CONCURRENCE
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« C’est seulement grâce au principe de la concurrence que l’économie politique a quelque prétention au caractère scientifique. »John Stuart Mill
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La concurrence économique est l’expression d’une force à l’œuvre dans toutes les sociétés, qui est aussi politique, amoureuse, sportive... Les mêmes hommes qui s’affrontent dans ces divers champs s’affrontent aussi dans l’aire économique. Mais les armes dont ils disposent et les contraintes qu’ils rencontrent varient avec leurs activités, et la concurrence économique mérite une analyse particulière.
Pour l’économiste, la concurrence apparaît à la fois comme cette force, plus ou moins omniprésente, et comme la règle de fonctionnement de certaines sociétés qui voient en elle un mécanisme efficace rendant possible la vie en commun. Ce mécanisme ne va pas sans de nombreuses entraves que lui opposent ceux qui tentent de se soustraire à son action; car, s’il est avantageux de vivre dans un environnement concurrentiel, ceux qui peuvent en profiter sans en supporter les coûts n’hésitent pas à le faire. Il importe donc que la concurrence soit préservée par des institutions adéquates.
Le droit de la concurrence a justement pour rôle la définition des institutions qui permettront le meilleur fonctionnement de la concurrence. Il définit un ensemble de pratiques interdites, considérées soit comme affaiblissement, soit comme excès de compétition (pratiques déloyales). Les entreprises, acteurs principaux de la concurrence, sont les agents les plus surveillés par ce droit. Les pouvoirs publics, par les subventions qu’ils accordent à des entreprises menacées ou les entraves qu’ils peuvent imposer à celles qui prennent certaines initiatives, n’ont pas toujours une action favorable à la concurrence; ils ne sont pourtant que rarement visés par ces institutions, à moins d’être surveillés par une autorité super-étatique comme c’est en partie le cas avec la politique de concurrence de la C.E.E.
1. Aspects économiques
Force de la vie économique
Relative aux biens rares, la vie économique est un champ concurrentiel du fait même de la rareté ; les biens étant rares relativement aux besoins, les besoins sont donc concurrents les uns avec les autres. Quand il s’agit des besoins d’un même individu, cette rivalité est résolue par les choix qu’opère l’individu, il n’en reste pas de trace sociale puisqu’elle ne se voit pas. Mais, quand on considère les besoins concurrents de différents individus, c’est un phénomène social (relatif à la société), qui va mettre en route une lutte (pacifique ou non, ordonnée ou non) à travers laquelle chacun tentera de satisfaire la plus grande partie de ses besoins. Il y a donc, du fait que tous les besoins ressentis ne peuvent pas être simultanément satisfaits, une concurrence générale qui règne; cela, d’ailleurs, n’empêche en rien que des individus coopèrent dans certaines circonstances: pour créer plus de biens, pour concurrencer d’autres individus isolés ou eux aussi groupés. Cette force de la concurrence n’est pas quelque chose d’impersonnel ou de mystérieux comme le magnétisme ou la gravitation: en tant que force, la concurrence n’est rien de plus que l’effet de l’ensemble des efforts d’individus qui s’opposent les uns aux autres à travers la compétition; c’est donc une force humaine. La force « concurrence » n’est qu’un résumé des actions concurrentes des hommes.
La concurrence générale est avant tout un effort de chacun pour accroître son revenu ou pour mieux l’utiliser. Elle est un phénomène universel de la vie économique, qui ne pourrait disparaître qu’au pays de Cocagne, dans l’abondance absolue, ou encore dans une société où les revenus seraient distribués autoritairement et sans possibilité de remise en cause (c’est-à-dire sans possibilité d’exercice de la moindre liberté individuelle): deux utopies, l’une rêve et l’autre cauchemar, qu’il n’est pas nécessaire d’envisager ici. La concurrence existe évidemment dans les sociétés autres que « concurrentielles »: dans l’économie féodale, les luttes entre princes avaient une dimension économique indiscutable – concurrence armée, certes, mais expression de la catégorie générale qu’on a définie; dans l’économie planifiée stalinienne, aussi: les formes de la concurrence y sont spécifiques; elle passe en particulier par le loyalisme au parti et par divers circuits extérieurs à ceux de l’économie « officielle » qui prétend exclure la concurrence.
Fondement de l’économie de marché
La concurrence prend une place centrale dans l’économie de marché (nommée à tort capitalisme); elle y est, en effet, non seulement une force, mais aussi une règle de fonctionnement. Dans ce système, la liberté de concurrence est reconnue comme une norme et canalisée par un support institutionnel dont les principes, sinon l’application, sont simples: propriété privée, liberté et respect des contrats.
La concurrence remplit alors vis-à-vis de la société des fonctions régulatrices. Tout en restant pour les individus un moyen de poursuivre leurs objectifs, elle tend à assurer que les buts divergents des agents économiques deviennent compatibles: c’est sa propriété de coordination. Elle permet que les décisions économiques individuelles soient, du point de vue de la société, efficaces; c’est sa fonction d’allocation des ressources. Enfin, la concurrence assure que l’information soit créée et diffusée là où cela est nécessaire: c’est donc aussi une méthode de découverte.
Coordination
Comme on l’a vu, c’est la présence de raretés qui explique que les différents acteurs du jeu économique poursuivent des objectifs différents et a priori incompatibles: un vendeur souhaite vendre ses produits le plus cher possible, et un acheteur veut les lui acheter le moins cher possible. S’ils arrivent finalement à s’accorder, c’est en grande partie sous la pression de leurs concurrents respectifs: le vendeur rabattra ses prétentions parce qu’il n’est pas seul vendeur, et symétriquement pour l’acheteur. Grâce au jeu de l’offre et de la demande sur chaque marché, cette compatibilité sera assurée, ainsi que l’indique la théorie de l’équilibre économique général, selon laquelle il existe un ensemble de prix (un pour chaque marché) qui égalisent l’offre et la demande de chaque bien. Quand l’économie est dans cette situation, tous les projets des agents sont mutuellement compatibles; ils sont donc coordonnés par la compétition, sans intervention d’une autorité consciente. Tel est le thème de la fameuse image de la « main invisible » d’Adam Smith. Coordination ne signifie pas que les antinomies entre les plans initiaux soient gommées ni que l’harmonie régnerait dans l’économie de marché. Cette fonction implique simplement que les antinomies sont résolues par un mécanisme non violent reposant sur un ensemble de règles du jeu. La concurrence est et reste toujours un processus conflictuel, fondé sur la rivalité, plus profitable pour certains que pour d’autres.
Allocation des ressources
Un des problèmes auxquels est confronté tout système économique est celui de son efficacité: puisque les ressources sont rares, il importe en effet de les utiliser en évitant les gaspillages, c’est-à-dire en produisant l’ensemble de biens qui sera le plus utile à la communauté, de la manière la plus économe. Cet ensemble de biens ne peut être défini qu’à partir des évaluations divergentes faites par les différents individus, et non à partir de critères objectifs; il ne peut donc reposer que sur les prix de marché que le processus concurrentiel fait émerger. Prenons comme exemple le « marché » du pain. Si le pain manque, la demande sera très supérieure à l’offre, et des profits importants seront réalisés par les boulangers. Ces profits inciteront ces derniers à produire plus s’ils le peuvent et encourageront surtout à la création de nouvelles boulangeries; si le manque de pain provient d’un manque de farine, le prix de cette denrée augmentera et cela fera croître les profits des meuniers, etc. Ce processus qui repose sur la concurrence permettra de combler le manque de pain, et donc l’efficacité économique. La théorie démontre formellement l’équivalence entre équilibre concurrentiel et efficacité.
Méthode de découverte
Un autre problème économique est celui de l’information, et dans un sens très large: quelle quantité de pain devra fabriquer notre boulanger? à quel prix devra-t-il le proposer? quel goût particulier sa clientèle apprécie-t-elle? comment peut-il améliorer ses méthodes de production pour abaisser ses coûts? Ces questions sont banales mais essentielles pour le fonctionnement de l’économie: il ne s’agit de rien de moins que de savoir quoi produire, à quel prix vendre, et de rechercher de nouveaux produits ou procédés. Rien de toutes ces données n’est immédiatement disponible, il faut soit les chercher, soit les créer. Or le processus concurrentiel apparaît, ainsi que l’a démontré Hayek, comme le mécanisme le plus – et sans doute le seul – adapté à cette recherche. En effet, la concurrence est avant tout contact actif entre vendeurs et acheteurs, et c’est ce contact qui permet aux créateurs de tenter de répondre à la demande, voire de l’anticiper, de manière adéquate. C’est aussi la concurrence qui donne, à travers les espoirs de gain qu’elle permet, les motivations nécessaires pour accomplir ces recherches coûteuses. Pour la société qui, dans son ensemble, bénéficie de ces recherches, elle apparaît comme une « méthode de découverte », bien que cette découverte ne soit qu’un moyen pour les individus qui la réalisent.
Dans l’économie de marché, c’est sur des marchés que s’exerce la force de la compétition. Un marché est un ensemble de vendeurs et d’acheteurs d’un bien ou service qui cherchent à conclure les contrats les plus avantageux pour eux-mêmes, pour satisfaire leurs besoins; les acheteurs veulent consommer les produits proposés, et les vendeurs veulent échanger leur marchandise contre un pouvoir d’achat qui leur permettra d’acheter d’autres biens jugés par eux plus utiles. On peut dire, de manière générale, que tous les participants d’un marché sont concurrents les uns avec les autres. Cependant, c’est la concurrence qui s’exerce entre acheteurs d’une part, vendeurs d’autre part, qui retient surtout l’attention des économistes: en effet, chaque vendeur qui souhaite conclure un contrat avec un acheteur potentiel considère celui-ci comme quelqu’un avec qui il faut coopérer; il voit en revanche les autres vendeurs comme ceux qui pourraient lui enlever l’affaire qu’il entend traiter, donc comme ses concurrents directs. Il en va de même, bien évidemment, des acheteurs qui sont essentiellement concurrents entre eux. Bien souvent, la concurrence est plus forte d’un des deux côtés du marché que de l’autre: on parlera ainsi d’un « marché de vendeurs » quand la concurrence entre offreurs n’est pas vive, alors qu’elle l’est entre acheteurs, et vice versa. On peut d’ailleurs préciser que la concurrence entre offreurs fait l’objet de l’intérêt le plus marqué; en effet, c’est l’intérêt des consommateurs, non celui des entreprises, que surveillent le plus les économistes – et cet intérêt dépend en partie de la concurrence des vendeurs; de plus, les consommateurs finals sont nombreux sur chaque marché, alors que les vendeurs sont quelques-uns. On verra plus loin les implications du nombre des concurrents.
Les formes de la concurrence
Les différentes formes de concurrence sont relatives tout d’abord aux moyens que peuvent utiliser les rivaux, puis à la structure du marché qui sert de cadre au jeu concurrentiel.
Modes de concurrence
On distingue la concurrence par les prix et la concurrence par la qualité. Dans le cas le plus simple, la concurrence par les prix , les agents essaient de s’imposer en proposant de meilleures conditions de prix. Il y a concurrence par les prix entre acheteurs, par exemple, si certains acheteurs, pour se procurer un bien, proposent aux vendeurs une augmentation de prix. Cela aura souvent pour effet d’exclure certains demandeurs qui ne peuvent ou ne veulent pas s’aligner sur le nouveau prix: la concurrence aura alors éliminé certains des concurrents. Même chose pour la concurrence entre offreurs: les vendeurs qui éprouvent des difficultés à vendre peuvent essayer d’y remédier en abaissant leur prix, et cela éliminera du marché ceux des concurrents qui ne sont pas disposés au même sacrifice. La concurrence entre vendeurs est avantageuse pour les acheteurs, puisqu’elle baisse le prix, et, en revanche, la concurrence entre acheteurs procure un gain aux vendeurs.
Plus répandue est cependant la concurrence par la qualité . Sur la plupart des marchés, les vendeurs n’offrent pas des biens ou des services strictement identiques. En ce cas, les baisses de prix ne constituent pas la seule politique pour attirer les acheteurs; il est aussi possible de moduler la qualité du produit en essayant de proposer à l’acheteur ce qui lui convient le mieux. Concurrence par la qualité signifie non pas forcément « par une meilleure qualité », mais plutôt par une qualité plus adaptée aux souhaits de l’acheteur – ou par une meilleure qualité, mais à un même prix. Offrir des automobiles de qualité moyenne à prix modéré est à l’évidence un des aspects de la concurrence par la qualité; un élément de cette forme de concurrence réside dans l’étendue du choix offert, aussi tous les constructeurs automobiles offrent-ils une gamme de modèles.
Structure du marché
Si les moyens à la disposition de concurrents sont essentiels, l’environnement dans lequel seront mis en œuvre ces moyens n’est pas moins essentiel; il s’agit de la structure de marché, qui dépend en particulier du nombre de participants. Examinons les différentes structures et leur fonctionnement.
La situation la plus simple est celle où il n’y a aucune concurrence, aucun rival: c’est le cas d’une firme unique, seule sur un marché, le monopole. Un monopole est souvent considéré comme peu favorable aux intérêts des consommateurs dans la mesure où ceux-ci ne peuvent se tourner vers un autre vendeur s’ils ne sont pas satisfaits ou si le prix est excessif. Tous les abus semblent donc permis. Quoiqu’en apparence un monopole soit à l’abri de toute concurrence, il y a deux éléments qui doivent tempérer ce jugement. En premier lieu, sauf pour ceux créés par la loi, un monopole n’est jamais à l’abri de nouveaux concurrents: si les profits sont très élevés dans un secteur monopolisé, de nouvelles firmes se créeront, ou bien des formes installées dans des secteurs voisins étendront leur activité jusqu’au secteur profitable, de manière à prendre leur part de gâteau; les monopoles sont donc soumis à une concurrence potentielle, dont les effets peuvent se révéler très contraignants. En second lieu, même si un monopole échappe à la concurrence dans son secteur d’activité, il n’échappe pas pour autant à ce qu’on a appelé plus haut la concurrence générale, celle en particulier de tous les autres secteurs d’activité. Ainsi un monopole du transport ferroviaire est-il soumis (d’une manière variable selon les segments du marché) à la concurrence de tous les autres modes de transport: automobile, avion, autres transports en commun, etc. Cette concurrence, pour être moins directe, n’en impose pas moins une discipline parfois très sévère.
En dehors de cette situation somme toute assez rare, les marchés peuvent être caractérisés en fonction du nombre d’offreurs et du caractère plus ou moins homogène (standardisé) du produit. Les économistes qualifient un marché de concurrentiel s’il y a un très grand nombre de vendeurs, tous de petite taille (donc ayant un faible pouvoir); par contre, le marché est un oligopole s’il y a un petit nombre de vendeurs de grande taille. Les situations mixtes où coexistent de grandes firmes peu nombreuses et beaucoup de petites firmes sont des oligopoles (ou monopoles) « avec frange ». Cette terminologie ne manque pas d’ambiguïté puisqu’elle réserve le terme de concurrence à un ensemble particulier de situations de rivalité, sans considérer la rivalité entre grandes unités.
Le caractère homogène ou hétérogène du produit est la seconde dimension importante. Si le produit est homogène, cela signifie que tous les offreurs vendent un bien physiquement identique, et donc que le seul mode de concurrence disponible est la concurrence par les prix; si, en revanche, le produit est hétérogène, alors chaque fabricant doit proposer sa propre variété, et la concurrence par la qualité apparaît à côté de la concurrence par les prix, ou se substitue à elle. Dans le cas d’un marché avec de nombreux vendeurs, la concurrence est pure, si le produit est homogène, et monopolistique, si la qualité est différenciée. Dans le cas des oligopoles, on peut distinguer, pour ces deux cas respectivement, oligopole simple et oligopole différencié. En comptant le monopole, cela fait cinq structures fondamentales.
Cette classification est suggestive mais constitue une simplification importante de la réalité: en effet, elle ne tient compte que du côté « offre » en ce qui concerne le nombre d’acteurs, tout simplement parce qu’on s’intéresse souvent à des marchés sur lesquels les acheteurs sont très nombreux (marchés de consommation finale en particulier). D’autres caractères de la concurrence doivent être notés, en particulier ce qu’on appelle les « conditions d’entrée »: est-il facile aux nouvelles entreprises de pénétrer sur le marché en question ou y a-t-il des « barrières à l’entrée » rendant la situation des firmes en place plus solide vis-à-vis de la concurrence potentielle? S’il n’y a pas d’obstacles de ce type, on dira que la concurrence est « parfaite ». La concurrence peut donc en définitive être pure et parfaite ou bien, au contraire, imparfaite, cette dernière expression étant généralement réservée aux oligopoles et monopoles. Cette terminologie est purement technique et ne doit pas être considérée comme contenant des jugements de valeur.
En concurrence pure , des entreprises très nombreuses vendent un bien homogène. C’est la forme de concurrence la plus facile à analyser, celle pour laquelle la théorie économique propose des résultats sûrs; mais c’est aussi la plus rare. Les deux conditions précitées sont en effet rarement réunies. D’abord, il y a très peu de biens réellement homogènes. Les matières premières comme le blé, le pétrole brut ou le manganèse le sont, sous réserve de certains différentiels de qualité; mais les produits manufacturés le sont difficilement, et le pain produit à partir de blé homogène ne l’est pas lui-même puisque les consommateurs préfèrent tel ou tel boulanger; les carburants fabriqués à partir d’un pétrole identique sont physiquement identiques, mais différenciés par leur lieu de distribution. En fait, la plupart des biens de consommation finale sont différenciés, quoique à des degrés variables. Quant à la condition qu’il doit y avoir sur le même marché des vendeurs nombreux et tous de petite taille, elle n’est pas moins rarement remplie. Fait exception le marché du blé, marché mondial où aucun agriculteur ne peut prétendre à une taille significative: on peut ainsi le considérer comme purement concurrentiel. Mais on ne pourrait pas en dire autant de celui du pétrole ni de celui de la plupart des autres matières premières (sauf pour certains produits agricoles). Le sens technique qu’on donne à la petite taille est qu’un vendeur ainsi caractérisé n’a pas le pouvoir d’influencer le prix du marché en livrant des quantités plus ou moins grandes; on dit alors qu’il considère le prix de marché comme un paramètre. Les marchés purement concurrentiels constituent un cas d’école plutôt qu’un exemple réel. Mais on sait modéliser leur fonctionnement.
Si aucun des acteurs d’un marché ne peut influencer le prix, chacun choisit la quantité qu’il vend ou achète au prix courant de manière à satisfaire au mieux ses besoins. L’ensemble des choix d’achat et de vente en fonction du prix peut se résumer dans la courbe de demande et la courbe d’offre, qui permettent de définir une situation d’équilibre pour ce marché: il y a équilibre quand le prix courant égalise l’offre et la demande totales, c’est-à-dire au point d’intersection des courbes d’offre et de demande. Les propriétés de cet équilibre peuvent être rapidement décrites. Premièrement, pour toutes les entreprises, le prix d’équilibre est égal à leur coût marginal; deuxièmement, les entreprises peuvent, à court terme, faire des profits, mais cela incite de nouvelles entreprises à pénétrer dans le marché; quand toutes ces opportunités ont été exploitées (à long terme), il n’y a plus aucun profit possible: le prix est égal au coût moyen de production qui lui-même a pris sa valeur minimale. Ainsi les biens sont-ils produits en utilisant le moins de ressources possibles. Enfin, on peut démontrer que, si tous les marchés d’une économie étaient parfaitement concurrentiels, l’efficacité économique serait maximale, au sens de Pareto, c’est-à-dire qu’on ne pourrait pas augmenter le bien-être d’un agent économique autrement qu’en diminuant le bien-être d’au moins un autre agent.
Ces conclusions fortes – qu’on ne retrouve pas pour les autres formes de concurrence – pourraient laisser croire que la concurrence pure et parfaite possède réellement une sorte de perfection (au sens d’un état idéal) et doit donc servir de référence à toute politique de concurrence ou même à tout choix de système économique. Un tel amalgame serait hâtif. En effet, les marchés purement concurrentiels sont très rares, on l’a vu, et il serait absurde d’imaginer qu’on puisse rendre « parfaitement concurrentiels » tous les marchés ou obtenir qu’ils se comportent comme tels. Une limitation supplémentaire de l’équilibre concurrentiel est qu’il décrit non pas la force concurrentielle, mais le résulat final supposé de celui-ci, la situation d’équilibre. Or, dans cette situation, la rivalité ne se manifeste plus puisque aucun agent ne dispose de la moindre arme pour surpasser ses concurrents: la concurrence par la qualité est exclue, parce qu’ici les biens sont homogènes; et la concurrence en prix est exclue parce qu’on suppose que les agents sont petits et considèrent comme impossible d’influencer le prix de marché.
Le secteur de l’habillement, où coexistent des firmes de taille généralement petite et où les produits ne peuvent être standardisés, est un exemple de concurrence monopolistique , décrite pour la première fois en 1933 par Chamberlin. Elle est « monopolistique » parce que chaque vendeur fixe lui-même le prix de son produit, comme le fait un monopole; cependant, chacun est contraint en cela par la politique des autres vendeurs. Pour cette forme de concurrence, beaucoup plus fréquente que la « pure », on peut décrire la politique de chaque entreprise ainsi qu’un équilibre de marché.
Dans la concurrence imparfaite , il s’agit de la structure d’oligopole (simple ou différencié, ce dernier cas étant le plus fréquent). Ici, il n’y a qu’un petit nombre de vendeurs, et chacun est conscient à la fois d’exercer une influence réelle sur les comportements de ses concurrents (en particulier en matière de prix), et de subir celle de ses concurrents. Le nombre de vendeurs peut aller de deux à vingt ou trente de taille comparable; au-delà, il est probable que chacun se sentira noyé dans une masse et qu’on se rapproche de la concurrence « pure ».
On considère généralement que le nombre n’est pas sans conséquences. Dans le cas du grand nombre, chaque firme se sent opposée à une masse indistincte de concurrents et se sent peu armée vis-à-vis d’eux: elle ne peut s’adresser qu’aux acheteurs pour promouvoir ses produits et tenter de gagner des parts de marché (politique de prix ou de qualité). Par contre, s’il y a peu de vendeurs, chacun identifie ses rivaux directs et peut être tenté – en plus des instruments cités plus haut destinés à persuader les acheteurs – de s’adresser à eux, directement ou de manière implicite, soit pour les intimider (en renforçant la compétition), soit pour s’entendre avec eux (en l’affaiblissant).
Dans le premier cas (intimidation), une entreprise peut menacer ses concurrents d’une guerre de prix ou développer de nouveaux produits avec pour seul but de barrer la route à une action similaire qui pourrait être entreprise dans les laboratoires des concurrents. De telles actions, qu’on qualifie de « stratégiques », sont parfois considérées comme faussant le jeu normal de la concurrence et estimées déloyales. Mais la concurrence est une dynamique et, comme l’écrivait Schumpeter, « un processus de destruction créatrice », la volonté de destruction des adversaires en est un élément normal, et on ne peut que dénaturer la concurrence si on érige en règle l’interdiction de nuire à ses rivaux. Prohiber les actions « stratégiques » reviendrait quelque peu à cela.
Dans le second cas (entente ou cartel), les entreprises s’entendent entre elles pour « comploter » contre les intérêts des consommateurs. Elles vont ainsi élever les prix et diminuer les quantités vendues, se partager les marchés pour augmenter leurs bénéfices et se comporter en groupe comme si elles constituaient un monopole. Les ententes sont interdites dans la plupart des pays à économie de marché comme étant des entraves à la concurrence.
Les modèles théoriques suggèrent dans leur majorité que la force concurrentielle n’est pas aussi intense dans le cas du petit nombre que si les concurrents forment une masse nombreuse. Si la tentation d’une forme de coopération qui se substituerait à la compétition ne peut être exclue, on note cependant que les ententes qui fonctionnent bien sont rares; nombreux sont ceux qui mettent en doute l’opportunité des mesures d’interdiction qui les frappent. En dehors de ces cas, il n’y a aucune raison valide de supposer que la rivalité entre deux ou trois vendeurs doivent être moins vive que celle qui en oppose cent ou deux cents; mais, incontestablement, elle prend un aspect différent.
Enfin, à côté de leur taille relative, la taille absolue des entreprises peut constituer un obstacle au jeu concurrentiel. Plus une firme est grande et plus elle a de chances de trouver auprès des dirigeants une oreille attentive: si son marché n’est pas protégé, peut-elle argumenter combien de nouveaux chômeurs cela va-t-il créer? Quel déficit supplémentaire la balance commerciale subira-t-elle? Les gouvernants sont ainsi souvent incités à malmener la concurrence, et il arrive qu’ils cèdent à cette tentation.
La concurrence, force « brute » de l’économie de marché, est parfois menacée par ceux qui l’exercent; elle peut l’être aussi par ceux qui se donnent pour tâche de la protéger.
2. Droit de la concurrence
Si on voulait le définir globalement, il faudrait dire que le droit de la concurrence est l’ensemble des règles qui ont pour objet d’assurer, sur le marché auquel elles s’appliquent, l’existence, la liberté et la loyauté de la concurrence. Mais une telle définition, que sa généralité rendrait de toute manière peu significative, recèlerait une équivoque.
Largement entendu, le droit de la concurrence répond en effet – et cette constatation se vérifie dans plus d’un système législatif – à des préoccupations de deux ordres, qui ne sont certes pas sans lien entre elles, mais n’en demeurent pas moins distinctes, tant par les faits qui les inspirent que par le fondement, le caractère et les effets juridiques des règles qui les traduisent.
La plus grande partie de ces règles sont en effet destinées à faire obstacle aux ententes, pratiques concertées, excès ou abus de puissance économique, concentrations qui tendent à la suppression ou à la restriction de la concurrence entre les entreprises venant en compétition sur le marché. Elles visent à assurer le fonctionnement du marché dans les conditions jugées nécessaires en économie capitaliste, et forment, peut-on dire, le droit de la concurrence dans ce qu’il a de plus spécifique (c’est le droit des pratiques anticoncurrentielles français, le Kartellrecht allemand, ou l’antitrust law américaine).
D’autres règles du droit de la concurrence, au sens large du mot, tendent à empêcher les agissements fautifs par lesquels une entreprise cherche à détourner la clientèle d’une autre en créant la confusion entre leurs produits respectifs, en dénigrant sa rivale ou en essayant de la désorganiser (par exemple, par un débauchage systématique de personnel qualifié). De tels agissements constituent la concurrence déloyale (all.: unlauterer Wettbewerb ; angl. unfair competition ) à laquelle peuvent être rattachées les réglementations anti-dumping adoptées notamment aux États-Unis ou dans le cadre de la Communauté économique européenne; les actes de concurrence déloyale sont, par des techniques diverses, prohibés et sanctionnés indépendamment de toute incidence directe sur le fonctionnement du marché dans son ensemble. Aussi bien s’insèrent-ils, le plus souvent, dans les rapports entre deux entreprises isolément considérées.
On notera, cependant, qu’il existe une « zone frontière » entre ces deux domaines du droit de la concurrence. Certains comportements sont prohibés, bien qu’ils ne constituent pas une faute au sens de la concurrence déloyale et sans qu’il soit nécessaire d’établir qu’ils produisent un effet anticoncurrentiel sur le marché. Il s’agit, selon la terminologie française, des pratiques restrictives (refus de vente, pratiques discriminatoires, reventes à perte, prix imposés) qui sont prohibées per se , c’est-à-dire en soi, parce qu’elles sont présumées porter atteinte à la capacité concurrentielle des concurrents ou des partenaires de l’entreprise qui les met en œuvre.
Entendu au sens strict, le droit de la concurrence est constitué de l’ensemble des règles tendant au maintien d’une concurrence suffisante sur le marché considéré dans son ensemble, à l’exclusion de celles de portée plus limitée concernant la concurrence déloyale ou les pratiques restrictives.
Le droit du marché
Quelle concurrence?
Logiquement, on peut penser que le contenu et l’application de règles de droit tendant au maintien de la concurrence dépendent de la conception que le législateur qui les édicte, le juge ou l’administrateur qui les applique se font des caractères économiques de la concurrence qu’ils estiment nécessaire de sauvegarder.
Au reste, cette conception tend actuellement, dans un certain nombre de pays industrialisés comme dans la Communauté européenne (où la politique de la concurrence et le droit qu’elle met en œuvre tiennent une place essentielle), vers une certaine uniformité. Aucun de ces systèmes juridiques ne se propose, en effet, de protéger la concurrence « pure et parfaite ».
Tous se réfèrent, au contraire, au fonctionnement pratique des marchés dont ils cherchent à assurer la « contestabilité », un marché contestable étant un marché sur lequel des possibilités d’entrée et de sortie existent, ce qui implique notamment l’élimination des barrières à l’entrée (réglementations administratives, comportements anticoncurrentiels, etc.) auxquelles se heurtent les concurrents potentiels lorsqu’ils veulent pénétrer sur le marché considéré.
Genèse du droit de la concurrence
La nécessité de l’intervention des pouvoirs publics (législatif, judiciaire, administratif) à cet effet est d’ailleurs de plus en plus largement admise. Sans cette intervention, la concurrence se dévorerait elle-même, pour peu que les forts l’exercent sans restriction au détriment des faibles, ou des moins forts; la liberté des contrats la menacerait également, si l’on permettait sans réserve aux entreprises de s’entendre pour la supprimer ou la restreindre. Aussi bien pourra-t-on constater l’éclosion ou le développement, surtout depuis une quinzaine d’années, d’un droit de la concurrence nouveau ou rénové dans plusieurs grands pays industriels (notamment en Allemagne, en France et en Grande-Bretagne), ainsi que dans la Communauté européenne.
Il est courant de faire remonter l’origine de ce développement à la loi Sherman (« loi pour protéger le commerce et les échanges contre les restrictions et les monopoles contraires au droit ») du 2 juillet 1890, qui déclare illégal « tout contrat, arrangement, sous forme de trust ou autre, ou coalition quelconque entravant le trafic ou le commerce entre les divers États [formant les États-Unis d’Amérique] ou avec les pays étrangers », et frappe de peines d’amende et d’emprisonnement toute personne partie à un tel contrat ou arrangement, de même que toute personne qui monopolisera ou tentera de monopoliser une partie du trafic ou du commerce entre les divers États ou avec les pays étrangers.
Cette loi est cependant loin d’être la première qui, dans l’histoire, ait été édictée pour combattre les monopoles, l’accaparement et la spéculation: à Rome, la Lex Julia de Annona , une cinquantaine d’années avant l’ère chrétienne, protégeait déjà le commerce des grains contre les hausses artificielles des prix, et, cinq siècles plus tard (en 483), la Constitution de Zénon condamnait à son tour de telles hausses, qu’elles affectassent les prix des victuailles ou ceux des produits de première nécessité en général. Au Moyen Âge, c’est surtout la législation anglaise, et en particulier celle du règne d’Édouard VI, qui frappe les ententes conclues pour provoquer des hausses « déraisonnables » de prix. En France, la Révolution consacre le principe nouveau de la liberté du commerce et de l’industrie, puis le Code pénal de 1810 édicte des sanctions contre ceux qui, « en exerçant ou tentant d’exercer, soit individuellement, soit par réunion ou coalition, une action sur le marché dans le but de se procurer un gain qui ne serait pas le résultat du jeu naturel de l’offre et de la demande, auront [...] opéré ou tenté d’opérer la hausse ou la baisse artificielles du prix des denrées ou marchandises ou des effets publics ou privés ».
La législation antitrust
Ces précédents, comme d’autres que l’on pourrait citer, n’empêchent cependant pas que, à l’époque contemporaine, la loi Sherman ait été le premier texte d’ensemble dirigé contre les ententes et les monopoles dans un grand pays se trouvant à la pointe de l’industrialisation et du capitalisme. Aux États-Unis même, il fallut un certain temps pour que ce texte fut effectivement utilisé contre les pratiques anticoncurrentielles des entreprises: à la fin du XIXe siècle, la plupart des poursuites fondées sur la loi Sherman furent en effet dirigées contre des syndicats ouvriers, et c’est seulement sous la présidence de Theodore Roosevelt, au début de notre siècle, que des procédures furent engagées avec succès contre de puissantes « combinaisons » financières ou industrielles (par exemple celle qui aboutit, en 1904, à la dissolution en justice de la Northern Securities Co., fondée par les groupes Morgan, Hill et Harriman). Cette action se développa, sur le plan judiciaire, sous la présidence de Taft (1909-1913); puis la loi Sherman fut complétée et renforcée (notamment à l’égard des fusions d’entreprises autres que les banques et les compagnies de transport, des pratiques discriminatoires en matière de prix et des contrats d’exclusivité) par la loi Clayton (15 octobre 1914, modifiée en 1980), en même temps qu’était créée, par une loi du 26 septembre 1914, la Commission fédérale du commerce (Federal Trade Commission), organisme administratif autonome, doté de pouvoirs d’investigation et de poursuite pour assurer le respect de la législation antitrust et de la prohibition des pratiques déloyales de concurrence.
La législation américaine continua de s’enrichir, par la suite, de textes venant tantôt atténuer les prohibitions des lois antitrust par des exceptions en faveur de certaines catégories d’entreprises ou d’accords (loi Webb-Pomerene, de 1918, en faveur des associations d’exportateurs; lois de 1916 et de 1920, autorisant les accords de tarifs et les partages de trafic entre compagnies américaines de navigation; loi Capper-Volstead, de 1922, concernant les producteurs agricoles; loi Miller-Tydings, de 1937, complétée par la loi McGuire, de 1952, légalisant les clauses de prix minimal pour la revente d’articles de marque); tantôt, au contraire, renforcer ces prohibitions (loi Robinson-Patman, de 1936, sur les discriminations de prix, à laquelle s’apparente le droit français des pratiques restrictives). Parallèlement – avec, il est vrai, plus ou moins de fermeté selon les fluctuations de la politique du gouvernement fédéral –, l’action judiciaire antitrust se poursuivait et donnait lieu à nombre de procédures retentissantes.
Le retard de l’Europe
L’Europe occidentale ne devait suivre l’exemple américain qu’après la Seconde Guerre mondiale, avec des lois d’ensemble pour la protection de la concurrence: ainsi, en Grande-Bretagne (lois de 1948 sur les monopoles et pratiques commerciales restrictives, de 1964 sur les prix de revente, de 1965 sur les monopoles et les fusions modifiées en 1968, 1973, 1976, 1977 et 1980; les textes fondamentaux sont aujourd’hui le Fair Trading Act de 1973 sur les monopoles et les fusions, le Competition Act de 1980 sur les pratiques anticoncurrentielles individuelles, le Restrictive Trade Practices Act de 1976 sur les accords restrictifs de concurrence, le Resale Prices Act de 1976 sur l’imposition des prix de revente); en république fédérale d’Allemagne (loi relative aux restrictions de la concurrence du 27 juillet 1957, modifiée en 1965, 1973, 1976, 1980 et 1990); en France, d’abord d’une manière limitée, du moins si l’on s’en tient à la lettre des textes (décret du 9 août 1953, complétant l’ordonnance du 30 juin 1945 sur les prix), puis selon une conception plus ample (loi du 2 juillet 1963, visant les monopoles et les concentrations de puissance économique; ordonnance du 28 septembre 1967 « relative au respect de la loyauté en matière de concurrence »: cet intitulé rend incomplètement et inexactement compte du contenu de l’ordonnance, car il ne s’agit pas d’une loi sur la concurrence déloyale, telle que précédemment définie, mais bien d’un ensemble de dispositions tendant à la protection d’une concurrence efficace; loi du 19 juillet 1977 qui a substitué à la Commission technique des ententes la Commission de la concurrence et institué un contrôle des concentrations économiques; loi du 30 décembre 1985 « portant amélioration de la concurrence »; ordonnance du 1er décembre 1986 créant un Conseil de la concurrence doté de pouvoirs de décision – la Commission n’avait qu’un rôle consultatif – qu’il exerce sous le contrôle des autorités judiciaires); en Belgique (loi du 27 mai 1960 sur la protection contre l’abus de puissance économique remplacée par la loi, plus large, du 5 août 1991 sur la protection de la concurrence économique); aux Pays-Bas; en Suisse, très récemment en Italie (loi du 10 octobre 1990), etc.
Certes, les domaines d’application de ces textes ne sont pas identiques, et pas davantage les dispositions par lesquelles la concurrence y est protégée contre les ententes, les abus de domination et les concentrations. Très globalement, ils n’en procèdent pas moins de la croyance commune qu’une concurrence efficace est indispensable en économie de marché, et qu’il convient, précisément, de la sauvegarder. Cette même croyance devait inspirer, à la même époque, le droit de la concurrence dans la Communauté européenne du charbon et de l’acier, C.E.C.A. (traité de Paris du 18 avril 1951) et dans la Communauté économique européenne, C.E.E. (le « Marché commun » général: traité de Rome du 25 mars 1957); elle y est soutenue, on le verra, par la volonté d’empêcher que les restrictions à la concurrence fassent obstacle à l’éclosion et au fonctionnement d’un marché non seulement commun, mais encore, pour finir, unique , sur les territoires des États membres.
Dans cette floraison législative, l’influence américaine a été déterminante en Allemagne fédérale, où la loi de 1957 est venue remplacer les dispositions contre les pratiques commerciales restrictives que les gouvernements militaires alliés avaient introduites dans les trois zones d’occupation occidentales en 1946 et 1947; et l’on doit noter que, par l’intermédiaire des spécialistes allemands du droit de la concurrence, cette influence s’est également manifestée dans l’élaboration et l’application des traités de la C.E.C.A. et de la C.E.E. Plus directement encore, c’est sous la pression des autorités américaines d’occupation que le Japon se dotait en 1947 de sa première législation antitrust.
L’État et la concurrence
À l’exception du droit communautaire, les législations tendant à la préservation de la concurrence visent essentiellement les agissements des entreprises, qui mettent en danger son existence, son ampleur suffisante ou sa loyauté. Cependant, la concurrence peut également être supprimée, restreinte ou faussée par l’État et les autres collectivités publiques, soit par la création de monopoles, soit par des aides ou charges particulières accordées ou imposées à certaines catégories d’entreprises (sans parler, sur le plan des échanges internationaux, des entraves douanières à la libre circulation des marchandises, et des obstacles à l’activité professionnelle des étrangers). Aussi bien les traités qui ont créé la Communauté européenne, et en particulier le traité de la C.E.E., contiennent-ils un ensemble de dispositions dont l’objet est de supprimer, à l’intérieur du Marché commun, les barrières douanières comme les discriminations fondées sur la nationalité en matière d’emploi et d’établissement dans des activités indépendantes, et de soumettre à un contrôle étroit les aides ou charges spéciales. Mais, à l’intérieur de ses frontières, chaque État entend actuellement garder les mains libres pour intervenir, directement ou par l’intermédiaire des collectivités locales, dans l’orientation de l’activité économique, voire pour la monopoliser. En France, par exemple, on déduisait autrefois du principe de la liberté du commerce et de l’industrie que les communes ne pouvaient se livrer à des activités de cette nature qu’en cas de carence de l’entreprise privée et pour satisfaire à un intérêt général; mais c’est d’une tout autre inspiration que procède la Constitution de 1946 qui déclare, dans son préambule, que « tout bien, toute entreprise dont l’exploitation a ou acquiert les caractères d’un service public national ou d’un monopole de fait doit devenir la propriété de la collectivité ». Plus généralement – à des degrés divers, selon les pays –, les pouvoirs publics tiennent toujours le dirigisme en réserve et n’hésitent pas à s’en servir pour infléchir les courants d’échanges, même si le libéralisme économique connaît aujourd’hui un net regain.
On considérera donc désormais le droit de la concurrence dans ses seules dispositions concernant l’action des entreprises. Celles-ci sont de deux ordres: les unes fixent les règles de fond auxquelles les entreprises doivent se soumettre; les autres organisent la mise en œuvre de ces règles, en déterminant leur domaine d’application territorial, et en définissant des compétences, des procédures et des sanctions.
Règles de fond
La concurrence peut être supprimée, restreinte ou faussée par l’action commune d’entreprises qui, tout en conservant leur indépendance juridique et économique, s’engagent les unes envers les autres à observer dans la production, l’approvisionnement, la vente ou les prestations de services certains comportements concertés; elle peut l’être aussi soit par la monopolisation ou la quasi-monopolisation d’un marché par une entreprise ou un groupe d’entreprises, soit par l’exploitation abusive de la puissance économique que confère à l’entreprise sa croissance interne (par développement sur ressources propres) ou externe (par regroupement). Dans le premier cas, on est en présence d’une entente (ou cartel); dans le second, selon qu’on considère la formation (par croissance externe, ce qui est le cas le plus fréquent) du monopole ou de la puissance économique exceptionnelle, ou seulement le comportement de l’entreprise ou du groupe d’entreprises alors qu’il se trouve déjà dans cette situation, on rencontrera soit la concentration d’entreprises , soit, selon la terminologie européenne, l’abus de domination intégrant l’abus de position dominante et l’abus de dépendance économique.
Les ententes
Formes juridiques
L’entente entre des entreprises peut se réaliser et se manifester par des moyens juridiques fort divers. Aux États-Unis, après la guerre de Sécession, elle a utilisé souvent le trust , institution aussi vénérable qu’originale de la common law , remontant à l’époque où le chevalier partant pour la croisade confiait sa fortune à un ami, qui en devenait légalement propriétaire mais était tenu d’une obligation (à l’origine seulement morale) de la conserver, et de n’en utiliser les revenus ou de n’en disposer que conformément à la volonté de l’absent. Plus prosaïquement, les entreprises américaines qui entendaient coordonner leurs comportements sur le marché (ou y étaient contraintes) remettaient les actions représentant leur capital à la plus puissante d’entre elles, qui pouvait désormais, comme trustee , exercer sur toutes les droits d’un propriétaire.
Poussée jusque-là, la coordination des comportements touchait la structure des entreprises, si bien qu’elle permettait, au-delà de l’entente, une véritable concentration; c’est en tout cas cette technique qui, expressément visée par la loi Sherman, devait donner son nom à la « législation antitrust ».
Mais l’entente proprement dite emprunte bien d’autres formes juridiques. La loi Sherman vise « every contract, combination [...] or conspiracy » (« tout contrat, toute association [...] ou toute entente »). L’article 85 du traité de la C.E.E., archétype des textes européens, s’applique à « tous accords entre entreprises, toutes décisions d’associations d’entreprises et toutes pratiques concertées ». On notera seulement que, dans ce dernier texte, la mention des « pratiques concertées » coupe court à d’éventuelles exigences quant à la preuve de l’entente, sans pour autant écarter la nécessité d’une concertation entre les entreprises qui se livrent à ces pratiques, comme l’atteste la précision du texte allemand (verabredeten Praktiken ). Le législateur français a probablement mieux exprimé la diversité des moules juridiques dans lesquels l’entente peut se couler, ainsi que la nécessité d’en permettre la preuve par tous moyens, en englobant dans la prohibition de principe « les actions concertées, conventions, ententes expresses ou tacites, ou coalitions » entraînant une restriction de concurrence. Mais, de toute manière, on peut affirmer que les législations contemporaines n’attachent pas une importance déterminante à la nature de l’instrument juridique choisi par les entreprises pour réaliser leur accord anticoncurrentiel.
Ententes horizontales, ententes verticales
Plus débattu est le problème de l’applicabilité du droit de la concurrence (et, par conséquent, des prohibitions qu’il édicte, fussent-elles assorties de tempéraments ou d’exceptions), non seulement aux ententes entre les entreprises qui, se trouvant au même niveau du processus économique, peuvent effectivement entrer en compétition sur le marché, mais également aux ententes entre des entreprises situées à des niveaux différents du circuit économique, et entre lesquelles il ne peut pas, semble-t-il, exister une concurrence que l’entente viendrait supprimer ou restreindre.
Les premières sont les ententes horizontales: elles unissent les fabricants ou les distributeurs (ces derniers situés au même niveau: grossistes entre eux, ou détaillants entre eux) d’un même produit, et il n’est pas douteux que le droit de la concurrence les concerne. Les secondes sont les ententes verticales; et, du fait, précisément, qu’elles interviennent entre des entreprises qui ne se font pas concurrence, elles ne paraissent pas à première vue affecter celle-ci. Aux États-Unis, elles n’ont été clairement comprises dans la prohibition que par la loi Clayton de 1914.
La loi allemande distingue nettement les deux types d’ententes. Ses dispositions relatives aux accords et décisions de cartel concernent les ententes horizontales, tandis que les accords verticaux font l’objet de règles différentes sous la rubrique « autres contrats »: ils ne sont pas, comme les ententes horizontales, « inefficaces » (unwirksam ) de plein droit (sous réserve des exceptions légales), mais peuvent être déclarés inefficaces par l’autorité compétente en matière de cartels. En France, la disposition générale de prohibition ci-dessus rappelée ne fait pas expressément la distinction. Après quelques hésitations, on a considéré que les règles du droit de la concurrence étaient également applicables aux ententes verticales.
Mais c’est surtout dans l’application du droit du Marché commun que la question a fait l’objet de vives controverses, et de discussions approfondies, à l’occasion entre autres de l’affaire Grundig: il s’agissait de savoir si le contrat d’exclusivité de vente, conclu par cette entreprise allemande de fabrication de récepteurs de radiodiffusion et de télévision, de magnétophones et d’électrophones avec son distributeur en France (semblable à ceux qu’elle avait conclus avec les distributeurs de ses appareils dans chacun des autres pays de la Communauté), tombait ou non sous le coup de la prohibition des ententes, édictée par l’article 85 du traité. La Commission de la C.E.E. en 1964, puis la Cour de justice des Communautés en 1966 ont répondu par l’affirmative; au-delà d’arguments de texte, leur décision est fondée sur le fait que l’absence de toute concurrence entre les distributeurs d’un même produit (qui était recherchée et aurait pu être obtenue, par les parties à l’accord, au moyen de clauses tendant à empêcher toute importation parallèle sur le territoire de la concession) restreignait la liberté de choix des consommateurs et permettait de préserver des marges bénéficiaires excessives. Il faut également dire que, dans le cadre du Marché commun, de telles pratiques reconstituent le cloisonnement des marchés nationaux qu’on entend faire disparaître par l’union douanière et par la liberté de circulation des personnes, des services, des marchandises et des capitaux. Là encore cependant, et au-delà de cette considération propre à la C.E.E., on doit admettre que la politique de la concurrence et le droit de la concurrence, qui en est l’instrument, ne doivent pas être orientés vers la seule préservation de la concurrence entre les entreprises qui se disputent la même clientèle ou les mêmes fournisseurs; l’objectif plus général est d’assurer le fonctionnement de l’économie de marché en sauvegardant une concurrence efficace à tous les niveaux du circuit économique, et dans les mouvements de biens ou de services entre ces divers niveaux. Si l’on fait abstraction des fondements politiques de cette sauvegarde de la concurrence (qui jouent un rôle important, surtout aux États-Unis), son but économique ultime est la protection des intérêts du consommateur; la protection de la liberté économique des entreprises entrant ou non directement en compétition n’est elle-même qu’un moyen pour atteindre ce but.
L’effet anticoncurrentiel
Sous leurs diverses formes juridiques, et plus ou moins généralement dans les diverses législations, selon qu’elles sont horizontales ou verticales, les ententes sont prohibées (ou du moins peuvent l’être) lorsqu’elles ont sur la concurrence les effets que le législateur entend proscrire. Le plus souvent, il suffit que l’effet anticoncurrentiel soit recherché par les participants à l’entente, voire qu’il puisse résulter de celle-ci, abstraction faite de la preuve de l’intention de l’obtenir, pour que la sanction soit applicable. Ainsi, la loi Sherman déclare illicite « tout contrat, toute association [...] ou toute entente en vue de restreindre les échanges ou le commerce entre les différents États membres ». La loi allemande de 1957 déclare inefficaces les accords ou décisions d’associations d’entreprises dans la mesure où ils sont faits pour influencer la production ou le marché des produits ou des services au moyen d’une restriction de la concurrence. L’ordonnance française du 1er décembre 1986 prohibe les actions concertées, conventions, etc., « lorsqu’elles ont pour objet ou peuvent avoir pour effet » d’empêcher, de restreindre ou de fausser le jeu de la concurrence sur le marché. De même, enfin, le traité de la C.E.C.A. vise les ententes qui « tendraient , sur le Marché commun, directement ou indirectement, à empêcher, restreindre ou fausser le jeu de la concurrence », et le traité de la C.E.E. prohibe les ententes « qui ont pour objet ou pour effet » de porter atteinte à la concurrence.
Cette dualité objet-effet anticoncurrentiel possible, qui existait déjà, du reste, dans le texte français de 1953, permet d’atteindre les ententes alors même que leur effet anticoncurrentiel ne s’est pas encore produit, dès lors qu’il apparaît, par le seul examen de leurs clauses – replacées, il est vrai, dans le contexte économique –, qu’il peut se produire.
Est-il possible de définir de manière plus précise cet effet anticoncurrentiel? De ce point de vue, les techniques législatives sont loin d’être identiques, sans qu’il en résulte nécessairement des différences de fond quant à l’étendue des prohibitions qu’elles prévoient.
Ainsi, la loi Sherman est très générale. Elle déclare illicite tout contrat, etc., « en vue de restreindre les échanges ou le commerce entre les différents États de l’Union ou avec l’étranger »: au-delà de la concurrence, c’est la liberté du commerce qui est protégée, ce qui atteste que les fondements de la loi sont, au-delà de l’économie, politiques et idéologiques.
Dans un cadre plus précisément économique, les formules déjà citées des lois allemande et française et des traités de la C.E.C.A. et de la C.E.E. sont également rédigées en termes généraux par énumération des restrictions qu’elle vise: accords de fixation de prix ou autres conditions de vente, d’achat ou de fabrication; fixation de quantités ou catégories de biens à produire, à fournir ou à acquérir; détermination des procédés de fabrication à utiliser ou des quantités ou catégories de biens qui seront fabriqués par ces procédés; détermination des fournisseurs, des distributeurs ou des clients. Mais les textes français ou communautaires assortissent la formule générale de listes d’exemples, non limitatives. Ainsi, en France, les accords tendant à limiter l’accès au marché ou le libre exercice de la concurrence par les entreprises, à faire obstacle à la fixation des prix par le libre jeu du marché en favorisant artificiellement leur hausse ou leur baisse, à limiter ou contrôler la production, les débouchés, le développement technique ou les investissements ou le progrès technique, à répartir les marchés ou les services d’approvisionnement; et, dans la C.E.E., les accords consistant à fixer les prix ou autres conditions de transaction, à limiter ou contrôler la production, les débouchés, le développement technique ou les investissements, à répartir les marchés ou les sources d’approvisionnement, à appliquer des pratiques discriminatoires, à subordonner la conclusion de contrats à l’acceptation, par les partenaires, de prestations supplémentaires qui, par leur nature ou les usages commerciaux, n’ont pas de lien avec l’objet du contrat – autrement dit, les « ventes couplées ».
En Grande-Bretagne, l’énumération est juridiquement limitative, tandis qu’en France et dans la Communauté elle n’est qu’indicative; cela traduit une différence de méthode législative, plus sûrement qu’une véritable divergence de solutions, car, finalement, les deux énumérations se recouvrent assez largement et englobent sinon toutes les ententes anticoncurrentielles concevables, du moins celles qui ont, pour les entreprises qui y ont recours comme pour le législateur qui les réglemente, une réelle importance pratique.
Les techniques législatives
Cette réglementation utilise, elle aussi, des techniques différentes selon les législations; substantiellement cependant, celles-ci ne sont pas rebelles à une vue synthétique. Le trait commun – du moins si l’on ne tient pas compte uniquement de la lettre des textes, mais aussi de leur application – est qu’elles ne prohibent pas (ou ne déclarent pas illicites ou inefficaces) toutes les ententes, sans exception. L’illustration la plus claire peut-être de cette position est fournie par l’article 85, paragraphe 3, du traité de Rome dont les termes ont pratiquement été repris mot pour mot par l’article 10-2 de l’ordonnance française du 1er décembre 1986: l’interdiction peut être déclarée inapplicable aux ententes « qui contribuent à améliorer la production ou la distribution des produits et à promouvoir le progrès technique ou économique, tout en réservant aux utilisateurs une partie équitable du profit qui en résulte, et sans: a) imposer aux entreprises intéressées des restrictions qui ne sont pas indispensables pour atteindre ces objectifs; b) donner à ces entreprises la possibilité, pour une partie substantielle des produits en cause, d’éliminer la concurrence ».
Formulée de manière plus casuistique, la distinction – ou, en tout cas, une limitation du champ d’application de l’inefficacité juridique des ententes – se rencontre également dans la législation allemande: celle-ci, en effet, excepte de cette inefficacité les cartels de conditions contractuelles, notamment de livraison et de paiement (autres que les cartels de prix), les cartels de rabais non discriminatoires, de crise structurelle, de rationalisation, d’exportation et, exceptionnellement, sur autorisation du ministre de l’Économie, les cartels répondant à un motif essentiel d’intérêt général.
On trouve des méthodes différentes – et, bien que partant de points de vue diamétralement opposés, apparentées l’une à l’autre – en droit américain et anglais. Aux États-Unis, la loi Sherman ne fait pas de distinction entre bonnes et mauvaises ententes; tous les accords restrictifs du commerce interétatique et international sont déclarés illégaux. Mais, dès 1911, dans ses trois arrêts dissolvant la Standard Oil, l’American Tobacco Co. et le trust Du Pont de Nemours, la Cour suprême définissait la « règle de raison » (rule of reason ) dont elle allait s’inspirer dans l’application du texte; cherchant à concilier la liberté de contracter et la liberté de la concurrence – dont le conflit possible est au cœur du droit de la concurrence –, la Cour affirme que la « restriction au commerce » n’est illicite que si elle est déraisonnable; toutefois, certaines clauses seront toujours considérées comme illicites per se (en soi), sans qu’il puisse être prétendu qu’elles sont raisonnables (par exemple, les ententes horizontales de fixation des prix). Inversement, la loi anglaise de 1976 ne condamne a priori aucun des accords qu’elle fait entrer dans son champ d’application; mais elle permet à l’autorité judiciaire de les annuler ou de prendre les mesures appropriées pour les priver d’effet s’ils apparaissent contraires à l’intérêt public.
On observe toutefois un certain rapprochement des systèmes juridiques, dans la mesure où la règle de raison a également fait son apparition dans certains droits continentaux, en particulier en droit français.
Telle qu’elle est mise en œuvre dans la C.E.E., cette règle permet d’accorder un traitement de faveur à certains comportements anticoncurrentiels en appréciant exclusivement leurs effets dans le cadre de l’article 85, paragraphe 1er, et en évitant ainsi l’« incroyable formalisme » qui consiste à soumettre d’abord la pratique à l’article 85, paragraphe 1er, avant de l’exonérer éventuellement sur le fondement de l’article 85, paragraphe 3. Seulement, ce raccourci n’est possible que dans la mesure où il apparaît très clairement que l’atteinte à la concurrence constatée est compensée par les effets bénéfiques déterminés par l’entente. Les autorités de contrôle, tant françaises que communautaires, estiment que tel est le cas lorsque les restrictions en cause sont de nature qualitative, c’est-à-dire justifiées par l’amélioration du service rendu au consommateur. La nécessité d’offrir un service à l’utilisateur variant selon la nature du produit, il n’est pas surprenant que cette jurisprudence soit apparue à propos de produits dont la vente exige une certaine qualification professionnelle, en particulier de produits techniquement avancés. Ces principes sont affirmés de façon très nette par la Cour de justice dans l’arrêt Metro de 1977: « ... La nature et l’intensité de la concurrence peuvent varier en fonction des produits ou services en cause et de la structure économique des marchés sectoriels concernés; notamment, dans le secteur de la production de biens de consommation durables, de haute qualité et technicité, dans lequel un nombre relativement restreint des producteurs, grands et moyens, offre une gamme variée d’appareils aisément interchangeables, en tout cas aux yeux des consommateurs, la structure du marché ne s’oppose pas à l’existence de canaux de distribution différenciés adaptés aux caractéristiques propres des différents producteurs et aux besoins des différentes catégories de consommateurs: dans cette perspective, la Commission a, à juste titre, reconnu que des systèmes de distribution sélective constituaient, parmi d’autres, un élément de concurrence conforme à l’article 85, paragraphe 1er, à condition que le choix des revendeurs s’opère en fonction de critères objectifs de caractère qualitatif, relatifs à la qualification professionnelle du revendeur, de son personnel et de ses installations, que ces conditions soient fixées d’une manière uniforme à l’égard de tous les revendeurs potentiels et appliquées de façon non discriminatoire. »
La position des autorités de contrôle françaises est similaire. Les contrats de distribution sélective échappent à l’article 7 de l’ordonnance du 1er décembre 1986, sans même avoir besoin d’une exonération sur le fondement de l’article 10, dès lors qu’ils ne s’accompagnent d’aucune restriction supplémentaire. Tel est le cas lorsque les contrats en cause ne prévoient aucune sélection quantitative directe et que les critères de choix des revendeurs ne sont pas appliqués de façon discriminatoire.
La faveur ainsi témoignée à la distribution sélective paraît conforme à l’analyse économique: l’introduction d’un tel système de distribution sur un marché concurrentiel augmente directement la satisfaction des consommateurs qui auront le choix entre l’achat, au prix le plus faible, auprès de distributeurs appartenant à des réseaux non intégrés et n’offrant aucun service ou l’acquisition, à un prix plus élevé, auprès de distributeurs membres du réseau et assurant le service.
La notion de concurrence efficace
Dans l’arrêt Metro, le juge communautaire déclare que « la concurrence non faussée visée aux articles 3 et 85 du traité de la C.E.E. implique l’existence sur le marché d’une concurrence efficace (workable competition ), c’est-à-dire de la dose de concurrence nécessaire pour que soient respectées les exigences fondamentales et atteints les objectifs du traité, en particulier la formation d’un marché unique réalisant des conditions analogues à celles d’un marché intérieur ». Toutes les restrictions à la concurrence ne sont pas condamnées par le droit. Non seulement celui-ci tend à dresser un bilan net de la restriction avant de la prohiber, mais il va même au-delà en exemptant de la prohibition les atteintes à la concurrence dont l’existence est établie dès lors que les bienfaits retirés de l’entente – spécialisation, rationalisation, coopération des entreprises pour la recherche, organisation de services communs ou de circuits de distribution, etc. – l’emportent sur ses effets négatifs pour la concurrence.
Au-delà de la variété des points de vue et des techniques, une certaine unité du droit des ententes peut être découverte dans la distinction fondamentale entre la dose de restrictions, nécessaire ou permise, et celle qui est déraisonnable et nuisible. La frontière elle-même peut sans doute se déplacer selon les époques et les pays; elle tend actuellement à se stabiliser autour de la notion de concurrence efficace – ou praticable – que la Commission de la C.E.E. définissait ainsi dans un mémorandum adressé, à la fin de 1965, aux gouvernements des États membres: « La notion de concurrence praticable recouvre une notion réaliste. On admet qu’il y a concurrence suffisamment efficace lorsque les entreprises ne limitent pas de façon excessive ou artificielle la vente ou la production, lorsqu’elles répondent de façon satisfaisante à la demande et lorsqu’elles font participer équitablement les utilisateurs de leurs produits aux profits qui résultent du progrès technique et économique. »
Formules vagues, pensera-t-on, ou qui n’ont en tout cas pas la rigueur que souhaiterait le juriste. C’est là, effectivement, un des caractères du droit de la concurrence: calqué étroitement sur les conditions du marché, elles-mêmes changeantes, sa souplesse lui interdit d’offrir la prévisibilité et, partant, l’entière sécurité juridique que l’on attend de la règle de droit.
Dans la période récente, les juges américains ont tenté de réduire cette zone d’imprévisibilité juridique en excluant, lors de l’application de la règle de raison, toute possibilité de prise en compte d’objectifs économiques ou sociaux extérieurs à la théorie de la concurrence proprement dite. Ce faisant, ils ont éloigné le droit antitrust américain de ses homologues européens qui, témoignant d’une confiance moindre dans les vertus de la concurrence, n’hésitent pas à exempter des ententes sur le fondement de considérations d’intérêt général telles que la protection de l’emploi, du petit commerce, de l’environnement, etc.
Les abus de domination
Les abus de domination sanctionnés par le droit de la concurrence empruntent, dans les droits européens les plus modernes, deux formes différentes: les règles classiques relatives à l’abus de position dominante sont aujourd’hui de plus en plus fréquemment complétées par des dispositions spécifiques concernant l’abus de dépendance économique . Le droit américain (de même que celui de la C.E.E.) ignore au contraire les situations de dépendance et se borne à contrôler la puissance économique d’entreprises isolées ou de groupes d’entreprises en prohibant la monopolisation .
Abus de position dominante et monopolisation
Les dispositions nationales consacrées à la domination visent le pouvoir de monopole soit dans sa formation, soit au niveau de ses conséquences sur le marché.
La section 2 de la loi Sherman, qui frappe de sanctions pénales « toute personne qui monopolisera , tentera de monopoliser, ou participera à une association ou à une entente avec une ou plusieurs personnes en vue de monopoliser une partie quelconque des échanges ou du commerce entre les différents États de l’Union ou avec les pays étrangers », saisit la position de monopole de l’entreprise « à l’arrivée » comme un résultat d’un comportement anticoncurrentiel. Inversant la relation entre les éléments constitutifs de l’infraction, l’article 86 du traité de Rome appréhende la domination de l’entreprise « au départ », comme un moyen de l’abus, en déclarant « incompatible avec le Marché commun et interdit, dans la mesure où le commerce entre États membres est susceptible d’en être affecté, le fait par une ou plusieurs entreprises d’exploiter de façon abusive une position dominante sur le Marché commun ou dans une partie substantielle de celui-ci ». De même, l’ordonnance française prohibe « l’exploitation abusive par une entreprise ou un groupe d’entreprises d’une position dominante sur le marché intérieur ou une partie substantielle de celui-ci ».
Les textes ne définissent pas plus le pouvoir de monopole ou la position dominante que l’exploitation abusive ou le comportement de monopolisation. Tous les systèmes juridiques identifient cependant la détention d’une part de marché très importante à une position de domination. Dès lors qu’une entreprise n’occupe pas une situation de monopole ou de quasi-monopole, d’autres facteurs sont pris en compte pour corroborer (ou infirmer) les conclusions tirées de l’évaluation de la part de marché de l’entreprise: critères de structure (degré de concentration du marché concerné, asymétrie des tailles des entreprises, barrières à l’entrée, etc.), critères de comportement (pratiques de collusion, d’exclusion, de prédation, etc.) ou, parfois même, critères de performance (marge bénéficiaire, progression des parts de marchés, pertes, etc.).
La détention d’une position de marché prédominante ne suffit pas à déclencher la prohibition. L’ensemble des règles relatives à la domination subordonne en effet la sanction à l’adoption d’un comportement anticoncurrentiel. Pour que la monopolisation soit constituée, il n’est besoin d’aucune intention fautive de la part de l’entreprise dominante ni de la réalisation d’un acte qui serait intrinsèquement illégitime, comme l’affirme la Cour suprême en 1966 dans l’arrêt Grinnell: « Pour être constitué, le délit de monopolisation visé à l’article 2 requiert la conjonction de deux éléments: la possession d’un pouvoir de monopole sur le marché concerné et l’acquisition ou le maintien volontaires de ce pouvoir par opposition à une croissance ou à un développement de celui-ci qui ne seraient que la conséquence de la supériorité du produit, de la clairvoyance en affaires ou d’un accident historique ». De même, dans les droits européens, des comportements parfaitement légitimes en eux-mêmes sont abusifs au sens de la loi dès lors qu’ils ont pour conséquence de renforcer ou de maintenir la position dominante de l’entreprise qui les adopte. Les autorités communautaires estiment ainsi qu’une prise de participation majoritaire dans une entreprise concurrente, un refus de vente, même justifié, l’imposition d’une clause de non-concurrence, la conclusion de contrats d’approvisionnement exclusif ou l’octroi de rabais de fidélité peuvent réaliser l’exploitation abusive d’une position dominante.
Certains pays européens, pour leur part, ont décidé d’utiliser les règles de concurrence pour assurer, au-delà du fonctionnement harmonieux des marchés, l’équilibre des relations entre partenaires économiques au travers de la sanction des abus de dépendance économique.
Abus de dépendance économique
Depuis la réforme de 1973, la loi allemande sur les restrictions de concurrence étend la prohibition visant les entreprises dominantes « aux entreprises et aux associations d’entreprises dont sont dépendants des fournisseurs ou des acheteurs d’un certain type de produits ou de services commerciaux dans la mesure où il n’existe pas suffisamment de possibilités raisonnables de s’adresser à d’autres entreprises ». L’ordonnance française du 1er décembre 1986, qui s’inspire de la législation allemande, prohibe « l’exploitation abusive par une entreprise ou un groupe d’entreprises de l’état de dépendance économique dans lequel se trouve, à son égard, une entreprise cliente ou fournisseur qui ne dispose pas de solution équivalente ».
La relation de dépendance caractérisée par ces textes est fondée sur la détention par l’entreprise en cause d’un pouvoir économique prédominant non pas dans le cadre du marché en général, mais à l’égard d’une entreprise en particulier. Ces règles ont en effet été essentiellement imaginées, à l’origine, pour protéger les fabricants contre les pratiques abusives de certaines grandes surfaces, et plus spécialement contre les exclusions de référence abusives pratiquées par les centrales d’achat. Celles-ci disposent, en effet, d’un pouvoir considérable à l’égard des fournisseurs qu’elles référencent et qui, de ce fait, sont autorisés à livrer leurs produits aux distributeurs affiliés, sans pour autant être dominantes sur un marché de produit particulier.
La prohibition de l’abus de dépendance économique a donc surtout pour objet de maintenir la capacité concurrentielle de certaines entreprises et non d’assurer le fonctionnement harmonieux du marché dans son ensemble. Bien qu’elle complète la sanction de l’abus de position dominante, la réglementation relative à la dépendance économique ressortit en définitive beaucoup plus au droit des pratiques restrictives qu’à celui des pratiques anticoncurrentielles.
Le contrôle des concentrations
À des degrés divers, l’accroissement de la dimension des entreprises est un phénomène constant et général dans tous les pays industrialisés. Il peut se réaliser par croissance interne : l’entreprise se développe par autofinancement ou apports de capitaux frais, sans s’unir ni se grouper avec d’autres entreprises. Mais il se réalise plus souvent encore par croissance externe , c’est-à-dire par groupement d’entreprises préexistantes, la plupart du temps une entreprise ou un groupe d’entreprises déjà doté d’une puissance économique appréciable absorbant une ou plusieurs entreprises plus faibles, ou s’assurant leur contrôle: on est alors en présence d’une « concentration d’entreprises ».
La concentration étant un moyen d’acquisition ou de renforcement du pouvoir de monopole, les États ont très rapidement songé à la réglementer. Les législations nationales adoptent alternativement ou cumulativement deux types de définition de l’opération de concentration. La première est fondée sur le moyen juridique permettant sa réalisation. Elle se réfère à des formes juridiques précises et en nombre limité: fusions, prises de participation, acquisitions d’actifs. Par conséquent, elle assure aux participants au marché une sécurité juridique optimale. La seconde définition se réfère au résultat économique de l’opération. Elle définit la concentration par son effet, la création d’un pouvoir de contrôle d’une entreprise sur une autre. Ce faisant, elle confère aux autorités de contrôle un pouvoir d’appréciation extrêmement large et place les participants au marché dans une situation d’imprévisibilité juridique relative.
Aux États-Unis, la section 7 de la loi Clayton porte interdiction, pour toute société, d’acquérir tout ou partie des actions ou autres capitaux sociétaires, ou tout ou partie des avoirs d’une autre société, lorsque l’effet de cette acquisition risque d’affaiblir notablement la concurrence, ou de créer un monopole: on reconnaît ici les prises de participation et les acquisitions d’actifs, instruments juridiques courants de la concentration économique. La loi allemande de 1957 énumère les principales formes juridiques de la concentration (fusions, acquisitions d’actifs, contrats d’entreprises, prises de participation) en ajoutant à cette énumération une clause « attrape-tout » qualifiant de concentration « toute autre liaison entre entreprises permettant à une ou plusieurs entreprises d’exercer, directement ou indirectement, une influence prédominante sur une autre entreprise ». L’ordonnance française du 1er décembre 1986 déclare que « la concentration résulte de tout acte, quelle qu’en soit la forme, qui emporte transfert de propriété ou de jouissance sur tout ou partie des biens, droits et obligations d’une entreprise ou qui a pour objet, ou pour effet, de permettre à une entreprise ou à un groupe d’entreprises d’exercer, directement ou indirectement, sur une ou plusieurs autres entreprises une influence déterminante ». Enfin, le règlement européen du 21 décembre 1989 (entré en vigueur le 21 septembre 1990) allie, à l’instar du droit français, une définition fondée sur le moyen et une définition fondée sur le résultat. Après avoir isolé un noyau dur d’opérations, définies par référence au moyen juridique employé – les fusions, qui constituent à coup sûr des concentrations –, le règlement ajoute qu’il s’applique également à l’ensemble des opérations, quelle que soit leur forme juridique, conduisant à l’acquisition du contrôle d’une ou de plusieurs entreprises.
Le régime des concentrations d’entreprises en droit de la concurrence procède, dans maintes législations, d’une conception et d’une technique différentes de celles qu’on a analysées à propos des ententes. On ne trouve pas, tout d’abord, de principe général de prohibition des concentrations sous toutes les formes, fût-il assorti de tempéraments ou d’exceptions. Les législations les plus restrictives à cet égard n’édictent une telle prohibition que si la concentration tend à créer un monopole, ou risque d’affaiblir notablement la concurrence (loi Clayton). De la même façon, en Europe, les concentrations ne sont pas prohibées de plein droit mais peuvent seulement, en cas d’atteinte suffisamment grave à la concurrence, être déclarées incompatibles avec une concurrence effective par les autorités de contrôle. Généralement (la question est débattue en droit communautaire), l’incompatibilité est ensuite susceptible d’être levée grâce à une déclaration d’inapplicabilité dont les conditions ne sont pas sans rappeler celles auxquelles est subordonnée l’exemption d’une entente. Les pouvoirs d’exemption sont alors en général répartis entre l’autorité administrative de contrôle, d’une part, qui statue en tenant compte seulement des incidences de l’opération sur la concurrence (Office des cartels allemand) ou, plus largement, sur le progrès économique (Conseil de la concurrence français) et, d’autre part, l’organe politique représenté par le ministre de l’Économie, qui se voit reconnaître le pouvoir de revenir sur cette appréciation compte tenu de la contribution de l’opération de concentration au progrès économique et social (France) ou de ses avantages du point de vue de l’ensemble de l’économie ou de l’intérêt public (Allemagne).
Le préjugé favorable dont bénéficie la concentration économique dans la plupart des législations ne s’explique pas seulement par des motifs de politique économique – la volonté des États d’accroître la capacité concurrentielle de leur industrie; il est également justifié du point de vue de la théorie économique, une concentration entraînant, en règle générale, des effets favorables sur le plan de l’efficacité. Tel n’est pas le cas d’une entente, qui apparaît a priori suspecte (et ne peut donc être rachetée qu’exceptionnellement), dans la mesure où elle supprime la concurrence sans contribuer nécessairement à accroître l’efficience économique.
Mise en œuvre
La mise en œuvre du droit de la concurrence suppose, d’une part, que l’on connaisse le domaine d’application territorial des règles édictées par chaque pays, ou, à présent, en Europe; elle implique, d’autre part, l’intervention d’autorités compétentes et l’application de sanctions.
Domaine d’application territorial
Les ententes et les opérations de concentration revêtent souvent un caractère international. Des ententes se sont formées, bien avant la Première et, surtout, la Seconde Guerre mondiale, entre des entreprises ou des groupes d’entreprises géants, dans le domaine du pétrole (Standard Oil et Shell), des produits chimiques (Du Pont de Nemours, Imperial Chemicals, I.G. Farben, Solvay), de la construction électrique (General Electric, Westinghouse, A.E.G., Siemens-Schukert, Philips, Brown-Boveri), de la sidérurgie (Comptoir sidérurgique de France, Stahlwerken-Verband, British Iron and Steel Federation), etc. De véritables concentrations internationales ont été réalisées, soit à partir de sociétés d’un pays prenant le contrôle de sociétés étrangères dont elles faisaient leurs filiales (par exemple, General Electric et Bull, General Motors et Opel, Chrysler et Simca, Rhône-Poulenc ou Saint-Gobain et leurs filiales étrangères), soit par de véritables fusions économiques, alors même que l’instrument juridique d’une fusion internationale fait encore défaut.
En outre, des ententes ou des concentrations même nationales peuvent avoir des effets anticoncurrentiels sur un ou plusieurs marchés extérieurs (notamment par une répartition de ces marchés, par des pratiques concertées à l’exportation, ou par l’acquisition d’un monopole ou d’un quasi-monopole).
De ce double point de vue, par conséquent, l’entente ou la concentration relèvent de plusieurs législations et autorités; parmi celles-ci, quelle est ou quelles sont celles qui peuvent les appréhender?
La question est complexe, et vivement débattue. La nationalité étrangère d’une ou plusieurs des entreprises participant à l’opération anticoncurrentielle ne suffit pas (sauf dispositions législatives expresses en ce sens, qui demeurent exceptionnelles) pour faire obstacle à l’application des lois sur la concurrence d’un pays déterminé. Ainsi, par exemple, la loi allemande de 1957 s’est appliquée à toutes les restrictions de la concurrence ayant leurs effets sur le territoire de la République fédérale, même si elles ont leur origine en dehors de ce territoire; la jurisprudence américaine a pris la même position, notamment dans l’affaire Alcoa, jugée en 1945, où la simple intention d’un cartel étranger de restreindre les exportations de lingots d’aluminium vers les États-Unis a été considérée comme suffisante pour entraîner l’application du droit antitrust de l’Union.
L’application extraterritoriale du droit antitrust risque cependant de porter atteinte à des souverainetés étrangères. Aussi le juge américain n’affirme-t-il sa compétence à l’égard de comportements extérieurs produisant leurs effets sur le territoire des États-Unis que lorsqu’il estime son intervention suffisamment justifiée compte tenu de la nationalité ou de la résidence des auteurs de l’acte, des incidences respectives des comportements domestiques et étrangers, de l’importance relative des effets dans les différents pays concernés, de la probabilité d’une atteinte au marché américain, des risques de conflit entre les lois et politiques en présence et des difficultés d’exécution de la décision. Au-delà, la loi Sherman a été modifiée en 1982 pour ne plus concerner que les comportements extérieurs ayant « un effet direct, substantiel et raisonnablement prévisible ». L’application extraterritoriale de la loi allemande sur les restrictions de concurrence est subordonnée par la jurisprudence à des conditions similaires. La même solution était admise, semble-t-il, en droit communautaire. Toutefois, la Cour de justice est revenue sur cette jurisprudence en 1988 (arrêt « Pâte de bois ») en adoptant une position intermédiaire entre un critère jugé trop large (le critère de l’effet) et un autre trop étroit (le critère du comportement): « Une infraction à l’article 85, telle que la conclusion d’un accord qui a pour effet de restreindre la concurrence à l’intérieur du marché commun, implique deux éléments de comportement, à savoir la formation de l’entente et sa mise en œuvre. Faire dépendre l’applicabilité des interdictions édictées par le droit de la concurrence du lieu de formation de l’entente aboutirait à l’évidence à fournir aux entreprises un moyen facile de se soustraire auxdites interdictions. Ce qui est déterminant est donc le lieu où l’entente est mise en œuvre. »
De telles solutions peuvent naturellement conduire à ce que plusieurs pays s’estiment fondés à « se saisir » d’une entente ou d’une concentration. Mais c’est là une conséquence habituelle de la diversité des législations, combinée avec la multiplicité des points de rattachement nationaux d’une même opération: c’est la matière quotidienne du droit international privé. En cette matière, comme en d’autres, le règlement uniforme des conflits de lois ne pourrait résulter que d’une convention internationale.
Plus grave encore est la question des pouvoirs que les autorités administratives ou judiciaires d’un État entendraient exercer, hors de leurs frontières, pour recueillir des documents ou des témoignages relatifs à une entente ou à une opération de concentration faisant l’objet d’une procédure sur le territoire de cet État. C’est, en particulier, la tendance des autorités fédérales américaines, manifestée par exemple dans l’affaire du Watchmakers of Switzerland Information Center (dans laquelle les décisions judiciaires finales sont intervenues en 1964 et 1965); elle soulève, à l’étranger, de vives protestations, et il n’est pas douteux qu’elle met en cause la souveraineté des États sur les territoires desquels il serait procédé à de telles investigations. Ces États réagissent en adoptant des lois de blocage (Blocking Statutes ) prohibant, notamment, les dépositions de témoins et les communications de documents à l’étranger. De telles lois ont été adoptées en France, en Allemagne et au Royaume-Uni. Là encore, seule une convention internationale pourrait concilier les exigences de cette souveraineté avec celles de l’application effective des législations de la concurrence aux pratiques anticoncurrentielles et concentrations de caractère international. En attendant, des accords de coopération sont parfois conclus entre les États sur le modèle de la résolution de l’O.C.D.E. de 1972, prévoyant la notification des actions, l’échange d’informations et la coordination des procédures.
La coordination des législations pose un problème particulier dans les systèmes fédéraux ou « préfédéraux ». Ainsi, la loi Sherman ne concerne que le commerce entre les États de l’Union, ou avec l’étranger; des lois étatiques s’appliquent aux pratiques restrictives dont les effets sont limités au territoire d’un seul État (ce qui est du reste exceptionnel, dans un marché aussi intégré que celui des États-Unis, pour peu que ces pratiques, et les entreprises qui s’y livrent, soient de quelque importance). Dans la Communauté économique européenne, la prohibition ne vise que les ententes et les abus de position dominante qui sont « susceptibles d’affecter le commerce entre les États membres »; si les effets anticoncurrentiels sont trop limités pour affecter le commerce interétatique, ils ne relèvent pas du droit communautaire. De la même façon, le règlement européen sur le contrôle des concentrations ne s’applique qu’aux opérations de concentration de « dimension communautaire ». Celle-ci est atteinte lorsque le chiffre d’affaires total réalisé sur le plan mondial par toutes les entreprises en cause représente un montant supérieur à 5 milliards d’écus, que le chiffre d’affaires total réalisé individuellement dans la Communauté par au moins deux des entreprises concernées est supérieur à 250 millions d’écus et à condition que les entreprises concernées ne réalisent pas plus des deux tiers de leur chiffre d’affaires total dans la Communauté à l’intérieur d’un seul et même État membre. La révision des seuils de contrôle est prévue avant la fin de 1993, et il n’est pas exclu que la Commission demande à cette occasion une réduction de ces montants minimaux.
Autorités compétentes
La mise en œuvre du droit de la concurrence suppose de minutieuses investigations économiques, mais aussi l’application de sanctions, dont certaines de caractère pénal.
Il en résulte, pratiquement dans toutes les législations, que cette mise en œuvre est répartie entre les juridictions proprement dites et des organes administratifs (comme le Conseil de la concurrence et la Direction de la concurrence, en France, ou l’Office des cartels, en Allemagne). Dans la Communauté européenne, on rencontre la même répartition entre la Commission, qui est investie à la fois d’un pouvoir d’enquête et de décision, et la Cour de justice, qui exerce un contrôle de légalité sur les décisions de la Commission. De même en Grande-Bretagne, l’application de la loi est assurée par la Commission des monopoles et des fusions (Monopolies and Mergers Commission), le directeur général chargé de la sauvegarde de la loyauté du commerce (Director General of Fair Trading), la Cour des pratiques restrictives (Restritive Practices Court) et la Haute Cour de justice; aux États-Unis, par la Federal Trade Commission, la Division antitrust du ministère de la Justice et les juridictions fédérales. De manière générale, l’organe administratif a des pouvoirs d’enquête et d’engagement des poursuites, et quelquefois aussi de décision; mais celle-ci revient en définitive à l’autorité judiciaire, ne serait-ce que par les recours ouverts aux intéressés.
Sanctions
Les sanctions des prohibitions édictées par le droit de la concurrence peuvent être de deux ordres: civiles (c’est, sous diverses appellations et selon des techniques variables, la nullité ou l’inefficacité juridique de l’opération prohibée) et pénales (amende et, théoriquement, emprisonnement). Dans la Communauté européenne, les amendes existent également, mais elles sont considérées comme « administratives », les États ayant conservé, à titre exclusif, leurs compétences en matière pénale.
La nullité, ou l’inefficacité juridique, s’applique du reste difficilement aux concentrations qui, atteignant la structure des entreprises, sont irréversibles, ou difficilement réversibles. C’est la raison pour laquelle le règlement européen prévoit la notification obligatoire des opérations de dimension communautaire préalablement à leur réalisation.
Le droit de la concurrence déloyale
Le droit de la concurrence déloyale se situe au niveau des rapports entre deux entreprises considérées individuellement; il a pour objet de protéger la clientèle de l’une d’elles contre les manœuvres par lesquelles l’autre cherche à la détourner à son profit. Il convient de le distinguer des règles qui protègent les titres de propriété industrielle (brevets, marques de fabrique, dessins et modèles déposés) contre les contrefaçons ou imitations: bien que le but des règles de cette catégorie soit également la protection de la clientèle (à travers celle des moyens de production ou d’identification des produits appartenant à une entreprise), elles constituent une branche particulière du droit.
Le fondement et la technique des règles relatives à la concurrence déloyale varient de pays à pays. Certains États connaissent, en effet, une législation propre à cette matière, définissant les actes de concurrence déloyale et les sanctions qu’ils encourent; celles-ci sont quelquefois pénales, mais de toute manière il existe toujours dans ces législations des sanctions civiles (dommages et intérêts; cessation, pour l’avenir, des actes fautifs). Il en est ainsi, par exemple, en Allemagne, en Italie, en Suisse. Dans d’autres pays, au contraire, il n’existe pas de textes propres à la matière, mais la concurrence déloyale y est civilement sanctionnée en vertu de principes généraux, le plus souvent coutumiers: c’est le cas, notamment, des États-Unis et de la Grande-Bretagne.
Pour l’essentiel, la France peut être rangée dans cette dernière catégorie, avec cette réserve que les sanctions de la concurrence déloyale y trouvent leur fondement non pas dans des règles coutumières, mais dans les textes généraux relatifs à la responsabilité civile (art. 1382 et 1383 du Code civil). Il y a en effet faute – au moins de négligence – à créer ou laisser se créer la confusion avec une entreprise concurrente, notamment par imitation de son nom commercial, de ses procédés de fabrication (même non brevetés) ou de vente, de sa publicité, etc. (à condition que procédés et publicité présentent un caractère de nouveauté et d’originalité); il y a faute nécessairement intentionnelle à dénigrer un concurrent, ou à débaucher systématiquement son personnel qualifié. Or tels sont les actes de concurrence déloyale le plus souvent sanctionnés par les tribunaux français.
Cette variété des régimes nationaux de la concurrence est largement corrigée, dans les rapports internationaux, par la très importante Convention d’Union de Paris de 1883, pour la protection de la propriété industrielle. Selon l’article 10 bis de cette Convention – à laquelle ont adhéré tous les pays industriels de quelque importance –, « les pays de l’Union sont tenus d’assurer aux ressortissants de l’Union une protection effective contre la concurrence déloyale »; puis, le texte dispose que « constitue un acte de concurrence déloyale tout acte de concurrence contraire aux usages honnêtes en matière industrielle ou commerciale », et précise cette définition par une liste non limitative, qui comprend les faits propres à créer une confusion avec une entreprise concurrente, les allégations fausses de nature à discréditer un concurrent, et les indications ou allégations de nature à induire le public en erreur sur les marchandises offertes.
Dans ce dernier exemple, c’est de la défense de l’intérêt public qu’il s’agit plutôt que de la protection directe d’un concurrent déterminé. Aussi bien a-t-on souligné que, s’il fallait les distinguer, des liens n’en existaient pas moins entre les deux aspects du droit de la concurrence, entendu dans son sens le plus général: le droit de la concurrence en tant qu’instrument de maintien, sur le marché, d’une concurrence suffisante, et le droit de la concurrence déloyale, strictement compris.
concurrence [ kɔ̃kyrɑ̃s ] n. f.
• 1370 « rencontre »; de concurrent
1 ♦ Vx Rencontre. — Mod. Loc. (Jusqu') à concurrence de : jusqu'à ce qu'une somme parvienne à en égaler une autre. Il doit rembourser jusqu'à concurrence de cent mille francs.
2 ♦ (1559) Vieilli ou littér. Rivalité entre plusieurs personnes, plusieurs forces poursuivant un même but. ⇒ compétition , concours, rivalité. « La guerre est fondée sur la compétition, sur la rivalité, sur la concurrence » (Péguy). — EN CONCURRENCE. Être, se trouver en concurrence avec un adversaire, un rival. Entrer en concurrence avec qqn (cf. Aller sur ses brisées). — Fig. En balance. « Nul intérêt n'est jamais entré dans son âme en concurrence avec la vérité » (Massillon).
♢ Concurrence de marques, de produits.
3 ♦ FAIRE CONCURRENCE À : se trouver en concurrence avec. « Il y avait en Proudhon l'étoffe de deux hommes qui se firent continuellement concurrence, le savant et l'écrivain » (Sainte-Beuve). Fam. Vous faites concurrence à..., vous l'imitez, vous agissez de même. (Choses) Produit qui fait concurrence à un autre. Leurs deux derniers modèles se font concurrence. ⇒ cannibaliser.
4 ♦ (1748) Rapport entre entreprises, commerçants qui se disputent une clientèle. Libre concurrence : régime qui laisse à chacun la liberté de produire, de vendre ce qu'il veut, aux conditions qu'il choisit (⇒ libéralisme; cf. Économie de marché) . Concurrence illicite, déloyale. Prix qui supporte la concurrence (⇒ compétitif, concurrentiel) , défiant toute concurrence, très bas (⇒ dumping) . — Écon. Concurrence pure et parfaite : modèle de marché sur lequel est fondée la théorie économique classique et la loi de l'offre et de la demande.
♢ Par ext. L'ensemble des entreprises, des commerçants concurrents. La concurrence les a privés d'une partie de la clientèle.
⊗ CONTR. Association, entente; exclusivité, monopole.
● concurrence nom féminin (de concurrent) Compétition, rivalité d'intérêts entre plusieurs personnes qui poursuivent un même but : Être en concurrence avec quelqu'un pour obtenir un poste. Structure d'un marché qui se caractérise par une pluralité d'entreprises en compétition les unes par rapport aux autres pour bénéficier de la préférence des consommateurs. Compétition sur le marché commercial entre plusieurs produits, services, etc. Ensemble des commerçants, des industriels concurrents : Lutter contre la concurrence. ● concurrence (expressions) nom féminin (de concurrent) Faire concurrence à, tenter d'obtenir une même chose que quelqu'un d'autre ; offrir des avantages qui risquent de supplanter quelque chose d'autre sur le marché commercial, industriel, etc., être compétitif. Jusqu'à concurrence de tant, jusqu'à ce que telle limite soit atteinte. Concurrence vitale, compétition entre individus d'une même population pour leur subsistance, leur territoire, etc., ayant pour résultat, selon le darwinisme, la survivance et la reproduction des plus aptes, et une meilleure adaptation de la lignée à son milieu. Concurrence déloyale, pratiques frauduleuses de détournement de clientèle. Régime de libre concurrence, celui dans lequel les prix ne sont pas contrôlés par les pouvoirs publics, où la création des entreprises privées demeure libre et où les pouvoirs publics n'interviennent essentiellement que pour garantir le libre jeu de la compétition entre les entreprises. ● concurrence (synonymes) nom féminin (de concurrent) Compétition, rivalité d'intérêts entre plusieurs personnes qui poursuivent un même...
Synonymes :
- compétition
- lutte
Contraires :
- alliance
- entente
- union
concurrence
n. f.
d1./d Jusqu'à concurrence de: jusqu'à la limite de.
d2./d Compétition, rivalité entre personnes, entreprises, etc., qui prétendent à un même avantage; ensemble des concurrents. être en concurrence avec qqn. Des prix défiant toute concurrence, très bas.
|| Système de la libre concurrence: système économique laissant à chacun la liberté de produire et de vendre aux conditions qu'il souhaite.
d3./d DR égalité de rang, de droit. Exercer une hypothèque en concurrence.
⇒CONCURRENCE, subst. fém.
A.— Fait d'être ensemble, d'agir de concert, conjointement, à égalité dans la poursuite d'un même but. Cet artiste (...) arrivait souvent, par une heureuse concurrence de petits moyens, à des résultats d'un effet puissant (BAUDELAIRE, Salon, 1846, p. 138).
— Spécialement
1. DR. Fait d'être à égalité pour exercer certains droits. Exercer une hypothèque en concurrence; venir en concurrence (Ac. 1835-1932). Les créanciers privilégiés qui sont dans le même rang, sont payés par concurrence (Code civil, 1804, art. 2097, p. 376).
2. RELIG. CATH. Concurrence [d'office(s)]. Coïncidence des premières et secondes vêpres de deux fêtes différentes (cf. HUYSMANS, L'Oblat, t. 2, 1903, p. 182).
— [Avec une idée de limite] (Jusqu')à (la) concurrence de. Jusqu'à la rencontre, à la coïncidence finale avec un chiffre déterminé, en particulier une somme d'argent due; jusqu'à la limite extrême de. Diminuer le poids du plateau opposé jusqu'à concurrence de sept grammes neuf décigrammes (PONSON DU TERRAIL, Rocambole, Les Exploits de Rocambole, t. 5, 1859, p. 378). Jusqu'à due concurrence. Jusqu'à concurrence d'une somme d'argent déterminée. Une somme de trois cents francs, payable jusqu'à due concurrence (R. ROLLAND, Jean-Christophe, Les Amies, 1910, p. 1193).
B.— 1. Fait de se trouver en opposition, le plus souvent d'intérêt dans la poursuite d'un même but, chacun visant à supplanter son rival. Concurrence redoutable; la loi de la concurrence; se trouver en concurrence avec qqn, qqc. Cette petite porte sournoise faisait concurrence aux deux autres (A. DUMAS Père, Le Comte de Monte-Cristo, t. 1, 1846, p. 563). Dans cette mortelle concurrence du monde moderne, (...) dans cette compétition perpétuelle (PÉGUY, Notre jeunesse, 1910, p. 182).
2. Spécialement
a) BIOL. Concurrence vitale. Lutte pour l'existence que tout être vivant doit mener et qui, selon la théorie de Darwin, conduit à la sélection naturelle (cf. BERGSON, L'Évolution créatrice, 1907, p. 56).
b) COMM. et ÉCON.
— Situation de marché dans laquelle des producteurs, des commerçants, des entreprises et, p. méton., des produits rivalisent entre eux pour attirer la clientèle par différents moyens (prix plus bas, meilleure qualité). Le jeu de la concurrence; les effets de la concurrence; prix de concurrence. Les marchands redoutent la concurrence des vins nouveaux (SAY, Traité d'écon. pol., 1832, p. 320).
SYNT. Concurrence internationale; une concurrence très vive; soutenir la concurrence; subir la concurrence de; lutter contre la concurrence. (Régime de) libre concurrence. Système économique qui laisse à chacun toute liberté de production, de vente, l'État n'intervenant que pour garantir le libre jeu des lois du marché. Dès 1860, la grande industrie a dû abandonner le préjugé de la libre concurrence (ARAGON, Les Beaux quartiers, 1936, p. 197). Concurrence déloyale. Fait d'un producteur, d'un commerçant cherchant à nuire à un rival de la même branche, en particulier à lui prendre sa clientèle par des moyens malhonnêtes et de ce fait délictueux (cf. C. PINEAU, La S.N.C.F. et les transp. 1950, p. 92). Concurrence illicite. Fait pour un agent économique de violer les engagements pris vis-à-vis d'un autre (cf. C. PINEAU, La S.N.C.F. et les transp. 1950, p. 92); souvent synon. de concurrence déloyale. Concurrence latente. Situation de marché en sommeil qui pourrait se réveiller en cas d'évolution favorable des prix (cf. PERROUX, L'Écon. du XXe s., 1964, p. 634). Synon. concurrence potentielle, virtuelle. Concurrence monopolistique. Système dans lequel l'offre n'est faite que par quelques firmes pour un produit analogue (cf. PERROUX, L'Écon. du XXe s., 1964, p. 520). Concurrence pure et parfaite. Système dans lequel acheteurs et vendeurs de même puissance économique et pour un même produit sont nombreux, bien informés, libres d'entrer dans le marché et de s'en retirer (cf. PERROUX, L'Écon. du XXe s., 1964, p. 31). Anton. concurrence impure et imparfaite (cf. PERROUX, L'Écon. du XXe s., 1964, p. 514).
— P. méton.
— Ensemble de producteurs, de commerçants faisant concurrence à d'autres. La dislocation du personnel de David, repris et sollicité en sous-main par la concurrence (VAN DER MEERSCH, Invasion 14, 1935, p. 459).
♦ Établissement, entreprise faisant concurrence à un(e) autre :
• 1. Le projet du Crédit Immobilier était de créer, sur la rue du Dix-Décembre, une concurrence au Grand-Hôtel, un établissement luxueux, dont la situation centrale attirerait les étrangers.
ZOLA, Au Bonheur des dames, 1883, p. 457.
♦ Périodique faisant concurrence à un autre :
• 2. ... en douce je manœuvre; ça roule; (...) le vieux [un directeur de journal] saute. Pour se venger, il fonde une concurrence. Elle rate et il crève de dépit.
A. ARNOUX, Paris-sur-Seine, 1939, p. 41.
Prononc. et Orth. :[]. [] simple ds PASSY 1914, Pt ROB. et Lar. Lang. fr.; cf. aussi ds FÉR. Crit. t. 1 1787, NOD. 1844. [RR] double ds WARN. 1968; cf. aussi ds FÉR. 1768, LAND. 1834, GATTEL 1841 (r forte), FÉL. 1851, LITTRÉ et DG. Noter que pour le dér. concurremment FÉR. 1768 ne met qu'un [] alors qu'il note [RR] pour concurrent comme pour concurrence, que WARN. 1968 admet [] ou [RR] pour concurrencer et concurrent. Ds Ac. 1694-1932. Étymol. et Hist. A. Rencontre 1. 1370-82 « rencontre, convergence de deux éléments » (NICOLE ORESME, Livre du Ciel et du Monde, éd. A. D. Menut et A. J. Denomy, 57b, p. 242) — 1675 (WIDERHOLD, Nouveau dict. fr.-all. et all.-fr. d'apr. FEW t. 2, p. 1015); 1690 spéc. liturg. « rencontre dans le temps » concurrence d'offices (FUR.); 2. 1559 jusques à la concurrence de (AMYOT, Eumènes, 15 ds LITTRÉ) — 1784 (B. de St-Pierre ds GOHIN, p. 334); 1740 jusqu'à concurrence de (Ac.); 3. 1690 dr. (FUR.). B. Rivalité 1. 1559 « rivalité entre plusieurs personnes ou forces pour un même objet » (AMYOT, Brutus, 8 ds LITTRÉ); 1669 entrer en concurrence (MOLIÈRE, L'Avare, IV, 4); 2. 1648 « rivalité commerciale » (Délibération de la salle de Saint-Louis ds E. LEVASSEUR, Hist. des classes ouvrières et de l'Industrie en France avant 1789, 2e éd., t. 2, 1901, p. 201, note 2). Dér. de concurrent; suff. -ence (-ance); cf. le lat. médiév. concurrentia (dès 1250 ds LATHAM) aux sens de « somme que l'on ne peut dépasser », 1322 ds DU CANGE s.v., p. 484a et de « rivalité » av. 1344 Galvano Fiamma, ibid. Fréq. abs. littér. :1 011. Fréq. rel. littér. :XIXe s. : a) 1 096, b) 714; XXe s. : a) 1 116, b) 2 310. Bbg. GOHIN 1903, p. 334. — MAT. Louis-Philippe 1951, p. 20.
concurrence [kɔ̃kyʀɑ̃s] n. f.
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1 Vx. Rencontre. — (1690). Théol. || Concurrence d'offices : coïncidence des offices de deux fêtes doubles consécutives, aux secondes vêpres.
2 ☑ (1740, jusques à la concurrence de, 1559). Loc. Jusqu'à concurrence de, jusqu'à ce qu'une somme parvienne à en égaler une autre. || Il doit rembourser jusqu'à concurrence de cent mille francs. Techn. || Somme payable jusqu'à une concurrence de…
0.1 (…) une version heureuse de la journée, qui les porta, selon leur façon d'entendre l'hospitalité, à réunir leurs fils et filles jusqu'à concurrence de quatre pour me jouer un quatuor (…).
Giraudoux, Siegried et le Limousin, p. 87.
♦ (1690). Dr. Égalité entre plusieurs personnes sur une question de droit, de privilège, d'hypothèque (⇒ Concourir, concours).
3 (1559). Vieilli ou littér. Rivalité entre plusieurs personnes, plusieurs forces poursuivant un même but, et tentant de se supplanter mutuellement. ⇒ Compétition, concours, rivalité. || Une concurrence âpre, sévère; dangereuse. || Se faire concurrence. || La concurrence de rivaux. || Être, se trouver en concurrence avec un adversaire, un antagoniste, un émule, un rival. || Entrer en concurrence avec qqn. ⇒ Brisée (aller sur les brisées).
1 N'est-ce pas une chose épouvantable, qu'un fils qui veut entrer en concurrence avec son père ?
Molière, l'Avare, IV, 4.
2 Il y avait, en Proudhon, l'étoffe de deux hommes qui se firent continuellement concurrence, le savant et l'écrivain.
Sainte-Beuve, Proudhon, Sa vie et sa correspondance, p. 88.
3 Toute guerre est bourgeoise, car la guerre est fondée sur la compétition, sur la rivalité, sur la concurrence (…)
Ch. Péguy, la République…, févr. 1900, p. 19.
4 La concurrence (qui est l'un des traits les plus frappants de l'ère moderne), a atteint de très bonne heure, en Méditerranée, une intensité singulière : concurrence des négoces, des influences, des religions.
Valéry, Variété III, p. 247.
5 N'oublions pas que la concurrence la plus pressante est une des dures conditions du temps actuel. Jusque dans la science, jusque dans les sports, les nations se disputent chaque jour la prééminence.
Valéry, Variété IV, p. 203.
6 Certains officiers essayaient de me la souffler, Lola. Leur concurrence était redoutable, armés qu'ils étaient, eux, des séductions de leur Légion d'honneur.
Céline, Voyage au bout de la nuit, p. 54.
♦ ☑ Fig. Être, entrer en concurrence avec… : être, entrer en balance avec…
7 Nul intérêt n'est jamais entré dans son âme en concurrence avec la vérité.
Massillon, Oraison funèbre Conty.
♦ Biol. || Concurrence vitale : lutte entre plusieurs espèces pour leur survie. ⇒ Sélection (naturelle).
4 (1648, in T. L. F.). Mod. et cour. Rapport entre producteurs, entre commerçants qui se disputent une clientèle (⇒ Concurrent, 4.). || Libre concurrence : régime qui laisse à chacun la liberté de produire, de vendre ce qu'il veut, aux conditions qu'il choisit (⇒ Libéralisme). || La libre concurrence a fait son temps (→ Marché, cit. 29). || Concurrence illicite, déloyale (⇒ Fraude). ☑ Prix défiant toute concurrence : prix très bas. || Concurrence par dumping. || Restrictions à la concurrence par les monopoles (trusts, cartels…). || Ces deux commerçants se livrent une concurrence acharnée, très vive. || Personne ne leur fait concurrence. || Les effets, le jeu de la concurrence. ⇒ Concurrentiel. Ensemble des producteurs, des commerçants concurrents. || La concurrence nous a privé d'une partie de la clientèle. || La concurrence internationale.
8 C'est la concurrence qui met un prix juste aux marchandises.
Montesquieu, l'Esprit des lois, XX, 10.
9 Si la concurrence n'était qu'une forme de l'émulation, elle assurerait la victoire au plus moral, au plus dévoué, au plus altruiste, et alors elle serait un instrument de progrès et de sélection véritable. Mais comme elle est aussi une forme de la lutte pour la vie, elle assure la victoire au plus fort et au plus habile, et par là, elle peut même entraîner une véritable rétrogradation morale.
Charles Gide, Cours d'économie politique, I, p. 213.
♦ Vx. Entreprise qui fait concurrence à une autre. || Fonder une concurrence. || Créer une concurrence à une autre entreprise.
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DÉR. Concurrencer. — (Du sens 4) Concurrentiel.
Encyclopédie Universelle. 2012.