PONTS
La fonction des ponts est de permettre le franchissement d’un obstacle par une voie de transport. À l’origine, l’obstacle pouvait être une rivière ou une gorge profonde, et la voie de transport une route ou une conduite d’eau. Le pont du Gard, construit au Ier siècle après Jésus-Christ, est le plus connu de ces ponts-aqueducs.
Avec le développement des moyens de transport et de la société industrielle, les ouvrages se sont multipliés. À partir du XVIIe siècle, les canaux pouvaient franchir des rivières ou des vallées par l’intermédiaire de ponts-canaux comme celui de Briare, construit par Gustave Eiffel en 1896.
Lors de l’essor des chemins de fer au cours de la seconde moitié du XIXe siècle, l’obligation de limiter la pente des rampes a rendu nécessaire la construction de viaducs franchissant souvent à grande hauteur et à niveau sensiblement constant des vallées importantes. C’est l’époque de l’édification du viaduc de Garabit sur la Truyère, par Léon Boyer et Gustave Eiffel en 1884, et de celui du Viaur, par Paul Bodin en 1902; mais aussi de nombreux autres, constitués de travées identiques de relativement faible portée, comme les viaducs en maçonnerie de Morlaix, de Dinan, de Barentin, de Chaumont, de Saint-Chamas, etc.
Depuis quelques dizaines d’années, la création du réseau autoroutier a multiplié ces ouvrages afin de franchir des rivières et des vallées avec des pentes qui ne dépassent pas 4 ou 5 p. 100, mais aussi des autres voies de transport, ferroviaires et routières, et même des zones urbanisées lorsque la densité des habitations ne permet pas l’implantation de l’autoroute au sol. Le viaduc de Poncin, qui permet à l’autoroute A40 d’enjamber la vallée de l’Ain, celui de Nantua, qui prolonge le tunnel sortant de la montagne à 100 mètres au-dessus du fond de la vallée, et ceux des Glacières et de Sylans qui franchissent des zones d’éboulis instables, sur l’autoroute Lyon-Genève par Nantua, constituent de remarquables exemples d’ouvrages imposés par la construction d’une autoroute dans des sites difficiles. Les viaducs de l’antenne de Bagnolet, qui rejoint l’autoroute du Nord, ou ceux de Neuilly-Plaisance de la ligne de Marne-la-Vallée du Réseau express régional (R.E.R.) franchissent des zones fortement urbanisées. En outre, la nécessité d’éviter les croisements à niveau avec les autres voies routières a conduit à construire de nombreux ponts qui permettent aux voies secondaires de franchir l’autoroute. Ces ouvrages de passage inférieur ou supérieur autoroutier, selon la position de la voie secondaire par rapport à l’autoroute, ont été standardisés et sont appelés ponts-types. Il existe aussi des échangeurs, quelquefois particulièrement complexes pour les autoroutes urbaines, où deux, trois, voire quatre niveaux de circulation s’entrecroisent sur des ouvrages dont le tracé en plan est souvent courbe et dont l’épaisseur doit être faible. Ceux-ci doivent s’appuyer au sol en des points imposés par la disposition des voies. L’échangeur de la porte de la Chapelle sur le boulevard périphérique de Paris ou celui de Saint-Maurice entre les autoroutes A4 et A86 en donnent de bons exemples.
Les ponts portant des conduites d’eau ou de gaz ont des formes tout à fait particulières, liées aux faibles dimensions et à la faible résistance intrinsèque des conduites.
La création de nouveaux modes de transport, comme l’aérotrain, a été envisagée dans les années 1970. Ce projet, inventé par J. Bertin, nécessitait une voie en béton ayant la forme d’un T renversé. La ligne expérimentale de l’aérotrain sustenté et guidé par des coussins d’air qui part d’Orléans est abandonnée.
1. La classification des ponts
Il est extrêmement difficile de classer les ponts en différentes catégories, car il existe de très nombreux critères de classement: le matériau dont est construit le tablier (aujourd’hui essentiellement l’acier et le béton, armé ou précontraint); la nature des réactions que le pont produit sur ses appuis; le mode de fonctionnement de la structure en flexion longitudinale; le schéma statique transversal de l’ouvrage, et enfin son mode de construction.
Traditionnellement, on distingue trois grandes familles en fonction de la nature des réactions produites par l’ouvrage sur ses appuis (fig. 1): les ponts qui travaillent en poutre , qui n’exercent que des réactions verticales ou quasi verticales si l’on excepte les efforts horizontaux créés par le freinage des convois ou les effets du vent; ils doivent être construits avec des matériaux résistants en flexion comme le bois, le béton armé ou précontraint et l’acier; les ponts en arc , qui exercent sur leurs culées des réactions de poussée tendant à les écarter; ce sont des structures funiculaires de compression qui peuvent donc être contruites avec des matériaux qui ne résistent pas à la traction, comme la pierre ou la fonte; les ponts suspendus dans lesquels les grands câbles porteurs exercent des efforts de traction sur les massifs d’ancrage.
Le simplisme de cette classification ne suffit pas à représenter l’immense diversité des schémas statiques longitudinaux:
– Les ponts à câbles regroupent aussi bien les ouvrages suspendus classiques que ceux qui sont autoancrés, dans lesquels les grands câbles porteurs sont fixés sur le tablier, et les ponts à haubans, dans lesquels chacun des haubans vient directement s’accrocher sur le tablier. La compression de ce dernier équilibre l’effort de traction des câbles ou des haubans.
– Les ponts en arc modernes peuvent être à tablier supérieur, intermédiaire ou inférieur, en fonction de la position de celui-ci par rapport à l’arc. Ce dernier, qui peut être encastré sur ses culées aux naissances, peut aussi comporter de une à trois articulations: le plus souvent deux, une à chacune des naissances comme pour le viaduc de Garabit, ou trois, la troisième étant située à la clef. Dans certains cas, le tablier – lorsqu’il est à un niveau très bas, et particulièrement lorsque le sol n’est pas capable d’équilibrer les réactions de poussée d’un arc classique – peut équilibrer par sa traction la poussée de l’arc qui devient un effort interne: c’est ce qu’on appelle un pont en bow-string, qui peut aussi être considéré comme un pont en treillis à poutres latérales de hauteur variable. La suspension du tablier est assurée soit par des tirants en acier, voire en béton armé ou précontraint, soit par des câbles, verticaux ou inclinés, qui sont disposés en V ou en X. Dans le cas le plus courant des arcs à tablier supérieur, le nombre des pilettes supportant le tablier peut être réduit – grâce à une augmentation de sa résistance à la flexion – jusqu’à faire dégénérer la forme de l’ouvrage en pont à béquilles ; c’est le cas du pont principal du viaduc de Martigues, à Caronte, ou de celui du Bonhomme sur le Blavet. L’inclinaison des béquilles peut être variable. Elles peuvent même devenir verticales, donnant alors à l’ouvrage la forme d’un portique, comme le pont sous la ligne du métro à la station de Bir-Hakeim à Paris ou la passerelle entre l’île Saint-Louis et l’île de la Cité.
– Les ponts en poutre présentent les formes les plus diverses. L’ouvrage peut tout d’abord être une poutre continue sur des appuis multiples, ou au contraire divisé en une succession de travées indépendantes. De multiples schémas intermédiaires permettent de faire varier le degré d’hyperstaticité de la structure. Les poutres constituant la partie porteuse de l’ouvrage peuvent être placées sous la chaussée ou de part et d’autre de celle-ci; on parle alors respectivement de ponts à poutres sous chaussée ou de ponts à poutres latérales. Sur les ouvrages modernes, elles sont en acier ou en béton, à âmes pleines ou en treillis de formes très diverses.
2. L’histoire de la construction des ponts
L’histoire de la construction des ponts est avant tout celle des matériaux qui les constituent. Les ouvrages primitifs étaient réalisés avec des matériaux naturels tels que le bois, les lianes et la pierre. Avec des lianes, on a construit des passerelles suspendues; avec la pierre, des ponts en poutre – une simple dalle de pierre jetée entre deux appuis – et des arcs; avec le bois, des ponts en poutre – une série de troncs d’arbres entre deux appuis – et des treillis de plus en plus complexes, travaillant en poutre ou en arc. Des passerelles de l’Himalaya constituent même des exemples de construction par encorbellements successifs, avec des troncs d’arbre encastrés dans une culée de pierres sèches et s’avançant de plus en plus au-dessus de la brèche; et des exemples de pont-ruban tendus entre deux rives.
Ponts en bois
Le bois a été le matériau le plus utilisé dans l’Antiquité et jusqu’au XVIIe siècle, même si nous n’en avons gardé que de rares témoignages tels que le pont de la Chapelle à Lucerne, le plus célèbre, et celui de l’Accademia à Venise. Toutefois, les historiens ont laissé la description d’ouvrages très importants: Hérodote parle de ponts sur le Nil et l’Euphrate vingt siècles avant Jésus-Christ; Darius aurait franchi le Bosphore et Xerxès les Dardanelles sur des ponts de bateaux; César a réalisé en huit jours un ouvrage sur le Rhin pour aller écraser les Germains en 55 avant J.-C.; et Trajan fit construire un pont de 1 100 m sur le Danube, en 105 après J.-C., dont le dessin nous est laissé par la colonne Trajane. Le bois a encore été largement utilisé en Amérique du Nord pour les grands viaducs ferroviaires.
Ponts en pierre
La pierre et la maçonnerie ont été utilisées pour des ouvrages importants et durables, depuis la haute Antiquité jusqu’à la fin du XIXe siècle et même jusqu’à tout récemment en Chine, pendant la révolution culturelle. L’origine des arcs en pierre remonterait aux Sumériens, mais ce sont les Étrusques et surtout les Romains qui ont développé leur construction, acquérant une compétence technique (traité de Vitruvius Pollio) qui ne sera retrouvée qu’au XVIe siècle en Italie. Les arcs primaires des ponts en grand appareil du haut Empire sont bâtis par anneaux de pierres successifs, les uns à côté des autres, pour limiter la taille des cintres; les ponts du bas Empire sont réalisés en maçonnerie, grâce à la découverte des ciments naturels; l’arc primaire est alors construit par rouleaux successifs. L’ouvrage est complété par les tympans qui maintiennent les matériaux de remplissage portant la chaussée. Les voûtes romaines sont en plein cintre et les portées peuvent atteindre 30 m (cf. ROME ET EMPIRE ROMAIN -L’art romain).
Le Moyen Âge n’apportera aucun progrès sensible (pont Bénezet à Avignon, en 1187; celui de Céret, en 1339), avec une forme un peu différente des voûtes en arc brisé (pont Valentré à Cahors, en 1308, celui d’Entraygues, en 1269), probablement sous l’influence des constructions orientales qui atteindront leur apogée dans l’empire turc (ponts de Sinan Pacha, comme celui de Mostar en Bosnie-Herzégovine). Il faudra attendre la Renaissance italienne pour que les voûtes soient surbaissées et les piles affinées. Le pont de la Trinité à Florence, en 1570, et celui du Rialto à Venise, en 1590, en sont des bons exemples. En France, la technique fit des progrès considérables au XVIIIe siècle grâce à la création du Corps des ponts et chaussées, en 1716, de l’École des ponts et chaussées, en 1747, et aux ouvrages de Jean-Rodolphe Perronet, son premier directeur (pont Georges V à Orléans en 1761 et celui de la Concorde en 1791). La construction des lignes de chemin de fer, au cours du XIXe siècle, fut l’occasion de concevoir, surtout en France et en Grande-Bretagne, de grands viaducs ferroviaires en maçonnerie dont les aqueducs des XVIIe et XVIIIe siècles avaient constitué une remarquable préfiguration. La maçonnerie se découpe, des voûtes d’élégissement diminuent la masse de la construction, particulièrement au-dessus des piles. Paul Séjourné, célèbre par les six tomes de ses « Grandes Voûtes » et considéré comme le plus brillant des ingénieurs français de cette époque, a réalisé le pont Adolphe à Luxembourg sur la vallée de la Pétruse, en 1903, avec pour la première fois une dalle de roulement en béton armé, et le viaduc de Fontpédrouze, en 1911.
Ponts métalliques
La construction métallique est ancienne puisque, dès le premier siècle de notre ère, des moines bouddhistes ont bâti au Tibet des ponts suspendus dans lesquels des chaînes de fer ont remplacé les lianes. En Chine – où l’on avait déjà édifié de remarquables voûtes en maçonnerie –, un pont suspendu, qui existe encore, a été bâti dès 1706 avec une portée de 100 m. En Occident, le développement de la construction métallique date des débuts de l’ère industrielle, à la fin du XVIIIe siècle: un maître de forge, Abraham Darby III, construit le Coalbrookdale Bridge sur la Severn en 1779. L’ouvrage est constitué de cinq arcs parallèles en fonte. Le pont de Sunderland en Grande-Bretagne en 1796, avec une portée de 72 m, et la passerelle des Arts, réalisée par Cessart en 1803, marquent les débuts des ponts métalliques. Tous ceux qui ont été construits en fonte, jusque vers 1850, se sont effondrés, comme le pont Saint-Louis à Paris en 1939, ou ont été démolis, car ce matériau résistait mal à la traction et aux chocs.
Mais, avec le développement de la sidérurgie, le fer remplace la fonte: le fer battu d’abord, appelé fer puddlé, puis le fer directement issu de l’affinage de la fonte. Parmi les ponts les plus célèbres, celui de Britannia construit en 1850 par Robert Stephenson, avec deux portées de 140 m, est une structure tubulaire en caisson rectangulaire à âmes pleines. On peut aussi citer les constructions de Gustave Eiffel comme le pont Maria Pia à Porto, qui est un arc de 160 m d’ouverture, en 1878, le viaduc routier de Saint-André-de-Cubzac, en 1882, et le viaduc ferroviaire sur la Sioule.
Après l’invention du convertisseur Bessemer en 1856, puis des procédés Siemens-Martin en 1867, l’acier remplace le fer. Grâce à des caractéristiques mécaniques qui ne cessent de s’améliorer, comme la limite d’élasticité de l’acier qui passe de 100 ou 150 MPa, à cette époque, à 240 MPa, puis à 360 MPa après la Seconde Guerre mondiale et à 600 MPa au moins pour certains ponts japonais, les structures sont progressivement allégées. Le premier pont en acier est celui de Saint Louis sur le Mississippi, édifié par Ends en 1874. C’est le début d’une évolution extraordinaire marquée par la réalisation du célèbre pont du Firth of Forth par Fowler et Baker en 1890 qui est, à l’époque, le plus grand pont du monde avec deux travées de 521 m (fig. 2).
Parallèlement à l’amélioration de la limite d’élasticité de l’acier, l’évolution de la construction métallique a été marquée par celle des modes d’assemblage et celle de la couverture des ponts. Dans les premiers ouvrages en fer et en acier, les différentes pièces étaient assemblées par rivetage au moyen de plaques couvre-joint. En dehors du supplément de poids qu’elle engendre, cette technique est chère en main-d’œuvre. Elle est aujourd’hui abandonnée au profit du soudage. Toutefois, les premières soudures se sont avérées très fragiles par temps froid: ainsi le pont de Hasselt sur le canal Albert, en Belgique, s’est effondré en 1938 sans que la moindre charge ait été placée sur l’ouvrage; de nombreux Liberty Ships ont subi le même sort pendant la guerre; et le pont Duplessis s’est écroulé au Canada, en 1951, par 漣 35 0C. Il a donc fallu mettre au point des nuances d’acier spéciales aptes au soudage (acier A 52 S 塚 Nb en France, maintenant appelé acier E355), et des conditions de soudage qui ne provoquent pas leur fragilisation (cf. MÉTALLURGIE – Histoire). L’assemblage par boulons à haute résistance a été mis au point. Le principe est de serrer les pièces l’une contre l’autre, par l’intermédiaire de plaques couvre-joint. La résistance de l’assemblage est obtenue par frottement des plaques l’une contre l’autre, grâce à l’effort de serrage contrôlé produit par les boulons. Cette procédure est quelquefois utilisée pour assembler sur chantier de grands éléments de charpente en acier soudé (pont Masséna et ponts métalliques de l’échangeur de Bercy, au-dessus des voies Paris-Lyon, sur le boulevard périphérique de Paris). Mais les progrès considérables qui ont été faits dans le domaine du soudage ont fortement limité l’intérêt de cette solution. Aujourd’hui, les procédures de traçage, de découpage, de soudage et de manutention des pièces en usine sont automatisées et dirigées par ordinateur; il s’agit de la F.A.O. (fabrication assistée par ordinateur) qui est associée à la C.A.O. (conception assistée par ordinateur) pour permettre une fabrication automatique en usine, avec des interventions humaines extrêmement réduites, à partir d’ordres découlant directement des consignes du concepteur, qui les génère sur la console de son ordinateur.
Dans les premiers ponts métalliques, la couverture – c’est-à-dire l’élément qui recouvre l’ossature métallique porteuse et qui soutient ou constitue la chaussée – était soit en bois, notamment dans les ponts suspendus, soit en tôles embouties, soit en maçonnerie. Il s’agissait alors de voûtelettes de briques appuyées sur des pièces de pont ou sur des longerons, comme dans les viaducs aériens du métro de Paris. Au début de ce siècle, ces couvertures ont été remplacées par des dalles en béton armé, posées sur l’ossature métallique et destinées à lui transmettre les charges. Depuis plusieurs décennies, on lie cette dalle de couverture en béton armé à la charpente métallique par des connecteurs, pour qu’elle participe à la résistance de l’ouvrage en flexion longitudinale, au moins dans les zones de moment positif où la dalle est comprimée. Cela permet de diminuer la taille des membrures supérieures des poutres en acier. Les connecteurs peuvent être de plusieurs types: goujons Nelson soudés au pistolet électrique sur les semelles supérieures des poutres, cornières, arceaux... Pour les ouvrages de très grande portée (poutres de grande portée, ponts suspendus et à haubans), le souci de la légèreté a conduit à concevoir des dalles purement métalliques, constituées par une tôle raidie dans les deux directions, d’où leur nom de dalle orthotrope, contraction de « orthogonal-anisotrope ». Longitudinalement, la tôle est renforcée par des raidisseurs ouverts (plats, plats à bulbe, cornières, profils en Té...) ou fermés de diverses formes, dont la plus courante en France est celle des augets en U. Ces raidisseurs longitudinaux s’appuient sur des entretoises qui assurent le raidissage transversal, et qui sont espacées de quelques mètres, généralement 4 m en France. C’est le cas du pont de Chaumont sur la Loire, du pont de l’Alma à Paris et de celui de Cornouaille à Bénodet en 1973. Une solution intermédiaire est la dalle Robinson, peu employée aujourd’hui, constituée d’une tôle métallique sur laquelle est coulée une mince dalle de béton de 8 à 10 cm d’épaisseur, à laquelle elle est fortement connectée. Cette dalle doit être portée par des poutres longitudinales modérément espacées, ou par des pièces de pont (pont d’Aquitaine à Bordeaux).
Les ponts suspendus
Sans oublier les ouvrages suspendus chinois, la première réalisation occidentale est un modeste pont de 21 m de portée, bâti par l’Américain James Findlay; les câbles étaient des chaînes de fer forgé. L’invention par l’Anglais Brown, en 1817, des chaînes formées de barres articulées, appelées barres à œillets, a permis des progrès substantiels: le pont de Berwick a une portée de 137 m dès 1820, mais il est détruit six mois plus tard par le vent; Thomas Telford construit, en 1826, le pont sur le Menai, dont la portée atteint 177 m; il restera en service jusqu’en 1940. Les frères Seguin inventent les câbles formés de fils de fer parallèles de petit diamètre (3 mm), d’une résistance nettement supérieure aux chaînes à barres, et bâtissent le pont de Tournon sur le Rhône, en 1825, avec deux travées de 85 m; il sera suivi d’une centaine d’autres ouvrages suspendus dans la région Rhône-Alpes. Le pont de Fribourg, édifié en 1834 par J. Chaley, a une portée de 273 m. Le record est battu en 1883 par J. Roebling avec des câbles formés de fils d’acier parallèles: la portée du pont de Brooklyn, à New York, atteint 486 m. Les câbles sont désormais en acier à très haute limite élastique. Le Français F. Arnodin invente le câble à torsion alternative, obtenu en enroulant plusieurs couches de fils autour d’un premier fil rectiligne, les hélices étant alternativement dans un sens et dans l’autre. La portée du George Washington Bridge, construit par O. H. Amman sur l’Hudson à New York en 1931, dépasse pour la première fois les 1 000 m. C’est le premier grand pont suspendu moderne, mais il est moins connu que le Golden Gate Bridge, édifié par J. Strauss en 1937 à San Francisco, qui lui ravit le record avec 1 281 m. Amman le reprendra en 1964 en bâtissent le Verrazzano Narrows Bridge, à l’entrée du port de New York (1 298 m).
De nombreux ponts suspendus se sont écroulés: celui de Berwick en 1820, et celui de la Roche-Bernard en 1840, quatre ans après son achèvement, tous les deux sous l’effet du vent. Dans ces premiers ouvrages, en effet, les pièces de pont transversales, attachées aux suspentes, n’étaient souvent reliées que par un simple platelage dans le sens longitudinal, incapable de résister aux moments de flexion transversale produits par le vent. La légèreté de ce platelage conduisait à de grandes déformations au passage des charges: le pont ferroviaire sur la Tees a dû être mis hors service pour cette raison quelques années après sa construction, vers 1830. Cette grande flexibilité avait d’autres conséquences tout aussi graves: en 1831, le pont de Broughton s’est effondré au passage d’une troupe marchant au pas cadencé, qui avait produit des vibrations forcées; l’ouvrage de la Basse-Chaîne, à Angers, s’est écroulé en 1850 dans des circonstances semblables, bien que d’autres explications aient été avancées. À partir de 1840, les ingénieurs ont cherché à augmenter la rigidité des tabliers pour éviter ces accidents, mais ce n’est qu’à la fin du siècle, sous l’influence d’ingénieurs comme Roebling et Arnodin, que sont apparues les véritables poutres de rigidité.
L’effondrement du pont de Tacoma Narrows, le 7 novembre 1940, quatre mois après sa construction, mit en évidence des phénomènes aérodynamiques insoupçonnés jusqu’alors [cf. AÉRODYNAMIQUE]. Un vent de vitesse modérée (de l’ordre de 18 mètres par seconde) a pu produire des oscillations de flexion qui ont été entretenues et amplifiées par couplage avec la torsion de l’ouvrage, dont la période propre était très voisine. Les études aéroélastiques et de réponse aux effets du vent turbulent sont donc essentielles aujourd’hui pour les ponts de très grande portée, et conditionnent largement la conception.
Mais, actuellement, les ponts suspendus ont perdu une grande partie de leur domaine d’emploi au profit des ouvrages à haubans, dont certains ont déjà été bâtis dès le début du XIXe siècle. Mais comme leurs tabliers étaient aussi insuffisants que ceux des ponts suspendus de l’époque, et qu’ils ne bénéficiaient pas de la rigidité apportée par les grands câbles porteurs, ils se sont très vite effondrés: les ponts sur la Tweed, en 1818, et sur la Saale, en 1825. Ce qui jeta un large discrédit sur ce type de structure. À la fin du siècle, des haubans furent ajoutés sur certains ponts suspendus pour faciliter la construction et rigidifier en flexion longitudinale les zones proches des pylônes: le pont de Brooklyn et celui du Bonhomme sur le Blavet en comptent un certain nombre. En France, Gisclard développa un système extrêmement proche du haubanage direct (pont de la Cassagne sur la ligne de chemin de fer de Montlouis en 1909) qui fut repris pour la construction du pont de Lézardrieux sur le Trieux en 1924. Le système fut apuré dans deux ouvrages révolutionnaires en béton: l’aqueduc de Tampul édifié par Eduardo Torroja en Espagne, et le pont sur le canal de Donzère-Mondragon bâti par Albert Caquot en 1952. Ce sont les ingénieurs allemands qui ont largement développé ce système de construction à partir de 1955, et l’ont amené à un haut degré de perfectionnement sous l’influence de Helmut Homberg et surtout de Fritz Leonhardt: le pont de Strömsund, en Suède, a été construit en 1955, ceux de Düsseldorf en 1957, celui de Severin à Cologne en 1959, de Hambourg Norderelbe en 1963, de Leverküssen en 1965.
L’invention du béton
Un autre grand chapitre de la construction s’est ouvert au XIXe siècle avec l’invention du béton, du béton armé et, plus tard, du béton précontraint. Les Romains utilisaient déjà des liants hydrauliques tels que les mortiers de chaux, et même de chaux hydraulique, mais la technique fut perdue avec les grandes invasions, et les constructeurs n’ont plus utilisé que la chaux grasse ou la chaux maigre pour jointoyer des ponts en maçonnerie. Chaptal en France et Parkes en Angleterre redécouvrirent les ciments naturels à la fin du XVIIIe siècle (pouzzolanes, roches argilo-calcaires de l’île de Sheppy), puis Vicat inventa le ciment artificiel en 1818. Mais c’est un ingénieur anglais, Apsidin, qui déposa en 1824 les brevets du ciment Portland artificiel. Bien que l’on connaisse depuis la haute Antiquité des antécédents d’armatures primitives pour renforcer des constructions en maçonnerie, le béton armé n’a été inventé que vers 1850 par Lambot, qui a fabriqué une barque en ciment armé d’un quadrillage de barres de fer et qui a déposé le brevet en 1855 [cf. BÉTON]. En 1852, François Coignet enrobe des profilés de fer dans du béton pour construire une terrasse à Saint-Denis. Mais c’est un troisième Français, jardinier à Versailles, Joseph Monier, qui a fait du béton armé un véritable matériau de construction: il a commencé par fabriquer et breveter des caisses à fleurs en ciment armé de fers ronds (1867), puis a déposé des brevets pour des tuyaux, des ponts, des passerelles (1873) et des poutres (1878). Le Français François Hennebique construit les premiers grands ouvrages: les premières dalles en béton armé en 1880, le premier grand pont en béton armé à Châtellerault en 1899 (pont à trois arches de 40, 50 et 40 m de portée), et le célèbre pont en arc du Resorgimento à Rome, sur le Tibre, qui dépasse en 1911 les plus grandes voûtes en maçonnerie avec une portée de 100 m. Si des inventeurs géniaux ont pu construire très vite en béton armé, le fonctionnement de ce matériau n’a été compris et modélisé que peu à peu par des ingénieurs allemands (Koenen, Mörsch), suisse (Ritter) et français (Considère, Mesnager, Harel de La Noe et Rabut): le béton est fissuré dans les zones tendues de l’ouvrage où seules résistent les armatures passives, liées au béton par adhérence.
L’utilisation du béton armé s’est largement développée à partir du début du XXe siècle pour la construction de dalles de couverture, de ponts en dalle, de ponts à poutres sous chaussée à âmes pleines, ou à poutres en treillis sous chaussée (comme le pont sur le Loukos au Maroc), ou à poutres latérales en treillis (comme celui de la rue La Fayette à Paris sur les voies de la gare de l’Est, réalisé par Albert Caquot en 1928), ou de ponts en bow-string qui en constituent une forme particulière (ainsi le pont de l’oued Mélègue en Tunisie, construit par Henri Lossier en 1927, celui de la Coudette achevé par Nicolas Esquillan en 1943 avec des suspentes triangulées). Tous ces ouvrages en treillis ont été bâtis à l’imitation des ponts métalliques. Mais le béton armé est mal adapté à ce type de structures où de nombreuses pièces sont en tension: la passerelle d’Ivry, sur la Seine, en est une caricature extrême. Le domaine d’emploi privilégié du béton armé a été la construction des ponts en arc, pour lesquels le béton qui résiste bien à la compression est particulièrement adapté. Les arcs sont de plus en plus surbaissés: en 1911, Eugène Freyssinet construit le pont du Veurdre sur l’Allier avec trois arches de 68, 72,5 et 68 m de portée, élancées au quinzième, avec des articulations aux clefs. Freyssinet découvre alors le fluage du béton: la mise en compression de l’arc par enlèvement de l’échafaudage produit un raccourcissement élastique parfaitement classique, qui se poursuit dans le temps jusqu’à devenir deux ou trois fois supérieur; le béton flue sous la charge, et les effets du retrait hydraulique s’y ajoutent. Pour compenser ces déformations inattendues, Freyssinet dispose des vérins de décintrement aux clefs. Les records se succèdent alors: pont de la Caille sur le ravin des Usses, 137,50 m (Caquot, 1928); celui de Plougastel sur l’Elorn avec trois arches de 172 m d’ouverture (Freyssinet, 1930); celui du río Esla en Espagne, 192,4 m (1942); celui de Sandö en Suède, qui constitue un bond en avant considérable avec une ouverture de 264 m (1943); celui d’Arrabida à Porto, 270 m (1963); celui qui franchit le río Paranà entre le Brésil et le Paraguay, 290 m (1964); et l’ouvrage de Gladesville à Sydney, 304,8 m (1964).
Inventé par Eugène Freyssinet qui en dépose les brevets en 1928, le béton précontraint commence à supplanter le béton armé au milieu des années cinquante. Son principe consiste à comprimer le béton de la structure par des câbles fortement tendus; on utilise aujourd’hui des fils et des torons de précontrainte dont la résistance à la traction est voisine de 1 800 MPa et qui sont tendus à plus de 1 400 MPa. Aux débuts de la précontrainte, Freyssinet tendait des fils de 5 mm de diamètre à 800 MPa; une aussi forte tension initiale était indispensable pour que la précontrainte ne disparaisse pas avec le fluage et le retrait du béton, et avec la relaxation de l’acier. Si les efforts de précontrainte sont suffisants et bien placés, la totalité des sections de béton reste comprimée; le béton ne subit plus de fissuration et l’ouvrage devient capable de supporter des charges qui, si elles étaient appliquées seules, produiraient des efforts de traction. Pour que les câbles puissent être tendus, ils sont placés dans des gaines noyées dans le béton, qui sont injectées au coulis de ciment après la mise en tension des câbles et leur ancrage à leurs extrémités; cette injection permet de reconstituer l’adhérence et d’assurer une protection contre la corrosion. Grâce à un tracé judicieux des câbles de précontrainte, il devient possible de bâtir les structures les plus audacieuses, et surtout de développer des méthodes de construction que ne permettait pas le béton armé. Les premières réalisations de Freyssinet datent de l’avant-guerre: le renforcement de la gare maritime du Havre en 1934, les conduites pour les travaux d’Oued Fodda en Algérie en 1936. En Allemagne, quelques constructions méritent d’être signalées: le pont sur la gare d’Aue avec des barres de précontrainte extérieures au béton (Franz Dishinger, 1936) – mais il ne s’agit pas encore d’une véritable précontrainte, à cause de la faible limite d’élasticité des barres utilisées: les pertes par fluage et retrait du béton sont trop importantes, et il a fallu retendre les barres du pont d’Aue en 1962 et en 1983 –; le pont-route d’Oelde en Westphalie, avec des barres de précontrainte prétendues avant coulage du béton (Wayss und Freitag, 1938); et l’ouvrage de Rheda-Wiedenbrück, également avec des barres de précontrainte extérieures (Finsterwalder, 1938).
Le véritable essor du béton précontraint date de l’après-guerre, avec le pont de Luzancy sur la Marne, commencé en 1941 et achevé en 1946, et avec la série des cinq autres ponts de Freyssinet sur la Marne entre 1947 et 1950 (Esbly, Annet, Trilbardou, Changis et Ussy); il s’agit d’ouvrages à une travée à petites béquilles obliques articulées dont la portée atteint 55 m à Luzancy et 74 m pour les cinq autres. Les ponts à travées isostatiques constitués de poutres préfabriquées et précontraintes sous chaussée se multiplient à partir de la fin de la guerre: pont de Bourg d’Oisans, 42 m en 1946; travées d’accès au pont de Tancarville, 50 m en 1956; pont du lac Ponchartrain aux États-Unis, long de 38 km et constitué de 2 232 travées de 17 m, en 1956. En Allemagne, Ulrich Finsterwalder développe la construction par encorbellements successifs à partir de 1950 (ponts de Balduinstein et de Neckarrens en 1950, de Worms en 1952 et de Coblence en 1953): chaque fléau est construit symétriquement à partir de sa pile, par voussoirs successifs coulés dans des équipages mobiles; lorsque le béton est durci, on tend des câbles de précontrainte, dits de fléau, d’une extrémité à l’autre du fléau pour solidariser les deux nouveaux voussoirs et assurer la résistance sous l’effet du poids propre; puis on lance vers l’avant l’équipage mobile pour recommencer l’opération. Cette technique, introduite en France par Jean Courbon, a été utilisée pour le pont de Chazey, en 1957, et ceux de Beaucaire et de Savine. Dans ces premiers ouvrages, les fléaux étaient encastrés sur leurs piles et les travées articulées aux clefs; mais le manque de maîtrise des efforts de précontrainte dans ces premières constructions et les effets du retrait et surtout du fluage du béton (qui produit des redistributions des efforts hyperstatiques) ont provoqué des déformations importantes: l’abaissement de la clef a atteint plusieurs dizaines de centimètres au pont de Bendorf sur le Rhin (par Finsterwalder en 1964, avec une travée centrale de 208 m), et il a fallu démolir certains de ces ouvrages d’avant-garde. La technique a été améliorée en France par la constitution de poutres continues, et surtout par le développement par Campenon Bernard des voussoirs préfabriqués conjugués-collés. Les tronçons de ponts en caisson – les voussoirs – sont préfabriqués sur banc, dans la position qu’ils auront dans l’ouvrage, et en moulant le nouveau voussoir contre l’ancien pour en reproduire exactement les formes. Ils sont ensuite posés avec un film de colle dans les joints entre voussoirs et des « clefs d’emboîtement » pour permettre le transfert des efforts; la résistance est alors assurée par les câbles de précontrainte (pont de Choisy-le-Roi en 1965; pont d’Oléron en 1966).
Les plus grands ponts qui ont été construits par encorbellements successifs sont ceux de la baie Urado (230 m) et de Hamana (240 m, en 1977) au Japon, et celui de Brisbane en Australie (260 m en 1986). En France, les deux plus grands sont les ponts de Gennevilliers (1976) et d’Ottmarsheim (1979) avec une portée de 172 m.
D’autres méthodes de construction ont été développées en Allemagne: la construction travée par travée sur cintre autolanceur et la mise en place par poussage. La première méthode fait appel à un cintre outil métallique extrêmement lourd (de 200 à 600 t selon la portée de l’ouvrage et la largeur du tablier), qui peut être lancé vers l’avant en ne s’appuyant que sur la partie déjà réalisée de l’ouvrage et sur ses appuis définitifs; une fois en place, le cintre est capable de supporter le poids de la travée à construire (pont de Bremeke et, en France, viaducs de l’autoroute Roquebrune-Menton en 1970; viaducs d’accès au pont de Martigues sur la passe de Caronte en 1974). Le coût des cintres autolanceurs a conduit au développement de la technique du poussage par Fritz Leonhardt (pont sur le río Caroni au Venezuela en 1964): l’ouvrage est bétonné au sol en arrière d’une des culées, par tronçons successifs, et il est poussé vers l’avant dans son ensemble à l’aide de vérins, par étapes successives correspondant aux phases de bétonnage, après la construction d’un tronçon ou l’achèvement d’une travée. Des équipements permettent de limiter les moments de porte-à-faux dans les phases les plus défavorables (avant-bec de poussage, mât de haubanage auxiliaire ou appuis provisoires intermédiaires). Cette technique, introduite en France par Spie Batignolles, a servi à l’aqueduc de l’Abéon en 1968, au viaduc de la Boivre près de Poitiers en 1970, à ceux du Luc, du Var, de l’Oli et de la Nuec sur l’autoroute A8 près de Nice de 1972 à 1978, et a été largement diffusée depuis lors. C’est par cette méthode qu’ont été mis en place les grands viaducs en béton précontraint de la ligne Paris-Sud-Est du train à grande vitesse (viaducs de la Roche, de la Digoine, du Serein et de la Saône), puis du T.G.V. Atlantique (viaducs de Vouvray et du Cher).
Le développement de la précontrainte et de la construction par encorbellements successifs a redonné une impulsion à la construction des arcs, essentiellement sous l’influence des ingénieurs yougoslaves, Ilia Stojadinovic et Stanko Sram. Au lieu de bétonner l’arc sur un échafaudage ou un cintre – qui sont extrêmement coûteux –, ils ont construit les grands arcs de Sibenik (256 m, 1964), Pag (193 m, 1966) et surtout de Krk (244 et 390 m, 1979) par encorbellements successifs à partir des culées, en soutenant les consoles par des haubans provisoires ancrés au rocher sur les rives et déviés par les pilettes. L’idée – originaire de Grande-Bretagne – s’est largement répandue en Autriche, en Allemagne, au Japon, en Afrique du Sud et en France (pont de Trellins, en 1985, et pont sur la Rance, avec une ouverture de 260 m). Une autre solution, imaginée par Ricardo Morandi, consiste à construire chacun des deux demi-arcs sensiblement à la verticale, comme on le faisait déjà pour le montage du cintre de certains arcs en béton armé, puis à les rabattre ensuite l’un vers l’autre en les retenant par des câbles (passerelle de Lussia et pont de la Storms River en Afrique du Sud); l’idée a été reprise en Allemagne (Argentobelbrücke, 1985).
Enfin, le béton précontraint a permis la construction de quelques ponts suspendus (pont de Mariakerke en Belgique; fig. 3) et surtout de très nombreux ponts à haubans, lointains successeurs de l’aqueduc de Tampul et de l’ouvrage du canal de Donzère. C’est l’ingénieur italien Morandi qui a édifié les premiers grands ouvrages, avec des formes lourdes et coûteuses en matière, et avec des haubans très peu nombreux (pont du lac Maracaibo en 1962, avec des portées de 235 m; pont de Wadi Kuf, en Libye, avec une portée de 282 m en 1972). Le premier grand pont à haubans moderne en béton précontraint est celui de Brotonne, construit par Jean Muller et Jacques Mathivat (portée de 320 m, 1977) avec un haubanage réparti repris des idées de Homberg pour les ponts métalliques.
3. Les ponts modernes
Aujourd’hui, dans leur grande majorité, les ponts sont des poutres en acier, en ossature mixte acier-béton ou en béton précontraint (fig. 4). Les grandes portées restent le domaine réservé des ponts à câbles, et les très petites portées, au-dessous de 10 à 12 mètres, celui du béton armé.
Les ponts en poutre
Les poutres en treillis métallique ont été pratiquement abandonnées en Europe au profit des poutres à âmes pleines sous chaussée. C’est une conséquence de l’évolution historique des coûts relatifs de la main-d’œuvre et de la matière. Jusqu’à la Seconde Guerre mondiale, le coût de la main-d’œuvre était assez faible tandis que le prix des matériaux – et tout particulièrement de l’acier – était très élevé. Il était donc intéressant de construire des treillis permettant de sensibles économies de matière, au prix d’assemblages complexes. Mais, avec l’augmentation du coût de la main-d’œuvre et la chute du prix des matériaux, la tendance s’est inversée. D’autant que l’amélioration des caractéristiques mécaniques de l’acier a limité la quantité de matière que permet d’économiser la complication de la structure. Dans leur grande majorité, les ponts métalliques sont donc construits avec des poutres à âmes pleines sous chaussée. Il arrive encore, cependant, qu’on construise des ponts à poutres latérales en treillis – du type Warren ou Warren à montants – lorsqu’on ne dipose que d’un très faible espace entre l’obstacle à franchir et le niveau de la chaussée. On réalise aussi des ouvrages en treillis pour de très grandes portées, notamment au Japon, lorsque l’importance des efforts est telle que le treillis permet encore des économies sensibles de matière.
Les ponts à poutres à âmes pleines sous chaussée ont pratiquement la même structure, qu’il s’agisse d’ouvrages en acier à dalle orthotrope ou qu’il s’agisse de ponts en ossature mixte avec une dalle participante en béton. La dalle – orthotrope ou en béton – constitue la membrure supérieure de l’ossature, complétée par des poutres en I ou un caisson (ou plusieurs caissons). Les ouvrages en ossature mixte étaient souvent constitués de nombreuses poutres reliées par des entretoises; la tendance est aujourd’hui de construire des ponts à deux poutres, dits bipoutres. Lorsque le tablier est étroit, ces poutres sont reliées par de simples entretoises et la dalle ne porte transversalement que de poutre à poutre. Lorsque le pont s’élargit, les efforts transversaux augmentent dans la dalle qui est alors précontrainte dans le sens transversal, comme pour le viaduc de la Somme sur l’autoroute A26. Mais on peut aussi, pour les ouvrages larges et très larges, multiplier les poutres principales, ou relier les deux poutres principales par des pièces de pont qui portent le hourdis supérieur en béton avec un entre-axe limité, de l’ordre de 3 à 4 m; la dalle en béton travaille alors surtout dans le sens longitudinal. Les choix sont beaucoup plus limités dans le cas des ponts en acier: les deux poutres principales doivent obligatoirement être reliées par les pièces de pont qui supportent les augets, comme pour le viaduc d’Autreville. Pour des portées très importantes, ou lorsqu’on a besoin d’une grande rigidité de torsion dans les ponts courbes ou très en biais, voire pour des raisons esthétiques, on remplace les poutres en I par des caissons. Mais l’importance des contraintes de compression dans la membrure inférieure, et dans le bas des âmes au voisinage des appuis, impose un fort raidissage des tôles, qui leur donne le même aspect qu’une dalle orthotrope. La sous-estimation des risques de voilement de la membrure inférieure de ces caissons a conduit à de graves accidents au début des années 1970 (effondrements, en cours de construction, du pont de Vienne sur le Danube en 1969, de celui de Milford Haven en 1970, de Melbourne en 1970 et de Coblence en 1971). On peut citer de nombreux ouvrages français à dalle orthotrope à un ou plusieurs caissons: pont de Chaumont sur la Loire (121,6 m; fig. 5); pont de l’Alma à Paris (110 m, 1970); pont de Cornouailles à Bénodet (200 m, 1973). Mais aussi des ouvrages en ossature mixte: pont de Belleville (84 m, 1970); viaduc de la Chiers à Longwy (110 m, 1985).
Ces ouvrages sont le plus souvent construits par lancement, ou poussage, tant que leur portée reste modérée, moins de 100 m environ. Lorsqu’il s’agit d’un pont à dalle orthotrope, il est évidemment lancé avec sa dalle; mais, lorsque l’ouvrage est en ossature mixte, l’ossature métallique doit être lancée seule, ce qui détermine les dimensions des membrures supérieures des poutres ou des caissons. La dalle en béton armé est ensuite coulée en place, ou constituée au moyen d’éléments préfabriqués. Plus récemment, les ingénieurs suisses ont imaginé de lancer une dalle préfabriquée sur la charpente métallique déjà en place.
Les formes des ponts en béton précontraint sont plus diverses, mais elles sont, elles aussi, guidées par les évolutions économiques. Entre les deux guerres, les tabliers des ouvrages en béton armé étaient le plus souvent constitués de poutres longitudinales nombreuses et peu espacées, reliées par des entretoises formant pièces de pont. Avec l’augmentation du coût de la main-d’œuvre, particulièrement important dans le prix des coffrages et avec la diminution du coût des matériaux, il est préférable de construire des ouvrages un peu plus lourds mais de formes plus simples. Ce qui explique le succès des ponts en dalle précontrainte. Pour les faibles portées, jusqu’à 15 ou 20 m, on construit des dalles rectangulaires. Lorsque la portée augmente, il faut accroître leur épaisseur et, pour que les efforts de poids propre ne deviennent pas excessifs, il faut les alléger. On crée alors des dalles à larges encorbellements, qui deviennent progressivement nervurées, lorsqu’on concentre la matière en une ou plusieurs nervures, pour des portées d’environ 20 à 35 m. Les nervures deviennent plus hautes et s’amincissent, devenant de véritables poutres rectangulaires lorsque la portée atteint 40 m. Mais le rendement géométrique – qui traduit l’efficacité mécanique de la section par rapport à son poids – n’augmente que lentement, passant de 0,33 pour une dalle rectangulaire à environ 0,42 pour un pont à nervures. Pour construire des ouvrages de portée supérieure à 50 m, il faut concentrer la matière sur les fibres extrêmes, au prix d’une complication du coffrage. Cela conduit aux sections en caisson, beaucoup plus efficaces, mais dont la fabrication est nettement plus difficile et plus coûteuse. Leur rendement géométrique est de l’ordre de 0,55 à 0,65. Il apparaît ainsi, sous la pression de l’économie, une correspondance à peu près parfaite entre les portées du pont et les formes de la section transversale (fig. 6). La méthode de construction intervient cependant comme correctif dans le choix de la section transversale. Si l’ouvrage est bétonné sur cintre ou sur cintre autolanceur, la distribution des moments fléchissants de poids propre est proche de l’optimum; on peut alors concevoir des ponts à nervures pour des portées nettement supérieures à 50 m. Si l’ouvrage est construit par encorbellements successifs, il apparaît d’importants moments négatifs de poids propre sur piles, juste avant la fin de la construction des fléaux; une section en caisson, beaucoup plus efficace, s’impose alors de façon quasi systématique. Enfin, si l’ouvrage est mis en place par poussage, il apparaît des moments fléchissants importants en cours de lancement, alternativement positifs et négatifs; il faut alors concevoir des sections assez hautes, nettement plus que pour les autres méthodes de construction, qui peuvent être à nervures jusque vers 40 m, mais qui doivent être en caisson au-delà.
Le développement de la préfabrication a légèrement modifié cet équilibre: le coût de la main-d’œuvre est plus faible en usine que sur le chantier, et les rendements sont plus élevés; en outre, il est nécessaire de diminuer le poids des pièces pour réduire le coût des engins de manutention, de transport et de mise en place. Les ponts construits au moyen d’éléments préfabriqués – qu’il s’agisse de poutres sous chaussée ou de voussoirs destinés à reconstituer une poutre en caisson (voire à nervures) – ont donc des formes plus découpées et plus complexes, dans le but d’alléger les pièces (fig. 6). L’entreprise Bouygues a même imaginé des poutres en treillis spatial en béton précontraint (pont de Bubiyan au Koweït, en 1983; viaducs de Sylans et des Glacières sur l’autoroute A40, en 1988), mais l’économie de matière ne compense pas le prix trop élevé de la main-d’œuvre.
La largeur du pont intervient aussi dans la conception de la section transversale, particulièrement dans le cas des ouvrages en caisson dont la portée est supérieure à 50 m en général. À la fin des années 1960, la solution classique consistait à concevoir un caisson unique à deux âmes pour des ponts d’une dizaine de mètres de largeur, un caisson unique à trois âmes pour une largeur de 12 à 16 m (pont de Oissel sur la Seine, 1978), et à constituer le tablier au moyen de deux caissons parallèles à deux âmes (viaduc de Calix à Caen, 1974), ou même de trois caissons parallèles pour les ponts très larges (pont Saint-Jean à Bordeaux, 1968). Les ouvrages d’autoroute étaient alors fréquemment constitués de deux ponts parallèles et indépendants, chacun portant une chaussée autoroutière (pont d’Ottmarsheim, 1979). Au cours des années 1970, la tendance a été d’élargir le domaine d’emploi des caissons à deux âmes jusque vers 14 ou 15 m, et à trois âmes jusque vers 20 m, afin d’alléger la structure en réduisant le nombre des âmes, dans un but d’économie. Et les ingénieurs ont cherché à généraliser l’emploi des caissons à deux âmes quelle que soit leur largeur, en aménageant leur conception pour assurer leur résistance en flexion transversale: on construit aujourd’hui des caissons larges à deux âmes à hourdis supérieur épais, précontraint transversalement (viaduc de Poncin, 1986); des caissons larges à deux âmes avec un hourdis supérieur nervuré transversalement (pont de Saint-André-de-Cubzac, 1978; viaduc de Ponts-de-Cé; pont de Saumur; viaduc de l’Arrêt Darré; pont à béquilles d’Auray, 1988; pont de Cheviré); et des caissons à deux âmes dont les larges encorbellements sont soutenus par des voiles minces inclinés, continus ou discontinus, qui prennent l’apparence d’âmes supplémentaires (viaducs et pont de la ligne de Marne-la-Vallée du R.E.R., 1977; ouvrage no 36 de l’autoroute du Littoral à Marseille, 1986); ou soutenus par des bracons rectangulaires distants de trois ou quatre mètres (Erschachtalbrücke et Kochertalbrücke, en Allemagne). Grâce à cette évolution technique, on préfère aujourd’hui porter les autoroutes par des ponts à tablier unique de grande largeur, non seulement pour des raisons économiques, mais surtout pour améliorer l’esthétique des ouvrages et leur inscription dans le site.
La technique de la précontrainte évolue, elle aussi. Plusieurs ponts avaient été construits, aux débuts de la précontrainte, avec des câbles extérieurs au béton (les ponts allemands déjà cités; les ponts de Villeneuve-Saint-Georges, de Vaux-sur-Seine, de Port-à-Binson et de Can Bia en France, vers 1950; les ponts de Magnel en Belgique...), mais la technologie des câbles intérieurs, mise au point par Freyssinet, s’était largement imposée. La précontrainte extérieure a été remise à l’honneur vers 1980, par Jean Muller aux États-Unis (ponts des Keys de Floride: Long Key, Channel Five, Niles Channel et Seven Mile; viaducs et pont du Sunshine Skyway à Tampa) et par l’administration du ministère de l’Équipement en France (le S.E.T.R.A.). Les câbles de précontrainte extérieurs sont généralement ancrés sur les entretoises qui raidissent le caisson au-dessus des piles, et déviés dans les travées par des bossages en béton, ou des entretoises, pour leur donner un tracé optimal. Mais il ne peuvent être mis en place ainsi qu’après l’achèvement de la construction de la travée. Les ponts peuvent alors être édifiés travée par travée à l’avancement, à l’aide d’un échafaudage au sol (viaducs du métro de Lille), de multiples palées provisoires (viaduc de Saint-Agnant), d’une poutre de pose lançable (viaducs du Mass Transit System d’Atlanta) ou autolanceuse (la poutre de pose du pont de Bubiyan, qui agit comme une véritable grue portant toute la nouvelle travée), ou d’un haubanage provisoire (viaducs du Vallon des Fleurs et de la Banquière; viaduc de Frébuje). Ils peuvent être construits par encorbellements successifs à condition de mettre en œuvre, à mesure de la construction des fléaux, une précontrainte intérieure qui équilibre les moments négatifs de poids propre (pont de Chinon sur la Vienne); cette méthode permet aussi de mettre en place par rotation des fléaux, construits sur échafaudages au sol parallèlement à la rivière (pont sur le Loir à La Flèche), ou de mettre en place par poussage les deux moitiés d’un ouvrage, réalisées au sol sur chaque berge (pont de Cergy-Pontoise). Les ouvrages sont aussi mis en place par poussage, à condition de concevoir un schéma de précontrainte centré pendant le poussage, associant des câbles extérieurs définitifs et d’autres câbles provisoires, intérieurs ou extérieurs (viaduc sur la Somme à Amiens; viaduc de Charix).
Une autre évolution importante vient des progrès dans la fabrication des bétons eux-mêmes. Au cours des années 1970, de nombreuses tentatives avaient été faites pour développer l’emploi des bétons légers, mais l’importance de la quantité d’énergie nécessaire à l’obtention des granulats légers fit perdre beaucoup de son intérêt économique à cette solution. Plus récemment, sous l’influence des progrès réalisés dans ce domaine aux États-Unis et dans les pays scandinaves, se développe l’emploi des bétons à hautes performances, et notamment l’utilisation de bétons dans lesquels une partie du ciment est remplacée par de la fumée de silice. Leur résistance varie de 60 à 80 MPa et peut atteindre 100 MPa dans certaines conditions; leur utilisation est récente en France, mais la construction du pont de l’île de Ré, terminé en 1988, a clairement mis en évidence leur grand intérêt.
Les ponts à câbles, à haubans ou suspendus
Enfin, les ponts à câbles modernes, ponts à haubans et ponts suspendus, constituent les seules solutions adaptées aux très grandes portées. Les ouvrages à haubans commencent à devenir plus économiques que ceux en poutre à partir de 200 m environ. Mais il arrive qu’on construise des ponts à haubans ou même des ponts suspendus de portée beaucoup plus modeste pour des raisons esthétiques, ou du fait de contraintes particulières. Les passerelles pour les piétons et les cyclistes constituent un domaine d’emploi particulièrement intéressant des ponts à haubans: celle du bassin du Commerce au Havre, avec un tablier en ossature mixte; les passerelles en béton précontraint de Meylan sur l’Isère, près de Grenoble (1978), et de l’Illhof sur l’Ill, près de Strasbourg (1979), qui ont été bétonnées sur un échafaudage au sol, parallèlement à la rivière, et mises en place par rotation autour de leurs piles. Jorg Schlaich a même construit à Stuttgart deux passerelles suspendues, dont l’une sur le Neckar, avec un tablier en dalle mince de béton armé.
Beaucoup de ponts à haubans construits ces dernières années en béton précontraint ont été fortement inspirés du pont de Brotonne, avec une nappe de haubanage axiale et une section transversale en caisson, complétée par un système de bracons permettant de transférer au bas des âmes l’effort de tension des haubans: le pont de Coatzacoalcos au Mexique (1984) et celui du Sunshine Skyway à Tampa, en Floride (1986), tous les deux construits par encorbellements successifs; les pont de Ben Ahin, mis en place par rotation autour de son pylône en s’inspirant des passerelles de Meylan et de l’Illhof (1987); celui de Wandre, sur la Meuse en Belgique, installé par poussage sur des appuis provisoires, en 1987. Mais la mise en place de multiples haubans répartis permet de concevoir des tabliers de beauoup plus faible inertie; et le remplacement de la nappe de haubanage axiale par des nappes latérales, capables d’équilibrer directement les efforts de torsion, autorise la conception de tabliers qui n’ont, en outre, qu’une faible rigidité de torsion. Le pont de Pascoe Kennewick, en 1979, est la première application de ces idées: la section transversale est constituée de deux petits caissons triangulaires, réunis par un hourdis entretoisé. Cette solution a logiquement évolué vers la construction de tabliers à deux nervures latérales, reliées par un hourdis mince et des entretoises formant pièce de pont: ouvrage de Quincy, avec des entretoises métalliques, et de Dames Point, à Jacksonville en Floride, à travée centrale de 400 m (1988). René Walther et Jorg Schlaich sont allés au bout de l’idée en concevant des dalles haubanées: le pont de Dieppoldsau en Suisse, en 1986, l’Akkar Bridge dans le Sikkim, en 1988, et l’ouvrage d’Evripos en Grèce, en 1990, avec une travée centrale de 215 m. Le record du monde est actuellement détenu par le pont de Barrios de Luna (1986), sur l’Èbre en Espagne, avec une portée de 440 m.
Les ponts à haubans métalliques les plus anciens comportent un platelage orthotrope: celui de Saint-Nazaire a détenu, pendant longtemps, le record du monde de portée (404 m, 1975) avec son caisson orthotrope de forme quasi rectangulaire; l’ouvrage du Faro, au Danemark, a une section nettement plus profilée, mais de conception voisine. Le Düsseldorf Kniebrücke, en 1969, et le Düsseldorf Flehe, en 1979, ne comportent qu’un seul pylône; avec leurs portées de 320 et 368 m, ils constituent les plus grands fléaux haubanés du monde, les plus longs câbles dépassant 300 m. Depuis une dizaine d’années, les tabliers en caisson orthotrope – ou à poutres réunies par un platelage orthotrope et des entretoises – sont remplacés par des tabliers en ossature mixte. Le record du monde actuel est détenu par le pont d’Anacis, au Canada, avec une portée de 465 m (1986); le tablier est constitué de deux poutres latérales de faible hauteur, réunies par des pièces de ponts, également métalliques, et par une dalle en béton armé réalisée à partir d’éléments préfabriqués. En France, le pont de Seyssel (1987) est encore le seul exemple de ce type.
Quelques rares ouvrages associent le béton précontraint et la construction métallique. C’est le cas du pont de Tampico au Mexique, dans lequel les travées d’accès de chaque côté sont en béton précontraint, ainsi que les amorces de la grande travée, dont la partie centrale est constituée par un caisson orthotrope. C’est aussi le cas du pont de Normandie sur la Seine, entre Le Havre et Honfleur, dont la construction a démarré en 1989 et s’est achevée en 1995; il constitue un nouveau record du monde avec sa travée centrale métallique de 856 m de portée, en caisson orthotrope profilé. La hauteur des pylônes est de 215 m.
De nombreux experts considèrent qu’il est possible de construire des ouvrages à haubans jusqu’à 1 500 m de portée. Mais, pour l’instant, les très grandes portées – à partir de 800 m – restent l’apanage des ponts suspendus. Deux grandes écoles s’affrontent aujourd’hui. D’un côté, l’école américaine, avec des ouvrages dont le tablier est un treillis métallique de grandes dimensions, et bien souvent à deux étages de circulation: le pont de Mackinac, construit en 1957 par D. B. Steinman, sur le détroit qui sépare le lac Michigan du lac Huron, est le premier grand ouvrage édifié après l’écroulement du pont de Tacoma, avec une portée centrale de 1 158 m; il précède de peu le pont du Verrazzano à New York (1 298 m, 1964; fig. 7). Cette école américaine a largement inspiré la construction en Europe: le pont de Tancarville, réalisé en 1959 sous la direction de Marcel Huet, a détenu quelques années le record d’Europe avec 608 m; ce fut ensuite l’ouvrage du Firth of Forth (1 006 m, 1964), puis le pont sur le Tage à Lisbonne (1 013 m, 1966). Les grands ouvrages suspendus japonais sont construits suivant les mêmes principes: le Kammon Bridge (712 m) n’a été que le prototype d’une impressionnante série, puisque une douzaine de ponts dépassent ou dépasseront cette portée; la liaison centrale entre l’île principale, Honshu, et l’île de Shikoku en comporte trois, celui de Shimotsui Seto (940 m) et les ponts nord et sud de Bisan-Seto (respectivement 990 m et 1 100 m), tous achevés en 1988; la liaison est de Honshu à Shikoku comportera un ouvrage bien plus exceptionnel, sur le détroit d’Akashi Kaikyo, dont la portée devrait approcher les 2 000 m et dont la construction a commencé en 1989.
L’autre école est anglaise, fortement inspirée par des travaux de Fritz Leonhardt qu’il n’a jamais pu concrétiser. Deux idées majeures dominent la conception. La première consiste à remplacer le tablier en treillis des ponts suspendus classiques par un caisson orthotrope très mince, dont le profilage permet de réduire les efforts produits par le vent et d’assurer la stabilité aéroélastique. La seconde est d’utiliser des suspentes inclinées à la place de suspentes verticales ce qui constitue, avec les câbles porteurs et le tablier, une poutre en treillis de hauteur variable, qui permet un bon étalement des charges routières. La première application a été la construction en 1966 du pont sur la Severn en Angleterre (988 m), suivie par celle du premier ouvrage sur le Bosphore à Istanbul en 1973 (1 074 m), puis par celle du pont sur la Humber (1 410 m) en 1981, qui détient actuellement le record du monde de portée. Tous ont été projetés par le bureau Freeman, Fox & Partners. Le deuxième ouvrage sur le Bosphore est achevé, mais avec des suspentes verticales, pour tenir compte de certaines critiques et des désordres qui ont été constatés sur les suspentes du pont de la Severn, qu’il a fallu remplacer.
De nombreuses solutions sont aujourd’hui imaginées pour construire des ponts de 2 000 m de portée ou plus. Le franchissement des grands détroits est une occasion de développer ces idées: les projets d’ouvrages pour le franchissement du détroit de Messine, de la Manche, du détroit de Gibraltar et du détroit de Patras sont autant de prototypes des grands ouvrages du XXIe siècle.
4. Les ponts spéciaux
Certains ponts sont tout à fait particuliers, du fait de leurs fonctions ou de leurs conditions de fonctionnement.
Les ponts-canaux sont rares aujourd’hui, car les voies de navigation modernes sont de plus en plus limitées aux basses vallées des grands fleuves: le pont-canal de Toulouse est, en France, le seul exemple récent.
Les ouvrages mobiles sont plus nombreux. Il en existe plusieurs types. Les ponts levants sont constitués d’un tablier aussi léger que possible, en treillis métallique, et de deux tours qui permettent de loger les contrepoids qui équilibrent la masse du tablier. La descente des contrepoids permet un levage rapide du tablier pour laisser le passage aux navires. Les plus grands ponts-levants français sont le pont de Recouvrance sur le Penfeld, à Brest (88 m, 1954), et celui du Martrou sur la Charente (92 m, 1966). Les ponts basculants sont constitués d’un ou de deux fléaux équilibrés, avec une console aussi légère que possible pour franchir la brèche, équilibrée par un contrepoids arrière qui pénètre dans une culasse en béton armé. Le basculement du fléau, autour de son axe d’appui, permet le passage des navires. Le pont de Martigues, à l’entrée de l’étang de Berre, comporte deux fléaux de 27,50 m (1962); celui de l’écluse François Ier, au Havre, comporte un seul fléau de 74 m; enfin, le pont de Bizerte en est une copie fidèle. Il existe aussi des ouvrages tournants: un fléau équilibré tourne autour d’un axe vertical à terre, sur une rive pour les petits ouvrages, ou sur chacune des deux rives pour des portées plus importantes, ce qui dégage un chenal navigable. On peut aussi faire tourner un fléau unique et symétrique autour d’une pile séparant le chenal en deux bras. On construit également des ponts roulants: le fléau, toujours équilibré par un contrepoids, est retiré vers l’arrière en descendant légèrement pour pouvoir pénétrer à l’intérieur d’une culasse en béton armé.
Encyclopédie Universelle. 2012.