IMMÉDIAT
La constitution du mot recèle le nœud des problèmes philosophiques où s’embarrasse la pensée qui veut prendre l’immédiat pour objet. Mieux vaudrait dire: sa re -constitution puisque l’adjectif substantivé – » immédiat » – n’est que le double tardif du substantif « immédiateté ». Qu’on ne tienne pas cette formation seconde pour secondaire. Les deux mots ne font pas double emploi; il y a plutôt redoublement significatif, réajustement du signifiant au signifié: comme si l’immédiateté, dans son abstraction, avait laissé échapper l’essentiel de ce qu’elle veut désigner: la réalité riche et concrète de l’immédiat.
Cette réforme du langage indique bien les exigences spéculatives auxquelles elle répond: celles de certaines philosophies du « vécu », de la « conscience », de l’« existence »... Mais, loin de résoudre les difficultés inhérentes à la notion, elle les rend plus criantes; c’est là son grand mérite. À le prendre au mot, en effet, l’immédiat se donne pour la simple négation du médiat. C’est dire qu’il doit être tenu pour second par rapport à ce dont il est la négation. Or, il est précisément de l’essence du médiat de ne pouvoir être premier, de supposer dans sa définition même, à titre de « précédent », un immédiat. Ainsi s’inversent les termes, à l’infini: le cercle est décrit qui du définissant renvoie sans cesse au défini, et réciproquement.
Le « sophisme », quittée l’abstraction de la logique, prend la dimension d’une tragédie: la figure de cet étrange piège où se débat le poète dont la pensée s’épuise à vouloir s’arracher à soi-même pour recueillir, pure de tout artifice, toute la réalité du réel. Drame de l’impuissance à saisir par le verbe « le vierge, le vivace et le bel aujourd’hui » (Mallarmé). Ineffable bonheur si, le temps d’un souffle ou d’un soupir », « les sables du temps se changent en grains d’or » (Edgar Poe).
Ce drame est celui de la vie même du poète; c’est aussi la voie qui mène à l’imaginaire où, dans une transparence sans obstacle, se résout la contradiction et se concilient les inconciliables.
Le philosophe, lui, n’a pas cette ressource. C’est pourquoi l’immédiat hante toute l’histoire de la philosophie. On pourrait, en effet, soutenir que toutes les « théories de la connaissance » ne déploient le champ de leurs catégories qu’entre deux points d’immédiateté: entre l’immédiateté donnée (dans le vécu) du sujet aux objets extérieurs et l’immédiateté ultime du sujet à son objet (de connaissance). Ne s’achèvent-elles pas toutes au jour de la Vérité, conçue comme « adéquation de la chose et de l’esprit », lorsque est annulée, dans la manifestation de l’essence en personne du réel, la distance qui sépare ces deux immédiats?
C’est une telle problématique qui, semble-t-il, est à l’œuvre, secrète ou évidente, dans la « philosophie classique », de Descartes à Hegel. Entre l’idéalisme cartésien et son image renversée, le sensualisme du XVIIIe siècle, s’opère autour de l’immédiat un singulier mouvement de pivot: de la transparence immédiate de son objet à la « lumière naturelle », on va vers celle d’une Nature conçue comme lumineuse à l’esprit qui observe.
Deux issues sont alors possibles, et deux seulement: ou bien l’on brise le cercle en rejetant les deux points de l’immédiat en deçà et au-delà de la connaissance – c’est ce que fait Kant; ou bien l’on tente de penser le cercle et l’on pose la coïncidence des deux points – c’est ce que fait le système hégélien, où l’origine s’avère être la fin, et la fin l’origine; l’immédiat est tout à la fois l’ultime et le primitif; et, pour faire retour au point de départ de cet article, à la fois le plus riche et le plus pauvre, le plus concret et le plus abstrait. L’œuvre épistémologique de Gaston Bachelard est, sur ce point, d’une nouveauté radicale. Tirant les leçons de la pratique scientifique contemporaine, elle montre que toute théorie philosophique de la connaissance est, dans son principe même, incapable de penser le caractère réellement historique et socialisé de la production des concepts scientifiques. Elle nous permet de caractériser le cercle de l’immédiat comme « philosophique », et les deux issues kantienne et hégélienne comme étant de fausses sorties. Elle proclame, contre toute philosophie, la « défaite de l’immédiat », tout en reconnaissant ses droits dans cet Autre de l’épistémologie qu’est la « poétique ».
1. Le privilège de l’immédiat
La certitude cartésienne et le médiateur transcendant
La philosophie cartésienne s’adosse à une découverte scientifique, celle de la géométrie algébrique, ou « géométrie analytique ». L’essentiel de cette découverte est consigné dans le Discours de la méthode pour bien conduire sa raison et chercher la vérité dans les sciences . Constatant que les méthodes algébriques s’appliquaient aussi bien à la géométrie qu’à l’arithmétique, à l’espace qu’au nombre, Descartes, défiant le cosmos aristotélicien, faisait de l’espace une entité intelligible au même titre que le nombre. Il fondait la possibilité d’une physique théorique. Mais le même Discours expose les catégories philosophiques dans lesquelles il réfléchissait son œuvre scientifique: que l’évidence est le seul critère de la vérité; que, dans le sensible, il n’y a d’intelligible que l’espace et le mouvement.
Ici apparaît, sous une double forme, ce qu’on peut appeler le « privilège » de l’immédiat: les êtres mathématiques, sur le chemin qui mène Descartes des opinions vagues et adventices à la certitude du cogito , ont une évidence paradigmatique. Ils s’imposent à la pensée, car ils ont « leur vraie et immuable nature », mais c’est soi-même que la pensée y retrouve, sans médiation. Opération purement intuitive, qui peut être érigée en modèle (provisoire) de certitude. C’est dire que les mathématiques éveillent la suspicion sur le médiat : dans leurs propres démonstrations, les géomètres devront parcourir, et reparcourir les longues chaînes de raisons le plus vite possible afin que, par une sorte d’artifice psychologique, s’abolissent les médiations dans le coup d’œil final. Autrement dit, pour Descartes, le médiat, toujours en droit réductible à l’immédiat, ne lui est pas hétérogène. Précision essentielle puisqu’elle pare à ce qui menace toute philosophie de l’immédiat qui veut, tout en s’en tenant aux données de la conscience, fonder la nécessité des lois de la science: le temps de penser sous la forme de la mémoire toujours soupçonnée d’être chancelante. On comprend aussi pourquoi Descartes devait dépasser ce « mathématisme » de la certitude: l’immédiat de la certitude psychologique, s’il pouvait tenir lieu de modèle, ne pouvait remplir le rôle de fondement. Voici donc que se fait sentir la nécessité d’un médiateur qui nous assure de l’immédiateté de l’immédiat, qui garantisse la certitude du cogito formellement identique à celle des mathématiques; ce médiateur sera le Médiateur , Dieu.
Une fois la certitude mathématique fondée , la structure de la connaissance du monde extérieur est fixée: qu’on se réfère à l’ordre des Méditations où l’essence (Méditation cinquième ) précède l’existence (Méditation sixième ), on se convaincra que l’opération de la « lumière naturelle » consiste à dégager du sensible l’essence intelligible qui lui est homogène et immédiatement assimilable. On comprend aisément, d’après ce qu’on vient de dire, que cette essence soit mathématique. Il va de soi que, du même coup, elle tombe sous la juridiction du Médiateur: on connaît la thèse centrale de l’ innéisme ; c’est Dieu qui a mis dans l’esprit de l’homme les semences des vérités éternelles. Ainsi le point ultime de la théorie cartésienne de la connaissance est bien une immédiation; cette immédiation requiert, comme fondement, la garantie d’un médiateur transcendant.
Or, il faut remarquer que Dieu n’est pas seulement créateur des vérités éternelles, mais, selon l’expression de Descartes, « providence du vivant »: par là il garantit aussi l’immédiateté première, celle du contact avec le monde extérieur, qui, semble-t-il, est corrélative, dans toute théorie de la connaissance, du point ultime. On connaît les passages de la première et de la deuxième méditation où Descartes, relevant les illusions des sens et les préjugés de l’enfance, dénonce le caractère trompeur de cette immédiateté. Elle aurait donc un rôle purement négatif. Mais cette immédiateté, trompeuse dans l’ordre de la connaissance, est la condition même de la pensée: c’est parce que, par la grâce de Dieu, nos sens sont de « bons moniteurs » dans l’usage de la vie; c’est parce que notre organisme répond adéquatement et immédiatement aux dangers qui le menacent que nous ne sommes pas, comme les animaux, tout entiers absorbés dans la conservation de notre intégrité vitale. Il fallait que ce que nous appelons le « réflexe » précède la réflexion pour que la pensée puisse se produire. Dieu y a pourvu.
Le sensualisme
L’exemple cartésien est donc très instructif: l’immédiat joue dans cette théorie de la connaissance le rôle de modèle , de point ultime et de condition de possibilité ; mais, en même temps qu’elle en reconnaît le privilège, elle avoue les limites de l’immédiat par le recours constant qu’elle suppose à un médiateur transcendant, garant de toutes les immédiations, Dieu.
Le sensualisme du XVIIIe siècle qui se veut et se dit anticartésien n’est que la figure « renversée » du cartésianisme. Louis Althusser l’a plus d’une fois montré: le rapport d’un problème à son inverse est du même type que celui d’un objet à son image inversée dans un miroir, c’est-à-dire que ses termes comme sa structure (la « problématique ») sont conservés quoique inversés. Il en est ainsi du sensualisme par rapport à l’innéisme cartésien. Pour un empiriste, en effet, tout le procès de la connaissance réside dans l’opération dénommée « abstraction ». Connaître, c’est abstraire de l’objet réel son essence; l’abstraction est conçue comme une extraction . Cette extraction n’est autre que la découverte dans le réel de l’essence qui y est recelée – contenue et cachée. On doit donc admettre que si l’essence n’est pas immédiatement visible, c’est qu’elle est recouverte et enveloppée par la gangue de l’inessentiel. « La connaissance, écrit Althusser, est donc déjà réellement présente dans l’objet réel qu’elle doit connaître, sous la forme de la disposition respective de ses deux parties réelles. »
Le point de départ de la connaissance est conçu dès lors comme contact immédiat entre le réel – essentiel inessentiel – et l’esprit qui reçoit ses « impressions »; le point ultime est atteint lorsque le partage s’est effectué et que l’esprit voit paraître, dégagée de sa gangue, l’essence même du réel; lorsque enfin s’est abolie dans un contact immédiat l’opération de la connaissance, la série des médiations. Mais, de nouveau, les deux immédiats ne peuvent se soutenir eux-mêmes: ils réclament un fondement ; entre la pensée et le réel, il faut supposer quelque « harmonie préétablie », Dieu ou Providence, pour rendre compte de la possibilité de l’immédiation.
Le point de fuite n’a pas varié: en définitive la structure du « problème de la connaissance » est la même que chez Descartes. Que la lumière naturelle se découvre elle-même dans l’essence du réel, ou que ce partage se fasse sur la base des impressions que la nature produit directement dans notre esprit (conçu comme « cire molle » ou « feuille de papier vierge »), c’est tout un. Le privilège accordé à l’immédiat dans ces théories ne semble avoir d’autre sens que d’assurer la transcendance du médiateur divin.
2. L’illusion de l’immédiat
Kant: l’immédiat aux portes de la connaissance
Dans la Critique de la raison pure , Kant dénonce ce privilège de l’immédiat comme une imposture, comme une illusion. La « révolution copernicienne » faisant de l’objet de la connaissance une construction du sujet connaissant, Kant est amené à rejeter hors de la connaisance toute forme d’immédiateté. D’une part, dans notre contact avec le monde, nous n’avons affaire qu’à des phénomènes ordonnés suivant les formes a priori de l’espace et du temps, si bien que nos représentations les plus immédiates, du fait même qu’elles sont des re -présentations, sont déjà médiatisées. La connaissance de la cause qui produit en nous la représentation nous est irrémédiablement interdite par notre « constitution subjective ». Le pur immédiat se trouve rejeté en deçà de la connaissance. D’autre part, au terme de la construction de l’objet, point final de la théorie de la connaissance, on ne peut pas davantage espérer atteindre la chose telle qu’elle est en elle-même par une « intuition intellectuelle » comme celle qu’impliquait la théorie cartésienne: c’est un privilège qui est réservé à un être divin; l’homme ne saurait y prétendre.
On comprend pourquoi Kant a consacré de longues pages à réfuter Descartes. C’est dans la critique de la « psychologie rationnelle » que Kant examine le cas de l’« idéalisme problématique » de Descartes. « Problématique »: Kant part en effet du résultat de la Méditation sixième pour en souligner le caractère insuffisant: « Je n’ai aucune raison, y écrit Descartes, de ne pas croire à l’existence des objets extérieurs. » Kant traduit: l’idéalisme cartésien s’est mis dans l’impossibilité d’établir de façon positive l’existence du monde extérieur; il reste problématique. Or, la raison qu’invoque Kant est, pour nous , très significative: c’est, dit-il, que Descartes a commencé par affirmer que le cogito était la « révélation immédiate » de l’être pensant; il a dès lors établi un déséquilibre entre le caractère immédiat de cette révélation et le caractère médiat de la connaissance des objets extérieurs. Selon Kant, le cogito n’est que la représentation d’une unité de conscience en laquelle est liée toute représentation: l’unité du « je pense ». L’erreur de Descartes est donc d’avoir confondu cette simple unité avec ce que Kant appelle le « moi empirique » ou « la conscience empiriquement déterminée », c’est-à-dire avec le flux de mes représentations, la diversité de mes pensées. C’est une illusion qui me fait prendre ces représentations pour la révélation immédiate d’un être: elles sont des représentations au même titre que celles des objets extérieurs. La seule différence tient à ce qu’elles sont ordonnées selon le temps – sens interne – au lieu de l’être selon l’espace – sens externe. Ainsi, l’esprit ne peut s’apparaître à lui-même que tel qu’il s’apparaît et non tel qu’il est en soi. L’immédiateté cartésienne, point ultime de la connaissance, est rejetée par Kant au-delà de la portée de l’homme. L’impossibilité de l’atteindre signe la finitude humaine. Kant réussit ainsi à échapper au piège de l’immédiat et à son corrélat: la nécessité d’admettre un Dieu – médiateur transcendant – pour fonder la connaissance. Mais la solution est onéreuse: il faut admettre que la cause de nos représentations est inconnaissable; que l’objet de notre connaissance, tel qu’il est en lui-même, nous restera à jamais inconnu. N’est-ce pas, sous une forme nouvelle, soumettre la pensée humaine à une transcendance singulièrement limitative?
Le point de l’immédiateté absolue
C’est du moins ce que pense Hegel qui, rejetant la notion de chose en soi, rabat, en quelque sorte, les deux points d’immédiateté l’un sur l’autre au lieu de les distendre à l’infini comme l’avait fait Kant. Solution inverse, mais ici les conséquences sont encore plus exorbitantes . On aperçoit d’emblée que si les deux points coïncident, le processus de la connaissance doit être circulaire : la série des médiations n’a de sens que de re-conduire la pensée d’un premier immédiat à un immédiat ultime qui se révèle à la fin n’être que l’immédiat premier. C’est dire que le processus est à la fois circulaire et téléologique . Hegel a décrit dans la Phénoménologie de l’esprit ce chemin de la conscience qui va de l’immédiateté de la connaissance sensible au Savoir absolu, point où l’Esprit se saisit lui-même, où certitude et vérité sont réconciliées, point qui serait, pour ainsi dire, celui de l’immédiateté absolue. On sait quels présupposés soutiennent cette démarche: pour que Hegel pût parvenir au Savoir absolu dans la Phénoménologie , il fallait que l’histoire se fût achevée avec lui.
L’œuvre de Hegel a du moins cet intérêt de boucler le « cercle philosophique » de l’immédiat. On peut circonscrire le champ de ses inévitables apories: si le « problème de la connaissance » consiste pour un sujet donné à s’emparer de l’essence d’un objet qui lui fait face, l’immédiat apparaît comme fondement et point ultime, mais son « évidence » demande elle-même à être garantie; si on fait de l’objet une construction du sujet, résultant de ses facultés intellectuelles, l’immédiat, quoique dévalué, reparaît sous la forme de limite absolue de la connaissance; l’idéal jamais atteint serait, comme l’a bien vu Hegel, que dans une immédiateté absolue l’essence s’apparaisse elle-même à elle-même comme transcendant les bornes de la subjectivité.
Mais alors les termes de toute théorie de la connaissance se trouvent évacués: entre le sujet et l’objet point d’extériorité, point d’hétérogénéité; la philosophie de Hegel, a-t-on dit, est une philosophie de la médiation; elle est tout autant une philosophie de l’immédiat, s’il est vrai que, « entre l’immédiat et le médiat, il n’y a pas d’opposition réelle ». Elle dit la vérité de la position de l’immédiat dans l’histoire de la philosophie. Mais, au moment où elle le dit, elle le dénie puisque, assumant le cercle, elle y reste prise.
3. La défaite de l’immédiat
Prenant pour objet les problèmes et les résultats des sciences contemporaines, leur travail réel, Gaston Bachelard, après avoir rejeté les catégories philosophiques traditionnelles des « théories de la connaissance », proclama, dès 1934, la « défaite de l’immédiat ». On ne s’étonnera pas de ce double geste: rejeter les unes, c’était s’affranchir de l’autre. Ce que Bachelard découvrait, c’est que les couples d’oppositions philosophiques sujet-objet, abstrait-concret, etc., ne parvenaient pas à rendre compte des derniers progrès de la microphysique. Partant de ce fait, il lui donna une portée générale: l’enquête historique prouvait que les catégories philosophiques « restaient immuablement étrangères » à la pratique des savants. Selon les philosophes, la connaissance part de l’immédiat: pour les savants, elle rompt avec l’immédiat pour construire – au sens théorique et matériel – son « objet »; selon les philosophes, l’objet qui est dégagé au terme du processus de connaissance peut être saisi par une intuition immédiate de l’esprit; au contraire, pour les savants, l’objet construit est plutôt une « touffe » de problèmes qu’une pensée achevée. Les longues pages où, dans la Formation de l’esprit scientifique , Bachelard s’attache à montrer qu’il existe une « rupture » entre l’immédiat (« l’expérience première ») et la connaissance scientifique, sont justement célèbres. Méconnaître cette rupture, c’est être victime d’un « obstacle épistémologique », c’est annuler l’abîme qui sépare l’expérience vécue de l’expérience théoriquement normée et techniquement ordonnée des sciences physiques. À ses yeux, dans une science, « rien n’est donné, tout est construit ». De ce point de vue, parler, comme Bergson, de « données immédiates de la conscience » est tout simplement un non-sens. « L’esprit scientifique, écrit Bachelard, doit se former contre la Nature, contre ce qui est, en nous et hors de nous, l’impulsion et l’instruction de la Nature, contre l’entraînement naturel, contre le fait coloré et divers. » La nécessité apparaît alors de rectifier la définition de ce que la philosophie appelle traditionnellement le réel . Le « réalisme » de la science ne saurait être que de « seconde position », ce ne peut être qu’un réalisme « en réaction contre la réalité usuelle, en polémique contre l’immédiat ». « Si d’ailleurs, ajoutait-il dans un de ses derniers ouvrages, on voulait faire le point entre la philosophie du donné et la philosophie du construit, il faudrait souligner, à propos de la philosophie corpusculaire, un véritable effacement de la notion de donné , si traditionnellement reçue dans la philosophie. » Il faut préciser qu’au-delà des philosophies contemporaines de la « conscience », Bachelard entrait par là en polémique avec toute tentative d’élaboration philosophique d’une théorie de la connaissance, en congédiant les catégories de sujet et d’objet, de concret et d’abstrait, etc., comme inopérantes dans le champ des sciences. Il dénonçait comme obstacle l’idée qu’il pouvait y avoir un sujet de la science. Il montrait enfin que le seul sujet de la science n’était que la « cité scientifique », ou encore: « l’union des travailleurs de la preuve ». Dès lors la connaissance ne doit pas être pensée comme « découverte » ou « dévoilement » de la vérité, mais comme production historique et « socialisée » de concepts scientifiques. Que la connaissance soit production , voilà sans doute l’acquis le plus précieux de l’épistémologie bachelardienne. Qu’elle soit travail, indissociablement théorique et technique, sur cette « matière » que devient l’immédiat, voilà qui n’était pas pensable pour la philosophie traditionnelle. Voilà qui brise le cercle philosophique de l’immédiat. De nouvelles tâches s’offrent alors à l’épistémologie: élaborer un concept adéquat de « production scientifique », de « travail », d’« expérimentation », bref, les concepts qui lui permettront de penser l’histoire des sciences.
immédiat, iate [ imedja, jat ] adj. et n. m.
• 1382; bas lat. immediatus, du class. medius « central, intermédiaire »
I ♦ Didact. Qui opère, se produit ou est atteint sans intermédiaire.
1 ♦ Philos. Cause immédiate. ⇒ 1. direct. Effet immédiat. — Sentiment immédiat, évidence immédiate, qui ne semblent résulter d'aucune réflexion. « Essai sur les données immédiates de la conscience », de Bergson.
2 ♦ Chim. Principe immédiat : corps qui peut être extrait d'une substance par simple procédé mécanique, sans intervention chimique.
3 ♦ Inform. Adressage immédiat : mode d'affectation d'une valeur (à un registre), celle-ci étant directement contenue dans le champ de l'instruction.
II ♦ Cour.
1 ♦ Qui précède ou suit sans intermédiaire, dans l'espace ou le temps. Successeur immédiat. Au voisinage immédiat de votre maison.
2 ♦ Qui suit sans délai; qui est du moment présent, a lieu tout de suite. Effets immédiats d'une décision. Danger immédiat. ⇒ imminent. Réponse immédiate. ⇒ instantané. « Les clientes furent l'objet de l'empressement immédiat du personnel entier » (Céline).
3 ♦ N. m. Pensez d'abord à l'immédiat. Loc. DANS L'IMMÉDIAT : dans un avenir proche. Rien ne presse, du moins dans l'immédiat.
⊗ CONTR. Indirect, médiat; distant, éloigné.
● immédiat nom masculin Pour, dans l'immédiat, pour le moment, dans la période proche. ● immédiat (expressions) nom masculin Pour, dans l'immédiat, pour le moment, dans la période proche. ● immédiat, immédiate adjectif (latin médiéval immediatus) Qui est en rapport direct dans une relation spatiale ou temporelle, qui ne comporte pas d'intermédiaire, ou d'intervalle dans l'espace ou dans le temps : Voisinage immédiat. Succession immédiate. Collaborateur immédiat. Effet immédiat. Qui se fait sans intermédiaire entre le sujet connaissant et l'objet connu : Une intuition immédiate de la vérité. Qui se produit dans l'instant même, ou doit se produire sans délai : La mort a été immédiate. Féodalité Se disait des fiefs relevant directement du souverain et, dans le Saint Empire, de l'empereur. ● immédiat, immédiate (expressions) adjectif (latin médiéval immediatus) Analyse immédiate, analyse destinée à isoler les corps purs d'un mélange. Histoire immédiate, histoire caractérisée par la proximité temporelle de sa rédaction par rapport aux événements traités. Contagion immédiate, contagion qui se fait par contact direct. ● immédiat, immédiate (synonymes) adjectif (latin médiéval immediatus) Qui est en rapport direct dans une relation spatiale ou...
Synonymes :
- direct
Qui se produit dans l'instant même, ou doit se produire...
Synonymes :
- imminent
- instantané
- prochain
- prompt
- subit
immédiat, ate
adj. et n. m.
rI./r adj.
d1./d PHILO Qui agit, est atteint ou se produit sans intermédiaire. Cause immédiate.
d2./d CHIM Analyse immédiate: séparation des corps purs présents dans un échantillon. Analyse immédiate par triage, filtration, distillation, etc.
d3./d Cour. Qui précède ou suit sans intermédiaire. Prédécesseur immédiat.
|| Qui suit instantanément. Effet immédiat.
rII./r n. m. Dans l'immédiat: dans le moment présent ou qui suit sans délai.
⇒IMMÉDIAT, -ATE, adj. et subst. masc.
I. — Adj. Qui ne comporte ni agent ni moyen intermédiaire. Chacun se sent aussitôt réduit à sa sphère immédiate de perception et d'action (VALÉRY, Variété III, 1936, p. 222).
A. — Langage technique
1. PHILOS. Qui met en rapport les deux termes d'une relation sans l'interposition d'un troisième terme. Synon. intuitif. Évidence immédiate; données immédiates de la conscience. Si l'intuition immédiate est au dessus du raisonnement, elle n'appartient pas moins à la raison (COUSIN, Hist. philos. XVIIIe, t. 2, 1829, p. 482). L'instinct mécanistique de l'esprit est plus fort que le raisonnement, plus fort que l'observation immédiate (BERGSON, Évol. créatr., 1907, p. 17) :
• 1. Le caractère propre de toute connaissance de conscience est d'être une connaissance immédiate et directe.
COUSIN, Hist. philos. XVIIIe, t. 2, 1829p. 443.
— En partic.
a) LOG. Qui établit un rapport entre deux pensées sans aide intermédiaire, qui saisit causes et conséquences sans avoir recours au syllogisme. Effet immédiat; cause, conclusion immédiate :
• 2. Je lus hier encore cette affirmation impertinente, qu'« un certain degré de connaissance fut atteint dès les premiers temps où l'homme se mit à penser » et, comme corollaire immédiat, évidemment, que ce degré « ne peut être dépassé ».
GIDE, Feuillets, 1937, p. 1278.
b) PHÉNOMÉNOL. Qui ne comporte aucune connaissance préalable entre le sujet qui connaît et l'objet connu, qui est antérieur à toute réflexion sur l'expérience. Synon. originel, primitif. Rapport immédiat. Je connus par expérience directe et sensation immédiate ce que c'est que la perfection d'un ouvrage (VALÉRY, Variété V, 1944, p. 196).
c) PSYCHOL. Qui ne comporte pas d'intermédiaire entre le sujet qui connaît et l'objet connu. Jugement, sentiment immédiat; impression, mémoire, perception, sensation, volonté immédiate. La peinture est l'expression immédiate du sentiment par la forme colorée (ALAIN, Beaux-arts, 1920, p. 250).
2. Autres domaines
a) BOT. Insertion immédiate. Façon dont les étamines sont attachées directement sous l'ovaire, sur le calice, sur le pistil. Synon. hypogyne (GATIN 1924).
b) CHIM. [En parlant d'analyse] Qui permet d'obtenir des corps purs.
♦ Principes immédiats. Substances composées obtenues à l'aide de diverses manipulations mais sans exercer d'action décomposante :
• 3. Dans tous les cas, on évitait soigneusement de faire intervenir, soit une température élevée, soit des agents chimiques puissants, capables de détruire l'arrangement primitif des principes immédiats dans les tissus organisés.
BERTHELOT, Synth. chim., 1876, p. 43.
c) DR. FÉOD. [En parlant d'un noble ou d'un fief] Qui relève directement du roi ou de l'empereur, sans reconnaître d'autre souverain que lui (d'apr. LITTRÉ).
d) LINGUISTIQUE
♦ Dérivation immédiate. Formation d'un dérivé grâce à un suffixe simple (d'apr. Lar. Lang. fr.).
♦ Interrogation immédiate. Interrogation portant directement sur le verbe (d'apr. MAR. Lex. 1971).
♦ Passé et futur immédiats.
e) MÉD. Qui se produit sans moyen intermédiaire. Auscultation immédiate. Si la contagion médiate est moins habituelle que la contagion immédiate, elle est cependant possible (TEISSIER, EISMEN ds Nouv. Traité Méd., fasc. 2, 1928, p. 619).
B. — P. anal. Qui ne comporte pas d'intervalle dans le temps, dans l'espace ou dans la hiérarchie, précédant ou suivant sans intermédiaire, aussitôt avant ou aussitôt après. Besoin, but, châtiment, chef, concours, contact, départ, disciple, entourage, envoi, exemple, intérêt, ordre, passé, péril, produit, profit, remboursement, résultat, retour, soulagement, successeur, voisin immédiat; action, application, attaque, communication, enquête, expansion, explication, proximité, réponse, sanction, séparation, vengeance immédiate. Je travaille toujours à Saint-Point de mon mieux sans penser à l'avenir immédiat (LAMART., Corresp., 1831, p. 206). Il se figura que cette caresse de la main était le prélude immédiat d'un viol (PROUST, Sodome, 1922, p. 1072). On peut trouver aussi des prédécesseurs plus immédiats (Hist. gén. sc., t. 3, vol. 1, 1961, p. 485). L'effet immédiat est donc la hausse des prix des biens de consommation dans la région (PERROUX, Écon. XXe s., 1964, p. 212) :
• 4. Les époux, échappés à un danger immédiat, se dirent qu'ils avaient encore du temps devant eux, et remirent de nouveau à plus tard l'angoisse de prendre une décision.
ZOLA, M. Férat, 1868, p. 250.
— En partic. Affichage immédiat. ,,Affichage effectué aussitôt après l'encollage`` (RAMA 1973).
II. — Subst. masc. inv., à valeur de neutre.
A. — PHILOS. Connaissance effectuée sans intermédiaire. L'empirisme en tant que philosophie de l'immédiat se détruit lui-même; l'immédiat est l'inverse d'un principe d'intelligibilité. Du point de vue des plans supérieurs l'immédiat doit se définir non plus comme donné, mais comme infiniment médiatisable; ceci ne veut pas dire qu'il cesse d'être donné, mais que ce n'est pas la catégorie du donné qui est ici essentielle (G. MARCEL, Journal, 1914, p. 3).
B. — Cour. Le moment même :
• 5. ...écrire de l'immédiat et dans l'immédiat (...). Je me flatte parfois qu'un peu de ce que j'ai écrit surnagera et que je survivrai dans quelques cœurs fidèles (...). Ce que j'aime dans ma chronique de télévision, c'est qu'il s'agit de papiers éphémères qui ne prétendent pas à l'éternité.
MAURIAC, Nouv. Bloc-notes, 1961, p. 353.
— Dans l'immédiat. En premier lieu, tout d'abord. Ils aideront les camarades de Callac l'U.J.R.F. à recruter de nombreux nouveaux adhérents. Et dans l'immédiat, ils aideront à faire du quatrième Congrès national un éclatant succès (Humanité, 19 janv. 1952, p. 2, col. 2).
REM. Immédiatiser, verbe trans., hapax. Rendre immédiat. Je préfère abandonner le « tout à la fois » pratiqué jusqu'ici et qui généralement aboutit au « rien du tout », fractionner le but idéal en plusieurs étapes sérieuses, immédiatiser en quelque sorte quelques-unes de nos revendications pour les rendre enfin possibles (Doc. hist. contemp., 1881, p. 45).
Prononc. et Orth. : [im(m)edja], fém. [-djat]. Att. ds Ac. dep. 1694. Étymol. et Hist. A. 1. 1382 « sans intervalle (dans l'espace) » (Compte du clos des galées de Rouen, 70 ds DELB. Rec.); 2. 1830 « sans intervalle (dans le temps) » (BALZAC, Gobseck, p. 438); 1864 subst. masc. (SAINTE-BEUVE, Nouv. lundis, t. 6, p. 338). B. 1. 1474 seigneur immediat « qui relève directement du roi ou de l'empereur » (Ordonnance des rois de France, XVIII, 75 ds BARTZSCH); 2. av. 1662 sentiment intérieur et immédiat « direct, qui ne semble résulter d'aucune réflexion » (PASCAL, Pensées ds Œuvres complètes, éd. L. Lafuma, XXIV, 328, p. 542b). Empr. au b. lat. immediatus « id. ». Fréq. abs. littér. : 2 669. Fréq. rel. littér. : XIXe s. : a) 2 521, b) 2 206; XXe s. : a) 3 611, b) 5 845. Bbg. JOURJON (A.). Rem. lexicogr. R. Philol. fr. 1917-18, t. 30, pp. 63-64.
immédiat, ate [i(m)medja, at] adj. et n. m.
ÉTYM. 1382, au sens II; bas lat. immediatus, de im- (→ 1. In-), et lat. class. medius « central, intermédiaire ».
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I Didact. Qui opère, se produit ou est atteint sans intermédiaire.
1 (1474, seigneur immédiat « qui relève directement d'un suzerain »; av. 1662, dans l'abstrait). Philos. || Cause immédiate. ⇒ Direct (→ Atavisme, cit. 0.1). || Effet (cit. 4) immédiat (→ Hasard, cit. 29). || Conséquence, suite immédiate d'un raisonnement (→ Heure, cit. 1). || Déduction, inférence immédiate : raisonnement dans lequel, d'une seule prémisse, on tire une conclusion (par oppos. à syllogisme, sorite). — Sentiment immédiat; évidence, intuition immédiate, qui ne semblent résulter d'aucune élaboration, d'aucune réflexion. || Données immédiates de l'expérience, simples et primitives, ayant valeur de témoignage irrécusable. ⇒ Brut (4.). — Essai sur les données immédiates de la conscience, ouvrage de Bergson (1888).
REM. Le mot immédiat prend tantôt le sens de : « qui est donné à la conscience sans intermédiaire », tantôt celui de : « qui représente le réel sous son aspect authentique ». Le glissement de l'un à l'autre est souvent imperceptible (→ ci-dessous, cit. 2, Bergson).
1 Prophétiser, c'est parler de Dieu, non par preuves du dehors, mais par sentiment intérieur et immédiat.
Pascal, Pensées, XI, 732.
2 Si le temps, tel que la conscience immédiate l'aperçoit, était comme l'espace un milieu homogène, la science aurait prise sur lui comme sur l'espace.
H. Bergson, Essai sur les données immédiates…, Conclusion.
3 Une inférence est immédiate quand une proposition se déduit d'une seule autre proposition sans avoir recours à une troisième (V. Opposition et Conversion), le syllogisme, au contraire, est une inférence médiate.
Edmond Goblot, Voc. de la philosophie, art. Immédiat.
♦ Gramm. || Passé, futur immédiat.
2 (1835, Académie). Chim. || Principe immédiat : corps qui peut être extrait d'une substance par simple procédé mécanique, sans intervention chimique (→ Asclépiade, cit. 1; cuvage, cit. 1). || Analyse immédiate : série d'opérations par lesquelles sont isolés les principes immédiats des mélanges.
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II
1 (1382, spatial). Qui précède ou suit sans intermédiaire, dans l'espace ou le temps. || Le prélude immédiat de qqch. || Successeur immédiat. || Ses aïeux immédiats (→ Croquant, cit. 3). — Au voisinage immédiat de… (→ Fécondation, cit. 3). || Animation immédiate (par oppos. à médiate).
2 Cour. Qui suit sans délai; qui est du moment présent, a lieu tout de suite. || Les conséquences immédiates, les effets immédiats d'une décision. || Intérêt immédiat. ⇒ 1. Présent (→ Abstention, cit. 2). || Danger immédiat (→ Flancher, cit. 2). ⇒ Imminent. || Rappel immédiat de réservistes (→ Engager, cit. 38). || Éventualité d'une guerre immédiate. ⇒ Prochain (→ Axiome, cit. 6). || Crise, mort immédiate. ⇒ Subit. || Évacuation (cit. 4) immédiate des contagieux. ⇒ Prompt. || Conseiller le transport immédiat d'un malade à l'hôpital (→ Hasarder, cit. 12). || Injure qui appelle (cit. 31) la réplique immédiate. ⇒ Instantané.
4 (…) c'est pourquoi, ne considérant que la volupté immédiate, il a, sans s'inquiéter de violer les lois de sa constitution, cherché dans la science physique, dans la pharmaceutique (…) les moyens (…) « d'emporter le paradis d'un seul coup ».
Baudelaire, les Paradis artificiels, « Poème du haschisch », I.
5 Les clientes furent l'objet de l'empressement immédiat du personnel entier.
Céline, Voyage au bout de la nuit, p. 347.
6 (…) il est du caractère anglais de ne pas voir très au-delà de l'intérêt de l'heure et du résultat immédiat (…)
Louis Madelin, Hist. du Consulat et de l'Empire, Ascens. de Bonaparte, XXII, p. 313.
♦ (D'un temps). || L'avenir immédiat.
3 N. m. (1864, Sainte-Beuve). || L'immédiat. || Pensez d'abord à l'immédiat. — ☑ Dans l'immédiat : dans un avenir bref. → À court terme. || Rien ne presse, du moins dans l'immédiat, pour le moment.
7 (…) un jugement qui, dans la suite des jours, devait servir de fondement à ma confiance dans l'immédiat, à mon espérance pour l'avenir.
G. Duhamel, la Pesée des âmes, VII, p. 151.
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DÉR. Immédiatement, immédiateté, immédiation.
Encyclopédie Universelle. 2012.