précipiter [ presipite ] v. tr. <conjug. : 1>
• 1442 ; lat. præcipitare, de præceps, præcipitis « qui tombe la tête (caput) en avant (præ) »
I ♦
1 ♦ Jeter ou faire tomber d'un lieu élevé dans un lieu bas ou profond. Les anciens Romains précipitaient certains criminels du haut de la roche Tarpéienne. Ils ont été précipités dans le vide.
♢ Fig. Faire tomber d'une situation élevée ou avantageuse dans une situation inférieure et mauvaise. « La crise imprévue et terrible des malheurs où elle m'a précipité » (Rousseau). — Vx ⇒ anéantir, ruiner. Les causes générales « qui agissent dans chaque monarchie, l'élèvent, la maintiennent ou la précipitent » (Montesquieu).
2 ♦ (1636) Chim. Faire tomber, faire déposer (un corps en solution dans un liquide) par précipitation. Précipiter une solution en la chauffant. — Absolt Subir la précipitation. Mélange qui précipite.
3 ♦ Pousser, entraîner avec violence. Le choc l'a précipité contre le pare-brise. « aucune lecture n'est plus propre à me précipiter dans l'opposition » (A. Gide).
4 ♦ Par ext. Faire aller plus vite. ⇒ accélérer, hâter. Précipiter son départ. ⇒ avancer, brusquer. « Il était descendu au plus tôt qu'il avait pu, précipitant sa toilette » (A. Gide). La crise pétrolière a précipité la ruine de l'entreprise, la chute du dictateur. Précipiter le mouvement. ⇒ presser. Il ne faut rien précipiter : il faut avoir de la patience, laisser évoluer la situation.
II ♦ SE PRÉCIPITER v. pron. (1556) .
1 ♦ (Personnes ou choses) Se jeter de haut dans un lieu bas et profond. ⇒ 1. tomber. Ruisseau, source qui se précipite du haut d'un rocher en cascade. « Puis soudain dans le Tibre, il s'est précipité » (P. Corneille). ⇒ se jeter. Se précipiter par-dessus bord.
2 ♦ Chim. Se déposer par précipitation.
3 ♦ (1653) (Personnes) S'élancer brusquement, impétueusement. ⇒ foncer, fondre, se lancer, se ruer. Précipitez-vous sur les places libres ! Se précipiter vers la sortie, vers le buffet. « Elle se leva, courut à la fenêtre, l'ouvrit, et se précipita sur le balcon » (Hugo). Se précipiter au-devant de qqn. ⇒ accourir, courir. Se précipiter dans les bras, au cou de qqn. ⇒ se jeter .
♢ Absolt ⇒ s'agiter, se dépêcher, se hâter. Inutile de tant se précipiter !
♢ Fig. Cette jeunesse « qui se précipite [...] dans les directions de l'art » (Hugo). — Vx Se précipiter de : être très pressé de. « Vous vous êtes précipitée [...] d'aller à Grignan sans votre mari » (Mme de Sévigné).
4 ♦ (Choses) Prendre un rythme accéléré. ⇒ s'accélérer. Les battements du cœur se précipitaient. « L'action semble se précipiter » (Martin du Gard).
⊗ CONTR. 2. Différer, ralentir, retarder. — Attendre.
● précipiter verbe transitif (latin praecipitare) Pousser et faire tomber quelqu'un, quelque chose d'un lieu élevé dans un lieu beaucoup plus bas : Précipiter des rochers dans la vallée. Faire tomber quelqu'un, un groupe dans une situation dangereuse, funeste : Une crise qui précipite le pays dans le chaos. Faire quelque chose à la hâte, plus tôt qu'il n'était prévu : Nous avons dû précipiter notre départ. Accélérer le rythme, la progression de quelque chose : Précipiter les événements. Provoquer la précipitation d'un corps chimique. ● précipiter (synonymes) verbe transitif (latin praecipitare) Faire tomber quelqu'un, un groupe dans une situation dangereuse, funeste
Synonymes :
- abattre
- enfoncer
- jeter bas
- plonger
Faire quelque chose à la hâte, plus tôt qu'il n'était prévu
Synonymes :
- accélérer
- activer
- brusquer
- forcer
- presser
Accélérer le rythme, la progression de quelque chose
Synonymes :
- avancer
- hâter
● précipiter
verbe intransitif
Pour un corps chimique, subir la précipitation.
précipiter
v.
rI./r v. tr.
d1./d Jeter d'un lieu élevé ou dans un lieu bas, profond. Précipiter qqn d'un balcon.
|| Fig., litt. Ces sombres événements nous précipitèrent dans le malheur.
d2./d Pousser violemment. Une bourrade m'a précipité contre le mur.
d3./d Hâter, accélérer. Précipiter ses pas.
d4./d CHIM Provoquer la précipitation. Réactif qui précipite un soluté.
|| v. intr. Se former par précipitation.
rII./r v. Pron.
d1./d Se précipiter (de): se jeter de haut en bas. Se précipiter d'une falaise.
d2./d Se jeter, s'élancer. Se précipiter sur son adversaire.
d3./d Prendre un cours accéléré. Les événements se précipitent.
⇒PRÉCIPITER, verbe trans.
A. —Empl. trans.
1. a) Jeter, faire tomber de haut. Naguère le tribun C. Atinius, récemment chassé du sénat par le censeur Métellus, avait essayé de le précipiter de la Roche Tarpéienne (MICHELET, Hist. romaine, t.2, 1831, p.138). Madame, lui dis-je, si notre Dieu était celui des païens ou des philosophes (pour moi, c'est la même chose) il pourrait bien se réfugier au plus haut des cieux, notre misère l'en précipiterait. Mais vous savez que le nôtre est venu au-devant (BERNANOS, Journal curé camp., 1936, p.1162):
• 1. Sachez, ajouta M. de Laurières, que la chûte de M. de Saint-Amand fut rompue de temps en temps par le fusil qu'il portait en bandoulière; et c'est ce qui l'a sauvé, comme Aristomène le fut par son bouclier, lorsque les Spartiates le précipitèrent dans le gouffre fatal.
DUSAULX, Voy. Barège, t.1, 1796, p.253.
b) Au fig. Faire déchoir, rabaisser, ramener brutalement d'une position éminente à une position inférieure. Schumacker, né dans un rang obscur, avait été comblé des faveurs de son maître, puis précipité du fauteuil de grand-chancelier de Danemark et de Norvège sur le banc des traîtres (HUGO, Han d'Isl., 1823, p.33).
Rem. Dans ce sens, empl. fréq. au passif (synon. être anéanti, ruiné; (fam.) être démoli): De tous les hommes qui ont dirigé le gouvernement ou voisiné l'opinion depuis soixante ans, il n'en est pas un (...) qui n'ait été précipité, soit avant, soit après (ID., Actes et par., t.1, 1875, p.353).
c) CHIM. Faire déposer un corps en solution dans un liquide. Les véritables laques de garance (...) sont obtenues (...) en précipitant la matière colorante sur alumine (COFFIGNIER, Coul. et peint., 1924, p.117). La solubilité [du gypse] serait plus grande dans HCl étendu [que dans l'eau]; le chlorure de baryum précipite alors du sulfate de baryum blanc (J. CAHEN, BRUET, Carrières, 1926, p.184).
2. Pousser, entraîner avec violence, avec impétuosité (dans, vers, hors de, etc.). La ville se trouve au bas, de l'autre côté du large Min jaune qui, entre les piles du pont des Dix-Mille-Âges, précipite ses eaux violentes et profondes (CLAUDEL, Connaiss. Est, 1907, p.43). J'imaginais les propos que nous eussions échangés si je t'avais secouée brutalement, si je t'avais précipitée hors du lit (MAURIAC, Noeud vip., 1932, p.76):
• 2. Saint Guénolé, premier abbé du monastère, mort en 448, le même (...) qui, lorsque sur la grève le roi fuyait au galop avec la belle Dragut, sa fille, lui cria dans un nuage, comme les flots déjà battaient les jarrets de son cheval, de se débarrasser du démon qu'il emportait en croupe? Gradlon la précipita dans les flots, les flots l'engloutirent, s'arrêtèrent, et Gradlon continua sa course.
FLAUB., Champs et grèves, 1848, p.324.
— [Dans un cont. métaph.] Ils seront obligés de combattre de toutes leurs forces, non plus pour précipiter l'iniquité dans l'abyme, mais pour qu'elle ne les y précipite pas avec elle (SAINT-MARTIN, Homme désir, 1790, p.363). Et la passion précipite l'homme à d'étranges et dangereux excès qui le laissent incapable d'un développement complet de son être (BOURGET, Essais psychol., 1883, p.119):
• 3. On peut y observer les premières traces d'une institution qui a eu sur sa marche des influences opposées, accélérant le progrès des lumières, en même temps qu'elle répandait l'erreur; enrichissant les sciences de vérités nouvelles, mais précipitant le peuple dans l'ignorance et dans la servitude religieuse...
CONDORCET, Esq. tabl. hist., 1794, p.18.
3. Accélérer, hâter, presser (un mouvement, un événement); prendre une décision dans la hâte. Précipiter ses actions, son allure, une catastrophe, les choses, sa chute, le cours, la course, la décadence, le départ, sa fuite, ses paroles, sa ruine, sa vie. La maladresse de son gouvernement a précipité cette révolution; la philosophie en a dirigé les principes, la force populaire a détruit les obstacles qui pouvaient arrêter les mouvements (CONDORCET, Esq. tabl. hist., 1794, p.171). Tu as peut-être raison. Écoute. Ne précipitons rien. Si je vois à un moment que les choses tournent mal et que mes relations ne suffisent pas, nous essayerons alors d'utiliser les tiennes (BECQUE, Parisienne, 1885, I, 2, p.271):
• 4. J'ai dîné seul chez Graff, en face d'un gros homme accompagné de deux jeunes femmes fort élégantes dont l'une, presque parfaitement belle, a croisé ses yeux avec les miens à plusieurs reprises; l'homme a précipité la fin du repas; au moment de partir la belle m'a souri.
VAILLAND, Drôle de jeu, 1945, p.114.
B. —Empl. pronom.
1. a) Se jeter d'un lieu élevé. Dans ce bassin, le ruisseau de Fataoua se précipitait en cascade, et versait une eau courante, d'une exquise fraîcheur (LOTI, Mariage, 1882, p.15). Si Dieu avait voulu qu'elle se trouvât au premier étage, elle se serait précipitée par la fenêtre (JOUVE, Paulina, 1925, p.225):
• 5. La duchesse lui avait écrit qu'il serait surpris par le grand air, et qu'à peine hors de sa prison il se trouverait dans l'impossibilité de marcher; dans ce cas il valait mieux pourtant s'exposer à être repris que se précipiter du haut d'un mur de cent quatre-vingts pieds.
STENDHAL, Chartreuse, 1839, p.364.
— [Dans un cont. métaph.; sans constr. prép.] Le vertige cherche un point plus élevé pour mieux se précipiter (SAND, Impress. et souv., 1873, p.34).
b) Au fig. [Sans constr. prép.] Provoquer sa propre déchéance, courir à sa fin. C'est Charles X qui a renversé Charles X. —Oui, a répondu M. Royer-Collard (...) il s'est précipité (HUGO, Choses vues, 1885, p.57).
c) Spécialement
— CHIM. [En parlant d'une matière en dissolution] Former un dépôt dans un liquide à la suite d'une réaction chimique. On voit apparaître et se précipiter des flocons de cellulose (PLANTEFOL, Bot. et biol. végét., t.1, 1931, p.65).
— MÉTÉOR. Se transformer en chute d'eau provenant de l'atmosphère. Tout ce qui, à un moment donné, dépasse le maximum admissible, doit se précipiter, sous la forme de pluie (LAPPARENT, Abr. géol., 1886, p.21).
2. S'élancer brusquement, avec impétuosité (dans, hors de, vers, pour, etc.). Synon. foncer, fondre, se jeter, se ruer. Se précipiter la tête la première. Craignant, s'il s'approchait, que Dargelos et son groupe l'empêchassent de prévenir, il s'était précipité pour chercher du secours (COCTEAU, Enfants, 1929, p.23). Il se trouva ainsi des forcenés pour se précipiter dans une maison encore en flammes, en présence du propriétaire lui-même, hébété par la douleur (CAMUS, Peste, 1947, p.1356):
• 6. En arrivant à la rivière d'Érégli, comme les malheureux, torturés par la soif, se précipitaient en désordre vers les berges, les archers turcs, surgissant sur l'autre rive, puis sur toutes les collines, entourèrent ce troupeau lamentable où chaque flèche portait.
GROUSSET, Croisades, 1939, p.72.
— P. métaph. Combien de fois (...) n'ai-je pas senti mon coeur se précipiter vers un but inconnu (SAND, Lélia, 1833, p.54).
3. S'accélérer, se hâter, se presser; se faire dans la hâte. Cependant les événements de l'intérieur se précipitent, et le 10 août éclata (SAINTE-BEUVE, Nouv. lundis, t.11, 1868, p.337). Alors se précipitent les coups de béliers rageurs du vent qui s'excite à battre son propre record (PSICHARI, Voy. centur., 1914, p.71). L'oncle se sentant fort malade, les fiançailles et le mariage se précipitèrent dans une bonne humeur factice, chacun jouant un rôle et rivalisant de générosité (COCTEAU,Enfants, 1929, p.161):
• 7. Pendant plus de deux mille ans, le monde se transforme, les civilisations s'élèvent et s'écroulent, les sociétés se précipitent ou languissent, au milieu de moeurs toujours changeantes.
ZOLA, Mes haines, 1866, p.255.
REM. Précipitement, subst. masc., vieilli, rare. Action de précipiter (supra A 1); résultat de cette action. Synon. précipitation (v. ce mot A 1). Un mur de colère, gâché de couleurs redoutables, plaquait au fond l'avalanche et le précipitement des damnés qui roulaient à l'enfer, suppliciés par tous les raccourcis de la chute, toutes les angoisses des muscles, toutes les agonies du dessin, toutes les académies du désespoir; tableau muet de la souffrance physique, contre lequel venait frapper, battre, expirer le choeur des douleurs de l'âme (GONCOURT, Mme Gervaisais, 1869, p.86).
Prononc. et Orth.:[], (il) précipite [-pit]. Ac. 1694, 1718: pre-; dep. 1740: pré-. Étymol. et Hist. I. Verbe [1386 (BL.-W.3-5, s. réf.)] A. 1. a) av. 1442 fig. «faire tomber d'une position élevée, faire déchoir» (PIERRE DE NESSON, Paraphrase des IX Leçons de Job, éd. A. Piaget et E. Droz, p.81 ds IGLF: pour [...] moy tellement precipiter); b) 1661 fig. «faire passer d'un sentiment d'exaltation à un sentiment d'abattement» (MOLIÈRE, Dom Garcie, III, 2, vers 894); 2. mil. XVes. fig. «faire tomber dans une situation dangereuse, pénible, inférieure» (Internele consolacion, éd. A. Pereire, p.184: aucun impourveü precipiter ou laz de deception); 3. 1466 pronom. «se jeter d'un lieu élevé» (PIERRE MICHAULT, Doctrinal, LXVII, éd. Th. Walton, p.173, 54); 1495 trans. «jeter d'un lieu élevé» (JEAN DE VIGNAY, Miroir historial, XXXI, 71, éd. 1531 ds DELB. Notes mss: monta sur ung cheval [...] cheut et fut precipité en une fosse); 4. a) 1555 chim. part. passé adj. «réduire le mercure en poudre rouge en le cuisant» (B. ANEAU, trad. Trésor de Evonime Philiatre, Lyon, p.261: argent vif precipité); 1636 trans. et pronom. (MONET); b) 1663 chim. trans. «faire déposer un corps en solution dans un liquide» (Chr. GLASER, Traité de la chim., Paris, l. 1, p.25: precipiter est separer le mixte dissout); 1680 pronom. (RICH., s.v. precipitation); 1690 intrans. (FUR.). B. 1. 1442 trans. «presser, hâter (quelqu'un)» (Arch. Nat. P. 13611, pièce 950 ds GDF. Compl.); 2. 1552 trans. «accélérer, hâter» (J. DU BELLAY, Énéide, 4e l., 1048 ds OEuvres poét., éd. H. Chamard, t.6, p.298: chacun [...] la fuyte precipite); 1557 pronom. «devenir plus rapide, s'accélérer» (R. BELLEAU, Reconnue, III, 5 ds OEuvres poét., éd. Ch. Marty-Laveaux, t.2, p.410); 3. 1556 trans. «faire, décider avec hâte» (P. SALIAT, trad. des Neuf Livres des Histoires de Hérodote, III, 71, ds HUG.: vous ne precepiterez telle entreprise); 4. 1559 trans. «rendre plus prochain (un événement)» (O. DE MAGNY, Odes, éd. E. Courbet, t.1, p.140: precipitant sa mort); 5. 1559 pronom. «se hâter (de)» (AMYOT, Vies, Fabius, éd. L. Clément, p.82: se precipitast et hastast de faire quelque grand mal); 1559 absol. «agir avec hâte» (ID., ibid., p.84, 28: en se precipitant par trop); 6. 1559 pronom. fig. «se livrer impétueusement à» (ID, ibid., p.84, 22: Minutius s'est allé precipiter luy mesme en sa ruine); 7. a) 1665 pronom. «s'élancer vers une personne, un lieu» (RACINE, Alexandre, 746); 1671 absol. «accourir en hâte» (MOLIÈRE, Psyché, 187); b) 1677 trans. «jeter, pousser vivement» (RACINE, Phèdre, V, 6, vers 1541). II. Part. passé adj. 1. 1534 «hâtif, brusque, accompli ou décidé dans la précipitation» (RABELAIS, Gargantua, chap. XXIX, éd. R. Calder, p.185: par conseil precipité); 2. 1579 «(d'une personne) qui agit avec précipitation» (E. CHARRIÈRE, Négociations de la France ds le Levant, t.3, p.833: ledit bassa [...] précipité, et non doué des vertus de la prudence politique); 3. 1580 «d'allure ou de rythme rapide» (MONTAIGNE, Essais, II, 6, éd. Villey-Saulnier, p.372); 4. 1594 «escarpé, à pic» (J. B. CHASSIGNET, Mespris de la vie, sonn. 380 ds HUG.: un roc precipité). Empr. au lat. praecipitare trans. «jeter d'un lieu élevé; fig. abaisser, faire déchoir, ruiner; hâter, accomplir dans la hâte; presser, pousser vivement à», intrans. «tomber, se précipiter; tirer à sa fin; déchoir, aller à sa ruine», dér. de praeceps, praecipitis adj. «la tête en avant, la tête la première; rapide, impétueux; escarpé; qui agit avec précipitation, inconsidérément», subst. «précipice, abîme», mot formé de prae «en avant» et -ceps, de caput «tête». Au sens I A 4 b, cf. l'angl. to precipitate (1644 ds NED). Fréq. abs. littér.:3432. Fréq. rel. littér.:XIXes.: a) 5730, b) 5025; XXes.: a) 5046, b) 3977.
DÉR. Précipitable, adj. Susceptible de subir une précipitation (v. ce mot A 2). Il existerait (...) des colloïdes minéraux non précipitables par les électrolytes (GASNIER, Dépôts métall., 1927, p.186). Les albumoses du malt sont précipitables par le sulfate d'ammoniaque (BOULLANGER, Malt., brass., 1934, p.193). — []. — 1re attest. 1847 (Ann. de Chim. et de Phys., 3e série, t.XIX, p.231 ds Fonds BARBIER: matières précipitables par l'alcool); de précipiter, suff. -able. Le corresp. angl. precipitable est att. dès 1670 (NED).
précipiter [pʀesipite] v. tr.
ÉTYM. 1443; lat. præcipitare, de præceps, præcipitis « qui tombe la tête (caput) en avant (præ) ».
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1 Jeter ou faire tomber d'un lieu élevé dans un lieu bas ou profond. || Précipiter des condamnés dans une oubliette (cit.). || Les anciens Romains précipitaient certains criminels du haut de la roche Tarpéienne. || Dieu précipita certains anges (cit. 11) dans l'enfer (cit. 9).
1 Il monta sur la tour, et dans les flots hurlants
Précipita d'en haut la dépouille livide
De celle qui voulut trahir ses cheveux blancs.
Leconte de Lisle, Poèmes barbares, « Jugement de Komor ».
2 Il (Fouquier-Tinville) se voyait précipité dans une telle mer de sang, qu'il n'en surnagerait jamais.
Michelet, Hist. de la Révolution franç., XX, I.
3 Précipité constamment à des milliers de mètres de profondeur, avec un abîme plusieurs fois aussi immense sous moi, je me retiens avec la plus grande difficulté aux aspérités (…)
Henri Michaux, La nuit remue, p. 8.
♦ (1644, Corneille). Fig. Faire tomber d'une situation élevée ou avantageuse dans une situation inférieure ou mauvaise. || La révolution précipiterait le monde dans le chaos (→ Péril, cit. 7). || Être précipité dans le discrédit et l'oubli (→ Élever, cit. 18), dans les malheurs (→ Moins, cit. 3). — Absolt. Entraîner la décadence de… ⇒ Anéantir, ruiner. || Causes générales (cit. 2, Montesquieu) qui élèvent, maintiennent ou précipitent une monarchie.
4 Ah ! Madame, faut-il me voir précipité
De l'espoir glorieux dont je m'étais flatté ?
Et ne puis-je savoir quels crimes on m'impute,
Pour avoir mérité cette effroyable chute ?
Molière, Dom Garcie, III, 2.
2 (1677, cit. Racine). Pousser ou entraîner avec violence. || Un soulèvement de tout son être le précipitait vers elle (→ Ébranler, cit. 20). || À force de persécutions (cit. 5) on les a précipités dans la révolte.
5 La frayeur les emporte (les chevaux)
À travers des rochers la peur les précipite (…)
Racine, Phèdre, V, 6.
6 J'ai poursuivi le plus loin que j'ai pu, mais aucune lecture n'est plus propre à me précipiter dans l'opposition, et c'est par précaution que je l'arrête.
Gide, Journal, 1er févr. 1916.
3 (1671). Par ext. Faire aller plus vite. ⇒ Accélérer, hâter. || Précipiter ses pas, sa marche, son allure. ⇒ Forcer, presser (→ Fermer, cit. 3). || Précipiter son départ. ⇒ Avancer, brusquer (→ Faire, cit. 195). || Précipiter la réunion (→ Ostensible, cit. 1), la vente (→ On, cit. 13), une affaire (⇒ Trousser). || Précipiter le mouvement, le rythme de qqch. (→ Gémir, cit. 4). || Précipiter la ruine de qqn (→ Encourager, cit. 12; enfoncer, cit. 28). || Précipiter les choses, les affaires (→ Exécution, cit. 1). || Il ne faut rien précipiter : il ne faut pas montrer de précipitation, il faut avoir de la patience.
7 (N'est-ce pas Agrippine qui) a de ses derniers jours,
Trop lents pour ses desseins, précipité le cours ?
Racine, Britannicus, I, 4.
8 Je me dis qu'il ne fallait rien précipiter, qu'Ellénore était trop peu préparée à l'aveu que je méditais, et qu'il valait mieux attendre encore.
B. Constant, Adolphe, II.
9 (…) il était descendu au plus tôt qu'il avait pu, précipitant sa toilette et différant travail et prière.
Gide, Journal, 21 oct. 1916.
———
II (1636). Chim. (En parlant de l'agent de la précipitation). Faire tomber, faire déposer le corps en solution dans un liquide, par précipitation (→ Impureté, cit. 4; liqueur, cit. 2).
♦ V. intr. Se déposer par précipitation. || Précipiter en cristaux, en poudre. || Précipiter en jaune. ⇒ 2. Précipité.
➪ tableau Verbes exprimant une idée de mouvement.
——————
se précipiter v. pron.
ÉTYM. (1556).
———
1 Se jeter de haut dans un lieu bas et profond. ⇒ Jeter (se), tomber. || Ruisseau, source qui se précipite du haut d'un rocher, en cascade (cit. 1), en cataracte… (→ Bouillon, cit. 2). || « Puis soudain dans le Tibre, il s'est précipité » (→ Justice, cit. 28, Corneille). || Se précipiter par-dessus bord (→ Gouffre, cit. 7). ⇒ Piquer (une tête). || Se précipiter par les fenêtres (→ Massacreur, cit. 1). || Se précipiter au fond de… || Se précipiter aux pieds de qqn. ⇒ Abattre (s'). — Par métaphore. || Se précipiter dans un abîme (cit. 31). — Fig. || Se précipiter dans la honte (→ Légèreté, cit. 9), dans des dépenses (cit. 1) effroyables.
2 (1653). Êtres animés. S'élancer brusquement, rapidement, impétueusement. ⇒ Foncer, fondre, lancer (se), ruer (se). → Tête baissée, la tête la première, comme un torrent. — Se précipiter sur l'ennemi. ⇒ Assaillir. || Les soldats se précipitent entre les hommes et les chevaux (→ Jeter, cit. 13). || Taureau se précipitant dans l'arène (→ Hourra, cit. 3), sur l'étoffe écarlate (cit. 6). || Se précipiter vers… (→ Estafier, cit. 3; goinfrerie, cit. 1) contre un obstacle (→ Corps, cit. 35; idée, cit. 38), sur la porte (→ Nez, cit. 40), à la cave (→ Honneur, cit. 77), dans une pièce (⇒ Entrer). || Se précipiter en bas de l'escalier. ⇒ Dévaler. || Se précipiter au-devant de qqn. ⇒ Accourir, courir (→ Escorter, cit. 6). || Se précipiter dans les bras, au cou de qqn. ⇒ Jeter (se), embrasser. || L'eau se précipite par la brèche. ⇒ Engouffrer (s'). — Se précipiter pour faire qqch. (→ Occupant, cit. 2; lui, cit. 29). ⇒ Empresser (s'). — Absolt. Agir avec précipitation. ⇒ Agiter (s'), dépêcher (se), hâter (se). || Allons, précipite-toi un peu ! — Fig. || Se précipiter dans le sein de Dieu (→ Infini, cit. 17), dans la vie politique (→ Pamphlet, cit. 3), dans le plaisir (→ Frondeur, cit. 4).
10 Et comme une biche qui sent le souffle de la meute, elle se leva, courut à la fenêtre, l'ouvrit, et se précipita sur le balcon.
Hugo, Notre-Dame de Paris, II, VIII, VI.
11 (…) cette jeunesse pleine d'instincts de toutes sortes qui se précipite avec une ardeur si intelligente et une patience si résignée dans les directions de l'art.
Hugo, Littérature et Philosophie mêlées, Ymbert Gallois.
12 Craignant, s'il approchait, que Dargelos et son groupe ne l'empêchassent de prévenir, il s'était précipité chercher du secours.
Cocteau, les Enfants terribles, p. 23.
3 (1559). Vieilli (langue class.). || Se précipiter de…, (et inf.) : être très pressé de… || Vous vous êtes bien précipité de lui en parler, il valait mieux attendre.
13 Je ne sais encore pourquoi vous vous êtes précipitée (…) d'aller à Grignan sans votre mari.
Mme de Sévigné, 1160, 6 avr. 1689.
4 (1669, La Fontaine). Choses. Prendre un cours rapide, un rythme accéléré. || Les battements du cœur se précipitaient. || La marche (cit. 25) des jours sembla se précipiter davantage. || Les fiançailles et le mariage se précipitèrent (→ Factice, cit. 8). || Des miracles qui se précipitent et s'accumulent si rapidement (→ Étonner, cit. 24). || Les événements vont bientôt se précipiter.
14 Quelques pages encore, et soudain l'action semble se précipiter.
Martin du Gard, les Thibault, t. IV, p. 25.
———
II Chim. Rare. Se déposer par précipitation.
——————
précipité, ée p. p. adj.
1 Vx. Jeté, tombé d'un lieu élevé. || Roche précipitée. — Fig. || Homme d'affaires précipité dans la ruine.
2 Poussé, entraîné avec violence. || Glaçons (cit. 1) précipités les uns contre les autres.
3 Extrêmement rapide ou accéléré dans son allure, son rythme. ⇒ Pressé, rapide. || Course précipitée (→ Après, cit. 48). || La vie est si précipitée dans sa course (→ Inopinément, cit. 1; irrévocable, cit. 4). || Galop (cit. 9) précipité. || Les battements précipités de son cœur (→ Anhéler, cit. 1). || Battement d'ailes précipité (→ Chauve-souris, cit. 3). || Respiration précipitée. ⇒ Haletant. || Pas précipités (→ Courber, cit. 2). || Rythmes précipités (→ Écrire, cit. 52). || Salves, sons précipités (→ Lourd, cit. 34; glapissement, cit. 1).
15 L'avarice annonce le déclin de l'âge et la fuite précipitée des plaisirs.
Vauvenargues, Maximes et réflexions, 438.
4 (1542). Qui a un caractère de précipitation. || Cette ardeur précipitée et cette indiscipline (cit. 1). || Zèle indiscret et précipité (→ Inconsidéré, cit. 1). || Démarche précipitée (→ Manquer, cit. 83). || Départ, retour précipité. || Tout cela est bien précipité, bien improvisé. ⇒ Hâtif.
16 Jamais entreprise au théâtre ne fut si précipitée que celle-ci (…)
Molière, les Fâcheux, Avertissement.
♦ (Personnes). || Il est trop précipité dans ses décisions.
17 Gens (…) entreprenants, légers et précipités.
La Bruyère, les Caractères, VIII, 19.
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CONTR. Hisser. — Différer, ralentir, retarder. — Atermoyer, attendre. — (De l'adj.) Lent.
DÉR. Précipitamment, précipitant, 2. précipité, précipitine.
COMP. Précipito-diagnostic.
Encyclopédie Universelle. 2012.