SUPERSTITION
L’analyse historique des variations sémantiques du terme «superstition» confirme le jugement de Renan, qui voyait là un mot d’une clarté superficielle: utilisé pour désigner des croyances et des pratiques religieuses irrationnelles, il se révèle être le plus souvent un concept polémique par lequel on condamne la religion de l’autre, voire toute religion. En montrant que les comportements magico-religieux sont toujours empreints d’une certaine rationalité et répondent à des exigences sociales ou psychologiques, les sciences humaines ont profondément modifié la notion même de superstition, dont le champ s’est trouvé singulièrement réduit: une approche phénoménologique pourra limiter la superstition à une attitude psychique spécifique, celle d’un sujet qui, en proie au sentiment d’une menace diffuse et transcendante, adhère à des croyances et des pratiques qu’il sait objectivement sans fondement et sans valeur.
Le mot et son histoire: de l’Antiquité au Moyen Âge
En latin, le substantif superstitio désigne tantôt la superstition, tantôt le culte et la religion, tantôt enfin la divination ; de même, l’épithète superstitiosus signifie soit «superstitieux», soit «devin». Dans son étude sur «Religion et superstition», Émile Benveniste a prouvé, semble-t-il, que le sens étymologique de superstitio est bien celui de divination, résolvant ainsi un problème longtemps débattu. De fait, on comprend mal, de prime abord, comment les sens de «superstition», de «culte» ou de «divination» ont pu résulter des éléments super et stare dont se compose superstitio . Les explications les plus diverses ont été avancées: pour Walter Otto, superstitio calquerait simplement le grec 﨎靖精見靖晴﨟, «extase», désignant une montée de l’âme vers le divin; pour Müller-Graupa, superstes , qui signifie «survivant», serait un euphémisme pour l’«esprit d’un mort», et, par conséquent, superstitio indiquerait l’«essence démoniaque» et la «croyance aux démons»; pour Flink-Linkomies, le sens de «superstition» procéderait, par l’intermédiaire de «pouvoir divinatoire» et de «sorcellerie», de celui de «supériorité» contenu dans super -stare , «être au-dessus»; enfin, on a considéré, en partant de superstes , «survivant», que superstitio signifierait «survivance», désignant des vestiges dépassés et superflus d’une ancienne croyance. Réfutant ces interprétations, É. Benveniste a montré qu’en réalité la superstitio est à l’origine le pouvoir de témoigner d’un événement passé comme si l’on en avait été le témoin, le pouvoir, donc, de divination du passé.«Superstitiosus , explique-t-il, est celui qui est doué de la vertu de superstitio , c’est-à-dire qui vera praedicat , le devin, celui qui parle d’une chose passée comme s’il y avait réellement été : la divination [...] ne s’applique pas au futur, mais au passé. Superstitio est le don de seconde vue qui permet de connaître le passé comme si on y avait été présent, superstes . Voilà pourquoi superstitiosus énonce la propriété de double vue qu’on attribue aux voyants, celle d’être témoin d’événements auxquels on n’a pas assisté [...]. Ainsi les termes s’ordonnent régulièrement: superstes , celui qui peut passer pour témoin pour avoir assisté à une chose accomplie; superstitio , don de présence, faculté de témoigner comme si on y avait été; superstitiosus , celui qui est pourvu d’un don de présence, qui lui permet d’avoir été dans le passé» (Le Vocabulaire des institutions indo-européennes , t. II, 7).
De divination du passé, superstitio , par extension de sens, en vint à désigner la divination en général et les diverses pratiques magiques qui lui sont apparentées. En raison de l’hostilité et du dédain que nourrissaient traditionnellement les Romains pour les pratiques divinatoires autres que celles de leurs haruspices officiels, ce terme prit rapidement une connotation péjorative, et il forma dès lors un couple antithétique avec religio : tandis que la religio , qui est, comme l’a vu É. Benveniste, fondamentalement un «scrupule religieux», indique une disposition intérieure, subjective, la superstitio renvoie aux observances extérieures, aux «pratiques de pur formalisme». Cette opposition se trouva renforcée et explicitée par le développement de la pensée philosophique à Rome. C’est Cicéron qui écrit: «Comme il faut répandre la religion, qui est liée à la connaissance de la nature, il faut extirper toutes les racines de la superstition» (De divinatione , II, LXXII, 149). De son côté, Sénèque déclare: «La religion honore les dieux, la superstition les outrage» (De clementia , II, V, 1). La superstition est une déviation de la religion, un ensemble de croyances et de rites procédant d’une attitude irrationnelle et traduisant une ignorance des lois de la nature et de la nature des dieux, alors que la véritable religion repose sur la connaissance de l’une et de l’autre. Parce qu’il ignore ce qu’ils sont réellement, «l’homme superstitieux, dit Varron, a peur des dieux, tandis que l’homme religieux les vénère comme des parents et ne les craint point comme des ennemis» (Augustin, De Civitate Dei , VI, 9). La superstitio est donc une «vaine crainte des dieux» (Cicéron, De div. , I), correspondant au grec 嗀﨎晴靖晴嗀見晴猪礼n 晴見, cette «peur devant le divin» dont Théophraste avait ironiquement décrit les manifestations aberrantes (Caractères , 18) et que, dans le traité qu’il lui consacra, Plutarque fera également naître, avec l’impiété ( 見﨎礼精兀﨟), de l’ignorance (Moralia , 165 A sq.). Une telle peur déréglée devant les dieux est liée à l’angoisse de la mort. C’est pourquoi la philosophie en est le remède: «La connaissance de toute la nature, observe Cicéron, nous délivre de la superstition, nous libère de la crainte de la mort, nous empêche d’être troublés par l’ignorance des choses, de laquelle proviennent souvent d’horribles épouvantes» (De finibus , I, XIX, 63). Ainsi, parce qu’elle est ignorance, la superstition est toujours «vaine» (vana ), et, parce qu’elle est commandée par la crainte, elle est toujours «excessive» (nimia ), le superstitieux cherchant à conjurer sa terreur par l’excès même des rites et du culte. Se constituant contre la raison, elle est une «fausse croyance», une «erreur pernicieuse», une «folie».
Si la réflexion philosophique voit dans la superstition une forme pervertie de la religion, elle n’accuse point un ou plusieurs cultes déterminés. Pour Cicéron ou Sénèque, on trouve dans chaque peuple une religion et une superstition, ou, plus exactement, des esprits religieux et des esprits superstitieux, la religio étant, en dernière analyse, plus une attitude personnelle de l’individu qu’un contenu dogmatique. Prise en ce dernier sens, toutefois, elle est la part de vérité que renferme chaque religion particulière. En revanche, en dehors des sphères philosophiques, superstitio se charge d’une coloration fortement politique et ethnocentrique, désignant des cultes étrangers appréhendés comme globalement et foncièrement mauvais, parce que sentis comme une menace pour la société romaine traditionnelle (cf. Tacite, Histoires , IV, LIV, 4). Le judaïsme et le christianisme, en particulier, seront qualifiés de superstitions. Religion étrangère ou religion d’une minorité, la superstition est bien devenue la religion des autres.
Les chrétiens taxèrent à leur tour de superstitio ou de 嗀﨎晴靖晴嗀見晴猪礼益晴見 les doctrines de leurs adversaires païens (puisque, selon la définition donnée par Lactance dans ses Divinae Institutiones , «la religion est le culte du vrai Dieu, la superstition celle d’un faux dieu»), mais aussi celles des juifs et des hérétiques (cf. Clément d’Alexandrie, Stromates , VII, 4; Origène, Contra Celsum , III, 79; etc.). Élevé au rang de religion officielle de l’Empire, le christianisme fera reconnaître par la loi elle-même cette acception de la superstition, comme en témoigne le Code théodosien (XVI, II, 5 sq.). Parmi les textes patristiques traitant de la superstition, ceux de saint Augustin jouèrent naturellement un rôle capital dans l’Occident médiéval. L’évêque d’Hippone range dans la superstition: l’idolâtrie, l’évocation des démons, les arts magiques, les haruspices et les augures, les ligatures et les remèdes condamnés par la science médicale, les caractères mystiques, les talismans et les vaines observances, telles que la rencontre jugée néfaste d’une pierre, d’un chien, etc. (De doctrina christiana , XX). Cet inventaire augustinien des superstitions a fourni la base à leur classification scolastique, qui se retrouvera jusque dans le Traité des superstitions (1679) de J. B. Thiers et dans le De atheismo et superstitione (1737) de J. F. Buddeus. Saint Thomas d’Aquin le reprit, mais avec une certaine réserve dans la mesure où, selon lui, la religion et la superstition doivent s’opposer sur un même terrain. Il définit, en effet, la superstition comme un «vice opposé à la vertu de religion, parce qu’elle en est l’excès, en ce sens que le superstitieux rend un culte divin à celui auquel il n’est pas dû, ou ne le rend pas de la manière dont il doit le rendre» (Summa theologica , IIa IIae, qu. XCII, art. 1). Aussi, pour prendre le cas de la divination, celle-ci n’est superstitieuse que dans la mesure où elle fait intervenir les démons et lorsque, avec elle, la créature tente d’usurper la connaissance des futurs contingents, qui n’appartient qu’à Dieu. Il convient donc de distinguer entre une divination superstitieuse et illicite, qui «a pour objet la connaissance d’événements contingents et fortuits», et une divination légitime et «digne d’éloges», qui «se rapporte aux choses naturelles arrivant nécessairement d’après la disposition des astres» (ibid. , qu. XCV, art. 5).
De la Renaissance aux Lumières
La définition thomiste de la superstition devint la définition courante de la scolastique. C’est elle que l’on rencontre chez Gerson ou Denys le Chartreux. En la commentant, Cajetan, comme ensuite Suarez, insistera sur la spécificité psychologique du superstitieux, qui se signale par une attitude cultuelle où il apparaît «tout occupé des cérémonies, sans y mettre de sainteté». Surtout, cette définition assez limitative de la superstition que donna Thomas d’Aquin et les distinctions qu’il opéra entre les formes licites et les formes illicites de certaines de ses espèces, telles que la divination ou les observances, devaient procurer un point d’appui à ce vaste effort par lequel la Renaissance allait justifier la plupart des superstitions, y compris l’idolâtrie. Ce mouvement, quoique puissant, ne fut assurément ni général ni homogène: les divers essais de légitimisation furent loin d’avoir le même sens et participèrent de courants philosophiques parfois opposés; mais ils convergèrent dans leurs résultats. Ainsi Pomponazzi, une des grandes figures de l’aristotélisme averroïsant de Padoue, qui ne manque pas d’invoquer l’autorité de l’Aquinate, explique-t-il dans son De incantationibus le pouvoir des mots dans les incantations, ou des caractères dans les talismans, par la seule force de l’imagination, véhiculée par le spiritus . Écartant toute intervention des démons, il donne une cause naturelle à des effets naturels: la superstition ne réside plus alors dans la croyance en la réalité de ces effets ni dans l’exercice de ces pratiques, mais dans l’ignorance de leurs mécanismes réels. Avant lui, Marsile Ficin, le chef de file du néoplatonisme, qui lui aussi se réfère à Thomas d’Aquin, avait non seulement développé une théorie rationnelle de la magie fondée sur les pouvoirs du spiritus et des démons ou esprits planétaires, qu’il assimile aux anges, mais encore, porté par un constant souci d’affirmer l’existence d’une philosophia perennis et d’éviter toute solution de continuité entre la tradition des prisci theologi et celle du christianisme, il s’était appliqué à défendre le paganisme en le ramenant non à une véritable idolâtrie mais à une forme de magie astrale, de cette magie spirituelle et démonique – et non pas démoniaque – dont il voulait montrer la licéité. Les statues, explique-t-il, que les prêtres placèrent dans les temples dédiés aux astres et aux esprits célestes ne représentaient nullement des dieux, mais des hommes particulièrement influencés par ces astres. Par indulgence, les prêtres laissèrent le peuple «aveugle et misérable» adorer ces statues, et certains pontifes corrompus introduisirent «d’abominables superstitions, civiles et poétiques» (In epistolas D. Pauli commentarium , XVIII) – mais Ficin ne dit pas lesquelles.
Parallèlement à ces courants philosophiques qui dédramatisaient en quelque sorte la superstition, en excluant de sa sphère nombre de pratiques qui y étaient traditionnellement incluses, et qui la réduisaient finalement à une interprétation de phénomènes naturels erronée, mais excusable en raison de l’inculture de la masse, les querelles religieuses suscitées par la Réforme lui rendirent toute sa dimension polémique: c’est le catholicisme qui alors se vit accusé de superstition par les réformés. Déjà certains théologiens tels que Nicolas de Cues avaient senti le besoin de préciser la définition thomiste, en spécifiant qu’il y a superstition «quand le culte de latrie est attribué à un autre qu’à Dieu» (Exercitationes , II, 8). Le culte de dulie ne serait donc pas superstitieux. Mais le protestantisme rejeta ce distinguo; du reste, explique Calvin, latrie signifie «honneur» et dulie «servitude», or «servir est plus qu’honorer» (Institution de la religion chrétienne , I, XII, 2). Le culte de la Vierge et des saints est bien une superstition. Dans son essence, celle-ci est plus qu’une déviation de la religion droite; elle est, pour Calvin, une véritable inversion de la foi: «En retenant soigneusement les choses dont Dieu prononce qu’il ne lui chaut, elle rejette ouvertement, ou méprise celles qu’il recommande comme précieuses» (ibid. , I, IV, 3). De manière générale, est superstitieux tout rite qui n’est pas formellement commandé ou approuvé par Dieu, c’est-à-dire par les Saintes Écritures. À quoi les théologiens romains répondront qu’en effet un rite est superstitieux quand Dieu ne l’a ni commandé ni approuvé, mais qu’il faut ajouter: ni par lui-même, ni par ceux qu’il a chargés de prescrire ses volontés aux hommes (cf. Bergier, Dictionnaire de théologie , 1788, s.v. «Superstition»).
Au XVIIe siècle, avec l’avènement du rationalisme, du mécanisme et de la science expérimentale, les pratiques divinatoires et magiques que la Renaissance s’était employée à défendre retombèrent progressivement dans le champ de la superstition. Cette dernière, fréquemment définie comme «la fille malheureuse de l’imagination», prendra parfois le sens large de croyance irrationnelle, non fondée en raison. Ainsi Spinoza écrit-il à propos de la perfection des choses: «Nous ne parlons pas ici de la beauté et des autres perfections que les hommes ont voulu appeler perfections par superstition et ignorance» (R. Descartes principiorum philosophiae ). La superstition garda toutefois le plus souvent sa dimension religieuse, allant jusqu’à désigner, au XVIIIe siècle, toute religion constituée. Déjà F. Bacon l’associe à la théologie lorsqu’il en fait une des «trois sources d’erreurs et de fausse philosophie», en observant que: «La corruption de la philosophie par son mélange avec la superstition et la théologie apparaît de loin la plus étendue et la plus dommageable soit pour des philosophies entières soit pour certaines de leurs parties, car l’intelligence humaine n’est pas moins soumise aux impressions de l’imagination qu’à celles des notions vulgaires» (Novum organum , I, 65). Et il est clair que ce sont toutes les religions que condamne Spinoza lorsqu’il stigmatise «la superstition qui enseigne à mépriser la nature et la raison, à admirer et à vénérer cela seulement qui leur contredit» (Tractatus theologico -politicus , VII). Toute différence entre religion et superstition va ainsi se trouver gommée, car ou bien la religion est entièrement rationnelle, et elle se confond alors avec la philosophie et la science, ou bien elle ne l’est pas et, par conséquent, elle est une superstition. La seule différence entre l’une et l’autre est d’ordre sociologique et politique: «La crainte d’une puissance invisible, écrit Hobbes, qu’elle soit simulée par l’esprit ou imaginée à partir d’histoires publiquement acceptées, s’appelle Religion; si elles ne le sont point, Superstition» (Leviathan , I, 6). Ainsi, chez nombre de philosophes des Lumières, déistes ou athées, les deux termes seront synonymes. Si Voltaire consacre dans son Dictionnaire philosophique un article à l’une et à l’autre, il pose que «presque tout ce qui va au-delà de l’adoration d’un Être suprême et de la soumission du cœur à ses ordres éternels est superstition». Et le baron d’Holbach reprend les marques traditionnelles de la superstition pour les appliquer, comme chez Lucrèce, à la religion: «L’ignorance et la peur, note-t-il, voilà les deux pivots de toute religion «(Le Bon Sens , X). De même, alors que Spinoza écrivait: «Nous sommes disposés par nature à croire facilement ce que nous espérons, et difficilement au contraire ce que nous craignons, et à nous en faire une opinion plus ou moins juste. De là sont nées les superstitions, qui provoquent partout la lutte entre les hommes» (Éthique , III, 50, sc.), Volney résume brutalement: «La crainte et l’espoir forment le principe de toute idée de religion» (Les Ruines ). Hegel verra dans ce «combat des Lumières (Aufklärung ) avec la superstition» le moment d’une révolution au sein de l’Esprit et l’expliquera comme l’«expansion de la pure intellection», s’efforçant de réaliser le rationnel en soi et par soi, à l’encontre de la foi et de son monde. Tandis que la foi est la pensée de l’au-delà absolu du monde, l’intellection est le retour de l’esprit en lui-même comme acte de penser. Aussi la pure intellection découvre-t-elle dans l’objet de la foi une altérité qui lui est absolument irréductible; elle «sait la foi comme ce qui est opposé à elle, à la raison et à la vérité. La foi est pour elle, en général, un tissu de superstitions, de préjugés et d’erreurs; aussi la conscience de ce contenu finit par s’organiser pour elle en un empire de l’erreur» (Phénoménologie de l’Esprit , II, VI, 13, trad. Hyppolite).
L’analyse kantienne de la superstition mérite une mention spéciale. En faisant de la religion la connaissance de nos devoirs (qui se ramènent aux trois impératifs catégoriques dictés par la raison législatrice) comme commandements divins, Kant voit une «folie religieuse» dans toute tentative de plaire à Dieu autrement que par la seule intention morale: «Hormis une bonne conduite, tout ce que les hommes croient pouvoir faire pour se rendre agréables est pure illusion religieuse et faux culte qu’on rend à Dieu» (La Religion dans les limites de la simple raison , IV, 2, trad. Tremesaygues). Cette illusion religieuse repose sur un anthropomorphisme par lequel «nous nous faisons un Dieu que nous croyons pouvoir très facilement gagner à nos intérêts, ce qui nous permet de nous supposer dispensés de l’effort ininterrompu et pénible consistant à agir sur ce qui est le fond intime de notre intention morale» (ibid. ). Reprenant le couple superstition-enthousiasme, que l’on rencontre fréquemment tant chez les philosophes des Lumières que chez leurs adversaires (l’abbé Pluquet lui consacra un traité, posthume, De la superstition et de l’enthousiasme , 1804), Kant distingue deux sortes d’illusion: «L’illusion où l’on est de pouvoir, par des actes religieux cultuels, travailler, si peu que ce soit, à sa justification devant Dieu porte le nom de superstition religieuse; de même, l’illusion qui consiste à vouloir arriver à ce but par une aspiration à un prétendu commerce avec Dieu est l’extravagance religieuse» (ibid. ). La superstition inclut ainsi aussi bien la profession de foi, les rites, l’ascétisme que la prière elle-même, conçue comme un culte formel ou intérieur qui n’est en réalité autre chose qu’une simple déclaration de nos souhaits. Cette folie est dite superstitieuse car «elle a recours à de simples moyens physiques – et non moraux – qui ne sauraient avoir absolument aucun effet par eux-mêmes sur une chose qui n’est pas d’essence physique – c’est-à-dire sur le bien moral» (ibid. ). D’après Kant, cependant, l’illusion superstitieuse ne conduit pas, contrairement à l’illusion extravagante, à la «mort morale de la raison»: si elle est condamnable en tant qu’elle donne une valeur de fin à ce qui ne peut être, au mieux, qu’un pur moyen, elle reste toutefois «apparentée à la raison» dans la mesure où elle enferme «un moyen en lui-même capable de servir plusieurs sujets et de leur permettre au moins de lutter contre les obstacles opposés chez eux à une intention agréable à Dieu» (ibid. ).
Vers une phénoménologie de la superstition
Le caractère profondément polémique du concept de superstition tel que le saisit la recherche historique paraît devoir rendre vain tout essai de cerner de manière objective son essence, puisque la superstition n’aurait précisément pas d’essence propre: si elle est bien la religion de l’autre, toute forme de religiosité peut être appréhendée comme superstitieuse, et inversement. De même, vouloir faire de la superstition l’aspect irrationnel de la religion, c’est du même coup l’identifier à la dimension fondamentale de cette dernière, à moins de distinguer entre un irrationnel «rationnel» – en ce sens que, sans résulter de l’exercice de la droite raison, il serait susceptible d’être rationnellement pensé (la raison pouvant, en le prenant pour objet de la connaissance, l’analyser et rendre compte de ses causes et de son fonctionnement) – et un irrationnel «supra-rationnel», qui serait radicalement étranger et inaccessible à la raison. La superstition relèverait du premier genre d’irrationnel, la religion du second. C’est d’une certaine manière ce qu’a fait Bergson, dans Les Deux Sources de la morale et de la religion , en distinguant entre la «religion statique» – définie comme «une réaction défensive de la nature contre le pouvoir dissolvant de l’intelligence» et chargée de «combler, chez des êtres doués de réflexion, un déficit éventuel de l’attachement à la vie» – et la «religion dynamique», qui est «une prise de contact, et par conséquent une coïncidence partielle, avec l’effort créateur que manifeste la vie», effort qui «est de Dieu, si ce n’est Dieu lui-même». La superstition, selon Bergson, correspond donc à la seule religion statique, à la religion socialisée et instituée.
En voyant dans toute religion une illusion, l’approche psychanalytique rend également caduque une opposition de nature entre religion et superstition: comme la religion, la superstition est une croyance dans la motivation de laquelle la réalisation d’un désir inconscient est prévalente; l’une et l’autre sont des constructions artificielles d’une réalité surnaturelle, fondées sur le mécanisme de la projection, que la psychanalyse a pour fonction de retraduire en une psychologie de l’inconscient. Dans Psychopathologie de la vie quotidienne , Freud s’est notamment penché sur la croyance aux présages et aux signes, en assimilant ce type de superstition aux actes manqués. «C’est l’ignorance consciente, explique-t-il, et la connaissance inconsciente de la motivation des hasards psychiques qui forment une des racines psychiques de la superstition. C’est parce que le superstitieux ne sait rien de la motivation de ses propres actions accidentelles et parce que cette motivation cherche à s’imposer à sa reconnaissance qu’il est obligé de la déplacer en la situant dans un monde extérieur.» La superstition n’est donc pas absurde, mais renferme un élément de vérité: le Romain superstitieux qui renonce à un projet parce qu’en sortant de chez lui pour aller le réaliser il trébuche sur le seuil se montre meilleur psychologue que l’incrédule; car ce «présage», qui est un acte manqué, témoigne de son désir inconscient que ce projet n’aboutisse pas.
Une approche plus phénoménologique de la superstition a été tentée par K. Zucker. Dans Psychologie de la superstition , il en discerne trois grandes formes, qui peuvent se recouper ou se combiner et qui correspondent, selon lui, à trois attitudes psychiques fondamentales: la superstition magique, la superstition mystique, les pressentiments. La première se manifeste dans la croyance aux charmes, au mauvais œil, aux amulettes et talismans, aux sorciers et aux métamorphoses animales telles que la lycanthropie; elle aurait sa racine dans la «pensée primitive». La superstition mystique consiste à croire aux «actes sacro-mystiques» (les coutumes traditionnelles prenant une valeur transcendante), aux sacrifices, aux présages (oracles, prophéties, divination, astrologie). D’après Zucker, qui accepte l’analyse de Frobenius, cette forme s’opposerait à la superstition magique en ce sens que l’une recouvrirait une attitude passive, l’autre une attitude active: la pensée magique se caractériserait, en effet, par une position essentiellement agissante de l’homme à l’égard du monde posé comme objet, et constituant avant tout, selon l’expression de Frobenius, «un jeu de volonté»; en revanche, la pensée mystique serait corrélative d’une conscience aiguë du destin, perçu comme l’expression de la volonté d’une puissance divine, à laquelle l’homme s’abandonnerait, en se soumettant en particulier aux prescriptions que lui dicte le cours de la nature et du monde. Les pressentiments et ce qui s’y rattache (rêves prémonitoires, appréhensions, présages et apparitions de démons ou d’esprits des morts) relèveraient d’un phénomène psychique rare et de brève durée que Zucker décrit comme étant une «impression particulièrement insistante d’une signification (dans le pressentiment) ou un sentiment d’ensorcellement (dans la vision spectrale). En même temps peuvent surgir des illusions des sens caractéristiques de cet état, et dont le contenu provient en partie de la pensée distraite, sans rapport valable avec les interprétations superstitieuses faites après coup. Pour une autre partie, ces illusions représentent des «préimages» superstitieuses primitives et profondément ancrées dans la plupart des êtres humains, et qui, par le même processus psychique, encore mal connu, entrent dans le domaine de la perception. L’origine de ce complexe expérimental n’est pas superstitieuse; il devient superstitieux par l’interprétation qui est consécutive et secondaire, mais préparée sans aucun doute par l’expérience même.»
L’intérêt de l’analyse de Zucker est de montrer qu’on ne saurait voir dans la superstition «une construction psychique unitaire» et qu’elle représente non un substrat mais bien une attitude psychique particulière, ce qui explique sa permanence dans toute société et à toute époque. On peut toutefois reprocher à sa classification de mettre en jeu des notions contestables comme celle, héritée de Lévy-Bruhl, d’une «pensée primitive» qui procéderait par les voies de l’affectivité plutôt que de l’entendement. Ainsi que l’a souligné C. Lévi-Strauss, les «primitifs» s’approchent des lois de la nature par les voies de l’information en prenant le monde comme un système signifiant, comme un message ou un discours où chaque chose est un signe, un élément du message général; dans ces conditions, «la pensée sauvage est logique, dans le même sens et de la même façon que la nôtre, mais comme l’est seulement la nôtre quand elle s’applique à la connaissance d’un univers auquel elle reconnaît des propriétés physiques et des propriétés sémantiques» (La Pensée sauvage , 1962).
Surtout, quelle que soit la forme envisagée, il n’y aura véritablement superstition – ainsi que le note Zucker lui-même, mais à propos de la seule forme magique – qu’à une double condition: d’abord, que, dans la collectivité, et par conséquent chez l’individu, «la forme de pensée rationnelle ait déjà pris assez de consistance pour qu’elle puisse, en certaines occasions, s’opposer à l’autre forme»; ensuite, que «cette opposition soit suffisamment profonde pour qu’elle soit saisissable par l’expérience subjective». Car, si ces deux conditions ne sont pas remplies, on voit mal comment distinguer un fait superstitieux d’un fait religieux, voire tout simplement d’un faux savoir. On est ainsi conduit à définir la superstition comme un ensemble de croyances ou de pratiques d’inspiration religieuse, chez un individu ou dans un groupe, qui sont incompatibles avec le niveau de connaissance aussi bien théologique que scientifique atteint par cet individu ou ce groupe, et auxquelles ces derniers adhèrent tout en les sachant telles. En dernière analyse, il n’y aurait donc effectivement superstition que lorsque le superstitieux se sait superstitieux, qu’il perçoit plus ou moins clairement que son comportement et ses croyances sont non fondés tant du point de vue de la foi que du point de vue de la science, et qu’il ne peut pourtant s’en délivrer. Dans L’Aveu , récit autobiographique, A. Adamov a décrit avec force cette contradiction intime du superstitieux, écartelé entre sa raison et sa crainte du sacré: «Je sais, écrit-il, que c’est mon mal intérieur que je projette hors de moi sur la première image qui offre prise au délire d’interprétation. Mais ce jugement de mon esprit reste impuissant devant la peur.»
superstition [ sypɛrstisjɔ̃ ] n. f.
• 1375 « religion des idolâtres, culte des faux dieux »; lat. superstitio, probablt de superstes « survivant », de superstare « se tenir dessus », pour désigner ceux qui prient pour que leurs enfants leur survivent
1 ♦ Comportement irrationnel, généralement formaliste et conventionnel, vis-à-vis du sacré; attitude religieuse considérée comme vaine. « La superstition semble n'être autre chose qu'une crainte mal réglée de la Divinité » (La Bruyère). « la superstition consiste toujours [...] à expliquer des effets véritables par des causes surnaturelles » (Alain).
♢ (XVIIIe) Hist. Ensemble des traditions religieuses, des préjugés contraires à la raison (par opposition à la philosophie). « la superstition, cette infâme » (Voltaire).
2 ♦ Plus cour. Le fait de croire que certains actes, certains signes entraînent, d'une manière occulte et automatique, des conséquences bonnes ou mauvaises (cf. Porter bonheur, malheur); croyance aux présages, aux signes. Il ne veut pas passer sous une échelle, c'est de la superstition. Croyance ou pratique qui en résulte.
3 ♦ Attitude irrationnelle, magique, en quelque domaine que ce soit. « Il numérotait tous les actes qu'il entendait accomplir [...] La superstition de l'ordre le torturait sans relâche » (Duhamel).
● superstition nom féminin (latin superstitio) Forme élémentaire et particulière des sentiments religieux consistant dans la croyance à des présages tirés d'événements matériels fortuits (salière renversée, nombre treize, etc.). Préjugé et pratique des gens superstitieux. Attachement exclusif, exagéré ou non justifié, à quelque chose : Avoir la superstition du passé. ● superstition (citations) nom féminin (latin superstitio) Denis Diderot Langres 1713-Paris 1784 La superstition est plus injurieuse à Dieu que l'athéisme. Pensées philosophiques Remy de Gourmont Bazoches-au-Houlme, Orne, 1858-Paris 1915 La superstition est un peu plus humaine que la religion, parce qu'elle manque de morale. Pensées inédites Honoré Champion Luc de Clapiers, marquis de Vauvenargues Aix-en-Provence 1715-Paris 1747 L'incrédulité a ses enthousiastes, ainsi que la superstition. Réflexions et Maximes Francis Bacon, baron Verulam Londres 1561-Londres 1626 Il y a de la superstition à éviter la superstition. There is a superstition in avoiding superstition. Essays, 17 Edmund Burke Dublin vers 1729-Beaconsfield 1797 La superstition est la religion des âmes faibles. Superstition is the religion of feeble minds. Reflections on the Revolution in France James Fenimore Cooper Burlington, New Jersey, 1789-Cooperstown, État de New York, 1851 L'ignorance et la superstition ont toujours un rapport étroit et même mathématique entre elles. Ignorance and superstition ever bear a close and even a mathematical relation to each other. Jack Tier, 13
superstition
n. f.
d1./d Attachement étroit et formaliste à certains aspects du sacré; croyance religieuse considérée comme non fondée.
d2./d Fait de croire que certains actes, certains objets annoncent ou attirent la chance ou la malchance; cette croyance elle-même.
⇒SUPERSTITION, subst. fém.
A. — Croyance religieuse irrationnelle, attachement inconsidéré aux doctrines et prescriptions qui sont du domaine du sacré. Superstition des reliques. La superstition consiste toujours, sans doute, à expliquer des effets véritables par des causes surnaturelles (ALAIN, Propos, 1936, p. 174). Que les fidèles interprètent et souvent déforment les procédures officielles ou communément reçues, c'est le sort de tous les cultes. La superstition attribue à certains intercesseurs des pouvoirs quasi divins (Traité sociol., 1968, p. 88).
— [Pour un athée rationaliste] Péj. Ensemble des croyances (et pratiques) religieuses jugées contraires à la raison; religion. Puis Caliban, après avoir essayé de ricaner des bons saints de la superstition (...) s'en va, triste enfin! (VERLAINE, Œuvres posth., t. 3, Prose, 1896, p. 184). [Marra] profitait de l'occasion pour baptiser leur dernière née, qu'il entendait lui [le père] préserver des entreprises de la superstition (AYMÉ, Uranus, 1948, p. 274).
B. — Croyance irrationnelle à l'influence, au pouvoir de certaines choses, de certains faits, à la valeur heureuse ou funeste de certains signes. Superstition du mauvais œil. Les superstitions (...), telles que la divination par le vol des oiseaux (...) ont eu primitivement (...) un caractère philosophique vraiment progressif (COMTE, Philos. posit., t. 5, 1841, p. 106). Cagliostro et Mesmer en imposaient aux foules. Quant au populaire, surtout dans les campagnes, il restait attaché à ses superstitions millénaires et croyait toujours à la sorcellerie (LEFEBVRE, Révol. fr., 1963, p. 68).
C. — Attachement excessif, soin trop méticuleux porté à quelque chose. Synon. fétichisme, scrupule. Superstition de la science. Tellier (...) poussait jusqu'à la superstition le culte de la poésie et des poètes (A. FRANCE, Vie littér., 1892, p. 178). Flaubert avait la superstition du style (ESTAUNIÉ, Rom. et prov., 1942, p. 42).
Prononc. et Orth.:[]. Att. ds Ac. dep. 1694. Étymol. et Hist. 1. a) 1375 [éd. 1486] « déviation du sentiment religieux, fondée sur la crainte ou l'ignorance, et prêtant abusivement un caractère sacré à des croyances, pratiques » (RAOUL DE PRESLES, Cité de Dieu, IV, 30 ds GDF. Compl.: faulses oppinions et obscures [...] vieilles supersticions); b) 1549 « scrupule, excès d'attachement (à quelque chose) » (DU BELLAY, Deffence et Illustration, éd. H. Chamard, p. 91); 2. 1690 « vain présage que l'on tire de certains accidents fortuits » (FUR.). Empr. au lat. superstitio « attitude de crainte ou de crédulité irrationnelle; croyance ou pratique religieuse non orthodoxe », dér. de superstare « se tenir au-dessus » (cf. superstes, -itis « ce qui subsiste (après la bataille); ce qui perdure ») qui explique les sens anc. de superstitiosus « devin, prophétique » et superstitio « présence, don d'omniprésence (du devin) »; le passage au sens class. se serait produit sous l'infl. de religio/religiosus dont superstitio/superstitiosus seraient devenus les anton. (v. R. Ét. lat. t. 16, p. 35 et ERN.-MEILLET), cf. lat. chrét. superstitio « pratique religieuse contraire aux usages reçus, pratique contraire aux canons, croyance païenne » (v. BLAISE Lat. chrét.). Fréq. abs. littér.:896. Fréq. rel. littér.:XIXe s.: a) 2 112, b) 952; XXe s.: a) 1 123, b) 821.
superstition [sypɛʀstisjɔ̃] n. f.
ÉTYM. 1375, d'abord « religion des idolâtres, culte des faux dieux » (→ Religion, I., 3., rem.); lat. superstitio, probablt de superstes « survivant », de superstare « se tenir dessus », de super, et stare « se tenir debout », pour désigner ceux qui prient pour que leurs enfants leur survivent (selon Cicéron).
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1 Comportement irrationnel, généralement formaliste et conventionnel, vis-à-vis du sacré; croyance et pratiques de nature religieuse, considérées comme vaines et contraires à la dignité de la raison humaine. ⇒ Crédulité. REM. Selon la personne qui l'emploie, le mot superstition s'oppose à la « vraie religion » ou à la raison critique; il peut s'appliquer au fétichisme, à l'idolâtrie (→ Bouture, cit. 2), à l'illuminisme, à la magie, à la mythologie, à l'occultisme, au spiritisme, etc. — La superstition, considérée comme une déviation, une perversion, une caricature (cit. 3) de la religion (→ Détruire, cit. 26, Pascal). || La superstition opposée à la morale (cit. 5). || Croire (cit. 63) par superstition.
1 La superstition semble n'être autre chose qu'une crainte mal réglée de la Divinité.
La Bruyère, les Caractères de Théophraste, « De la superstition ».
2 Presque tout ce qui va au-delà de l'adoration d'un Être suprême, et de la soumission du cœur à ses ordres éternels, est superstition.
Voltaire, Dict. philosophique, Superstition, IV.
3 (…) la critique historique a ses bonnes parties. L'esprit humain ne serait pas ce qu'il est sans elle, et j'ose dire que vos sciences, dont j'admire si hautement les résultats, n'existeraient pas s'il n'y avait, à côté d'elles, une gardienne vigilante pour empêcher le monde d'être dévoré par la superstition et livré sans défense à toutes les assertions de la crédulité.
Renan, Discours et conférences, Réponse au disc. de réception de Pasteur à l'Acad. franç., 27 avr. 1882, Œ. compl., t. I, p. 770.
4 (…) la superstition consiste toujours, sans doute, à expliquer des effets véritables par des causes surnaturelles.
Alain, Propos, 24 déc. 1913, « À genoux ».
♦ Hist. Ensemble des traditions religieuses, des préjugés contraires à la raison, au XVIIIe siècle (par oppos. à la philosophie, cit. 6). || Les lois (cit. 9) établies par la superstition, cette infâme (cit. 5, Voltaire). || Subjuguer l'espèce humaine par la superstition (→ Imam, cit. 1).
2 (Fin XVIe). Plus cour. Le fait de croire que certains actes, certains signes entraînent, d'une manière occulte et automatique, des conséquences bonnes ou mauvaises (→ Porter bonheur, malheur); croyance aux présages, aux signes heureux ou funestes.
5 Ce soir, on causait superstition. Zola est tout à fait curieux, il parle de ces choses, à voix basse, mystérieusement, comme s'il avait peur d'une oreille redoutable qui l'écouterait dans l'ombre de l'appartement. Il ne croit plus à la vertu du nombre 3; c'est le nombre 7 qui est pour lui, dans le moment, le nombre porte-bonheur.
Ed. et J. de Goncourt, Journal, 2 mai 1885, t. VII, p. 30.
3 (1742, Voltaire). Attitude irrationnelle, magique (en quelque domaine que ce soit). || Le merveilleux et la superstition jouent un grand rôle dans la médecine (cit. 3). || « (Être) exact jusqu'au scrupule et à la superstition » (Fontenelle, in Littré).
6 Il numérotait tous les actes qu'il entendait accomplir, afin de n'en oublier aucun. La superstition de l'ordre le torturait sans relâche.
G. Duhamel, Chronique des Pasquier, VII, VII.
4 (1694). || Une, des superstitions. Croyance ou pratique particulière dictée par la superstition (religieuse ou profane). — (Au sens 1). → Amas, cit. 9; amulette, cit. 2; occultisme, cit. 1. || Ôter les superstitions de dessus la religion (→ Écheniller, cit. 2). || Remplacer les pratiques ordinaires (de la religion) par des superstitions peu raisonnables (→ Médaille, cit. 9). || Une forteresse (cit. 3) de superstitions. — La superstition des reliques (cit. 1); la superstition des esprits frappeurs (spiritisme), des vampires (vampirisme…).
7 Il est des sages qui prétendent qu'on doit laisser au peuple ses superstitions, comme on lui laisse ses guinguettes, etc. Que de tout temps il a aimé les prodiges, les diseurs de bonne aventure, les pèlerinages et les charlatans (…) Il est d'autres sages qui disent : Aucune de ces superstitions n'a produit du bien; plusieurs ont fait de grands maux : il faut donc les abolir.
Voltaire, Dict. philosophique, Superstition, I.
8 Je meurs en adorant Dieu, en aimant mes amis, en ne haïssant point mes ennemis, en détestant la superstition.
Voltaire, Déclaration écrite de février 1778.
♦ (Au sens 2). || La superstition du mauvais œil, des échelles, du sel renversé, des glaces brisées, du nombre 13.
♦ (Au sens 3). || La superstition de l'histoire, de la science. Par exagér. Excès de scrupule.
5 Objet d'une superstition, d'un culte.
9 Le Roi, cette vieille ombre, cette superstition antique, si puissante dans la salle des États généraux, elle pâlit au Jeu de Paume.
Michelet, Hist. de la Révolution franç., I, IV.
Encyclopédie Universelle. 2012.