HERMÉTISME
Ignoré de la langue classique, qui usait uniquement de l’adjectif «hermétique» pour désigner ce qui avait rapport au grand œuvre alchimique, le mot «hermétisme» est un néologisme de la fin du XIXe siècle, au contenu ambigu, tout comme les termes «ésotérisme» et «occultisme», dont il est souvent synonyme. Pour éviter toute confusion, il conviendrait de ne l’employer, comme on le fera ici, que pour désigner les doctrines propres aux ouvrages qui circulèrent sous le nom d’Hermès Trismégiste. Ces écrits, dont les plus anciens remontent à l’époque hellénistique et les plus récents au Moyen Âge, se présentaient, en effet, comme ceux du dieu égyptien Thot, que les Grecs identifièrent à Hermès, et s’étendaient à toutes les branches de la connaissance: astrologie, médecine, magie, alchimie, philosophie, théologie.
De Thot à Hermès Trismégiste
Le dieu égyptien Thot (dhwti ) était primitivement un dieu local du Delta. Son culte se développa particulièrement à Shmum ou Chnumu (aujourd’hui Achmunein), ville de Moyenne-Égypte que les Grecs appelèrent Hermopolis («ville d’Hermès»). L’ibis incarnait sa forme immatérielle, mais aussi le babouin, adoré à Shmum avant sa venue. Thot régnait sur tout ce qui comporte une opération intellectuelle: identifié à la Lune, il est le dieu qui mesure et calcule le temps; secrétaire d’Osiris et greffier dans la psychostasie, il est l’inventeur de l’écriture et, par suite, des sciences et des arts. Il est en particulier le maître de la magie: grâce à sa profonde connaissance des articulations créatrices du langage et de la puissance des mots, qu’il sait prononcer avec l’intonation correcte, il peut faire que se produise tout ce qu’il désire. C’est pourquoi il fut considéré, dans la théologie de Memphis, comme la «langue de Ptah», le verbe du dieu dont l’émission donne naissance à l’Univers, et, dans la théologie d’Héliopolis, comme le «cœur de Rê», c’est-à-dire l’essence même de sa pensée créatrice.
C’est à Hermès que les Grecs assimilèrent tout naturellement Thot. Hermès, messager et interprète des dieux, était associé, en effet, aux arts littéraires, encore qu’il ne fût pas regardé comme l’inventeur de l’écriture. Cependant, dans le Cratyle (407a-408d), Platon relie Hermès au discours, non seulement en faisant dériver son nom de 﨎福猪兀益﨎羽﨟 (interprète) mais aussi de 林晴福﨎猪兀﨟, forgé par contraction de 精礼 﨎晴福﨎晴益 﨎猪兀靖見精礼 («celui qui imagina la parole»). Les spéculations hellénistiques soulignèrent cette liaison d’Hermès au logos et celle-ci constitua même un des lieux communs du stoïcisme.
Si Platon mentionne «Theuth» (Philèbe 18b; Phèdre 247c), auquel il attribue de nombreuses inventions, dont l’écriture, il ne l’identifie pas avec Hermès. Cependant, cette identification, déjà connue d’Hérodote, d’Aristoxène de Tarente et d’Hécatée d’Abdère, devint courante à partir du IIe siècle avant J.-C. L’épithète de Trismégiste, qui signifie «trois fois très grand», provient de l’addition du superlatif grec 猪﨎塚晴靖精礼﨟 («très grand») au superlatif égyptien formé par redoublement ou triplement: âa = grand, âa âa = très grand. Ce dernier, en effet, fut également traduit en grec par une répétition du positif (ainsi certaines inscriptions donnent ‘ 林福猪兀﨟 礼 猪﨎塚見﨟 見晴 猪﨎塚見﨟), mais aussi, à l’époque de Ptolémée IV, par la répétition du superlatif: 猪﨎塚晴靖精礼﨟 見晴 猪﨎塚晴靖精礼﨟 見晴 猪﨎塚晴靖精礼﨟, puis, pour éviter la répétition, par 精福晴靖猪﨎塚晴靖精礼﨟.
Les auteurs classiques mentionnent Hermès Trismégiste à partir du Ier siècle avant J.-C. Diodore de Sicile voit en lui un ancien roi de l’Égypte (I, 13, 16, 43). Cicéron, qui compte cinq Mercure, fait du quatrième le fils du Nil, et du cinquième Thoth (De Nat. Deor. , III, 22). Philon de Byblos affirme que le dieu égyptien Thouth ( 粒礼羽) était identique au phénicien Taautos ( 糖見見羽精礼﨟), à l’alexandrin Thoth ( 粒諸) et au grec Hermès. Plutarque signale de «prétendus livres d’Hermès» (Isis et Osiris , 61). Martial fait une épigramme sur Hermès, omnia solus et ter unus («seul il est tout et trois fois unique») (Epigrammata , V, 24). Galien connaît des traités médicaux d’«Hermès l’Égyptien».
La littérature hermétique
Clément d’Alexandrie assure que les prêtres égyptiens transportaient dans leurs processions 42 livres d’Hermès dont 36 contenaient toute leur philosophie (sur les lois, les dieux, l’éducation des prêtres, les formes du culte, l’histoire, la géographie, les hiéroglyphes, l’astrologie, l’astronomie, les prescriptions religieuses) et dont 6 concernaient la médecine (Stromates , VI, 4). Jamblique affirme qu’Hermès écrivit 20 000 livres selon Séleucus et 36 525 selon Manéthon (De mysteriis , VIII, 1). En fait, rien ne prouve que les prêtres de l’Égypte pharaonique aient possédé des traités attribués à Thot. En revanche, une littérature hermétique grecque, qui utilisait certaines des croyances et des formes d’expression égyptiennes, et qui s’est peut-être élaborée dans le voisinage des temples, a certainement existé dès l’époque ptolémaïque. Elle se composa sans doute d’abord des traités d’astrologie, auxquels vinrent s’ajouter, par la suite, des ouvrages d’alchimie, de magie et de philosophie mystique, souvent très tardifs. La littérature hermétique se présente donc comme un ensemble assez composite, voire hétérogène, de traités différant par leur contenu, leur auteur et la date de leur rédaction. On peut cependant en dégager certains grands traits caractéristiques, mis en évidence par le père André-J. Festugière. Le principal est l’absence de séparation entre science et religion: la connaissance ne peut être obtenue que par une révélation accordée par un dieu ou un prophète «théopneuste». Elle sera donc le fruit d’exercices de piété et d’ascèse plutôt que d’une réflexion rationnelle. Elle se présente comme une gnose fondamentalement opposée à la science de type aristotélicien. Tandis que celle-ci s’affirme désintéressée, celle-là vise toujours une fin pratique, fût-ce le salut de l’homme. L’une recherche l’universel à travers l’abstraction du concept, l’autre le singulier concret et, dans ce singulier, ce qui paraît le plus singulier, le mirabile . Enfin, au lieu de concevoir que le Cosmos est un en tant qu’il est un ordre et un système de lois, l’hermétisme saisit le monde comme un Tout dont l’unité repose sur les relations de sympathie et d’antipathie liant entre eux tous les êtres qui le composent. Les traités hermétiques empruntent, en outre, certaines formes littéraires marquant la révélation de la connaissance (vision en songe ou en extase, découverte d’un écrit caché dans un temple ou un tombeau) ou bien sa transmission (testament, lettre, dialogue). Tous ces traits cependant ne sont pas propres aux seuls ouvrages portant le nom d’Hermès: ils se retrouvent dans maints autres traités de sciences occultes portant, eux aussi, des noms de personnages fabuleux ou prestigieux. De manière générale, l’astrologie d’Hermès n’est pas foncièrement différente de celle de Pétosiris ou de Manéthon, son alchimie de celle d’Ostanes, sa botanique de celle de Salomon ou d’Alexandre, sa magie de celle de Zoroastre ou d’Apollonios.
On classe généralement les textes hermétiques en deux groupes: d’une part, les traités philosophico-théosophiques; d’autre part, les textes «populaires», selon l’appellation de Zielinski, portant sur les sciences occultes. Mais cette division traduit surtout nos catégories modernes et notre rejet des «fausses sciences». Elle est incompatible avec l’interpénétration de la science et de la théosophie, caractéristique de la gnose hermétique: on rencontre des références aux sciences occultes dans les traités philosophiques (c’est, par exemple, à une opération alchimique que renvoie la création des âmes dans la Koré Kosmou ), tout comme des éléments philosophiques dans les traités occultes.
Les traités astrologiques
Les astrologues de l’époque impériale se réfèrent fréquemment aux écrits d’Hermès, surtout, naturellement, à propos des apports égyptiens à l’astrologie, à savoir la doctrine des décans et les systèmes des lieux ( 精礼神礼晴) et des sorts (兀福礼晴). Selon Firmicus Maternus, la révélation hermétique aurait été transmise par Asklépios et Anubis au légendaire roi et prophète Néchepso et à son collaborateur Pétosiris, auquel on attribuait un manuel devenu le bréviaire des astrologues. La plupart de ces écrits ont disparu, comme ce 刺見益見福﨎精礼﨟 («la toute vertu» ou «le tout excellent») cité par Paul d’Alexandrie, qui traitait des sept sorts correspondant aux sept planètes et de leurs influences. Il nous reste quelques opuscules: un 隣福礼益精礼凞礼塚晴礼益 («L’Oracle tonnant») expliquant les présages constitués par le tonnerre en chacun des mois de l’année, un 刺﨎福晴 靖﨎晴靖猪諸益 («Sur les séismes»), traitant des augures fournis par les tremblements de terre, et un 刺﨎福晴 精兀﨟 精諸益 晴廓’ 精礼神諸益 礼益礼猪見靖晴兀﨟 見晴 嗀羽益見猪﨎諸﨟 («Sur la dénomination et la puissance des douze lieux»), qui remonte à l’époque ptolémaïque. Nous possédons aussi un Liber Hermetis , traduction latine tardive (XIIe s.) d’un florilège grec postérieur au Ve siècle qui puisait dans un recueil hermétique aujourd’hui perdu. Cette manière de compendium étudie notamment les décans et la mélothésie décanique (la mélothésie étant l’influence des astres ou des parties du ciel sur les membres du corps humain). En revanche, les 笠見精福礼猪見兀猪見精晴見 神福礼﨟 藺猪猪諸益見 藺晴塚羽神精晴礼益 («Iatromathématiques à Ammon»), certainement d’origine égyptienne, portent sur la mélothésie planétaire et s’attachent à la méthode homéopathique: c’est l’astre qui, assailli par un autre astre, rend malade l’organe qui lui correspond. Il convient donc de remédier à l’insuffisante bonne influence de l’astre dominant (qui normalement maintenait l’organe en bonne santé) en recourant aux vertus des animaux, plantes et pierres qui sont en sympathie avec lui. Au même genre d’ouvrage appartiennent le 刺﨎福晴 廓礼精見益諸益 﨑羽凞諸靖﨎諸﨟 («Des sucs des plantes»), traité de botanique astrologique, lui aussi d’origine égyptienne, et le ’ 笠﨎福見 廓晴凞礼﨟 神福礼﨟 藺靖凞兀神晴礼益 («Livre sacré à Asklepios»). Celui-ci explique comment trouver une pierre et une plante en sympathie avec chaque décan; comment graver la pierre et placer sous elle une parcelle de la plante en les fixant l’une et l’autre dans une bague portée dans un but thérapeutique.
Les traités magiques
Tenu pour le père de la magie, Hermès est naturellement mentionné dans certaines recettes magiques retrouvées dans les papyrus, tandis que d’autres empruntent directement ou indirectement au Corpus Hermeticum . Nous possédons sous son nom un important ouvrage de magie médicale, les Kyranides ( 狀羽福見益晴嗀﨎﨟), réunion de deux traités distincts, la Kyranis ( 狀羽福見益晴﨟), qui en constitue le livre I, et les Koiranides ( 狀礼晴福見益晴嗀﨎﨟), qui forment les livres II, III et IV. La Kyranis , dont le titre provient peut-être de Kyranos (un prétendu roi de Perse dans la tombe duquel l’ouvrage aurait été découvert), comprend des éléments grecs, babyloniens, mithraïques et juifs; il remonte au IIIe siècle. Pour chacune des vingt-quatre lettres de l’alphabet grec sont donnés les noms grecs d’un oiseau, d’une plante, d’un poisson et d’une pierre ayant cette lettre pour initiale. Ces êtres sont donc liés par la magie des lettres et des mots, les noms, imposés par le Démiurge, ayant un rapport naturel avec les choses. En gravant sur la pierre la figure de l’oiseau dont les pattes reposent sur le poisson, et en serrant dans un sachet cette pierre avec un morceau de la plante et du cœur de l’oiseau, on obtient une puissante amulette pour guérir ou pour charmer. La version primitive de ce traité fut remaniée au IVe siècle par un certain Harpokration d’Alexandrie et les deux versions furent refondues ensemble, avant le VIIIe siècle, par un Byzantin. Notons que, dans son Prologue, Hermès mentionne un de ses précédents ouvrages qui était intitulé 藺福﨑見晴兀 廓晴凞礼﨟 (ce titre signifiant plutôt «Le Livre des causes» que «Le Livre ancien») et qui traitait de la magie animalière. Il semble être relié aux 淋羽靖晴見 de Bolos de Mendès ainsi qu’aux ’ 笠﨎福見 廓晴凞礼晴 esséniens et dater du Ier ou du IIe siècle. Les Koyranides , ou «livre court d’Hermès», furent réunis à la Kyrianis par le même rédacteur byzantin. Leurs sources remontent au IIIe siècle avant J.-C. et elles furent compilées en Égypte. L’ouvrage original formait un bestiaire où les animaux étaient étudiés, par ordre alphabétique, dans une perspective médicale, selon les remèdes qu’on en pouvait tirer. En harmonie avec la hiérarchie hermétique des éléments (feu, air, terre, eau), le livre Ier portait sur les oiseaux, le livre II sur les animaux terrestres et le livre III sur les poissons.
Les traités alchimiques
Si le Trismégiste est considéré comme le fondateur ou l’initiateur de l’alchimie, souvent nommée l’Art sacré d’Hermès, on ne connaît guère de ses traités que quelques titres et de brèves citations faites par les alchimistes grecs ou byzantins. Ce sont une Clé ( 狀凞﨎晴﨟) et une Petite Clé ( 狀凞﨎晴嗀晴礼益), qui sont peut-être le même ouvrage, une lettre à Pauseris ( 刺福礼﨟 精礼益 刺見羽靖兀福晴﨟), des traités sur le blanchiment du plomb et sur les cribles, une Pyramis ( 刺羽福見猪晴﨟) et une Heptabible (’ 林神精見晴凞礼﨟), que, selon Psellos, «seul Anubis a expliquée».
Les textes philosophiques
Les textes philosophiques d’Hermès se répartissent, selon la manière dont ils nous ont été transmis, en trois groupes:
1. Le Corpus Hermeticum . C’est une collection de dix-sept brefs traités dialogués (souvent fragmentaires) dans lesquels Hermès enseigne à son fils Tat ou à Asklepios. Cette collection fut réunie entre le VIe et le XIe siècle, peut-être par Michel Psellos. Le premier de ces traités, le Poïmandres ( 刺礼晴猪見益嗀福兀﨟), ou Pimandre , donna longtemps son titre à l’ensemble du recueil. Poïmandres , qui est le nom du «Noûs de la souveraineté absolue», serait dérivé de l’égyptien ou du copte P-eime-n-ré (connaissance du dieu soleil Rê) ou du grec 神礼晴猪兀益 見益嗀福諸益, signifiant alors «berger des hommes». Certains de ces traités, comme le Poïmandres et le traité X, présentent de véritables résumés de l’enseignement d’Hermès (cosmogonie, anthropologie, eschatologie); les autres s’attachent à des questions plus particulières (problèmes du mouvement, du vide, du temps et de l’éternité, de la régénération, etc.).
2. L’Asclepius . Le titre original de cet ouvrage, qui est antérieur au IVe siècle et qui, excepté quelques fragments, ne nous est conservé que dans l’adaptation latine du pseudo-Apulée, était 炙礼塚礼﨟 精﨎凞﨎晴礼﨟 («Le Discours parfait»), que Lactance cite et traduit par Sermo perfectus , et le pseudo-Augustin par Verbum perfectum . Il offre, lui aussi, une vue d’ensemble de la gnose hermétique en traitant des «trois vivants» – Dieu, le monde, l’homme – et insiste sur la position intermédiaire et centrale de ce dernier dans la hiérarchie des êtres. Il n’est pas certain que cet ouvrage soit dû à un même auteur. On a voulu y voir la juxtaposition d’au moins quatre traités distincts; il s’agit plutôt d’une manière de patchwork, où l’auteur compile toutes sortes de documents hermétiques, mais en donnant à son ouvrage une unité substantielle quoique souvent assez lâche.
3. Trente-neuf fragments extraits de l’Anthologium de Stobée. Ce sont des fragments d’inégale longueur qui portent sur les sujets les plus divers et dont le plus important est sans doute un extrait de la Koré Kosmou ( 狀礼福兀 礼靖猪礼羽, «la fille [ou pupille] du monde»), dialogue entre Isis et Horus narrant la création du monde et des âmes.
À ces textes le codex VI de la bibliothèque gnostique de Nag Hammâdi a ajouté cinq traités traduits en copte, dont deux recoupent l’Asclepius .
Tous ces traités philosophiques, qui furent composés entre 100 et 300 de l’ère chrétienne, ne comportent, hormis leurs protagonistes, que peu d’éléments égyptiens, mais offrent un mélange de platonisme, d’aristotélisme, de stoïcisme et de thèmes religieux d’origine iranienne. Il n’est guère possible de dégager une doctrine cohérente de leur ensemble. Ils présentent, en effet, des enseignements souvent très différents, voire contradictoires. Ainsi, dans le seul Corpus Hermeticum , les traités III et VIII excluent l’immortalité de l’âme, qui est affirmée dans les traités I et X; le traité IV assure que Dieu est absolument invisible, tandis que le traité V soutient qu’il est visible dans la création.
L’hermétisme en Islam
L’Islam fit passer Hermès du rang de dieu à celui de prophète. Selon le Kit b al-Ul f d’Ab Ma‘shar, il y eut, en fait, trois Hermès: le premier, assimilé à Idris et Enoch, vivait en Égypte avant le déluge, édifia les pyramides et consigna par écrit ses enseignements afin de les préserver du déluge; le deuxième, surnommé al-B bil 稜, vécut à Babylone après le déluge, ainsi que le troisième, qui, lui, vécut en Égypte. C’est Hermès-Idris qui fut regardé par nombre de musulmans comme un véritable prophète, encore qu’il n’eût pas procuré de livre sacré; et c’est à travers lui que la pensée grecque commença de s’infiltrer dans la pensée musulmane. L’hermétisme était, en effet, cultivé par les Sabéens de Harran, qui, menacés d’extermination en tant que païens, tentèrent, mais en vain, de faire admettre leur religion au nombre des cultes monothéistes officiellement tolérés, par le biais du prophétisme d’Hermès-Idris, auquel ils faisaient remonter leur ascendance. Ils produisirent des livres dont le contenu, affirmaient-ils, avait été révélé par Hermès, telle la Ris lat f 稜 ’n-nafs («Lettre sur l’âme»); et un de leurs docteurs, Th bit ibn Qurra, écrivit en langue syriaque des Institutions d’Hermès , aujourd’hui perdues, qu’il traduisit en arabe. L’hermétisme pénétra d’abord – et surtout – en milieu shi‘ite, car, comme l’a fait observer Henry Corbin, la prophétologie du shi‘isme admet la catégorie prophétique à laquelle appartient Hermès, tandis que sa gnoséologie «prévoit le mode de connaissance commun aux simples nab 稜s antérieurs à l’Islam (tel Hermès), aux Im ms et aux awliy en général pendant le cycle de la wal yat succédant au cycle de la prophétie législatrice». En revanche, ainsi que l’a noté Louis Massignon, la thèse hermétique selon laquelle l’essence divine peut, grâce aux prières, être contrainte à s’«infondre» dans une idole ou un saint, et la doctrine de l’ascension de l’esprit dans les cieux, dispensant de croire à la descente d’un ange apportant au prophète le Livre révélé, empêchèrent l’hermétisme d’obtenir le soutien de l’Islam sunnite.
Certains penseurs tels que as-Suhraward 稜 ou Ibn Sab‘ 稜n se sont explicitement réclamés d’Hermès; et al-Kindi aurait admiré, selon son disciple as-Sarakhs 稜, ce que le Trismégiste avait dit au sujet de l’ineffable transcendance divine, jugeant qu’un musulman comme lui n’aurait pu mieux l’exprimer. De nombreux traités hermétiques furent traduits en arabe et de nouveaux apocryphes confectionnés. Dans son Fihrist («Catalogue»), Ibn an-Nad 稜m énumère vingt-deux titres, dont cinq sur l’astrologie, quatre sur l’art talismanique et treize sur l’alchimie. Certains nous sont parvenus en entier, tels le Kit b al-Mal レ 稜s et le Kit b al-Is レam kh 稜s , ou en fragments, comme le Kit b al-Is レam レ 稜s . Ces trois traités furent utilisés, avec d’autres ouvrages hermétiques, par le pseudo-Majr 稜 レ 稜 dans son Gh yat al- ムak 稜m f 稜 ’s-si ムr («Le But des sages dans la magie»), qui, dans sa version latine intitulée Picatrix , devait connaître un important succès dans l’Occident latin jusqu’à la Renaissance. Des dits philosophiques d’Hermès nous ont été conservés par des doxographes tels que ネunayn ibn Is ム q, Ibn Durayd, ash-Shahrast n 稜 ou Ibn al-Qift 稜. Selon Kat 稜b face="EU Caron" アelebi, ネunayn ibn Is ム q aurait d’ailleurs lui-même commenté, tout comme Th bit ibn Qurra, le livre hermétique Kanz al-asr r wa dhakh ir al-abr r («Le Trésor caché des secrets et ressources des gens pieux»). Des dits alchimiques, qui semblent provenir d’originaux grecs, sont rapportés par Ibn Umayl dans son Al-M a’ al-waraq 稜 wa ’l-ar ボ an-najm 稜ya («L’Eau argentée et la terre étoilée»), traduit en latin sous le titre de Tabula chemica . On en trouve aussi dans l’autre important ouvrage du pseudo-Majr 稜 レ 稜, le Rutbat al- ムak 稜m f 稜 ’l-kimiya («L’Échelle des sages dans l’alchimie»). Quant à la très fameuse Table d’émeraude (Tabula smaragdina ), dont il n’est pas exclu qu’elle ait un original grec, elle se rencontre pour la première fois à la fin du Kit b sirr al-khal 稜qa wa ルun‘at a レ- レabi‘a («Livre du secret de la Création et technique de la nature»). Cet ouvrage, rédigé au IXe siècle par un inconnu, se présente comme un écrit d’Hermès publié par Balinas, c’est-à-dire Apollonios de Tyane. On y lit que ce fut en creusant sous une statue d’Hermès, comme y invitait une inscription qu’elle portait, que le thaumaturge découvrit en une crypte souterraine le vieillard Trismégiste tenant dans une main la table d’émeraude gravée, dans l’autre le Livre du secret .
L’hermétisme au Moyen Âge
Les auteurs latins chrétiens de la fin de l’Antiquité n’avaient pas ignoré les doctrines d’Hermès soit pour les utiliser dans un but apologétique, soit pour les combattre. Tertullien le nomme le «Maître de toutes les sciences» (Adversus Valentinianos , XV) et rapporte son opinion sur l’immortalité de l’âme (De anima , II, 33). Arnobe estime que l’enseignement hermétique s’accorde avec le platonisme et le pythagorisme (Adversus nationes , II, 13). Lactance témoigne d’une importante fréquentation des écrits hermétiques, dont il fait grand cas et qu’il cite souvent dans ses Divinae Institutiones et son Epitome . Saint Augustin, enfin, dans son De Civitate Dei (VIII, 23) donne des extraits de l’Asclepius . Ces auteurs jouèrent un rôle très important dans la diffusion des thèses hermétiques dans la pensée médiévale (Abélard mentionne cinq fois l’extrait du Discours parfait cité par le pseudo-Augustin). Le Moyen Âge latin ignorait, en effet, le Corpus Hermeticum , ainsi que les fragments de Stobée, et ne possédait comme écrit philosophique hermétique que l’Asclepius , cité dès le XIIe siècle par Thierry de Chartres. En revanche, il circulait de nombreux textes hermétiques sur les sciences occultes, qu’ils fussent traduits du grec (pour quelques-uns), de l’arabe (pour la plupart) ou de nouveaux apocryphes tel le De VI rerum principiis (XXe s.). Malgré d’importants travaux comme ceux de L. Thorndike, cette littérature reste mal connue. Citons, pour l’astrologie, un Liber de XV stellis, tot lapidibus, tot herbis et totidem figuris , un Liber de XXXVI decanis XII signorum , un Centiloquium ; pour l’alchimie, un Secreta Hermetis inventoris metallorum secundum mutationis naturam , un Tractatus aureus de lapidis physici secreto , un Aqua vitae , sur la fontaine de jeunesse; pour la nécromancie, un Liber ymaginum ou Liber lunae , connu d’Albert le Grand et de Guillaume d’Auvergne. Cet ouvrage enseigne comment graver des images lorsque la Lune passe dans chacune de ses vingt-huit maisons, images qui, faites avec des fumigations pratiquées sept fois au nom de Dieu et des invocations du nom des anges sept fois répétées, peuvent détruire des maisons ou des villes, rendre fou ou impuissant, rassembler dix mille oiseaux, etc. Un ouvrage semblable, le Liber Veneris («Livre de Vénus») est attribué à «Toc» ou «Toz Graecus», sans doute une corruption de Thot Graecus, c’est-à-dire Hermès Trismégiste.
Parmi les ouvrages hermétiques composés au Moyen Âge, il convient de réserver une place à part au Liber XXIV philosophorum («Livre des vingt-quatre philosophes»), qui propose vingt-quatre définitions de Dieu: la première – «La Monade engendre la monade et réfléchit sur elle-même son ardeur» – fut reprise (avec d’autres) par Alain de Lille, Alexandre de Halès et saint Thomas d’Aquin avant de devenir une des citations favorites de Robert Fludd; la deuxième – «Dieu est une sphère intelligible dont le centre est partout, la circonférence nulle part» – se retrouvera chez d’innombrables écrivains, dont Rabelais et Pascal.
L’hermétisme à la Renaissance
C’est en 1460 environ qu’un moine apporta de Macédoine à Florence un manuscrit du Corpus Hermeticum . En 1463, Cosme de Médicis demanda à Marsile Ficin de le traduire en latin, et ce avant même de traduire Platon. Dans la Préface à sa traduction, Ficin, se référant à saint Augustin, fait d’Hermès le premier des théologiens: son enseignement aurait été transmis successivement à Orphée, à Aglaophème, à Pythagore, à Philolaos et enfin à Platon. Par la suite, Ficin placera Zoroastre en tête de ces prisci theologi , pour attribuer finalement à Zoroastre et Mercure un rôle identique dans la genèse de la sagesse antique: Zoroastre enseigna celle-ci chez les Perses en même temps que Mercure l’enseignait chez les Égyptiens. Ficin insista, en outre, sur la dimension prophétique des écrits d’Hermès, qui aurait prédit «la ruine de la religion antique, la naissance d’une nouvelle foi, l’avènement du Christ, le Jugement dernier, la Résurrection, la gloire des élus et le supplice des méchants». La traduction de Ficin, imprimée dès 1471, fut le point de départ d’une véritable renaissance de l’hermétisme philosophique. Ainsi, c’est par une citation de l’Asclepius que Pic de la Mirandole (qui proposa, dans ses Conclusions , dix thèses «selon l’antique doctrine de l’Égyptien Mercure Trismégiste») ouvrit son Oratio de hominis dignitate ; et, en 1488, une étonnante figure du Trismégiste, attribuée à Giovanni di Stefano, fut sculptée sur le pavement même de la cathédrale de Sienne.
En 1505, Lefèvre d’Étaples publia la traduction ficinienne du Pimandre avec l’Asclepius , auquel il joignit un commentaire où il se montre sensible à la valeur apologétique des Hermetica ; mais, préoccupé d’orthodoxie, il condamne certains de leurs aspects magiques. Il inclut dans le même volume l’extraordinaire Crater Hermetis rédigé en 1494 par Ludovico Lazzarelli, qui décrit la transmission, par un maître à son disciple, d’une expérience de regénération. En 1507, Symphorien Champier imprima dans son De quadruplici vita une traduction latine, due à Lazzarelli, du seizième traité du Corpus , les Définitions , que Ficin avait ignorées. En 1554, Adrien Turnèbe publia la première édition du texte grec et François de Foix de Candale en procura, en 1574, une nouvelle édition. Ce dernier, qui insiste sur la liaison entre l’hermétisme et les spéculations pythagoriciennes sur les nombres, estimait qu’Hermès avait vécu avant Moïse et atteint une connaissance des réalités divines supérieure à celle des prophètes hébreux. Enfin, F. Patrizi, qui s’appuya dans sa critique de l’aristotélisme sur l’enseignement du Trismégiste, réunit dans sa Nova de universis philosophia (1591) les fragments attribués à Hermès. Le Pimandre suscita en outre, de la part du capucin calabrais Hannibal Rosseli, un volumineux commentaire publié à Cracovie en 1586.
Étudier la fortune de l’hermétisme à la Renaissance nécessiterait plusieurs volumes. Son influence fut immense et toucha les milieux les plus divers: «occultistes», philosophiques, religieux, catholiques aussi bien que réformés, voire scientifiques, comme en témoigne jusque dans sa critique un Kepler. Son déclin – ce qui ne signifie pas sa disparition – ne devait commencer qu’avec la datation des écrits hermétiques, en 1614, par I. Casaubon dans son De rebus sacris et ecclesiasticis exercitationes .
hermétisme [ ɛrmetism ] n. m.
• 1832; de hermétique
1 ♦ Didact. Ensemble des doctrines ésotériques des alchimistes (⇒ alchimie); philosophie hermétique (⇒ ésotérisme, magie, occultisme).
2 ♦ Littér. Caractère de ce qui est incompréhensible, obscur. « L'hermétisme de la poésie contemporaine » (Aragon) .
● hermétisme nom masculin Doctrine ésotérique fondée sur des écrits de l'époque gréco-romaine attribués à l'inspiration du dieu Hermès Trismégiste. Au Moyen Âge et à la Renaissance, doctrine occulte des alchimistes. Qualité de ce qui est difficile à comprendre pour ceux qui ne sont pas initiés : L'hermétisme de la poésie mallarméenne. Forme d'art poétique qui influença l'école italienne, baptisée ermetismo par le critique Francesco Flora, et qui se développa, de 1914 à 1945, avec Dino Campana, Montale, Saba, Ungaretti et Sereni. ● hermétisme (synonymes) nom masculin Qualité de ce qui est difficile à comprendre pour ceux...
Synonymes :
- ésotérisme
- obscurité
Contraires :
- clarté
- limpidité
hermétisme
n. m.
d1./d Didac. Ensemble des doctrines occultes des alchimistes.
d2./d Caractère de ce qui est obscur, impénétrable. L'hermétisme des écrits d'un philosophe.
⇒HERMÉTISME, subst. masc.
A. — Ensemble de doctrines ésotériques qui sont censées constituer la révélation du dieu égyptien Thot (auquel les Grecs donnèrent le nom d'Hermès Trismégiste) et qui donnent certaines bases à l'alchimie du Moyen Âge; p. ext., philosophie hermétique, alchimie. Canches possédait des connaissances extraordinaires dans les domaines de l'hermétisme et de la kabbale (CARON, HUTIN, Alchimistes, 1959, p. 10).
— P. ext. Savoir occulte, ésotérique. Le devin ne peut se situer hors du temps (...) qu'en menant la vie de solitude et de méditation des grands initiés; qui dit initiation dit hermétisme (MORAND, Excurs. immob., 1944, p. 8) :
• Cependant, subsiste la vieille et toujours renaissante habitude de certains savants, qui créent un milieu à eux pour en exclure les non initiés et faire croire à la nouveauté sous couleur d'un langage à part. Dans la science et l'enseignement, cette forme atténuée de l'hermétisme doit être condamnée au même titre que l'hermétisme lui-même; avec la précision du français, il serait impardonnable que notre parler scientifique soit incompris...
MARIN, Ét. ethn., 1954, p. 6.
B. — Caractère de ce qui est difficile ou impossible à comprendre et/ou à interpréter. Synon. obscurité. Si j'avais de ces napoléons qu'on nomme des louis, ce qui prouve la légitimité des Bourbons, rien n'égalerait l'ésotérisme, l'hermétisme de mes vocables. Je rêve la vengeance par le néologisme (PÉLADAN, Vice supr., 1884, p. 190).
— En partic., domaine de la crit. en gén. littér., péj. Tendance artistique qui privilégie les recherches formelles au dépens de la communication d'un message ou d'un sens, qui recherche l'obscurité pour l'obscurité. L'accusation d'hermétisme, de préciosité etc... sont les signes naïfs et irrécusables des sentiments que nous avions de la noblesse et de l'altitude de l'art (VALÉRY, Entret. [avec F. Lefèvre], 1926, p. 124). La littérature subit l'influence des journaux quotidiens, des annonces, de la radiodiffusion (...) en se réfugiant dans l'hermétisme et le symbolisme (Arts et littér., 1935, p. 64-11).
Prononc. et Orth. : []. Att. ds Ac. 1932. Étymol. et Hist. 1. 1832 « doctrines contenues dans les livres hermétiques et enseignement qu'en tira l'alchimie » (HUGO, N.-D. Paris, p. 442); 2. 1884 p. ext. « caractère de ce qui est impénétrable, obscur » (PÉLADAN, loc. cit.). Dér. de hermétique; suff. -isme. Fréq. abs. littér. : 22.
hermétisme [ɛʀmetism] n. m.
ÉTYM. 1832, Hugo, Notre-Dame de Paris, in T. L. F.; de 1. hermétique.
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1 Didact. Ensemble des doctrines ésotériques des alchimistes (⇒ Alchimie); philosophie hermétique (1. Hermétique, n. f.). ⇒ Astrologie, ésotérisme, magie, occultisme.
1 On appelle hermétisme ou philosophie hermétique un ensemble de doctrines qui sont censées remonter aux livres égyptiens dits Livres de Toth (sic) trois fois grand (…) Ces doctrines sont exposées dans des textes grecs dont la date et l'origine sont incertaines; ils ont été imprimés pour la première fois, en traduction latine, par Marsile Ficin, sous le titre Mercurii Trismegisti liber de potestate et sapientia Dei (Trévise, 1471) et dans le texte grec par Ad. Turnèbe (Paris, 1554).
Lalande, Voc. de la philosophie, art. Hermétisme.
♦ Par ext. « Caractère secret, fermé, rigoureux et inflexible d'une doctrine » (Académie).
2 (1884, Péladan). Littér. Caractère de ce qui est impénétrable, incompréhensible, obscur. || L'hermétisme d'une certaine poésie moderne.
2 (…) ne voit-on pas que l'hermétisme de la poésie contemporaine on n'en fera pas bon marché par une simple sommation aux poètes d'avoir à se plus clairement expliquer (…)
Aragon, les Yeux d'Elsa, Appendice, I, p. 87.
3 Malgré son souci de transcrire fidèlement la réalité, malgré ses phrases rudement maçonnées, Proust acquit ainsi une réputation de préciosité, d'hermétisme, et passa pour une espèce de décadent.
M. Aymé, le Confort intellectuel, X.
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DÉR. Hermétiste.
Encyclopédie Universelle. 2012.