DÉSARMEMENT
Le terme «désarmement» possède des résonances bien différentes selon l’oreille qu’on lui prête. Pour un esprit idéaliste et bénin, il évoque ce thème simple et vigoureux suivant lequel l’élimination des armes et des armées permanentes entraînera la fin des guerres, générera l’amitié entre les peuples et le développement pour tous. Pour un esprit plus cynique ou plus averti, il renvoie à la politique des États, à leurs préoccupations stratégiques, à leurs manœuvres diplomatiques. Il présente dès lors une signification beaucoup plus complexe, ne serait-ce que parce qu’il comporte une histoire, et, sinon une pratique réelle, du moins une succession d’efforts et de tentatives inégalement aboutis. Il est au surplus parfois difficile de démêler la part de propagande et donc de mensonge qu’il contient.
La définition même du désarmement est moins simple qu’il n’y paraît. Dans une acception étroite, qui serait la plus rigoureuse, il vise les mesures tendant à restreindre volontairement, voire à éliminer totalement, les armements et les forces armées existants, dans le but de prévenir les conflits. Dans une acception plus large, et plus généralement reçue, il comprend également l’ensemble des méthodes et moyens permettant d’empêcher ou de limiter la fabrication ou l’emploi d’armes, ainsi que la constitution ou le développement de forces armées. On pourra alors parler de limitation des armements, et la pratique associe souvent les deux termes.
Le désarmement met en cause des considérations de nature diverse et virtuellement contradictoires. On en prendra quelques exemples. Des exigences morales : le «désarmement général et complet» est l’aspiration traditionnelle du pacifisme humanitaire. De façon plus limitée, l’interdiction de certaines armes ou de certains procédés de combat est une exigence constante des combattants eux-mêmes, attachés à des formes classiques ou «honorables» de guerre (de la condamnation des armes à feu à la prohibition des gaz asphyxiants). On vise dans le premier cas à rendre les conflits impossibles, dans le second cas à les régulariser, à les maintenir dans un certain cadre, et l’équivoque des objectifs comme des méthodes apparaît clairement. Un impératif de sécurité : cet impératif est primordial pour les États. Ils peuvent concevoir la sécurité de façon purement individuelle, ou considérer qu’elle est liée à celle des autres. Le désarmement doit alors être apprécié en tant qu’élément de la sécurité, individuelle ou commune, des États, et analysé dans le cadre des systèmes de sécurité que pratique la société internationale – ainsi l’équilibre, la sécurité collective, la dissuasion nucléaire. Un souci d’indépendance : les États ne vont-ils pas, dans un même mouvement, exiger et refuser les mesures de contrôle d’un désarmement effectif, qui conditionne son efficacité mais les atteint dans un des éléments fondamentaux de leur souveraineté, la défense nationale? Une volonté d’égalité : les armements sont un facteur de l’équilibre entre les puissances, que leur disparition générale ne pourrait que remettre en cause. Faut-il le conserver par une réduction proportionnelle ou l’adapter par une progressivité des sacrifices? Des préoccupations d’intérêt , qui se sont développées avec l’expansion considérable des industries d’armement. Sur le plan interne, les dépenses publiques pourraient s’orienter vers des activités plus rentables ou plus judicieuses, mais la production militaire est également source d’emplois et d’exportations. Sur le plan international, il est tentant de lier une diminution des budgets militaires et une assistance accrue au développement.
Ainsi, les négociations anciennes et diverses sur ces problèmes impliquent un mélange d’illusion, de duplicité et de réalisme. Illusion généreuse ou naïve de ceux qui escompteraient un désarmement général et complet. Duplicité d’États qui s’y réfèrent afin de satisfaire leurs opinions publiques et d’embarrasser leurs partenaires avec des projets conçus pour leur laisser l’essentiel de la charge. Réalisme, lorsqu’on s’accorde sur des mesures limitées mais effectives, qui coïncident avec une certaine détente dans les relations internationales.
La pratique diplomatique en la matière a connu une évolution contrastée. Pour s’en tenir à la société interétatique organisée, celle du XXe siècle, on peut schématiquement distinguer trois phases. À la S.D.N. et aux premières années de l’O.N.U. correspond l’aspiration à un désarmement général et complet. À partir des années soixante, la politique de maîtrise des armements vise seulement à régulariser la dissuasion nucléaire. Enfin, depuis la session extraordinaire de l’Assemblée générale des Nations unies tenue en 1978, une nouvelle phase s’est ouverte. Elle correspond à une préoccupation accrue et élargie pour les questions du désarmement. Mais son bilan est pour le moins ambigu.
L’ère du désarmement général et complet
Elle se caractérise par l’ampleur des objectifs, mais aussi par la faiblesse des résultats, explicable par l’incapacité à surmonter des obstacles fondamentaux.
Les objectifs
L’ambition est très élevée. Ainsi, le paragraphe 1 de l’article 8 du Pacte de la Société des Nations juge nécessaire au maintien de la paix «la réduction des armements nationaux au minimum compatible avec la sécurité nationale et avec l’exécution des obligations internationales imposées par une action commune». La Charte de l’Organisation des Nations unies souhaite dans son article 26 que ne soit détourné «vers les armements que le minimum des ressources humaines et économiques du monde», cependant que la résolution 1378 (XIV) de l’Assemblée générale du 20 novembre 1959 fixe comme but aux négociations «le désarmement général et complet».
À cette fin ont été mis sur pied par les deux organisations successives des organes et des procédures. Diverses commissions furent créées par le Conseil de la S.D.N., et la Conférence du désarmement s’ouvrit en février 1932.
Après la Seconde Guerre mondiale, les Nations unies reprirent l’étude du problème. À la suite de différentes péripéties, marquées par l’opposition entre les blocs, l’Union soviétique et les États-Unis s’accordèrent, en 1961, sur la constitution d’un «comité des dix-huit puissances sur le désarmement», composé de pays occidentaux, de pays socialistes et de pays non alignés (comité élargi à vingt-six en 1969). L’Assemblée générale entérina cet accord, et la Conférence du comité de Genève débuta ses travaux en 1962.
À l’ambition du désarmement complet correspondent donc une méthode globale, et, avec diverses formules, la recherche d’une large participation à la négociation. Si l’intérêt spécial des grandes puissances est reconnu, la compétence des organes pléniers des organisations – Assemblée de la S.D.N. et de l’O.N.U. – est affirmée. Mais les résultats sont des plus modestes.
Les résultats
En ce qui concerne la S.D.N., la Seconde Guerre mondiale a très rapidement montré son échec total. Quant aux Nations unies, elles ont connu, dans le domaine des procédures spécifiques du désarmement, davantage de plans et de projets que de résultats (plan américain Baruch-Lilienthal de 1946, contre-plan Gromyko, plan français de 1949, puis de 1955, qui lie désarmement et aide au développement, plan soviétique de 1960...).
Les obstacles
L’échec du désarmement général et complet tient à plusieurs causes. On ne doit certes pas minimiser l’importance des obstacles techniques , comme les problèmes posés par le contrôle. Pour être impartial et efficace, ce dernier implique des mesures d’inspection remettant en cause le droit de l’État au secret en matière d’activités de défense nationale. On risque alors d’organiser une sorte d’espionnage officiel, aussi dangereux pour la sécurité de l’État que satisfaisant pour le désarmement. C’est cependant le défaut de volonté politique qui est fondamental. Le désarmement suppose un climat de confiance initial, qu’il peut renforcer mais qui doit le précéder. Or, tant avant qu’après la Seconde Guerre mondiale, ce climat n’a pu être durablement établi. Ainsi, le retrait allemand de la S.D.N. et de la Conférence du désarmement en 1933, suivi de mesures de réarmement, consacre leur échec. Par la suite, l’évolution est liée aux vicissitudes des relations Est-Ouest. Il faut enfin mentionner l’incertitude conceptuelle en la matière. Quelle doit être précisément la place du désarmement dans le mécanisme général du maintien de la paix? Constitue-t-il l’élément essentiel, nécessaire et suffisant, ou un élément complémentaire d’autres systèmes de sécurité, qu’il consolide mais qui doivent être préalablement mis en œuvre et respectés? Suivant l’option, on le posera comme préalable ou on le reléguera au rang d’objectif à long terme, et l’hésitation ne favorise pas l’aboutissement rapide des négociations.
Un pas décisif est franchi à cet égard en 1961 avec une manifestation de convergence soviéto-américaine, la déclaration Zorine-McCloy. Elle constitue le point de départ d’une nouvelle politique, qui représente un glissement, d’abord insensible, puis rapidement essentiel, du désarmement vers la maîtrise des armements. En apparence, rien n’est changé, puisqu’une référence pieuse au désarmement général et complet est maintenue, et que les accords sont présentés comme des «mesures collatérales» du désarmement. Ultérieurement, l’Assemblée générale proclame la décennie 1970-1980 décennie du désarmement, en liaison avec la deuxième décennie pour le développement. En réalité, cette période correspond pleinement aux efforts en faveur de la maîtrise des armements.
La politique de maîtrise des armements
La maîtrise des armements ou arms control repose sur la dissuasion nucléaire, qu’elle conditionne en partie. Son développement est lié aux dangers de la course aux armements nucléaires , spécialement entre les États-Unis et l’U.R.S.S. qui en sont les principaux acteurs. Cette relation fondamentale entre la stratégie de la dissuasion et l’arms control implique une rupture profonde avec l’esprit classique du désarmement, quant à ses principes, quant à ses méthodes, quant à ses orientations.
Les principes
L’objectif essentiel consiste à régulariser la course aux armements afin qu’elle ne débouche pas sur la conquête par l’un des partenaires d’une avance décisive détruisant la situation de dissuasion réciproque. Il ne s’agit donc pas de renoncer à un système de maintien de la paix qui repose sur la capacité d’anéantissement mutuel, mais à l’inverse de le stabiliser et de le conforter. Il n’est pas question de réduire de manière significative le niveau des armements, mais de limiter la course aux armes de destruction massive (ou A.B.C.: atomiques, bactériologiques, chimiques), et surtout aux armes nucléaires. Le domaine des négociations, la portée des engagements se trouvent ainsi étroitement circonscrits. Ils ne prévoient pas en principe de destructions ou de réductions mais interdisent des fabrications ou des usages simplement virtuels.
Les méthodes
Les méthodes présentent deux caractéristiques fondamentales.
D’abord, les négociations ont un caractère profondément inégalitaire. Elles reposent sur l’entente soviéto-américaine, qu’il s’agisse de discussions bilatérales ou multilatérales. Les deux puissances ont pris conscience à la fois de leurs responsabilités et de leurs privilèges. Elles sont les premières intéressées à son maintien et tendent à imposer à autrui leur conception de sa stabilisation. Un symbole en est l’accord bilatéral du 22 juin 1973 qui consacre les deux États comme une sorte de super-Conseil de sécurité dans le domaine nucléaire. C’est pourquoi certains pays – la France et la Chine, membres permanents du Conseil de sécurité et également puissances nucléaires – ont refusé de participer à une entreprise qui leur paraît viser à consolider les avantages acquis des États-Unis et de l’U.R.S.S. Ces positions critiques initiales ont été rejointes par un certain nombre de pays non nucléaires.
Ensuite, la maîtrise des armements rompt avec la méthode globale, qui consiste à tracer un programme général et à chercher à le réaliser progressivement suivant des procédures préétablies et coordonnées. Elle entraîne à l’inverse une pluralité de négociations indépendantes, entre des cercles de participants plus ou moins étendus, autour des États-Unis et de l’U.R.S.S., suivant les questions traitées – négociations bilatérales avec les S.A.L.T. (strategic arms limitation talks ), réunion d’une conférence spéciale pour l’Antarctique, recours à un comité spécial dans le cadre des Nations unies pour les fonds marins, utilisation du Comité de Genève dans d’autres cas, etc. Les questions ne sont pas non plus, sauf exception, traitées en fonction d’un ordre de priorités systématiquement conçu, mais en raison de l’actualité ou de la proximité d’un péril qu’il s’agit de prévenir – ainsi la nucléarisation de l’espace extra-atmosphérique, le développement des réseaux antimissiles (A.B.M.), la mise au point de techniques permettant de modifier l’environnement à des fins militaires. Cet empirisme, lié au dynamisme partiellement incontrôlé des armes de destruction massive, renforce le réalisme et l’intérêt concret des négociations, s’il peut en brouiller les perspectives d’ensemble. On peut cependant distinguer des orientations générales.
Les orientations
La maîtrise des armements s’oriente alors dans deux directions principales.
La limitation de la compétition entre États-Unis et U.R.S.S. dans le domaine des armes de destruction massive, d’abord. Elle comporte deux techniques complémentaires, la limitation territoriale et la limitation fonctionnelle.
La limitation territoriale résulte de traités multilatéraux, même si l’accord soviéto-américain conditionne leur existence et leur efficacité. Elle vise à éviter la dissémination des armes nucléaires dans certains espaces, que l’on souhaite maintenir à l’écart de la course aux armements. Les traités ne portent pas exclusivement sur la limitation des armements mais peuvent contenir des clauses relatives au statut des espaces ou au régime juridique des activités qui s’y déroulent. Ainsi le traité sur l’Antarctique (Washington, 1er déc. 1959); le traité sur l’espace extra-atmosphérique, y compris la Lune et les autres corps célestes (27 janv. 1967); le traité sur la dénucléarisation des fonds marins (11 févr. 1971). Ils illustrent clairement la différence entre désarmement et maîtrise des armements puisqu’ils ne prohibent que des utilisations virtuelles, non des utilisations actuelles. Le transit de fusées porteuses d’armes dans l’espace, la mise sur orbite des satellites d’observation, le stationnement de sous-marins lanceurs sur le fond des mers ne sont pas interdits. Or ils constituent des éléments indispensables au maintien de la dissuasion nucléaire.
La limitation fonctionnelle consiste à renoncer à l’expérimentation, au développement ou à l’usage de certaines armes en elles-mêmes et non par rapport à un secteur géographique déterminé.
Les négociations et accords S.A.L.T. constituent l’essentiel de l’entreprise. Liés initialement au développement de réseaux antimissiles, ils se sont étendus à l’ensemble des instruments de la dissuasion, qu’ils ont pour but de rationaliser et de codifier. Un premier accord (S.A.L.T. I) a été conclu le 26 mai 1972 sur des points limités, et la discussion des S.A.L.T. II a rapidement commencé. Le traité S.A.L.T. II a été signé le 18 juin 1979, mais il ne fut pas ratifié, en liaison avec la dégradation générale des rapports américano-soviétiques. Après en avoir d’abord respecté les dispositions, les États-Unis ont déclaré en 1986 qu’ils ne seraient plus liés par les plafonds qu’il comportait. Ils les ont effectivement dépassés à partir de novembre 1986. Entre-temps, d’autres accords avaient été conclus, sur la prévention des guerres nucléaires (22 juin 1973), sur la limitation des essais nucléaires souterrains (3 juill. 1974), sur certains points touchant à la poursuite des S.A.L.T. (accords de Vladivostock, 24 nov. 1974)...
Les traités multilatéraux sont moins nombreux en ce domaine. On peut mentionner la convention sur la prohibition des armes biologiques et à toxines (10 avr. 1972) ou la convention sur l’interdiction d’utiliser des techniques de modification de l’environnement à des fins militaires (18 mai 1977). Mais le plus connu est le traité de Moscou sur l’interdiction partielle des essais nucléaires (25 juill. 1963). Largement ratifié, il concerne autant la non-prolifération que la limitation des armements stricto sensu .
L’ensemble de ces accords soulève le problème du contrôle. Mais autant la nature des interdictions que l’évolution technique ont simplifié et facilité celui-ci au moins durant cette période. Le contrôle est en théorie aisé, au moins pour les puissances mondiales, lorsque la limitation concerne des espaces libres, et l’utilisation de satellites de surveillance ou de sismographes permet de vérifier à distance, sans atteinte à la souveraineté territoriale, le respect des engagements. La question est beaucoup plus délicate lorsqu’ils concernent une course aux armements qualitative, en laboratoire.
La non-prolifération ensuite constitue le second aspect de la maîtrise des armements. La multiplication du nombre des puissances nucléaires ne peut qu’accroître les risques de conflit. Aussi est-il souhaitable que le plus grand nombre possible d’États renonce à se doter d’armes nucléaires. Divers traités le prévoient pour les puissances vaincues après la Seconde Guerre mondiale: traités de paix de 1947 pour l’Italie, la Hongrie, la Roumanie et la Bulgarie, accords de Paris de 1954 pour la R.F.A. D’autres pays en ont pris l’initiative, comme les pays latino-américains avec le traité de Tlatelolco (14 févr. 1967, en vigueur État par État). Mais l’instrument essentiel, à vocation générale, est le traité sur la non-prolifération des armes nucléaires (1er juill. 1968). Il interdit aux pays nucléaires d’aider les non-nucléaires à le devenir, et prévoit que ceux-ci y renoncent. Un contrôle exercé par l’Agence internationale de l’énergie atomique de Vienne est envisagé. Ce traité a d’abord connu un relatif succès, puis a fait l’objet d’une certaine contestation de la part des pays non nucléaires. L’explosion, le 18 mai 1974, d’une bombe indienne a montré la fragilité de l’entreprise. Le problème se pose donc en des termes nouveaux, compte tenu de l’expansion de l’énergie nucléaire civile comme de la vulgarisation de la technique des bombes atomiques. L’accord des puissances nucléaires sur la nécessité d’éviter la prolifération est acquis, mais les risques sont accrus par leur compétition commerciale, même s’ils cherchent à l’ordonner (Club de Londres). L’Inde a notamment bénéficié de l’assistance involontaire du Canada, fournisseur de centrales nucléaires à vocation pacifique.
Ainsi, l’arms control , contesté au nom de l’égalité, voit son efficacité également critiquée. La course aux armements n’a été que partiellement freinée, les négociations américano-soviétiques ont durablement marqué le pas, tant la méfiance et les résistances internes furent fortes. L’ampleur des armements conventionnels a été peu affectée par les négociations M.(B).F.R. [Mutual (Balanced) Force Reduction] organisées de 1973 à 1989 entre les pays membres du pacte de Varsovie et les membres de l’O.T.A.N., moins la France. Les ventes d’armes restent largement encouragées par les pays producteurs. Dans ce contexte, la session extraordinaire de l’Assemblée générale des Nations unies sur le désarmement a ouvert une nouvelle étape.
Désarmement et limitation des armements
Cette phase contemporaine est marquée par des tendances contradictoires: d’un côté une incertitude stratégique accrue, voire généralisée, de l’autre une amplification considérable des perspectives de l’entreprise du désarmement. Chacune de ses tendances connaît au surplus ses contradictions internes, dans la mesure où l’ambition des Nations unies en matière de désarmement ne conduit qu’à des résultats modestes, tandis que l’incertitude stratégique provoque un retour aux pratiques classiques.
L’incertitude stratégique se marque sur deux plans: d’abord une relance, réelle ou virtuelle, de la course aux armements entre les principales puissances, témoignant des limites de l’arms control . C’est, à la fin des années soixante-dix, l’installation des SS-20 soviétiques, en direction de l’Europe occidentale, et, en réplique, le déploiement des Pershing sur le territoire de membres européens de l’O.T.A.N. C’est aussi, en 1983, le lancement de l’initiative de défense stratégique (I.D.S.) par le président Reagan. Elle tend initialement à réaliser une défense efficace du territoire américain contre une attaque nucléaire, en utilisant l’espace extra-atmosphérique, dont la militarisation serait notablement accrue. Même à l’état de projet ou d’étude, cette initiative bouleversait la réflexion stratégique et suscitait une inquiétude assez vive, surtout exprimée par l’U.R.S.S. et les pays socialistes. Il résulte, ensuite, de cette course aux armements une remise en cause de données stratégiques considérées comme relativement stables: le «couplage» entre les États-Unis et l’Europe, plus largement la dissuasion nucléaire elle-même, dont le concept est de plus en plus rejeté, sans que l’on discerne par quel nouveau système on pourrait le remplacer. C’est dans ce contexte que l’on doit apprécier la relance de l’entreprise du désarmement.
La relance de l’entreprise du désarmement avec la session extraordinaire de l’Assemblée générale de 1978 entraîne un retour officiel à l’objectif du «désarmement général et complet sous un contrôle international efficace». La dissuasion nucléaire est parallèlement condamnée au profit de la sécurité collective, seul système de la charte. Au-delà des réformes de procédure, qui mettent l’accent sur une multilatéralisation des négociations, avec l’organisation de la conférence du désarmement, les résultats restent toutefois modestes. Aucun grand accord n’est conclu dans les années qui suivent, si l’information et la réflexion dans ces domaines font de notables progrès. Il apparaît toutefois que les perspectives concrètes à court et à moyen terme relèvent beaucoup plus de la limitation des armements que du désarmement général et complet. Au surplus, l’approche multilatérale coexiste avec un cadre bilatéral, troublé mais maintenu, de négociations américano-soviétiques, comme avec une dimension européenne spécifique. Les mécanismes universels des Nations unies ne sont pas en mesure de se subordonner les autres instances, de sorte que l’on assiste sinon à un éclatement, du moins à une complexité accrue de l’entreprise du désarmement.
L’approche multilatérale
L’approche multilatérale correspond d’abord à un élargissement des objectifs , avec la volonté de renouer avec l’ambition du désarmement général et complet sous un contrôle international efficace, mais aussi d’envisager le désarmement sous tous ses aspects. À cet égard, le document de base demeure le document final adopté par la session extraordinaire de l’Assemblée générale en 1978, à la suite d’un consensus. Il ne s’agit cependant que d’une résolution, sans force juridique obligatoire. Il comporte un préambule et 129 paragraphes, répartis en une introduction (10 paragraphes), une déclaration (32 paragraphes), un programme d’action (70 paragraphes) et un mécanisme (17 paragraphes). La logique de ce document est composite. Il représente une sorte de filet, au maillage serré, qui juxtapose des préoccupations multiples. Ainsi, le désarmement général et complet est l’objectif ultime, mais une priorité est reconnue au désarmement nucléaire. Si l’on affirme que la sécurité doit être commune, et même collective, le droit individuel à la sécurité implique que chaque État demeure maître de sa politique en ce domaine.
Elle entraîne surtout un élargissement des mécanismes , qui demeure son résultat le plus concret. Le rôle central de l’O.N.U. est affirmé. L’Assemblée générale est qualifiée de principal organe délibérant, et sa première commission est spécialisée dans le domaine du désarmement. Est au surplus instituée une commission du désarmement, organe subsidiaire de l’Assemblée, à composition universelle, et chargée de lui faire un rapport annuel. C’est l’aspect le plus tangible de l’universalisation ou de la multilatéralisation, qui, dans le cadre onusien, sont le plus souvent associées. Ces termes sont, en tout cas, plus adaptés que celui de démocratisation, dont on tend parfois à abuser et qui n’a guère de sens dans un cadre interétatique.
Ces organes pléniers sont toutefois trop vastes pour que l’on puisse y mener concrètement des négociations complexes. Aussi l’essentiel des discussions techniques et des propositions concrètes passe par un organe restreint, le comité du désarmement, qui a pris en 1984 le titre de conférence du désarmement. Cette conférence, qui siège régulièrement à Genève, se voit qualifiée de forum multilatéral unique de négociations. Comprenant dès l’origine quarante participants, les cinq puissances nucléaires plus trente-cinq pays représentant les grands courants géographiques, culturels et politiques du monde, la question de son élargissement reste posée. Elle conduit ses travaux sur la base du consensus, et est présidée à tour de rôle par tous les participants sur une base mensuelle.
Le bilan de l’approche multilatérale reste cependant modeste . Les perspectives de conclusion d’une convention multilatérale sur l’élimination et l’interdiction des armes chimiques semblent bonnes, mais les discussions piétinent dans nombre de domaines. On ne saurait cependant en tirer trop rapidement des conclusions négatives. D’une part, la participation de pays non alignés aux négociations et leur rôle prépondérant dans la thématique de la conférence correspondent bien aux nouveaux équilibres de la société internationale. Il faut en effet attendre de l’O.N.U. qu’elle pose convenablement les problèmes de cette société, mais leur solution ne peut provenir que des États intéressés eux-mêmes. D’autre part, la conférence maintient un contact permanent entre États sur les problèmes stratégiques, crée un milieu international compétent et informé, où s’organise un débat international et public, et contribue à développer un état d’esprit davantage tourné vers la discussion que vers l’affrontement.
La conférence sur le désarmement n’est toutefois pas le seul forum à prendre en considération. À côté d’autres conférences multilatérales comme la conférence désarmement-développement, tenue en 1987 à New York, existent également un dialogue américano-soviétique et divers cadres européens.
Les vicissitudes du cadre bilatéral
Même si les relations américano-soviétiques ont été particulièrement difficiles durant cette période, l’essentiel est malgré tout passé par leur entremise, négativement par leur désaccord, positivement par leur entente. Les tiers, de plus en plus concernés par leurs débats, restent à l’écart, spectateurs simplement sommés par l’un ou par l’autre de prendre parti.
L’unilatéralisme croisé caractérise la première partie des années quatre-vingt. Des décisions ou déclarations unilatérales antagonistes conduisent à une mésentente croissante, jusqu’à une inversion conduisant à de nouvelles perspectives d’accord. On a déjà évoqué le face à face SS-20-Pershing et l’I.D.S. Les positions américaines et soviétiques ont connu de notables inflexions. Après avoir paru accepter une épreuve de force, l’U.R.S.S. s’est engagée vers une reprise des initiatives en matière de désarmement. Il s’agit pour elle, après avoir solennellement renoncé à utiliser en premier l’arme nucléaire en 1982 lors de la deuxième session extraordinaire de l’Assemblée générale sur le désarmement, puis annoncé une suspension durant dix-huit mois de ses essais nucléaires, de faire pièce à l’I.D.S. et de mobiliser à son profit l’opinion publique internationale. Elle presse les États-Unis de renoncer à l’I.D.S. et de négocier la consolidation du traité A.B.M. de 1972 afin d’en rendre impossible la mise en œuvre, en prélude à une élimination des missiles intercontinentaux. Quant aux États-Unis, qui affirment leur attachement tout à la fois au traité A.B.M. strictement interpété et à l’I.D.S. comme programme de recherche scientifique et technologique, ils refusent d’entrer en discussion sur ce point avec l’U.R.S.S. À long terme cependant, et par des méthodes très différentes, les deux pays expriment leur souci de dépasser la dissuasion nucléaire. L’I.D.S. viserait à rendre ces armes obsolètes, cependant que l’U.R.S.S. prône leur disparition à l’horizon de l’an 2000.
Le bilatéralisme est retrouvé à partir de 1985, même si les résultats sont longs à venir. La rencontre, à demi réussie, de Reykjavik, en octobre 1986, conduit à un déblocage. L’U.R.S.S. accepte qu’il soit discuté séparément des missiles à portée intermédiaire, en vue d’obtenir leur destruction complète, sans faire un préalable de la renonciation à l’I.D.S. La perspective d’une élimination de 50 p. 100 des armes à portée intercontinentale serait alors ouverte. Un accord de principe est annoncé en septembre 1987. Sa mise en œuvre soulève cependant nombre de difficultés techniques. L’accueil des tiers est généralement favorable, même si une certaine inquiétude est perceptible en Europe, qui constate que son sort est réglé sans elle et que la diminution physique de l’engagement américain laisse intacte la présence conventionnelle soviétique, ainsi que les armes tactiques à très courte portée. L’évaluation de l’accord ne pourra être réalisée qu’après son application concrète, qui permettra de savoir s’il entraîne ou non un processus de désarmement. Cependant, il doit conduire d’ores et déjà à de réelles mesures de désarmement, destruction ou retrait d’armes, et il concerne l’Europe, qui est au cœur des problèmes stratégiques Est-Ouest.
La dimension européenne
Indépendamment des négociations Mutual (Balanced) Force Reductions, tenues vainement de bloc à bloc à Vienne de 1973 à 1989, le cadre européen connaît des initiatives et un dynamisme certains. Dans le prolongement de la C.S.C.E. (conférence sur la sécurité et la coopération en Europe), réunie à Helsinki en 1975, s’est tenue une C.D.E. (conférence sur le désarmement en Europe) à Stockholm, de 1984 à 1986. Elle a conduit d’une part à un accord sur certaines mesures de confiance et de sécurité (CSBM), et d’autre part provoqué une relance de discussions sur la réduction des forces conventionnelles. Un groupe des vingt-trois réunissant les seize membres de l’O.T.A.N. et les sept du pacte de Varsovie a été constitué en juin 1986, et a poursuivi à Vienne ses conversations sur la stabilité stratégique, laquelle implique une réduction importante des armements classiques.
Les obstacles restent nombreux, et la multiplicité des forums, qui ne sont pas construits sur la même logique, ne favorise pas les négociations. Au surplus, même consacrées au désarmement conventionnel, elles restent tributaires de l’évolution des armements nucléaires, et donc des rapports soviéto-américains. La référence européenne est plutôt un cadre géographique, un objet d’application des mesures envisagées, qu’un centre de décision politique.
Il est sans doute aléatoire de porter une appréciation d’ensemble sur les perspectives contemporaines du désarmement. Un élément semble toutefois cristalliser les difficultés et les espérances que fait naître le processus. Il s’agit de la vérification. L’accent est mis, à propos de l’espace comme à propos de l’élimination des armes nucléaires ou des armes chimiques, sur la nécessité de contrôler les engagements pris par des procédures internationales, objectives et indépendantes, comportant des inspections sur place. L’évolution de la position soviétique, longtemps hostile, a, sur ce plan, été spectaculaire. Une telle exigence témoigne du sérieux des négociations, de la volonté de conclure des accords fiables. La vérification internationale permet au surplus à l’ensemble des États d’être impliqués dans des procédures qui les concernent tous. Elle est indissociable de la confiance, laquelle est en définitive la clef de la sécurité et de la paix.
désarmement [ dezarməmɑ̃ ] n. m.
• 1594; de désarmer
1 ♦ Action de désarmer. Désarmement d'une garnison qui capitule. Désarmement d'une forteresse.
♢ Réduction ou suppression des armements nationaux. Désarmement progressif des grandes puissances. Conférences pour le désarmement nucléaire. ⇒ dénucléarisation (cf. Option zéro) .
2 ♦ Mar. Désarmement d'un navire : mise en réserve d'un navire auquel on enlève les appareils de navigation et les approvisionnements. Bassin de désarmement.
⊗ CONTR. Armement, réarmement.
● désarmement nom masculin Action d'enlever ses armes à quelqu'un, à un soldat, à une troupe, etc. Action concertée visant à limiter, supprimer ou interdire la fabrication ou l'emploi de certaines armes. Action de désarmer un navire, une forteresse.
désarmement
n. m.
d1./d Action de désarmer (qqch). Le désarmement d'un fort. Le désarmement d'un paquebot.
d2./d Action de réduire ou de supprimer les forces militaires.
⇒DÉSARMEMENT, subst. masc.
A.— Action d'enlever les armes ou l'armement ou de les réduire.
1. [Correspond à désarmer I A 1] Action d'enlever ses armes à quelqu'un; résultat de cette action. On arme les manants du désarmement des soldats (HUGO, N.-D. Paris, 1832, p. 514) :
• 1. Depuis le petit jour, le désarmement s'opérait, les soldats devaient défiler sur la place Turenne, pour jeter chacun ses armes, les fusils, les baïonnettes, au tas qui grandissait, pareil à un écroulement de ferraille, dans un angle de la place.
ZOLA, La Débâcle, 1892, p. 433.
— ESCR. Action de faire sauter l'arme des mains de son adversaire. Fernand enlève d'un coup de désarmement l'épée de Quantin (KARR, Romans, 1832-90, p. 68).
2. [Correspond à désarmer I A 2]
a) Action de dégarnir une place forte de ses moyens de résistance. Les places ne furent perdues qu'après le désarmement (Ac. 1835, 1878).
b) Action de dégarnir un navire de tout ce qui est nécessaire à son fonctionnement (en partic. de sa puissance de feu, dans le cas d'un navire de guerre). Le désarmement par l'Allemagne de sa flotte de guerre (FOCH, Mém., t. 2, 1918, p. 287).
3. DIPLOM. [Correspond à désarmer I A 3] Action de réduire ou de supprimer les forces armées d'un pays. Désarmement atomique, général, nucléaire; commission, négociation de désarmement. Il semble impossible que la guerre disparaisse et que vienne le désarmement (BLONDEL, Action, 1893, p. 276).
B.— Au fig. [Correspond à désarmer I B]
1. Abandon d'une attitude hostile. Cet abandon de toute requête, ce désarmement de toute haine (MONTHERL., Encore instant bonh., 1934, p. 698).
2. P. ext. Absence d'esprit combatif. Attitude de désarmement :
• 2. ... le même vieux personnel qui avait précisément créé cette situation de lassitude et de décrépitude, et de désarmement et de dénégation contre lequel et ce pays et cette race et cette jeunesse ont fini par se révolter.
PÉGUY, L'Argent, 1913, p. 1278.
Rem. Les emplois fig. ne sont pas attestés dans les dict. gén. des XIXe et XXe siècles.
Prononc. et Orth. :[]. Ds Ac. 1694-1932. Étymol. et Hist. 1616 « action de désarmer quelqu'un » (A. D'AUBIGNÉ, Hist., I, 260 ds LITTRÉ); 1690 « action de réduire ou supprimer ses forces armées » (FUR.). Dér. du rad. de désarmer; suff. -(e)ment1. Fréq. abs. littér. :122.
désarmement [dezaʀməmɑ̃] n. m.
ÉTYM. 1594; de désarmer.
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1 (1616). Action de désarmer. || Le désarmement d'une garnison qui capitule. || Désarmement d'une forteresse, d'un blockhaus.
♦ Escrime. || Coup de désarmement, qui fait sauter l'arme des mains de l'adversaire.
2 (1690). Plus cour. Réduction ou suppression des armements. || Désarmement progressif des grandes puissances. || Conférences du désarmement, pour le désarmement. || Désarmement atomique, nucléaire. || Le désarmement d'un pays vaincu.
1 La garantie qu'il (le Pacte de Versailles) se vante d'offrir, c'est le désarmement. Les auteurs de la paix ont raisonné ainsi : la possession d'une force militaire excessive a poussé l'Allemagne à la guerre et à la conquête. Une Allemagne qui n'aura plus le droit de conserver sous les drapeaux qu'une centaine de mille hommes, juste ce qu'il lui faudra pour maintenir l'ordre à l'intérieur, sera pacifique et inoffensive.
J. Bainville, les Conséquences politiques de la paix, p. 39.
2 (…) quand on a décidé que la guerre est un délit, il est logique d'interdire aux États de préparer ce délit en développant leurs armements. Le désarmement est ainsi lié à l'évolution du droit des gens et à la disparition du droit de guerre.
Louis Delbez, Manuel de droit international public, p. 255.
3 Le jour où les armes nucléaires seront interdites, où les nations auront l'assurance de pouvoir de nouveau se battre sans courir le risque d'une destruction totale, la troisième guerre mondiale sera aux portes. Nous avons tout à craindre de ce désarmement-là.
F. Mauriac, le Nouveau Bloc-notes 1958-1960, p. 330.
3 Mar. || Désarmement d'un navire : mise en réserve d'un navire auquel on enlève les appareils de navigation et les approvisionnements. || Désarmement d'un paquebot, d'une escadre. || Bassin de désarmement.
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CONTR. Armement.
Encyclopédie Universelle. 2012.