CORSE
Située à près de 200 km au sud-est de Nice, l’île de Corse délimite, avec l’Italie péninsulaire, la Sicile et la Sardaigne – dont elle n’est séparée que par une dizaine de kilomètres aux bouches de Bonifacio –, la mer Tyrrhénienne, partie de la Méditerranée occidentale.
Ainsi placée au carrefour des voies maritimes, de l’Italie à l’Espagne, de la Gaule à l’Afrique, elle connut une histoire particulièrement tragique. Des Carthaginois aux Lombards et aux Maures, des Romains aux Aragonais et aux Génois, les peuples du Bassin méditerranéen se sont succédé sur son sol. Cependant, aucun ne semble avoir eu une influence prépondérante. L’île témoigne encore d’un fort particularisme qui, bien qu’étant source de richesses, constitue un obstacle sérieux à toute mise en valeur, à tout développement économique, alors que celui-ci se trouve déjà compromis par l’insularité et le puissant relief qui font de cette région française d’une superficie de 8 722 km2 une montagne dans la mer.
L’histoire récente ajoute à ces difficultés. Alors que l’intérieur de l’île dépérit, le développement qui change le visage du littoral et des plaines a la fragilité des greffes. Qu’il s’agisse de démographie, d’économie, de vie politique, l’ensemble insulaire subit le traumatisme d’une évolution venue de l’extérieur. Il y réagit aux extrêmes, alors que, du même mouvement, la sensibilité corse croît en fonction de la conscience d’une déperdition: c’est en termes d’identité que l’avenir de l’île pourrait se dessiner.
1. Une montagne dans la mer
La terre
À part de faibles superficies de terres qui se trouvent à l’embouchure des fleuves, seule la côte orientale présente des espaces suffisamment plans pour qu’on puisse parler de plaine. Pour le reste, il s’agit de deux systèmes montagneux orientés du nord au sud et séparés par une dépression appelée «sillon de Corte». Le système occidental est le plus important par son altitude (monte Cinto, 2 710 m; monte Rotondo, 2 625 m; monte d’Oro, 2 391 m; Incudine, 2 195 m) et son étendue. D’une crête centrale, ne s’abaissant jamais au-dessous de 1 000 m, des torrents de direction nord-est - sud-ouest descendent vers la Méditerranée occidentale (Gravone, Taravo, etc.). Ces torrents ont creusé de profondes vallées limitées par des crêtes aiguës. Les roches essentiellement cristallines sont assez variées pour laisser place à des paysages contrastés: aux lourdes croupes et aux bassins granitiques s’opposent les pics et les gorges granulitiques. La présence de barres de roches dures dans les sections moyennes des vallées isole des bassins perchés, comme celui de Bastelica. Les rares plaines de la côte occidentale sont taillées dans les granites tendres (Calvi, Ajaccio).
La crête centrale descend brusquement vers l’est (balcon de l’Ospedale), sauf au nord où les torrents tyrrhéniens ont réussi à la reporter très à l’ouest. Le principal d’entre eux, le Golo, a ainsi isolé le plus parfait des bassins montagnards: le Niolo, séparé du sillon de Corte par les gorges de la Scala de Santa Regina. Ce sillon lui-même est en fait composé de segments discontinus séparés par des cols assez élevés (San Colombano, 692 m).
Au nord-est, le second système montagneux, moins élevé que le précédent (monte San Pietro, 1 766 m), est formé de deux masses bien distinctes: la «Castagniccia» et le Cap d’une part, la chaîne de Tenda et le désert des Agriates d’autre part. La première est faite uniquement de schistes tendres quelquefois renforcés de roches volcaniques (roches vertes). Il en résulte un monde de crêtes encore plus aiguës que dans la région granitique de l’ouest. La seconde est entièrement granitique et rappelle ainsi les paysages occidentaux.
L’importance du volume montagneux est le résultat du soulèvement récent et quasi continu de l’île. Mais la violence de l’érosion torrentielle est telle que les hautes surfaces tertiaires ont été fortement défoncées, sauf quand les torrents ont eu affaire à des barres de roches dures. Quelques plateaux subsistent alors (plateau d’Ese, Bosco del Coscione). Les altitudes sont maintenant insuffisantes pour qu’on ait actuellement des glaciers. Mais ceux du Quaternaire ont laissé des traces sous forme de lacs (Melo), de pics aigus et d’auges glaciaires (Golo).
L’écran de cet important relief en Méditerranée fait que l’île est copieusement arrosée, surtout en hiver. Il tombe plus d’un mètre d’eau par an sur les montagnes, et seules les plaines en reçoivent moins de 500 mm. La neige joue un certain rôle dans ces précipitations, et il n’est pas rare que les principaux cols soient encore fermés au mois de mai. En revanche, les températures restent déterminées par la latitude: les moyennes de janvier en plaine dépassent 8 0C et celles de juillet 20 0C. Pourtant, le thermomètre monte rarement au-dessus de 40 0C. Il reste que les golfes souffrent en été d’une chaleur humide qui rappelle les tropiques.
Si l’on ajoute que les côtes manquent de bons abris naturels, on aura une idée des conditions physiques que les hommes ont rencontrées.
Les hommes
Pendant plusieurs siècles, les Corses menèrent, sous différentes dominations étrangères (Pise, Gênes), une vie repliée. Les possibilités variées du relief et du climat permettaient des mœurs sédentaires dans les montagnes, où l’on pratiquait des cultures de subsistance (céréales, légumes, arbres nourriciers dont le châtaignier). Ainsi se créèrent les principaux villages corses entre 400 et 900 m. La grande affaire restait pourtant l’élevage transhumant des chèvres et des moutons, qui migraient d’un bout de l’année à l’autre entre les «plages» et les pâturages de montagne. Quelques endroits cependant se spécialisaient dans des cultures d’exportation (vigne, olivier) ou plus simplement dans des cultures de «troc». Dans le cadre d’une même vallée s’échangeaient les droits de pacage, les châtaignes et le bois des hauts villages, les céréales des villages de moyenne montagne et le vin ou les olives des basses pentes. Les relations de vallée à vallée étaient fort réduites.
Deux régions avaient traditionnellement une physionomie particulière. La «Castagniccia» au sud de la cluse du Golo, grâce à la gigantesque châtaigneraie associée à des champs en terrasses, permettait à une nombreuse population de vivre en exportant de la farine de châtaigne, des objets de bois et de la charcuterie. L’autre, le Cap, s’était de bonne heure consacrée spécialement à la viticulture pour une exportation régulière vers Gênes, en échange de produits fabriqués; ainsi, les habitants du Cap participèrent-ils à la vie commerciale de la Méditerranée en servant d’intermédiaire entre le continent et le reste de l’île.
Les Génois essayèrent, après la perte de leurs colonies lointaines, de procéder à la mise en valeur de l’île, notamment au XVIIe siècle. Colonisation officielle, encouragements ou amendes ne réussirent qu’à créer une forte animosité contre la République clarissime et à engendrer près d’un siècle de troubles. La paix française, la disparition des pirates procurèrent aux Corses un siècle de prospérité agricole. À la fin du XIXe siècle, juste avant la crise phylloxérique, on peut dire que le système traditionnel atteint son apogée. La population est alors de 280 000 habitants, la forêt est attaquée de tous côtés et le «maquis» occupe les neuf dixièmes de l’île; la Corse produit en abondance du bois, des châtaignes, des céréales et surtout du vin; les troupeaux n’ont jamais été aussi nombreux. Aujourd’hui, cette économie est en voie de disparition. Les diverses crises agricoles – dues au phylloxera, à l’encre du châtaignier, à la chute des prix et à la concurrence du continent –, les pertes causées par la Première Guerre mondiale et l’expatriation ont enlevé à l’île une grande partie de sa population.
De tout temps, l’émigration a affecté les régions ingrates et il y a toujours eu d’importantes colonies corses à Rome (qui y jouirent d’un statut particulier), à Gênes et à Marseille. Mais cela n’était rien à côté des centaines de milliers de Corses que l’on trouve aujourd’hui disséminés dans toutes les villes françaises du continent, notamment à Nice, à Toulon, à Marseille et à Paris, sans compter les colonies corses d’outre-mer.
La polyculture de nécessité est morte. Quelques produits méritent cependant d’être signalés: le lait de brebis, qui sert à fabriquer le roquefort, le porc, le vin (en particulier le patrimonio), qui a connu une période d’expansion, en partie grâce aux grands défrichements de la plaine orientale, œuvre de rapatriés d’Algérie et d’une organisation d’économie mixte – la Somivac (Société de mise en valeur de la Corse) –, les agrumes et autres fruits dont on attend beaucoup. Cette agriculture moderne reste lacunaire, très localisée et mal intégrée au pays. Les montagnes, berceau de la civilisation corse, se vident en hiver pour accueillir en été relativement peu de vacanciers. Les mines sont toutes fermées, après avoir connu une activité notable de quelques années (amiante de Canari), et les activités industrielles se réduisent à quelques usines de transformation de produits agricoles (distilleries d’anis, manufacture de tabac, etc.), presque toutes autour de Bastia.
Les habitants sont essentiellement des retraités et ceux qui les servent et les administrent: commerçants, artisans, fonctionnaires. Une part encore faible de la population consacre son activité au service des touristes, dont le nombre ne cesse de croître. Aux résidents d’hiver du XIXe siècle et aux «hirondelles» d’avant guerre qui se contentaient de parcourir la Corse en quelques jours succèdent aujourd’hui des vagues d’estivants pour lesquels on fait de gros efforts (hôtels de Calvi, Ajaccio, Propriano; villages de vacances). L’obstacle majeur demeure les difficultés de circulation à l’intérieur de l’île (réseau routier très insuffisant) et la congestion des transports maritimes et aériens en été.
La population est donc essentiellement urbaine, vivant de ses pensions ou des échanges. De vieux bourgs bien situés (Saint-Florent, Calvi, Propriano, Porto-Vecchio, Bonifacio) se développent, alors que stagnent les agglomérations de l’intérieur: Corte et Sartène, la seule ville «vraiment» corse de l’île.
2. Un objet de rivalités historiques
La Corse a toujours attiré l’attention des peuples commerçants qui ont cherché à s’assurer les voies maritimes. Le relief la divise en deux parties: l’Est (ou En deçà, par rapport à l’Italie) et l’Ouest (ou Au-delà), qui se sont souvent opposées et dont la rivalité a réduit l’efficacité de la lutte contre les conquérants, qui est le fait constant de son histoire.
Une succession de colonisations
Les origines
Il n’est pas certain que l’île ait été occupée au Paléolithique; par contre, les vestiges néolithiques sont très abondants, surtout dans le Centre, l’Ouest (Balagne) et le Sud (Sartenais). La période protohistorique commence à être connue grâce aux recherches systématiques conduites depuis 1954, qui ont mis au jour une civilisation mégalithique près du golfe de Valinco (Filitosa). Au IIe millénaire, les envahisseurs construisent des lieux fortifiés, des tours rituelles comparables aux nuraghès de Sardaigne, et ils dressent des statues-menhirs.
À l’époque historique, l’île abrite des populations d’origine ibérique et celtoligure venues du continent. Les Phéniciens ne font qu’y créer des comptoirs pour échanger leurs marchandises contre les produits indigènes. Les premières installations permanentes sont dues aux Phocéens, Grecs d’Asie Mineure, qui, après avoir fondé Marseille (vers 598 av. J.-C.), cherchent à assurer leurs liaisons avec la Grande Grèce et fondent vers 540 Alalia, à l’est, au débouché du Tavignano. De là, ils mettent en culture la plaine orientale, introduisent les techniques et la civilisation grecques; c’est devant le port qu’une coalition étrusco-carthaginoise est vaincue en 535. Les fouilles entreprises à Aleria (Alalia) depuis 1955 ont démontré que l’occupation grecque avait eu plus de portée qu’on ne le pensait jusque-là, et que les relations avec la Grande Grèce furent étroites pendant tout le IVe siècle; puis le déclin de Syracuse fait passer l’île sous l’influence carthaginoise.
Romanisation et prospérité
La Corse apparaît alors dans la rivalité entre Rome et Carthage; après avoir conquis la Sicile entre 264 et 241, les Romains sont obligés d’engager dix expéditions pour que sa pacification soit assurée en 162. L’occupation romaine marque une période féconde; on savait depuis longtemps qu’Aleria avait été un foyer important de romanisation; des recherches plus systématiques ont permis de retrouver le plan de la ville romaine et d’exhumer des vestiges remarquables. Des colonies de vétérans sont installées, surtout dans la plaine orientale, des marchés permanents sont fondés, des routes tracées, les échanges commerciaux avec l’Italie sont actifs; la civilisation et la langue romaines pénètrent en profondeur. Le christianisme est apparu de bonne heure par la voie des colonies romaines; des persécutions, les Corses ont retenu, sans que l’on puisse exactement les dater, les martyres de Dévote, Julie, Restitute.
La papauté, Gênes et l’Aragon
Avec l’effondrement du monde romain s’efface aussi ce temps de prospérité. La Corse, comme le reste de l’Europe, voit déferler les Barbares (Vandales). Au début du VIe siècle après J.-C., l’Empire romain centré à Byzance tente de reprendre ses anciennes provinces; la Corse est conquise sous Justinien, mais la domination byzantine, avec les exactions des collecteurs d’impôts, n’apporte que la misère, ce qui entraîne l’intervention du pape Grégoire le Grand (590-604); sa correspondance avec les visiteurs apostoliques et les évêques donne des précisions sur la situation misérable de l’île, sur l’œuvre de pacification et sur la pénétration du christianisme qui a donné lieu à la création de six évêchés; ainsi se fondent les droits du pape sur la Corse, qui sont confirmés par Pépin le Bref (755). Mais la papauté ne peut pas empêcher les incursions sarrasines, qui submergent l’île épisodiquement; des libérateurs venus d’Italie (Bonifacio vers 830) ou des chefs locaux improvisés (Arrigo Bel Messere, mort en 1000) mènent la lutte durant deux siècles; beaucoup d’insulaires se réfugient en Italie. De cette période mal connue il restera des noms d’origine sarrasine, beaucoup de ruines, une influence sur l’art et la formation d’une féodalité batailleuse dont les luttes de clans achèvent de ruiner l’île.
La papauté, toujours légitime propriétaire, peut enfin intervenir à nouveau, et Grégoire VII confie l’administration à son légat, évêque de Pise (1077); la protection de Pise assure une période de paix et de prospérité, pendant laquelle sont construites de nombreuses églises (La Canonica); puis la rivalité avec Gênes conduit le pape, en 1133, à partager les évêchés en deux groupes dépendant l’un de Pise, l’autre de Gênes; la guerre entre les deux cités maritimes continuant, Gênes s’installe solidement à Bonifacio (1195) et à Calvi (1268), qui resteront par la suite les deux points forts de l’occupation génoise. Pise se maintient encore quelque temps grâce à Sinucello della Rocca, demeuré dans la légende sous le nom de Giudice de Cinarca. Il semble avoir réussi à unifier l’île sous sa direction en une sorte de combat national contre Gênes, mais il se trouve très vite en butte à l’opposition des seigneurs locaux; Gênes joue de ces rivalités qui divisent la Corse en deux camps; trahi par les siens, Giudice est livré et meurt à Gênes en 1307.
En 1297, le pape Boniface VIII donne au roi d’Aragon la suzeraineté de la Corse et de la Sardaigne. La lutte entre Gênes et l’Aragon pour la suprématie en Méditerranée a des répercussions en Corse: tandis que les seigneurs de l’Au-delà s’appuient sur l’Aragon, un mouvement populaire dirigé par le second grand héros de l’île, Sambucuccio d’Alando, éclate en 1358 dans l’En deçà, où se forme la «Terre du commun», libre de toute féodalité; désormais la coupure de la Corse en deux «bandes» correspondant à l’En deçà et à l’Au-delà est faite. La Terre du commun se donne une organisation démocratique: les paroisses groupées en pièves (cantons) sont administrées par trois «Pères du commun» ou «Anciens» élus; les terres sont propriété commune et attribuées par roulement. Mais, dès l’année suivante, les insurgés doivent s’adresser à Gênes pour obtenir un gouverneur et des secours, moyennant la promesse du paiement d’une taille; la ville italienne pourra plus tard se prévaloir de cet appel pour justifier sa domination sur l’île.
L’Aragon domine grâce à Vincentello d’Istria, nommé vice-roi par Alphonse V en 1418; mais les Aragonais sont bientôt appelés en Italie par d’autres soucis; Vincentello, capturé en mer par les Génois, est décapité en 1434. Pendant vingt ans, ce ne sont que luttes entre les seigneurs, entre ceux-ci et le Commun soutenu par Gênes. Mais cette dernière ville, en proie à de graves difficultés en Italie, cède en 1453 ses droits politiques, judiciaires et financiers à la Banque de Saint-Georges, organisme privé qui formait comme un État dans la République; l’Assemblée du Commun, réunie à La Canonica, jura fidélité à la Banque; durant dix ans, celle-ci s’efforça de s’imposer aux seigneurs; en désespoir de cause, elle cède à son tour ses droits en 1463 au duc de Milan. En 1478, les Milanais renoncent à pacifier l’île, et la Banque reprend ses droits; pour rétablir l’ordre elle se lance, de 1485 à 1505, dans une guerre atroce contre les seigneurs de l’Au-delà; les derniers grands féodaux disparaissent. La Corse jouit ensuite d’une paix relative jusqu’au milieu du XVIe siècle; les mécontents s’exilent en nombre assez important pour que François Ier puisse former un régiment corse sous le commandement de Sampiero d’Ornano (Sampiero Corso), qui participe à toutes les campagnes françaises jusqu’en 1544.
L’éviction de la République génoise
La première intervention française
Sampiero rentre en Corse en 1544; rapidement il s’impose assez pour que les Génois, inquiets, le jettent en prison. Libéré sur l’intervention du roi de France, Sampiero quitte l’île, décidé à se venger.
En 1551, la guerre entre la France et l’Empire reprend. Gênes est fidèle à l’empereur, Sampiero sert le roi de France; aidés de la flotte turque, les Français occupent la Corse sauf Calvi; en 1556, une députation corse est envoyée à Paris pour demander le rattachement à la France, et Henri II peut affirmer que l’île est incorporée à la Couronne. Mais, en 1559, le traité du Cateau-Cambrésis rend la Corse aux Génois; il restera cependant le souvenir de cette intervention et l’amorce d’un «parti français». Sampiero n’a pas accepté le retour de la domination génoise; il cherche du secours à l’extérieur, en vain; à son retour, en 1563, il découvre la trahison de Vannina, sa cousine, devenue sa femme en 1544, qui avait tenté de se rendre à Gênes; il la rejoint et l’étrangle à Marseille. Quand il débarque en Corse, la Banque de Saint-Georges vient de rendre l’île à la République. Sampiero mène une guerre sans espoir; en janvier 1567, trahi par l’un de ses compagnons, il tombe dans une embuscade. Son fils, Alphonse d’Ornano, sera maréchal de France sous Henri IV.
La Corse épuisée se soumet. L’administration reste celle qui avait été établie par la Banque de Saint-Georges: un gouverneur, dont dépendent trois commissaires, et des lieutenants, tous génois; les Corses désignent auprès du gouverneur un conseil consultatif, dit conseil des Douze, qui peut envoyer à Gênes un orateur porter des plaintes au Sénat. Les douze provinces sont partagées en 67 pièves, et celles-ci en communes administrées par un podestat, un juge de paix et deux «Anciens» élus. En 1571, les Statuti civili e criminali règlent les rapports avec les Génois; une paix relative s’établit durant un siècle et demi; mais l’occupation génoise est dure; le XVIIe siècle (le «siècle de fer») est une période d’exploitation et de misère, marquée par les assassinats et les famines, les abus et les exils; les départs sont nombreux, que les Génois tentent de combler par une colonisation, telle l’installation des Grecs à Paomia.
Les soulèvements locaux
En 1729 commence l’insurrection qui aboutira au rattachement de la Corse à la France.
Les causes profondes sont l’exclusion des Corses de la haute administration, l’exploitation économique et fiscale de l’île, le mauvais exercice de la justice. La cause immédiate est la décision prise par le lieutenant génois de Corte de maintenir une taxe exceptionnelle qui avait été établie en 1715 pour compenser la suppression du droit autorisant le port d’armes à feu. La révolte est d’abord strictement populaire, les notables restant à l’écart; puis, en 1730, une organisation est créée à l’assemblée (Consulte) de Furiani, des chefs sont désignés, des émissaires envoyés en Italie, en Espagne, pour demander des secours, mais sans résultat. Gênes trouve au contraire l’appui de l’empereur Charles VI, qui avait besoin de son amitié. Des troupes autrichiennes débarquent en août 1731, mais, devant les obstacles que présente le relief, le prince de Wurtemberg, qui commande ces troupes, préfère conseiller à Gênes de traiter. La paix de Corte (mai 1732) contient des «concessions gracieuses» accordées par Gênes et garanties par l’empereur; mais la République oublie très vite ses promesses.
Une deuxième révolte éclate en 1734 et prend aussitôt un tour plus sérieux; l’indépendance est proclamée, une Constitution démocratique rédigée, qui donne le pouvoir à trois chefs (Hyacinthe Paoli, Giafferi, Ceccaldi) assistés d’une junte élue. Ici se place l’épisode de Théodore, baron de Neuhof, d’origine allemande, exilé en France, puis à Florence, où il a connu des Corses émigrés qui lui ont laissé espérer une aventure facile en Corse. Il débarque à Aleria le 12 mars 1736 avec des vivres, des armes et de l’or; le 15 avril, il est proclamé et sacré roi au couvent d’Alesani. Aussitôt, le roi exerce sa souveraineté, crée un ordre de noblesse, une Cour, bat monnaie, forme une armée régulière; puis ses ressources s’épuisent très vite et, ne recevant aucun secours de l’extérieur, il quitte l’île en novembre dans l’indifférence générale.
La question corse cesse d’être une affaire purement génoise. L’Empire, l’Espagne, la Sardaigne, l’Angleterre s’y intéressent comme à une base navale importante en Méditerranée; en France, Fleury a entrepris d’y constituer un parti français, mais seulement pour faciliter une intervention qui assurerait à Gênes la possession de l’île. Une première expédition soumet l’île en 1738-1739 et se retire en 1741, après avoir ménagé un accommodement qui n’est pas respecté par les Génois. Durant la guerre de Succession d’Autriche, devant la menace anglo-sarde, une nouvelle expédition est envoyée sous la direction du marquis de Cursay; les troupes sont maintenues après la paix d’Aix-la-Chapelle; mais la conduite de Cursay, qui dépasse le but de sa mission en exerçant le pouvoir à la place des représentants génois et en renforçant le parti français, le fait dénoncer par Gênes auprès du roi et rappeler, quand les Règlements proposés aux Corses sont repoussés par eux en octobre 1752. Les Français partis, les Corses cherchèrent un chef pour organiser la résistance et firent appel à Pascal Paoli.
La période paoliste (1755-1768)
Pascal Paoli est le fils de Hyacinthe, qui avait été l’un des chefs de la révolte de 1729, et le frère cadet de Clément, qui avait participé à un Directoire provisoire après la mort de Gaffori. Il avait reçu une solide instruction en Italie, connaissait les philosophes de son temps, appréciait la doctrine du despotisme éclairé; il se plaignait de sa vie monotone de sous-lieutenant au Royal-Farnèse de Naples, quand il fut appelé; le 29 avril 1755, il débarque en Corse et est choisi en juillet comme général en chef, pour une guerre qui doit conduire à l’indépendance.
Son œuvre est double, militaire et politique. Ayant choisi Corte comme capitale à cause de sa position centrale et des facilités de défense, il y convoque en novembre 1755 une assemblée par laquelle il fait approuver une Constitution démocratique: l’élément essentiel en est la Consulte élue au suffrage universel, organe souverain qui désigne et contrôle le général, les chefs militaires, les administrateurs, vote les lois et le budget. L’exécutif appartient au général, qui préside un Conseil d’État de neuf membres; les tribunaux sont hiérarchisés avec le podestat à la base, assisté des Pères du commun, puis les tribunaux provinciaux, enfin l’appel confié à la Rota civile, et une junte ou tribunal exceptionnel formé en cas de troubles.
Despote éclairé, Paoli entreprend une œuvre de rénovation économique, faisant assécher les marais, construire des routes, prospecter mines et carrières; il crée le port de l’Île-Rousse, pour remplacer Calvi aux mains des Génois, et se donne une marine de commerce qui porte le pavillon national à tête de More; une Monnaie frappe des pièces d’argent et de bronze; il fonde en 1765 à Corte une université ouverte à des étudiants boursiers; une imprimerie publie un journal officiel (Ragguagli ) et des ouvrages de polémique. Ces réalisations, conformes à l’esprit des philosophes, provoquent l’admiration des contemporains et incitent Rousseau à entrer en correspondance avec Paoli, en 1764-1765, pour lui proposer un projet de constitution.
Sur le plan militaire, Paoli crée une force permanente de deux régiments à côté des milices fournies par le service obligatoire et entretenues par les communes; rapidement, il confine les Génois dans les places maritimes et commence à former une marine de guerre. Gênes, inquiète pour ses derniers bastions, fait à nouveau appel à la France, qui redoute pour sa part que Paoli, incapable de prendre les ports par ses propres moyens, ne fasse appel aux Anglais; des troupes françaises occupent Calvi, Saint-Florent et Ajaccio en vertu du premier traité de Compiègne (14 août 1756); mais, en raison des difficultés qu’entraîne la guerre de Sept Ans, la France retire ses forces en 1759. La guerre finie en 1763, Gênes en appelle encore à elle (deuxième traité de Compiègne, 6 août 1764), et Choiseul accepte de tenter une nouvelle médiation. Le comte de Marbeuf, commandant des troupes françaises, échoue sur place, et les négociations se poursuivent directement entre Choiseul et Paoli. Toujours fidèle au principe de légitimité, Choiseul entend seulement faire accepter par Paoli les résultats d’un accord franco-génois; la Corse ne peut devenir française que par la grâce de Gênes. Paoli, au contraire, maître de la presque totalité d’une île dont l’indépendance a été proclamée, refuse de reconnaître l’autorité génoise, qui n’est que théorique, et entend traiter directement avec le roi de France du sort de la Corse.
De ce malentendu sort le traité de Versailles, signé entre la France et Gênes le 15 mai 1768. Gênes cède à la France ses droits sur la Corse comme gage provisoire de la dette qu’elle a contractée antérieurement et des subsides qu’elle recevra pendant dix ans, quitte pour elle à les recouvrer quand elle pourra rembourser cette dette. En droit, la cession n’est pas définitive; elle l’est en fait: Gênes ne pourra jamais rembourser.
Paoli n’a pas accepté le traité, pour lequel la nation corse n’a pas été consultée; l’assemblée décide la guerre contre la France, et Chauvelin, qui avait cru à une expédition facile, est mis en difficulté et rappelé. Son successeur, le comte de Vaux, reçoit des renforts importants et dispose de légions formées par les volontaires corses qui ont choisi le parti de la France. La guerre, à laquelle participe Charles Bonaparte, secrétaire de Paoli, est dure mais courte; la faiblesse des forces de Paoli, l’importance du parti français conduisent au désastre de Ponte-Novo le 8 mai 1769, après lequel Paoli s’embarque le 13 juin sur un navire britannique pour l’Angleterre, dont le roi lui versera une pension.
La Corse française
L’île n’est pas assimilée aux autres provinces; elle reste sous le commandement militaire du comte de Vaux, puis de Marbeuf à partir de 1770, jusqu’à sa mort à Bastia en 1786. L’organisation de base est maintenue, un Code corse est adapté des anciens Statuts génois. Marbeuf s’attache particulièrement à la justice, pour laquelle est créé un Conseil souverain analogue aux Parlements de France. En 1775, des États provinciaux donnent à l’île une certaine autonomie; les intendants s’efforcent de promouvoir des réformes économiques et sociales, des collèges sont créés, la noblesse locale est reconnue et ses fils peuvent, comme Napoléon Bonaparte, être envoyés en France aux frais du roi; la fiscalité est faible: un «impôt territorial», égal au vingtième du produit de la terre, est substitué à toutes les taxes, et son revenu est en grande partie investi dans l’île même.
La Révolution
Deux faits bouleversent la situation juridique de la Corse en 1789; elle est appelée à désigner, comme les autres provinces françaises, quatre représentants aux États généraux, puis, le 30 novembre 1789, à la demande de ces députés, la Constituante la reconnaît comme faisant partie intégrante de l’empire français. L’acte de 1768 est effacé en dépit de la protestation génoise; la Corse est vraiment française en vertu du droit des peuples à disposer d’eux-mêmes. Paoli, rappelé de son exil londonien, est reçu en triomphateur à Paris comme un martyr de la liberté et rentre en Corse en juillet 1790.
La Corse, département français, reçoit la même administration que les autres départements. Paoli cumule les fonctions de président du Conseil général et de commandant de la garde nationale. Son adhésion à la France et à son nouveau régime est sincère. Il fait appliquer la constitution civile du clergé, mais est incapable de faire rentrer les nouvelles contributions, alors que la Corse reçoit de Paris des subsides importants. En fait, Paoli ne gouverne pas; malade, retiré à Corte, il est débordé par la rivalité des clans, mais porte la responsabilité des nombreux troubles qui se produisent.
La situation se dégrade encore à la déclaration de guerre en avril 1792. L’arrestation du roi et le passage à la révolution montagnarde éloignent Paoli du nouveau régime; à Paris, ses adversaires le présentent comme un fédéraliste, girondin, prêt à trahir; on rappelle son séjour en Angleterre. En janvier 1793, une expédition contre la Sardaigne, à laquelle participe Bonaparte, est mal soutenue par Paoli et échoue; sommé de venir se justifier à Paris, Paoli refuse, convoque une Consulte illégale à Corte, lui fait approuver la rupture avec la Convention; Bonaparte, demeuré fidèle à la France, est pourchassé par les paolistes et s’embarque en juin 1793. Paoli, mis hors la loi par la Convention, sait qu’il ne pourra pas tenir longtemps sans appui financier et maritime; et, surtout, il subit l’influence de Pozzo di Borgo, qui est le véritable responsable de l’appel aux Anglais.
L’intermède anglais
À la Consulte tenue à Corte en juin 1794, Paoli fit reconnaître la rupture avec la France et les nouveaux liens avec l’Angleterre; puis la même assemblée vota une Constitution qui reconnaissait le roi d’Angleterre et comportait un Parlement élu. Paoli espérait l’indépendance sous un vague protectorat britannique; il fut vite déçu; il ne reçut pas la charge de vice-roi qui fut donnée à un Anglais, sir Gilbert Elliot; Pozzo di Borgo le plus fidèle client de l’Angleterre, fut président du Conseil d’État. Paoli s’enferma dans une opposition boudeuse, jusqu’au jour où Elliot obtint sa mise à l’écart. Paoli quitta la Corse sans résistance et se retira à Londres où il devait mourir en 1807.
Après son départ, l’opposition des Corses se fit plus vive, tant au Parlement que dans le régime formé par les Anglais et dans l’arrière-pays; cela d’autant plus qu’un Corse remportait des victoires en Italie au nom de la France: Bonaparte imposait la paix à Turin, menaçait l’ensemble de la péninsule; quant aux Anglais, inquiets d’une menace d’invasion des îles Britanniques préparée sur la Manche, ils devaient regrouper leurs forces; ils évacuèrent la Corse en octobre 1796, et des troupes françaises venues d’Italie débarquèrent aussitôt.
L’assimilation
Bonaparte, devenu Premier consul, maintint la Corse sous un régime d’exception, tout en lui accordant des avantages fiscaux (les arrêtés Miot de Mélito, administrateur général de l’île); le général Morand, qui eut tous les pouvoirs jusqu’en 1811, exerça une justice impitoyable. La présence de Napoléon à la tête de l’Empire favorise l’assimilation rapide de la Corse à la France. Désormais, l’histoire de la Corse est celle de la France; la construction de l’empire colonial est en partie l’œuvre des Corses; l’armée, l’administration sont des moyens de promotion sociale pour des insulaires qui ne peuvent pas trouver chez eux de quoi satisfaire leurs ambitions. L’île même évolue peu, le banditisme y sévit, les progrès économiques sont faibles, les habitants protestent contre l’indifférence des pouvoirs publics, en dépit de plusieurs plans d’aménagement qui restent lettre morte. Pourtant, l’autonomisme est très faible, car le sentiment aussi bien que l’intérêt porte vers la France. La Première Guerre mondiale scelle plus encore l’union.
Peu après l’arrivée au pouvoir de Mussolini, en 1922, l’irrédentisme italien est porté tout naturellement sur la Corse, dont on s’efforce de démontrer l’italianité par la géographie, l’histoire, la civilisation; la propagande eut peu d’échos; mais la défaite française de 1940 fit installer dans l’île une double commission d’armistice, allemande et italienne; puis l’invasion de la zone sud de la France, le 11 novembre 1942, fut accompagnée d’une occupation de l’île par les forces germano-italiennes. Aussitôt s’amplifie la résistance, dont Fred Scamaroni, envoyé par le général de Gaulle en avril 1941, avait déjà jeté les bases, et qui en resta le symbole après son arrestation et son suicide.
À partir de décembre 1942, le sous-marin Casabianca apporte aux maquis les armes envoyées par Alger; le 10 septembre 1943, la capitulation italienne provoque le soulèvement général; les Allemands se replient vers Bastia en livrant de durs combats aux insurgés, renforcés peu à peu par des troupes françaises venues d’Afrique du Nord; du 25 septembre au 4 octobre est livrée la dernière bataille sur les hauteurs qui dominent Bastia, fortement touchée par les bombardements. Premier département français libéré, la Corse fut aussi celui qui fournit les plus forts contingents à l’armée de débarquement en Provence.
L’île fut profondément atteinte après la guerre par la décolonisation, et en particulier par les événements d’Algérie, où cent mille Corses environ étaient installés; les troubles d’Alger de mai 1958 eurent pour première conséquence en Corse la création d’un Comité de salut public; puis le règlement du drame algérien fit refluer dans l’île les rapatriés d’origine insulaire; une partie d’entre eux a été établie sur la côte orientale, dont ils ont réalisé la transformation. À partir de là, l’histoire de la Corse n’est plus que celle de son devenir économique.
3. Un avenir pour l’île
Statistiques et réalités démographiques
En 1990, la Corse comptait 250 000 habitants, soit 10 000 de plus qu’en 1982, année où, pour la première fois depuis les années vingt, on pouvait tenir qu’un recensement de la population de l’île fournissait, après contrôle du service régional de l’I.N.S.E.E., un chiffre où coïncidaient population officielle ou «légale» et population réelle. Les différences que des enquêtes par sondage avaient permis d’évaluer à 100 000 en 1962 (population réelle: 176 000; population légale: 275 000), à 50 000 et 60 000 respectivement en 1968 et 1975, montrent l’importance du phénomène. Si les démographes jusqu’alors voués à l’imbroglio des données à rectifier s’y retrouvent, les maires pour qui la population légale représente avant tout la référence administrative servant à l’application de nombreux textes et règlements risquent de s’y perdre. Les choses sont peut-être moins simples qu’il n’y paraît dans ce phénomène qui va de pair avec un demi-siècle d’intense diaspora. Ainsi, le retour au pays n’était sans doute pas loin de remettre chaque été la population réelle – mais non permanente – au niveau de la population légale. Argutie pour certains, légitimité pour d’autres. À bien des égards, la réalité corse semble glisser entre les chiffres.
Depuis le maximum de peuplement atteint à la fin du XIXe siècle (la population approchait 35 habitants au kilomètre carré en 1880), l’émigration est considérable. Au dernier rang des îles méditerranéennes comparables quant à la densité de la population, la Corse vient au dernier rang des départements français. La France continentale, riche d’elle-même et de ses terres coloniales, captive la Corse française pauvre. Alors que le mouvement menace d’être inexorable, surviennent les événements d’Afrique du Nord. L’île se retrouve sans transition en tête des régions d’accueil de la France coloniale désemparée. Les années soixante sont marquées par un afflux de rapatriés. L’immigration des uns ne faisant que se superposer à l’émigration des autres, les effets pervers se conjuguent. Il s’ensuit que l’actuelle courbe de population, ascendante depuis 1962, ne saurait conduire automatiquement à une lecture euphorique. D’abord parce que le taux d’accroissement se ralentit: de + 3,0 p. 100 par an en moyenne pour la période 1962-1968, il passe à + 1,2 p. 100 pour la période 1968-1975, à + 0,8 p. 100 pour la période 1975-1982 et à + 0,5 p. 100 pour la période 1982-1990. Ensuite parce que la composition de la population de l’île ne va pas sans alimenter quelques inquiétudes. Selon une enquête menée par l’I.N.S.E.E., en 1985, cette population est pour 69,4 p. 100 d’origine corse, 14,0 p. 100 d’origine continentale et 16,6 p. 100 d’origine étrangère (dont 53 p. 100 de Maghrébins et 29 p. 100 d’Italiens). D’une manière générale, la population augmente non par accroissement naturel, c’est-à-dire par l’excédent des naissances sur les décès, mais parce que les arrivées sont plus nombreuses que les départs. De 1975 à 1990, et quelle que soit la prudence qui s’impose en ce qui concerne les données à comparer, la croissance tient au solde migratoire et non au solde naturel. De plus, ce dernier, qui est en équilibre, s’inscrit dans de fortes disparités régionales: 185,5 habitants au kilomètre carré dans les communes urbaines et 7,3 habitants au kilomètre carré dans les communes de montagne, c’est-à-dire dans la Corse de l’intérieur où ne règne même plus l’exode mais ce que donne à comprendre l’expression de «dépérissement naturel» (de 1982 à 1990, la population des communes de montagne a diminué de 2 p. 100 par an). En outre, l’évolution démographique est plus favorable en Corse-du-Sud qu’en Haute-Corse. Au total, le quart de la population est toujours «stabilisé» à plus de soixante ans.
Selon un modèle «prudent» de projection, à la fin du siècle ce vieillissement serait même accentué, alors que la population croîtrait légèrement (267 400 habitants en l’an 2000).
Déséquilibre économique et développement
La vie économique est à l’image de la démographie: même étiolement profond, mêmes ambiguïtés. À l’émigration massive a correspondu une réduction massive de la surface cultivée. De plus de 300 000 hectares au début du siècle, celle-ci est passée à moins de 50 000 dans les années soixante. Châtaigneraies et oliveraies ont connu une régression comparable. En 1967, sur 25 000 hectares de châtaigniers un peu plus de 4 000 seulement étaient exploités, sur 11 000 hectares d’oliviers un peu plus de 3 000. Si l’on y ajoute la crise de l’élevage traditionnel, la quasi-inexistence de l’industrie et l’importance du secteur tertiaire (plus de 50 p. 100 des actifs), on a un portrait qui incite à la réflexion. Peut-on trouver l’écho des années soixante, qui étaient apparues économiquement chargées de promesses, dans les trois premiers secteurs d’activité, l’agriculture moderne, le tourisme ou le bâtiment? En 1957, dans la foulée d’un Plan d’action régionale, la Société pour la mise en valeur agricole de la Corse (Somivac), société d’économie mixte subventionnée par l’État et le Crédit agricole, contribuait largement au défrichement et à la mise en place d’infrastructures, surtout dans la plaine orientale. Le vignoble s’accroissait de plusieurs milliers d’hectares: 5 500 en 1959, 30 000 en 1971. Sans doute n’avait-il pas la même configuration que celui qui, dans une économie de subsistance, couvrait 18 000 hectares en 1867. Était-ce bien la même terre qui, au XVIIIe siècle, comptait 144 000 hectares de céréales, soit cent fois plus que dans les années quatre-vingt? À faire fi des équilibres socio-économiques, la monoculture, les grandes exploitations, les méthodes plus ou moins bien adaptées portaient en germe une évolution moins riante: une production pour les deux tiers en vins de coupage peu concurrentielle à l’exportation. En conséquence, la surface agricole utile (S.A.U.) en viticulture était en 1990 de 9 000 hectares et l’arrachage laissait des milliers d’hectares à l’état de friche. La restructuration des vignobles permettait cependant le développement de vins de qualité augurant mieux de l’avenir. De même, au cours des années 1980, s’engageait une diversification des cultures (céréales, cultures fruitières, aquaculture...). Toutefois, la surface cultivée en Corse dans les années 1990 est loin de correspondre à celle du début du XXe siècle (face=F0019 漣 30 p. 100). Si le développement du tourisme et celui du bâtiment se posent en d’autres termes, ils n’en comportent pas moins des zones d’ombre. Attrait des sites, ère des loisirs sont les atouts du premier: 314 000 touristes en 1967, 1 million en 1977, 1,5 million à l’horizon 2000; l’I.N.S.E.E. estimait à 3,3 milliards de francs les sommes dépensées dans l’île en 1987, à 1,8 milliard de francs la valeur ajoutée (une fois déduite la part des biens et services non produits dans l’île), c’est-à-dire autant que l’apport de l’agriculture et du bâtiment-travaux publics réunis. C’est considérable, mais que reste-t-il exactement en Corse? Et quel est réellement l’effet de la concentration saisonnière sur le tissu insulaire? Quant au bâtiment, l’impulsion due à l’urbanisation (de 1954 à 1982, les populations d’Ajaccio et de Bastia ont doublé), au développement des résidences secondaires, aux commandes publiques n’aboutit pas à lui donner un dynamisme structurel. Ainsi, le secteur attire peu les jeunes alors que 30 p. 100 des moins de vingt-six ans sont au chômage (la moyenne nationale est de 19 p. 100). D’une façon générale, la réalité socio-économique corse présente des particularités qui tiennent à son histoire dans le cadre de la République française et, si les chiffres qui reflètent une réalité ne donnent pas les causes de celle-ci, ils invitent à les rechercher. Que la Corse, par exemple, ait importé en 1981 pour 200 millions de francs de viande ou 337 millions de matériaux de construction étonne, alors même que l’on s’interroge sur les moyens de réduire le déficit de la balance commerciale (plus de 7 milliards de francs pour 1984).
Crise d’identité
La Corse serait-elle le sphinx de la Méditerranée ou, plus banalement, et plus pernicieusement, connaîtrait-elle un problème d’identité lié à sa personnalité insulaire? La revendication de celle-ci apparaît de moins en moins folklorique et de plus en plus vitale. L’ambiguïté des relations entre le gouvernement central et les régions trouve dans l’île une terre d’élection. L’insularité met en relief les composantes du «colonialisme intérieur» à travers lequel se façonne en filigrane une affirmation régionaliste de plus en plus accentuée. Si le Front régionaliste corse (F.R.C.), créé en 1966, et l’Action régionaliste corse (A.R.C.), créée en 1967, demeurent dans la légalité, d’autres mouvements, tels que Ghjustizia Paolina ou le Fronte paesanu corsu di liberazione (F.P.C.L.), passent à l’action directe. Dans ce climat, la loi du 5 juillet 1972 portant création et organisation des régions ne devait pas tarder à faire la preuve de son inadéquation. En janvier 1974, le F.P.C.L. est dissous: de 40 en 1973, les plasticages passent à 111 en 1974, 226 en 1975. Surtout, l’année 1975 est marquée en août par les événements d’Aleria (au cours desquels deux policiers sont tués) et leurs conséquences: dissolution de l’A.R.C. (qui sera remplacée par l’Unione di u populu corsu en 1977), formation du F.L.N.C. (Front de libération nationale de la Corse), établissement de la continuité territoriale... Si régionalisme, autonomisme, nationalisme ne s’enchaînent pas inéluctablement, ni le réformisme qui tend à gagner du temps, ni la répression qui s’ensuit généralement ne sauraient enrayer la montée de la violence. En mai 1981, l’arrivée d’un gouvernement socialiste suivie d’une amnistie complète – à la fin de 1980, 119 militants corses relevaient de la Cour de sûreté de l’État – et du statut particulier avec l’élection au suffrage universel de l’Assemblée régionale ont permis d’entrevoir ce chemin. Vision fugitive, si l’on considère les 800 attentats recensés en 1982. Peut-on alors raisonnablement penser que la dissolution, le 5 janvier 1983, du F.L.N.C., la nomination d’un commissaire de la République délégué pour la police n’entrent pas dans les scénarios coutumiers? Si, à la suite de la visite du président de la République française, les 15 et 16 juin 1983, les instances du statut particulier de la région corse sont peu à peu mises en place, afin de traduire dans les faits la décentralisation promise, celle-ci s’accompagne d’une volonté de «renforcer les moyens d’action des représentants de l’État en Corse». La mesure peut théoriquement sembler bonne à l’État, pratiquement elle fait l’impasse sur une question majeure: les rouages traditionnels de la vie politique dans l’île. Clientélisme électoral et esprit de clan forment avec l’interventionnisme du pouvoir central une réalité globale et réfractaire aux schémas continentaux. En 1992, le nouveau statut de la Corse (loi Joxe) prend effet. «Le peuple corse composante du peuple français» (expression proposée puis supprimée) participe avec un taux record (82,82 p. 100) au premier tour des élections territoriales: 21 p. 100 des électeurs se partagent entre Corsica Nazione (14 p. 100) et le Mouvement pour l’autodétermination (7,5 p. 100). Le second tour confirme cette tendance: un quart de la population de l’île se situe dans la mouvance autonomiste-nationaliste. Si, comme le déclarait Edmond Simeoni, «il existe un chemin pour aboutir à une émancipation raisonnable au sein de la République française», la voie est étroite. Au-delà de ses aspects contradictoires, la Corse prend conscience d’une culture que la francisation n’a pas totalement réduite. Deux siècles après celle que voulut Pascal Paoli au temps de l’indépendance, l’université de Corte a de ce point de vue valeur de symbole: ne futelle pas un haut lieu de la nation corse? Peuple, nation, corsisme, corsitude? Autant d’expressions d’une appartenance radicale dont on pourrait trouver la continuité de vocabulaire dans l’histoire de la première moitié du XXe siècle et dont le plus centralisé des États d’Europe aurait tort de diluer le sens.
corse [ kɔrs ] adj. et n.
• 1684; de Corse, n. d'une île de la Méditerranée
♦ De Corse. Populations corses. Le maquis corse. Vendetta corse. Fromage corse. ⇒ broccio.
♢ N. Les Corses. — N. m. Dialecte italien parlé en Corse.
● corse adjectif et nom De Corse. ● corse (citations) adjectif et nom Auguste Barbier Paris 1805-Nice 1882 Académie française, 1869 Ô Corse à cheveux plats ! que ta France était belle Au grand soleil de Messidor ! C'était une cavale indomptable et rebelle Sans frein d'acier ni rênes d'or ! Iambes et Poèmes ● corse (expressions) adjectif et nom Mouton corse, race de petite taille, très rustique, exploitée pour son lait. Porc corse, race élevée en Corse de façon extensive, appréciée pour la charcuterie. ● corse nom masculin Langue parlée en Corse, dont les formes septentrionales sont proches du toscan et les formes méridionales proches des dialectes du sud de l'Italie.
Corse
île de la Méditerranée située à 160 km au S.-E. de la Côte d'Azur et à 12 km au N. de la Sardaigne; collectivité territoriale de la Rép. française (8 682 km²; 249 737 hab.; ch.-l. Ajaccio), formée des dép. de Corse-du-Sud (4 014 km²; 118 174 hab.; ch.-l. Ajaccio) et de Haute-Corse (4 668 km²; 131 563 hab.; ch.-l. Bastia, 38 728 hab.). Géogr. - La Corse est une île montagneuse (185 km du N. au S., 85 km max. d'O. en E.), qui culmine à 2 710 m au monte Cinto. Les plaines, rares sur la côte O., déchiquetée, ne s'imposent qu'à l'E. Le climat est méditerranéen, mais les pluies d'altitude assurent des ressources en eau. Les deux tiers du territoire sont boisés. Plus de la moitié des hab. se concentre à Ajaccio et à Bastia; les villages de l'intérieur sont presque déserts auj. La Corse a enrayé son exode vers le continent; 40 % des revenus des ménages proviennent des prestations sociales. Une agriculture exportatrice s'est cependant développée dans les plaines irriguées (agrumes, kiwi, vigne), et le tourisme est capital. Hist. - L'île a connu au IIIe mill. av. J.-C. une civilisation mégalithique. Possession punique, la Corse fut conquise par Rome de 238 à 162 av. J.-C., puis devint byzantine; elle fut ravagée par les Sarrasins (IXe-XIe s.). Pise l'administra à partir de 1078, mais Gênes se l'appropria au XIVe s. et la céda en 1768 à la France, qui brisa la résistance animée par P. Paoli (1769). En 1794, celui-ci fit appel à l'Angleterre, qui l'écarta (1795) et évacua l'île (1796). Lors de la Seconde Guerre mondiale, la Corse fut le premier territoire français libéré de l'occupation ital. et allemande (sept. 1943). Depuis les années 70, des troubles graves (attentats meurtriers, destruction de locaux) ont eu lieu. Le F.L.N.C. (Front de libération nationale de la Corse) prône l'action violente. En fév. 1998, l'assassinat, à Ajaccio, du préfet de Région a révolté la pop. corse qui, pour la première fois, a manifesté massivement pour protester contre la violence, accusée de servir les intérêts privés.
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Corse
adj. et n.
d1./d adj. De Corse.
|| Subst. Un(e) Corse.
d2./d n. m. Le corse: langue romane parlée en Corse.
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Corse
(cap) presqu'île formant l'extrémité N. de la Corse. Vins réputés.
⇒CORSE, adj. et subst.
I.— Adj. De la Corse, qui est particulier à la Corse. Bandit, indépendance, sol corse. Cette hospitalité corse qu'on ne peut apprécier que lorsqu'on l'a connue (MÉRIMÉE, Colomba, 1840, p. 64).
— En partic. [Avec une idée de « farouche »] Vendetta, vengeance corse. Ce poison m'a mis au cœur une âme corse (HUGO, Burgr., 1843, p. 115). Il [l'Empereur] tenait à la fois du César impérial et du félin corse. (ARNOUX, Roi d'un jour, 1956, p. 258).
— Loc. À la corse. En rapport avec des caractères typiquement corses. Élevée à la corse, Ginevra était en quelque sorte la fille de la nature, elle ignorait le mensonge (BALZAC, Vendetta, 1830, p. 168). De tout cela [une rupture], il lui fallait une vengeance, sinon à la corse, du moins à la parisienne (TOULET, Nane, 1905, p. 59).
II.— Substantif
A.— Personne originaire de la Corse. Un Corse, une Corse. Corses émigrés (DEMANGEON, Fr. écon. et hum., Paris, A. Colin, 1948, p. 636).
— Spéc., HIST. Le Corse. L'empereur Napoléon Ier. Le rusé Corse (VERLAINE, Œuvres posth., t. 2, Voy. Fr., 1896, p. 68).
B.— Subst. masc. sing. Langue parlée en Corse.
Rem. La docum. atteste corsico, subst. masc., fam. (souvent péj.). Personne originaire de Corse. Synon. corse (supra II A). Entichée de son « corsico », la France faisait feu de ses quatre fers (ESPARBÈS, Grogne, 1905, p. 19). Notre colonel, étant corse, avait attiré un grand nombre de ses compatriotes (...) que leurs camarades traitaient quelquefois de « corsicos » (L. DAUDET, Dev. douleur, 1931, p. 247).
Prononc. et Orth. :[]. Var. corsico(t) : n'est transcrit ds aucun dict. Il peut s'écrire corsico, au plur., corsicos (supra rem.) ou corsicot, au plur. corsicots, cf. p. ex. A.-L. DUSSORT, Journal, 1930, p. 10 : C'est un corsicot, sapé à vingt piges (....) il me balance moitié corse, moitié français. Étymol. et Hist. [XVIIe s. d'apr. Lar. Lang. fr. et Pt ROB.]; 1732 adj. « qui appartient à la Corse » chevaux corses (Trév.); 1840 subst. « dialecte parlé en Corse » parler corse (MÉRIMÉE, op. cit., p. 178). Du nom de la Corse, île de la Méditerranée (1606, NICOT), lat. corsus « qui appartient à la Corse »; Corsi « les Corses ». Fréq. abs. littér. :299. Fréq. rel. littér. :XIXe s. : a) 787, b) 230; XXe s. : a) 268, b) 319.
corse [kɔʀs] adj. et n.
ÉTYM. 1684, in D. D. L.; du nom de la Corse, île de la Méditerranée, lat. corsus « qui appartient à la Corse »; Corsi « les Corses ».
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1 Adj. De Corse, particulier à la Corse. || Populations corses. || Bandits corses prenant le maquis (bandits d'honneur). || Vengeance corse. ⇒ Vendetta. || Chant funèbre corse. ⇒ Vocéro. || Histoires corses. || Les autonomistes corses. || À la corse : typiquement corse. || Vengeance à la corse.
2 N. et adj. Personne originaire de Corse. || Bonaparte, Corse de naissance. || Il, elle est corse.
0 Ô Corse à cheveux plats (…)
A. Barbier, Iambes, « L'idole » (→ Cheveu, cit. 3).
♦ N. m. et adj. Spécialt (dans le langage des royalistes). || Le Corse, l'ogre corse : Bonaparte, Napoléon Ier.
♦ N. m. (1840). Ling. || Le corse : dialecte italique parlé en corse.
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HOM. Formes du v. corser.
Encyclopédie Universelle. 2012.