais enivrer. On rencontre la graph. énivrer chez des auteurs tels que Barrès (cité ds ROB.). Noter la prononc. du midi []. Pour cette question de la prononc. de l'initiale dans les mots formés avec la prép. en, cf. en-. Étymol. et Hist. 1. Début XIIe s. « abreuver, féconder » (Psautier d'Oxford, 64, 9 ds T.-L.); ca 1170 « rendre ivre » (Rois, éd. E. R. Curtius, II, XIII, 28, p. 82); 2. fig. ca 1170 (CHR. DE TROYES, Erec, 3418 ds T.-L.). Dér. de ivre; préf. en-; dés. -er. Fréq. abs. littér. :1 560. Fréq. rel. littér. :XIXe s. : a) 2 974, b) 2 079; XXe s. : a) 2 041, b) 1 752.
enivrer [ɑ̃nivʀe; enivʀe] v. tr.
ÉTYM. XIIe; de en-, ivre, et suff. verbal.
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♦ Littéraire ou style soutenu.
1 Rendre (qqn) ivre. ⇒ Griser, soûler. || Ses amis avaient décidé de l'enivrer. — Absolt. || Il est facile à enivrer. || Vin capiteux qui enivre très vite (→ Monter, porter à la tête; taper).
♦ Spécialt. Droguer. ⇒ Étourdir, griser.
1 (…) l'opium (…) n'enivre pas; si le laudanum, pris en quantité trop grande, peut enivrer, ce n'est pas à cause de l'opium, mais de l'esprit qui y est contenu.
Baudelaire, les Paradis artificiels, « Un mangeur d'opium », III.
2 Fig. Remplir d'une sorte d'ivresse, d'une excitation ou d'une émotion agréable. ⇒ Exciter; exalter. || L'air vif nous enivrait. || La musique enivre l'âme. ⇒ Ravir, soulever, transporter. || Le son de sa voix m'enivre (→ Apsara, cit. 2). ⇒ Troubler.
2 (…) on ne voit plus que carnage; le sang enivre le soldat (…)
Bossuet, Oraison funèbre du prince de Condé.
3 (…) je leur dis (…) qu'elles n'avaient pas besoin de vin pour m'enivrer. Ce fut la seule galanterie que j'osai leur dire de la journée; mais je crois que les friponnes voyaient de reste que cette galanterie était une vérité.
Rousseau, les Confessions, IV.
4 Oui, oui, n'en doutez pas, c'est un plaisir perfide
Que d'enivrer son âme avec le vin des sens (…)
Ah ! l'abîme est si grand ! la pente est si glissante !
Une maîtresse aimée est si près d'une sœur !
A. de Musset, Poésies nouvelles, « Namouna », LI.
5 Sa beauté m'enivrait, je n'aimais qu'elle au monde.
A. de Musset, Poésies nouvelles, « Lucie ».
6 La fraîcheur embaumée des brises d'automne, la forte senteur des forêts, s'élevaient comme un nuage d'encens et enivraient les admirateurs de ce beau pays (la Bretagne)…
Balzac, les Chouans, Pl., t. VII, p. 773.
7 La gloire n'est pas un vain mot pour moi. Le bruit des éloges enivre d'un bonheur réel. La nature a mis ce sentiment dans tous les cœurs. Ceux qui renoncent à la gloire ou qui ne peuvent y arriver font sagement de montrer, pour cette fumée, cette ambroisie des grandes âmes, un dédain qu'ils appellent philosophique.
E. Delacroix, Journal, 29 avr. 1824.
8 Derrière lui, tandis que l'extase l'enivre,
Les anges souriants se penchent sur son livre.
Hugo, les Contemplations, « Aurore », XXIV.
9 L'air à ce point si élevé devenait d'une vivacité et d'une pureté qui m'enivraient.
Proust, À la recherche du temps perdu, t. X, p. 47.
10 La vue de ces monuments antiques enivrait l'âme de Bonaparte, naturellement ouverte à toute grandeur.
Louis Madelin, Hist. du Consulat et de l'Empire, L'ascension de Bonaparte, XVI, p. 239.
♦ Par métaphore et fig. Exalter par un sentiment de supériorité, de puissance. || Enivrer qqn de louanges. || Les louanges qui l'enivrent. ⇒ Enorgueillir, exalter.
11 Le nectar que l'on sert au maître du tonnerre,
Et dont nous enivrons tous les dieux de la terre,
C'est la louange (…)
La Fontaine, Fables, IX, Disc. à Mme de la Sablière.
12 Je devins à la mode. La tête me tourna : j'ignorais les jouissances de l'amour-propre, et j'en fus enivré. J'aimai la gloire, comme une femme, comme un premier amour.
Chateaubriand, Mémoires d'outre-tombe, t. II, p. 179.
13 Le pouvoir absolu enivre comme le génie, mais il a cela de redoutable qu'il enivre sans contrepoids.
Hugo, Post-scriptum de ma vie, IV, I.
14 L'ambition enivre plus que la gloire.
Proust, les Plaisirs et les Jours, p. 185.
15 Suprême danger du succès ! Je songe (…) à ces grands peuples que leur gloire enivre tout d'un coup (…)
G. Duhamel, Scènes de la vie future, p. 212.
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s'enivrer v. pron.
1 Se mettre en état d'ivresse. ⇒ Ivre; boire (I., 3.); émécher (s'), griser (se), soûler (se); boisson (se prendre de boisson). Cf. fam. Se beurrer, se biturer, se blinder, se bourrer, se camphrer (vx), se coiffer (vx), se cuiter, se noircir, se pinter, se piquer le nez, se pocharder, se poivrer, se poivroter, prendre une pistache (vieilli), une biture. || Il but tant qu'il s'enivra (→ Donner, cit. 78).
16 Il hante la taverne, et souvent il s'enivre.
La Fontaine, Fables, XII, 9.
17 Un grand (…) s'enivre de meilleur vin que l'homme du peuple : seule différence que la crapule laisse entre les conditions les plus disproportionnées, entre le seigneur et l'estafier.
La Bruyère, les Caractères, IX, 28.
18 Il avait contracté l'habitude de s'enivrer; dans ces moments-là, quand il revenait à la maison, après avoir couru les comptoirs des cabarets, sa fureur devenait presque incommensurable, et il frappait indistinctement les objets qui se présentaient à sa vue.
Lautréamont, les Chants de Maldoror, VI, p. 249.
2 (V. 1265). Fig. || S'enivrer d'un air pur, de parfums, d'amour… → aussi Aspirer, cit. 15; cueillir, cit. 10.
19 On tend sa bouche ardente aux coupes de la chair,
À l'heure où l'on s'enivre aux lèvres d'une femme (…)
Hugo, les Contemplations, VI, XI.
20 L'aigle se grise de son vol. Le rossignol s'enivre des nuits d'été.
Gide, les Nourritures terrestres, p. 41.
♦ S'enivrer de ses succès, de ses victoires, de gloire.
21 (…) laissez-les (…) s'enivrer de leur propre mérite (…)
La Bruyère, les Caractères, XIII, 22.
22 Quand on est si facilement victorieux, on s'enivre de sa victoire (…)
Fustel de Coulanges, Questions contemporaines, p. 45.
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enivré, ée p. p. adj.
1 Vx. Ivre, soûl. || Enivré de vin, d'air pur.
2 Enivré de joie, d'enthousiasme, d'amour, de passion. ⇒ Transporté, soulevé; enthousiaste, fou, passionné.
23 Enivré des douceurs de l'amour et du vin.
Corneille, Pompée, IV, 1.
24 Il livra donc aux barbares cette ville enivrée du sang des martyrs, comme parle saint Jean (…)
Bossuet, Disc. sur l'Hist. universelle, III, 1.
25 (…) mon cœur, enivré d'une folle passion, secouait presque toute pudeur (…)
Fénelon, Télémaque, IV.
26 Ce cœur enflé d'orgueil, et de haine enivré (…)
Voltaire, Oreste, III, 6.
27 Enivré du charme de vivre auprès d'elle (…)
Rousseau, les Confessions, III.
28 J'étais réellement enivré de cet air vif et pur; je me sentais si léger, si joyeux et si plein d'enthousiasme, que je poussais des cris et faisais des cabrioles comme un jeune chevreau; j'éprouvais l'envie de me jeter la tête la première dans tous ces charmants précipices si azurés, si vaporeux, si veloutés; j'aurais voulu me faire rouler par les cascades, tremper mes pieds dans toutes les sources, prendre une feuille à chaque pin, me vautrer dans la neige étincelante, me mêler à toute cette nature, et me fondre comme un atome dans cette immensité.
Th. Gautier, Voyage en Espagne, p. 46.
29 Néron de sa grandeur n'était point enivré.
Racine, Britannicus, I, 1.
30 De l'encens des humains je vivais enivrée (…)
Voltaire, Sémiramis, II, 7.
31 (…) il était jeune, enivré par ses succès, amoureux tout frais de sa cause.
M. Barrès, Leurs figures, p. 352.
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CONTR. Désenivrer, dégriser.
DÉR. Enivrant, enivrement.
Encyclopédie Universelle. 2012.