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MONOPOLE
MONOPOLE

Malgré son origine savante, le terme «monopole» – qui signifie «vente exclusive d’une denrée faite soit par un seul homme, soit par une compagnie» (Condorcet) – est passé depuis plusieurs siècles dans le langage courant. Fort d’une tradition millénaire d’accaparement en période de pénurie, il s’est chargé de significations défavorables. Le monopole, par essence, est mauvais. La théorie le montre. La pratique aussi, a contrario : hors des monopoles légaux, on rencontre peu ou pas de véritables monopoles privés. Ceux-ci, par prudence et par intérêt, se cachent. La loi s’efforce de les réprimer, quand elle ne les menace pas de nationalisation.

Rares sont les théoriciens qui ont fait exception au concert de la critique. Pourtant, les monopoles de fait ne sont-ils pas le résultat d’une sélection naturelle, la concurrence ? Ne sont-ils pas menacés, eux aussi, par l’apparition de pouvoirs compensateurs et par l’innovation, dont ils ne peuvent se défendre qu’en innovant à leur tour, avec les énormes moyens dont ils disposent?

Au total, le monopole se manifeste par ce double caractère: d’une part, l’importance de l’idée et de la charge émotive dont elle est empreinte, d’autre part, la rareté du fait avéré relativement à l’économie globale.

1. Le monopole dans l’histoire

Accaparement par le prince et les puissances financières

Le monopole s’identifie à l’origine avec l’accaparement, acte par lequel un spéculateur rachète toute la quantité disponible sur un marché afin de la revendre avec le plus grand bénéfice possible.

L’accaparement est particulièrement grave dans les sociétés où le surplus de subsistances disponible pour la vente est réduit et fluctue au gré des aléas climatiques. Si la récolte vient à manquer, la demande restant la même (étant «inélastique») ou même s’accroissant, la hausse des prix est plus que proportionnelle à la baisse des quantités offertes (effet ou loi de King). Dans un tel régime, l’accapareur réalisera par conséquent des profits exceptionnels. C’est ainsi que l’accaparement sera souvent dénoncé sous la Révolution française, période de crises frumentaires.

Le monopole est aussi fort ancien. Dès l’origine des descriptions économiques, il est présent. Aristote en donne deux exemples dans le livre premier de la Politique («Du gouvernement domestique»). À partir de ses exemples, Aristote conclut: «Il est bon que ceux qui gouvernent les États connaissent cette ressource.»

Les princes se sont, en effet, mis à vendre des droits à monopole afin d’en tirer eux-mêmes bénéfice, quand ils ne se sont pas réservé le monopole (ainsi des monopoles fiscaux, comme celui du tabac qui subsiste de nos jours en France et en Italie, et que l’on retrouvera plus loin). On conçoit que les populations n’aient pas vu d’un bon œil de telles pratiques: ainsi, un débat au Parlement anglais, en 1601, fait ressortir que le monopole du sel avait pour effet d’accroître le prix du boisseau de cette denrée de 16 pence à 14 ou 15 shillings. Un Monopolies Act fut discuté à partir de 1621 et définitivement promulgué en 1624, qui déclarait illégaux tous les monopoles à l’exception de la protection des inventions (limitée à vingt et un ans) et des grandes sociétés de commerce. Exception lourde de conséquences: on lui doit d’avoir été la cause immédiate de la révolution américaine. En 1773, en effet, le gouvernement anglais octroya à la Compagnie des Indes orientales le droit de transporter le thé sur ses navires pour le vendre dans les colonies américaines, alors que, jusque-là, le thé qu’elle importait d’Orient était vendu aux enchères, à Londres même, aux marchands, qui se chargeaient de son expédition en Amérique. Les colons américains s’élevèrent contre le monopole ainsi créé, dans lequel ils virent le premier pas dans la direction de la monopolisation de tout leur commerce. Le résultat en fut la fameuse «partie de thé» de Boston.

À la même époque, en France, l’industrie et le commerce sont pareillement soumis à toute une série de monopoles. Monopoles collectifs que ceux des corporations, dont le pouvoir royal avait multiplié les privilèges, pour des raisons tant de police que fiscales. «Les manufactures royales venaient d’autre part compléter ce régime, en étendant le monopole à la grande industrie naissante. Par lettres patentes royales, des privilèges étaient accordés aux entrepreneurs qui prenaient l’initiative de fonder des industries nouvelles ou de donner à des industries indigènes un développement de grande envergure» (R. Sachot). Enfin, le commerce colonial, lui aussi, était monopolisé.

Contre cette situation qui freinait et parfois même paralysait l’essor des forces productives, philosophes et économistes réclamèrent la liberté. En France, F. Quesnay et ses disciples, les physiocrates, montrèrent comment, en pervertissant l’harmonie des échanges, le profit de monopole diminue et fait dépérir «les consommations et la population [...], l’agriculture et les revenus» (Quesnay, Despotisme de la Chine ); ils réclamèrent la «prescription de l’intérêt particulier exclusif et le maintien de l’entière liberté de la concurrence et du commerce» (Id. , Maxime XXV du gouvernement économique d’un royaume agricole ). On trouve une conception identique chez Adam Smith.

Si Quesnay et Smith indiquent, après d’autres, que le prix de monopole est plus élevé que le prix de concurrence, qu’il est même le plus élevé possible (Smith), la théorie économique du monopole ne sera faite qu’au XIXe siècle, par deux économistes français de formation mathématique: Augustin Cournot et Jules Dupuit.

Origines de la théorie du monopole

Cournot publie ses Recherches sur les principes mathématiques de la théorie des richesses en 1838. Le chapitre V est intitulé «Du monopole». L’exemple choisi est celui d’«une source minérale à laquelle on vient de reconnaître des propriétés salutaires qu’aucune autre ne possède».

Cournot suppose d’abord que sa production n’entraîne aucune dépense. Le monopoleur recherche le profit le plus grand possible. Est-ce à dire qu’il est libre de fixer son prix à n’importe quel niveau? Cournot – et c’est là son apport fondamental à la théorie économique – montre que le monopoleur doit tenir compte des réactions des consommateurs, de ce qu’il appelle la «loi du débit». Aussi, «après divers tâtonnements», retiendra-t-il le prix p pour lequel la fonction de demande D = p.f (p ), c’est-à-dire son chiffre d’affaires, est maximale. L’algèbre enseignant qu’à un maximum pour une fonction correspond une dérivée nulle, le profit du propriétaire de la source sera le plus élevé possible lorsque f (p ) + p.f (p ) = 0. En termes modernes, comme nous le verrons, son profit est maximal lorsque sa recette marginale (dérivée de sa recette totale) est nulle, c’est-à-dire lorsqu’il ne peut plus gagner un centime de plus par la vente d’une unité supplémentaire.

Cournot introduit ensuite le coût de production et montre qu’alors le problème n’est plus de maximiser le chiffre d’affaires, mais le produit net. Enfin, passant aux produits manufacturés, puis aux produits agricoles et miniers, il tient compte de la croissance et de la décroissance des coûts.

Dupuit, auteur de la théorie du monopole discriminant, va plus loin. Ingénieur des Ponts et Chaussées, il publie, à partir de 1844, une série d’études sur la fixation des prix des voies de communication, péages des ponts et routes, et tarifs des chemins de fer.

Adepte de la valeur utilité, Dupuit montre que le principe qui doit présider à la fixation des prix des monopoles n’est pas le coût de production mais l’importance attachée par l’utilisateur au service qui lui est rendu. De par sa position, le monopoleur peut ainsi «confisquer» à son profit toutes les «rentes» des consommateurs.

Dupuit prend exemple sur les «monopoles» privés que sont les théâtres: «Un tarif unique dans une salle de spectacles ne la remplirait pas et ne pourrait souvent donner qu’une recette médiocre [...]. Des divisions dans la salle et dans le tarif augmenteront presque toujours la recette et le nombre de spectateurs.» C’est que «les entrepreneurs dans leurs tarifs savent mettre à profit tous les caprices des spectateurs, de ceux qui vont pour voir, de ceux qui vont pour être vus et de ceux qui vont pour tout autre motif». De même, dans les chemins de fer, «un tarif à trois classes donnerait à la fois plus de recette nette et plus de voyageurs; il est clair qu’en multipliant indéfiniment les classes on pourrait faire payer aux voyageurs toute l’utilité qu’ils retirent du chemin». Le confort des classes n’est en fait différencié que «pour empêcher le voyageur qui peut payer le wagon de 2e classe d’aller dans celui de 3e. On frappe sur le pauvre, non pas qu’on ait envie de le faire souffrir personnellement, mais pour faire peur au riche» et lui faire payer un tarif correspondant à ses ressources (J. Dupuit, textes extraits de De l’utilité et de sa mesure ).

La voie était ainsi ouverte pour une théorie du prix de monopole. Celle-ci sort de l’histoire pour entrer dans la science moderne.

2. Théorie du prix de monopole

En concurrence pure et parfaite

La concurrence pure et parfaite se définit principalement par l’absence d’acheteurs et de vendeurs dominants: sur le marché, aucun d’entre eux n’a un poids suffisant pour agir sur le prix (atomicité). Dans ces conditions, le prix du marché s’impose à chacun des producteurs. Ceux-ci adaptent leur production au prix ainsi fixé; toute augmentation de la première se traduit par un accroissement proportionnel de la recette: en termes économiques, la demande est dite infiniment élastique par rapport au prix (la courbe qui la représente est une horizontale parallèle à l’axe des abscisses).

Il convient de distinguer deux périodes quant à la formation du prix en concurrence pure et parfaite, selon que le producteur peut agir ou non sur son coût de production.

En courte période, où elle ne peut agir sur le coût, chaque firme augmentera sa production tant que la vente d’une unité supplémentaire, la recette marginale, lui rapportera un revenu additionnel, c’est-à-dire tant que le coût de production de cette unité supplémentaire, le coût marginal (cm ), sera inférieur au prix du marché P. Comme le producteur n’a aucune action sur P, sa recette marginale est égale à sa recette moyenne (RM), c’est-à-dire à P. L’équilibre de l’entreprise est ainsi atteint lorsque son coût marginal est égal à sa recette moyenne: elle produira la quantité Q (fig. 1).

En longue période, le producteur s’efforcera de peser sur son coût moyen de production (CM) pour accroître son profit; la concurrence fera rapidement bénéficier les consommateurs des efforts ainsi effectués: le déplacement vers le bas de la courbe du coût moyen entraînera une baisse de P. Ainsi le prix de concurrence est-il le plus bas possible.

En situation de monopole

Monopole simple

En situation de monopole, la recette moyenne (RM) et la recette marginale (rm ) ne coïncident plus. En effet, le monopoleur n’est plus une petite unité sans pouvoir, il représente la branche; aussi doit-il tenir compte de la forme de la fonction de demande; celle-ci est, dans la grande majorité des cas, imparfaitement élastique par rapport au prix: elle diminue lorsque le prix augmente et s’accroît lorsque le prix baisse. La recette moyenne est représentée par une courbe déclinante (DD ). La courbe de la recette marginale rm est de même sens, mais sa pente est naturellement plus forte (fig. 2).

Le monopoleur fixera sa production au point de rencontre T, entre sa courbe de coût marginal et sa recette marginale. T est appelé le point de Cournot puisqu’il a été pour la première fois caractérisé par cet auteur (cf. supra la «loi du débit» de Cournot). P sera le prix correspondant à cette production et la zone hachurée ABCP représentera le profit du monopoleur. AB étant la quantité vendue Q et AP (= BC) la différence entre le coût moyen et le prix de vente, soit le bénéfice unitaire. Le profit du monopoleur sera donc d’autant plus grand que sera plus importante la distance entre A et P . A dépendant à la fois du coût de production et de l’élasticité de la demande par rapport au prix, on voit que le monopoleur ne peut à la fois déterminer son prix et la quantité vendue, et qu’il aura intérêt à agir sur son coût pour accroître son profit.

Est-ce à dire que le monopoleur déterminera effectivement son prix à partir du point de Cournot? Les théoriciens modernes ont fait ressortir que le monopoleur peut avoir avantage à fixer son prix effectif à un niveau inférieur à P , afin d’éviter d’attirer des concurrents éventuels par des prix trop élevés (prix limite de J. Bain).

Monopole discriminant

«Il y a discrimination lorsqu’un monopoleur offre le même bien à divers acheteurs à des prix différents pendant une période donnée» (R. Barre). Le but de la discrimination, qui n’est en principe possible que pour un monopoleur maître de son marché, est de confisquer les rentes du consommateur. Comme on l’a vu, Dupuit a le premier décrit cette pratique, dans les théâtres, les péages et les chemins de fer. Le monopoleur obtiendra le maximum de profit, dans ce cas, lorsqu’il fixera ses divers prix de telle sorte qu’il rendra égales ses recettes marginales sur chaque sous-marché.

Monopole bilatéral

Il est caractérisé par la présence d’un seul acheteur en face d’un seul vendeur: comptoir d’achat face à comptoir de vente. Dans ce cas, le prix est indéterminé: un marchandage aura lieu et le prix se trouvera à l’intérieur d’une zone que délimitent en haut le prix qui
éliminerait tout profit pour l’acheteur, en bas le prix qui éliminerait tout profit pour le vendeur. Tout dépendra finalement de la puissance contractuelle de chaque partie, qui est elle-même fonction de facteurs techniques, financiers et psychologiques (R. Barre).

3. La formation des monopoles

Les auteurs du XIXe siècle distinguaient quatre types de monopoles:

– les monopoles personnels , liés à la diversité et à l’inégalité des facultés individuelles;

– les monopoles fonciers , résultant de l’appropriation privée de certains agents naturels tels que les fonds de terre et les mines;

– les privilèges ou monopoles légaux , qui ne subsistent qu’au moyen des obstacles mis à la concurrence par la législation ou l’autorité gouvernementale;

– les monopoles de concentration , enfin, produits de l’organisation de certaines branches en vastes entreprises, s’appliquant à rendre impossible la concurrence de petits établissements (A. Clément).

Les deux premières catégories ne sont plus guère retenues aujourd’hui, n’étant pas sauf exception vraiment des monopoles. D’autres sont apparues qui, conjuguées avec les deux dernières, constituent soit des monopoles de situation , soit des monopoles d’évolution .

Les monopoles de situation

La situation de monopole est de fait ou de droit.

Les monopoles de fait

C’est le monopole de l’innovateur non protégé par un brevet. Dans l’espace de temps qui sépare le moment où il applique le procédé nouveau qu’il a découvert (et qui baisse ses coûts de production ou ouvre un nouveau marché) et celui où ses concurrents le suivent, l’innovateur jouit d’un monopole, temporaire sans doute, mais réel. Ainsi du quasi-monopole dont a joui en France la Société du verre textile, qui fut en 1949 la première en Europe à fabriquer des fibres de verre; en 1969, elle approvisionnait encore 78 p. 100 du marché français, mais une filiale d’une société américaine s’est installée en France. Monopole de fait, également, que celui d’une entreprise protégée de ses concurrents par le coût de transport, à cause de sa situation privilégiée, et qui le restera jusqu’au moment où un progrès dans la technologie du transport modifiera les données initiales.

Les monopoles de droit

Ils sont fort nombreux. Certains ne sont pas vraiment économiques, mais répondent à des considérations de sûreté et de politique: citons, en France, le monopole de ressort de certains officiers de justice, le monopole étatique du collationnement des grades universitaires, le monopole des substances explosives (institué en 1797 et encore en vigueur pour les explosifs militaires) ou celui d’importation des produits pétroliers, le monopole des postes, celui de l’émission des billets par la Banque de France; en Suède, le monopole de l’alcool, institué dans un but de santé publique. D’autres monopoles publics ont un but fiscal: citons le monopole du sel, sous l’Ancien Régime; aujourd’hui, en France et en Italie, le monopole du tabac: c’est ainsi qu’en France le S.E.I.T.A. (Service d’exploitation industrielle des tabacs et allumettes), créé en 1926, n’est devenu autonome des Contributions indirectes qu’en 1959. Comme le monopole des poudres, il a dû être aménagé pour obéir aux clauses du traité de Rome sur les monopoles publics: il s’est transformé en Société d’exploitation, s’ouvrant plus largement aux tabacs importés. En 1980-1981, en moyenne annuelle, la S.E.I.T.A. a réalisé un chiffre d’affaires de 14,5 milliards de francs; sur ce total, elle en a versé 8 à l’État sous forme de droits spécifiques (auxquels s’ajoutent plus de 4 milliards de taxes indirectes), soit moins de 1,5 p. 100 des recettes fiscales du budget général (contre 3 p. 100 il y a dix ans).

Les brevets sont des monopoles économiques: l’État, en délivrant un brevet d’invention, reconnaît officiellement un droit d’exploitation monopoliste à l’auteur d’une innovation, pendant un temps déterminé (vingt ans au maximum en France). Sont de même nature les marques de fabrique, dessins, modèles et créations littéraires et artistiques.

Une autre forme de monopole légal est constituée par les monopoles publics , fruit principalement de nationalisations: en France, monopoles des transports ferroviaires publics (Société nationale des chemins de fer français), de la production, du transport, de la distribution de l’électricité et du gaz (Électricité de France-Gaz de France), de l’exploitation des combustibles minéraux solides (Charbonnages de France).

Une même entreprise peut conjuguer un monopole de fait et la protection de brevets pour maintenir des profits élevés; ainsi – un exemple bien connu puisqu’il a fait l’objet, en 1956, d’un rapport de la Monopolies Commission britannique – la B.O.C. (British Oxygen Company). La Commission notait que la prospérité exceptionnelle de cette société n’était pas due à des innovations de son fait, puisque la B.O.C. n’a été à l’origine de la découverte d’aucun des procédés importants de production ou de distribution d’oxygène. Mais elle a acquis des brevets étrangers, qu’elle a combinés avec la protection née de la nature même de son activité: les gaz industriels ne peuvent être livrés qu’en bouteilles métalliques fort coûteuses à transporter; à cette protection se sont ajoutés des droits de douane élevés, rendant à peu près impossible la concurrence étrangère (A. Hunter).

Les monopoles, produits de la concentration

Les monopoles peuvent être aussi la conséquence d’une évolution, la concentration des entreprises; il s’agit, dans ce cas, principalement d’entreprises privées.

Le trust américain en est l’expression achevée. Par définition, le trust a un monopole ou un quasi-monopole de fabrication ou de vente, sur un marché national ou le marché mondial. Il est le plus souvent le résultat de fusions successives provoquées par la firme dominante: J. D. Rockefeller, fondateur de la Standard Oil, par une série de procédés souvent peu loyaux (guerre de prix, accaparement des matières premières, actions sur les compagnies de chemins de fer pour priver les concurrents de moyens de transfert), obtint, dès 1887, après avoir ruiné et/ou racheté ses concurrents, le monopole américain – donc, à cette époque, le monopole mondial – du pétrole.

Le cartel est une autre forme de monopole; il peut être légal et obligatoire, comme dans l’Allemagne hitlérienne. Son but est l’organisation du marché soit dans le cas de pénurie (répartition des matières premières), soit dans le cas de surproduction (maintien du prix et répartition des débouchés). La concentration n’est pas nécessairement très poussée, encore que les cartels soient généralement dominés par les grandes entreprises de la branche (les konzerns [Konzerne ] dans les cartels allemands). Le prix est fixé en fonction des coûts des entreprises les moins productives, ce qui permet des bénéfices appréciables pour les entreprises dominantes, généralement mieux organisées et gérées.

Le degré de monopole

Relativement aisé à définir en théorie, le monopole l’est beaucoup moins dans la pratique. À l’exception des monopoles légaux, on rencontre, en effet, rarement des monopoles «purs et parfaits» possédant 100 p. 100 du marché d’un produit.

Trois raisons principales semblent devoir l’expliquer: la prudence du monopoleur, déjà rencontrée lors de la fixation du prix limite; le progrès technique (l’abus de la position dominante conduit à la recherche de produits nouveaux substituables au produit monopolisé, et, d’autre part, le progrès technique permet d’abaisser les coûts de transport, donc réduit les monopoles de situation); l’action des pouvoirs publics: indépendamment de la politique de concurrence des autorités et de la menace d’une nationalisation qui seront évoquées plus loin, les pouvoirs publics peuvent, en ouvrant plus largement les frontières, faire reculer les monopoles.

Aussi, dans la plupart des cas, rencontret-on plutôt des entreprises en situation de quasi-monopole : l’entreprise monopolistique conserve une frange de petites entreprises qui l’empêche d’être considérée comme un véritable monopole: en 1956, dans le Royaume-Uni, cinq autres entreprises de gaz industriel concurrençaient théoriquement la British Oxygen Co.; en fait, deux d’entre elles étaient étroitement liées à cette dernière. Dans d’autres cas, la survivance de ces petites entreprises, souvent marginales, donc aux coûts élevés, permet au quasi-monopoleur de maintenir des profits exceptionnels.

Par ailleurs, il faut tenir compte de la concurrence monopolistique. Sa théorie a été faite par E. H. Chamberlin en 1932. Elle se fonde sur la notion de marque : dans l’esprit de l’acheteur, le produit d’une firme n’est pas un substitut parfait du produit d’une autre firme qui se livre à la même activité que la première. Par la présentation du produit et notamment par la publicité, le vendeur réussira à persuader les consommateurs que son produit est différent. Mais le vendeur ne pourra fixer son prix en fonction du point de Cournot, car il devra tenir compte non seulement de l’élasticité par rapport au prix de la demande pour le produit, mais encore de l’élasticité croisée, c’est-à-dire de l’élasticité de la demande de substitut B par rapport au prix de A (R. Barre).

Le monopole n’étant plus une notion simple et évidente, mais une situation relative, le problème se pose de la mesure du degré de monopole. De nombreux concepts ont été proposés, par J. Houssiaux notamment. On retiendra celui qu’a proposé M. Kalecki, concept en harmonie avec les développements théoriques précédents sur l’écart entre le prix et le coût marginal: cet écart est maximal dans le cas de monopole.

4. Les effets des monopoles

Les réactions au monopole se situent sur deux plans: économique et social.

Réactions des économistes

La tradition économique est défavorable au monopole. Deux critiques principales peuvent, en effet, lui être adressées. D’une part, le prix de monopole est supérieur au prix de concurrence et sa production inférieure; le profit de monopole, par conséquent, est excessif. La Monopolies Commission le notait pour la British Oxygen Co.: «Nous considérons que les bénéfices de la B.O.C. ont été élevés d’une manière injustifiée pour un quasi-monopole dont le risque financier était limité; il s’ensuit que les prix fixés par la B.O.C. pour l’oxygène et l’acétylène dissous sont trop élevés» et peuvent être réduits (A. Hunter). D’autre part, le monopole, par les profits exceptionnels qu’il permet, entretient les situations acquises, faussant par là la structure optimale de l’affectation des ressources qui résulterait de la libre concurrence. Les capitaux sont, en effet, retenus et attirés dans les secteurs monopolistes, au détriment d’autres secteurs, qui seraient probablement plus profitables pour la société.

À ces réactions classiques s’oppose le point de vue de J. Schumpeter. Théoricien de l’innovation, cet auteur pense que le monopole se justifie s’il est le seul moyen d’utiliser une méthode d’organisation de la production qui ne serait pas accessible aux micro-entreprises de la concurrence parfaite. S’il abaisse les coûts par unité produite, le progrès technique peut, dans le même temps, entraîner des investissements globaux très importants. Le monopoleur serait mieux armé pour les financer et les mettre en œuvre. Rien ne garantit donc, selon Schumpeter, que la production de monopole sera toujours inférieure à celle de la concurrence, et le prix supérieur.

La conception de Schumpeter est à rapprocher de ce que l’on a appelé le darwinisme social : les monopoles, produits de la concentration, ne sont-ils pas les entreprises les plus aptes, puisqu’elles ont survécu à la concurrence?

Conséquences sociales

Sans doute des auteurs comme J. K. Galbraith ont-ils montré que les monopoles suscitaient l’apparition de pouvoirs compensateurs qui, en conduisant au monopole bilatéral, rendent beaucoup moins déterminée la fixation des prix: ainsi des coopératives suédoises de consommateurs, qui entreprennent des fabrications lorsqu’elles estiment que les prix des entreprises privées sont excessifs; ainsi des centrales d’achat des grands magasins.

Mais le concept même de monopole est chargé d’une signification négative, qu’explique l’histoire: il suscite immanquablement une attitude hostile, non seulement à gauche, mais encore au centre, défenseur d’un libéralisme traditionnel, et même parfois à droite de l’échiquier politique. Aussi bien l’extrême gauche en a-t-elle étendu l’acception à toute forme concentrée d’entreprises privées (qu’il serait plus scientifique de qualifier de quasi-monopole ou d’oligopole), pour mieux les englober dans un opprobre général et appeler à la lutte contre le «capitalisme des monopoles». Pourtant, doctrinalement, la position des théoriciens socialistes et, plus spécifiquement, celle des marxistes, est complexe: elle s’explique par la vision d’un développement historique orienté vers un but ultime. D’un côté, les monopoles sont la conséquence de la concentration capitaliste: les profits exceptionnels qu’ils dégagent ne peuvent être que le signe d’une exploitation accrue de la main-d’œuvre. Mais, d’un autre côté, cette concentration rapproche de la révolution et du socialisme: la «surexploitation» avive les revendications du prolétariat, la concentration facilite l’expropriation. Dans cette optique, les monopoles caractérisent une étape – l’ultime – de l’évolution du capitalisme. «Après le stade primitif encore manufacturier et le stade classique de la fabrique, pleinement concurrentiel, vient le troisième, le stade impérialiste en général.» Alors apparaît le capitalisme monopoliste d’État , qui subordonne l’appareil d’État aux monopoles capitalistes et l’utilise pour intervenir dans l’économie du pays, afin d’assurer le profit maximal aux monopoles. Sous la pression de ces derniers, l’État est ainsi amené à favoriser la concentration capitaliste, et aussi à amortir les fluctuations conjoncturelles (P. Boccara).

5. L’action sur les monopoles

Deux types d’action peuvent s’exercer sur les monopoles: le contrôle dont le but est de rétablir la concurrence; la nationalisation, qui substitue à un monopole privé un monopole public, sur lequel l’État pourra faire pression pour qu’il mène une politique de prix moins défavorable aux acheteurs.

Politique de sauvegarde de la concurrence

La puissance acquise dès le XIXe siècle par les trusts aux États-Unis explique que ces derniers aient été le premier pays important à se doter d’une politique antimonopoliste, par le vote en 1890 du Sherman Act, «loi (fédérale) pour protéger le commerce et l’industrie contre les restrictions illégales et les monopoles». En fait, le Sherman Act fut d’abord surtout utilisé contre les syndicats ouvriers. Ce n’est qu’en 1911 que la Cour suprême décida la dissolution de la Standard Oil. Alors que, à l’origine, la Cour distinguait entre les «bons» et les «mauvais» monopoles, elle décida, en 1940, que le simple fait d’une entente était une entrave à la concurrence, c’est-à-dire une circonstance mauvaise en soi et condamnable (J. Franck). Dans le Royaume-Uni, la Monopolies Commission, tribunal indépendant, fut instituée en 1948. En France, la Commission technique des ententes est le fruit d’un décret de 1953. Elle a été remplacée en 1977 par la Commission de la concurrence, aux pouvoirs renforcés. Citons enfin, en république fédérale d’Allemagne, depuis 1957, le Bundeskartellamt. Dans les pays de la Communauté économique européenne s’ajoute, depuis le traité de Rome, la réglementation communautaire: l’article 85 du traité interdit «les ententes qui [...] ont pour objet ou pour effet de restreindre ou de fausser le jeu de la concurrence à l’intérieur du Marché commun». L’article 86 condamne l’abus de position dominante; c’est en vertu de cet article qu’a été déclaré illégal en 1964 un accord d’exclusivité à protection territoriale absolue accordant un véritable monopole territorial de vente, qui permettait de pratiquer entre la France et l’Allemagne une discrimination de prix allant jusqu’à 30 et 40 p. 100 (affaire Grundig-Consten).

D’autre part, l’article 37 du traité oblige les États membres à aménager progressivement leurs monopoles nationaux à caractère commercial de façon telle qu’à l’expiration de la période transitoire soit assurée l’exclusion de toute discrimination entre leurs ressortissants. C’est ainsi qu’en France le monopole des poudres a dû s’ouvrir à la concurrence pour les explosifs civils, et la S.E.I.T.A. fabriquer et vendre des tabacs étrangers. L’Italie a supprimé les monopoles d’importation des bananes et de la quinine.

La nationalisation

La nationalisation est, au moins hors des États-Unis, l’arme ultime contre les monopoles. En France, elle figure au programme des partis marxistes qui la firent inscrire dans le préambule de la Constitution de la IVe République: «Tout bien, toute entreprise dont l’exploitation a ou acquiert les caractères d’un service public national ou d’un monopole de fait doit devenir la propriété de la collectivité.» En fait, lorsque fut ratifiée la Constitution de 1946, la force d’expansion de la deuxième vague des nationalisations était déjà épuisée. La première fut le fait du Front populaire, mais il s’agissait alors surtout pour l’État de contrôler plus étroitement soit des entreprises bénéficiant de subventions – telles la S.N.C.F. et la Compagnie générale transatlantique –, soit des entreprises travaillant directement pour la Défense nationale (aéronautique). Au contraire, la vague de la Libération était inspirée par une conception économique précise: mettre sous le contrôle direct de l’État les grands secteurs de base de l’économie (M. Maillet): Charbonnages, E.D.F., G.D.F. notamment.

La troisième vague de nationalisations, celles de 1982, a une inspiration identique – donner à l’État, dans le cadre d’une planification plus volontariste, les moyens d’orienter l’investissement – à laquelle ont pu s’ajouter des considérations idéologiques.

Compte tenu de l’ouverture de l’économie française tant dans le Marché commun que dans le monde, les entreprises industrielles nouvellement nationalisées ne jouissaient d’aucun monopole, cependant, la loi du 2 juillet 1986 a prévu le transfert au secteur privé des participations majoritaires détenues directement ou indirectement par l’État dans 65 entreprises. Commencées en 1987, les opérations de privatisation ont touché une douzaine de sociétés dont Elf Aquitaine, Saint-Gobain, la C.G.E., Havas, Paribas, la Société générale.

Pour ce qui concerne les prix, la nationalisation doit permettre de mener une politique plus conforme à ce que les autorités estiment être l’intérêt national. Dans cette optique, deux types de gestions sont possibles:

– soit la gestion à l’équilibre , l’entreprise devant alors facturer tous les coûts à l’acheteur, d’où les tarifs complexes de la S.N.C.F., de l’électricité, du gaz, du téléphone; ces coûts comportent une partie fixe, correspondant au coût de l’infrastructure, et une partie variable selon la consommation et parfois même le moment de cette consommation: heures creuses, hors saison, etc.;

– soit la gestion déficitaire : l’entreprise renonce dans ce cas à couvrir ses coûts fixes pour ne fixer son prix qu’en fonction de son coût marginal. Une telle politique est d’ailleurs malaisée à mettre en œuvre (exemple classique du voyageur supplémentaire pour lequel il convient d’ajouter tout un wagon au train déjà complet).

Si le mouvement de déréglementation des marchés initié dès la fin des années soixante-dix impliquait logiquement l’autonomie de gestion des monopoles publics, voire leur privatisation, ceux-ci ont continué de répondre dans la décennie quatre-vingt à de tout autres préoccupations: maintien de l’indépendance énergétique (pour E.D.F.), aide au Tiers-Monde (dans le cas de Gaz de France), création d’emplois et, dans un retour à une politique des prix et des revenus, maintien de tarifs insuffisants, qui ont entraîné des déficits préoccupants.

monopole [ mɔnɔpɔl ] n. m.
• 1358; lat. monopolium, gr. monopôlion, de pôlein « vendre »
1Écon. Situation d'un marché où la concurrence n'existe pas, une seule entreprise étant maître de l'offre (aussi duopole, oligopole). Capitalisme de monopole. Monopole légal (privilèges, brevets, marques). Entreprise, trust qui a le monopole d'un produit, d'un service. Monopole d'émission d'une banque privée. Monopole de droit, de fait. Monopole d'État. régie. Monopole bilatéral, lorsqu'un seul vendeur se trouve face à un seul acheteur. Loi contre les monopoles ( antitrust) . Exercer un monopole.
Par ext. Entreprise qui contrôle l'offre sur un marché ( monopoleur) . Les grands monopoles privés, publics.
2(av. 1830) Privilège exclusif. exclusivité. Parti qui s'attribue le monopole du patriotisme, de l'honnêteté. Vous n'avez pas le monopole du bon goût.
⊗ CONTR. Concurrence.

monopole nom masculin (latin monopolium, du grec monopôlion, de monos, seul, et pôlein, vendre) Privilège (de droit ou de fait) dont dispose un individu, une entreprise ou un organisme public de fabriquer ou de vendre seul certains biens ou certains services à l'exclusion de tout concurrent. Possession exclusive de quelque chose : S'attribuer le monopole du patriotisme.monopole (expressions) nom masculin (latin monopolium, du grec monopôlion, de monos, seul, et pôlein, vendre) Monopole d'achat, synonyme de monopsone. Monopole fiscal, monopole légal octroyé à une régie d'État ou à un service public à caractère industriel et commercial, destiné à faciliter la perception d'un impôt sur la consommation d'un bien. ● monopole (synonymes) nom masculin (latin monopolium, du grec monopôlion, de monos, seul, et pôlein, vendre) Possession exclusive de quelque chose
Synonymes :
- exclusivité
- prérogative
- privilège
Monopole d'achat
Synonymes :
- monopsone

monopole
n. m.
d1./d Privilège exclusif de fabriquer, de vendre, de faire qqch, que possède un individu, un groupe d'individus ou l'état.
|| Par ext. Monopole de fait: accaparement du marché par une seule entreprise productrice ou distributrice.
d2./d Fig. Droit, privilège exclusif que l'on s'attribue. Il croit avoir le monopole de l'esprit.

⇒MONOPOLE, subst. masc.
A. — 1. Régime, établi par la loi ou résultant de circonstances économiques ou administratives, qui soustrait un particulier, une société, un organisme d'État, au régime de la libre concurrence et lui accorde l'exclusivité de la fabrication ou de la vente d'un produit, de l'exploitation d'un service. Exercer un monopole; avoir le monopole de qqc. Je prêchais aux plus pauvres de cultiver les arbres fruitiers afin de pouvoir un jour conquérir à Grenoble le monopole de la vente des fruits (BALZAC, Méd. camp., 1833, p.44). Je repris les cahiers des paysans révolutionnaires de 1789 et demandai que l'État préludât, par le monopole d'importation des blés, à l'institution d'un service public d'approvisionnement (JAURÈS, Ét. soc., 1901, p.LXVI). Ces gens (...) étaient les caravaniers professionnels du transit antique entre la Babylonie et l'Égypte. Leur monopole tenait à la possession d'un stock perfectionné d'animaux de charge (VIDAL DE LA BL., Princ. géogr. hum., 1921, p.222):
1. L'empereur, revenant ensuite à la compagnie des Indes, a dit que c'était une grande question que le monopole d'une compagnie, ou la liberté du commerce pour tous. Une compagnie, observait-il, plaçait de très grands avantages entre les mains de quelques-uns qui peuvent faire très bien leurs affaires, tout en négligeant celles de la masse...
LAS CASES, Mémor. Ste-Hélène, t.2, 1823, p.282.
SYNT. Monopole de droit (ou légal), de fait; monopole privé, public (ou d'état); monopole administratif, fiscal, mixte; monopole bilatéral; monopole commercial, industriel.
P. anal. La science est un monopole aux mains des riches. Elle exclut le peuple (FLAUB., Bouvard, t.2, 1880, p.80).
En partic.
a) Vieilli. Privilège exclusif accordé à certaines catégories de personnes d'occuper certaines charges, d'assurer certaines fonctions. Le monopole des agents de change (DG):
2. ... il en existe une autre [bourgeoisie], qui n'a jamais vécu que de places du gouvernement, de pensions sur la cassette, de monopoles et de privilèges, qui donnait tout au roi, pour recevoir de sa main sacrée les dépouilles de la nation.
ERCKM.-CHATR., Hist. paysan, t.2, 1870, p.389.
b) MAR. Monopole du pavillon. ,,Droit exclusif que se réserve un État d'exploiter son trafic maritime`` (GRUSS 1952).
Monopole de la pêche. Monopole des inscrits maritimes pour la pêche en mer et la pêche côtière (d'apr. LE CLÈRE 1960).
2. P. méton. Entreprise privée ou organisme d'État qui bénéficie de ce régime. Le défunt avait réussi à se défaire de ses concurrents et à convertir son commerce en monopole (BALZAC, C.Birotteau, 1837, p.119). Théoriquement, le monopole fixe souverainement le prix, ce qui lui permet de réaliser d'importants profits (BAUDHUIN 1968):
3. L'assemblée constituante avait compris, que dans l'intérêt du pays, il fallait multiplier les concessions afin de prévenir les monopoles toujours oppressifs pour les masses: et cependant ne pas trop les morceler, pour ne pas nuire au développement des travaux.
Monopole et impôt sel, 1833, p.21.
Emploi adj. Que de capitaux, que de mains industrieuses employés dans des fabrications monopoles, qu'il faut dès-lors ménager, quoiqu'elles soient des abus! (SAY, Écon. pol., 1832, p.185).
Au plur., dans le vocab. pol. Entreprises qui, exerçant un monopole de fait dans un secteur économique donné, influencent, selon certains, le pouvoir politique:
4. ... si (...) le gouvernement entend s'appliquer à stimuler, par tous les moyens possibles, la production agricole et la reconstruction industrielle, il va de soi qu'il ne tolérera pas les coalitions d'intérêts, les monopoles privés, les trusts, dont la persistance dans la période de démarrage compromettrait par avance les réformes de structure économiques et sociales que veut aujourd'hui l'immense majorité des Français...
DE GAULLE, Mém. guerre, 1956, p.564.
B. Au fig. Possession exclusive et souvent arbitraire de quelque chose.
1. [En parlant d'une chose abstr.] Avoir, s'attribuer le monopole du patriotisme, de l'honnêteté, de la vertu. Personne ici-bas n'a le monopole de la douleur (SAINTE-BEUVE, Poisons, 1869, p.9). Mon père réservait le monopole du talent aux idoles de sa jeunesse (BEAUVOIR, Mém. j. fille, 1958, p.172).
2. P. plaisant. [En parlant d'une pers.] Mais quelle honte que de promener par la ville une femme laide! (...) On vous croit d'abord notaire ou magistrat, ces deux professions ayant le monopole des épouses grotesques et bien dotées (MAUPASS., Contes et nouv., t.1, 25 jours, 1885, p.711).
REM. 1. Monopoler, verbe intrans., vx. Avoir le bénéfice d'un monopole. (Dict. XIXe et XXe s.). 2. Monopolique, adj. Qui détient un monopole. Synon. monopolistique b (dér. s.v. monopoliste). Les firmes d'importance mondiale et leurs groupes sont monopoliques à des degrés divers (PERROUX, Écon. XXe s., 1964, p.285). 3. Monopoloïde, subst. masc., rare. Entreprise, organisme d'État, qui a un régime voisin du monopole. Si l'on ajoute à ce cas celui d'économies nationales qui échangent des marchandises et des services (...) la série des «monopoloïdes» bilatéraux plurinationaux s'allonge (PERROUX, Écon. XXe s., 1964 p.58).
Prononc. et Orth.:[]. Att. ds Ac. dep. 1694. Étymol. et Hist. 1. 1343 «cabale, conspiration» harele, monopole, assemblee (Arch. JJ 74, pièce 80 ds GDF.); encore att. mais ,,vieilli`` dep. Ac. 1694; 2. 1358 «privilège exclusif de fabriquer ou de vendre quelque chose, d'occuper certaines charges, détenu par un particulier, une société ou un organisme d'État» (Ordonn. des rois de France, IV, 346 ds DELB. Notes mss); 3. 1821 fig. «possession exclusive de quelque chose» (J. DE MAISTRE, Soirées St-Pétersb., t.2, p.319: les savants européens (...) qui ont fait de la science une sorte de monopole). Empr. au lat. d'époque impériale monopolium, du gr. «droit de vendre certaines denrées», lui-même comp. de «seul» et de «vendre». Fréq. abs. littér.:457. Fréq. rel. littér.: XIXes.: a)652, b)230; XXe s.: a) 339, b) 1059. Bbg. DUB. Pol. 1962, p.347. — MAULNIER (Th.). Le Sens des mots. Paris, 1976, pp.151-152.

monopole [mɔnɔpɔl] n. m.
ÉTYM. 1318; « conspiration », 1314 et jusqu'au XVIIe; lat. monopolium, grec monopôlion, de pôlein « vendre ».
1 Écon. « Régime de droit ou de fait soustrayant une entreprise ou une catégorie d'entreprises du régime de la libre concurrence et leur permettant ainsi de devenir maîtres de l'offre sur le marché » (Capitant). Oligopole. || Monopole de fait. || Monopole légal (privilèges, brevets, marques). || Monopole privé. || Entreprise, cartel, trust qui a le monopole d'un produit, d'un service… (→ Groupe, cit. 12). || Monopole d'émission (cit. 2) d'une banque privée. || Banque (cit. 3) qui jouit d'un monopole. || Monopole public; monopole d'État (cit. 135), monopole départemental… || Capitalisme de monopole. Monopoliste. || Monopole bilatéral (ou duopole), dans lequel un seul vendeur vend un seul produit à un seul acheteur. || L'État a le monopole de l'alcool, de la poudre, des allumettes et du tabac ( Régie). || Monopole de la radio, de la télévision, des télécommunications. || Les monopoles publics sont fiscaux (variante de l'impôt de consommation), administratifs (intérêt général) ou mixtes. || Monopole industriel, commercial ( Commerce).
1 Quand un peuple est pauvre et sans industrie, il faut alors créer des compagnies, leur donner des privilèges exclusifs; mais quand chaque citoyen est devenu commerçant, il faut alors détruire ces corps privilégiés, car ils dégénéreraient en monopole, et voudraient étouffer l'industrie générale prête à éclore.
Rivarol, Littérature, II.
2 (…) les Touchard père et fils avaient conquis le monopole du transport pour les villes les plus populeuses, dans un rayon de quinze lieues (…)
Balzac, Un début dans la vie, Pl., t. I, p. 600.
3 (…) à chaque instant l'État intercale entre le prix de revient, quel qu'il soit, et le prix de vente (…) un impôt considérable. Tous ces monopoles avantageux ne sont que des moyens de faire payer beaucoup d'impôts sans qu'on s'en aperçoive.
Ch. Péguy, la République…, p. 63.
4 Si la raison d'être du monopole demeure la maximation du gain monétaire, il reste vrai que le monopole est un régime moins favorable à l'intérêt général que la concurrence. Mais précisément, alors que la concurrence est un régime dont la rationalité est exclusivement économique, le monopole peut se soumettre à une finalité différente de celle du gain monétaire illimité (…) Le monopole est de ce point de vue moins étranger que la concurrence aux préoccupations humaines.
H. Guitton, in Romeuf, Dict. des sciences économiques, Monopole.
Entreprise, organisme exerçant un monopole. || Le pouvoir des monopoles. || Un monopole de presse.
(1958). Mar. || Monopole du pavillon : droit de navigation réservé au pavillon national pour la pêche côtière, pour certains transports maritimes, par exemple entre les ports français de la métropole ( Cabotage), entre les ports de la métropole et ceux des départements d'outre-mer.Monopole de la pêche : monopole des inscrits maritimes pour la pêche côtière.
2 (Av. 1830). Privilège exclusif. Exclusivité. || Parti qui s'attribue le monopole du patriotisme (→ Belliqueux, cit. 4). || La passion de moraliser, d'évangéliser (cit. 3), monopole anglo-saxon. || L'incohérence (cit. 4) n'est pas le monopole des fous.
5 Il (Rivarol) parla d'abord de Voltaire, contre lequel il poussait fort loin la jalousie; il lui en voulait d'avoir su s'attribuer le monopole universel de l'esprit.
Chênedollé, in Sainte-Beuve, Chateaubriand…, t. II, p. 130.
6 Il enrageait de voir les nationalistes revendiquer toujours pour eux seuls le monopole de la noblesse, du désintéressement, des vertus héroïques (…)
Martin du Gard, les Thibault, t. VII, p. 109.
CONTR. Concurrence, monopsone.
DÉR. Monopoliser, 1. monopolaire, monopoler, monopoliser, monopoliste, monopolistique.

Encyclopédie Universelle. 2012.