DIPLOMATIE
Dès 1926, Jules Cambon notait que «tant que les gouvernements des divers pays auront des rapports entre eux, il leur faudra des agents pour les représenter et les renseigner, et, qu’on leur donne le nom qu’on voudra, ces agents feront de la diplomatie». Réplique aux attaques dont la Carrière fut l’objet de tout temps, prophétie d’un homme du sérail, la formule, pour être vraie, n’éclaire pas complètement le rôle attribué à cette diplomatie. Or, si le terme de «diplomatie» est souvent utilisé dans le langage courant, il comporte de nombreuses significations qui en obscurcissent le véritable sens. Dans un ouvrage classique, Harold Nicolson relevait qu’il pouvait être synonyme de «politique extérieure», ou bien encore de «négociation»; il peut aussi indiquer les procédés et le mécanisme au moyen desquels ces négociations sont exécutées, ou encore une branche de l’administration gouvernementale; enfin, un cinquième sens «implique une qualité et un don abstraits, signifiant dans le meilleur des cas l’habileté à conduire des négociations internationales, et, au sens péjoratif, la rouerie considérée comme l’aspect le plus retors du tact». Il est vrai que la connotation négative l’emporte souvent dans l’esprit du public pour qui, comme l’attestent Littré et le Dictionnaire de l’Académie française de 1879, faire de la diplomatie revient à user d’adresse, de ruse ou de subterfuges. À l’opposé, les diplomates, refusant de considérer leur activité comme une science, la qualifient souvent d’«art», et sont loin de rejeter la définition de sir Ernest Satow pour qui la diplomatie est «l’intelligence et le tact mis au service des relations officielles entre les gouvernements d’États indépendants».
Or la diplomatie n’est qu’une activité gouvernementale spécialisée qui ne mérite ni d’être définie par des qualités, que ne possèdent d’ailleurs pas tous ceux qui en ont la charge, ni par des défauts, relevés par ceux qui ne connaissent le plus souvent du métier que les illusoires scintillations. On définira plus simplement la diplomatie comme l’ensemble des voies et moyens officiels par lesquels sont conduites les relations extérieures pacifiques des États. En conséquence, ne font partie de la diplomatie que les relations internationales conduites par les agents officiels de l’État. Les relations privées, en constant développement à notre siècle dans tous les domaines (touristique, culturel, sportif, etc.), sont étrangères à l’action diplomatique stricto sensu. Par ailleurs, toutes les formes de relations extérieures de l’État ne relèvent pas de la diplomatie; ainsi en est-il de la guerre. Enfin, le rôle de la diplomatie n’est pas de définir le contenu de la politique extérieure d’un État, mais seulement de mettre en œuvre celle qui aura été déterminée par l’organe constitutionnellement compétent pour diriger les affaires du pays. Même si les diplomates peuvent – et parfois doivent – éclairer de leurs lumières les gouvernants, ils ne sauraient se substituer au pouvoir de décision que seuls possèdent ces derniers.
Origines de l’autonomie de la diplomatie
La diplomatie est aussi ancienne que les rapports internationaux, et on peut dire qu’elle est née du jour où un peuple voulut entrer en contact avec ses voisins, habitude répandue car, si l’on en croit Montesquieu, «les Iroquois même, qui mangent leurs prisonniers [...], envoient et reçoivent des ambassades». L’étymologie associe la diplomatie aux déplacements, puisque le mot est dérivé du grec diploma , qui signifie plié en deux et fait référence aux passeports et documents qui étaient constitués de deux plaques métalliques pliées et cousues ensemble.
Dans la Grèce antique, aux nombreuses cités autonomes, l’habitude se contractera vite de nouer des relations par l’entremise de hérauts, maréchaux, messagers et autres envoyés. Vers 500-400 avant J.-C., certaines formes organisées sont établies. Ainsi institue-t-on le proxenos , sorte d’hôte officiel chargé de recevoir et de donner l’hospitalité aux envoyés étrangers. À Rome, se formera une administration qui gère les relations avec les provinces lointaines. Des envoyés plénipotentiaires, appelés selon les cas legati ou oratores , cohabitent avec des praecones ou caduceatores , hérauts envoyés d’une cité à l’autre. Cependant, leurs activités se limitaient à l’intérieur de l’Empire.
L’évolution de la diplomatie sera lente, car les contacts se feront par l’entremise de seules missions ad hoc jusqu’au XVe siècle. C’est aux républiques italiennes que l’on doit l’idée d’entretenir des missions permanentes. Sans doute l’initiative revient-elle aux Vénitiens, mais on peut dater avec certitude l’installation de la première légation permanente en 1455, quand le duc de Milan, Francesco Sforza, créa une ambassade à Gênes. Cette pratique allait alors se généraliser rapidement. En 1460, le duc de Savoie envoie à Rome un représentant permanent, l’archidiacre de Vercelli. Comme la route jusqu’aux îles Britanniques était «très longue et très dangereuse», Venise nomme en 1496 deux marchands résidant à Londres sub-ambasciatores. Ainsi Londres, mais aussi Paris et la cour de Charles Quint reçurent les ambassades des États italiens. D’autres puissances les imitèrent: en 1519, sir Thomas Boleyn et le Dr West furent les premiers ambassadeurs anglais auprès du roi de France. C’est d’ailleurs à François Ier que revient le mérite d’avoir jeté les bases du système diplomatique moderne en généralisant l’envoi de représentants toujours plus nombreux, qui établissent des contacts avec les pays allemands, la Hongrie, la Pologne, la Suède ou bien encore avec la Sublime Porte.
Dans le même temps, se formait l’embryon d’une administration centrale. Traditionnellement, les commis du roi se partageaient les tâches non pas selon leur objet mais selon une répartition géographique. Les secrétaires d’État, comme on les appellera sous Henri II, connaissaient des affaires internes au royaume comme des affaires internationales relatives à leur zone de compétence. C’est presque par accident que Louis de Revol se vit, en 1589, confier par Henri III la gestion de l’ensemble des affaires étrangères, et il faudra attendre un règlement du 11 mars 1626 pour que soit officiellement créée la fonction de secrétaire d’État aux Affaires étrangères et instituée une administration spécialisée. Celle-ci ajoutait d’ailleurs à son activité «étrangère» nombre de fonctions hétérogènes comme la surintendance des Relais et des Postes ou la Marine du Ponant. C’est au lendemain de la Révolution que Talleyrand remettra de l’ordre dans cette administration. Tandis que l’exclusivité de ses compétences est reconnue au ministère des Relations extérieures, celui-ci sera divisé en deux grands services: la division du Nord, compétente pour les relations avec les Pays-Bas, la Scandinavie et les quatre puissances européennes, et la division du Midi à laquelle était imparti le reste du monde.
La formation tardive d’un véritable ministère des Affaires étrangères ne fut pas propre à la France. Ainsi, au Royaume-Uni, ce ne fut qu’en 1782 que James Burke réorganisa l’administration royale en faisant du Southern Department le Home Office et du Northern Department le Foreign Office. Encore ce dernier ne fonctionnera-t-il effectivement qu’à compter de son transfert à Downing Street, en 1790, occupant alors une douzaine de personnes.
Le rôle de la diplomatie
«Les dîners sont l’âme de la diplomatie», aurait déclaré lord Palmerston qui fut, au milieu du XIXe siècle, ministre des Affaires étrangères du Royaume-Uni. Mais si le rôle des diplomates était aussi futile, on s’expliquerait mal que des pays comme la France, l’Allemagne ou les États-Unis emploient chacun quelque quatre mille ou cinq mille fonctionnaires des Affaires étrangères. La Grande-Bretagne, dont la diplomatie est, par tradition, particulièrement importante, affecte plus de six mille agents. Si l’on prend en considération le nombre des emplois offerts par la diplomatie, c’est-à-dire tenus également par des personnes recrutées à l’étranger et par des non-titulaires, les chiffres peuvent être multipliés par deux ou même par trois.
En fait, la diplomatie est l’instrument par lequel les États conduisent leurs relations extérieures, et son rôle n’a cessé de croître étant donné l’augmentation constante du nombre des États souverains et l’interdépendance grandissante des nations.
En 1685, la représentation de la France à l’étranger se limitait à onze ambassades permanentes, trois missions spéciales et cinq ministres résidents, tous en Europe. De nos jours, la France entretient des postes diplomatiques et consulaires dans quelque cent quarante pays. L’ouverture du monde à des espaces extra-européens, puis, au XXe siècle, l’émancipation des peuples colonisés ont conduit à un élargissement exceptionnel de la communauté internationale. Ce n’est qu’à une époque récente que le phénomène prit sa véritable ampleur: alors qu’en 1945 il n’y a que cinquante et un États pour signer la Charte des Nations unies, l’Organisation compte plus de cent soixante membres au début des années 1990. Cette multiplication des États ne fait qu’accroître le rôle des ministères des Affaires étrangères en élargissant leur champ d’action. Parallèlement, se développa une catégorie nouvelle de sujets du droit international, les organisations intergouvernementales, dont la plus connue est certes l’O.N.U., mais qui ne sont guère moins de deux cents. Sans doute l’activité de ces organisations donnat-elle naissance à une nouvelle forme de diplomatie, parfois appelée «diplomatie parlementaire», mais ce sont les agents de la diplomatie classique, interétatique, qui en restent les acteurs.
Dans ce monde élargi, l’interdépendance s’accentua. Le temps n’est plus où quelques traités de paix et d’amitié pouvaient, avec l’arrangement de mariages princiers, constituer l’essentiel d’une politique étrangère. L’interventionnisme de l’État en matière de politique intérieure et l’accentuation corrélative de la technicité des lois et des règlements se sont accompagnés d’un accroissement des accords internationaux techniques, scientifiques ou économiques. Le commerce vit son importance tôt reconnue et sa promotion fut prise en charge par l’État. Ainsi, le département commercial du Foreign Office fut-il créé en 1866, tandis que Londres nommait son premier attaché commercial (à Paris) en 1880. Il n’est plus guère d’activité qui puisse échapper au contexte international. Aussi, à côté des traités classiques, trouve-t-on aujourd’hui une grande majorité de conventions directement liées à la vie économique dans les secteurs les plus divers. Quant aux organisations intergouvernementales, elles produisent de diverses manières des réglementations qui s’apparentent à une législation internationale.
D’une diplomatie «politique» restreinte à un cadre géographique étroit, on est passé à une diplomatie universelle et globale.
La corporation des diplomates
Un bon ambassadeur doit être un théologien éclairé, connaître les œuvres classiques, la géographie et l’histoire, aimer la poésie, la musique, l’architecture et il doit pouvoir résoudre rapidement les problèmes les plus difficiles. Telle était la description qu’Ottavio Maggi donnait du diplomate idéal dans son De legato , publié en 1596. Certains aspects de cette culture peuvent paraître quelque peu anachroniques, mais les diplomates qui, l’heure de la retraite sonnée, se sentent devenir mémorialistes restent aujourd’hui encore très exigeants et prêtent nombre de qualités à leurs pairs – et sans doute un peu à eux-mêmes. Tous n’ont pas, en effet, la modestie de M. de Noyelle qui, accueillant un jeune collègue, lui déclarait: «Ce qu’il faut à cette Maison, ce ne sont pas des génies exceptionnels, mais d’honnêtes médiocrités, comme vous et moi...» Nicolson dresse une impressionnante liste: sincérité, exactitude, sang-froid, patience, bonne humeur, modestie, loyauté, intelligence, savoir, discernement, prudence, hospitalité, charme, activité, courage et tact seraient les caractéristiques du diplomate du XXe siècle. Voilà de nombreuses qualités exigées d’hommes mal aimés que La Bruyère comparait à des caméléons ou des Protée se comportant en habiles joueurs de poker, tandis que Proust décrivait son Norpois comme «imbu de cet esprit négatif, routinier, conservateur, dit «esprit de gouvernement» et qui est, en effet, celui de tous les gouvernements et, en particulier, sous tous les gouvernements, l’esprit des chancelleries». De fait, la charge est le plus souvent la contrepartie d’une certaine admiration car, comme le relève J. W. Burton, «malgré l’absence de toute formation professionnelle spécifique, la diplomatie a un standing professionnel élevé, dû sans doute à une certaine discrétion et à un mystère que ses praticiens encouragent consciemment».
Pourtant les diplomates sont choisis et recrutés comme tous les autres hauts fonctionnaires, c’est-à-dire par voie de concours. Parfois le concours est propre au ministère, comme aux États-Unis depuis que les fondements d’un service diplomatique moderne furent posés par le Rogers Act de 1924, encore que par tradition près du tiers de ses ambassadeurs soient des non-professionnels qui trouvent ainsi la récompense des services rendus au président pendant la campagne électorale. En Grande-Bretagne, la procédure est celle du Civil Service Selection Board, service commun à l’ensemble de la fonction publique, suivie d’un Final Selection Board qui juge des aptitudes particulières à la diplomatie. Au Royaume-Uni, comme aux États-Unis, le candidat admis reçoit une formation complémentaire au cours d’un bref stage. En France, l’institution, en 1945, de l’École nationale d’administration fera disparaître le «grand concours» du Département, et les futurs diplomates proviennent de ce vivier commun à toute l’Administration. À côté de cette source de recrutement subsistent encore de l’ancienne procédure le concours plus spécialisé des secrétaires du cadre Orient et les concours qui donnent accès aux emplois moins importants de secrétaires adjoints. Mais, si les États possédant une solide tradition administrative procèdent selon des méthodes qui offrent certaines garanties de compétence, d’autres peuvent recruter plus largement ou plus arbitrairement les personnels de leur diplomatie.
Mais, partout, les diplomates se recrutent essentiellement dans les milieux privilégiés, ce qui explique sans doute qu’ils constituent une sorte de société particulière déjà décrite par F. Guizot dans ses Mémoires pour servir à l’histoire de mon temps (1859).
Est-ce à l’esprit de club de la diplomatie que l’on doit attribuer la place modeste faite aux femmes? Dans son célèbre traité L’Ambassadeur et ses fonctions (1680-1681), A. de Wicquefort déclarait qu’il ne serait pas conforme à la dignité d’un roi d’être représenté par des femmes. Les temps ont changé, et nombre d’États ne répugnent point à nommer des ambassadrices. Ainsi de l’U.R.S.S. qui fut représentée en Suède dans les années trente par Mme Kollontaï, des États-Unis qui en placèrent plusieurs à la tête de leurs représentations à l’étranger, ou encore des États nouveaux que l’insuffisance de leurs élites prévient d’une ségrégation injustifiable. Mais cette attitude n’est pas partagée par les États à la diplomatie la plus ancienne. Le Foreign Office ne compte qu’une femme pour soixante-dix agents (contre une pour treize en Allemagne). Quant au ministère français des Affaires étrangères, il attendra 1930 pour admettre la première femme, Mlle Suzanne Borel, par la voie royale du «grand concours». À vrai dire, la France avait soulevé une certaine émotion en investissant du titre et des fonctions d’ambassadeur Renée du Bec de Vardes, maréchale de Guébriant, en 1645. Mais sa mission, limitée dans le temps, était d’une nature assez particulière puisqu’elle avait consisté à placer dans les bras du roi de Pologne Wladislas IV la fille du duc de Nevers, Marie de Gonzague...
Il faudra attendre 1972 pour qu’un poste d’ambassadeur soit à nouveau occupé par une femme, Melle Campana, qui représenta la France à Panamá. De même, Londres nomma une ambassadrice à Tel-Aviv en 1962, mais la maladie l’empêcha de gagner son poste et ce n’est qu’en 1973 que miss Jean Emery fera accéder les femmes aux fonctions suprêmes en devenant haut-commissaire au Botswana. Encore la règle était-elle jusqu’en 1974 d’interdire les postes à l’étranger aux femmes mariées!
Le Département et les postes
La caractéristique qui distingue la diplomatie au sein des administrations tient à son activité même: la plupart de ses agents ne résident pas dans la capitale mais sont dispersés à travers le monde. Ils font généralement, en France tout au moins, les deux tiers de leur carrière à l’étranger mais en passent cependant un tiers à l’Administration centrale. Celle-ci est très souvent décriée, même si tous les gouvernants, n’ont pas la sévérité de J. F. Kennedy qui qualifiait le Département d’État de «bol de gélatine rempli de gens qui sourient toujours» (cité par A. M. Schlesinger). De fait, centralisant les informations provenant des postes extra-territoriaux, gérant les rapports proprement multinationaux et étant en contact permanent avec les diplomates étrangers accrédités dans la capitale, ses tâches sont lourdes et son organisation fréquemment inadaptée. Tous les ministères des Affaires étrangères sont organisés selon un schéma classique distinguant les divisions géographiques et les divisions fonctionnelles.
Longtemps le Quai d’Orsay fut organisé en six grandes directions: les Affaires politiques (réparties en services géographiques pour la plupart), les Affaires africaines et malgaches (squelettiques, en raison de l’existence d’un ministère ad hoc ), les Affaires économiques et financières, les Relations culturelles, scientifiques et techniques, les Conventions administratives et affaires consulaires (s’occupant des questions concernant directement les personnes privées) et, enfin, la Direction du personnel et de l’Administration générale. À côté de celles-ci avait été créée une Direction des affaires juridiques aux effectifs très réduits, et on trouvait encore certains services spécialisés comme l’Inspection générale des postes diplomatiques et consulaires, le Protocole ou les Archives et la documentation. Bien qu’ayant été profondément réorganisé après la Seconde Guerre mondiale, le Département ne fonctionnait pas toujours à la satisfaction générale car la multiplication de ses tâches, due à l’internationalisation croissante des activités étatiques, avait conduit à une prolifération cancéreuse de services qui détruisait quelque peu la logique de l’organigramme. Aussi, en 1976, un plan de cinq ans fut-il entrepris en vue de «géographiser» les structures du Quai d’Orsay. Cinq directions géographiques (Europe, Asie-Océanie, Afrique du Nord et Levant, Afrique au sud du Sahara, Amérique) regrouperont les aspects politiques et économiques des rapports bilatéraux de la France, tandis que trois directions fonctionnelles (politique, économique, culturelle) s’occuperont de ce qui est par essence multilatéral et pourront jouer un rôle de coordination. Il n’en demeure pas moins que l’exclusivité des relations avec l’étranger (que les décrets du 22 messidor an VII et du 25 décembre 1810 confèrent au ministre des Affaires étrangères) restera quelque peu illusoire à l’heure où de nombreux ministères techniques sont conduits à négocier directement avec leurs homologues étrangers et que l’un d’eux, le ministère du Commerce extérieur, a par définition une activité internationale. Ces problèmes sont communs à de nombreux pays développés et les projets de réforme de l’administration des Affaires étrangères fréquents: ainsi au Royaume-Uni, avec les rapports Plowden en 1964 et Duncan en 1969, ou aux États-Unis, avec les rapports Rowe (1950), Wriston (1954), Herter (1962) ou Macomber (1970). Il est intéressant de noter que ces deux pays et la France ont senti la nécessité de créer au sein de leur administration centrale un service spécialisé de réflexion et de prospective: le Policy Analysis and Resource Allocation Program (1971) à Washington, le Centre d’analyse et de prévision (1974) à Paris et le Central Policy Review Staff (1976) à Londres. Si ces créations sont des critiques indirectes de l’action passée des services, on ne peut que s’interroger sur la valeur des résultats nouveaux.
Tandis que le ministère gère l’ensemble des relations extérieures d’un pays et, par ses rapports de synthèse, permet aux gouvernants de formuler leur politique étrangère, son action est relayée à l’étranger par les ambassades (il n’y a plus guère de légations, postes de second rang, à l’heure actuelle) qui, en retour, lui fournissent des informations sur les conditions locales. À vrai dire, seuls les États les plus riches peuvent maintenir un réseau complet d’ambassades tout en jugeant d’ailleurs inutile de créer un poste dans certains petits États isolés. La majeure partie des États n’entretiennent que quelques représentations dans les capitales les plus importantes, laissant la plupart des contacts se réaliser soit par des missions spéciales, soit plus simplement à New York où presque toutes les nations entretiennent une délégation permanente auprès de l’O.N.U. Lorsqu’une ambassade existe, ses effectifs peuvent être très variables: trois personnes suffisent dans un petit État, alors que les représentations des grandes puissances dans les capitales importantes comptent souvent plus d’une centaine d’agents.
Ce sont eux qui forment la caste des diplomates connue du public, mais tous ne sont pas ambassadeurs. Seul le chef de poste a droit à ce titre, encore que, depuis le congrès de Vienne de 1815, l’on y distingue plusieurs classes. Ils sont assistés d’un nombre variable d’agents diplomatiques qui sont eux aussi des diplomates de carrière. Longtemps régi par la coutume internationale, leur statut a été établi par une convention conclue à Vienne le 18 avril 1961 qui a codifié la pratique ancienne. Il convient de les distinguer des fonctionnaires consulaires qui, à l’inverse, ne sont pas chargés des relations interétatiques, mais de la protection d’intérêts privés et des nationaux séjournant à l’étranger. S’il n’y a qu’une ambassade par État, installée au siège du gouvernement de celui-ci, il peut y avoir plusieurs consulats. Bien que les relations consulaires soient placées sous le contrôle du ministère des Affaires étrangères et de ses agents diplomatiques, on ne les assimile pas à la diplomatie stricto sensu, en raison de la nature de leur objet.
La mission d’une ambassade et des diplomates qui la composent est triple: représenter, observer et négocier. Leur fonction première est de représenter leur État auprès d’un gouvernement étranger. Après que l’agrément ait été donné par l’État hôte, le diplomate nouvellement nommé s’y rend et il présente au chef de l’État ses lettres de créance. Il «personnifiera» l’État d’envoi, ce qui explique qu’il bénéficie de certains privilèges (fiscaux notamment) et de certaines immunités de juridiction, sa personne étant «inviolable», comme d’ailleurs les locaux de la mission. Si son comportement trouble l’ordre public, l’État accréditaire ne pourra que le déclarer persona non grata , ce qui entraînera automatiquement son rappel par l’État d’envoi.
La seconde fonction est d’observer ou, comme disait Wicquefort, d’être un «espion honorable». Envoyé sur place, le diplomate doit faire rapport à son ministre sur la situation intérieure. Aussi le «style diplomatique» dans lequel sont rédigées les dépêches fut-il longtemps un important sujet de préoccupation: en 1716, déjà, François de Callières le voulait «net et précis», mais il reste souvent «à tiroirs», balançant entre une affirmation et son contraire, garantissant ainsi l’agent contre toute erreur de jugement. Si les communications désormais plus faciles font des grandes agences de presse de redoutables concurrentes, les télégrammes diplomatiques conservent cependant leur utilité, soit pour confirmer, soit pour offrir des renseignements inédits recueillis grâce à l’entregent des diplomates. Ce sont des milliers de mots que reçoivent quotidiennement les administrations centrales, et le temps n’est plus où, comme en 1791, Jefferson pouvait se plaindre de n’avoir reçu de son chargé d’affaires en Espagne qu’une dépêche en trente mois!
Enfin, la troisième fonction est de négocier. Des accords bilatéraux souvent, mais aussi la protection des intérêts de l’État et de ses nationaux. À ces trois fonctions, la Convention de Vienne ajoute une mission plus générale: faire connaître et apprécier leur État ainsi que sa politique et ses réalisations. Pour mener à bien l’ensemble de ces tâches, l’ambassadeur est assisté, dans un poste de moyenne importance, de quelques conseillers et secrétaires d’ambassade, d’un conseiller culturel, d’un conseiller commercial, d’attachés militaires et, bien entendu, de l’indispensable chiffreur qui assurera le codage et le décodage des communications. Si, comme l’écrivait W. d’Ormesson, «l’ambassade est une équipe», elle n’en est pas moins traversée de courants centrifuges. Alors que l’ambassadeur devrait exercer son autorité sur tous les agents, il se heurte souvent à la volonté d’autonomie des représentants de ministères techniques (comme les Finances ou la Défense) qui établissent des rapports directs avec leur administration centrale sans passer «sous le couvert» du chef de poste. Cette situation anormale est aggravée lorsque l’ambassade donne asile à des services non diplomatiques comme l’espionnage ou d’autres, plus anodins, mais juridiquement indépendants des Affaires étrangères.
Déclin ou permanence de la diplomatie?
Dans un monde où les chefs d’État n’hésitent plus à entrer directement en communication par téléphone, à se rencontrer au cours de parties de campagne, voire à se transformer eux-mêmes en «messagers de paix», on pourrait croire que le rôle des diplomates ira diminuant. Il est aisé de comprendre cependant qu’il n’en est rien. Les réunions de gouvernants sont le plus souvent préparées discrètement par les hommes de la Carrière, même s’ils laissent aux «politiques» le soin de récolter le fruit de leur travail et les échos de la presse. Le développement des relations interétatiques contribue sans cesse à accroître le rôle de la diplomatie. Certes, celle-ci modifie son visage. La diplomatie classique agissant par ambassadeurs interposés perd de son importance tandis que ces derniers disposent de moins d’initiative (mais déjà Talleyrand leur recommandait «Et surtout pas trop de zèle!»). Au contraire, de nouvelles formes se développent. La diplomatie itinérante, largement personnifiée par Henry Kissinger. La diplomatie parlementaire, qui est celle des grandes conférences internationales et des organisations intergouvernementales. Et même une diplomatie que l’on pourrait qualifier d’administrative, comme celle du Comité des représentants permanents (Coreper) qui, au sein des Communautés européennes, met chaque jour en contact les représentants des États membres. Et, sous toute action internationale, il y aura une préparation diplomatique généralement discrète, pour ne pas dire secrète.
L’apparition de techniques nouvelles a toujours inquiété. La diplomatie classique – celle qui devait attendre cinq jours pour qu’une dépêche de Londres arrive à Paris – «était lente, elle ne s’emportait point, elle stationnait et sourcillait volontiers. Son attelage était majestueux et compliqué; mais ses mules, qui avaient quelque chose de la dignité des mules épiscopales, ne prenaient pas le mors aux dents». Or tout est changé, écrit en 1883 Albert Sorel: la révolution du télégraphe introduira dans les rapports entre États la passion! Et de peindre une vision d’apocalypse en faisant apparaître «un Richelieu et un Bismarck, un Louis XIV et un Frédéric, enfermés chacun dans leur cabinet à téléphones , resserrant en un dialogue précipité les querelles séculaires des dynasties et des nations». Le tableau peut faire sourire, mais d’autres prédirent la fin de la diplomatie à l’heure des aéronefs. Or l’amélioration des communications internationales ne fait que contribuer à renforcer l’interdépendance des nations et donc leur coopération. Agents des relations entre les États, les diplomates voient leur mission chaque jour élargie.
diplomatie [ diplɔmasi ] n. f.
• 1790; de diplomatique, d'apr. aristocratie
1 ♦ Branche de la politique qui concerne les relations entre les États : représentation des intérêts d'un gouvernement à l'étranger, administration des affaires internationales, direction et exécution des négociations entre États (⇒ ambassade, chancellerie, légation, mission; et aussi consulat). C'est à la diplomatie et pas à la force de résoudre ce différend.
♢ Carrière diplomatique; ensemble des diplomates (cf. La Carrière) . Entrer dans la diplomatie. Se destiner à la diplomatie.
2 ♦ Fig. Habileté, tact dans la conduite d'une affaire. ⇒ 2. adresse, circonspection, doigté, finesse , habileté, souplesse, tact. Résoudre un problème avec diplomatie. Faire preuve d'une grande diplomatie. « Partout où il faut de la souplesse, de la diplomatie, de l'intrigue même, il [le Latin] est à son affaire » (Siegfried).
● diplomatie nom féminin Branche de la science politique qui concerne les relations internationales. Action et manière de représenter son pays auprès d'une nation étrangère et dans les négociations internationales. Fonction, carrière de quelqu'un qui est employé à cette représentation ; corps constitué par ces fonctionnaires. Politique extérieure d'un pays, d'un gouvernement. Habileté, adresse, souplesse, prudence dans la conduite d'un entretien ou d'une affaire difficile : Il a manqué de diplomatie dans cette affaire. ● diplomatie (synonymes) nom féminin Fonction, carrière de quelqu'un qui est employé à cette représentation ;...
Synonymes :
- la Carrière
Habileté, adresse, souplesse, prudence dans la conduite d'un entretien ou...
Synonymes :
- adresse
- doigté
- finesse
- tact
Contraires :
diplomatie
n. f.
d1./d Ce qui concerne les relations entre les états, l'art des négociations entre gouvernements.
|| Politique diplomatique. Critiquer la diplomatie d'un pays.
|| Carrière diplomatique. Entrer dans la diplomatie.
|| Ensemble des diplomates.
d2./d Par anal. Tact et habileté. Faire preuve de diplomatie.
⇒DIPLOMATIE, subst. fém.
A.— 1. Science et pratique des relations politiques entre les États, et particulièrement de la représentation des intérêts d'un pays à l'étranger. Diplomatie clandestine, monarchique; diplomatie de l'entente; moyens de diplomatie et de persuasion; diplomatie et stratégie. L'idée vous vient d'étudier la diplomatie avec un secrétaire du ministre (DUMAS père, Monte-Cristo, t. 2, 1846, p. 91). Trois leviers qui commandent la politique étrangère, savoir : la diplomatie qui l'exprime, l'armée qui la soutient, la police qui la couvre (DE GAULLE, Mém. guerre, 1959, p. 627) :
• 1. L'ère du Congrès de Vienne est révolue, me répondit-il; à la diplomatie secrète, il faut opposer la diplomatie concrète.
PROUST, Le Temps retrouvé, 1922, p. 761.
SYNT. Diplomatie adroite, agissante, habile, souple, persuasive, belliqueuse; diplomatie étrangère, alliée, pontificale, républicaine, socialiste; haute diplomatie; techniciens de la diplomatie; règles, ressources de la diplomatie; régler, ruiner la diplomatie; faire appel à la diplomatie pour résoudre un différend.
2.— P. méton.
a) Carrière, fonction de celui qui pratique la diplomatie. Se destiner, se préparer à la diplomatie; s'engager dans la diplomatie. Synon. abs. carrière. Un jeune homme de bien bonne famille, qui, (...) serait entré dans la magistrature ou la diplomatie (PONSON DU TERR., Rocambole, t. 1, 1859, p. 82). Tu hésiterais présentement entre la diplomatie et l'inspection des finances (VAILLAND, Drôle de jeu, 1945, p. 96).
— Le corps diplomatique, l'ensemble des diplomates d'un pays. La diplomatie russe, américaine; les diplomaties européennes. Au lieu de mener les événements, la diplomatie française se laissa mener par eux (MAURRAS, Kiel et Tanger, 1914, p. LV).
b) Politique extérieure (d'un pays). De son côté, Bismark, encouragé par son succès en Autriche et contrecarré par la diplomatie française dans ses efforts pour installer un prince allemand sur le trône espagnol (PH. GARNER, Émile Gallé, Paris, Flammarion, 1977, p. 20).
B.— P. anal. [Correspond à diplomate1 B 2] Finesse, tact et prudence apportés dans la conduite d'une affaire, dans les rapports personnels. Diplomatie instinctive, ingénieuse, féminine, naturelle; user de diplomatie. Synon. partiels adresse, circonspection, doigté, finesse, habileté, rouerie, ruse, tact. Je crois (...) que vous faites de la diplomatie avec moi? (SAND, Corresp., t. 2, 1812-76, p. 309). Quand on doit vivre ensemble, il faut de la diplomatie, de la correction, du savoir-vivre (DUHAMEL, Jard. bêtes sauv., 1934, p. 226) :
• 2. Le hautain gentilhomme, dont les petites vanités avaient été flattées, fut complétement dupé par cette diplomatie de l'amour qui prête à un jeune homme l'aplomb et la haute dissimulation d'un vieil ambassadeur.
BALZAC, La Femme abandonnée, 1832, p. 268.
Rem. La docum. et qq. dict. gén. attestent le dér. diplomatiser, verbe intrans. « Agir avec ruse, d'une manière diplomatique ». V. Bazarova a beau tergiverser, ruser, diplomatiser pour tourner les points délicats (LÉNINE, Matérial. et empiriocritic., 1933, p. 87).
Prononc. et Orth. :[]. Ds Ac. 1798-1932. Étymol. et Hist. 1. 1790 (Adresse à l'Ass. nat., 2 avr. ds Moniteur, IV, 30 a ds RANFT, Der Einfluss der französischen Revolution auf den Wortschatz der französischen Sprache, p. 69 : Ces principes seront toujours plus puissants sur nous que tout l'art de la diplomatie); 2. 1790 fig. « habileté à mener avec tact une affaire délicate » (STAËL, Lettres jeun., p. 401); 3. 1791 spéc. « carrière diplomatique » (« Patriote franç. », 1er avr. ds F. A. AULARD, Société des Jacobins, II, 221 ds RANFT, op. cit.). Dér. de diplomatique sur le modèle de aristocratie/aristocratique. Fréq. abs. littér. :454. Fréq. rel. littér. :XIXe s. : a) 667, b) 666; XXe s. : a) 685, b) 591.
diplomatie [diplɔmasi] n. f.
ÉTYM. 1790; de diplomatique, sur le modèle d'aristocratie.
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1 Branche de la politique qui concerne les relations entre les États; représentation des intérêts d'un gouvernement à l'étranger, administration des affaires internationales, direction et exécution des négociations entre États (⇒ Ambassade, chancellerie, mission; et aussi consulat). || Avoir une longue expérience de la diplomatie. || C'est à la diplomatie de résoudre ce différend.
1 Tant que les Gouvernements des divers pays auront des rapports entre eux, il leur faudra des agents pour les représenter et les renseigner, et, qu'on leur donne le nom qu'on voudra, ces agents feront de la diplomatie.
J. Cambon, le Diplomate, p. 68.
2 (…) il lui faut (à l'U. R. S. S.) temporiser (…) s'assurer des alliés, des vassaux, des positions.
La tactique révolutionnaire se change en diplomatie : il faut avoir l'Europe dans son jeu.
Sartre, Situations II, p. 279.
♦ Carrière diplomatique. ⇒ Carrière (absolt). || Entrer dans la diplomatie. || Se destiner à la diplomatie. || Personnel de la diplomatie. ⇒ Agent (diplomatique), diplomate; diplomatique (rem.). || La diplomatie française dépend du ministère des Affaires étrangères.
♦ Ensemble des diplomates. || La diplomatie soviétique est recrutée de telle et telle façon.
2 (1790). Fig. Habileté, tact qu'on apporte dans la conduite d'une affaire. ⇒ Adresse, circonspection, doigté, finesse, habileté, tact. || Conduire une affaire avec beaucoup de diplomatie. || Déployer toutes les ressources de la diplomatie. || User de diplomatie. || Il s'est engagé avec diplomatie. ⇒ Précaution.
3 Commerçant subtil et habile, prudent, économe et fruste, il (le Latin) réussit au mieux dans les petites entreprises, encore qu'il soit capable de réussir aussi dans les grandes : partout où il faut de la souplesse, de la diplomatie, de l'intrigue même, il est à son affaire (…)
André Siegfried, l'Âme des peuples, II, 3, p. 42.
Encyclopédie Universelle. 2012.