ALBANIE
Fortement marquée par une occupation ottomane de cinq siècles, mais cependant fidèle à ses origines ethniques et nationales, l’Albanie s’est affirmée comme État indépendant malgré la petitesse de son territoire et la pauvreté de sa population au sortir de la Seconde Guerre mondiale.
Admis à l’O.N.U. en 1956 au prix de luttes internes sanglantes et d’un isolement international, l’État communiste albanais a défendu le principe d’une autonomie politique et économique proche de l’autarcie. La rupture de son alliance avec la Chine en 1978 a obligé le gouvernement albanais à diversifier ses échanges et à tenter de concilier pragmatisme et inflexibilité idéologique.
En 1985, l’Albanie est entrée dans l’après-hodjisme. Ramiz Alia, successeur du fondateur historique, a cru pouvoir conjuguer le respect proclamé de la «pensée éternelle du camarade Enver Hodja» avec les nécessités économiques et sociales. L’ouverture au monde et les conséquences de la défaite du communisme est-européen ont eu raison des résistances du régime dans un pays jeune dont la population a doublé depuis 1945. En 1992, l’Albanie s’estdotée d’un gouvernement non communiste. Bénéficiant de ressources énergétiques et agricoles importantes, mais ayant le produit national brut par habitant le plus bas d’Europe, l’Albanie s’est engagée sur le chemin de la démocratie avec un potentiel certain. Cependant, le délabrement de son économie rend nécessaires de substantiels concours internationaux et une coordination rigoureuse de ces derniers. Après trois années de désordres et d’une production paralysée, les signes de la reprise d’activités économiques se faisaient au début de 1994, en particulier dans l’agriculture et l’industrie légère. Il reste que le gouvernement de Sali Berisha n’a pu réaliser, au sein de la population albanaise, un accord solide entre des intérêts politiques, économiques et ethniques de plus en plus divergents aux frontières d’une ex-Yougoslavie en proie à la guerre et d’une Grèce de plus en plus chatouilleuse sur ses prérogatives nationalistes.
1. Le cadre géographique
Le territoire albanais (28 748 km2) s’inscrit dans un cadre physique essentiellement montagneux de structure dinarique, qui forme une barrière le long de la frontière orientale, alors que la partie occidentale offre, par contraste, un littoral ouvert de plaine.
Les Alpes du Nord, situées à l’est du lac de Shkodër (370 km2) et au nord du Drin, formées de plusieurs massifs calcaires orientés sud-ouest - nord-est, présentent les formes les plus âpres. Les monts abrupts alternent avec des cirques glaciaires et des vallées étroites. Le mont Jezercë (2 693 m) domine une étoile de chaînes de plus de 2 000 mètres qui, dans la partie occidentale, porte le nom de Malësia e Madhe (Grande Montagne). Le climat des Alpes du Nord est rigoureux, avec des minimums d’hiver de — 20 0C. La région a été désenclavée par la construction d’une série de centrales hydroélectriques sur le Drin (280 km), qui prend sa source à Struga, au lac d’Ohrid, et reçoit à Kukës le Drin Blanc, venu de Metohija.
Les montagnes centrales, formées de roches serpentines, succèdent aux Alpes du Nord dans une direction nord-ouest - sud-est jusqu’à l’Osum. Elles renferment des lacs d’origine tectonique, Ohrid (367 km2) et Prespë (285 km2), et recèlent de nombreux gîtes métallifères: cuivre, chrome, ferro-nickel. Les fleuves Drin, Mat, Shkumbin, Seman, Vjosë ont un cours torrentiel en hiver et sec en été qui ne permet pas la navigation. Le long du Shkumbin, limite qui sépare l’Albanie en pays guègue du Nord et tosque du Sud, passait l’ancienne route commerciale, la via Egnatia , qui reliait Rome à Byzance par Durrës et Ohrid. Les anciennes communautés patriarcales ont vécu en région guègue dans les vallées-refuges en clans, ou fis , et sont restées, plus longtemps que dans le Sud, fidèles aux coutumiers, ou kanun .
Dans le Sud succèdent les montagnes méridionales, de plus de 2 000 mètres, orientées nord-ouest - sud-est, formées de chaînes parallèles de calcaire et de flysch: Pogon, Kurvëlesh, Labëri, Himarë. Le Tomor culmine à 2 417 mètres. Les montagnes sont entaillées de vallées profondes où se succèdent bourgs sur les hauteurs et villes aux carrefours: Gjirokastër, Tepelen, Këlcyrë. Le manteau forestier est dégradé. L’orge et le maïs sont cultivés dans les bassinsde Kolonjë, Bilisht, Dropull, Libohovë, Përmet, Korçë, tandis que, sur les terrasses aménagées sur les pentes, ont été plantés orangers et oliviers. Les immenses plages de sable et la riviera des confins de la montagne méridionale sont des zones encore inexploitées pour le tourisme international.
La plaine alluviale, d’une largeur de 10 à 50 kilomètres, s’étend du nord au sud, le long de la mer, de Shkodër à Vlorë. Elle est ponctuée de quelques collines. Des travaux d’assainissement et de drainage ont permis de repeupler et de gagner à l’agriculture des terres autrefois porteuses de malaria. LaMyzeqe, partie située entre Peqin, Berat et Vjosë, a été recolonisée. L’élevage et l’agriculture, l’exploitation des gisements de pétrole, l’industrie chimique en font le pôle économique du pays. La région s’est urbanisée, et Rrogozhinë, Lushnjë, Fier et Ballsh sont reliés par train à la capitale.
Bien que le pays soit peu étendu, le climat est sujet à de nombreuses variations locales dues au relief et à la mer. Par sa situation, l’Albanie jouit d’un climat de type méditerranéen, aux étés chauds et aux hivers doux. Le total annuel des précipitations (1 350 mm en moyenne, avec des maximums de 3 m) est l’un des plus élevés d’Europe. Le long de la plaine côtière règne un climat méditerranéen. Les températures d’hiver sont en moyenne de 5 0C, quelquefois de 10 0C. Les températures d’été dépassent très souvent la moyenne de 26 0C pour atteindre des extrêmes de 40 0C. Les chaînes montagneuses, éloignées de la mer, ont un climat continental aux hivers froids, enneigés et venteux. La température moyenne d’hiver, située entre 0 0C et 2 0C, connaît des minimums de — 25 0C, tandis que les moyennes d’été (23 0C) sont comparables à celles de la zone plus typiquement méditerranéenne.
L’Albanie est un pays de faible superficie, mais elle exprime la diversité de ses unités régionales par de nombreux particularismes ethniques et culturels.
2. Une histoire d’occupation
Les origines et le Moyen Âge
L’occupation du sol intervient au Paléolithique moyen; mais les Albanais actuels descendent probablement des Illyriens, peuplade indo-européenne venue dans la région vers la fin de l’âge du bronze. Leur civilisation se développa rapidement, dès le VIIe siècle avant J.-C., au contact des Grecs qui établirent, notamment à Épidammon (Durrës) et à Apollonie (près de Fier) des colonies dont subsistent d’importants vestiges.
Les Illyriens, qui débordaient largement les limites des pays aujourd’hui occupés par des Albanais, se divisèrent progressivement en petits États ennemis que les Macédoniens soumirent sous Philippe et Alexandre. Ils reprirent leur indépendance ensuite et le royaume d’Épire eut son heure de gloire avec Pyrrhus, mais l’ensemble du pays devait passer, non sans mal, sous la domination de Rome au IIe siècle avant J.-C. Peu à peu la civilisation romaine se répandait, surtout sur les côtes et le long de voies de pénétration (la via Egnatia , en particulier). L’assimilation devait être telle que l’Illyrie, christianisée dès le Ier siècle (avec saint Asti à Durrës et saint Donat à Vlora), fournit, au IIIe siècle, plusieurs empereurs. Comprise, en 395, dans l’empire d’Orient, elle fut ravagée par les invasions barbares avant que le déferlement slave des VIe et VIIe siècles ne refoule le peuplement antérieur dans les régions où l’albanais reste aujourd’hui parlé.
Le pays, resté sous la domination byzantine jusqu’au IXe siècle, fut alors occupé par les Bulgares puis reconquis en 1018 par Basile II. Le XIe et le XIIe siècle furent troublés par les invasions normandes, dirigées notamment par Robert Guiscard et son fils Bohémond, et par les tentatives d’indépendance d’une féodalité qui se constituait, tentatives attisées par le schisme de 1054 qui laissa sous l’influence de l’Église romaine le nord de l’Albanie (c’est à cette époque que le mot apparaît dans l’acception actuelle).
La crise qui suivit, à Byzance, la chute des Comnènes, à la fin du XIIe siècle, et la quatrième croisade permirent la création de principautés indépendantes, comme celle qui fut fondée par Progon (1195) autourde Kruja; leurs luttes favorisèrent les interventions des Bulgares et des Byzantins; mais à peine ceux-ci avaient-ils soumis la région (1261) qu’elle passait à Charles d’Anjou qui, installé à Vlora dès 1269, se proclame «rex Albaniae» en 1272.
La domination angevine dura tant bien que mal jusque vers le milieu du XIVe siècle pour s’effondrer sous les coups de l’Empire serbe d’Étienne Dušan, après la mort duquel (1355) l’Albanie sombra dans une anarchie dont émergèrent plus ou moins trois principautés: celle de Balsha autour de Shkodër, celle des Thopia à Durrës et celle des Shpata dans le Sud.
La domination turque
Ces principautés sans cesse en lutte entre elles et avec Venise ne négligèrent pas de faire appel aux Turcs qui, au début du XVe siècle, occupèrent le pays et en soumirent la plus grande partie au système des timars (fiefs militaires non héréditaires). La rigueur du joug turc provoqua rapidement des révoltes, mais il fallut attendre Skanderbeg pour assister à un soulèvement général.
Fils d’un grand seigneur albanais, devenu néanmoins haut fonctionnaire turc, Skanderbeg se révolta lors de la guerre turco-hongroise de 1443. Il sut grouper contre les Turcs les forces du pays (assemblée de Lezh, 1444) et parvint, malgré les jalousies et les trahisons, à repousser les plus violentes attaques (siège de Kruja), intervenant même dans la politique européenne (traité de Gaète avec le royaume de Naples en 1451).
Après sa mort (1468), l’Albanie retomba rapidement aux mains du sultan, tandis que de nombreux Albanais se réfugiaient en Calabre et en Sicile, où ils ont conservé jusqu’à nos jours leur langue et leurs coutumes. Pendant les XVIe et XVIIe siècles, l’Albanie allait s’islamiser en grande partie et fournir de nombreux soldats et fonctionnaires à l’empire turc. Elle allait connaître aussi la dégénérescence du système des timars , remplacés peu à peu par des çifliks (grandes propriétés héréditaires). La décadence de l’autorité centrale et le marasme économique encouragèrent des révoltes et des guerres privées féroces. Au XVIIIe siècle, cependant, la reprise de l’activité économique permit l’essor intellectuel de certains centres (Berat, Voskopoje). Dans le même temps, quelques feudataires parvenaient à créer d’importantes principautés, ainsi les Bushatli à Shkodër et, surtout, Ali Pacha, autour de Janina, dans le Sud.
La Porte brisa la puissance des pachas de Shkodër après la mort du plus brillant d’entre eux, Karamahmut (1796), mais il fallut attendre 1822 pour venir à bout d’Ali Pacha qui avait su s’immiscer dans la politique européenne, intriguant indifféremment avec les Français, les Russes et les Anglais. Le sultan détruisit alors complètement les résistances féodales (massacre de Monastir en 1830 et prise de Shkodër en 1831). La Porte supprima le système des timars et tenta d’y substituer, par les réformes du Tanzimat (1839), une administration régulière, mais les populations albanaises ne s’y résignèrent qu’après une grave révolte (1847).
Quand le traité de Berlin, qui régla la crise balkanique de 1877-1878, accorda au Monténégro des terres albanaises, une ligue nationale constituée à Prizrend, avec l’accord de la Turquie, s’y opposa par les armes mais dut abandonner, en définitive, la région d’Ulquin (1880). Elle demanda quelque autonomie, n’obtint rien, se révolta, mais fut dispersée par la force (1881). Le mouvement fut réprimé avec une relative modération, mais la question nationale restait posée: les intellectuels albanais, largement soutenus par leurs compatriotes en exil, s’occupèrent alors principalement de diffuser leur langue, ouvrant à Korçë, en 1887, la première école albanaise et créant le premier journal albanais (Drita ). Ce mouvement intellectuel s’accrut encore après la révolution jeune-turque de 1908 (création de l’École normale d’Elbasan, congrès de Monastir pour le choix d’un alphabet national, etc.), mais le chauvinisme du nouveau gouvernement entraîna des révoltes ininterrompues.
Cette situation rendait le pays tout spécialement sensible aux guerres balkaniquesdéclenchées en octobre 1912, et le moment parut d’autant meilleur aux chefs politiques albanais pour proclamer l’indépendance que de nombreuses terres, plus ou moins ouvertement convoitées par les Grecs, les Monténégrins et les Serbes, se trouvèrent occupées par eux. Alors, le vieux diplomate Ismaïl Qemal partit pour une tournée de capitales où il reçut divers encouragements; il fit proclamer l’indépendance (28 nov. 1912) par un congrès convoqué à Vlora et fut choisi comme chef du gouvernement provisoire.
Les débuts de l’indépendance (1912-1924)
Ce gouvernement, qui n’était guère obéi que dans une région allant de Vlora à Fier, Lushnja, Berat et Gjirokastër, resta neutre dans la guerre balkanique, mais la conférence de Londres, qui eut à la terminer, fut également saisie du problème albanais. Après avoir pensé à une Albanie autonome sous la suzeraineté turque, elle décida, le 29 juillet 1913, la création d’un État indépendant neutre, placé sous la protection des grandes puissances (Allemagne, Angleterre, Autriche-Hongrie, France, Italie et Russie).
Les frontières, établies dès le printemps au nord et au nord-est, laissaient au Monténégro et surtout à la Serbie plusieurs centaines de milliers d’albanophones, notamment autour de Kosovo; au sud, le protocole de Florence (déc. 1913) partageait la Çameria, à peuplement mixte, entre la Grèce et l’Albanie.
Les grandes puissances devaient choisir dans les six mois un prince au nouvel État: ce fut finalement Guillaume de Wied, candidat de l’Italie et de l’Autriche-Hongrie. Débarqué dans l’enthousiasme, le 7 mars 1914, à Durrës, dont il fit sa capitale, il ne tarda pas à décevoir: ignorant tout du pays, manquant de moyens d’action, il s’entoura mal, prenant, par exemple, dans son ministère des ambitieux forcenés comme le riche bey, Esat Toptani. La Grèce poussa, d’autre part, un de ses anciens ministres, Georges Zographos, à constituer dès avril un «gouvernement de l’Épire du Nord» dont les bandes armées, qui se signalèrent par leur barbarie, occupèrent la région de Gjirokastër. Une révolte philoturque, commencée dans la région de Tirana, s’étendit rapidement. Wied, débordé, quitta le pays le 3 septembre 1914.
La Grande Guerre trouva le pays dans une anarchie totale: Esat Toptani, qui s’était proclamé chef d’un gouvernement provisoire fantôme, tenait Durrës, les révoltés occupaient toute l’Albanie centrale, les montagnards du Nord continuaient à n’obéir qu’à leurs chefs traditionnels. Les Italiens débarquèrent dès octobre à Vlora et Sazan, les troupes grecques prenant la relève des bandes de Zographos. En juin 1915, les Monténégrins s’installèrent à Shkodër et les Serbes s’avancèrent en Albanie centrale avant d’être remplacés, dès janvier 1916, par les troupes austro-hongroises. Quant aux Grecs, ils furent bientôt évincés, en partie par les Italiens, en partie par les Français qui inaugurèrent une politique d’entente avec les populations (création du territoire autonome de Korcë le 10 décembre 1916). Cette «république de Korcë» fut éphémère, mais elle obligea les autres occupants à prendre des mesures semblables. Pendant ce temps, le pays, resté officiellement neutre, servait de champ de bataille, la ligne de front passant approximativement au sud de Fier, de Berat et au nord de Pogradec. On estime que la guerre amena, directement ou indirectement, la mort de près de 70 000 Albanais.
En 1918, l’avenir de l’Albanie s’annonçait d’autant plus sombre que le traité secret de Londres (1915) prévoyait son partage presque total entre ses divers voisins. Un congrès, réuni à Durrës le 28 décembre 1918, chargea un gouvernement provisoire de défendre la cause albanaise à la conférence de la paix;mais celui-ci ne put faire entendre sa voix et se résigna plus ou moins au mémorandum du 9 décembre 1919: l’Italie prenait Vlora, Sazan et recevait mandat sur l’Albanie; les frontières de 1913 étaient maintenues au nord et à l’est; les frontières sud seraient déterminées plus tard, mais laisseraient sans doute Korcë et Gjirokastër à la Grèce. Ce mémorandum discrédita le gouvernement provisoire, qui dut démissionner à la suite du congrès de Lushnja (janv. 1920). Le nouveau gouvernement transporta son siège à Tirana, obtint le retrait des troupes françaises, mata une rébellion d’Esat Toptani, bientôt assassiné, profita d’une révolte réussie à Vlora pour obliger les Italiens à évacuer le pays (sauf Sazan) et put faire admettre l’Albanie à la S.D.N., le 17 décembre 1920, comme État souverain dans ses frontières de 1913. En 1921 enfin, à Paris, la conférence des ambassadeurs rejeta à peu près complètement les dernières prétentions territoriales de la Grèce et de la Yougoslavie (laquelle avait encouragé un soulèvement, rapidement avorté, des Mirdites).
Mais les passions politiques se donnèrent alors libre cours, et l’opposition entre le parti progressiste (conservateur) et le parti populaire allait paralyser les différents gouvernements. Ahmed Zogu, grand féodal du Mat, qui venait de s’illustrer dans la répression de la révolte mirdite, en profita pour se hisser au premier plan: ministre de l’Intérieur en 1922, puis Premier ministre, il réussit, par une politique d’intimidation, à s’assurer une faible majorité aux élections de 1923. L’opposition ne désarma pas et l’assassinat d’un de ses chefs les plus populaires, Avni Rustemi, le meurtrier d’Esat Toptani, entraîna un soulèvement général: le 10 juin 1924, les révoltés entraient à Tirana tandis que Zogu et ses amis s’enfuyaient à l’étranger. Le nouveau gouvernement, présidé par l’écrivain Fan Noli, entama une politique libérale et démocratique, mais il ne sut pas trouver à l’étranger les concours financiers indispensables et perdit vite sa popularité: en décembre 1924, Zogu réoccupait le pays à la tête de troupes levées en Yougoslavie.
La domination zoguiste (1925-1939)
Zogu convoqua alors une assemblée qui le proclama président de la République et établit une constitution lui donnant des pouvoirs très étendus. Il fit régner l’ordre, appuyé sur une gendarmerie solide, dompta les soulèvements régionaux (par exemple en 1926 dans le Dukagjin), se concilia les bajraktars (chefs locaux) par des grades et des pensions, se débarrassant de ses adversaires par tous les moyens; une révision de la constitution lui permit alors de devenir, le 1er septembre 1928, Zog Ier, roi des Albanais.
Il s’attaqua à certains abus, promulguant, par exemple, un code civil, un code pénal et un code commercial (1929-1931); il entama une réforme agraire (1930), mais celle-ci échoua devant les réticences des grands propriétaires qui lui fournissaient son principal appui. Le caractère autoritaire du régime s’accentua d’année en année et provoqua diverses crises sans autre résultat qu’un essai rapidement avorté de gouvernement libéral (1935).
Zog essaya aussi de poursuivre le développement économique du pays par la politique de la «porte ouverte» aux capitaux étrangers, mais il ne put juguler les effets de la crise mondiale; de plus, les Italiens parvinrent à évincer leurs concurrents et exercèrent bientôt une véritable hégémonie sur l’économie albanaise. L’Italie, dès mars 1925, créa et finança la Banque nationale d’Albanie, accordant des prêts importants. Mais Zog dut conclure, en échange, un pacted’amitié et de sécurité qui le brouilla avec la Yougoslavie puis, un peu plus tard (22 nov. 1927), un traité d’alliance offensive et défensive. Il put éviter une union douanière que Mussolini tentait d’imposer dès 1932, mais une démonstration navale devant Durrës (22 juin 1934) l’obligea à renoncer à une nationalisation de l’enseignement dirigée principalement contre les prêtres italiens. En 1936, de nouveaux accords accentuèrent encore la mainmise fasciste.
Le 25 mars 1939, enfin, Mussolini, décidé à l’invasion, présenta des exigences inacceptables: union douanière, occupation militaire, etc. Les contre-propositions albanaises ne furent même pas examinées et, le 7 avril 1939, d’importantes forces italiennes occupaient le pays sans coup férir, tandis que Zog s’enfuyait avec sa famille.
L’occupation italienne (1939-1944)
Une assemblée fantoche, réunie dès le 12 avril 1939, offrit la couronne au roi d’Italie, Victor-Emmanuel III. Les mesures d’«union» entre les deux pays aboutissaient à une véritable colonisation de l’Albanie et toute une organisation fasciste était mise en place.
Pour se faire accepter, les Italiens se lancèrent dans de grands travaux (bonification des terres, travaux publics, érection de bâtiments somptueux, etc.) et mirent à leur programme l’annexion de la région de Kosovo et de la Çameria. Ce plan ne se réalisa, du reste, qu’après l’occupation des Balkans par Hitler (mai 1941), l’attaque de la Grèce, en octobre 1940, ayant abouti à un piteux échec et à la perte de Korcë et Gjirokastër.
Les annexions rallièrent certaines personnalités, mais la plus grande partie de la population restait hostile et un certain nombre d’actes de résistance se produisirent, ainsi, en mai 1941, l’attentat de Vasil Laçi contre Victor-Emmanuel III lors de son voyage en Albanie. À la fin de cette même année, des groupes armés se formaient dans les montagnes, encouragés par les exemples grec et yougoslave.
D’autre part, les différents groupes communistes albanais, lancés dans la résistance depuis l’attaque de l’U.R.S.S. par Hitler, mais isolés et parfois rivaux, s’unirent alors en un parti unique (8 nov. 1941) avec un comité central dirigé par Enver Hodja. Celui-ci organisa, avec des éléments non communistes, tel Abas Kupi, le Front de libération nationale (F.L.N.), créé lors de la conférence de Pezë (16 sept. 1942). Certains, jugeant le F.L.N. dominé par les communistes, formèrent le Front national (Balli kombëtar ) sous la direction du Midhat Frashëri, antizoguiste et antifasciste notoire. La pression de l’opinion publique après le débarquement allié en Italie et les efforts de la mission militaire anglaise auprès du Front national aboutirent à l’accord de Mukaj (2 août 1943) créant un Comité de salut public, composé de délégués des deux mouvements. Cet accord devait être dénoncé dès le mois suivant par le F.L.N. sous l’influence des représentants de Tito, Miladin Popovi face="EU Caron" カ et Dušan Mugoša. C’est sur ces entrefaites qu’Abas Kupi se sépara du F.L.N. et forma son propre mouvement Legaliteti composé d’éléments zoguistes.
Les mouvements de résistance avaient pu se développer largement au cours de cette période, occupant pratiquement tout le pays, à l’exception des villes et des plaines. Après la capitulation italienne (8 sept. 1943), les Allemands proclamèrent l’indépendance de la «Grande Albanie ethnique» afin de se concilier la population; mais ils menèrent une lutte acharnée contre les différents mouvements de résistance, lesquels, du reste, s’entre-déchiraient avec rage. Les attaques del’hiver de 1943-1944 causèrent de lourdes pertes aux maquisards, mais n’empêchèrent pas la création à Përmet (24 mai 1944) d’un Comité antifasciste de révolution nationale présidé par Enver Hodja. Celui-ci devenait en même temps commandant en chef de l’armée de libération nationale. Une nouvelle offensive, en juin 1944, devait également échouer. L’armée de libération nationale put alors, tout en poursuivant la liquidation de ses adversaires politiques, libérer l’ensemble du pays (Berat le 12 septembre, Tirana le 17 novembre, après une bataille de dix jours, Shkodër le 29 novembre). Pendant ce temps, au congrès de Berat, le Comité antifasciste de révolution nationale se transformait en gouvernement provisoire (20 oct. 1944), toujours sous la présidence d’Enver Hodja.
Ce gouvernement allait, au cours de l’année 1945, poursuivre la guerre jusqu’à la capitulation allemande, obtenir sa reconnaissance par les puissances étrangères dans les limites de 1913, entamer la reconstruction d’un pays saigné à blanc, affermir sa position par une épuration rigoureuse et préparer les élections à l’Assemblée constituante: celles-ci eurent lieu le 2 décembre 1945 et amenèrent 93 p. 100 des voix au «Front démocratique», dirigé par le Parti communiste dont l’histoire se confondit par la suite avec celle du pays.
3. L’Albanie depuis 1945
Dernier État européen à proclamer sa fidélité au modèle stalinien du «socialisme dans un seul pays», l’Albanie a fait, depuis 1945, le pari de l’isolement et de l’indépendance nationale au prix d’une série de crises internes et d’alliances idéologiques mouvementées. L’interruption de l’aide chinoise, en 1978, a mis en péril le modèle économique qu’elle s’était choisi alors que celui-ci était sur le point de se réaliser.
À partir de 1990, la nécessaire ouverture au monde a fait voler en éclats l’édifice du parti unique et la fiction d’un peuple prêt à tous les sacrifices pour sauver le dernier régime authentiquement marxiste-léniniste. Étudiants, intellectuels, cadres et employés des villes auront été le fer de lance de l’affrontement avec le pouvoir. Entre émigration et manifestations, la jeunesse albanaise a prouvé son refus d’une société autoritaire et coupée de l’Europe. Tout d’abord rétive à l’idée de changement et sensible à la propagande communiste sur le retour des grands propriétaires terriens en cas de libéralisation, la paysannerie a finalement décidé, en mars 1992, d’accomplir le saut dans l’inconnu et de rompre avec les fondateurs de l’État albanais d’après guerre.
Une stabilité politique chèrement conquise
Issu de la fusion de plusieurs tendances, le Parti du travail albanais a dominé la vie politique depuis les élections du 2 décembre 1945, jusqu’en 1992. Une nouvelle Constitution était adoptée en 1976, confirmant la suprématie de ce dernier et faisant de l’Albanie une «république populaire socialiste». Le pouvoir législatif était exercé par l’Assemblée populaire, élue pour quatre ans, et devant laquelle, en principe, le gouvernement, nommé et révoqué par elle, était responsable. Dans les faits, tout le pouvoir appartenait au parti, dirigé par un comité central d’une trentaine de membres, qui désignaient un bureau politique de sept membres. Les conseils populaires, dont le pouvoir a été renforcé en 1979, représentaient l’assemblée populaire à l’échelon du district, de la ville, du village ou du quartier. Diverses organisations de masse, syndicats, unions des jeunes travailleurs, de la jeunesse, des femmes, soutenaient et expliquaient l’action du parti, sans parler du quotidien Zëri i Popullit , organe central d’information.
La permanence à la direction du parti d’Enver Hodja, étudiant du lycée français de Korçë, formé au communisme en France dans l’orbite thorézienne, écrivain prolixe et polémiste ardent, conférait à la vie politique albanaise une image d’immuabilité, pourtant démentie par les crises internes successives qui ont marqué le déroulement de cette vie politique.
Au sortir de la guerre, le Comité antifasciste de libération nationale, constitué en gouvernement démocratique, s’est trouvé confronté à la difficile tâche d’unifier sous sa direction un pays qu’il avait libéré par les armes et, fait unique en Europe de l’Est, sans l’assistance directe de l’armée soviétique. La plupart des dirigeants étaient issus de l’ethnie tosque, implantée dans le centre et le sud du pays, et traditionnellement plus perméable aux influences étrangères. Il fallait faire accepter le nouveau régime aux montagnards guègues du Nord, vivant sous l’institution du fys , communauté pastorale et agraire, et rebelles à tout pouvoir central.
À peine consolidé, le nouveau pouvoir dut bientôt faire face à des dissensions internes engendrées par les visées de la Yougoslavie, alors principal allié de l’Albanie, à l’égard de cette dernière. Le tout-puissant ministre de l’Intérieur, Koçi Xoxe, défendait, au sein du parti, la coordination complète des économies des deux pays et l’élaboration d’un plan quinquennal d’exploitation des matières premières minérales et agricoles albanaises, dont le traitement serait effectué en Yougoslavie, en échange de biens manufacturés. L’expulsion de la Yougoslavie du bloc soviétique permit à Enver Hodja et à ses fidèles de procéder à une élimination progressive des éléments pro-titistes. Jugé à huis clos, Koçi Xoxe fut exécuté le 11 juin 1949. Mais les luttes internes et les épurations se poursuivirent jusqu’au début des années cinquante. Sur 31 membres du comité central de la période 1943-1948, 9 seulement restaient en fonction au moment de la mort de Staline. Dans cette atmosphère de crise, le Parti communiste albanais convoqua son premier congrès en novembre 1948. Il comptait alors 29 137 membres, soit 2,4 p. 100 de la population.
Une nouvelle crise devait affecter les instances du parti en 1960, lors de la détérioration des relations albano-soviétiques. Liri Belishova et d’autres membres du parti furent alors exclus pour leurs déclarations favorables à l’égard de Moscou. Ce schéma devait se reproduire en 1975, préludant à la rupture sino-albanaise de 1978. Dès juin 1973, Fadil Paçrami, responsable de la propagande du parti à Tirana, et Todi Lubonja, directeur de la radio-télévision, avaient été destitués pour n’avoir pas empêché la pénétration des idées de la jeunesse occidentale en Albanie. Conformément aux exigences de Pékin, Abdyl Kellezi, président de l’association Chine-Albanie et de la commission du plan, se montrait favorable à une ouverture relative de l’Albanie aux échanges internationaux de produits agricoles et industriels légers contre des biens d’équipement. Il envisageait, en retour, une redéfinition des responsabilités et une décentralisation des pouvoirs de décision économique.
Beqir Balluqu, ministre de la Défense, et Petrit Dume, chef d’état-major, défendirent, à leur retour de Pékin, un rapprochement militaire avec la Roumanie et la Yougoslavie, afin de compenser la faiblesse de l’armée albanaise en moyens offensifs. En 1975 et 1976, tous disparaissaient du gouvernement, ainsi que Kiço Ngjela, ministre du Commerce, et Koço Theodhosi, ministre de l’Industrie et des Mines. Ces purges touchèrent un tiers du gouvernement et un quart du bureau politique.
En 1979, Hysni Kapo, secrétaire du comité central, mourait dans un hôpital parisien des suites d’une grave maladie. Troisième personnalité du régime, il avait représenté l’Albanie dans les rencontres internationales décisives pour l’avenir politique de cette dernière, notamment lors de la rupture avec l’U.R.S.S. Sa mort constituait une grande perte pour Enver Hodja, à un moment particulièrement difficile de l’histoire albanaise. Durant cette période charnière où l’Albanie subissait le contrecoup de sa rupture avec la Chine et se trouvait confrontée à la nécessité urgente de redéfinir sa politique intérieure et extérieure en termes de réalisme et d’austérité, on a assez peu prêté attention à un certain nombre de modifications gouvernementales annonciatrices en fait d’une crise grave au sein de l’appareil d’État et du parti.
À la fin d’avril 1980, Mehmet Shehu, président du Conseil depuis 1954, laissait le portefeuille de la Défense, qu’il détenait depuis 1974, à son beau-frère, Kadri Hasbiu. Prokop Murra devenait ministre de l’Industrie et des Mines. Mehmet Shehu, qui avait, comme de coutume, présenté le rapport économique du VIIIe congrès en 1981, a brutalement disparu de la scène politique le 18 décembre de la même année. Le communiqué nécrologique, qui annonçait son «suicide dû à une dépression nerveuse», résumait sans éloges les hautes responsabilités auxquelles avait accédé cet homme énergique de soixante-huit ans, deuxième personnalité du régime, membre du bureau politique et successeur désigné d’Enver Hodja.
Onze mois plus tard, Enver Hodja publiait Les Titistes , ouvrage dans lequel il retraçait ses démêlés avec la direction yougoslave, notamment à propos du Kosovo, et dans lequel il présentait Mehmet Shehu comme un espion de la première heure, travaillant pour le compte des services secrets américains, soviétiques et yougoslaves, et ayant reçu l’ordre d’assassiner le premier secrétaire et d’autres dirigeants du parti et de l’État. Cette disparition a été suivie d’un important remaniement ministériel au terme duquel trois seulement des ministres en poste en 1981 ont été maintenus dans leurs fonctions.
La plupart des ministres promus dans les secteurs clés de l’industrie et des mines, de la commission du plan, du commerce avaient une formation d’économistes, y compris Prokop Murra, qui, sans avoir de passé militaire marquant, s’est retrouvé ministre de la Défense. Bien que le thème de l’«ennemi de l’intérieur» ait été évoqué dans plusieurs circonstances officielles, ce remaniement fut officiellement présenté comme l’application du principe «de la rotation des cadres» en vue d’un rajeunissement général, plutôt qu’une épuration liée à l’affaire Shehu. Plusieurs personnalités écartées du pouvoir auraient été exécutées en 1983: Kadri Hasbiu, ministre de la Défense, Feçor Shehu, ministre de l’Intérieur, Llambi Zicishti, ministre de la Santé. Nesti Nase, ministre des Affaires étrangères, et l’épouse de Mehmet Shehu étaient condamnés à une peine de vingt-cinq ans de prison; deux des fils Shehu ont été incarcérés.
Les tendances persistantes à fustiger l’«ennemi de l’intérieur» et les appels réitérés à la loyauté de l’armée laissent penser que les luttes de tendances se sont prolongées jusqu’en 1985.
Cette même année, Enver Hodja s’éteignait le 11 avril, «à la suite d’importantes lésions du système collatéral périphérique du cœur et des reins». Son successeur, Ramiz Alia, bénéficiait du soutien actif de Nehmixe Hodja, veuve du dirigeant disparu.
Né en 1925, colonel de l’Armée de libération à dix-neuf ans, il faisait partie du comité central depuis l’après-guerre. Il en était devenu secrétaire en 1956, après avoir été ministre de la Culture. Devenu membre du Bureau politique en 1961, Ramiz Alia ne connut sa véritable ascension politique que vingt ans plus tard, lorsque Hodja le désigna comme son successeur. Dès 1983, on assistait en effet à une véritable campagne de valorisation du personnage dans la construction du socialisme albanais. De nombreuses photos le montraient aux côtés d’Enver Hodja lors de manifestations officielles. Fidèle au principe selon lequel l’histoire ne saurait faire l’économie de réécritures, un ouvrage posthume d’Enver Hodja intitulé Les Superpuissances met en scène le rôle de confident et de conseiller si souvent joué par Ramiz... rôle en d’autres temps dévolu à Hysni Kapo ou à Mehmet Shehu;... Ramiz Alia se présente lui-même comme «disciple et continuateur fidèle du camarade Enver». Toutefois, à l’abri de la référence, on notait déjà une sensible modification de style dans la direction des affaires du pays.
Les articles consacrés à l’économie contenaient une part d’autocritique inconnue jusqu’alors, l’influence de la crise internationale sur l’Albanie était enfin admise, les méfaits d’un centralisme excessif et le manque d’initiative des cadres à l’échelon régional étaient dénoncés... Cette perestroïka à l’albanaise ne cédait toutefois en rien du terrain sur le plan idéologique: le cumul État-parti se trouvait conforté par les nominations ministérielles effectuées en 1987.
En février 1987, l’élection d’une nouvelle Assemblée populaire a toutefois permis l’émergence de 97 nouveaux députés sur 250, la plupart jeunes et bénéficiant d’une expérience économique, à l’instar de la nouvelle équipe ministérielle.
Auprès de Ramiz Alia, deux hommes forts: Foto Cami, secrétaire du comité central, et Hekuran Isai, qui cumulait les fonctions de membre du bureau politique, de vice-Premier ministre et de ministre de l’Intérieur.
La douloureuse obligation du multipartisme
Malgré le nouveau contexte qui prévalait en Europe centrale et orientale depuis 1989, le pouvoir albanais a retardé tant qu’il l’a pu l’abrogation du monopole du Parti communiste. Le nouveau gouvernement avait pourtant omis, le 5 mars 1988, de célébrer le trente-cinquième anniversaire de la mort de Staline. Mais Tirana maintenait ostensiblement ses distances avec Moscou, estimant que Mikhaïl Gorbatchev suivait «la même voie révisionniste antimarxiste que Khrouchtchev».
Il aura fallu les événements roumains, les exodes massifs de juillet 1990, la montée de la pression internationale et la révolte des étudiants de Tirana pour que, le 11 décembre 1990, le multipartisme soit enfin instauré, au terme d’une réunion houleuse du Bureau politique au cours de laquelle cinq membres sur treize furent limogés.
Quatre partis étaient alors créés: le Parti démocratique, fondé le 20 décembre par le charismatique Sali Berisha, le Parti républicain, le Parti agraire proche des communistes et le Parti écologique ainsi que des formations nouvelles, Forum des droits civiques, Front de la jeunesse, Union des syndicats indépendants, Omonia (représentant la minorité grecque). Le 20 décembre, Nexmije Hodja, veuve d’Enver Hodja incarnant l’aile dure des conservateurs, quittait la présidence du Front démocratique. Le 26 décembre était abrogé l’article de la Constitution attribuant au Parti du travail le monopole de la direction de l’État. Le gouvernement prétendait encore garder l’initiative d’un processus de démocratisation que Ramiz Alia n’hésitait pas à qualifier d’«irréversible». Grâce à un appui massif des campagnes, le Parti du travail remportait les premières élections pluralistes avec 65 p. 100 des voix. Toutefois, Ramiz Alia était battu dans la circonscription 208 de Tirana. Le 10 avril 1991, la république populaire socialiste d’Albanie devenait république d’Albanie.
La pression de la rue et la convergence des mécontentements obligeaient bientôt Fatos Nano, le Premier ministre, à démissionner, et un gouvernement dit de «stabilisation nationale» était constitué le 11 juin 1991. Sept de ses douze membres appartenaient au Parti démocratique, et Gramosh Pashko, numéro 2 de ce parti, devenait ministre de l’Économie et vice-Premier ministre. Le Parti du travail devenait Parti socialiste le 12 juin 1991. Dans un climat de dégradation économique et sociale, les membres du Parti démocratique siégeant au gouvernement formulaient une série de conditions pour y rester: la réhabilitation des morts des émeutes de Shkodra du printemps de 1991, l’inculpation pour détournement de biens sociaux de plusieurs anciens hauts dignitaires du régime – ce qui sera fait uniquement pour Nexmije Hodja, Manush Mufti et Hekuran Isai –, l’organisation d’élections au début de 1992. La non-prise en compte immédiate de ces demandes entraînait, le 4 décembre, la démission des sept ministres sous la pression de Sali Berisha. Ce coup de poker politique permettait au Parti démocratique de prendre ses distances avec une politique clairement vouée à l’échec.
Le Parti démocratique obtenait la majorité absolue, soit 62,29 p. 100 des suffrages au premier tour des élections du 22 mars 1992. Désigné président de la République albanaise après le second tour de vote le 29 mars 1992 et la démission de Ramiz Alia le 3 avril, Sali Berisha, cardiologue de quarante-sept ans, était élu dans sa circonscription de Kavaje avec 97,5 p. 100 des voix. Issu d’une famille de paysans du Nord à Tropoja, Sali Berisha a été membre du Parti du travail sans jamais y assumer des responsabilités de premier plan. Expert de l’Organisation mondiale de la santé, parlant couramment l’anglais, l’italien et le russe, il a eu le rare privilège de voyager à l’étranger. Considéré comme proche des Américains, il s’efforce de donner des gages vis-à-vis de l’Europe. Proposé en avril 1992 par le Premier ministre Alexander Meksi et approuvé par Sali Berisha, le premier gouvernement albanais non communiste depuis 1945 comprenait dix-huit membres, dont seulement quatre personnalités extérieures au Parti démocratique.
Rapidement victime de ses divisions — éviction en août 1992 de l’économiste Gramoz Pashko qui, à la fin de 1992, crée l’Alternative démocratique —, ce gouvernement n’est pas parvenu à convaincre. Lors des élections locales du 24 juillet et du 2 août 1992, le Parti du travail, très implanté dans les régions, a recueilli 43,16 p. 100 des voix, contre 41,32 p. 100 au Parti démocratique. Un nouveau gouvernement a été formé le 6 avril 1993, marquant une relative stabilité, si ce n’est pour l’Éducation (Xhazair Teliti, indépendant, y remplace Ylii Vejsiu du Parti démocratique) et l’Agriculture désormais confiée à Petrit Kalakula en remplacement de Rexhep Uka, réputé trop favorable aux anciens propriétaires terriens qui ont pesé de tout leur poids pour faire amender à leur bénéfice la loi de 1991 sur la privatisation des terres. Un nouveau portefeuille a été créé: l’Administration locale. Par ailleurs, l’État a créé en 1992 huit nouveaux districts.
Le pouvoir politique face à la société albanaise
Malgré les nombreuses invasions, le peuple albanais a conservé son unité; 96 p. 100 de la population est d’origine albanaise et 4 p. 100 d’origine grecque ou slave. Plus d’un million d’Albanais vivent à l’étranger: en Sicile, en Grèce, en Yougoslavie, aux États-Unis notamment. Confronté à une société fortement marquée par les coutumes patriarcales et les traditions religieuses, le régime a eu à lutter tantôt avec violence, tantôt avec souplesse contre les préjugés. La campagne d’alphabétisation a été menée avec vigueur. La mise en place d’un réseau sanitaire, la promotion de la femme, la scolarisation obligatoire firent partie des premières mesures promulguées par le nouveau régime. La lutte contre la religion fut de stratégie variable mais autoritaire. Le pays comptait environ 11 p. 100 d’orthodoxes appartenant à une Église autocéphale dont les rapports avec le régime n’ont jamais été bons. Les catholiques romains (19 p. 100), regroupés dans le nord du pays, ont été persécutés.
L’islam comptait 70 p. 100 de la population parmi ses adeptes. La plupart étaient des sunnites, mais Tirana était devenue depuis 1922 le siège de la secte des Bektachis, qui, pour un temps, furent en assez bons termes avec le régime. La lutte antireligieuse reprit une grande vigueur en 1966, dans le cadre de la «révolution culturelle» albanaise. 2 169 églises et mosquées furent fermées à cette époque.
L’université de Tirana fut fondée en 1957 et le système scolaire organisé sur le modèle soviétique. Il fut refondu en 1967, donnant dans les enseignements une part au travail productif et valorisant le travail manuel. L’Albanie comptait, en 1982, 750 000 élèves et étudiants sur 2 675 000 habitants.
Le parti comprenait alors 122 600 membres, soit 4,5 p. 100 de la population.
La population est restée essentiellement rurale: 66,5 p. 100 des Albanais vivaient à la campagne en 1979, contre 33,5 p. 100 de citadins. L’industrialisation a provoqué le développement rapide de six villes comptant actuellement plus de 40 000 habitants: Tirana, la capitale, avec 210 000 habitants, Durrës, principal port albanais, qui en compte plus de 60 000, Shkodër, important centre industriel du Nord (70 000 hab.), Elbasan, dont la population a considérablement augmenté avec la construction ducomplexe sidérurgique, Vlora, port spécialisé dans les exportations de pétrole et de bitume et où se trouvent des conserveries, Korcë, traditionnel centre commercial devenu également un centre industriel et agricole.
En 1938, 95 p. 100 des femmes étaient analphabètes. En 1982, 44 p. 100 des cadres moyens et supérieurs se recrutaient parmi elles. Par ailleurs, le régime, tenant d’une politique résolument nataliste (avec 2,57 p. 100 d’accroissement annuel, l’Albanie a le taux de natalité le plus élevé d’Europe), a mis en place de nombreux services sociaux et médicaux gratuits. Cependant, beaucoup de femmes subissent encore le poids des traditions patriarcales au sein de la famille. Cette question avait fait l’objet d’une vaste campagne lors de la «révolutionnarisation» de 1967. La promulgation en septembre 1982 d’un nouveau Code de la famille et la parution de nombreux articles remettaient ce thème à l’ordre du jour: la persistance de nombreux mariages arrangés et de l’endogamie est dénoncée, ainsi que le manque de participation des hommes aux travaux domestiques; autant de difficultés épineuses dans un pays où la seule volonté des conjoints ne suffisait pas pour que soit consenti un divorce, considéré comme la solution extrême des conflits conjugaux.
La marge restait étroite pour le gouvernement albanais face à une population de 3 080 000 habitants en 1987, aux deux tiers rurale et la plus jeune d’Europe.
Il fallait aussi éviter les débordements qu’avait occasionnés lors de la révolution culturelle l’appel à une mobilisation des jeunes contre les préjugés religieux et patriarcaux, et l’institution des «feuilles foudre» permettant toutes sortes de critiques. Cette effervescence s’était soldée par la destitution des dirigeants de l’Union de la jeunesse, en 1973, accusés d’avoir soutenu des revendications erronées. Le nouveau Code pénal, promulgué en 1980, et un nouveau Code du travail, promulgué en 1981, témoignaient d’un certain durcissement des autorités dans leurs appels au respect de la discipline socialiste. Le Code pénal qualifiait sans ambiguïtés la «législation pénale de la République populaire socialiste d’Albanie» d’«expression de la volonté de la classe ouvrière et des autres masses travailleuses» et d’«arme puissante de la dictature du prolétariat dans la lutte des classes», en rejetant toute possible notion de justice impartiale.
Selon l’article 55 étaient passibles de peines de prison de trois à dix ans les personnes ayant critiqué la situation économique et politique du pays, même en privé, celles ayant entretenu des contacts avec des touristes étrangers, possédant des livres ou des œuvres d’art officiellement réprouvés et écoutant des radios ou télévisions étrangères. En Albanie, «premier État athée du monde» depuis 1967, une centaine de religieux et de religieuses seraient morts en prison en 1981 selon une déclaration du Vatican. Deux prêtres auraient été exécutés pour avoir baptisé des enfants en 1980 et 1986. L’article 47 punissait également de mort ou de dix ans de prison au moins le délit de «fuite hors du pays».
À l’encontre des familles des accusés, on pratiquait l’internement administratif sans inculpation ni jugement (aux termes du décret du 6 juin 1979), la plupart du temps dans des fermes collectives loin de leur domicile, pour y participer à la mise en valeur des terres nouvelles. Ce fut le cas, semble-t-il, de la famille Popa, réfugiée depuis 1985 dans les locaux de l’ambassade d’Italie à Tirana.
En 1967, les avocats ont été remplacés par des «bureaux d’assistance juridique» rattachés aux tribunaux populaires de district et placés sous la juridiction de la Cour suprême. Le prévenu ne pouvait citer des témoins à décharge ni voir sa famille le temps de l’instruction.
En 1985, 2 500 prisonniers se trouvaient dans les camps de travail de Spac et Ballsh, travaillant à l’extraction des pyrites dans les mines de cuivre. Le camp de Spac a été troublé par des émeutes en 1973 et 1978. Après les amnisties de 1957, 1959, 1962 et 1982, celle du 13 janvier 1986 s’est appliquée aux prisonniers condamnés à des peines de moins de six ans pour «agitation et propagande antiétatique ou fuite hors du pays», aux femmes purgeant des peines de moins de vingt ans et aux détenus politiques de moins de dix-huit ans. Quant aux autres, ils bénéficiaient d’un raccourcissement de peine.
Le Code du travail insistait sur la nécessité de la discipline prolétarienne, faisant écho aux nombreux articles parus dans la presse et dénonçant l’absentéisme, le laxisme dans les contrôles, l’attribution de postes de travail au mépris des compétences et des aptitudes physiques de chacun, etc. En 1987, la discipline s’était durcie dans les unités industrielles qui utilisaient du matériel importé. Des cas de détournement de la propriété socialiste étaient enfin dénoncés, et on notait l’introduction des stimulants matériels cette même année.
Par ailleurs, un nouvel article était ajouté, qui garantissait la mobilité de la main-d’œuvre et répondait aux préoccupations du régime de fixer dans les prochaines années les deux tiers de la population à la campagne: «L’État garantit aux citoyens le travail là où l’exigent les besoins du développement économique et culturel du pays» (art. 8).
Outre le temps de travail légal prévu par le Code (huit heures par jour), les citoyens albanais étaient appelés à participer à de nombreux travaux volontaires, moyen pour le régime de compenser le caractère extensif de la production et de maintenir l’«enthousiasme prolétarien». Cette capacité de mobilisation était d’ailleurs remarquable, comme on a pu le constater lors du tremblement de terre d’avril 1979, dans la région de Shkodër: 25 000 volontaires ont réparé en cinq mois près de 15 000 maisons et ouvrages et en ont reconstruit 2 441. Depuis 1985, ce sont 6 000 jeunes qui auraient participé aux divers travaux prioritaires pour le pays: voie ferrée Milot-Klos-Rreshen, déterminante pour l’acheminement du chrome vers les ports du pays, plantation d’oliveraies, adduction d’eau, défrichage, bonification et irrigation.
Restait le problème de la qualification, crucial pour une amélioration de la productivité, et à propos duquel, malgré les aménagements prévus dans le Code pour suivre des cours du soir, l’État était loin d’investir à la hauteur des besoins.
Exode et manifestations de rue
Logements exigus abritant trois générations par famille, congés réduits à deux semaines par an, impossibilité de se déplacer à l’intérieur du pays et à l’étranger, interdiction des voitures particulières, quadrillage systématique de la vie sociale, incitations à la délation: la vie quotidienne albanaise n’avait pas de quoi tenter durablement une population jeune à plus de 60 p. 100, en particulier dans les villes. De plus, les problèmes d’approvisionnement en produits laitiers et le rationnement de la viande, signalés dès 1986, devaient s’aggraver jusqu’à une pénurie générale en 1990.
Malgré les interdictions et les dénonciations, la R.A.I. ainsi que les télévisions grecque et yougoslave devenaient, dès 1988, des sources régulières d’information. Si l’exécution de deux leaders roumains ébranlait, en décembre 1989, la certitude du gouvernement dans son inexorable «stabilité», il marqua profondément la population albanaise. Soumis à la pression internationale, Ramiz Alia multipliait les concessions: autorisation donnée aux frères Popaj dequitter l’Albanie le 23 avril, création d’un ministère de la Justice en 1990, assouplissement du Code pénal – la fuite illégale hors du pays et la propagande religieuse ne sont plus passibles de la peine de mort –, promesse de délivrer des passeports pour les Albanais désirant voyager à l’étranger, etc. Du 11 au 13 mai 1990, Perez de Cuellar, secrétaire général des Nations unies, était reçu à Tirana.
Le 2 juin 1990, l’Assemblée nationale décidait la libre circulation de ressortissants albanais. Après une manifestation violemment réprimée à Tirana le 2 juillet, 5 000 personnes demandaient l’asile aux ambassades occidentales. Ces candidats à l’exil, jeunes chômeurs pour la plupart, rêvaient d’un pays de cocagne magnifié par les médias de l’Ouest. Contraint de délivrer les visas, le gouvernement albanais glissait parmi les partants quelques provocateurs qui devaient discréditer une communauté albanaise hétérogène et en état de choc à son arrivée dans les pays occidentaux.
Le 25 octobre 1990, dénonçant les faux-semblants du régime, Ismaïl Kadaré demandait l’asile politique à la France.
Avec la complicité de la radiotélévision toujours aux mains des communistes, le gouvernement s’efforçait de minimiser l’ampleur de l’épreuve de force engagée le 8 décembre par les étudiants de Tirana avec le pouvoir. La répression des émeutes de Shkodër provoquait la mort d’Arben Broci, jeune responsable du Parti démocratique.
Le 11 janvier 1991, les mineurs de la grande mine de charbon de Valias entamaient une grève de la faim.
Le gouvernement annonçait alors une amnistie générale et la libération de 202 prisonniers politiques. Certaines mosquées et églises étaient réouvertes, et mère Teresa, d’origine albanaise, était accueillie officiellement à Tirana et à Shkodër. Les véhicules privés étaient autorisés.
Après les nouveaux exodes de décembre 1990 et de février 1991, le 8 août 1991, 15 500 personnes s’embarquaient à bord du cargo Vlora . Moyennant un pécule de 50 000 lires (250 francs), la plupart acceptaient finalement de rentrer. Mais 700 déserteurs de la police ou de l’armée étaient remis par les autorités italiennes à la police secrète albanaise. À la fin de 1991, la vie quotidienne devenait presque impossible: pénurie de tous les produits de première nécessité, sauf au marché noir à des prix inabordables pour les Albanais. L’aide d’urgence envoyée par plusieurs pays européens était interceptée par la contrebande.
Dans ce climat de dégradation économique et sociale, le gouvernement communiste aura mené jusqu’au bout un double jeu, lâchant des réformes à contretemps et s’efforçant d’entraver le processus démocratique en s’appuyant sur sa police secrète, la Sigurimi, prétendument reconvertie dans des tâches d’information: désinformation, écoutes téléphoniques, intimidation, organisation de contre-meetings «spontanés» durant la campagne électorale du Parti démocratique, incitations à des actes de pillage au risque de provoquer une guerre civile, autant de procédés qui illustrent l’impossibilité mentale du régime communiste albanais à s’adapter à la nouvelle situation politique et sa dérive suicidaire.
Pourtant, les dirigeants albanais ont dû capituler, y compris en ce qui concerne les symboles de l’orthodoxie stalinienne: déboulonnage des statues de Staline dans les principales villes du pays, mais aussi de celles d’Enver Hodja en février 1991, capitulation amère devant les étudiants de Tirana, exigeant que l’université Enver-Hoxha soit débaptisée, et, au terme d’une grève de quarante jours de son personnel, annonce le 10 décembre 1991 par la radiotélévision de la fin du monopole communiste sur cetorganisme, naissance de nouveaux journaux comme Rilindja demokratike , proche du Parti démocratique. Les relations entre la presse et le gouvernement constitué en 1992 restent toutefois très tendues.
Le 5 septembre 1992, le gouvernement a créé un fonds spécial d’aide aux anciens prisonniers politiques, financé par les entreprises, initiative jugée tardive et insuffisante par les intéressés. En 1993, plusieurs personnalités de l’ancien régime, dont la veuve d’Enver Hodja et Kino Buxhali, ont été condamnées à de lourdes peines de prison. Fatos Nano, président du Parti socialiste, était accusé la même année d’avoir détourné en 1991 l’aide alimentaire fournie par l’Italie. Le 20 août, l’ancien président de la République, Ramiz Alia, était arrêté. Enfin, chaleureusement accueilli à Shkodër le 25 avril 1993, le pape Jean-Paul II a procédé à la nomination de deux évêques albanais, dans cette ville où catholiques et musulmans ont reconstruit ensemble la grande mosquée, symbole de la première religion du pays. Malgré de nouvelles épreuves de force entre candidats au départ et policiers à Vlorë et Tirana en 1993, le gouvernement a reconnu l’apport des immigrés albanais à la communauté albanaise, estimé à 400 millions de dollars par an, soit plus de quatre fois le montant des exportations albanaises. Ces immigrés seraient au nombre de 250 000, dont 150 000 en Grèce. Seuls 1 070 feraient l’objet d’accords interétatiques avec l’Allemagne, la Croatie, l’Italie, l’Autriche et la Suisse.
L’évolution économique: progrès et incertitudes
L’agriculture: d’une collectivisation lente à une étatisation totale (1945-1985)
Il aura fallu vingt-deux ans à l’Albanie, de 1945 à 1967, pour parvenir à une collectivisation totale de l’agriculture. Face à la diversité du monde paysan, métayers pauvres des plaines et cultivateurs ou bergers libres des montagnes, le régime albanais entreprit une réforme prudente qui eut dans un premier temps pour effet de renforcer la petite propriété. Le 30 août 1945, le gouvernement partagea les terres et, en 1947, le seuil de la propriété individuelle fut fixé à 6 hectares. De 1945 à 1955, d’autres coopératives et des fermes d’État furent créées sur les terres les plus fertiles.
La décision prise au IIIe congrès, en 1956, d’accélérer la collectivisation rencontra quelques résistances – des abattages massifs de bétail notamment; mais 72 p. 100 des exploitations appartenaient en 1960 au secteur collectif, et le rationnement était supprimé. La part du lopin privé passait à 0,3 ha, et chaque foyer pouvait garder, en cheptel privé, une vache et dix brebis ou chèvres.
Pour faire face aux besoins alimentaires d’une population qui avait doublé en vingt-deux ans, il fallait augmenter la superficie en terres cultivables. L’Albanie s’inspira de la Chine pour adopter le système de culture en terrasses jusqu’à 1 200 mètres d’altitude. Les énergies volontaires furent également mobilisées pour aménager 3 000 kilomètres de canaux.
En 1971, lors du VIe congrès, le parti décidait la création de coopératives de type supérieur regroupant plusieurs exploitations en des unités de 2 000 à 3 000 hectares, ce qui permit une meilleure répartition du matériel et des moyens de production. Comme ceux des fermes d’État, les travailleurs des coopératives de type supérieur touchaient 90 p. 100 de leur revenu en salaire fixe. Les forts rendements qu’on y constatait étaient liés aux investissements de l’État, qui restait propriétaire du matériel, à la qualité des terres, aux ressources en eau. En 1981, l’État décidait la suppression des marchés libres où les paysans vendaient les excédentsde leur lopin privé, réduit à 0,1 ha. Parallèlement, il procédait au regroupement du bétail privé. Ces mesures répondaient à des nécessités économiques – rationaliser la production – et politiques – éliminer dans les campagnes les dernières séquelles de «microbourgeoisisme» et mobiliser toutes les forces individuelles au service du développement collectif.
Deux objectifs principaux étaient assignés au développement agricole: d’une part une augmentation de la productivité en vue de l’exportation et pour satisfaire les besoins alimentaires, d’autre part la mise sur pied d’une agriculture moderne de type intensif qui recoupait la double préoccupation d’élargir la sphère d’intervention de l’État et de rompre avec les méthodes culturales artisanales et surtout avec une tradition de l’élevage extensif encore très pratiqué en montagne. La mécanisation de l’agriculture était vivement souhaitée. Il s’agissait de trouver un équilibre entre l’emploi d’une main-d’œuvre nombreuse (59 p. 100 de la population), l’utilisation du petit matériel traditionnel et de nouvelles machines.
Le paysage agricole était remodelé en fonction de la priorité donnée à l’exportation: tabac, fruits, agrumes, coton. Les céréales régressaient au profit des cultures industrielles. La transformation des coopératives en fermes d’État a connu un nouvel élan en 1987 et 1988.
L’abandon forcé du credo étatique (1986-1992)
Les tentatives de collectivisation totale ont provoqué un boycottage de la part des coopérateurs qui assuraient 70 p. 100 de l’approvisionnement en viande, œufs et produits laitiers. Dès 1986, la gravité des pénuries a conduit à la réhabilitation du cheptel et du lopin privés. La production des grands complexes d’élevage dont on attendait tant en 1982 se trouvait désormais réservée à l’approvisionnement des villes et à l’exportation, ce qui ne manquait pas d’accroître les pénuries existantes. Les coopérateurs étaient autorisés à revendre le surplus de leur production à la coopérative ou à l’État.
Selon les directives du huitième plan, 60 p. 100 de la population devaient rester dans l’agriculture jusqu’à 1990. En 1988, la construction prévue d’aqueducs pour approvisionner en eau potable 1 200 villages permettait d’imaginer les conditions de vie à la campagne.
En 1993, selon la commission gouvernementale chargée de la mise en œuvre de la loi du 19 juillet 1991 sur la privatisation des terres, 431 000 hectares avaient été répartis entre 293 000 familles, impliquant 2 300 villages sur 2 750 (la taille des parcelles est de 1,5 à 2 hectares). Malgré l’autorisation d’un marché libre depuis 1990, l’exode rural a fait augmenter la population de Tirana de 10 p. 100 en deux ans. Près de la moitié des terres n’ont pas été ensemencées en 1993. Dans l’anarchie de la réforme, des exportations de bétail sur pied ont été organisées illicitement par des intermédiaires véreux. L’État a pourtant annulé la dette des coopérativistes agricoles, d’un montant estimé à 1 947 millions de lekë. Mais, sous la pression des anciens propriétaires terriens, il a dû mettre en place un système de compensation en leur faveur. Après le principe de l’octroi par le Fonds monétaire international d’un crédit d’ajustement structurel de quelque 20 millions de dollars, l’Albanie, dont la dette extérieure est d’environ 700 millions de dollars, a libéralisé les prix qui ont été multipliés par 5 ou 6, sauf ceux de l’électricité, du pain et du sel. La loi du 15 janvier 1993 prévoit de faciliter le rachat par les locataires de leur logement et de ne pas imposer les salaires inférieurs à 4 000 lekë. Le commerce extérieur a également été libéralisé à compter du 1er juillet 1992. Pour neutraliser le marché noir, la valeur du lekest passée de 50 à 110 pour un dollar. Le taux d’inflation était de 400 p. 100 en 1992; sa réduction était une priorité pour 1993.
Le développement industriel
La période des alliances (1945-1978)
Au sortir de la Seconde Guerre mondiale, l’industrie albanaise – secteur minier et industrie alimentaire développés sous l’occupation italienne – fournissait 9,8 p. 100 de la production économique. En 1950, la production avait quadruplé grâce à la construction d’unités importantes: centrale hydroélectrique Lénine, usine de textile Staline, fabrique de sucre du 3-Novembre.
Lors du premier plan quinquennal (1951-1955), l’extraction de chrome et de bitume, ainsi que les industries minières, mécaniques, électriques et de matériaux de construction se développèrent. Le deuxième plan quinquennal (1956-1960) mit l’accent sur la production de chrome, de charbon, sur l’exploitation pétrolière et le raffinage, et sur l’industrie alimentaire. On attendait du troisième plan quinquennal (1961-1965) la création d’industries de transformation des minerais et les premières industries chimiques. Mais ce plan fut compromis par la rupture avec Moscou. L’aide chinoise permit à l’Albanie de s’engager dans le développement de l’industrie lourde de transformation. Durant le quatrième plan quinquennal, le taux de croissance industriel fut de 14 p. 100. L’achèvement avant terme, le 25 octobre 1970, de toute l’électrification du pays constitua, sans aucun doute, l’un des résultats les plus spectaculaires de ce plan. Durant le cinquième plan (1971-1976), la construction du combinat sidérurgique d’Elbasan et de la grande raffinerie de Ballsh fut entreprise. Mais la croissance industrielle connut un certain ralentissement, notamment dans l’industrie extractive. On attendait du sixième plan qu’il dote enfin l’Albanie d’une industrie lourde autorisant une réduction des importations de biens d’équipement et l’exportation de produits finis ou semi-finis.
L’Albanie face aux réalités économiques du marché mondial (1978-1993)
Après trois années de croissance ralentie, 1979 était considérée comme la «meilleure année» du sixième plan, marqué par la rupture de l’aide chinoise. L’Albanie occupait alors le troisième rang mondial pour la production de chrome et le deuxième pour l’exportation de ce dernier. La construction de l’usine du Mat permettait l’exportation d’un nouveau produit, le ferrochrome. Une usine de fonte était inaugurée à Laç, ainsi que deux nouvelles unités d’enrichissement du cuivre. L’achèvement de la première phase du combinat d’Elbasan permettait d’augmenter la production de fonte, d’acier et d’acides aminés et celle de pièces de rechange pour l’industrie lourde. En 1981, l’Albanie entamait son premier plan «sans aides ni crédits extérieurs». Le gouvernement entendait accroître les possibilités d’exportation en mettant l’accent sur le cuivre, le chrome, le ferronickel et les produits énergétiques.
Malgré un taux d’investissement annuel élevé de 1981 à 1985 (4,2 p. 100 par an), l’industrie albanaise se trouvait en difficulté dès 1983: multiplication de chantiers au coût sous-estimé, difficulté des industries de construction mécanique à suivre le rythme desdits chantiers, obsolescence du parc de machines – la plupart soviétiques, datant des années 1950, les plus récentes, chinoises, remontant aux années 1970.
L’économie est entrée en récession à partir de 1989. La production de chrome a chuté de 1,6 million de tonnes en 1986 à 420 000 tonnes en 1992. Celle du complexe sidérurgique d’Elbasan est passée de 112 000 tonnes d’acier en 1989 à 16 000 tonnes en 1991, menaçant ainsil’emploi de 11 000 personnes. La raffinerie de Ballsh et la mine de cuivre de Bulqize ont connu, à la fin de 1992, plus d’un mois de grève. L’aide économique internationale à l’Albanie qui se montait en 1993 à 880 millions de dollars, dont 84 p. 100 fournis par l’Union européenne, avait été réaménagée en juillet 1992 selon les six priorités proposées par le gouvernement albanais: les livraisons gratuites de produits alimentaires, de matières premières et de pièces détachées, le soutien à la mise en place d’un secteur de protection sociale pour 42 p. 100 de la population, le soutien à la restructuration de certaines industries, l’aide à l’amélioration de la gestion, l’investissement dans la modernisation des infrastructures, la coordination des différentes aides jusque-là beaucoup trop dispersées. Les activités devraient reprendre dans le textile, l’agro-alimentaire, le tabac. Le secteur du bois reste sinistré avec 40 p. 100 d’effectifs licenciés. En 1993, l’État a renoncé à payer 80 p. 100 du salaire des ouvriers victimes du chômage technique et décidé de leur verser une indemnité de chômage mensuelle dérisoire de 650 lekë. Le chômage des actifs serait de 12 à 28 p. 100.
Conduite par l’Agence nationale de privatisation créée en 1991, la transformation des grandes entreprises en unités privées exige des concours étrangers. La compagnie Albpétrol, qui détient les sites de prospection pétrolière, a été mise aux enchères à l’exception de 22 p. 100 des actions. La privatisation de la production du chrome doit être conduite avec la Banque européenne pour la reconstruction et le développement. On dénombrait, en 1993, 146 sociétés à capital mixte plus ou moins fiables, mises en place suivant la loi de 1990 sur les investissements étrangers, Italiens et Grecs étant les premiers partenaires.
Évolution du commerce extérieur
Une diversification des échanges «sur une base de stricte réciprocité» (1978-1989)
Dès 1978, l’Albanie entretenait des relations commerciales avec une cinquantaine de pays. La création, en 1977, d’un ministère du Commerce extérieur avait marqué un tournant de sa politique commerciale. À cette époque, la Chine était son premier client et son premier fournisseur. Les autres pays socialistes – à l’exception de l’U.R.S.S. – arrivaient en deuxième position, pour 30 p. 100 des échanges. L’Albanie leur vendait du tabac, des textiles, des plantes médicinales, en échange de machines, de biens d’équipement et de produits chimiques. Dès 1979, soucieuse de diversifier ses échanges et désireuse d’acquérir de la technologie et des biens d’équipement, elle tournait ses regards vers l’Occident et signait des accords commerciaux, dans le cadre d’une stricte réciprocité bilatérale puisque sa Constitution lui interdisait tout recours à des emprunts ou crédits extérieurs.
En 1988, le commerce extérieur albanais était réalisé à 40 p. 100 avec les pays du C.A.E.M. (U.R.S.S. exclue), en particulier la Tchécoslovaquie, à 40 p. 100 avec des partenaires occidentaux et à 15 p. 100 avec la Yougoslavie.
En 1986, l’Albanie a procédé au réaménagement de son commerce extérieur. La liste des produits proposés dans le cadre des accords de compensation a été agrandie. Une réorganisation des centrales de commerce extérieur est intervenue. Ainsi a été créée Albkoop, chargée de l’achat et de la vente de produits de consommation courante, nouveauté qui symbolise la volonté des dirigeants albanais d’accorder plus d’attention aux besoins voire aux désirs des consommateurs albanais.
En termes d’exportation, le chrome restait la principale monnaie d’échange, avec le pétrole et le gaz. Deux tiers étaient exportésà l’état brut vers la Suède, la R.F.A., la Yougoslavie, les États-Unis via un pays tiers et certains pays est-européens.
Malgré la polémique au sujet du Kosovo, la Yougoslavie restait le premier partenaire commercial de l’Albanie; la ligne de chemin de fer Tirana-Shkodër a finalement été inaugurée en août 1986, et un protocole commercial a été mis en place pour les années 1986-1990.
Des signes de désenclavement progressif apparurent: la réouverture du poste-frontière de Kakavia avec la Grèce, la mise en place d’une ligne aérienne régulière Zurich-Tirana depuis 1986, un service de ferry-boat inauguré entre Dürres et Trieste en 1983.
Un accord commercial avait été signé avec la Turquie en décembre 1986. Une série d’accords concernant les échanges touristiques, les transports et la navigation maritime lui ont fait suite en 1987. Un office de tourisme albanais s’est ouvert à Istanbul. Quant à la France, après le contrat signé pour l’équipement d’une partie de la centrale hydroélectrique de Komani, des accords sont intervenus avec Bull pour l’installation d’un centre informatique à Tirana et avec Thomson Alcatel pour la vente d’émetteurs de télévision.
Événement primordial pour l’Albanie, l’annonce du rétablissement des relations diplomatiques entre ce pays et la R.F.A. en octobre 1987 devait avoir, du point de vue économique, des effets salutaires souhaités de longue date; la R.F.A. a déjà installé une usine de nickel-cobalt en Albanie. Le gouvernement ouest-allemand laissait entendre qu’il était prêt à accorder à l’État albanais des lignes de crédit venant en compensation des réparations de guerre que Tirana a réclamées en vain auprès de Bonn depuis plus de quarante ans.
La R.F.A. tablait notamment sur le chrome albanais pour diversifier les sources d’approvisionnement de ce minerai encore importé d’Afrique du Sud à hauteur de 60 p. 100 de ses besoins.
De la réciprocité à l’aide d’urgence (1990-1992)
L’Albanie réalisant plus de 40 p. 100 de ses échanges avec les pays de l’Est (ex-U.R.S.S. exclue), les bouleversements survenus en Europe de l’Est ont eu des conséquences directes sur le commerce extérieur albanais qui accusait, en juin 1991, un déficit de 254 millions de dollars. L’Italie octroyait cette même année à Tirana un crédit de 70 millions de dollars pour financer ses importations et signait un plan de coopération économique sur trois ans. Elle prévoyait des investissements dans l’agriculture, les télécommunications, le tourisme et le secteur énergétique pour des montants annuels d’au moins 27 millions de dollars. Le 11 septembre 1991 était signé un accord entre l’E.N.I. et le ministère albanais des Ressources énergétiques et minérales pour la prospection et l’exploitation du pétrole et du gaz sur le littoral albanais.
L’Allemagne a consenti, en 1991, une aide technique de 16 millions de deutsche Marks pour le financement de projets agricoles et la modernisation des mines de charbon et de cuivre. Elle a signé un accord pour des séjours de formation concernant 500 Albanais pendant un an et demi. La Turquie, qui a ouvert une ligne de crédit de 30 millions de dollars, fait partie des pays intéressés par le montage de sociétés mixtes en Albanie: on peut citer également la diaspora albanaise des États-Unis et les Albanais du Kosovo. Parmi les sociétés à capital mixte déjà constituées figurent la Grèce, pour la confection et les produits agricoles, l’Italie, pour l’industrie minière, les transports, l’industrie alimentaire. Des négociations avaient lieu, en 1992, avec l’Afrique du Sud pour le chrome et avec la France pour l’industrie alimentaire.
Le 15 octobre 1991, l’Albanie a adhéré à la Banque mondiale et au Fonds monétaireinternational. L’entrée de l’Albanie à la Banque européenne pour la reconstruction et le développement, le 9 octobre 1991, devrait faciliter l’octroi des financements nécessaires au redressement de l’économie: 800 millions de dollars pour la modernisation de l’agriculture et de 600 à 700 millions pour l’industrie textile. Grâce au soutien allemand, la candidature présentée par l’Albanie pour bénéficier du programme d’aide du Groupe des 24 a été acceptée le 11 novembre 1991.
Politique extérieure
Exsangue au sortir de la guerre, l’Albanie ne pouvait escompter un quelconque décollage économique sans le recours à des aides étrangères.
L’aide yougoslave (1945-1948)
En 1945, la Yougoslavie constituait le premier allié historique de l’Albanie. Les deux partis communistes avaient combattu côte à côte l’invasion italienne et allemande, et, malgré la question déjà brûlante de l’intégration du Kosovo à la fédération albanaise, une convention économique importante était signée en 1946 entre les deux pays. Durant cette période, la Yougoslavie accueillit environ 300 étudiants albanais, finança dans le cadre de sociétés mixtes 60 p. 100 des investissements, et la jeunesse yougoslave contribua à la construction du premier chemin de fer albanais et à la rénovation du port de Durrës. L’aide yougoslave s’assortit cependant assez vite de conditions jugées inacceptables par Tirana, comme la coordination complète des deux économies, la proposition de créer un commandement militaire unifié et le refus, par Belgrade, de financer son plan d’industrialisation lourde.
L’aide soviétique (1948-1961)
Au moment même de sa rupture avec la Yougoslavie en 1948, des techniciens soviétiques arrivaient en Albanie. Les Soviétiques voulaient éviter qu’une fraction pro-yougoslave ne se développât dans l’Europe de l’Est, et ils espéraient gagner un accès stratégique en Méditerranée. 15 000 ingénieurs soviétiques séjournèrent en Albanie, contribuèrent à la formation de cadres, à l’achèvement des premiers combinats albanais, à l’équipement des villes et des ports. Au total, on estime à plus de 500 millions de roubles le montant des dons ou des prêts soviétiques. L’U.R.S.S. équipa également l’armée albanaise et fit de l’île de Saseno une base secrète.
Avec la déstalinisation et la volonté soviétique de normaliser ses relations avec le monde extérieur, l’Albanie, prise au dépourvu par la réhabilitation de Tito en 1955 et les exigences de Moscou à son égard (cession de toute souveraineté sur la base militaire de Vlora, orientation de l’économie albanaise vers les produits agricoles d’exportation), commençait à tourner ses regards vers la Chine. La dégradation des rapports sino-soviétiques l’amena à prendre vigoureusement parti pour celle-ci, notamment à la conférence de Bucarest en 1960. Le 25 novembre 1961, la rupture des relations diplomatiques avec l’U.R.S.S. aboutissait au retrait complet de tous les techniciens soviétiques et est-européens. Tirana mettait notamment en cause l’intégration par l’U.R.S.S. des économies des pays du Comecon et le rapprochement entre Washington et Moscou.
L’aide chinoise (1961-1978)
En avril 1961, l’Albanie conclut avec la Chine un accord commercial qui consistait en l’octroi, par Pékin, d’un crédit de 112 500 000 roubles pour les quatre premières années, soit la moitié de l’aide soviétique et est-européenne.
Alors que Tirana, par le biais de ses journaux et de sa puissante radio, s’était fait le porte-parole des positions chinoises en politique extérieure et avait défendu la Chine dans les instances internationales, celle-ci, dès son admission aux Nations unies, commença à développer des conceptions politiques avec lesquelles l’Albanie allait se trouver de plus en plus en désaccord. En outre, Pékin souhaitait orienter l’économie albanaise vers l’exportation d’industrie légère dans le cadre d’une ouverture au marché mondial. L’interruption unilatérale par Pékin de toute aide économique, le 7 juillet 1978 – sans rupture toutefois des relations diplomatiques –, était devenue inéluctable depuis la parution dans la presse albanaise, en 1977, d’un long commentaire sur «théorie et pratique de la révolution».
Des alliances aux relations normales (1978-1988)
Dès 1977, l’Albanie entretenait des relations diplomatiques avec quatre-vingts pays. Bien que Tirana ait réaffirmé au VIIe congrès du P.T.A. son refus de participer aux conférences internationales sur le désarmement, sa critique des alliances politiques et économiques comme le Comecon ou le Marché commun et son rejet du non-alignement, «théorie vide de sens», elle se déclarait prête à entretenir des «relations normales avec d’autres États», estimant que celles-ci «ne violaient en rien [...] les principes de sa politique», exception faite de l’Afrique du Sud, d’Israël, des États-Unis et de l’ex-U.R.S.S.
Engagées dès 1983, les relations avec les pays occidentaux se sont multipliées sous Ramiz Alia. Une chaire d’italien était créée à l’université de Tirana. Mais l’épisode des frères Popa réfugiés à l’ambassade d’Italie le 12 décembre 1985, les autorités albanaises refusant de les voir quitter le pays, devait envenimer les rapports jusqu’en 1990.
La mort par balles, en 1985, d’un employé du Club Méditerranée de Corfou au large des côtes albanaises eut pour conséquence le retrait temporaire de l’ambassadeur de France en poste à Tirana. Toutefois, le secrétaire d’État français aux Affaires étrangères s’était rendu en Albanie en novembre 1985, accompagné de vingt industriels français. Le vice-ministre albanais des Affaires étrangères, Sokrat Plaká, visitait à son tour la France en novembre 1986.
Les visites successives de Franz-Josef Strauss, alors ministre-président de Bavière, à Tirana en 1984 et 1986 ont préparé le rétablissement des relations diplomatiques avec l’Allemagne, en 1987. La même année, les Philippines, la Jordanie et le Canada ont ouvert des relations officielles avec l’Albanie. En 1988, ce pays établissait des relations diplomatiques avec l’Espagne. L’Albanie entretenait des rapports suivis avec la Suède. Outre des relations privilégiées avec certains pays du Tiers Monde et un rapprochement avec le Vietnam, l’Albanie rétablissait en 1983 ses relations avec la Chine, avec un objectif surtout commercial. Au cours de ces années, on assistait à une normalisation progressive de ses rapports avec l’Europe de l’Est, en particulier la Roumanie. Un traité de coopération militaire existait encore, au moins formellement, avec la Bulgarie.
Le grand écart idéologique ou la fin de l’isolement (1990-1992)
Dès 1990, le gouvernement doit mener une diplomatie tous azimuts pour justifier la lenteur des réformes et obtenir l’aide internationale d’urgence. En 1966, Leonid Brejnev avait, pour des raisons stratégiques, fait des ouvertures à l’Albanie, reprises par Mikhaïl Gorbatchev dès son arrivée au pouvoir. En 1986, lors du rituel message de félicitations envoyé par Moscou à Tirana pour sa fête nationale, la responsabilité de l’U.R.S.S.,dans la rupture de 1961, était pour la première fois soulignée. Pourtant, Tirana, qui maintint longtemps son inflexibilité idéologique, finit par répondre officiellement à l’offre de Moscou le 30 juillet 1990. Le 12 novembre 1992, une convention était signée entre Tirana et Bucarest pour la suppression des visas diplomatiques et des visas de service entre les deux pays.
Par ailleurs, le chef de la diplomatie albanaise multipliait les voyages officiels en Turquie – après l’ouverture d’un consulat albanais à Istanbul, en Chine, au Japon, à Cuba, au Mexique et en Argentine.
L’afflux de 5 000 réfugiés dans les ambassades occidentales, en juillet 1990, aboutit à la fermeture provisoire de trois d’entre elles: allemande, française et italienne, le 15 juillet. Le gouvernement grec ne suivit pas le mouvement, déclarant ce geste «symboliquement erroné». Le 28 septembre 1990, pour la première fois, un président albanais, Ramiz Alia, prenait la parole devant l’Assemblée générale des Nations unies.
Le 13 août 1991, la visite du président Cossiga à Tirana officialisait le souhait italien de venir en aide à l’Albanie tout en «rendant» 700 déserteurs de l’armée et de la police albanaises au régime.
L’Allemagne a été aussi l’un des pays les plus actifs dans le soutien à l’Albanie. En témoigne le montant de 34 millions de deutsche Marks débloqué le 1er novembre 1991. L’Autriche, qui a ouvert son ambassade à Tirana en 1991, s’est également montrée active dans l’envoi de convois de première urgence.
Le ministre français des Affaires étrangères, Roland Dumas, s’est rendu à Tirana le 10 octobre 1991 après Bernard Kouchner, secrétaire d’État à l’action humanitaire, présent à Tirana le 24 juillet. Ces visites bien tardives, après celles de James Baker et Hans Dietrich Genscher, et le peu d’empressement des hommes d’affaires français à investir en Albanie ont laissé un goût amer aux cadres et aux intellectuels de ce pays francophone.
La Communauté économique européenne surmontait finalement ses réticences à propos du respect des droits de l’homme en Albanie et établissait des relations avec ce pays le 18 juin 1991. Le 19 juin, Tirana adhérait à la Conférence sur la sécurité et la coopération en Europe. Des délégations du Parlement européen et du Conseil de l’Europe visitaient Tirana en septembre et novembre 1991.
Mais le grand coup de théâtre de 1991 fut le rétablissement des relations diplomatiques avec les États-Unis. Depuis 1983, un nombre croissant de citoyens américains d’origine albanaise et de journalistes visitaient le pays. L’Albanie abandonnait enfin son intransigeance le 15 mars 1991, et, le 10 juin, le secrétaire d’État américain, James Baker, effectua une visite triomphale à Tirana. Cette même année, le gouvernement nouait des contacts diplomatiques avec le Vatican, la république de Corée et Israël, jadis sur la liste rouge des communistes albanais.
Le 22 mai 1991, il renouait avec le Royaume-Uni, et, en 1992, Londres se déclarait d’accord pour restituer les 1 574 kilogrammes d’or albanais qu’il détenait depuis la Seconde Guerre mondiale, moyennant une compensation de 2 millions de dollars.
Sali Berisha a, par ailleurs, multiplié les contacts internationaux avec l’Égypte, le Koweït, le Qatar et l’Arabie Saoudite. Avec ces deux derniers pays, les relations diplomatiques ont été établies en 1992. L’Albanie est désormais membre de la Conférence islamique. Le 12 janvier 1993, le ministre iranien des Affaires étrangères s’est rendu à Tirana. La Banque albanaise a signé avec la Banque islamique de développement, fondée à Tirana, un accord portant sur la création d’une banque mixte dotée d’un capital de 100 millions de dollars, dont 60 p. 100 pour la partie albanaise. Cette banque devrait investir dans le tourisme, l’agriculture, les industries minières et le pétrole. En 1992 et 1993, les contacts se renforçaient avec l’Allemagne, la Hongrie, l’Autriche, la Belgique. Enfin, la Chine s’est engagée en 1993 à participer à la reconstruction des usines édifiées dans le cadre de sa coopération avec l’Albanie communiste.
Les Balkans: du «bon voisinage» à la tourmente
Dans le cadre du «bon voisinage entre États et peuples des Balkans», réaffirmé à l’issue du VIIe congrès, Reis Malile, alors chef de la diplomatie albanaise, confirmait en 1988 les nouvelles orientations de son gouvernement lors d’une réunion des ministres des Affaires étrangères des six pays balkaniques à Belgrade.
Le 1er novembre 1991, l’Albanie a accueilli la vingt-quatrième conférence des pays balkaniques sur le tourisme. La Bulgarie, la Grèce, la Roumanie, la Turquie et la Yougoslavie y étaient représentées. Qualifiées d’excellentes, les relations avec la Turquie ont eu, en 1992, plusieurs conséquences concrètes: la signature d’un accord de coopération militaire, la mise en place d’un crédit de 50 millions de dollars pour le soutien à l’exportation, l’ouverture d’une représentation bancaire turque à Tirana et d’une ligne aérienne régulière.
Lors de tous leurs contacts internationaux, les représentants du Parti socialiste comme ceux du Parti démocratique ont évoqué le Kosovo. Une polémique violente avec la Yougoslavie avait suivi les émeutes d’avril 1981, au cours de laquelle l’Albanie, accusée d’«ingérence» et d’«irrédentisme» visant à provoquer la sécession du Kosovo, affirmait de son devoir de soutenir l’aspiration des Kosovars au statut de république. Malgré la montée des tensions, un accord culturel avait été signé en février 1988.
Selon Tirana, la décision serbe de reconstituer, le 27 avril 1991, une fédération yougoslave formée de la seule Serbie et du Monténégro laisse intact le problème des quelque 1,9 million d’Albanais du Kosovo, qui, lors du référendum clandestin de septembre 1991, ont voté massivement pour une «république indépendante et souveraine», dans un climat de répression aggravée.
Le gouvernement albanais fait, toutefois, preuve de prudence quoiqu’il ne ménage pas ses efforts auprès de la communauté internationale pour qu’elle saisisse le gouvernement de Belgrade sur les violations des droits de l’homme qui se multiplient au Kosovo.
L’Albanie a établi, en 1992, des relations avec la Slovénie et la Croatie (ouverture d’une ligne aérienne Zagreb-Tirana et d’un service de car-ferry Durrës-Rijeka). Le 23 novembre 1992, la marine albanaise a participé à l’embargo de l’O.N.U. contre la Yougoslavie. À la suite de la demande de Tirana, les premiers observateurs des Nations unies sont arrivés à la frontière avec l’ex-Yougoslavie le 30 janvier 1993. Le 1er novembre 1991, le ministre des Affaires étrangères a reçu une délégation du Parlement de Macédoine, pays qui comprend une forte minorité albanaise et entretenu, en 1992, avec la Grèce une grave querelle politico-sémantique sur fond de prétentions territoriales.
Avec la Grèce, une coopération s’était mise en place dès la fin de 1984. Malgré les désaccords persistants sur le sort de l’importance de la minorité grecque en Albanie, jugeant leur entente stratégiquement impérative, les deux États avaient normalisé leurs relations en août 1987, au grand dam de la droite nationaliste grecque. Mais, après la visite du Premier ministre grec en Albanie, le 13 janvier 1991, des centaines de réfugiés albanais ont été restitués contre leur gré aux autorités de leur pays.
En janvier 1992, le représentant d’Omonia à Gjirokastër, Theodori Bezhani, a prôné publiquement la doctrine «vorio-épiriote»,selon laquelle le sud de l’Albanie jusqu’au Shkumbini doit être rattaché à la Grèce. Quant au gouvernement albanais, il a protesté énergiquement contre la discrimination subie, selon lui, par la minorité albanaise de Tchamerie en Grèce.
Après l’expulsion de l’archimandrite grec de Gjirokastër le 25 juin 1993, la Grèce a chassé de son territoire plusieurs milliers d’Albanais, provoquant une protestation du président Berisha auprès de l’O.N.U. Le 8 septembre 1994, à la suite des condamnations à six et huit ans de prison ferme pour cinq dirigeants de la minorité grecque albanaise, l’ambassadeur permanent de la Grèce auprès de l’Union européenne a bloqué l’octroi d’un prêt de 35 millions d’écus à l’Albanie, et le Parlement grec a voté à l’unanimité une motion demandant aux gouvernements étrangers et aux organismes internationaux de condamner l’Albanie.
4. Littérature
Les racines de la littérature albanaise s’identifient aux sources de la culture catholique des Guègues, les Albanais du Nord. Les premiers mots imprimés de l’albanais se trouvent dans une formule de baptême transcrite en 1462 par l’archevêque de Durrës, Pal Engjëlli, dans un texte latin. Le premier ouvrage en albanais est le Missel publié à Rome en 1555 par le prélat de la région de Tivar, Gjon Buzuku. Suivirent au XVIIe siècle les œuvres d’inspiration religieuse des évêques Pjetër Budi, Pjetër Bogdani et Frang Bardhi. Ces auteurs firent preuve d’un souci constant de défense de la langue albanaise menacée, dans le contexte de la domination ottomane, par de nombreux emprunts turcs.
Dans le cadre du processus d’islamisation qui aboutit à la conversion de 70 p. 100 de la population se développa, au XVIIIe siècle, un courant marqué par l’influence des cultures arabe, persane et turque. Nezim Frakulla, Sulejman Naibi, Hasan Zyko Kamberi et Mehmet Kyçyku écrivirent en albanais avec des caractères arabes des poésies mystiques et des poèmes d’amour.
La période du Réveil national s’étend de la première moitié du XIXe siècle jusqu’à 1912, date de l’indépendance. La littérature se mit au service du mouvement qui avait pour objectif d’éveiller la conscience nationale et d’obtenir l’émancipation. Les plus grands écrivains furent des Albanais expatriés bénéficiant de facilités d’impression à l’étranger.
La communauté albanaise émigrée depuis le XVe siècle en Italie du Sud et en Sicile, appelée arbëresh (de l’ancien nom national d’Arbëri ), a apporté une contribution essentielle à la littérature. Celle-ci se développa au XIXe siècle sous la plume d’auteurs qui collectèrent la poésie orale. Le plus éminent, Jeronim de Rada (1814-1903), orthodoxe de Cosenza, publia à Naples en 1836 Les Chants de Milosao , inspirés de l’histoire albanaise du XVe siècle. Gavril Dara, Zef Serembe, Zef Schiro s’inscrivent dans le même courant littéraire inspiré du folklore.
Parmi les plus prestigieux écrivains de la diaspora figurent les frères Frashëri dont Naim, né dans la région tosque de Korçë (1846-1900), qui publia en 1886, à Istanbul Bucoliques et Géorgiques , poèmes célébrant les beautés de la nature albanaise, et, en 1898, une Histoire de Georges Castriote Scanderbeg , le héros national qui organisa la résistance contre les Turcs au XVe siècle et fut une source d’inspiration constante dans la littérature. Çajupi (1866-1930), émigré en Égypte, est connu pour son œuvre lyrique, Le Père Romor , ses pièces de théâtre et ses traductions des fables de La Fontaine. Thimi Mitko (1920-1890) édita en Égypte un recueil de folklore, L’Abeille albanaise . Du Liban, lepoète Pashko Vasa (1825-1892) appela à l’union nationale dans la poésie Pauvre Albanie ; Consacrée à la poésie patriotique, l’œuvre d’Asdreni (1872-1947), de la diaspora albanaise de Roumanie, est d’une riche métrique. Faik Konica (1875-1943), grand essayiste et romancier, dirigea la revue Dielli (Le Soleil) des émigrés des États-Unis.
La littérature moderne d’après l’indépendance suivit la tradition d’une littérature militante tout en s’ouvrant aux influences étrangères. Fan Noli (1882-1965), prêtre orthodoxe émigré aux États-Unis, revint au pays et dirigea, en 1924, le premier gouvernement démocratique albanais. Il publia à Boston de nombreuses œuvres à caractère politique inspirées de sujets bibliques, fut le pionnier de la critique littéraire et le traducteur en albanais de Shakespeare et Cervantes. Le jésuite Ndre Mjeda (1866-1937), linguiste et poète, composa un recueil de vers (Juvenilia ) et le prêtre franciscain Gjergj Fishta (1871-1940) perpétra la tradition poétique guègue dans le chant épique Le Luth de la montagne . Migjeni (1911-1937), écrivain de Shkodër, apporta un souffle nouveau dans Vers libres , lamentations contre la misère du peuple albanais et l’injustice sociale.
Le réalisme socialiste apparut après la prise de pouvoir des communistes en 1945. Les auteurs non conformistes furent persécutés. Quelques écrivains émergent: le poète Llazar Siliqi, les romanciers Dritëro Agolli, Fatmir Gjata, Zihni Sako, Dhimitër Shuteriqi. Ismaïl Kadaré, né en 1936, est traduit dans le monde entier. Poète à l’origine, il connut la célébrité avec son premier roman, Le Général de l’armée morte , suivi de nombreux romans, dont Chronique de la ville de pierre , son autre chef-d’œuvre. Kadaré se situa tantôt dans la subversion, tantôt dans le soutien de l’appareil du parti: Le Grand Hiver ou La Niche de la honte ne sont pas des romans historiques, mais des œuvres allégoriques où il manie le grotesque pour critiquer le système politique. En 1990, Kadaré fit le choix d’émigrer en France.
Parmi les écrivains exilés sous la dictature d’Enver Hodja figurent deux universitaires et grands poètes. Martin Camaj a publié de nombreux recueils de poèmes dont Dranja (1981), suite de madrigaux en prose. Il témoigne de sa fidélité aux coutumes ancestrales des Guègues, comme Arshi Pipa, fondateur de la revue Albanica (New York), qui composé des chants épiques et le Livre de prison , poésies écrites dans le secret au cours de ses dix années dans les prisons staliniennes.
La littérature des Albanais de Yougoslavie (Kosovo) est de création récente, consacrée à la poésie et aux motifs d’inspiration nationale: Enver Gjergjeku, Muhamet Kërveshi; au roman: Tajar Halibi, Ramiz Kelmeti; aux nouvelles: Rexhep Qosja; au théâtre: Josip Rela.
Albanie
(Republika e Shqipërisa), état situé au S.-O. de la péninsule balkanique; 28 748 km²; 3 290 000 hab.; cap. Tirana. Nature de l'état: démocratie parlementaire. Pop.: Albanais (90 %), Grecs (8 %). Langue off.: albanais. Monnaie: lek. Relig.: islam, christianisme (orthodoxe et catholique), athéisme officiel. Géogr. phys. et écon. - Trois unités de relief se succèdent d'E. en O.: des massifs montagneux au climat continental, alimentant de nombreux cours d'eau et qui furent longtemps des refuges de peuplement, des collines argileuses fertiles et une plaine côtière au climat méditerranéen qui groupent aujourd'hui l'essentiel de la population. L'Albanie est au premier rang européen pour la croissance démographique (près de 2 % par an). Collectivisée à partir de 1945, l'économie est largement agraire (65 % de ruraux dans la pop. totale, et 55 % des actifs dans l'agriculture) et fut caractérisée jusqu'en 1990 par l'autarcie et l'immobilisme. La situation s'est encore dégradée, puis la croissance est apparue (8 % en 1994), notam. grâce aux devises des travailleurs immigrés (souvent clandestins). Hist. - L'Albanie, qui fit partie de la province romaine d'Illyrie, a connu la domination byzantine puis celle de la Serbie avant d'être conquise par les Ottomans au XVe s. Même islamisée, l'Albanie s'est révoltée inlassablement contre les Turcs dont elle s'est affranchie en 1912, mais elle ne fut vraiment indépendante qu' en 1919. Président de la Rép. en 1925, Ahmed Zogu devint roi en 1928 sous le nom de Zog Ier. L'Italie envahit et conquit l'Albanie en avril 1939. Enver Hodja, communiste, organisa la résistance et exerça le pouvoir jusqu'à sa mort (1985); Ramiz Alia lui succéda. Pays "stalinien" (env. 100 000 victimes), l'Albanie a rompu ses relations avec l'U.R.S.S. en 1961, puis avec la Chine postmaoïste en 1978. En 1990, le gouvernement autorise l'exil de plusieurs milliers d'Albanais et amorce une libéralisation. Après les élections de mars 1991 (remportées par le Parti du travail, communiste, rebaptisé socialiste en mai), un cabinet de coalition est formé en juin. En 1992, Sali Berisha, chef de l'opposition victorieuse aux législatives de mars, devient président (avril). Il a voulu réformer la Constitution mais le référendum de nov. 1994 a été un échec, la pop. protestantcontre la misère. En janv. 1997, la faillite de sociétés d'investissements qui avaient capté l'épargne populaire déclenche des émeutes qui sèment le trouble dans le pays, de nombreux groupes ayant pris les armes. Le chaos gagnant peu à peu tout le pays, le prés. Berisha accepte la tenue d'élections législatives anticipées en juin-juillet. Le Parti socialiste albanais (P.S.A., naguère communiste) les remporte et Berisha démissionne. Le Parlement le remplace par Rexhep Medjani, qui appelle le leader du P.S.A., Fatos Nano, comme Premier ministre. Depuis 1997, l'Albanie a le statut d'observateur au sein de la Francophonie.
Encyclopédie Universelle. 2012.