TAPISSERIE
Œuvre de laine et de soie résultant de l’entrecroisement, réalisé à la main sur un métier de haute ou de basse lice, des fils de chaîne avec ceux de trame – ces derniers, colorés, recouvrant entièrement les premiers et constituant ainsi le motif –, la tapisserie se voue entièrement au décor mural. Elle habille le mur des demeures princières et des églises, et invite à la rêverie. Montrant des paysages ou racontant des histoires, la tapisserie a pour origine une œuvre peinte ou dessinée: un modèle ou «petit patron», ou encore «maquette» qui, agrandi aux dimensions de la tapisserie, devient un carton ou «grand patron»; et c’est alors qu’intervient le licier pour le traduire en tapisserie. De ce fait, la tapisserie est la transposition d’un modèle peint. Mais en déduire que la tapisserie n’est qu’une traduction de la peinture en réduirait considérablement la portée. La tapisserie, certes, est étroitement liée à la peinture, mais elle ne s’y assimilera jamais; sa fonction même le lui interdit et sa matière s’y oppose: la tapisserie réchauffe l’atmosphère, absorbe la lumière, apaise les bruits, calme le regard et repose l’esprit.
Les premières tapisseries
Pratiqué dès l’Antiquité en Mésopotamie et en Grèce, l’art de la tapisserie l’a également été dans d’autres points du globe, en Occident surtout, mais également – signalons-le, car nous n’en traiterons pas ici – au Pérou et en Chine. Il nous a laissé pour plus anciens exemples quelques fragments de tentures antiques grecques et des morceaux, de petites tailles, de vêtements et de tissus d’ameublement trouvés, quant à eux, en grand nombre dans les tombes égyptiennes des coptes (IIIe-XIIe s.); l’Empire byzantin utilisa aussi la tapisserie, au XIe siècle du moins. Si le monde occidental semble s’être adonné à cet art durant le haut Moyen Âge, il ne subsiste qu’une tapisserie de la fin du XIe siècle (Drap de saint Géréon , réparti entre le musée des Arts décoratifs de Lyon et les musées de Londres, Berlin et Nuremberg) et quatre du XIIe siècle, trois en Allemagne (tapisseries de la cathédrale d’Alberstadt) et une en Norvège (tapisserie de Baldishol, musée des Arts décoratifs d’Oslo); enfin, le XIIIe siècle apparaît comme un siècle démuni. En revanche, des mentions des tapissiers et d’ouvrages de haute lice apparaissent dans les textes dès le début du siècle suivant, à Paris en 1303 et à Arras en 1313, et les œuvres qui nous sont parvenues attestent d’une production importante dès la seconde moitié du XIVe siècle et au XVe.
La tapisserie médiévale (XIVe-XVe s.)
La tapisserie devint au XIVe siècle l’apanage des grands princes qui en constituèrent des collections considérables. Elle ornait le mur du château et de l’église, elle était transportée de demeure en demeure et était tendue dans les rues à l’occasion de fêtes religieuses ou d’«entrées» princières (ces diverses manipulations expliquent bien souvent les usures et la disparition de nombreuses tentures). La majeure partie de la collection était toutefois soigneusement conservée dans des coffres ou entreposée dans des locaux spécialement conçus pour cela. Objet de grand luxe, la tapisserie constituait pour ses propriétaires une importante réserve de capital, un moyen d’échange ou de cadeaux diplomatiques. Enrichie de fils d’or et d’argent, elle contribuait également à affirmer le rang, la puissance du seigneur.
Depuis les années 1960, les historiens se fondent sur une méthode qui analyse chaque stade du processus d’élaboration d’une tapisserie. Vient en premier lieu la commande, bien qu’il soit rarement possible d’aller plus loin que l’identification du commanditaire ou de l’acquéreur (ducs de Bourgogne, riches ecclésiastiques, hauts dignitaires du royaume, tel Jean IV le Viste pour la Dame à la licorne , au Musée national du Moyen Âge et des thermes de Cluny, à Paris). Le rôle de l’entrepreneur ou du marchand de tapisseries, car il fait le lien entre la clientèle d’une part et les peintres – le maquettiste et le cartonnier – et le licier d’autre part, reste encore mal connu. Il convient toutefois de dissocier la vente des tapisseries de leur fabrication, les lieux de négoce n’étant pas obligatoirement les mêmes que les centres d’exécution: Nicolas Bataille ainsi que d’autres grands fabricants parisiens (Jacques Dourdin, Pierre de Beaumetz, Jean Lubin...) vendaient non seulement des tapisseries de leur production, mais également des ouvrages d’Arras ; Anvers était une importante place de négoce de tapisseries. L’organisation même du travail n’implique pas qu’une tapisserie commandée à un fabricant ait été réalisée dans son atelier. Des entrepreneurs sous-traitaient une partie de leur travail à des confrères qui n’étaient pas nécessairement installés dans la même ville qu’eux (pratique qui eut également cours durant les siècles suivants). Au centre même du processus d’élaboration de la tapisserie, il convient de distinguer les rôles respectifs du maquettiste, du cartonnier et du licier; rares sont les tentures, comme la Légende d’Herkenbald (Musées royaux d’art et d’histoire, Bruxelles), pour lesquelles sont connus le maquettiste (Jan van Roome, qui fut payé de ses modèles en 1513 par la confrérie du Saint-Sacrement à Saint-Pierre de Louvain), le cartonnier (Philippe, le peintre) et le licier bruxellois (Léon, le tapissier). L’identité des peintres qui ont fourni les cartons est encore bien souvent ignorée. En outre, les caractères stylistiques de la maquette doivent être dissociés de ceux de tissage ; les modèles circulaient librement entre les différents centres de fabrication (cette remarque est également valable pour les périodes plus récentes). La détermination des lieux de tissage demeure un des problèmes les plus délicats à résoudre: peu d’œuvres sont attribuées avec certitude à des centres précis. L’historien doit faire montre de prudence, au risque de retomber dans des hypothèses hasardeuses, comme celle qui perdura jusqu’à la création du mythe encore tenace des ateliers des bords de la Loire.
Les tapissiers parisiens avaient fait de Paris un centre à l’activité considérable pouvant rivaliser avec celle des ateliers d’Arras. On sait que le duc Louis Ier d’Anjou, frère du roi Charles V, commanda la célèbre tenture de l’Apocalypse (musée des Tapisseries, Angers) au marchand tapissier parisien Nicolas Bataille, qui la fit exécuter entre 1377 et 1380; mais cet entrepreneur à l’activité intense la fit-il confectionner sur ses propres métiers ou en sous-traita-t-il le tissage à quelques fabricants dont les noms sont tombés dans l’oubli? La question reste aujourd’hui encore sans réponse. D’Arras, qui devint le centre prépondérant de l’art de la tapisserie durant la première moitié du XVe siècle (d’où l’emploi du mot italien arazzo pour désigner la tapisserie, comme quelques siècles plus tard sera utilisé, en allemand, celui de Gobelin ), on ne connaît avec certitude qu’une seule œuvre: l’Histoire des saints Piat et Éleuthère , exécutée en 1402 par le licier Pierrot Féré pour Toussaint Prier, chanoine de la cathédrale de Tournai à qui il en fit don; et on ne peut donc plus continuer à attribuer à cette ville la plupart des tapisseries de la première moitié du XVe siècle sous prétexte que ce centre était alors le plus important de l’époque. Vers le milieu du XVe siècle, Arras dut céder sa primauté (ce qui ne veut pas dire que son activité cessa; celle-ci se prolongea au-delà de la prise de la ville par Louis XI en 1477) à Tournai qui, à la fin du XVe siècle, fut à son tour supplantée par Bruxelles, où les liciers étaient organisés en communauté depuis 1448; la remarque faite à propos d’Arras vaut également pour la cité des bords de l’Escault qui produisit encore des tapisseries après que François Ier l’eut abandonnée à Charles Quint en 1526. La tenture de la Guerre de Troie (vers 1470; des pièces de cette tenture sont conservées à la cathédrale de Zamora, au Victoria and Albert Museum de Londres, au Metropolitan Museum de New York et dans la collection Burrell à Glasgow), la Mille-Fleurs aux armes de Jean de Daillon (vers 1480; Montacute House, à Yeovil, comté de Somerset en Grande-Bretagne) et la Vie de saint Ursin (vers 1500; musée de Bourges) sont les seules pièces qui peuvent être tenues pour de véritables productions tournaisiennes. Ce fut un fabricant de Lille, Jean le Haze, que Philippe le bon appela à Bruxelles pour tisser vers 1466 une Mille-Fleurs portant les armes et emblèmes du duc de Bourgogne (Musée historique, Berne) et dont la facture est certainement beaucoup plus révélatrice de ce qui se tissait alors à Lille qu’à Bruxelles. À côté de ces grands centres existait une multitude de petits; parmi ces derniers, mentionnons ceux de l’Empire germanique, qui livrèrent principalement des pièces de très faible hauteur et d’une exécution soignée, mais d’un dessin assez maladroit.
Hennequin de Bruges exécuta à partir de manuscrits à peintures les cartons de l’Apocalypse d’Angers. Le peintre d’Arras Baudouin de Bailleul fournit les modèles de la Tenture de Gédéon (disparue à la fin du XVIIIe siècle) commandée par Philippe le Bon en 1449 et tissée à Tournai. Les petits patrons de la Guerre de Troie précédemment citée et que caractérisent des compositions comprenant de nombreux personnages en mouvement et aux gestes vigoureux ont été récemment attribués à Henri de Vulcop (actif entre 1446 et 1470), peintre et enlumineur à la cour de Charles VII, de même que c’est à l’un de ses disciples, appelé le Maître de la Chasse à la licorne, qu’ont été donnés les modèles de la Chasse et de la Dame à la licorne et de quelques autres tapisseries. Jacques Daret et Nicolas Froment ont également été proposés comme auteurs des modèles des tapisseries de la Vie de saint Pierre (vers 1460; cathédrale de Beauvais, musée de Cluny à Paris et Museum of Fine Arts de Boston) et de l’Histoire d’Alexandre (Palazzo Doria, Rome). Le maquettiste de la tenture de la Vie de saint Étienne autrefois à la cathédrale d’Auxerre (musée de Cluny) est très vraisemblablement un peintre de l’entourage de l’artiste flamand Colyn de Coter. Le style des grands peintres, tels que Rogier van der Weyden, se retrouve dans des œuvres de la fin du XVe siècle et du début du XIVe (Histoire de Trajan et Herkenbald d’après Van der Weyden, Musée historique, Berne; Adoration des mages attribuée au Maître de la vue de sainte Gudule, un disciple de Van der Weyden, cathédrale de Sens), à côté d’un groupe de tapisseries montrant des compositions dans lesquelles fourmille une quantité de personnages richement vêtus et dont les petits patrons ont été exécutés ou sont attribués au peintre de Marguerite d’Autriche, Jan van Roome, et à ses émules. Outre la Légende d’Herkenbald déjà citée du musée de Bruxelles, mentionnons l’Histoire de David et Bethsabée , Musée national de la Renaissance à Écouen (vers 1510-1515), les Histoires de Mestra et de Jason du musée de l’Ermitage à Saint-Pétersbourg. Notons aussi le rôle non négligeable de l’estampe dans l’élaboration des cartons: des personnages issus de gravures de Dürer s’inscrivent sur le fond de fleurettes des Hallebardiers (musée de Cluny, Metropolitan Museum et Art Institute de Chicago) ou de la Famille turque (Museum of Fine Arts de Boston).
La tapisserie moderne (XVIe-XVIIIe s.)
La Renaissance
Dès les premières années du XVIe siècle, les tapissiers de Bruxelles imposèrent leur production de qualité, abondamment enrichie de fils d’or et d’argent, sur le marché et supplantèrent les ateliers de Flandres et du nord de la France, de Tournai et d’Arras principalement, qui avaient livré les plus belles pièces à l’époque précédente. En 1528, le magistrat de Bruxelles obligea les liciers de la ville à tisser dans la bordure de leurs tapisseries leur monogramme et la marque de leur cité composée d’un petit écusson rouge accosté de deux B (Bruxelles, Brabant). Les autres ateliers des Pays-Bas méridionaux connurent une histoire parallèle à celle des ateliers bruxellois. Les tapisseries brugeoises au coloris puissant furent particulièrement remarquées. La production massive de scènes de chasse et de verdures des manufactures d’Enghien et d’Audenarde était destinée à une clientèle aux revenus plus modestes. L’économie des Pays-Bas fut toutefois mise à rude épreuve lors des guerres civiles et religieuses de la seconde moitié du siècle. De nombreux liciers, convertis au protestantisme, furent contraints d’émigrer; cette émigration se prolongea au cours des siècles suivants. Les Flamands Jean et Nicolas Karcher et Jean Rost furent engagés en 1536 par le duc Hercule II d’Este à Ferrare; Nicolas Karcher travailla ensuite à la cour de Mantoue, puis avec Rost à Florence, où en 1546 Cosme de Médicis fonda sa manufacture de tapisseries. En 1601, Marc de Comans, licier d’Anvers, et François de La Planche, originaire d’Audenarde, s’associèrent et ouvrirent un atelier à Paris au faubourg Saint-Marcel. L’Électeur de Bavière Maximilien Ier recruta en 1604 des tapissiers d’origine bruxelloise pour établir une manufacture à sa cour. En 1619, lorsque le roi Jacques Ier d’Angleterre confia la direction de la manufacture de Mortlake à sir Walter Crane, ce dernier appela principalement des ouvriers flamands; les ouvrages de cet établissement, qui brillent surtout par leur qualité technique et l’élégance de leurs bordures, furent particulièrement recherchés par les collectionneurs du XVIIe siècle.
En 1539, le roi de France François Ier établit une manufacture à Fontainebleau, qui ne servit vraisemblablement qu’à exécuter la tenture de la Galerie de Fontainebleau (Kunsthistorisches Museum, Vienne); son initiative fut reprise par Henri II, qui fonda, en 1551, un atelier dans l’hôpital de la Trinité, à Paris, où quelques fabriques privées étaient en activité durant la seconde moitié du XVIe siècle. Mentionnons encore les ateliers espagnols de Salamanque et de Madrid, qui livrèrent, durant les vingt dernières années du siècle, sous la direction de Pierre Gutierrez, une production d’une certaine importance.
Si l’art de la tapisserie de la seconde moitié du XVe siècle fut dominé par le style de la peinture franco-flamande, le rayonnement de l’art italien allait bientôt modifier la situation. On vit tout d’abord des recours isolés à des modèles tirés de tableaux italiens, comme la Pietà de Pérugin. Mais ce fut Raphaël qui apporta un changement radical dans l’art de la tapisserie en donnant les cartons de la tenture des Actes des Apôtres commandée par le pape Léon X, pour orner les parois de la chapelle Sixtine au-dessous des fresques, et tissée dans l’atelier du licier bruxellois Pierre van Aelst (1515-1519). Les vastes compositions du maître romain, en opposition complète avec les compositions encombrées des tapisseries bruxelloises de la Pré-Renaissance, introduisaient dans la tapisserie le système perspectif mis en place par les peintres de la Renaissance italienne. La tenture de Raphaël connut un immense succès: elle fut maintes fois retissée au cours des siècles suivants, non seulement dans les ateliers de Bruxelles, mais également en Angleterre, à Mortlake, et en France, aux Gobelins et à Beauvais. En outre, le triomphe remporté par cette tenture entraîna la mise sur le métier d’autres «patrons» italiens de l’atelier de Raphaël, tant dans les ateliers bruxellois que dans les manufactures italiennes. Jules Romain livra les modèles des Fructus Belli , de l’Histoire de Scipion commandée par François Ier et de Jeux d’enfants (les deux premières tentures furent tissées à Bruxelles, la troisième à Bruxelles et à Ferrare). Perino del Vaga dessina des Grotesques pour les ateliers de Bruxelles, Battista Dossi illustra les Métamorphoses d’Ovide pour ceux de Ferrare; Giovanni da Udine, Pordenone, Girolamo da Carpi et Leonardo da Brescia contribuèrent également à la conversion de la tapisserie au nouveau style. Au milieu du siècle, les trois grands peintres maniéristes toscans, Bronzino, Pontormo et Salviati, brossèrent les cartons de l’Histoire de Joseph (tissée dans la manufacture médicéenne entre 1545 et 1553); Bacchiacca (Douze Mois , Grotesques ) et Allori (Vie du Christ ) fournirent encore des modèles.
En Flandres, Bernard van Orley emprunta à l’art italien la science de la perspective et l’exaltation de la beauté antique, mais il ne resta pas moins fidèle à la tradition flamande par son goût du détail et du raffinement en exécutant les patrons de l’Histoire de Jacob , de la Bataille de Pavie (offerte en 1531 à Charles Quint par les états généraux de Flandre) et des Chasses de Maximilien . Il fut suivi par ses élèves et ses collaborateurs, qui dessinèrent les plus belles tapisseries bruxelloises du deuxième quart du XVIe siècle. Pierre Coeck d’Alost, qui orienta son art vers la recherche d’une plus grande unité de l’espace et d’un meilleur rendu des figures en mouvement, fournit les cartons de l’Histoire de Josué , de celle de Saint Paul et des Sept Péchés capitaux . Jean Vermeyen chanta dans un décor de cariatides et de jardins les amours de Vertumne et Pomone et retraça avec un remarquable sens décoratif les principaux faits de la Conquête de Tunis (tissée de 1549 à 1554 pour Charles Quint). Michel Coxcie, le «Raphaël flamand», s’inspira des fresques du maître romain pour réaliser les cartons de l’Histoire de Psyché et donna les modèles de l’Histoire de Noé (tissée pour le roi de Pologne Sigismond-Auguste). Le peintre maniériste Stradanus, qui s’était établi à Florence vers 1550, fournit quant à lui un grand nombre de cartons à la manufacture de Cosme de Médicis. Pieter de Witte, qui germanisa son nom en Peter Candid à Munich, après l’avoir italianisé en Pietro Candido lors de son séjour à Florence, livra au début du siècle suivant à la manufacture de Maximilien Ier de Bavière les cartons d’une Histoire d’Othon de Wittelsbach et ceux d’une suite des Mois qui portent encore profondément la marque de l’influence qu’exerça sur ce peintre le maniérisme florentin.
En France, l’italianisme et le goût de l’ornement transparaissent également. Jean Cousin donna les cartons de l’Histoire de saint Mammès (commandée en 1543 par le cardinal de Givry et tissée par les liciers parisiens Pierre Blasse le Père et Jacques Langlois); ceux de l’Histoire de Diane (destinée à Diane de Poitiers) sont attribués tantôt à Cousin, tantôt à Lucas Penni. Puisant leur inspiration dans des compositions d’Antoine Caron, des peintres réalisèrent des cartons de tentures célèbres, dont ceux de l’Histoire d’Artémise , exécutés par Henri Lerambert à partir des illustrations d’un poème de Nicolas Houel à la gloire de Catherine de Médicis, et ceux des Fêtes des Valois , brossés par le Flamand Lucas de Heere, qui travailla quelque temps à Fontainebleau (la seconde tenture fut tissée à Bruxelles entre 1582 et 1585, tandis que la première le fut à Paris au début du XVIIe siècle); à Caron et Laurent Guyot sont encore donnés les projets de l’Histoire de Coriolan . Enfin, c’est avec des modèles fournis par des peintres encore maniéristes de la seconde école de Fontainebleau, mais qui subirent une forte influence nordique (Histoire de Diane d’après Toussaint Dubreuil), que s’achève cette période durant laquelle l’art de la tapisserie sut habilement conjuguer la maîtrise technique flamande au style pictural italien.
Baroque et classicisme: le XVIIe siècle
Bruxelles, qui avait été le haut lieu de la tapisserie au XVIe siècle, dut céder sa suprématie aux manufactures françaises au siècle suivant. Les tapissiers anversois, qu’avaient rejoints des liciers émigrés de la capitale du Brabant, proposaient une production abondante, mais qui n’était pas toujours de grande qualité. En Hollande, le principal centre de tissage était Delft.
En 1597, Henri IV ouvrit un atelier dans la maison professe des jésuites au faubourg Saint-Antoine, à Paris. Cette fabrique fut transférée rue des Tournelles, en 1606, puis au Louvre, en 1608; Maurice Dubout, licier qui venait de la Trinité, s’y installa au côté de Gérard Laurent. Charles de Comans et Raphaël de La Planche succédèrent à leur père, mais ils se séparèrent en 1633: Comans resta au faubourg Saint-Marcel, tandis que La Planche s’installait au faubourg Saint-Germain. La production, abondante et de qualité, était particulièrement appréciée. En 1662, Colbert rassembla en un même lieu, à Paris, sur les bords de la Bièvre, les divers ateliers de la capitale (et celui que Fouquet avait établi à Maincy, en 1660), créant ainsi la Manufacture royale des Gobelins, à la tête de laquelle il nomma Charles Le Brun, le premier peintre du roi, comme directeur artistique. Cependant, en 1694, les difficultés financières du Trésor entraînèrent la fermeture de la manufacture pour une durée de cinq ans. En 1664, Colbert fonda la Manufacture royale de Beauvais, qui fut placée sous la direction de Louis Hinard, marchand tapissier parisien, natif de Beauvais, auquel succéda, en 1684, l’Audenardais Philippe Behagle qui eut le mérite d’élargir le choix des modèles en faisant tisser des compositions nouvelles, plus amples que celles qui avaient été entreprises jusque-là, pleines de variété et de fantaisie. Cependant, après la mort de Behagle (1704), la manufacture de Beauvais connut une période difficile qui ne devait prendre fin qu’en 1726 lorsque la fabrique fut dotée d’un peintre qui n’était autre que Jean-Baptiste Oudry. Les ateliers d’Aubusson et de Felletin, établis sur les bords de la Creuse depuis le milieu du XVe siècle, reçurent une véritable réglementation lorsque Louis XIV remit à l’ensemble des fabriques le titre de Manufacture royale (rappelons qu’aucune pièce ne peut être attribuée avec certitude à ces fabriques avant le début du XVIIe siècle). Fournisseurs des ecclésiastiques de province, de la petite noblesse, des marchands et des bourgeois aux revenus modestes, les Aubussonnais furent durement éprouvés par la révocation de l’édit de Nantes: nombre de liciers convertis à la religion réformée furent contraints d’émigrer, trouvant refuge dans les cours étrangères, principalement germaniques, où ils dirigèrent des manufactures (les Barraband à Berlin, les Deschazeaux à Erlangen, les Peux à Schwabach, etc.).
Ce fut à un tapissier français, Jacques de La Rivière, que fit appel en 1627 le cardinal Francesco Barberini, neveu du pape Urbain VIII, pour diriger la manufacture qu’il venait de fonder à Rome; cette fabrique ne peut cependant imposer sa production de qualité et ferma en 1679.
Succédant à l’art de la Renaissance, l’art baroque marqua la tapisserie de son style. Pierre-Paul Rubens donna les cartons des plus belles tentures bruxelloises qui se prêtent à merveille pour transcrire la sublime expression du caractère épique de ses compositions: l’Histoire de Decius Mus (1617), le Triomphe de l’Eucharistie (1625-1627), entreprise gigantesque au lyrisme coloré commandée par l’archiduchesse Isabelle, fille de Philippe II d’Espagne et gouvernante des Pays-Bas, pour le couvent des Clarisses à Madrid, et l’Histoire d’Achille (1630-1632). En outre, le Maître d’Anvers créa un habile effet de trompe-l’œil en intégrant le champ narratif des tapisseries dans de puissants ensembles architectoniques, au lieu de les border comme ses prédécesseurs de simples encadrements à décor végétal. Rubens fut suivi par son disciple, Jacob Jordaens, qui livra les modèles de l’Histoire d’Ulysse , des Scènes de la vie champêtre , qui louent les agréments de l’existence rustique, de la chasse, de la table et des jeux amoureux. Jordaens fit également des projets pour une Histoire d’Alexandre le Grand , l’un des sujets les plus répandus que l’on puisse trouver en tapisserie, ceux d’un ensemble sur les Proverbes , d’une Histoire de Charlemagne et enfin de la tenture intitulée le Manège , sujet assez rare qui montre différentes figures qu’exécutent le cheval et son cavalier. Enfin, David Téniers inspira des modèles de tentures qui portèrent son nom dès le XVIIe siècle: les Ténières ; ces pièces, montrant des scènes de la vie villageoise, connurent un succès certain jusqu’à la fin du siècle suivant (elles furent tissées dans tous les ateliers européens).
Si les tapisseries parisiennes rivalisaient en qualité avec celles de Bruxelles, leurs modèles étaient encore tributaires du style de la fin du XVIe siècle. En 1622, pour obtenir une tenture au goût du jour, Louis XIII avait dû faire appel à Rubens (l’Histoire de Constantin , tissée dans l’atelier du faubourg Saint-Marcel et offerte par le roi au cardinal Barberini en 1625). Mais, tout génial qu’il fût, le grand artiste flamand ne pouvait servir plus longtemps la cour, car s’imposait alors la nécessité d’un artiste français capable d’exécuter des cartons qui redonneraient à l’art des lices son caractère national. Simon Vouet allait être le rénovateur de la tapisserie française au cours du deuxième quart du XVIIe siècle. Appelé spécialement d’Italie pour décorer les appartements royaux, il rentra à Paris en 1627, et l’un de ses premiers travaux fut de fournir les modèles de la tenture de l’Ancien Testament destinée au palais du Louvre. Ses compositions amples, vivement colorées, dans lesquelles les figures, aux attitudes parfois solennelles, sont empreintes de délicatesse, s’accordent à merveille avec les possibilités décoratives de la tapisserie. Puis les galeries et les décors peints qu’il avait entrepris pour des résidences de la noblesse servirent de modèles à au moins trois autres tentures: l’Histoire de Renaud et Armide , les Travaux d’Ulysse et l’Histoire de Théagène et Chariclée . Eustache Le Sueur poursuivit l’œuvre de son maître en donnant les modèles du Songe de Polyphile (16371644). Il commença l’Histoire de saint Gervais et de saint Protais , la principale tenture du milieu du siècle qui fut achevée par Philippe de Champaigne, Sébastien Bourdon et Thomas Goussé (1651-1661), tissée dans l’atelier du Louvre. Champaigne brossa également, avec Charles Poerson et Jacques Stella, les quatorze tableaux de la Vie de la Vierge (1635-1657), œuvre réalisée pour Notre-Dame de Paris.
Au moment où il définissait le style du Grand Siècle, Charles Le Brun entreprit de grandes compositions épiques à la gloire de Louis XIV pour la décoration des demeures royales: l’Histoire d’Alexandre , allusion à peine masquée à la grandeur du Roi-Soleil (tenture qui fut par la suite reprise dans les ateliers d’Aubusson et de Bruxelles), l’Histoire du roi , qui retrace en quatorze panneaux les épisodes les plus glorieux de la vie du monarque, et les Maisons royales , qui chantent avec lyrisme la magnificence de la cour. Au début du XVIIIe siècle, Charles-Antoine Coypel et Jean Jouvenet prolongèrent l’art de Le Brun en fournissant les modèles de l’Ancien Testament pour le premier (1710) et du Nouveau Testament pour le second (1711). Jean Ier Bérain fut le créateur d’un style original, qui renouvelait le thème traditionnel des grotesques et annonçait le goût nouveau. Il livra les modèles des Triomphes marins (tissés pour le comte de Toulouse), dans lesquels les divinités marines prennent place dans un véritable décor d’opéra. Il inspira à Jean-Baptiste Monnoyer les modèles de la superbe tenture des Grotesques à fond jaune ou tabac d’Espagne, appelée bien souvent encore les Grotesques de Bérain. Claude III Andran, le plus important continuateur de Bérain, dessina, dès la réouverture des Gobelins, des compositions nouvelles, pleines de fantaisies: les Nouvelles Portières des dieux (1699) et les Mois grotesques (1709). Enfin, l’art de Bérain influença des tapissiers huguenots d’Aubusson, émigrés après la révocation de l’édit de Nantes, qui tissèrent également des Grotesques .
En Italie, Pierre de Cortone, le maître du baroque romain des années 1630, donna des modèles à la manufacture de la ville éternelle, de même que Giovanni Francesco Romanelli, qui fut à ses débuts son collaborateur (Vie du Christ ). En Angleterre, c’est un peintre allemand au talent médiocre, Francis Klein, qui livra les cartons les plus originaux à la manufacture de Mortlake ; l’essentiel de la production de cette fabrique consista en des reprises des modèles de Raphaël, de Mantegna et de Rubens.
Le XVIIIe siècle
La précellence des manufactures françaises établie au cours du XVIIe siècle allait se prolonger au siècle suivant, période pendant laquelle l’art français allait rayonner dans toute l’Europe.
L’organisation des ateliers français était le modèle incontesté. Des liciers français exercèrent leur art dans plusieurs pays d’Europe. Nous avons déjà mentionné l’émigration des tapissiers huguenots d’Aubusson dès la fin du XVIIe siècle. Josse Bacor, ancien apprenti des Gobelins, établit, avec Sigisbert Mangin, un atelier à Luneville qui fut ensuite transféré à la Malgrange où, depuis les dernières années du XVIIe siècle, Charles Mité dirigeait l’un des deux principaux ateliers de Lorraine (l’autre étant celui de Nicolas et Pierre Durand à Nancy). En 1716, Pierre le Grand fonda une manufacture à Saint-Pétersbourg, où il plaça une équipe de liciers des Gobelins. Deux ans plus tard, d’autres tapissiers des Gobelins travaillaient à Munich.
Dans les Flandres, le déclin de l’industrie de la tapisserie entraîna le départ de liciers qui trouvèrent à s’employer à l’étranger. Une colonie s’installa dans le quartier londonien de Soho. Johann Thomas fut le premier directeur de la manufacture des princes-évêques de Würzburg. Des Flamands travaillèrent encore à la Real Fabrica de tapices de Santa Barbara à Madrid, fondée en 1720 par le roi Philippe V. Cette manufacture atteignit d’honorables résultats, surtout au cours de la seconde moitié du siècle, lorsqu’elle fut dirigée par Raphaël Mengs.
En Italie, la manufacture des Médicis ne devait pas survivre après l’extinction, en 1737, de la dynastie qui l’avait créée près de deux siècles auparavant. Victor Demignot, qui en dirigeait alors les ateliers, fut appelé, avec quelques-uns de ses liciers, à Turin, où Charles Emmanuel III de Savoie venait de fonder une manufacture afin de confectionner des tapisseries destinées à la décoration des appartements royaux. Une production plus modeste tomba des métiers de la fabrique installée à Rome en 1710 dans l’hospice de San Michele a Ripa par le pape Clément XI Albani et qui fut dirigée de 1717 à 1760 par Pietro Ferloni, ainsi que dans celle qui était établie à Naples dès 1739 par Charles de Bourbon, dans laquelle vinrent travailler de nombreux artisans auparavant à Florence.
Aux Gobelins, Charles Parrocel dessina les modèles de l’Histoire du roi Louis XV , encore appelée l’Ambassade turque , Oudry livra les cartons extrêmement soignés des Chasses royales de Louis XV , et Jean François de Troy esquissa avec brio l’Histoire d’Esther et celle de Jason . Si de grandes suites historiées furent entreprises, la grâce des personnages, l’harmonie des paysages et des architectures conférèrent un sentiment décoratif qui l’emporta sur les pensées élevées exprimées dans les compositions de l’époque précédente. Le goût changea, la fantaisie et le sensualisme se substituèrent aux nobles élans. Oudry fit de la manufacture de Beauvais son «royaume», selon l’expression de Voltaire. Il adopta les thèmes qui lui étaient familiers, comme les Chasses nouvelles ou les Verdures fines , qu’il traita avec réalisme. À partir des compositions de Watteau, il renouvela la pastorale en dessinant les Amusements champêtres . Il aborda également des sujets tirés de la littérature en traduisant les Métamorphoses d’Ovide , les Comédies de Molière et les Fables de La Fontaine . Puis il passa le relais à Boucher qui, avec virtuosité, déploya alors son talent en de vastes décors ravissants. Que ce fut dans les Fêtes italiennes , l’Histoire de Psyché , la Tenture chinoise , les Amours des dieux ou la Noble Pastorale , la tapisserie prit un air de fête. L’ornement s’imposa aux Gobelins dans les somptueux alentours, imaginés par Blain de Fontenay, Claude III Audran et Louis Tessier, et qui encadrent les vingt-huit tableaux de l’Histoire de Don Quichotte de Coypel; et il triompha dans les Tentures de Boucher , où les amours des dieux se combinent admirablement avec le décor raffiné des alentours de Maurice Jacques. Par ses thèmes joyeux, son coloris splendide et éclatant, la tapisserie fut en parfaite harmonie avec l’esprit de la société du XVIIIe siècle tout pénétré d’adaptations décoratives. En proposant leurs modèles, les peintres de cette époque donnèrent à la tapisserie le moyen d’honorer ses intentions premières, à savoir de réjouir et d’enchanter.
L’art français transparaît dans les créations des autres manufactures européennes. Des cartons français furent mis sur le métier à Saint-Pétersbourg. Le tapissier anglais Joshua Morris confectionna des tentures décoratives aux motifs largement inspirés par le goût français, et le licier Charles Vigne, à Berlin, tissa des compositions dans lesquelles on relève des emprunts à des gravures d’après Watteau et Lancret. En Italie, Guiseppe Bonito brossa, pour les ateliers napolitains, des cartons d’une Histoire de Don Quichotte qui plagient ceux qui furent livrés par Coypel aux Gobelins; Claude Beaumont donna des modèles, dans lesquels il allia la monumentalité des compositions de Le Brun aux raffinements des formes et à la luminosité des teintes chères au goût rococo de l’art de la cour de Turin. Ce fut toutefois en Espagne que des créations beaucoup plus originales virent le jour grâce à l’heureuse contribution qu’apporta Francesco Goya à l’art de la tapisserie: entre 1776 et 1791, cet artiste brossa quarante-cinq compositions d’une grande fraîcheur de coloris dans lesquelles la vie madrilène, scrupuleusement observée, est décrite avec beaucoup de fantaisie et de légèreté (la Novillada , la Danse sur les bords du Manzanares , l’Ombrelle , le Colin-Maillard , le Pantin , etc.). Avec les tentures de Goya sonnèrent toutefois les derniers accords des airs de fête de l’art des lices, car la mode des boiseries et du papier peint devait bannir la tapisserie des appartements modernes pendant la première moitié du XIXe siècle.
La tapisserie contemporaine
Le XIXe siècle: les prémices du renouveau
La nouvelle répartition des fortunes et la crise que traversaient les métiers d’art depuis la tourmente révolutionnaire française entraînèrent la fermeture de la plupart des ateliers en Europe. Une modeste production se maintint en France, car Napoléon avait eu pour dessein de faire de la tapisserie le principal ornement des maisons impériales, à laquelle il faut ajouter la fabrication de garnitures de meubles et de tapis, qui contribua à sauver de la ruine les ateliers de Beauvais et d’Aubusson. Au cours de la seconde moitié du siècle, la tapisserie retrouva peu à peu le prestige dont elle avait joui au cours des périodes précédentes. En France, sous la IIIe République, la production fut abondante, la tapisserie retrouvait une noble place dans le décor des édifices publics. Le gouvernement et les administrations communales belges commandèrent des tapisseries aux ateliers Braquenié et Cie établis à Malines. En Angleterre, William Morris proposa à l’Église et à quelques riches amateurs des tapisseries exécutées dans la manufacture qu’il avait fondée à Merton Abbey. En Scandinavie et en Allemagne, des associations fortement attachées aux traditions de l’artisanat populaire œuvrèrent à la restauration de la fabrication de tapisserie.
Durant la première moitié du siècle, le recours à de médiocres cartons et surtout l’emploi de procédés techniques tendant à traduire en laine et soie les effets de la peinture entraînèrent la tapisserie dans une impasse, d’où s’efforcèrent de la sortir diverses tentatives faites dans plusieurs pays d’Europe. En France, Jules Guiffrey énonça, avant même d’être chargé de l’administration des Gobelins en 1893, les principes qui étaient nécessaires à la réalisation des tapisseries, dont l’abandon de la copie de tableau, la création de nouveaux modèles dans lesquels devait dominer l’élément décoratif, la simplification du modelé en appliquant l’ancien système de hachures, la réduction des couleurs au plus petit nombre d’éléments. Des cartons de Steinhel (Sainte Agnès ), de Gustave Moreau (La Sirène et le Poète ), de Georges Rochegrosse (La Conquête de l’Afrique ) furent mis sur le métier pour susciter des «vocations» de cartonniers. En Angleterre, William Morris eut recours à des principes de tissage proches de ceux qui sont définis par l’administrateur français.
Le retour à un style sévère, qui apparut dès le XVIIIe siècle dans des œuvres tissées dans l’atelier de Turin et à la manufacture des Gobelins, devint de règle au début du XIXe siècle. À ces œuvres, d’un style néo-classique on ne peut plus mal adapté aux intentions décoratives de l’art de la tapisserie, succédèrent quelques ensembles «troubadour» plus heureux (tenture à la gloire de la monarchie française pour la salle du trône des Tuileries, d’après des modèles de Georges Rouget), puis des tapisseries marquées par l’historicisme (celles qui furent réalisées sous le second Empire pour décorer quatre salles de l’étage principal de l’Élysée). Le renouveau gothique qui s’opère au cours de la seconde moitié du siècle allait marquer l’art de la tapisserie. En France, des peintres officiels, tels que Jean-Paul Laurens (l’Histoire de Jeanne d’Arc , la Descente de tournoi ) ou François Ehrmann (tenture pour la Bibliothèque nationale) donnèrent des modèles qui reflètent les recherches de la peinture de cette époque vers la simplification linéaire et vers une réduction des effets de perspective. Cependant, les tapisseries réalisées d’après ces cartons ne donnèrent pas les résultats escomptés, bien que les peintres se soient appliqués à mettre en pratique les recommandations de Guiffrey. En Angleterre, en revanche, les productions de Merton Abbey connurent un brillant succès durant le dernier quart du siècle. Morris essaya de retrouver ce qui faisait, selon lui, la valeur des œuvres du Moyen Âge. Il exécutait, avec son collaborateur Henry Dearle, les fonds des compositions, tandis qu’il demandait au peintre préraphaélite Burne-Jones les dessins des figures (l’Adoration des mages , les Angeli laudantes , la tenture du Sacré Graal ); l’engouement pour ces tapisseries cessa cependant peu après la mort de Morris et de Burne-Jones. Avant même le début du XXe siècle, Paul-Élie Ranson et Aristide Maillol donnèrent, en France, des cartons d’un goût nouveau, de même que Gerhard Munthe et Frida Hansen dans les pays scandinaves; en Allemagne, le Jugendstil s’intéressa à la tapisserie, annonçant déjà la voie de la «nouvelle tapisserie» des années 1960. Ce qu’il est convenu d’appeler la «renaissance» de la tapisserie, qui n’explosa au grand jour qu’un demi-siècle plus tard sous l’effet catalyseur d’un Jean Lurçat, était amorcé.
Dès le début du XXe siècle, la tapisserie fut associée au renouveau des arts décoratifs: elle trouva une place honorable dans les décors intérieurs conçus par la Compagnie des arts français et le groupe Jansen. Par ailleurs, des tentatives dignes d’intérêt pour renouveler l’art de la tapisserie prolongèrent les heureuses expériences menées à la fin du siècle précédent. Marius Martin, directeur de l’École des arts décoratifs d’Aubusson de 1917 à 1930, s’évertua à convaincre les artisans d’abandonner la copie de tableaux pour mettre en pratique les principes de tissage expressif définis au siècle dernier; en Allemagne, les ateliers de Munich et de Nuremberg employèrent également cette méthode dans les années 1920, mais la tapisserie fut surtout considérée comme un art appliqué dans ce pays: les expériences du Bauhaus, à Weimar tout d’abord, puis à Dessau, s’attachèrent plus particulièrement à des recherches de formes, de couleurs et de matières (ces dernières, reprises ensuite en Suisse, aux Pays-Bas et aux États-Unis, annoncent déjà les expériences textiles des années 1960). Vers 1925-1930, Marie Cuttoli se comportant en mécène fit tisser des tableaux de quelques-uns des plus grands peintres vivants (Braque, Picasso, Dufy, Miró, Derain, Matisse...). Tirant les enseignements des expériences tentées depuis la seconde moitié du XIXe siècle, les peintres, tels que Marc Saint-Saëns et Jean Picard Le Doux, se rassemblèrent autour de Jean Lurçat pour fonder en 1947 l’Association des peintres-cartonniers de tapisserie ; Denise Majorel, directrice de la galerie La Demeure, à Paris, joua un rôle majeur dans la diffusion de la tapisserie contemporaine.
La tapisserie était alors conçue comme étroitement liée à la surface du mur: toute perspective était interdite; les tons employés devaient être francs et limités en nombre. Lurçat prôna l’usage du carton numéroté, ce que d’autres artistes récusèrent, car ce procédé d’élaboration, qui remplace les couleurs par des numéros, contraignait le licier à une exécution servile. En revanche, par les adaptations d’œuvres de Picasso, de Le Corbusier, d’Hajdu qu’il réalisa, Pierre Beaudouin illustra parfaitement le rôle d’interprète entre la maquette et l’œuvre finale qu’est le cartonnier. Le Corbusier s’intéressa à la place de la tapisserie dans le décor intérieur. La tapisserie prit donc un essor considérable au cours du siècle. L’action des peintres-cartonniers eut un écho en Belgique, où les peintres Edmond Dubrunfaut, Louis Deltour et Roger Somville créèrent le groupe Forces murales qui contribua également au renouveau du décor mural. En France, si Aubusson fut le lieu d’où démarra la «renaissance» de la tapisserie, les Gobelins et Beauvais ne cessèrent pas pour autant d’exister (les métiers de cette dernière, ayant été installés aux Gobelins après la Seconde Guerre mondiale, sont retournés à Beauvais au début des années 1990); des ateliers de moindre importance virent également le jour (Jacqueline de La Baume-Dürbach, Pierre Daquin...).
Dès le début du siècle, Gustave Geoffroy, administrateur des Gobelins, avait tenté de renouveler les cartons. Puis Marcel Gromaire s’intéressa un temps à l’art de la tapisserie, au côté de Lurçat. Ce dernier donna le ton du renouveau en proposant des thèmes glorifiant la nature et l’homme (Chant du monde , musée de la Tapisserie et de Jean Lurçat, Angers). Parallèlement, l’art abstrait se nouait à la tapisserie grâce aux jeux des rythmes et des couleurs des compositions de Prassinos, Wogensky, Dewasne. Les grands artistes du siècle fournirent également des maquettes: Matisse (Polynésie ), Picasso, Mathieu...; Paul Foujino, Jean-Pierre Pincemin et François Rouan ont donné des modèles pour des tapisseries tissées aux Gobelins et à Beauvais à la fin des années 1980 et destinées à orner le nouveau ministère des Finances de Bercy construit par l’architecte Paul Chemetov.
Toutefois, l’instauration de la biennale de Lausanne par les peintres-cartonniers dans les années 1960 donna naissance à la nouvelle tapisserie qui s’écarta avec audace des principes de conception et d’élaboration de la tapisserie traditionnelle. Des recherches de matières et de volumes caractérisent cet art nouveau dont les préoccupations relèvent du domaine des arts appliqués, voire de la sculpture. La nouvelle tapisserie s’éloigne encore de la tapisserie traditionnelle, car elle perd son caractère propre d’«habit du mur» et n’a plus à sa source une esquisse peinte; ce dernier point avait été abandonné par les expériences du Bauhaus, puis par celles de la Polonaise Magdalena Abakanowicz. Sheila Hicks, qui compte parmi les créateurs les plus fertiles de cette nouvelle forme d’art, au développement cohérent et particulièrement bien représentée aux États-Unis et au Japon, tend toutefois à revenir vers des tissages plus traditionnels.
tapisserie [ tapisri ] n. f.
1 ♦ Tenture d'ameublement, généralement faite de tapisserie (2o ou 4o); tissu dont elle est faite. « Une petite porte battante, masquée par une tapisserie » (Musset).
♢ Loc. fig. L'envers de la tapisserie : la réalité cachée derrière une apparence flatteuse (cf. L'envers du décor, le revers de la médaille). — Faire tapisserie : être le long du mur, sans bouger. « Les maîtres d'hôtel et les valets vont faire tapisserie » (R. Pinget). Spécialt Ne pas être invitée à danser, dans un lieu où l'on danse.
2 ♦ Ouvrage d'art en tissu, effectué au métier, dans lequel le dessin résulte de l'armure même et qui est destiné à former des panneaux verticaux; un de ces panneaux. Tapisserie de haute lice, de basse lice. Carton de tapisserie : œuvre d'art d'après laquelle la tapisserie est exécutée. Tapisseries des Flandres. Tapisseries des Gobelins, de Beauvais, d'Aubusson. — Abusivt La tapisserie de Bayeux est une broderie.
♢ Par ext. Art de ces ouvrages; ces ouvrages. « la tapisserie est un art perdu » (Goncourt).
3 ♦ (1820) Papier peint tendu sur les murs. La tapisserie se décolle. Refaire la tapisserie d'une pièce.
4 ♦ Ouvrage de dame à l'aiguille, dans lequel on recouvre entièrement un canevas avec des fils de laine, de soie, de coton, suivant le tracé d'un dessin. Faire une tapisserie. Une tapisserie au point de croix. « Des pantoufles de tapisserie » (Gautier). Bergères recouvertes de tapisserie.
♢ L'art de fabriquer ces ouvrages. Points de tapisserie. Métier à tapisserie : cadre mobile sur lequel est tendu le canevas. « Ma vocation pour la tapisserie [...] n'est pas récente » (Colette).
● tapisserie nom féminin (de tapis) Ouvrage textile exécuté à l'aiguille sur un canevas à points comptés et suivant le tracé d'un dessin. (Appelé également tapisserie à l'aiguille ou au petit point.) Ouvrage textile tissé manuellement sur un métier de haute ou de basse lisse, dont le décor est produit par les jeux d'une trame de fils colorés couvrant entièrement la chaîne, et le plus souvent destiné à être tendu sur un mur. Tout ouvrage textile destiné au décor mural, quelle que soit sa technique (tissage, broderie, application, etc.). Papier peint ou tissu tendu sur les murs. Art du lissier, ou de la personne qui travaille sur canevas. Métier du tapissier. ● tapisserie (expressions) nom féminin (de tapis) Faire tapisserie, ne pas être invité(e) à danser ; rester à sa place en étant réduit(e) à un rôle décoratif.
tapisserie
n. f.
d1./d Pièce d'étoffe utilisée comme décoration murale, tenture de tapisserie (sens 2 ou 3).
— Loc. fig. Faire tapisserie: rester le long du mur sans bouger. (Se dit partic. d'une jeune fille, d'une jeune femme que, dans un bal, l'on n'invite pas à danser.)
|| Par ext. Ce qui tapisse un mur (papier peint collé, tissu agrafé, etc.).
d2./d Ouvrage tissé au métier à main, et dans lequel le dessin résulte de la façon dont les fils de trame (duites) sont entrecroisés avec les fils de chaîne; grande pièce d'un tel ouvrage. Tapisseries de haute lisse, de basse lisse. Carton de tapisserie: V. carton (sens 3).
|| Art de la fabrication de tels ouvrages.
d3./d Ouvrage à l'aiguille, broderie effectués d'après un dessin tracé sur un canevas. Fauteuil recouvert de tapisserie.
|| Art de la confection de tels ouvrages.
⇒TAPISSERIE, subst. fém.
A. — 1. Panneau d'étoffe ouvragé que l'on pose le long des murs. Cette demeure n'était pas celle d'un cénobite qui a renoncé aux pompes mondaines. Elle comportait huit grandes pièces fastueuses, tendues de tapisseries, bourrées de meubles précieux (T'SERSTEVENS, Itinér. esp., 1963, p. 242):
• Le plafond étoit marqueté de vieilles armoiries peintes, et les murs couverts de tapisseries à grands personnages, qui sembloient suivre des yeux le chevalier, et qui servoient à cacher des portes secrètes. Vers minuit, on entendoit un bruit léger, les tapisseries s'agitoient, la lampe du paladin s'éteignoit, un cercueil s'élevoit auprès de sa couche.
CHATEAUBR., Génie, t. 2, 1803, p. 491.
— P. métaph. Le blanc cottage était assis au fond d'une petite vallée fermée de montagnes suffisamment hautes; il était comme emmailloté d'arbustes qui répandaient une tapisserie de fleurs sur les murs (BAUDEL., Paradis artif., 1860, p. 420).
2. Au fig.
a) Loc. subst., vieilli. L'envers de la tapisserie. L'aspect caché de quelque chose. [Eugène Sue] a vu l'envers de la tapisserie brillante de ce brillant règne [de Louis XIV] (BALZAC, Œuvres div., t. 3, 1840, p. 290).
b) Loc. verb.
♦ Vieilli. Être derrière la tapisserie; voir la tapisserie par l'envers. Savoir ce qui se passe derrière ce qui apparaît; connaître les secrets, les rouages des affaires. Nous avons vu de nos jours de ces hommes d'esprit, témoins de tout, consultés sur tout (...) ces hommes-là ont trop vu, trop regardé la tapisserie par l'envers; ils ne prennent les choses ni les personnages bien au sérieux (SAINTE-BEUVE, Caus. lundi, t. 11, 1854, p. 223).
♦ Faire tapisserie. Vieilli. Assister à une réunion sans y prendre part; ne pas participer à une activité, à une discussion collective. L'air parfaitement désintéressé de personnes qui sont là pour faire tapisserie (GOBINEAU, Nouv. asiat., 1876, p. 47). Elle s'appuyait tous les inconnus de passage. Drôle de fille. Détraquée. Souvent (...) elle faisait tapisserie avec les autres, en bas, dans le salon, au lieu de se mêler au cercle qui écoutait Rij déconner (CENDRARS, Bourlinguer, 1948, p. 87). En partic., usuel. [Dans un bal, une réunion dansante; le suj. désigne une femme] Ne pas danser, ne pas être invité à danser. Il y avait plusieurs femmes dont la présence ici était purement incompréhensible: des grosses mères, qui auraient pu tenir un magasin de confections ou un pensionnat, une vieille fille en crème qu'on aurait imaginé faisant tapisserie dans un bal de sous-préfecture (ARAGON, Beaux quart., 1936, p. 397). P. anal. Mon vieux, vous verrez que même les femmes nous lâcheront! Le capitaine de hussards fera tapisserie au bal de la sous-préfecture! (VERCEL, Cap. Conan, 1934, p. 182).
B. — 1. Ouvrage d'art destiné à la décoration murale, composé de panneaux tissés à la main sur métier avec de la laine, de la soie, de l'or, qui se distingue de la broderie en ce que les tableaux et sujets représentés sont intégrés dans la trame même du tissu; un de ces panneaux. Tapisserie tissée sur un métier de haute, de basse lisse; tapisserie historiée, à ramages, à verdure(s); tapisserie gothique; tapisserie de Bayeux, de Beauvais, de Flandre, d'Aubusson, des Gobelins; carton de tapisserie; suite de tapisseries. Les tapisseries de haute-lice, dont on travaille les peintures à l'envers, jusqu'à ce que mises en place on en puisse juger l'effet (STAËL, Allemagne, t. 5, 1810, p. 94). Jamais les Gobelins n'ont produit tapisseries plus laides que les deux pièces représentant l'empereur et l'impératrice, d'après un carton de Winterhalter (KUNSTLER, Art XIXe s. Fr., 1954, p. 33).
— P. méton. Art de tisser à la main sur métier, pour faire une tapisserie; tissu qui résulte de cet art. Des portraits de peintres, exécutés aux Gobelins en tapisserie, décorent les murailles [de la galerie d'Apollon] encastrés dans de riches ornements (GAUTIER, Guide Louvre, 1872, p. 24). Il est bon de comprendre les sévères jugements théoriques d'où partit la réforme actuelle de la tapisserie et, par là, son extraordinaire renaissance (CASSOU, Arts plast. contemp., 1960, p. 677).
— P. métaph. Je ne me rappelais pas qu'à travers tous les songes de toutes les religions le fil d'or catholique courût si visiblement dans la trame de la tapisserie nervalienne (MAURIAC, Mém. intér., 1959, p. 37).
2. P. anal. Ouvrage exécuté à l'aiguille dans lequel on recouvre entièrement de fils (de laine, de coton, de soie,...) un canevas; tissu qui résulte de cet ouvrage. Tapisserie au gros, au petit point; faire une tapisserie. Ces tapisseries au canevas que ma mère brodait avec patience et régularité durant nos veillées (LACRETELLE, Silbermann, 1922, p. 174). C'était, avec son cabas de tapisserie et son châle jaune d'or, une de ses manières de faire la grosse (POURRAT, Gaspard, 1922, p. 185).
♦ Métier à tapisserie.
♦ Loc. adj. De/en tapisserie. Qui est recouvert en tapisserie. Bergère, fauteuil, prie-dieu, tabouret de/en tapisserie; coussin, sac de/en tapisserie. Au sortir de la messe, on le voyait sur sa porte avec de belles pantoufles en tapisserie (FLAUB., Mme Bovary, t. 1, 1857, p. 47). Sur le banc, était posée une valise de tapisserie à ramages, passée et déchirée (ARAGON, Beaux quart., 1936, p. 251).
— P. méton.
♦ Art d'exécuter à l'aiguille une tapisserie. — Vous ne savez rien faire comme travail manuel?... — Si... de la tapisserie, du filet, du crochet... je brode aussi (GYP, Souv. pte fille, 1928, p. 121).
♦ Canevas sur lequel les petites filles apprennent à faire de la tapisserie. Nous rentrons pour l'assommante leçon de travail à l'aiguille. Je prends ma tapisserie avec dégoût (COLETTE, Cl. école, 1900, p. 87).
3. P. ext.
a) Tenture murale imprimés ou incrustés sur toile ou composée de panneaux, exécutée sur des métiers mécaniques. Les habitants, catholiques, protestants ou juifs, étaient forcés de tendre leurs maisons de tapisseries, de fleurs et de feuilles (ERCKM.-CHATR., Hist. paysan, t. 1, 1870, p. 469). Les tapisseries de son ancienne chambre furent tendues dans la salle à manger (MAUPASS., Une Vie, 1883, p. 238).
b) Papier peint utilisé pour tapisser les murs des habitations. Le portrait de mon père en grand uniforme et celui de ma mère en robe de cachemire pendent au mur sur une tapisserie de papier à ramages verts (A. FRANCE, Bonnard, 1881, p. 463). Je connais les dahlias imprimés de la tapisserie de la chambre d'hôtel, au Havre, où je descends quand on repeint le Mirmidon (AUDIBERTI, Quoat, 1946, 1er tabl., p. 40).
Prononc. et Orth.:[]. Att. ds Ac. dep. 1694. Étymol. et Hist. [1347 d'apr. BL.-W.1-5 sans indication de sens] 1. a) 1379 « grand ouvrage fait au métier avec de la laine, de la soie... et servant à revêtir les murailles d'une salle » (Invent. du mobilier de Charles V, éd. J. Labarte, n° 3703, p. 379); cf. 1393 (Ménagier, éd. G. E. Brereton et J. M. Ferrier, p. 188, ligne 24); d'où ) 1671 fig. être derrière la tapisserie (Mme DE SÉVIGNÉ, Corresp., éd. R. Duchêne, t. 1, p. 244); ) 1806 faire tapisserie « (d'une femme) ne pas être invitée à danser » (PICARD, Manie de briller, II, 14 ds LITTRÉ); 1837 id. plus gén. « assister à une réunion sans y prendre part » (BALZAC, C. Birotteau, p. 192); b) 1549 « toute pièce de tissu ou d'autre matière que l'on tendait sur les murs » tapisserie de marriquin d'Espagne (Invent. Château d'Annecy, 64 ds IGLF); cf. 1596 tapisserie de cuyr doré (XVIIIe Compte de Christophe Godin, conseiller et receveur général de Philippe II ds HAVARD); 2. 1462 « art de tapisser » (27 juill., Reg. aux public., 1457-1465, Des sargeurs, A. Tournai ds GDF. Compl.); 3. 1690 « ouvrage fait à l'aiguille avec de la laine, de la soie... » tapisserie ... au petit point (FUR.); 4. 1820 tapisserie de papier (LAV.); cf. 1836 changer le papier de la tapisserie (GOZLAN, Notaire, 1836, p. 217). Dér. de tapis; suff. -erie. Fréq. abs. littér.:912. Fréq. rel. littér.:XIXe s.: a) 981, b) 2 167; XXe s.: a) 1 505, b) 974.
tapisserie [tapisʀi] n. f.
❖
1 a Anciennt. « Pièce d'étoffe ou d'ouvrages, qui sert à parer une chambre, à en cacher les murailles » (Furetière, 1690). ⇒ Tapis (A., 1. : tapis de muraille); tapisser, tapissier. || « On fait… des tapisseries de cuir doré, de brocarts de Venise, de satin de Bruges » (Furetière).
b Mod. Tenture d'ameublement, généralement de tapisserie (2. ou 3.); tissu dont elle est faite. || Baldaquin, portière de tapisserie; une tapisserie.
1 Une petite porte battante, masquée par une tapisserie, s'ouvrit aussitôt comme d'elle-même. L'homme osseux fit un signe obligeant : le chevalier entra, et la tapisserie, qui s'était entr'ouverte, retomba mollement derrière lui.
A. de Musset, Contes, « La mouche », V.
1.1 J'étais habitué à la voir dans cette maison, comme on voit les vieux fauteuils de tapisserie sur lesquels on s'assied depuis son enfance sans y avoir jamais pris garde.
Maupassant, Mademoiselle Perle, Pl., t. II, p. 672.
c ☑ Loc. fig. (V. 1690). L'envers de la tapisserie : la réalité cachée derrière une apparence (cit. 26) trompeuse, flatteuse (→ L'envers du décor, le revers de la médaille). ☑ Être derrière la tapisserie : connaître les dessous d'une affaire, être dans le secret.
♦ ☑ Faire tapisserie, être en tapisserie (vieilli) : être le long du mur, sans bouger.
2 En entendant annoncer monsieur de Soulanges et la comtesse de Vaudremont, quelques femmes placées en tapisserie se levèrent (…)
Balzac, la Paix du ménage, Pl., t. I, p. 1001.
2.1 Les maîtres d'hôtel et les valets vont faire tapisserie derrière la table dressée.
Robert Pinget, Graal flibuste, p. 19.
♦ Faire tapisserie, dans un bal, une réunion dansante, se dit d'une jeune fille, d'une femme qui n'est pas invitée à danser.
3 Un comptoir immense partage en deux la salle, et sept ou huit chiffonnières, habituées de l'endroit, font tapisserie sur un banc opposé au comptoir.
Nerval, les Nuits d'octobre, XV.
♦ (1806). Vieilli. || Faire tapisserie : assister sans y prendre part à une réunion, à une discussion.
2 (1379; sens étroit). Ouvrage d'art en tissu, effectué au métier et manuellement, dans lequel le dessin résulte de l'armure même (et non d'applications) et qui est destiné à former des panneaux verticaux; un de ces panneaux. — On dit aussi, pour distinguer du sens 3, tapisserie au métier. — Tapisserie de haute lice; de basse lice. || Carton de tapisserie : œuvre d'art d'après laquelle la tapisserie est exécutée. || Manufacture de tapisserie des Gobelins. || Tapisseries médiévales (→ Maquiller, cit. 3); tapisseries de la Renaissance (des Flandres, etc.). || Tapisseries des Gobelins, de Beauvais, d'Aubusson. — Champ, sujet d'une tapisserie; tapisserie historiée; à fleurs, à ramages, à « verdures ». || Suite de tapisseries. — Abusivt. || La « tapisserie » de Bayeux est une broderie.
4 (…) j'achèterais une belle tenture de tapisserie de verdure, ou à personnages (…) — (…) Vous vendez des tapisseries, Monsieur Guillaume, et vous avez la mine d'avoir quelque tenture qui vous incommode.
Molière, l'Amour médecin, I, I.
5 Il occupait un vieil et vaste appartement (…) meublé jusqu'aux plafonds de grandes tapisseries des Gobelins et de Beauvais représentant des bergerades; les sujets des plafonds et des panneaux étaient répétés en petit sur les fauteuils.
Hugo, les Misérables, III, II, II.
♦ Art de la couleur, comprenant l'élaboration des cartons et leur exécution manuelle au métier; ensemble des œuvres de cet art. || Histoire de la tapisserie au moyen âge. || Renaissance de la tapisserie au XXe siècle.
6 (…) la tapisserie est un art perdu. Ce n'est plus qu'une laborieuse imitation terne et noire de la peinture. Dans les tapisseries modernes, exposées là, il ne se trouve plus rien de cet art particulier, de cette création conventionnelle, qui faisait des tableaux de laine et de soie, d'après des lois et une optique, qui ne sont ni les lois ni l'optique de la peinture à l'huile.
Ed. et J. de Goncourt, Journal, 14 sept. 1874, t. V, p. 108.
7 L'art de la haute lisse fut pour l'Occident ce que la fresque fut pour l'Italie. Avec le vitrail, c'est peut-être l'expression la plus originale de son génie (…) Dans nos églises, la tapisserie développe (vers le XVe siècle) un tableau de la vie humaine où, de la Création au Jugement dernier, les événements ou les allusions historiques se mêlent aux leçons de l'Évangile (…) Plus que la matière murale, la matière dont elle est faite est chaude et subtile. Elle satisfait ce goût de la chose rare, précieuse, lentement travaillée, qui est au cœur de cette civilisation.
Henri Focillon, l'Art d'Occident, III, II, III.
♦ Par ext. Ouvrage d'art analogue (tentures imprimées d'après un carton original; œuvres formées d'applications sur toile); tenture tissée au métier mécanique (imitant ou non une tapisserie originale). || « Tapisserie » imprimée (De Persine, Cahiers de la tapisserie, no 3).
3 (1690). Ouvrage d'aiguille, dans lequel un canevas est entièrement recouvert par des fils de laine, de soie… — REM. Il s'agit en fait d'une broderie sur canevas, mais le langage courant emploie plutôt broderie lorsque le fond est constitué par un tissu fin (et non un canevas) qui reste en partie apparent. — Faire une tapisserie. ⇒ Tapisser (B.). || Bergères (cit. 1) de tapisserie, recouvertes en tapisserie. || Couvre-pied (cit.), fumeuse (cit.) en tapisserie. || Pantoufles (cit. 2) de tapisserie. — Motifs de tapisserie.
♦ La tapisserie : l'art de fabriquer les ouvrages à l'aiguille. || Points de tapisserie : point de croix (dit point de tapisserie), petit point, demi-point, point des Gobelins, de Hongrie, point d'arête, de natte, de fougère. ⇒ Point (III., 3.). || Métier (cit. 28) à tapisserie : cadre mobile sur lequel est tendu le canevas. || Aiguille, laine à tapisserie. || Faire de la tapisserie (→ Ouvrage, cit. 10).
8 Ma vocation pour la tapisserie (…) n'est pas récente. Ce point naïf comme l'enfance de l'art, je n'ai pas osé en faire l'art de mon enfance.
Colette, l'Étoile Vesper, p. 215.
Encyclopédie Universelle. 2012.