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DEUIL
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DEUIL

Dans le langage courant, le mot «deuil» renvoie à deux significations. Est appelé deuil l’état affectif douloureux provoqué par la mort d’un être aimé. Mais deuil signifie tout autant la période de douleurs et de chagrins qui suit cette disparition. Le deuil est donc constitutif d’une perte d’objet, au sens psychanalytique d’objet d’amour. Freud s’est intéressé dans son ouvrage Deuil et mélancolie (1915) à cette «maladie naturelle» que traverse l’endeuillé. Il a tenté d’y dégager les lignes directives du travail psychique que doit accomplir le survivant placé devant le fait que l’objet est irrémédiablement absent. Cette «maladie naturelle» constitue une épreuve de réalité bien spécifique. Il ne s’agit pas du premier travail psychanalytique sur ce sujet: Karl Abraham, élève de Freud, avait auparavant publié une recherche sur le deuil en rapprochant le tableau nosographique de la mélancolie — qui appartient au domaine de la pathologie mentale — de celui du deuil (Zentralblatt für Psychoanalyse und Psychotherapie , vol. II, no 6, 1912).

Dans le champ psychanalytique, comment se traduit cette épreuve de deuil? Freud a mis en évidence, dans l’ouvrage précité, les modifications de la dynamique libidinale qu’engendre la disparition définitive d’un être aimé (c’est-à-dire d’un objet libidinal). Au cours du deuil, le sujet accomplit un ensemble d’opérations mentales: cet ensemble constitue le «travail de deuil» (Trauerarbeit ). La personne aimée et disparue était investie libidinalement par le sujet. Aussi, lors du deuil, une partie de la libido qui se dirigeait sur l’objet est libérée et retourne sur le moi. C’est ce qui se traduit par le repli narcissique, car la libido ainsi soustraite du monde extérieur n’assure plus la prise sur la réalité. Phénoménologiquement, cela s’observe par un ralentissement des activités ou perte d’élan vital, un désintérêt pour le monde environnant, un repli sur la douleur et les souvenirs. Cette régression de la libido entraîne une identification au disparu: une partie du moi du sujet devient l’objet; l’identification narcissique avec l’objet devient le substitut de l’investissement d’amour. Ce processus est inhérent à tout deuil.

L’élément capital de la compréhension du travail de deuil se situe au niveau de l’identification narcissique à l’objet perdu. Il y a «incorporation» de l’objet dans le moi dans le but de conserver le lien et d’éviter la perte. Cependant, avec le temps, le moi élabore peu à peu la rupture et redistribue ses investissements. Le travail de deuil a donc pour tâche de remplir la mission suivante: accepter que l’objet perdu n’existe plus et détacher la libido des liens qui la retournent à l’objet. Au verdict de la réalité, le sujet répond d’abord par la révolte en s’absorbant dans les souvenirs, moyen pour lui de nier l’absence. Il peut même parfois passer par une psychose hallucinatoire du désir qui place la pensée inconsciente au-dessus de la réalité (par exemple par la négation: «le disparu n’est pas mort; il reviendra...»). Ce mode de relation à l’objet disparu (commémoration des souvenirs) a été appelé «relation nostalgique à l’objet». Puis les espérances narcissiques que procure la vie s’opposent à cette relation douloureuse: «... et le moi est quasiment placé devant le fait de savoir s’il veut partager ce destin, et il se laisse décider par la somme des satisfactions narcissiques à rester en vie et à rompre sa liaison avec l’objet anéanti» (Deuil et mélancolie , p. 168). Le travail de deuil doit donc aboutir au renoncement progressif de cette activité mentale de représentations liées au disparu au profit d’une intériorisation de celle-ci. Il s’agit en fait de perdre l’objet et de le retrouver, c’est-à-dire que le travail de deuil est accompli lorsque le sujet parvient à sauvegarder l’amour pour l’objet et l’amour pour la vie.

Cette étude sur le deuil a permis à Freud d’approfondir: premièrement, les processus psychiques mis à l’œuvre dans l’établissement des relations d’objet; deuxièmement, les mécanismes d’identification (déjà étudiés dans Études sur l’hystérie , 1895, et dans Pour introduire le narcissisme , 1914); et, enfin, troisièmement, le devenir des relations d’objets. Ainsi la recherche autour du deuil s’inscrit-elle dans la continuité de l’entreprise théorique de Freud.

Melanie Klein, autre figure importante de la psychanalyse, soutient d’après son expérience clinique que la capacité de surmonter les deuils, auxquels est confronté chaque sujet sur le chemin de sa vie, dépend de la façon dont les premiers deuils de l’enfance ont été élaborés. Ainsi, selon elle, l’enfant passe par des états comparables à ceux du deuil de l’adulte. Le premier deuil apparaît lors du sevrage; l’enfant pleure le sein pour tout ce qu’il représente: bonté, sécurité, nourriture, etc. Ce sont pour Melanie Klein des épreuves maturantes, à l’origine d’élans créateurs.

Dans cette nouvelle perspective, le terme deuil englobe une signification plus large que celle désignant l’état causé par la mort d’un être aimé. Il s’agit essentiellement d’un renoncement; ainsi les expressions «faire le deuil d’un projet, d’une idée, d’une illusion...» comprennent cette extension du sens accordé au mot deuil. Le processus du deuil consiste alors en un renoncement à une image idéalisée de soi qui comble le narcissisme par la médiation d’objets.

Une approche psychosociologique du deuil permet de repérer si la façon dont une société accueille la mort peut ou non aider l’individu à accomplir le travail psychique du deuil. Il est reconnu que dans les sociétés tribales, où le groupe prime l’individu, les rituels de deuil sont de véritables rites de passage fixant l’entrée du deuil et sa sortie. Ces rituels de deuil prennent en charge le travail psychique individuel en le codifiant par les attitudes symboliques, alors qu’en Occident l’individu doit trouver son propre chemin de dégagement. C’est ainsi que certains tabous en Afrique permettent aux veufs ou aux veuves d’expier leurs pulsions hostiles, plus ou moins inconscientes, à l’égard du conjoint décédé. Par exemple, ils doivent se soumettre à un certain nombre d’interdits durant une période déterminée: réclusion, continence sexuelle, alimentation restreinte, etc. Au terme de cette période, les interdits sont levés et la fin du deuil est consacrée à des rites de purification, préservant ainsi le groupe de la souillure. Ces rites ont donc, d’une part, une fonction déculpabilisante pour les proches et, d’autre part, une fonction de protection du groupe célébrant la vie et l’union des survivants.

En Occident, aujourd’hui, les rituels de deuil sont extrêmement réduits, le deuil est escamoté. Des études sociologiques tentent de penser les effets de ce phénomène (E. Morin, L’Homme et la mort dans l’histoire ; L. V. Thomas, Anthologie de la mort ). Nous assistons à un véritable déni de la mort en tant qu’il y a refus d’une perception traumatisante. C’est ainsi qu’en croyant de plus en plus à la puissance de la science et de la technique, la conception même de «mort naturelle» est rejetée, contrairement à toutes les morts spectaculaires qui sont devenues l’objet de fascination.

La mort n’est plus symbolisée par le groupe social, seul l’imaginaire individuel prend en charge le travail de deuil, ouvrant des brèches à des dérives fantasmatiques chaotiques.

deuil [ dɶj ] n. m.
dueil XVe; doel, duelXIIe; dol Xe; bas lat. dolus, de dolere « souffrir »
1Douleur, affliction que l'on éprouve de la mort de qqn. Sa mort fut un deuil cruel. Pays plongé dans le deuil ( endeuillé) . Jour de deuil.
Fig. et littér. affliction, tristesse. La nature est en deuil, son aspect est désolé, lugubre, triste. « une déception précoce, un deuil secret du cœur, leur a gâté l'univers » (France).
2Mort d'un être cher. perte. Il vient d'avoir plusieurs deuils dans sa famille.
3Signes extérieurs du deuil, consacrés par l'usage. Journée de deuil national. Vêtements de deuil (noirs, gris, violets, mauves, dans la civilisation occidentale). Mettre une cravate noire en signe de deuil. Porter, prendre le deuil. « Dans ses vêtements comme dans son cœur, elle prit le grand deuil et ne le quitta jamais » (A. Daudet) . Fig. Il porte le deuil de ses illusions : ses illusions sont mortes. — EN DEUIL. Être en grand deuil, en demi-deuil ( demi-deuil) . Être en deuil de qqn. Il est en deuil de son frère. Fam. Avoir les ongles en deuil, noirs, sales.
4Temps durant lequel on porte le deuil. « Ils la choisirent noire, Gaud n'ayant pas fini le deuil de son père » (Loti).
5Vieilli Cortège funèbre. enterrement. Mener, conduire le deuil.
6Loc. fam. FAIRE SON DEUIL de qqch.,y renoncer, se résigner à en être privé. « il avait bien fallu qu'il s'inclinât, qu'il fît son deuil de ses projets » (Courteline). Tu peux en faire ton deuil !
⊗ CONTR. Bonheur.

deuil nom masculin (ancien français duel, du bas latin dolus, douleur) Perte, décès d'un parent, d'un ami : Avoir un deuil dans sa famille. Douleur, affliction éprouvée à la suite du décès de quelqu'un, état de celui qui l'éprouve : Le pays est en deuil, il pleure ses morts. Signes extérieurs liés à la mort d'un proche et consacrés par l'usage : Porter le deuil. Temps pendant lequel on porte ces signes extérieurs : Son deuil dura six mois. Cortège funèbre : C'est le veuf qui conduira le deuil. Processus psychique mis en œuvre par le sujet à la perte d'un objet d'amour externe. ● deuil (citations) nom masculin (ancien français duel, du bas latin dolus, douleur) François Maynard Toulouse 1582-Aurillac 1646 Académie française, 1634 Si je voyais la fin de l'âge qui te reste Ma raison tomberait sous l'excès de mon deuil Je pleurerais sans cesse un malheur si funeste, Et ferais, jour et nuit, l'amour à ton cercueil. Stances, la Belle Vieille Charles Perrault Paris 1628-Paris 1703 À l'ouïr sangloter et les nuits et les jours, On jugea que son deuil ne lui durerait guère. Peau-d'Âne Rainer Maria Rilke Prague 1875-sanatorium de Val-Mont, Montreux, 1926 Tuer est une forme de notre deuil vagabond… Töten ist eine Gestalt unseres wandernden Trauerns… Les Sonnets à Orphée, II, XI deuil (expressions) nom masculin (ancien français duel, du bas latin dolus, douleur) Familier. Avoir les ongles en deuil, avoir les ongles malpropres, bordés de noir. De deuil, se dit des vêtements, des signes portés en cas de deuil. Familier. Faire son deuil de quelque chose, y renoncer, se résigner à la perte de quelque chose. Grand deuil, costume complet de deuil. Prendre le deuil de quelque chose, manifester par une tristesse plus ou moins affectée que l'on est ennuyé de la perte de quelque chose. ● deuil (synonymes) nom masculin (ancien français duel, du bas latin dolus, douleur) Douleur, affliction éprouvée à la suite du décès de quelqu'un...
Synonymes :
- affliction
- chagrin
- déchirement
- épreuve
- malheur
Cortège funèbre
Synonymes :
- convoi

deuil
n. m.
d1./d Douleur, tristesse que l'on éprouve de la mort de qqn. Un deuil très éprouvant. Un jour de deuil.
d2./d Marques extérieures du deuil. Prendre, porter le deuil, être en deuil: porter des vêtements de deuil. Deuil national.
d3./d Temps pendant lequel on porte le deuil. L'usage a abrégé le deuil.
|| (Afr. subsah.) Période pendant laquelle on pleure un défunt. Levée, sortie de deuil, fin de cette période.
d4./d Cortège funèbre. Mener le deuil.
d5./d Loc. Fam. Faire son deuil d'une chose, ne plus compter sur elle, la considérer comme perdue.

⇒DEUIL, subst. masc.
A.— [À propos de la mort d'une pers.]
1. Douleur, affliction, profonde tristesse que l'on éprouve à la suite de la mort de quelqu'un. Un deuil inconsolable; jour de deuil national. Elle [Fanny] marcha vers la salle de bains (...) raidie d'attention, sourdement infatuée de son deuil tout neuf (COLETTE, Seconde, 1929, p. 109). De tout temps, les femmes se sont reconnues dans le deuil (ROY, Bonheur occas., 1945, p. 284) :
1. ... tout un peuple agité par la souffrance, assombri par des deuils domestiques (...) les Orléanais faisaient dans les sorties des pertes fréquentes et cruelles.
FRANCE, Vie de Jeanne d'Arc, t. 1, 1908, p. 272.
2. En partic. Marques extérieures de cette douleur, réglées par l'usage.
a) Ensemble des signes extérieures (notamment le vêtement) liés à la mort d'un proche. Cérémonies du deuil; habits de deuil (noirs, sombres dans nos cultures); maison, salle tendue de deuil. Habillée de deuil, mais pauvrement, sans gants, sans chapeau (MÉRIMÉE, A. Guillot, 1847, p. 90).
Porter le deuil :
2. Tandis que Miss Mabel l'habillait, Jean-Noël se mit à danser autour de sa sœur en criant : — Elle n'est pas en noir! Elle n'est pas en noir!
— Et puis après? répliqua Marie-Ange acide. Le deuil se porte aussi bien en blanc, n'est-ce pas Miss Mabel?
DRUON, Les Grandes familles, t. 1, 1948, p. 87.
Au fig. D'avance, je portais le deuil de mon passé (BEAUVOIR, Mém. j. fille, 1958, p. 106).
En deuil. Habillé pour un deuil. Synon. endeuillé. Elle a eu l'air très surprise de me voir avec une cravate noire et elle m'a demandé si j'étais en deuil (CAMUS, Étranger, 1942, p. 1137).
Grand deuil, petit deuil, demi-deuil. Vêtements qui sont portés traditionnellement aux différents moments du deuil et dont l'aspect devient moins sévère à mesure qu'on s'éloigne de l'époque du décès. Longue, mince, en grand deuil, douleur majestueuse, Une femme passa (BAUDEL., Fl. du Mal, 1857-61, p. 161).
Fam. Avoir les ongles en deuil. Avoir les ongles bordés de noir. En agitant au-dessus de sa tête des mains gonflées, aux ongles en deuil (DRUON, Les Grandes familles, t. 2, 1948, p. 26).
P. ext. Frais nécessaires pour prendre le deuil. La veuve a le droit de prélever son deuil sur la communauté (QUILLET, 1965).
b) Couleur de deuil. Le deuil est noir pour les particuliers. Le violet est le deuil des rois (LITTRÉ).
P. métaph. Aux yeux en grand deuil violet comme des pensées (LAFORGUE, Poés., 1887, p. 207). Ces poussières de charbon, elles avaient noirci de leur deuil la gorge entière, elles ruisselaient en flaques sur l'amas lépreux des bâtiments de l'usine, elles semblaient salir jusqu'à ces nuages sombres qui passaient sans fin (ZOLA, Travail, t. 1, 1901, p. 2).
c) Temps pendant lequel doivent apparaître certains signes du deuil. Le deuil des veuves ne dure plus qu'un an (Ac. 1835-1932). Les coutumes du deuil chassent de l'activité collective, les parents du mort : ils ne vivent plus qu'au présent (J. VUILLEMIN, Essai signif. mort, 1949, p. 179).
3. P. méton.
a) Fait de perdre un parent ou un proche; situation consécutive à cette perte. Une épreuve ou un deuil; être atteint par un deuil. Trois deuils en trois ans, un dur lot à supporter pour une famille (GUÈVREMONT, Survenant, 1945, p. 158). Le deuil général ne peut être fait que de la mise en commun de tous les deuils particuliers (GIDE, Journal, 1940, p. 39).
b) Cortège funèbre. À onze heures, le convoi se met en marche. Les fils de la défunte conduisent le deuil (ZOLA, Cap. Burle, 1883, p. 83) :
3. Mais bientôt je prendrai, comme on fait au village, Alors qu'on mène un deuil, lourde comme du plomb, La croix dont le sommet parfois touche au feuillage, La croix qui t'étonnait, ô fille d'Apollon!
JAMMES, De tout temps à jamais, 1935, p. 11.
Au fig. :
4. Il lui semblait [au duc] qu'elle menait [cette lamentation funèbre] le deuil de tout ce qu'il avait connu et aimé, le deuil de ses enfants, le deuil de lui-même, et le deuil des rois, dont il voyait l'agonie en quelque sorte, et le crépuscule de ces dieux.
BOURGES, Le Crépuscule des dieux, 1884, p. 338.
B.— P. ext.
1. Sentiment de profonde tristesse liée à une cause occasionnelle (départ, rupture, etc.). Il me fait deuil de ne pas connaître encore ma bien-aimée petite-fille Berthe Bovary (FLAUB., Mme Bovary, t. 2, 1857, p. 8). Et moi j'ai tout un deuil blanc et bleu dans mon cœur (NOAILLES, Éblouiss., 1907, p. 233). Et puis il avait bu pour ce deuil de partir [à l'armée] (GIONO, Gd troupeau, 1931, p. 31) :
5. Et le plus beau printemps je ne saurais qu'en faire
Sans toi mais le plus bel avril le plus doux mai
Sans toi ne sont que deuil ne sont sans toi qu'enfer
Rendez-moi rendez-moi mon ciel et ma musique
Ma femme sans qui rien n'a chanson ni couleur...
ARAGON, Le Crève-cœur, Le Printemps, 1941, p. 37.
Au fig. et fam. Faire son deuil d'une chose. Renoncer à, admettre la perte de. Je fais mon deuil de ce qui me choque [en Michelet] (SAINTE-BEUVE, Nouv. lundis, t. 2, 1863-69, p. 112). Le domaine spirituel était le seul auquel nous puissions prétendre. Il faut en faire notre deuil (COCTEAU, Maalesh, 1949, p. 139).
2. En partic. Impression de profonde tristesse liée au spectacle de la nature, et souvent produite par des teintes sombres. Le deuil de la nature, de la tempête. Les immenses rideaux de pluie qui couvraient la campagne d'un deuil plus sombre que les frimas (FROMENTIN, Dominique, 1863, p. 61). Je sens monter vers moi Le deuil d'une vallée où j'eusse été le roi (JAMMES, De tout temps à jamais, 1935 p. 57) :
6. Sous le ciel couleur d'ardoise, sous ce deuil d'hiver si rare, la ville prenait une sorte de majesté...
ZOLA, Rome, 1896, p. 470.
C.— Emplois spéc. (BOT., ENTOMOL.). Êtres qui dans leur coloration sont noirs et blancs.
Grand(-)deuil, petit(-)deuil (vulg.). ,,Papillons du genre nymphé`` (BESCH. 1845).
Rem. Attesté aussi ds Ac. Compl. 1842, Lar. 19e-20e, LITTRÉ.
Prononc. et Orth. :[dœj]. Ds Ac. 1694-1932. Étymol. et Hist. 1. 2e moitié Xe s. dol « affliction » (Saint-Léger, éd. J. Linskill, 63); 1467 doeil [Exec. test. de Catherine Dattre, A. Tournai ds GDF. Compl.], qualifié de ,,vieux`` par Ac. 1718-40; surtout employé dans la lang. littér. av. 1742 « aspect lugubre » (MASS., Car. Passion ds LITTRÉ); spéc. 2. ca 1050 duel « affliction causée par la mort de quelqu'un » (Alexis, éd. Chr. Storey, 462), graphie attestée jusqu'au XVIe s. ds HUG., deuil — 1611, COTGR.; XVe s. deuil « perte d'un être cher » d'apr. FEW t. 3, p. 121a 1595 fig. passer son deuil « prendre son parti de » (21 mars, D'OSSAT, Lett. à M. de Villev. ds GDF. Compl.); 1823 (BOISTE : faire son deuil de, se consoler de); 3. ca 1050 dols « lamentations, signes extérieurs d'affliction » (Alexis, 104); ca 1170 guarnemenz de dol (Rois, éd. E. R. Curtius, IV, XXII, 11, p. 220); ca 1450 deuil (Myst. Vieil Testament, éd. J. de Rothschild, 44, 46869); 1680 deuil (RICH.); 4. 1549 (EST. : Achever son deuil. Elugere); 1559 deuz « temps durant lequel on porte le deuil » (Péronne, ap. La Fons. ds GUÉRIN); 1670 deuil (RACINE, Bérénice, I, 4); 5. 1606 dueil « cortège funèbre » (NICOT); 1658 deuil (Bordeaux à Brienne, 9 déc., Arch. aff. étrang. ds GUÉRIN). Du b. lat. dolus « douleur » (v. ERN-MEILLET, p. 181a), la forme deuil étant due à une réfection de l'a. fr. duel, plur. dueus sur le modèle d'œil/yeux. L'hyp. d'un rattachement au b. lat. « chagrin » [attesté en lat. class. sous la forme composée cordolium] (DG) ne rend pas compte des formes de l'a. fr. (FEW, loc. cit., note 2). Fréq. abs. littér. :2 577. Fréq. rel. littér. :XIXe s. : a) 3 677, b) 4 556; XXe s. : a) 4 728, b) 2 535.
DÉR. Deuilleur, euse, subst. a) Deuilleur, subst. masc. Homme ayant pour tâche de chanter et pleurer aux funérailles chez les peuples primitifs. Le 3 [l'observateur no 3] sera mêlé au groupe tumultueux des porteurs de torches, sans cesse accru par les apports des deuilleurs venus de la maison mortuaire (GRIAULE, Méth. ethnogr., 1957, p. 49). b) Deuilleuse, subst. fém. Deuilleuse à la main. ,,Ouvrière réalisant à la main, avec précision, les bordures de deuil sur les papiers à lettres et enveloppes`` (Mét. 1955, p. 98), p. oppos. à deuilliste machine ,,ouvrière réalisant à la machine les bordures noires des enveloppes et papiers à lettres`` (Mét. 1955, p. 98, p. 49). 1re attest. 1936 (LOWIE, Anthropol. cult., p. 346); de deuil, suff. -eur2.
BBG. — DARM. Vie 1932, p. 191. — GOTTSCH. Redens. 1930, p. 274, 404.

deuil [dœj] n. m.
ÉTYM. XVe, dueil, doeil, sur le modèle de œil; dol au Xe; dœl, duel au XIIe; du bas lat. dolus, subst. verbal de dolere « souffrir ». → Dol.
1 Douleur, affliction que l'on éprouve de la mort de quelqu'un. Affliction, douleur, malheur, souffrance. || Sa mort fut un deuil cruel (→ Cœur, cit. 33). || Deuil déchirant, poignant. || Pays plongé dans le deuil. || Jour de deuil. || Deuil anniversaire d'une calamité nationale.
1 Il se plaint (le hibou), et les dieux sont par lui suppliés
De punir le brigand qui de son deuil est cause.
La Fontaine, Fables, V, 18.
2 Le deuil, un deuil poignant, était dans cette chambre. La servante se lamentait dans un coin, le curé priait, et on l'entendait sangloter, le médecin s'essuyait les yeux; le cadavre lui-même pleurait.
Hugo, les Misérables, III, III, IV.
Psychan. || Le travail du deuil : processus psychique par lequel le sujet parvient à se détacher d'un objet d'attachement disparu.
2 (XVe). Mort d'un être cher ou proche. Perte. || En raison d'un deuil récent, il ne peut aller au spectacle. || Recevoir des condoléances à l'occasion d'un deuil.En deuil. || Être en deuil. Perdre (qqn). || Être en deuil de son frère.
3 Fig. et littér. Sentiment de profonde tristesse. Affliction, tristesse. || La nouvelle de cette catastrophe nous mit le cœur en deuil.
Poét. || Le deuil de la nature. || La nature est en deuil, son aspect est désolé, lugubre, triste.
3 Salut, derniers beaux jours ! le deuil de la nature
Convient à la douleur et plaît à mes regards.
Lamartine, Premières méditations, « L'automne ».
4 Innocentes blessées, une déception précoce, un deuil secret du cœur, leur a gâté l'univers.
France, le Jardin d'Épicure, p. 121.
Vx ou régional. Faire deuil à qqn, l'attrister profondément.
4.1 (…) Cavalier paraissait atterré.
— C'est une mauvaise nature, dit-il. Et pendant tout le dîner, il répétait :
— Oh ! Ça me fait deuil, monsieur, vous ne savez pas comme ça me fait deuil.
J'essayais de le consoler, mais en vain.
Maupassant, Yvette, « Le garde », p. 284.
4.2 Moi, les gendarmes je les respecte. Seulement, ils me font deuil, j'aime pas les voir, c'est comme les notaires et les curés.
Bernanos, Un crime, Pl., p. 754.
4 Signes extérieurs du deuil, consacrés par l'usage. || Vêtement de deuil. || Couleurs qui indiquent le deuil (selon les cultures) : noir, gris, violet, mauve, blanc.En deuil : habillé pour un deuil. || Être, se mettre en deuil. || Être en grand deuil, en demi-deuil ( Demi-deuil).Vêtu de deuil. || S'habiller de deuil (→ Burlesquement, cit.). || Porter le deuil de son père. || Quitter le deuil. || Mettre un brassard, un crêpe en signe de deuil. || Drapeau en berne, pour marquer le deuil d'un régiment, d'un pays. || Larges manchettes que l'on mettait autrefois en signe de deuil. Pleureuse (→ Cheveu, cit. 21). || Voile de deuil.
5 Il vous faut faire habiller de deuil.
Racine, Lettres.
6 Dans ses vêtements comme dans son cœur, elle prit le grand deuil, et ne le quitta jamais (…)
Alphonse Daudet, le Petit Chose, I, IV, p. 36.
6.1 Il y a dans le deuil le plus austère des détails matériels qui déshonorent la douleur mais que veut le monde, commandes de livrées, draperies d'équipages, l'écœurant contact du fournisseur aux façons hypocrites et dolentes (…)
Alphonse Daudet, l'Immortel, p. 41.
6.2 Si j'admettais la tenue de grand deuil des veuves, sa réduction à l'échelle d'insigne, les brassards noirs, le lé de crêpe au revers du veston, et chez les ouvriers une cocarde noire à la casquette, dans le coin de la visière, autrefois me paraissaient ridicules.
Jean Genet, Pompes funèbres, p. 29.
Tentures de deuil. || Église tendue de deuil.Papier de deuil.Arbre symbolisant le deuil. Cyprès.
Fig. Il porte le deuil de ses illusions : ses illusions sont mortes.
Fam. Avoir les ongles en deuil, noirs, sales. — ☑ Porter le deuil de sa blanchisseuse : porter du linge sale.
6.3 Ces sept personnes (…) luttaient entre elles à qui aurait l'ongle le plus en deuil.
Montherlant, le Démon du bien, p. 135.
5 (1559). Temps durant lequel on porte le deuil. || Une année de deuil. || On a abrégé les deuils.
7 Votre deuil est fini, rien n'arrête vos pas (…)
Racine, Bérénice, II, 4.
8 (…) le deuil n'est ni un usage ni une loi; c'est bien mieux, c'est une institution qui tient à toutes les lois dont l'observation dépend d'un même principe, la morale.
Balzac, le Médecin de campagne, Pl., t. VIII, p. 377.
9 Ils la choisirent noire, Gaud n'ayant pas fini le deuil de son père.
Loti, Pêcheur d'Islande, IV, III, p. 229.
En franç. d'Afrique. Période pendant laquelle on pleure un mort, selon la tradition. || Fin, levée, sortie de deuil (in I. F. A).
6 (1606). Vieilli. Cortège funèbre des parents et amis qui assistent aux obsèques de qqn. Enterrement. || Mener, conduire le deuil.
7 Fig. Couleur de deuil : sombre, noir.
10 On cause du passé, couleur de deuil, de l'avenir, couleur de rose.
Alphonse Daudet, le Petit Chose, I, IV, p. 50.
8 (1823). Loc. fam. Faire son deuil d'une chose : se résigner à en être privé.
11 Et tout de même il avait bien fallu qu'il s'inclinât, qu'il fît son deuil de ses projets (…)
Courteline, Messieurs les ronds-de-cuir, I, I, p. 25.
CONTR. Allégresse, bonheur, joie.
DÉR. et COMP. Deuilleur. Demi-deuil. Endeuiller.

Encyclopédie Universelle. 2012.