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ESPAGNE
ESPAGNE

L’ESPAGNE est, dans l’histoire, un destin tragique, nourri de drames aussi profonds que le brutal effondrement du royaume wisigoth sous la poussée de l’Islam, ou le sanglant affrontement de 1936; jalonné d’échecs épuisants, comme l’impossibilité d’assimiler les juifs et les Maures, à la fin du Moyen Âge, la vanité des entreprises coloniales et impérialistes au XVIe siècle, l’inutilité des sacrifices consentis durant la guerre contre Napoléon.

Chacun de ces échecs fut l’occasion pour le peuple espagnol de méditer sur lui-même, que ce soit au moment de la «décadence» du XVIIe siècle ou lors de la crise de 1898. Cet approfondissement de la conscience commune apparaît particulièrement sensible après 1939, et il conduisit alors à une réflexion sur la nature et la signification de l’unité nationale, que la guerre civile avait remise en cause. Des penseurs s’efforcèrent de définir dans quelles conditions et à quelle époque les Espagnols prirent conscience de leur personnalité collective et commencèrent à l’exprimer. Selon la réponse donnée à cette question, l’Espagne apparaît sous des visages bien différents.

Pour Américo Castro, en quête de sa «réalité», l’Espagne commence avec le contact entre les chrétiens et les musulmans. Plus exactement, elle naît d’une symbiose entre le christianisme et l’islam, à laquelle participe également le judaïsme, car, «si l’histoire de l’Europe peut se comprendre sans qu’il soit nécessaire de situer les juifs au premier plan, celle de l’Espagne, non». Vers l’an mille, les groupes humains qui peuplent la péninsule Ibérique dépassent la pure et simple coexistence, pour réaliser en commun une certaine manière de vie. «Être espagnol» consiste en effet en une attitude vitale particulière, une vividura : «vivre en cherchant sa vie», pour réaliser intégralement son existence, avec l’angoisse de se demander si le but visé est pleinement atteint et parfois la conscience malheureuse de l’impossibilité d’y arriver. Il se peut même que, «au lieu d’aller de l’avant, la vie espagnole se croie obligée de retourner à son point de départ, effaçant des siècles d’histoire, pour effectuer à nouveau le chemin parcouru et le refaire à neuf». Américo Castro parle de vivir desviviéndose , pour caractériser le drame de ce qui se «défait» par le seul fait de vivre, don Quichotte et don Juan pouvant être considérés, chacun dans sa sphère, comme des symboles du desvivirse espagnol.

Cette plongée de l’intuition dans le mystère de la vividura espagnole a séduit sans toujours convaincre. On a demandé à l’histoire classique des analyses plus documentées.

Ramón Menéndez Pidal a élaboré une thèse unitariste de la nation espagnole fortement étayée par les faits, mais non exempte de passion. La communauté espagnole, déjà nationale, a été créée par Rome. Elle naît de sept siècles de paix romaine et réside dans une solidarité d’intérêts et une homogénéité spirituelle. Cette unité survit à l’arrivée des Goths. Mieux encore, c’est sous la domination de ceux-ci que l’Hispania devient pleinement indépendante. Cependant survient l’invasion musulmane de 711, qui détruit la communauté et provoque la «perte de l’Espagne». Alors se fondent les États médiévaux de Catalogne, d’Aragon, de Navarre et de Portugal. Mais il ne s’agit que d’un intermède sans signification profonde. Dès le XVe siècle, l’unité se rétablit dans le cadre ancien, et la «carte intellectuelle» du Siècle d’or, témoignage éclatant de l’état de l’esprit dans la Castille, l’Andalousie et l’Aragon des plateaux, reproduit celle de l’Hispania.

Fort de l’aide apportée à sa thèse par les textes et les œuvres littéraires, et aussi parce que l’arrivée à la conscience nationale est d’abord le fait des «élites», Ramón Menéndez Pidal avait cru pouvoir négliger l’histoire des groupes humains. Ce sont eux qu’observe Pedro Bosch Gimpera en partant des plus primitifs. Il arrive de la sorte à des conclusions diamétralement opposées.

Dans cette nouvelle perspective, la domination romaine devient un phénomène superficiel, limité sur le plan géographique, puisqu’il n’affecte que les zones littorales, et davantage encore au point de vue social. Il constitue une simple «superstructure» de type colonial, qui ne touche guère à la réalité indigène. La vie des dominés se poursuit et elle se poursuivra après la chute de Rome. Il y aura continuité des tribus aux comtés, puis aux royaumes médiévaux. L’unité espagnole est le produit d’un processus lent et continu.

Cette thèse a le mérite d’attirer l’attention sur le facteur géographique, dont on ne saurait assez souligner l’importance dans la vie de la péninsule Ibérique. L’Espagne est d’abord un espace, dont le caractère le plus original est peut-être sa fragmentation et l’existence d’un contraste saisissant entre de hautes terres intérieures, d’accès difficile, et un littoral diversifié et largement ouvert aux civilisations extérieures de la Méditerranée et de l’océan Atlantique. À cause de cette opposition, la vie s’est organisée dans la péninsule suivant un rythme bien particulier. Tantôt l’impulsion vient du centre: c’est ainsi que la Castille, grâce à sa vigoureuse capacité d’expansion, a pu imposer sa prépondérance et sa langue. Tantôt la vie s’affirme dans la périphérie, en exaltant l’originalité des groupes humains, eux-mêmes très divers, qui en peuplent les divers secteurs, la Cantabrie et la Galice, la Biscaye et la Catalogne, la Navarre et le Levant. Chacun d’eux écrit sa propre histoire avec sa psychologie particulière. À la nobleza castillane répond le seny (bon sens) catalan. L’histoire de l’Espagne est aussi celle «des Espagnes», qui présentent, comme l’a montré Pierre Vilar, un décalage dans leur développement.

On est ainsi amené à distinguer, outre l’énigme historique représentée par l’Espagne prise dans son ensemble, les problèmes particuliers posés par chacun des groupes ethniques qui la composent. Le plus grave étant sans doute celui de la Catalogne, c’est-à-dire des siècles d’incompréhension, de méfiance, d’hostilité sourde ou déclarée vis-à-vis de la Castille. Si l’instinct unitaire du peuple espagnol a généralement su maintenir la cohésion de l’ensemble, il n’a donc pas su faire disparaître les particularismes locaux. Ceux-ci ont retardé et parfois compromis la croissance d’une communauté qui demeure imparfaite.

Espagne
(royaume d'Espagne) (Reino de España), état de la péninsule Ibérique, bordé au N.-E. par la France, à l'O. par le Portugal, au N.-O. et au S.-O. par l'Atlant., à l'E. et au S.-E. par la Médit.; 504 790 km²; 39 025 000 hab.; cap. Madrid. Nature de l'état: monarchie constitutionnelle. Langue nationale off.: espagnol. Monnaie: peseta. Relig.: catholicisme. Géogr. phys. et hum. - Le centre de la péninsule est occupé par la Meseta, vieux plateau hercynien situé entre 700 m et 1 000 m et séparé en deux ensembles par la sierra de Guadarrama: au N., la Castille-Léon; au S., la Castille-la Manche. Flanquée de hauteurs sur sa périphérie, la Meseta est encadrée par deux grands bassins tertiaires largement ouverts sur la mer: celui de l'èbre, qui se jette dans la Médit., dominé au N. par les Pyrénées (3 404 m au pic d'Aneto); celui du Guadalquivir, que bordent au S. les chaînes Bétiques (3 478 m au Mulhacén), ainsi que le Douro, le Tage et la Guadiana, qui se jettent dans l'Atlant. Le climat est méditerranéen, mais l'intérieur, continental, connaît des hivers rudes alors que le N.-O. atlantique a des caractères océaniques. La pop. se groupe le long des grandes vallées, dans les bassins intérieurs et sur les plaines côtières; l'urbanisation atteint 78 %. Longtemps terre de départ, le pays enregistre désormais un solde migratoire excédentaire. La croissance naturelle est ralentie (moins de 0,5 % par an). écon. - L'entrée dans la C.é.E., en 1986, a renforcé un cycle de croissance écon. amorcé auparavant et qui transforme l'Espagne, réputée agricole et touristique, en une puissance économique moderne et diversifiée. L'agric. emploie 12 % des actifs. Les régions du Nord-Ouest atlantique sont spécialisées dans l'élevage bovin; sur les plateaux intérieurs dominent la céréaliculture et l'élevage des moutons; autres ressources: huiles d'olive, vins. Dans les plaines littorales et les basses vallées méditerranéennes irriguées s'impose la polyculture: primeurs, agrumes, fruits. L'Espagne est un des grands pays de pêche d'Europe (dans l'Atlantique) et un haut lieu du tourisme balnéaire. Elle dispose de solides bases industrielles, notam. à Barcelone (1er pôle national) et à Madrid (2e pôle); l'industrialisation a gagné les régions méridionales. L'automobile, la chimie, l'agroalimentaire, l'aéronautique et l'électronique informatique sont les branches clés. L'essor des activités tertiaires (55 % des actifs) et le dynamisme des banques témoignent de la modernisation de l'écon., mais dep. 1990 la "surchauffe" s'aggrave: croissance de la consommation privée, baisse de l'épargne, développement du crédit; de là: inflation, déficit extérieur, chômage élevé. Les mesures de rigueur adoptées en 1992 ont été renforcées ensuite par F. González puis par J.M. Aznar. Hist. - Peuplée par les Ibères au IIe mill. av. J.-C., l'Espagne a vu s'installer sur ses côtes des établissements phéniciens (puis puniques) et grecs au Ier mill., tandis que des Celtes s'installaient en Castille, formant un peuplement celtibère. Rome mit deux siècles pour conquérir l'Espagne (218 av. J.-C.). Patrie de deux empereurs (Hadrien, Trajan), fortement urbanisée (Tarragone, Cordoue), l'Espagne fut une des provinces les plus riches de l'Empire romain. Atteinte au Ve s. apr. J.-C. par les invasions germaniques (Vandales, Alains, Suèves), elle fut réunifiée par les Wisigoths, qui établirent leur capitale à Tolède (554) et se convertirent au catholicisme (589). Affaiblie par la puissance du clergé et la ruine du commerce méditerranéen, l'Espagne fut aisément conquise par les Arabes (711-714), à l'exception du N.-O. et de la marche d'Espagne entre l'èbre et les Pyrénées. Un brillant état musulman se constitua alors autour du califat de Cordoue qui entra en lutte avec des royaumes chrétiens (Navarre, Aragon, Castille et Léon). En 1212, la victoire des princes chrétiens à Las Navas de Tolosa consacra la Reconquista. Unifiée provisoirement par le mariage d'Isabelle de Castille et de Ferdinand d'Aragon (1469), l'Espagne chrÉtienne s'empara de Grenade, dernier territ. musulman (1492), et chassa les Maures de la péninsule. Christophe Colomb, grâce à Isabelle, ouvrit la voie aux conquistadors (Cortés, Pizarro, Almagro), qui donnèrent à l'Espagne toute l'Amérique du Sud, excepté le Brésil. L'Espagne atteignit son apogée (le "Siècle d'or") avec Charles Quint (Charles Ier en Espagne, 1516-1556), empereur germanique en 1519. Sous le gouvernement absolu de Philippe II (1556-1598), les difficultés se multiplièrent: soulèvement des protestants aux Pays-Bas qui obtiennent leur indépendance, dépopulation de l'Espagne, expulsion des morisques, déclin économique du pays, ruiné par le recul de son industrie et l'inflation due aux métaux précieux rapportés d'Amérique. Vaincue par la France, l'Espagne perdit le Portugal (1640), le Roussillon, l'Artois (1659), une partie de la Flandre (1668) et la Franche-Comté (traité de Nimègue, 1678). Quand la maison d'Autriche s'éteignit (1700), les Bourbons accédèrent au trône d'Espagne (Philippe V, petit-fils de Louis XIV). La guerre de la Succession (1701-1713) affaiblit le pays. Allié à Napoléon, le faible Charles IV d'Espagne vit sa flotte écrasée à Trafalgar (1805). En 1808, Napoléon plaça son frère Joseph Bonaparte sur le trône d'Espagne. La guerre d'indépendance, qui prit fin en 1814, restaura les Bourbons (Ferdinand VII). L'Espagne perdit la plupart de ses colonies d'Amérique latine entre 1820 et 1826. En 1833, Isabelle II monta sur le trône, malgré l'opposition de don Carlos, frère du roi défunt, ce qui provoqua les interminables guerres "carlistes". Après une éphémère république (1873-1874), deux Bourbons régnèrent: Alphonse XII (1874-1885), Alphonse XIII (1885-1931). En 1898, l'Espagne perdit Cuba, Porto Rico et les Philippines dans la guerre contre les È.-U. L'archaïsme des structures sociales (grande propriété foncière) contrastait avec la combativité d'un prolétariat urbain favorable à l'anarchisme. De 1923 à 1930, la monarchie se maintint grâce à la dictature du général Primo de Rivera. Après la victoire des républicains aux élections de 1931, la république fut proclamée. Le gouv. centriste de 1934 réprima les mouvements sociaux et autonomistes, ainsi que les violences antireligieuses. Les élections de 1936 virent le succès du Front populaire. Une insurrection militaire éclata alors au Maroc et l'opposition nationaliste, qu'animait notam. la Phalange, fondée par José A. Primo de Rivera, fils du dictateur, se regroupa derrière le général Franco. Pendant trois ans (1936-1939), une guerre civile sanglante opposa les armées gouvernementales et les rebelles nationalistes, qu'aidèrent l'Allemagne et l'Italie; les gouvernementaux reçurent l'aide limitée de l'U.R.S.S. et l'appui de volontaires (Brigades internationales). Franco (caudillo dès 1937), s'appuyant sur la Phalange, devenue parti unique, établit un régime autoritaire et corporatiste. épuisée par la guerre civile, qui avait fait 500 000 morts, l'économie traversa une crise grave. En 1947, l'Espagne reprit le statut de royaume (loi de succession); Franco était chef de l'état et du gouvernement. En 1953, les accords militaires avec les È.-U. rangèrent définitivement l'Espagne dans le camp occidental. Son développement écon. provoqua une recrudescence des troubles sociaux (grèves en 1966) et politiques (revendications autonomistes). à la mort de Franco (nov. 1975), le roi d'Espagne, Juan Carlos Ier, entreprit la démocratisation. Aux premières élections libres (juin 1977), l'Union du centre du Premier ministre Adolfo Suárez l'emporta. Une nouvelle Constitution fut adoptée en 1978. Un statut d'autonomie, contesté par l'E.T.A., fut reconnu aux nationalités (basque, catalane) et aux régions. En 1982, le Parti socialiste ouvrier espagnol (P.S.O.E.) remporta les élections, et son chef, Felipe González, devint Premier ministre. Aux élections législatives de déc. 1986, l'année de l'entrée de l'Espagne dans la C.é.E., le P.S.O.E. conservait la majorité absolue. Les élections anticipées de 1989 et celles de 1993 ne lui ont pas permis de la conserver. Celles de 1996 ont été remportées par la droite, et José María Aznar est devenu Premier ministre. En 1997-1998, les attentats dus à l'E.T.A. ont indigné l'Espagne tout entière et suscité des manifestations, notam. au Pays basque.

Encyclopédie Universelle. 2012.