NÉOLITHIQUE
Dès 1865, sir John Lubbock désignait par le terme de Néolithique, conformément à l’étymologie, ce qu’on appelait encore le nouvel âge de la pierre et qu’on continuera à qualifier d’âge de la pierre polie. Pourtant, en 1869, G. de Mortillet, dans sa célèbre classification des industries préhistoriques, avait adopté ce terme de Néolithique pour la période comprise entre le Paléolithique ou âge de la pierre taillée et l’âge du bronze. Le mot a donc pris rapidement une valeur officielle en dépit de la concurrence des autres appellations, et il figure dans le Littré.
Mais cent ans de recherches en ont à la fois épuré et enrichi le sens. Il fallut dès l’abord en détacher tout un groupe d’industries sans pierre polie et sans poteries, groupe qui faisait transition avec le Paléolithique malgré la disparition du renne. Ainsi naquit le Mésolithique. Malgré les remarquables travaux des préhistoriens allemands, ce n’est que tardivement qu’on eut recours à la céramique pour procéder au classement des différents faciès du Néolithique et l’on découvrit ainsi d’extraordinaires richesses culturelles et un foisonnement de groupes si divers qu’ils mettaient presque en cause la notion trop simpliste d’une étape néolithique uniforme. Ce fut le mérite essentiel de V. G. Childe de montrer qu’il y a pourtant une réelle originalité du Néolithique, fondée sur les données socio-économiques. Le Néolithique doit être considéré comme la période de l’adoption de l’agriculture, de l’élevage et de la vie sédentaire en agglomérations. Le contraste avec les étapes antérieures de l’humanité est considérable. Mais le passage à l’âge de bronze, par contre, ne marque pas une coupure aussi profonde et, pendant quelques siècles, les instruments de pierre des néolithiques seront accompagnés de petites armes en cuivre et de bijoux d’or, d’argent et de plomb. Cette phase terminale du Néolithique est appelée Chalcolithique ou Énéolithique.
Le Néolithique constitue le substrat de l’histoire européenne parce qu’apparaissent pour la première fois des groupes humains sédentarisés et assez denses pour nécessiter une organisation politique, asservir le paysage et imposer leur poids démographique en dépit de multiples bouleversements.
La place chronologique du Néolithique, longtemps discutée, est à peu près fixée, grâce au carbone 14. Les premiers éleveurs et agriculteurs d’Europe centrale et de l’Occident méditerranéen apparaissent entre 漣 5500 et 漣 4500. Au Proche-Orient, sur la bordure montueuse du «croissant fertile», l’apparition des techniques néolithiques se fait plus tôt et plus graduellement. L’utilisation des céréales, dont il existe plusieurs variétés sauvages en ces contrées, se manifeste dès le Mésolithique «natufien» de Palestine, vers 漣 7800. On distingue un véritable Néolithique où se pratiquaient l’agriculture, l’élevage, le polissage du matériel lithique (mais encore dépourvu de céramique), vers les environs de 漣 7000, à Kalat Jarmo (Irak du Nord-Ouest ou Kurdistan) et à Tell-es-Sultan (Jéricho, Palestine). Céramique et communautés villageoises importantes sont répandues à partir de 漣 6500, non seulement en Irak, en Syrie, au Liban et en Palestine, mais aussi sur la frange méditerranéenne de la Turquie. Vers 漣 6000, les techniques néolithiques se seraient étendues à la Grèce. Dans les Balkans (Star face="EU Caron" カevo, K face="EU Updot" 盧rös, Kriche), le Néolithique correspond pour sa période ancienne à des dates comprises entre 漣 5500 et 漣 5000.
Ces données chronologiques, malgré quelques difficultés de détermination, permettent cependant d’affirmer que la néolithisation a débuté au Proche-Orient, d’où elle a diffusé, par contiguïté ou migrations, pendant de nombreux siècles. D’autre part, il n’y a guère qu’au Proche-Orient que le Néolithique se détache progressivement du Mésolithique. Il ne faut donc pas trop se laisser abuser par des expressions comme «révolution néolithique» ou «miracle néolithique». Certes, il convient de souligner le caractère novateur du Néolithique européen, mais à cette époque l’Occident n’est pas encore, et pour longtemps, le centre de l’oikoumené. Ce n’est qu’une colonie.
Le Néolithique se termine avec la généralisation de l’outillage en bronze, entre 漣 1900 et 漣 1800, tout au moins en Occident. Au Proche-Orient, le métal est largement utilisé dès 漣 2600, il s’agit en fait du cuivre, et le «bronze ancien» proche-oriental fait donc pendant, en réalité, au Chalcolithique de l’Europe occidentale.
Malgré une incontestable parenté entre les diverses cultures néolithiques, la présente étude se limitera à l’Europe et à l’Asie antérieure, mère de l’Occident, laissant de côté le Néolithique d’Égypte (cf. AFRIQUE - Histoire), celui du nord-est de l’Inde et des franges méridionales du Touran (cf. PERSE, SIBÉRIE). Nous ne pouvons que mentionner l’importance capitale du Néolithique chinois (cf. CHINE), véritable initiateur des civilisations de l’Extrême-Orient, sans oublier le Néolithique japonais, nettement plus tardif [cf. JAPON]. Nous ne traiterons pas non plus des civilisations néolithiques cependant fort anciennes des côtes péruviennes où les grandes civilisations andines puiseront pourtant l’essentiel. Beaucoup plus tard, les Indiens du nord-ouest des États-Unis ont fourni des renseignements précieux sur le mode de vie néolithique en pays tempéré [cf. INDIENS D'AMÉRIQUE]. Quant à certains faciès comme ceux de Colombie-Britannique ou de Polynésie [cf. OCÉANIE], ils prouvent par leur adaptation à la vie maritime qu’il vaudrait mieux parler de Néolithiques que de Néolithique.
1. Le mode de vie
Les animaux domestiques
La domestication des animaux permet aux néolithiques de disposer de ressources alimentaires moins aléatoires que celles fournies par la chasse ou la pêche, auxquelles étaient réduits les prédécesseurs mésolithiques.
Certes, il semble bien que le chien ait été apprivoisé vers la fin du Mésolithique, par les Oerteboelliens du Danemark en particulier. Ce n’était probablement qu’un compagnon de chasse, encore que sa consommation ne soit pas totalement exclue. Mais les néolithiques introduisent des espèces beaucoup plus importantes. Le mouton, surtout au Proche-Orient et dans les régions méditerranéennes, prend une très grande place. Il paraît domestiqué dès 漣 9000 à Zawi Chemi (Shanidar, Irak), où il reste morphologiquement très proche du mouflon et précède de beaucoup les industries néolithiques, contrairement à ce qui se voit en Occident. La chèvre domestique, dérivée de la chèvre bézoar longtemps à l’état sauvage en Asie Mineure et dans les Balkans, n’apparaît qu’avec le Néolithique précéramique de Jarmo et de Jéricho, près de 1 500 ans après le mouton. En Europe, chèvre et mouton domestiques apparaissent dès le début du Néolithique. Il en est de même pour le porc, alors qu’en Orient il fut domestiqué seulement plusieurs siècles après la chèvre (vers 漣 6500 à Kalat Jarmo), mais encore bien plus tôt qu’en Europe. La domestication du bœuf semble commencer vers 漣 5000.
Quoi qu’il en soit, on peut dire qu’en Occident comme en Égypte les phases anciennes du Néolithique apparaissent avec un cheptel assez complet comportant le mouton, la chèvre, le porc et le bœuf. Sauf dans le cadre du Néolithique tardif de Tripolie (Roumanie du Nord-Est et Ukraine du Sud-Ouest), le cheval ne sera pratiquement pas utilisé. Il faudra attendre l’âge du bronze. Dans les résidus alimentaires des gisements néolithiques, les ossements d’animaux domestiques atteignent de 35 à 95 p. 100 des documents osseux, les animaux sauvages étant nombreux à proximité des massifs montagneux, mais très rares autour de la Méditerranée. Dans les villages néolithiques de quelque importance, les animaux de ferme paraissent fournir les deux tiers de l’alimentation carnée, le reste étant pris sur la faune sauvage: chevreuil, cerf, sanglier, bœuf, quelques bisons, castor, lapin, lièvre. De plus, les hommes à cette époque confectionnaient des fromages avec le lait de vache, de brebis et de chèvre, car on a trouvé de nombreuses faisselles.
Graminées sauvages et hybridées
Les blés des néolithiques d’Europe dérivent à peu près sûrement de ceux de Turquie et du Proche-Orient. Ils ne paraissent pas avoir été cultivés beaucoup avant 漣 5000, mais l’engrain comme l’épeautre sont largement répandus dans les vallées du Danube et du Rhin un peu avant 漣 4500. L’amidonnier, le premier des blés sélectionnés, connaît une destinée plus méridionale, son extension s’effectuant vers l’Égypte et l’Éthiopie, puis vers les pays méditerranéens occidentaux. L’orge sauvage se rencontre à peu près dans les mêmes pays que les blés sauvages, mais sur des surfaces sensiblement plus étendues. La variété dite à deux rangs a certainement été sélectionnée et hybridée aussi précocement que le blé, peut-être même avant. Le seigle, issu pourtant d’un parasite des blés, est resté ignoré des peuples de l’Orient classique, alors que dans le Néolithique d’Europe centrale et septentrionale il joue un certain rôle alimentaire. Cette différence s’explique par le climat. À ces précieuses graminées qui se conservent longtemps et qui permettent en conséquence de franchir les périodes de disette, il faut ajouter le panic et le millet. Par contre, l’avoine ne sera utilisée qu’à l’âge du fer.
Les céréales, comme les animaux domestiques, proviennent en majeure partie du Proche-Orient, où les hommes se sont livrés à un long apprentissage. S’il n’y a pas trace de cet apprentissage en Occident, c’est tout simplement parce que le Néolithique y fut introduit plus tardivement par des immigrants déjà initiés. L’étude des fruits des néolithiques conduirait aux mêmes conclusions, tout au moins en ce qui concerne la pomme, la prune et la poire, cette dernière un peu plus tardive puisqu’elle n’est guère connue avant le Néolithique moyen. Évidemment, les néolithiques occidentaux consommaient aussi de grandes quantités de glands, de noisettes, de prunelles, sans oublier les châtaignes, noix, olives, mûres, framboises, airelles, etc. Les légumes indigènes furent aussi mis à contribution: carotte, chou, ansérine; mais il en fut introduit de nouveaux comme la fève, le pois, la lentille, d’origine orientale ou africaine.
Instruments de pierre
L’outillage néolithique s’est assez bien conservé dans les palafittes, les tourbières, quelques grottes sèches du littoral méditerranéen (fig. 1 et 2). La hache polie constitue l’instrument le plus commun pour les travaux pacifiques comme pour la guerre. Il en existe une extraordinaire variété selon le matériel utilisé (silex, diorite, jadéite, serpentine, chloromélanite, ophite, etc.), selon la taille, selon la forme du talon (rond, pointu, à bouton), selon la coupe (ronde, lenticulaire, rectangulaire, en ovale simple et en ovale excavé, etc.), selon la forme générale (triangulaire courte ou longue, boudinée, perforée à talon en marteau, perforée en profil naviforme, perforée à profil de bipenne, etc.). On reconnaît la trace des coups de hache sur les troncs de sapin et de bouleau ou de frêne des habitations palafittiques, mais aussi sur des pièces de bois dur en chêne, yeuse, orme, hêtre ou if. On retrouve des empreintes identiques sur les pirogues monoxyles, dans certaines galeries de mines de silex, sur les parois des grottes funéraires artificielles de la Marne et sur le crâne de certains sujets.
Bien entendu, on connaît de nombreux polissoirs, en général de gros blocs de grès striés de profondes rainures, qui servaient au finissage des haches et d’autres instruments polis. Pour les travaux des champs, les néolithiques disposaient d’herminettes, de pics, de scies et faucilles, ces dernières constituées par de petits silex tranchants collés par du goudron dans la fente longitudinale d’un manche de bois. Pour le travail de menuiserie, il y avait des ciseaux à bois, des gouges, des tranchets, des rabots, etc. En cas de guerre, on utilisait, outre les haches, des flèches d’une très grande variété, des javelots ou des lances, des poignards en silex parfois polis dont quelques-uns ont été retrouvés avec leur manche de bois et leur fourreau de cuir, entouré de lanières. Les femmes néolithiques se servaient aussi largement d’outillage de pierre: couteaux, poinçons, racloirs, grattoirs à peaux, rouleaux à pâte, meules et molettes en grès pour préparer la farine. Nous sommes donc encore tout à fait à l’âge de la pierre; cependant, même à cette époque, les matériaux tirés du monde animal occupent une place très importante dans la technologie.
Objets en os et en bois
Au Néolithique, l’utilisation des peaux et des tendons sera en partie remplacée par la confection d’étoffes et de cordes, mais l’os et la corne conserveront pleinement leur usage. Avec les ramures ou les andouillers de chevreuil et surtout de cerf, on fabriquait entre autres des gaines d’emmanchure pour les haches, des pics, des pioches, des binettes, des fourches, des poinçons, des ciseaux pour bois tendre, des poignards, des hameçons, des harpons, de petits vases ou godets. De l’os, principalement des métapodes de mouton, chevreuil, cerf, on tirait surtout des ciseaux et des poinçons, des aiguilles à chas et des spatules, des lissoirs, des peignes, des perles. Sauf dans les pays méditerranéens où on préféra très tôt la pierre, les maisons néolithiques d’Occident furent principalement en bois: planchers, murs, poutres, toitures, serrures, bancs et lits. Mais on se servait aussi du bois pour tous les objets d’usage courant tels que cuillers, plats, archets de foyer, battoirs, jougs, pièges, bateaux, arcs, emmanchures diverses (fig. 3).
Cette très large utilisation du bois constitue un gros progrès par rapport aux matériaux mésolithiques. Dans les travaux de charpente et de menuiserie, les outils confectionnés à partir du silex ou des roches dures étaient alors aussi efficaces que les instruments de métal. Le tissage, inconnu aux époques antérieures, est attesté par de nombreux écheveaux et des étoffes de chanvre des palafittes suisses de Sutz, Fénil, Lüscherz, Robenhausen, etc. Quenouilles et surtout fusaioles sont très largement répandues. Il est possible qu’on ait tissé les fibres d’ortie et peut-être un peu de lin, mais les preuves manquent. On n’a pas trouvé trace de tissus de laine: ce qui tient peut-être simplement à la mauvaise conservation de la laine dans le sol.
Par les magnifiques trouvailles de quelques grottes espagnoles (Los Murciélagos, Grenade), on sait que les néolithiques savaient confectionner des sacs, paniers, corbeilles, sandales, filets, etc., en sparterie. Dans les contrées plus humides de l’Occident, on est peu documenté sur la vannerie, mais il y a plusieurs raisons de croire que les néolithiques savaient fabriquer des claies, des nasses, des corbeilles et des paniers avec les rameaux de saules, d’osier, d’orme ou de coudrier, reliés par des liens d’écorce.
Quelques pièces de céramique
Après cette longue énumération, on voit que la fabrication de la poterie, qui représente, avec le polissage des instruments de pierre, une des originalités spécifiques du Néolithique, n’occupe en réalité qu’une place assez modeste malgré son énorme intérêt archéologique. La céramique se conserve bien, et sur les stations néolithiques on trouve, en abondance, les marmites, les bouteilles, les gobelets, les assiettes, les cuillers, les biberons en pipes, les figurines humaines et animales qui servaient de jouets ou représentaient des idoles, les sceaux à tatouages corporels, les grands vases à grains qui servaient éventuellement de cercueils comme en Turquie, au Proche-Orient, en Égypte ou en Espagne méridionale. On ne trouve pas encore de briques, tout au moins en Occident, mais peut-être ne se sont-elles pas conservées. Soulignons que la poterie, facile à modeler, revêt une grande variété de formes et de décors permettant de classer aisément les grands groupes culturels (fig. 4 et 5).
2. La succession des cultures
L’Europe occidentale (6500-3800 av. J.-C.)
Le Néolithique ancien occidental inclut deux groupes culturels nettement différents. Le plus ancien correspond à la civilisation dite à «poterie cardiale» dont les profondes écuelles et les bouteilles sphéroïdales sont décorées d’impressions de bords ou de dos de coquilles de cardium formant des bandes ou panneaux surchargés. L’outillage demeure microlithique et semble ignorer la hache polie. L’économie se fonde sur l’élevage du mouton et de la chèvre, ainsi que sur un maigre apport céréalier. Étendu le long des rives de la Méditerranée depuis l’Épire jusqu’à Gibraltar d’où elle diffuse vers le littoral septentrional portugais et marocain, la poterie cardiale apparaît très tôt en Italie dans le faciès de Sipontiano (Pouilles) vers 漣 6500 ou 漣 6200, c’est-à-dire avant les civilisations de Star face="EU Caron" カevo-Kriche-K face="EU Updot" 盧rös. Elle paraît donner naissance au très beau faciès sicilien de Stentinello qui présente des villages fortifiés à maisons rectangulaires et utilise un gros outillage lithique. On peut rapprocher le faciès de Sipontanio de ceux de Cilicie et de Syrie, en particulier à Stentinello, qui se détache d’ailleurs de l’ensemble cardial.
Le second groupe, à poterie décorée de rubans méandrés-spiralés dessinés par incisions linéaires, se trouve dans des villages danubiens et rhénans magnifiques dont les maisons rectangulaires peuvent atteindre trente mètres de long. La vie est centrée sur l’agriculture à la houe et sur l’élevage du bœuf et du porc. Cette civilisation, remarquablement uniforme de la Belgique à la Hongrie, a pour origine les Balkans ou plus probablement la Turquie actuelle.
Sur les terres restées isolées du mouvement néolithique (la majeure partie de l’Ibérie, de la Gaule, des îles Britanniques, des plaines péribaltiques, polonaise et russe), les mésolithiques poursuivent leur vie traditionnelle. Mais à la fin de cette période, vers 漣 3800, depuis le Danemark méridional jusqu’à la Silésie un peuple nouveau fait son apparition, dont les sépultures individuelles contiennent des gobelets à col en entonnoir. Ce peuple, qui a des affinités culturelles avec le groupe sud-ukrainien d’Igren, jouera par la suite, surtout en Allemagne du Nord et au Danemark, un rôle considérable.
Le Néolithique moyen en Italie
Le Néolithique moyen, qui peut commencer vers 漣 3500, comporte une phase à sépultures individuelles en tombes plates ou en caissons, suivie d’une phase à sépultures mégalithiques collectives dont les dolmens à long couloir et chambre ronde (carrée en Languedoc) constituent le plus antique témoignage. Mais ces dolmens particuliers n’existent pas dans le nord de l’Europe où le mégalithisme débute avec des dolmens simples suivis de dolmens à couloir court relevant peut-être d’un courant oriental (caucasien) et non atlantique. D’autre part, toute l’Europe centrale ignorera les dolmens. À l’exception de la Cujavie polonaise, il en sera de même pour la quasi-totalité de l’Europe orientale où prédomineront caissons et simples fosses. Enfin, de l’Ukraine à la Turquie et à l’Égée puis, de là jusqu’à l’Italie du Sud, se répandra la mode des tombes creusées dans le sol ou dans le roc, sépulcres en four à puits d’accès latéral ou à couloir frontal.
À cette époque, l’Italie joue avec Malte un rôle considérable. Dans le sud de la Péninsule, la poterie du faciès ancien de la belle civilisation de Matera-Capri, qui monopolise le commerce de l’obsidienne, offre une grande parenté avec le style grec de Sesklo. La céramique peinte de la période suivante ressemblera davantage à celle de Dimini, toujours en Grèce. La civilisation contemporaine de l’Italie centrale, dite de Sasso-Fiorano, doit aussi revendiquer des origines orientales si l’on en juge par ses formes céramiques assez complexes. Faut-il penser à la Macédoine, à l’Égée ou au Péloponnèse? On ne saurait le dire. Comme celle de Matera-Capri, la pacifique civilisation de Sasso-Fiorano enterre ses morts recroquevillés dans des tombes plates. Ses villages ne sont pas aussi beaux. Tout au long de la vallée du Pô se répand alors la civilisation des vases sans décor à bouche carrée. D’inspiration nettement balkanique, elle a laissé quelques poteries typiques jusqu’en Provence et même en Languedoc.
Civilisations de dolmens à couloir
Avec un retard qui ne dépasse probablement pas quelques décennies, se répand ensuite, sur tout l’Occident, un Néolithique à sépultures individuelles et poteries rondes sans décor, qui adoptera plus tard l’inhumation collective dans les dolmens à couloir, tout au moins dans les provinces littorales méditerranéennes et atlantiques. Cette famille culturelle comprend le groupe de Chassey-Cortaillod-Lagozza. Son outillage reste, du moins jusqu’à l’adoption des dolmens, d’inspiration nettement microlithique. C’est le cas du Chasséen ancien, du Cortaillodien ancien, du Lagozzien, des fosses catalanes, de la civilisation anglaise de Windmill Hill et peut-être des plus anciens néolithiques bretons et saintongeais.
Mais l’apparition des premiers dolmens en Almérie, où ils mettent probablement fin à la civilisation africanoïde isolée d’El Garcel, en Algarve et en Alentejo, entraîne de profonds changements, du Languedoc jusqu’à l’Écosse. L’Ibérie, la Gaule, à l’ouest de la ligne Valence-Caen, et les îles Britanniques forment alors une sorte de «combinat» culturel orienté vers l’Atlantique.
Dans le bassin du Rhin et dans celui du Danube supérieur, la civilisation de Rœssen succède à celles des paysans du lœss à céramique rubanée. L’économie reste fondamentalement agricole et l’outillage lithique diffère peu de celui de la phase précédente. En revanche, la céramique, décorée de petites incisions géométriques formant de grands panneaux, diverge tout à fait. Par la richesse de son décor et la variété de ses formes, elle s’apparente au groupe plus oriental de la céramique pointillée morave, adossée elle-même à la brillante culture de la Tisza. Dans les premiers dolmens danois, on trouvera des gobelets à entonnoir, puis se développera une civilisation des dolmens à couloir qui s’étendra aussi sur l’Allemagne du Nord. On connaît la belle poterie et les magnifiques armes de silex de leurs constructeurs, qui ne révèlent, sans qu’on puisse expliquer ce fait, aucune influence occidentale ou méridionale.
Au cours de la seconde moitié de ce Néolithique moyen, donc à peu près en même temps que la diffusion des premiers dolmens, des civilisations d’origine locale, semble-t-il, surgissent enfin par acculturation des «sauvages» mésolithiques. Tel est le cas de la dwelling-place culture des chasseurs-pêcheurs péri-baltiques, qui s’insinue entre des groupes plus évolués et semble avoir inspiré le style céramique de Peterborough (Néolithique B d’Angleterre). Sans doute en est-il de même de la civilisation de Michelsberg qui a peut-être éliminé celle de Rœssen. La civilisation de Ripoli (Abruzzes) fait penser à un processus identique par le développement de l’archerie, mais elle ne remplace point la civilisation de Serra d’Alto, qui continue, dans l’Italie du Sud, les traditions de la Méditerranée orientale (poterie peinte à décor en spirales carrées, anses gaufrées), manifestes dès Matera-Capri.
Du Néolithique au Chalcolithique
Le Néolithique supérieur, imbriqué avec le Chalcolithique, puisque certaines civilisations refusent le cuivre, connu de leurs voisines, voit se multiplier les groupes humains à partir de 漣 2500. Un des foyers culturels essentiels se développe en Sicile autour des civilisations successives et enchevêtrées de San Cono-Piano Notaro, de Serraferlicchio, de Piano Conte puis de Castelluccio.
Les tombes creusées dans le roc se généralisent; il en est de même pour les objets de cuivre, les poignards en particulier, de forme occidentale ou orientale. En Sardaigne, on connaît plusieurs faciès: civilisations de San Michele au sud, de Arzachena au nord et celle d’Anghelu Ruju au nord-ouest, à gobelets campaniformes. Dans le centre méridional de la péninsule italique, la civilisation du Gaudo s’apparente au Proche-Orient, tandis que celle de Rinaldone, immédiatement au nord, emprunte ses types au groupe autrichien de Mondsee. Dans la plaine du Pô, la culture de Remedello, un peu plus tardive, manifeste des parentés avec la Bohême chalcolithique.
Le peuple aux vases campaniformes
Autour de Los Millares, d’Alcalá et de l’embouchure du Tage, la péninsule Ibérique invente des civilisations originales qui seront toutes concurrencées par le célèbre peuple à vases campaniformes, qu’on croit, sans preuves, originaire de l’Espagne centrale. Quoi qu’il en soit, les hommes à gobelets campaniformes mettent la main sur tout le centre du Portugal ainsi que sur la Catalogne et ses prolongements français, le Roussillon et le Languedoc méridional. Ces mêmes hommes qui, contrairement aux habitants de la péninsule Ibérique, ont échappé à la «religion dolménique» et continuent leurs ensevelissements individuels en caissons, colonisent les principaux carrefours rhodaniens, la majeure partie du haut Danube ainsi qu’une partie de la Bohême-Moravie. Par les affluents du Rhin, qu’ils occupent presque sans discontinuité, ils poussent quelques avancées en Saxe et en Hollande, d’où ils partent à la conquête de l’Angleterre qui restera pour longtemps leur plus beau fleuron. On pourrait écrire le même roman historique en faisant partir les hommes à gobelets campaniformes de l’Europe centrale, de Moravie par exemple, mais cette hypothèse manque tout autant de preuves.
À cette époque, certaines provinces françaises sont solidement tenues par des civilisations plus modestes mais fort dynamiques, telles que la civilisation de La Couronne, en Provence, celles des Grands Causses et d’Artenac entre la Loire et la Gironde. De l’Ardenne au cœur du Massif central et de la Bretagne à la Suisse orientale s’étend alors un groupe culturel à la fois primitif et puissant qui sera éliminé des pays d’Ouest par celui d’Artenac, de Bretagne par les hommes à gobelets campaniformes, et de Suisse par les porteurs d’une fraction de la céramique cordée allemande. Ce dernier groupe comprenait initialement le faciès dit de Vienne-Charente et celui de Horgen (Suisse), mais finit par se réduire aux faciès dits de la Seine-Oise-Marne et de la Meuse. Même rétréci, il couvrira encore la moitié de l’ancienne Gaule et il diffusera ses allées couvertes vers la Westphalie et la Hesse ainsi que vers les pays du Nord. Il transmettra aux gens de ces contrées de nombreux types occidentaux, mais sans parvenir à établir une véritable domination.
Il est vrai que l’Allemagne de l’Ouest constitue alors un dangereux champ de bataille où s’affrontent les hommes des allées couvertes et ceux des caissons à campaniformes, contenus ou refoulés les uns et les autres par la poussée des peuplades à céramique cordée. Ces dernières se divisent en un grand nombre de tribus qui enterrent leurs morts dans des sépultures individuelles, sous tumulus, où l’on trouve des gobelets décorés à la ficelle et des haches de bataille perforées. Ces envahisseurs, qui diffèrent de leurs voisins par leur crâne et leur face remarquablement étroits, sont considérés comme les ancêtres des Indo-Européens. Ils donneront naissance à quelques groupes dérivés, en Allemagne centrale (Walternienburg-Bernburg, Leubingen-Helmsdorf), mais n’éviteront pas l’épuisement total des populations européennes après des siècles de guerre.
Sauf dans les îles Britanniques, où les néolithiques à campaniformes complètent le beau monument de Stonehenge, l’âge du bronze apparaîtra dans un pays désert.
3. La société néolithique
La société néolithique n’est connue qu’à travers les vestiges matériels, mais on peut affirmer qu’il s’agit d’une société fondamentalement agricole dont la cellule primordiale ne peut être que le village.
Du village à la citadelle fortifiée
Si en Orient et même en Turquie il y a beaucoup de petites citadelles et même de vraies villes groupées autour d’une acropole, on ne trouve rien de comparable dans le Néolithique occidental, sauf à la période terminale, celle du Chalcolithique, où se construisent des forteresses dont les plus connues s’appellent Los Millares (Almérie), Vila Nova de Sao Pedro (Alentejo) et le Lebous de Tréviers (Hérault).
En Occident, jusque vers la fin du Néolithique moyen, domine le village agricole situé généralement sur une médiocre hauteur à proximité immédiate des meilleurs terrains de culture et tout près d’une source. Les cabanes d’une même civilisation se ressemblent toutes et l’on ne décèle ni «palais», ni case de chef, ni temple, ni maison commune. L’ensemble suggère une société relativement égalitaire et assez peu hiérarchisée. D’après l’archéologie, l’absence de préoccupations militaires paraît totale. L’étude des cimetières conduit à des conclusions identiques. Ces considérations valent tout particulièrement pour les villages établis sur les dépôts lœssiques par les hommes à céramique rubanée et ceux à poterie de Rœssen qui leur succèdent. Nous ne savons rien des villages des néolithiques à céramique cardiale, sinon pour l’extrême sud de l’Italie et la Sicile occidentale, où se trouvent quelques belles agglomérations fortifiées, rappelant le Proche-Orient (Stentinello, Megara Hyblaea, Matrensa). Les Chasséens qui leur succèdent, tout au moins en France, ont laissé à Vieille-Toulouse (Haute-Garonne) et à Montbeyre, près de Teyran (Hérault), des villages populeux (de 100 à 400 personnes), d’une importance comparable à ceux des Danubiens du lœss dont les maisons de bois nettement plus grandes suggèrent cependant un peuplement plus important.
Mais déjà, au fur et à mesure de leur progression vers le nord et vers l’est, les Chasséens commencent à rechercher les éperons barrés faciles à défendre, comme le camp de Chassey (Saône-et-Loire) ou celui de Catenoy (Aisne). Un peu plus tard encore, les hommes de la civilisation de Michelsberg sur le Rhin et en Allemagne méridionale adopteront systématiquement les hauteurs fortifiées, généralement en bordure de falaise. Partout se fait sentir un besoin de protection qui n’existait guère jusqu’alors.
Au Néolithique final et au Chalcolithique, on se mit à construire des fortins et parfois de vraies forteresses, dans toute la péninsule ibérique et dans le midi de la France, ainsi qu’en Italie péninsulaire.
Ces innovations n’ont pu voir le jour sans transformations sociales et ont entraîné une plus forte structuration. Dans les villages chalcolithiques, pourtant dépourvus de fortifications, de Fontbouisse (Villevielle, Gard) et de Bois-Martin (Les Matelles, Hérault) se décèlent effectivement, à côté des habitations, de vastes édifices circulaires qui ne correspondent certainement pas à des greniers collectifs, mais plus vraisemblablement à des temples ou à des maisons de chef.
En Saxe, il existe de vraies tombes princières (Leubingen, Helmsdorf, etc.) qui prouvent nettement cette transformation sociale. Il y a d’ailleurs d’autres exemples, exceptionnels il est vrai, de sépultures aristocratiques en Bretagne. En revanche, toutes les sépultures masculines connues sont désormais celles de guerriers ensevelis avec leurs armes personnelles (arcs, flèches, poignards, lances, etc.). La mort violente paraît la règle et seul l’essor de la traumatologie de guerre peut expliquer la floraison de trépanations crâniennes constatées à cette époque. Ce faisceau d’arguments, bien que disparates, suffit pourtant à démontrer l’évolution de la société à la fin du Néolithique.
Le commerce des matières premières précieuses
Il est évident que les bases économiques de la société néolithique se modifièrent corrélativement, même s’il est improbable qu’il ait existé à cette date un déterminisme socio-économique aussi contraignant qu’au temps de la civilisation industrielle moderne.
Au début du Néolithique, les moyens de production dépendent largement de l’individu, mais il y a déjà des échanges: la dispersion, tout le long du Danube, des coquilles de spondyle méditerranéen et la distribution, plus limitée, des herminettes polies tirées des roches granitiques de l’Eifel, ou encore les nombreuses cachettes de haches polies en portent témoignage. Il est probable qu’on vendait aussi du sel, du bois d’if pour les arcs, des fourrures. En Espagne, assez tôt apparaissent des plaquettes d’ivoire et des coquilles d’œufs d’autruche dont l’origine africaine n’est pas douteuse.
Au cours du Néolithique moyen, de grands gisements de silex sont exploités industriellement grâce à des puits de mine: Spiennes (Hainaut), Grimes Graves (Norfolk), Nointel (Aisne), Murs-de-Barez (Aveyron). Les produits provenant des grands ateliers de plein air du Grand-Pressigny (Indre-et-Loire) se répandent à des centaines de kilomètres de leur lieu d’extraction. Des stations comme celles de Taillebourg (Charente-Maritime) ou de Claix (Charente) ont laissé les traces d’une activité intense à l’échelle régionale. De roches semi-précieuses, comme la hornblendite du Vannetais, provenaient des haches de luxe, exportées et imitées jusqu’en Alsace, en Languedoc et en pays Basque. À la même époque, une autre pierre remarquable, la callaïs, servait à confectionner des perles qui se trouvent dans de nombreuses sépultures des plaines atlantiques, de la Bretagne au Portugal et même en Languedoc. Quant à l’ambre baltique, il se trouve partout, jusqu’en Espagne, en Italie, au Caucase.
Doit-on admettre l’existence de mineurs spécialisés et de corps d’artisans se consacrant à la fabrication d’objets de prix? L’ethnographie comparée indiquerait plutôt que les populations locales, à ce stade, dans leur ensemble, monopolisaient à leur profit les filons intéressants et ne fabriquaient que des objets particulièrement recherchés. Il est significatif de constater qu’il n’y avait pas de commerce d’objets usuels, de la poterie par exemple, sauf exceptions. La matière première convoitée, reçue par troc ou par négoce, était ensuite façonnée dans les cadres typologiques traditionnels.
Il semble que des préoccupations de fabrication en série véritablement industrielle ne soient apparues qu’avec les premiers rudiments de la métallurgie du cuivre, de l’or, de l’argent et du plomb, au cours du Chalcolithique, ce qui expliquerait les modifications sociales notées à l’extrême fin du Néolithique. Dans toutes les civilisations primitives, les fondeurs et les forgerons forment des corporations jalouses de leurs secrets, mais nécessaires à la vie de la collectivité. Leur activité particulière les décharge des contraintes habituelles et instaure une véritable division du travail; cependant, les forgerons ont besoin de protéger une production très convoitée: il en résulte un renforcement du pouvoir des chefferies. Ces dernières font payer leur protection, devenue une source de revenus qui les pousse à conquérir de nouvelles régions métallifères, capables d’accroître leur puissance.
4. La vie spirituelle et intellectuelle
Nous ignorons tout de la cosmogonie et des héros éponymes des néolithiques. Les légendes et épopées les plus anciennes des Grecs, Pélasges et même Hittites, dont beaucoup remontent certainement à la fin de l’époque dont nous parlons, permettraient d’induire au moins quelques thèmes généraux. Mais le degré d’urbanisation et de développement des sociétés considérées rendrait toute comparaison avec la civilisation néolithique non pertinente.
Le culte des fontaines, des rochers et des ancêtres
Quelques menus faits font pourtant songer à une certaine communauté de substrat. C’est ainsi que les néolithiques en Europe occidentale vénéraient les fontaines puisque dans quelques-unes il y avait des dépôts ou offrandes de haches polies. Il ne peut s’agir de cachettes, ces endroits étant très fréquentés. Or, la hache, comme dans la civilisation égéenne où on la trouve sous la forme de bipenne, fut certainement un symbole de puissance ou de courage: elle est représentée très souvent sur les parois des tombeaux mégalithiques, des grottes artificielles ou sur quelques rocs remarquables. En outre, que la hache de silex, dont le choc fait jaillir des étincelles, ait été liée à une certaine déification du tonnerre, cela ne ferait après tout que confirmer la vieille tradition populaire qui appelle «pierres de foudre» les haches polies, ramassées de-ci de-là, et leur attribue une valeur prophylactique connue des Romains qui ne manquaient pas d’en placer une ou plusieurs dans les fondations de leur villa.
Sur certaines parois rocheuses, il existe des représentations symboliques, ou naturalistes stylisées, d’interprétation très difficile, ou parfois des séries de simples cupules, réunies ou non par des rigoles. Ces systèmes de cupules furent parfois considérés comme des cartes du ciel ou comme des pierres à sacrifices, ou encore comme des oracles. Les néolithiques ont certainement honoré des rochers à qui étaient attribuées des vertus particulières. Si la toponymie des «bois des Lucs» ou des sources thermales dont le nom commence par Borvo ou Barba pouvait remonter à des origines préceltiques, comme celle des pics rocheux qualifiés de Suc, ce serait l’indice d’une extension des cultes naturalistes.
Bien entendu, il n’a pas manqué de spécialistes pour affirmer que les néolithiques adoraient le soleil, ce que semblent confirmer les nombreuses figurations en cercle, roue ou rosace qui ornent les parois des dolmens, quelques poteries (à Los Millares, Almérie) ou de rares gravures rupestres. Effectivement, à quelle autre divinité pourrait-on attribuer ces figures! Mais faut-il y voir la trace d’un véritable culte solaire? On a rapporté à ce prétendu culte solaire le grand temple circulaire mégalithique de Stonehenge (Wilts), le seul vrai temple connu dans l’Occident néolithique en dehors de ceux de Malte, encore que les plus grandioses parties de cette construction ne datent sans doute que du bronze ancien. Si cette thèse était vérifiée, il serait alors possible de l’étendre aux nombreux cromlechs ou cercles de pierres dressées qui existent en Bretagne, dans les pays d’Ouest et jusqu’en Languedoc. Du même coup, nombre de constructions et des représentations crescentiformes ou en sabot de cheval devraient logiquement se rapporter à la lune.
La belle allure des monuments mégalithiques passa pour être la preuve d’un culte des morts. Sans doute vaut-il mieux dire que les néolithiques vénéraient leurs ancêtres, comme on n’a cessé de le faire, même après les énergiques mises en garde du christianisme: ils les intégraient dans l’histoire en mouvement, ne leur attribuant toutefois qu’une place secondaire, comme le montre l’ethnographie. Quoi qu’il en soit, les monuments funéraires du Chalcolithique, grande période guerrière, portent souvent l’emblème d’une divinité féminine à collier, généralement dépourvue de bouche, symbole du grand silence. Cette inquiétante figure se rencontre à Collorgue (Gard), à Coujeonnet (Marne), à Coizard (Marne), à Épône (Yvelines), à Boury (Oise). Sans doute s’agit-il vraiment d’une déesse des morts ou des enfers.
Notons en passant la rareté des sépultures animales. Dans les tombes en four creusées dans le sol ukrainien, dites en catacombes, les squelettes humains sont toujours précédés d’une offrande d’un membre ou d’une tête de bœuf ou de mouton, mais seule la civilisation polonaise des amphores-ballons possède des sépultures de bœufs, prouvant incontestablement une considération particulière pour ce bétail.
Une architecture grandiose, des arts plastiques médiocres
L’art néolithique, d’un point de vue esthétique, n’éveille aucun sentiment admiratif sauf en architecture funéraire. Encore faut-il préciser que les grands tombeaux mégalithiques retiennent l’attention du fait des prouesses techniques qu’ils supposent. Par ailleurs, en dépit du manque de rectitude des couloirs et de l’irrégularité des chambres, certains plans ne sont pas dépourvus d’élégance; de toute façon, la masse même de la plupart de ces édifices leur confère une noblesse certaine. Dans ce domaine, la palme revient non pas à une tombe mais au grand temple circulaire de Stonehenge, dont les énormes colonnes monolithes sont de proportions agréables et heureusement distribuées, les linteaux qui les surmontent demeurant eux-mêmes en bon rapport avec l’ensemble.
L’art figuratif comporte quelques peintures, en général médiocres, et des gravures sur pierre ou os, la peinture venant parfois au secours de la gravure.
Quelques vestiges d’enduit coloré laissent supposer que les maisons pouvaient être intérieurement décorées comme à Grossgartach (Wurtemberg). Mais la quasi-totalité des peintures néolithiques, généralement en rouge ou noir, se rencontre sur des rochers ou dans des grottes. Ce sont des images de haches, de poignards, des rosaces, des figures anthropomorphes grossières et d’assez nombreuses scènes de chasse, généralement au cerf. Beaucoup de ces scènes de chasse appartiennent peut-être au Mésolithique et non pas au Néolithique. Comparées aux peintures pariétales des paléolithiques, ces tentatives font piètre figure. Il est curieux que les hommes de la pierre polie n’aient pas représenté de scènes agricoles à l’instar des hommes de l’âge du bronze (Val Canonica, Bohusland).
Les gravures, parfois associées à de mauvais bas-reliefs, se trouvent surtout sur les parois des tombes. Elles retracent la plupart des motifs symboliques énumérés à propos de la vie religieuse. Mais, dans les dolmens bretons surtout, il existe d’autres signes: stylisation de barques avec rameurs (Mané Lud, Morbihan), représentation de la mer et des vagues dans lesquelles est jeté un paquet de haches polies, probablement à titre d’offrande (Gavr’inis, Morbihan), des signes juguiformes (Mané Lud, Morbihan), qu’on interprète comme un essai de schématisation du visage, à moins qu’il ne s’agisse de vols d’oiseaux. De nombreux plastrons encochés et garnis de deux rangées de cercles centrés évoquent peut-être de simples boucliers. Les mystérieux écussons en marmite à deux oreilles rappellent étrangement une tête humaine «vue d’avion». Quant aux innombrables crosses, semblables à des manches de haches ayant perdu leur outil, symbolisent-elles la puissance déchue des guerriers morts?
Les tentatives d’explication n’ont d’autre mérite que de s’insérer dans ce qui est connu et peu contestable. En beaucoup de lieux et, semble-t-il, à des fins décoratives, les néolithiques ont garni de véritables panneaux avec des rangées de chevrons brisés.
Ailleurs, ils ont préféré des spirales affrontées comme à Castelluccio, simplement accolées comme à New Grange (Irlande) ou isolées. À New Grange, on trouve même un beau triskèle, motif qui fera plus tard fortune chez les Celtes. Si les premiers bans celtiques des îles Britanniques datent des gobelets campaniformes, hypothèse assez judicieuse, il n’y a pas lieu de s’étonner mais plutôt d’admirer l’insertion de l’histoire dans la préhistoire.
Les langues parlées
Les données linguistiques manquent totalement. Il y a lieu de supposer que les mésolithiques parlaient des langues de type euskaro-abkhaze, mais, à partir des plaines polonaises et au nord des Carpates, ils utilisaient probablement des dialectes finno-ougriens jusque sur la moyenne Volga et l’Oural méridional. Les premiers colons néolithiques, surtout dans la région du Danube, se rattachaient selon toute probabilité au groupe linguistique asianique d’Asie Mineure et plus accessoirement de la mer Noire (Crimée, rivages azoviens, Kouban). Vers la fin du Néolithique, les relations culturelles entre l’Europe et les versants septentrionaux du Caucase se développent tellement qu’il est possible d’admettre un renforcement des influences linguistiques asianico-caucasiennes sur une bonne partie de l’Europe centrale et dans les plaines qui vont de l’Ukraine occidentale à la Pologne. Il existe, il est vrai, des raisons sérieuses de penser qu’une notable partie des Caucasiens installés autour de la mer d’Azov et de la Crimée subissait déjà le poids considérable des Indo-Européens et que, lors d’expéditions lointaines, les deux groupes ethniques étaient réunis par un même appétit, ou au contraire se poursuivaient l’un l’autre, entre 漣 2500 et 漣 1800.
Bien des noms de peuples, des généalogies mythiques, des légendes grecques ou préturques ne peuvent s’interpréter que par la coopération, généralement orageuse, des Asianico-Caucasiens et des Indo-Européens. Quant à ces derniers, on admet non sans vraisemblance qu’ils se sont infiltrés en Europe centrale par la Hongrie et en Pologne par l’Ukraine occidentale, au Chalcolithique, au cours de l’expansion de la civilisation à gobelets ornés d’impressions de cordelettes et à sépultures en fosse individuelle contenant un squelette replié. Ces particularités culturelles se rencontrent de l’Allemagne jusqu’au Turkestan qui, de source certaine, était alors occupé par des Europoïdes. Il est évident que seule une civilisation relativement homogène et largement répandue peut expliquer d’une manière satisfaisante l’actuelle répartition des langues indo-européennes, des îles Britanniques au Bengale. Mais cette hypothèse ne suffit pas, car il faut admettre un autre mouvement que celui du peuple à céramique cordée et à sépultures individuelles pour expliquer l’apparition des Thraces, Macédoniens, Grecs, Hittites, Luwites et ancêtres des Arméniens. Chronologiquement, cette poussée doit rester assez proche de celle de la céramique cordée, mais sa réussite fut plus rapide et culturellement tellement plus brillante qu’on oublie peut-être trop facilement ce qu’elle devait à ses prédécesseurs asianiques de l’Égée et de l’Anatolie.
Quoi qu’il en soit, le Chalcolithique paraît bien représenter la grande période de l’expansion indo-européenne. Beaucoup plus tard, les invasions italiques, celtiques puis germaniques et enfin slaves ne feront que terminer un processus extensif déjà fermement esquissé.
5. L’anthropologie physique
Les peuplades qui colonisent l’Occident au début du Néolithique ne ressemblent pas à leurs prédécesseurs du Mésolithique.
Des hommes de petite taille
D’une stature souvent si réduite qu’on les a parfois qualifiés de pygmoïdes, ils se caractérisent aussi par une gracilité extrême et un aspect pédomorphe, qui disparaîtront peu à peu au cours des siècles, sauf dans quelques régions de l’Europe centrale. En revanche, cette remarquable coupure (du point de vue racial), sensible le long du Danube, du Rhin et de l’Elbe, se manifeste beaucoup moins clairement dans l’Europe dano-scandinave. Elle se remarque peu en Ukraine, où les éléments graciles sont rapidement refoulés par de grands cro-magnoïdes qualifiés de proto-europoïdes ou proto-nordiques, le premier de ces termes étant beaucoup trop vague et le second trop précis, ou peut-être même franchement erroné. Dans ce cas particulier, la gracilisation ne se fera que par étapes, au fur et à mesure de l’acculturation, et sera due probablement davantage à l’évolution sur place qu’à l’immigration massive d’éléments étrangers, encore que l’archéologie des steppes ne soit guère favorable à la thèse de la continuité pure et simple. Le long des rives de la Méditerranée, les transformations anthropologiques se discernent malaisément puisqu’on retrouve toujours une majorité de méditerranoïdes. Ils se ressemblent tous et, à l’exception de ceux qui pourraient venir d’Afrique du Nord, inconnus en Europe (même en Espagne), il est impossible d’en déceler l’origine. Il se peut que les colons à céramique cardiale du début du Néolithique aient comporté un pourcentage relativement élevé de Méditerranéens robustes, de taille au-dessus de la moyenne, mais les documents ostéologiques demeurent trop peu nombreux pour étayer une telle affirmation.
Réapparition des mésolithiques brachycrânes
Au cours du Néolithique moyen, l’apport méditerranoïde se renforce certainement, tout au moins en France et en Suisse, probablement assorti d’un accroissement des petits Méditerranéens danubiens pédomorphes, de l’Allemagne septentrionale à l’Italie du Nord, sans parler du peuplement des Balkans moins bien connu. Le substrat mésolithique paraît totalement éliminé, sauf dans le nord de l’Europe. Pourtant, la civilisation de Michelsberg, vers la fin du Néolithique moyen, a fourni quelques squelettes à faciès brutal, à orbites et face basses, ainsi qu’un certain nombre de brachycrânes correspondant à un élément nouveau qu’il faut pratiquement considérer comme une sorte de résurgence de ces anciens mésolithiques dont la trace s’était perdue.
D’ailleurs, au Néolithique final et au Chalcolithique, se forment des groupes compacts; leur morphologie grossière rappelle celle des mésolithiques de Téviec, d’Ofnet ou de Muge, à plus de deux mille ans de distance. Ainsi on trouve dans le Néolithique danois de grands individus brachycrânes à face plus ou moins cro-magnoïde, courte à orbites basses dont le type se répand rapidement en Suède méridionale, puis gagne plus au sud des régions drainées par le Rhin et le Danube supérieur où ils constituent l’élément anthropologique caractéristique de la célèbre civilisation à gobelets campaniformes. Ils envahissent massivement les îles Britanniques, où ils supplantent les néolithiques méditerranoïdes de la civilisation de Windmill Hill. Leur poussée le long du Rhône se poursuit plus tard jusqu’en Catalogne. Vers l’Est, ces grands brachycrânes ont vécu en Bohême-Moravie, en Slovaquie et jusqu’aux environs de Budapest, mais ils y sont fortement concurrencés par les petits méditerranoïdes pédomorphes danubiens. Dans les allées couvertes de Westphalie-Hesse, il y avait des dolichocrânes à face également cro-magnoïde et morphologiquement encore plus proches des anciens mésolithiques que ne l’étaient les grands brachycrânes précédents. Les sépultures du Néolithique final de l’Île-de-France, de la Champagne et surtout de la Wallonie montrent des sujets mésocrânes et brachycrânes de type archaïque, à l’image de leur civilisation matérielle, à la fois expansive et grossière. Cela signifie que de vieilles populations oubliées par les migrations néolithiques novatrices se sont peu à peu consolidées et acculturées et ont fini par prendre un véritable essor démographique que favorisaient le morcellement des civilisations plus avancées, leur concurrence effrénée dans la recherche des gîtes métallifères et la permanence d’un état de guerre lié à ces nouvelles conditions.
Quoi qu’il en soit, il est certain que toutes les sous-races européennes actuelles sont formées dès le Chalcolithique. Toutefois, leur répartition géographique variera sensiblement par la suite.
néolithique [ neɔlitik ] adj. et n. m.
• 1866; de néo- et lithique, d'apr. l'angl. neolithic
♦ Paléont. Relatif à l'âge de la pierre polie, période la plus récente de l'âge de pierre. Site néolithique. — N. m. (1902) Le néolithique. Vestiges datés du néolithique.
● néolithique nom masculin Période comprise entre le mésolithique et l'âge des métaux. ● néolithique (difficultés) nom masculin Orthographe Attention au groupe -th-, comme dans lithographie. ● néolithique nom Être humain ayant vécu à cette époque. ● néolithique adjectif Relatif au néolithique. ● néolithique (citations) adjectif Claude Lévi-Strauss Bruxelles 1908 J'ai l'intelligence néolithique. Tristes Tropiques Plon
néolithique
n. m. et adj. Dernière période de la préhistoire, à laquelle succède la protohistoire.
|| adj. âge néolithique.
⇒NÉOLITHIQUE, adj. et subst. masc.
PRÉHISTOIRE
A.—Adj. Qui est relatif, qui appartient à l'époque de la pierre polie, période de la préhistoire qui s'étend, selon les sites, de 7 000 à 2 500 ans avant Jésus-Christ. Âge, époque, ère, période néolithique; cultivateur, potier néolithique; poterie, sépulture néolithique; civilisation néolithique. Du haut de quelques éminences, des forteresses néolithiques dominaient les marais (MORAND, Londres, 1933, p.2). L'épanouissement (...) de l'homo sapiens au sein de l'atmosphère sociale créée par la transformation néolithique (TEILHARD DE CH., Phénom. hum., 1955, p.229):
• 1. La poterie en général a été inventée par quelque peuplade néolithique; le verre, la glaçure et le tour du potier doivent dater de l'âge du bronze en Égypte, et la porcelaine (...) a été incontestablement créée par la Chine.
LOWIE, Anthropol. cult., trad. par E. Métraux, 1936, p.154.
— Emploi subst. Homme ayant vécu à cette époque. Maintenant, en plus du pain qui symbolisait, dans sa simplicité, la nourriture d'un néolithique, tout homme exige, chaque jour, sa ration de fer, de cuivre et de coton (TEILHARD DE CH., Phénom. hum., 1955 p.273).
B. —Subst. masc. L'âge néolithique:
• 2. ... quand l'homme, à l'âge suivant, le néolithique, fera ses débuts dans la céramique (...) il se bornera pendant longtemps à perfectionner (...) ses thèmes décoratifs initiaux: parallèles, chevrons, dents de scie, losanges aboutiront au carré, plus régulier, qui se répètera dans le damier.
HUYGHE, Dialog. avec visible, 1955, p.113.
Prononc. et Orth.:[]. Att. ds Ac. 1935. Étymol. et Hist. 1866 adj. (LUBBOCK, L'Homme av. l'hist., t.1, p.61); 1902 subst. (Congrès internat. d'anthropol., p.206). Formé des élém. néo- et -lithique, d'apr. l'angl. Neolithic, 1865 (v. NED). Fréq. abs. littér.:29.
néolithique [neolitik] adj.
ÉTYM. 1866, angl. neolithic, créé par Lubbock en 1865; de néo-, et -lithique.
❖
♦ Préhist. Se dit de la période la plus récente de l'âge de pierre et de ce qui appartient à cette période. || Âge, époque néolithique ou de la pierre polie. || Civilisation néolithique. || Influences néolithiques (→ Cadre, cit. 10). — N. m. || Le néolithique.
0 L'économie néolithique connaît une industrie spécialisée. En Égypte, comme d'ailleurs en Sicile, au Portugal, en France (…) des groupes extraient en effet le silex par des travaux miniers. Utilisant un bois de cervidé en guise de pic, les premiers mineurs forent des puits dans la craie et creusent des galeries souterraines, afin d'exploiter des bancs de silex en nodules. Les procédés empiriques de la technique néolithique sont associés à des rites magiques, considérés comme essentiels au succès des opérations.
A. Birembaut, in Encycl. Pl., Hist. des sciences, p. 1058.
Encyclopédie Universelle. 2012.