COSMOLOGIE
La cosmologie se range parmi les plus anciennes disciplines intellectuelles de l’humanité. Bien qu’elle se consacre à l’étude de l’Univers, du cosmos englobant la totalité de ce qui nous est accessible dans la nature, elle possède une spécificité qui la distingue des autres sciences naturelles: elle ne s’intéresse aux différentes parties qui composent l’Univers que dans la mesure où elles sont en relation; et c’est l’ensemble de ces relations, pour autant que l’on puisse les appréhender, qui recouvre le mieux le concept d’Univers.
La cosmologie ne s’intéresse donc pas aux objets en particulier – planètes, étoiles, galaxies... – mais plutôt au cadre dans lequel ils évoluent, aux lois communes auxquelles ils obéissent. Signalons que le terme de cosmologie s’est généralisé et englobe ce qui autrefois apparaissait sous les dénominations distinctes de cosmographie et de cosmogonie. Nous ne traiterons ici que de la cosmologie scientifique, dont l’existence repose sur quelques principes plus ou moins implicites.
1. La cosmologie et ses principes
Les principes
Le premier principe énonce qu’il y a un sens à envisager une cosmologie scientifique, à parler d’un Univers qui ne se réduit pas à la simple accumulation des objets existants, et que cet Univers est intelligible. Sans quoi cette discipline n’aurait pas de raison d’être! Ainsi, l’Univers dans son ensemble est muni d’une structure, ou il est même cette structure. Les structures géométrique, chronométrique, causale font de lui un objet possible d’étude, muni de lois. Et ces lois, que la cosmologie tente précisément de mettre en évidence, gouvernent aussi les relations entre les éléments de cet Univers, leurs interactions avec le cosmos.
Dans un sens, les propriétés du cosmos influencent celles de la matière: par exemple, les galaxies, plongées dans la structure de l’Univers, subissent son évolution. De ce fait, elles révèlent cette structure et cette évolution: les observations doivent permettre de discerner, dans leurs propriétés, celles qui – comme l’expansion – ne leur sont pas propres, mais cosmiques. Dans l’autre sens, les propriétés du cosmos sont influencées (sinon totalement déterminées) par son contenu. Pour cette double raison, il n’y aura pas de cosmologie possible sans étude des propriétés des galaxies, sans astronomie et sans astrophysique, ce qui lui donne le statut de science observationnelle.
Dès lors, il est clair que, pour comprendre l’Univers, nous devons comprendre ce qui se passe dans les astres les plus éloignés, en connaître la physique pour interpréter les résultats d’observations. Ce qui exige de postuler que les lois physiques sont partout les mêmes; que les lois de la gravitation, de l’électromagnétisme, de la physique quantique, etc., sont identiques en tout point de l’Univers (et éventuellement à tout instant, encore que cela mérite davantage discussion).
En fait, il est relativement naturel d’aller plus loin et d’énoncer que l’Univers présente le même aspect en chacun de ses points, c’est-à-dire qu’il est homogène . Cette homogénéité s’énonce sous la forme du principe cosmologique . Ce principe ne repose pas sur les observations, si fragmentaires par rapport à la démesure du cosmos qu’elles ne sauraient permettre d’établir sa validité, mais constitue bien un présupposé à toute étude physique de l’Univers. Sa raison d’être tient à son caractère, indispensable à toute cosmologie scientifique, et peut-être à une certaine réaction par rapport à une vision géocentrique ou héliocentrique: il est désormais évident qu’aucun lieu n’est privilégié dans le cosmos!
Quant à la pérennité des lois physiques, elle est beaucoup plus problématique. Toutes les observations s’accordent avec l’idée d’évolution de l’Univers, la manifestation la plus criante étant son expansion. Au point qu’il est pratiquement impossible de concilier l’idée d’un Univers stationnaire avec les observations. En fait, l’idée même de loi physique implique l’universalité de sa validité. Mais une loi n’est valable que dans un certain domaine (par exemple de température, ou d’énergie) alors que bien souvent les conditions physiques de l’Univers se situent en dehors de ce domaine.
Ainsi apparaît le but essentiel de la cosmologie. Après avoir décidé que l’Univers possédait ou même était une structure, il s’agit de déterminer quelle est cette structure, quelle est son évolution, son histoire, comment elle fut créée. L’Univers est-il clos ou infini? A-t-il eu un début? Aura-t-il une fin?
Bien que cette pratique ne soit peut-être pas très saine, notre cosmologie dissocie deux problèmes: à l’échelle globale, l’Univers serait muni d’une structure géométrique (avec ou sans courbure, d’extension finie ou infinie...) considérée comme homogène (en vertu du principe cosmologique), et probablement isotrope. La description de cette structure et de son évolution fait l’objet de ce qu’on appelle un modèle cosmologique . Par ailleurs, dans ce cadre se déroulent des phénomènes plus «locaux», bien que d’importance cosmologique: l’évolution de la matière – dilution et refroidissement avec l’expansion –, l’apparition progressive des objets de la physique – atomes, molécules, étoiles, galaxies –, l’organisation qu’ils manifestent, etc. Avant d’exposer les problèmes liés à ces questions, il est bon de rappeler quelques échelles (pour plus de détails, cf. UNIVERS).
Du système solaire aux galaxies
La connaissance, au moins partielle, de son contenu est évidemment un présupposé à toute étude du cosmos, de sorte que l’astrophysique constitue une branche de la cosmologie. Localement, le système solaire est dominé par le Soleil, étoile relativement banale dans le cosmos. Cette étoile est entourée de neuf planètes qui, ni par leurs masses, ni par leurs luminosités, ne jouent de rôle important à l’échelle cosmologique. L’ensemble du système solaire ainsi défini n’occupe qu’un volume très restreint par rapport à ceux que nous envisagerons, les quelques milliards de kilomètres en jeu ne représentant qu’une infime fraction de parsec, unité des astronomes (un parsec – symbole: pc – vaut 30,857 . 1012 km, soit 206 265 ua, soit encore 3,261 6 années de lumière), alors que les cosmologues manient plutôt le million de parsecs, ou mégaparsec (Mpc).
Au-delà, notre Galaxie (cf. la GALAXIE) est formée de milliards d’étoiles – leur réunion forme la Voie lactée – plus ou moins semblables au Soleil, dont elles diffèrent néanmoins par leurs masses, âges, luminosités, couleurs, compositions chimiques, etc. Les astronomes ignorent encore si certaines de ces étoiles sont entourées de planètes. La distance moyenne entre les étoiles de notre Galaxie avoisine le parsec, si bien que chaque système planétaire éventuel peut y être considéré comme ponctuel. Mais, à l’échelle de l’Univers, c’est en fait chaque galaxie [cf. GALAXIES] qui peut être considérée comme ponctuelle! Le cosmos est en effet rempli de tels «univers-îles», situés à l’extérieur de notre Galaxie mais plus ou moins semblables à elle, séparés les uns des autres d’un mégaparsec en moyenne. Ce sont les objets de base de la cosmologie, auxquels il faut adjoindre les quasars, les radiogalaxies, les amas de galaxies..., autant d’objets lointains (cf. GALAXIES, QUASARS, RADIOAS- TRONOMIE) auxquels les cosmologues s’intéressent non pas du point de vue de leurs propriétés individuelles, mais du point de vue de leur évolution, de leur emplacement, bref de leurs propriétés collectives. Nous emploierons le terme de galaxie, de manière générique, pour désigner tous ces objets.
Le propos de la cosmologie n’est pas de décrire ces objets, mais eux seuls nous donnent un aperçu de la structure de l’Univers. On ne peut «voir» directement la géométrie, ou son évolution, et le seul moyen consiste à observer les galaxies, qui jouent le rôle de «traceurs», de jalons. C’est là le principe de ce qu’on appelle les tests cosmologiques .
2. L’expansion de l’Univers
L’Univers constitue un cadre dans lequel évoluent les objets astronomiques tels que galaxies et quasars. En première approximation, ces objets sont à peu près immobiles par rapport à ce cadre, mais le cadre lui-même n’est ni rigide, ni statique: il est en expansion , et cette expansion entraîne tous les objets. Puisque ce cadre n’est pas matériel – ce n’est qu’un support géométrique –, il nous est impossible d’enregistrer directement son évolution: les galaxies en sont les meilleurs révélateurs et l’expansion de l’Univers, première propriété cosmologique, est donc un fait observationnel. Le fait de reconnaître que cette expansion n’était pas une des propriétés individuelles des galaxies mais une propriété du support géométrique cosmique constitue la démarche de base de la cosmologie du XXe siècle.
Le décalage vers le rouge
Comment se manifeste cette expansion? Les techniques d’observation nous permettent de mesurer la vitesse d’une galaxie par rapport à nous, ou du moins la composante radiale de cette vitesse, c’est-à-dire l’éloignement (éventuellement le rapprochement) dans la direction nous joignant à cette galaxie. En effet, les lois de propagation des ondes énoncent qu’un rayonnement (en astronomie, il s’agit le plus souvent de lumière visible ou d’ondes radio) est reçu avec une fréquence différente de sa fréquence d’émission si la source est en mouvement. Or ce que nous connaissons des processus d’émission du rayonnement dans les galaxies nous permet d’affirmer que telle ou telle composante du rayonnement (une raie spectrale, en général) est émise à une fréquence bien définie, f émission, alors que les analyses spectroscopiques nous permettent de mesurer la fréquence reçue, f réception, différente, de ce même rayonnement. Le décalage spectral z = (f émission/f réception) 漣 1 est une mesure de la vitesse radiale v selon la formule:
qui se réduit à z = v/c pour des vitesses faibles devant c (vitesse de la lumière). En particulier, le signe de z indique si la galaxie s’éloigne ou se rapproche de nous. Le mérite revient à l’astronome américain Edwin P. Hubble d’avoir compris le premier, dans les premières décennies du XXe siècle, que la quasi-totalité des galaxies s’éloignaient de nous: en dehors de nos extrêmes voisines, aucune ne se rapproche. Bien plus, il apparut rapidement que leur vitesse d’éloignement était d’autant plus grande qu’elles étaient éloignées. Ce qui s’énonce, en première approximation, par la loi de Hubble : v = H . D, où v et D sont respectivement la vitesse d’éloignement et la distance de la galaxie; H, appelé paramètre de Hubble, mesure donc la vitesse d’expansion de l’Univers. Comme nous le verrons plus loin, la détermination de H est délicate et fait l’objet d’une vive controverse entre les astronomes, qui s’accordent cependant à placer sa valeur entre deux limites: 50 et 100 kilomètres par seconde et par mégaparsec. Malheureusement, cette incertitude pèse sur toute la cosmologie, et notamment sur les estimations des distances des objets célestes. Parler de distance en cosmologie implique généralement d’avoir fait le choix d’une valeur de H. Pour des raisons de commodité, les distances mentionnées dans cet article seront fondées sur la valeur H = 100 kilomètres par seconde et par mégaparsec.
Le décalage vers le rouge en cosmologie
La loi de Hubble relie donc la vitesse d’éloignement d’une galaxie à sa distance par l’intermédiaire du paramètre de Hubble. Ainsi, la mesure de z peut en principe nous indiquer la distance à laquelle se situe une galaxie et, pour un objet lointain, il s’agit même de la seule détermination possible. Malheureusement, cette méthode se révèle imparfaite.
En premier lieu, la vitesse d’une galaxie ne se limite pas à sa vitesse d’expansion (celle qui apparaît dans la loi de Hubble), soit parce qu’elle est attirée par une concentration voisine (autre galaxie, amas de galaxies), soit parce qu’elle a gardé un mouvement initial (elle possède une vitesse, dite «propre», inconnue dont la présence additionnelle rend inefficace la loi de Hubble pour toute application précise).
En second lieu, nous avons une mauvaise connaissance de H. Connaître H exige d’avoir étalonné l’échelle des distances, c’est-à-dire d’avoir mesuré à la fois distances et vitesses pour le plus grand nombre possible d’objets lointains; mais il existe peu d’objets pour lesquels nous connaissions avec précision ces deux quantités. Il s’agit du problème de l’échelle des distances.
L’échelle des distances
Le seul moyen d’estimer la distance d’une galaxie consiste à comparer son éclat ou ses dimensions (ou ceux d’étoiles, nébuleuses ou amas d’étoiles qu’elle contient) à des objets de référence similaires, plus proches, de distances connues, qu’on appelle pour cette raison étalons standards . Les astronomes utilisent ainsi une chaîne de telles références: étoiles variables (céphéides) ou très lumineuses (géantes), nébuleuses gazeuses (régions H II), amas d’étoiles ou même galaxies. Mais ces estimations sont imprécises et laissent subsister une incertitude d’un facteur au moins égal à 2 dans la détermination des distances des galaxies proches. Ces incertitudes se répercutent dans l’estimation de H et par conséquent de toute distance dans l’Univers: il n’existe pas vraiment de méthode fiable pour estimer la distance d’une galaxie.
De l’usage du décalage
Un problème supplémentaire se présente pour l’application de la loi de Hubble, qui n’est plus vérifiée dès que l’on a affaire à des objets vraiment lointains. Elle l’est en fait, mais avec une valeur de H différente, que nous ne connaissons pas. En effet, à cause du temps de propagation de la lumière qui nous en parvient, la galaxie est observée telle qu’elle était il y a plusieurs milliards d’années: l’Univers était plus jeune qu’aujourd’hui et le paramètre de Hubble H possédait une valeur différente, puisque l’Univers évolue. Si bien que la mesure de z nous fournit la vitesse d’expansion, mais pas la distance, ni d’ailleurs l’époque dans le passé à laquelle le rayonnement fut émis. Il est nécessaire, pour préciser la distance (spatiale comme temporelle) d’un événement lointain observé, de faire des hypothèses sur la valeur de H à l’instant d’émission (en général, il y a plusieurs milliards d’années). Autrement dit, il nous faut connaître la loi d’évolution de H en fonction du temps cosmique: il nous faut connaître les paramètres dynamiques de l’Univers, il faut donc avoir adopté un modèle cosmologique.
Puisqu’il est impossible, sans hypothèse, de préciser distance ou date des événements cosmiques, les astronomes ont choisi, pour éviter toute ambiguïté, de les repérer par leur décalage spectral z , ce qui présente un double avantage. D’une part, il s’agit de la quantité qui est directement mesurée: les erreurs de l’échelle des distances n’interviennent donc pas. D’autre part, l’usage de z , contrairement à celui des distances, ne présuppose pas le choix d’un modèle cosmologique parmi ceux qui se présentent; z repère ainsi un éloignement à la fois dans l’espace et dans le temps: des valeurs de z plus élevées correspondent à des événements plus reculés dans le passé.
Les décalages des galaxies sont le plus souvent inférieurs à l’unité; ceux des quasars (les objets les plus lointains que l’on observe) atteignent des valeurs supérieures à 4. L’événement observable le plus ancien correspond à un z avoisinant 1 000, mais il nous faudrait aller beaucoup plus loin pour remonter aux tous premiers instants de l’Univers.
3. Univers relativiste
Reconnaître l’expansion de l’Univers constituait un pas conceptuel de taille. Il fallait en effet admettre de concevoir une géométrie munie d’une évolution propre, une notion tout à fait contradictoire avec l’idée d’espace absolu et rigide que la physique newtonienne considérait, et que seule permettait d’appréhender la théorie de la relativité générale. Mais l’impact de cette théorie, ainsi que celui de la relativité restreinte, dépassait la simple introduction de la notion d’expansion, dont certains aspects peuvent à la rigueur être interprétés dans un cadre newtonien. Ces théories modifient les notions de temps et d’espace, les dépouillant de leur caractère d’absolu et d’indépendance, imposent d’abandonner les notions d’espace et de temps séparés et de les remplacer par celle d’espace-temps [cf. ESPACE-TEMPS]. Un espace-temps qui, de plus, doit être muni d’une structure géométrique complexe. Il n’y avait aucun doute que c’est dans un tel cadre que devait être décrite la cosmologie.
La relativité restreinte
C’est à Einstein que nous devons les deux théories de la relativité. L’énoncé essentiel de la relativité restreinte concerne la vitesse de la lumière, postulée constante dans le vide, quel que soit l’état de mouvement de la source ou de l’observateur. Ainsi, nul objet que nous observons ne nous est contemporain: la lumière met 8 minutes environ pour nous parvenir du Soleil, plusieurs années d’une étoile plus éloignée, plusieurs milliards d’années d’une galaxie lointaine. Par conséquent, l’astronome qui regarde loin dans l’Univers regarde aussi loin dans le passé et observe des «tranches d’Univers» d’autant plus anciennes qu’elles sont éloignées: une galaxie lointaine est observée très jeune, surprise peu après sa naissance, telle qu’elle était il y a quelques milliards d’années; une autre, au contraire, plus proche, nous apparaît après avoir évolué pendant plusieurs milliards d’années. Nul doute que ces deux objets sont différents, autant que peuvent être différents un vieillard et un nourrisson. Deux effets se mélangent donc dans l’observation des galaxies lointaines: l’évolution propre de ces objets – qui nous fait observer les galaxies lointaines encore au berceau – et l’évolution cosmologique – les galaxies proches se situent dans l’espace «ancien», les galaxies lointaines dans l’espace «récent». Une distinction qui s’impose dès que l’on admet que l’espace puisse évoluer. Il nous faudra donc parler non plus de points de l’espace mais d’événements de l’espace-temps: une galaxie là-bas et autrefois ; une autre ici et maintenant . C’est encore une raison pour laquelle, en cosmologie, plutôt que de caractériser un objet observé par sa distance spatiale ou par sa distance temporelle (le temps mis par la lumière pour nous parvenir), il est beaucoup plus satisfaisant d’utiliser le décalage spectral z , grandeur «mixte» idéale pour les cosmologues.
L’Univers de la relativité générale
La relativité générale joue un rôle encore plus fondamental que la relativité restreinte, car elle permet de concevoir une géométrie propre de l’Univers. Dans la physique non relativiste, la géométrie est très simple (elle est dite euclidienne: c’est celle que nous apprenons à l’école, où les parallèles existent et ne se rencontrent jamais, où l’on ne revient jamais à son point de départ en allant toujours tout droit, etc.) et l’Univers ne peut qu’être muni de cette géométrie ordinaire qui, unique, ne saurait évoluer au cours du temps. Le discours sur l’Univers est alors rapidement limité, faute d’objet. Au contraire, la relativité générale offre une riche diversité de géométries possibles, dont la géométrie euclidienne n’est qu’un cas bien particulier. Ces géométries définissent par exemple (bien que non totalement) l’extension spatiale de l’Univers, finie ou infinie, les lois de propagation de la lumière et bien d’autres propriétés qui sont triviales dans la géométrie ordinaire. Cette géométrie n’est pas statique mais peut évoluer au cours du temps: l’Univers ne possède pas seulement une structure, il possède aussi une histoire .
En fait, géométrie et évolution de cette géométrie peuvent se concevoir comme deux aspects d’une géométrie «élargie» qui opère non pas dans l’espace tel que nous le connaissons (avec trois dimensions: hauteur, largeur, profondeur), mais dans l’espace-temps à quatre dimensions, le rôle de cette quatrième dimension étant joué par le temps. Cela traduit le fait que les équations de la relativité générale traitent d’une manière relativement semblable les aspects géométriques et chronométriques du cosmos. C’est une façon de s’accommoder du fait que temps et espace absolus n’existent plus.
Une première difficulté de la théorie relativiste du cosmos provient du fait que nous avons l’habitude de la géométrie à trois et non pas à quatre dimensions. De la droite au plan, puis à l’espace «ordinaire», on évolue de une à deux et à trois dimensions, mais il nous est impossible de nous représenter ce que serait le pas suivant pour arriver à un espace, même euclidien, à quatre dimensions. Une seconde difficulté provient des propriétés structurales inhabituelles de cette géométrie. Les mathématiciens appellent variété , et plus particulièrement, dans le cas qui nous occupe, variété différentiable ou riemannienne [cf. VARIÉTÉS DIFFÉRENTIABLES], un tel espace généralisé. On peut dire que la variété espace-temps est aussi complexe (et donc riche en structures), par rapport à un espace euclidien à quatre dimensions, qu’une surface arbitraire peut l’être par rapport au plan. Les mathématiques permettent heureusement de décrire de telles structures; non pas globalement, mais plutôt en s’intéressant, en chaque point, aux propriétés dites métriques, permettant de calculer des longueurs et des durées (en fait des «intervalles» combinant les deux puisque les propriétés temporelles doivent être adjointes aux propriétés spatiales). Toute la structure géométrique du cosmos (incluant, rappelons-le, sa propre évolution) est exprimée par une expression que l’on appelle la métrique ds 2 .
Métrique
L’espace ordinaire est muni de trois dimensions x , y et z . Entre deux points séparés de dx en hauteur, dy en largeur et dz en profondeur, le carré de la distance s’écrit de manière simple:
Pour généraliser à quatre dimensions, il suffit, intuitivement, de rajouter un quatrième terme similaire correspondant à la dimension temporelle supplémentaire. Mais le temps jouant un rôle différent de l’espace, sa contribution s’écrira avec un signe moins et, de plus, avec un terme de conversion (égal à la vitesse de la lumière c ), car il ne se mesure pas avec les mêmes unités que l’espace. Ainsi, dans l’espace-temps euclidien (on dit en fait pseudo-euclidien ou minkovskien , à cause du signe moins), l’intervalle entre deux événements séparés de dx , dy , dz dans l’espace et de dt dans le temps s’écrirait:
Or, si la relativité restreinte énonce que la distance spatiale ou l’intervalle de temps entre deux événements bien définis apparaissent différents à deux observateurs distincts et sont donc relatifs, la quantité ds 2 définie plus haut est au contraire absolue. C’est dans cette propriété remarquable que réside l’originalité de la théorie.
Cette formule ne décrit qu’un espace-temps «plat», sans courbure, c’est-à-dire euclidien, tel qu’on pourrait le concevoir à partir de la relativité restreinte. La relativité générale le munit d’une structure beaucoup plus riche, décrite par une métrique plus complexe. Cette dernière s’écrit dans un formalisme particulier, dit tensoriel, qui cache sa complexité sous une forme simple en apparence. Toutes les propriétés structurales s’expriment par un être mathématique, g , appelé tenseur métrique.
Ainsi la relativité générale énonce que la structure de l’Univers se décrit par le tenseur métrique. Dès lors, deux problèmes se posent: comment, et à partir de quoi déterminer g ? En outre, une fois g connu, comment en déduire la structure de l’Univers et son évolution? La réponse à la première question est donnée par la relativité générale, qui stipule que g est déterminé par le contenu énergétique de l’Univers, selon l’équation d’Einstein [cf. RELATIVITÉ].
Cette équation, en fait équivalente à un système de dix équations différentielles, relie g (en fait, pas g directement mais un autre tenseur qui lui est lié et qui, comme lui, caractérise la structure de l’Univers) à un autre tenseur, T, représentant le contenu de l’Univers (essentiellement d’ailleurs sa densité d’énergie et sa pression), le tenseur d’énergie-impulsion.
Le contenu, c’est tout ce qui détient de l’énergie, aussi bien la matière ordinaire que le rayonnement, ou que toute autre forme de substance que nous n’aurions pas détectée. Ainsi, pour peu que l’on connaisse ce contenu, on peut calculer la structure de l’Univers. C’est ce que réalisent, avec quelques hypothèses supplémentaires, les modèles cosmologiques.
La métrique de Robertson-Walker
Construire un tel modèle consiste à résoudre, au moins partiellement, les équations d’Einstein. N’ayant qu’une information partielle sur le contenu de l’Univers, il est nécessaire d’introduire des hypothèses pour aller de l’avant. L’hypothèse d’homogénéité s’énonce, nous l’avons vu, sous le nom de principe cosmologique et la classe des modèles d’Univers homogènes est la plus importante. Aussi ce seront ceux que nous présenterons. La simple hypothèse d’homogénéité impose à la métrique une forme particulière, dite métrique de Robertson-Walker, s’écrivant:
en utilisant des coordonnées dites comobiles et le temps cosmique. Les propriétés structurales de l’Univers se réduisent à la connaissance de la fonction du temps R(t ) et de k , constante valant 漣 1, 0 ou + 1.
La métrique de Robertson-Walker peut être interprétée par comparaison avec la métrique décrivant l’espace-temps «ordinaire», sans propriétés structurales. Laissant de côté les termes angulaires r 2d 行2 (il suffit de choisir des coordonnées centrées sur l’un des deux événements pour ne pas avoir à les faire intervenir), nous aurons à comparer une expression de type:
à l’intervalle ordinaire:
La structure de l’espace proprement dit (à trois dimensions) concerne les relations entre des points à un même instant donné t de l’histoire cosmique, autrement dit des événements contemporains; l’intervalle de temps dt les séparant étant nul, la distance se réduit à:
à comparer à l’intervalle «ordinaire»:
En d’autres termes, la distance entre deux événements voisins s’écrit non pas D mais:
Deux différences apparaissent. La présence d’un facteur (1 漣 kr 2)1/2 au dénominateur exprime l’existence d’une possible courbure: le facteur de courbure k indique, selon sa valeur (0, 1 ou 漣 1), si l’espace est plat (euclidien), à courbure positive ou à courbure négative. La «courbure riemannienne» varie au cours de l’évolution cosmique et vaut k /R2(t ).
La seconde remarque concerne la présence du facteur R(t ). Toute distance mesurée à l’instant t , par exemple la distance entre deux galaxies, est d’autant plus élevée que R(t ) est grand, alors que les coordonnées de ces galaxies n’ont pas varié. R(t ), nommé facteur d’échelle, croît au cours du temps et exprime donc l’expansion universelle: toutes les distances cosmiques croissent, universellement, comme R(t ). Reste à déterminer ce facteur R(t ) et la valeur de k .
4. Les modèles cosmologiques
Les équations de Friedmann
L’hypothèse d’homogénéité permet de prévoir la structure de l’Univers d’après son contenu, à condition de décrire ce dernier d’une manière simple, sous forme de ce qu’on appelle un fluide parfait , c’est-à-dire dont les seules propriétés intéressantes (du point de vue de la dynamique de l’Univers) se réduisent à sa densité et à sa pression (les mêmes en tout point puisque l’Univers est supposé homogène). Dans un tel cas, le tenseur d’énergie-impulsion prend une forme simple [cf. RELATIVITÉ] et les équations d’Einstein se réduisent à un ensemble de deux équations différentielles (par rapport au temps) qui permettent en principe de calculer le facteur d’échelle R(t ) et la valeur de k en fonction de la densité 福 et de la pression p du «fluide cosmique», ainsi qu’en fonction d’un paramètre supplémentaire qui s’introduit dans les équations, la constante cosmologique 炙. Ainsi, la connaissance de ces trois paramètres permet de déterminer la structure, la géométrie et la dynamique de l’Univers par l’intermédiaire de la métrique de Robertson-Walker.
Aujourd’hui, par exemple (en fait depuis quelques milliards d’années), l’Univers peut être considéré comme sans pression. En effet, le terme qui correspondrait à une pression pour le «gaz d’étoiles et de galaxies» qui remplit l’Univers apporte une contribution négligeable à sa dynamique. Les équations se simplifient et peuvent se résoudre: la densité de masse se dilue comme R-3 tandis que le facteur d’échelle R varie lui-même en fonction du temps, approximativement comme t 2/3. En revanche, beaucoup plus tôt dans son histoire, l’Univers était dominé par le rayonnement électromagnétique, dont la pression, au contraire, jouait un rôle dynamique comparable à celui de la densité. Pendant une telle «ère du rayonnement», la densité se diluait comme R-4 et le facteur d’échelle grandissait comme t 1/2, la température diminuant comme 1/R.
Solutions particulières
Les solutions se distinguent par les valeurs des paramètres cosmiques (cf. figure). Parmi elles, celles d’un Univers vide (p = 福 = 0) ou stationnaire (où aucune grandeur ne varie avec le temps) présentent plutôt un intérêt historique car elles ne semblent pas correspondre à la réalité.
La forme de la métrique nous a montré que k s’interprétait comme une courbure. Mais, parmi toutes les surfaces possibles, il en existe une et une seule – le plan – sans courbure. Il en est de même à quatre dimensions. Il existe une possibilité pour que l’Univers soit sans courbure (euclidien), correspondant à la valeur k = 0 du paramètre de courbure.
Le modèle plat d’Univers est souvent utilisé comme référence et porte le nom de ses créateurs: Einstein-de Sitter. Si l’on suppose la constante cosmologique nulle, l’absence de courbure correspond à une valeur particulière de la densité, dite densité critique, qui s’exprime en fonction de H0, valeur de H au temps cosmique actuel:
福critique avoisine 2 . 10-29 g . cm-3. Cette valeur est utilisée comme unité pour exprimer la densité de l’Univers, qui s’écrit alors: 行 = 福/ 福critique. Dans ce modèle, le paramètre de décélération q 0 (qui mesure la décélération de l’expansion universelle ou, si l’on préfère, la variation du paramètre de Hubble H avec le temps) prend la valeur 1/2; le facteur d’échelle R croît exactement comme t 2/3.
La densité de l’Univers
La densité de matière que contient l’Univers apparaît comme un paramètre crucial pour déterminer son évolution. Ce qui n’est pas surprenant car l’Univers évolue sous l’effet de sa propre masse: plus sa densité est élevée, plus il exerce d’attraction gravitationnelle sur lui-même et plus son expansion doit se ralentir.
Que nous disent astronomes et astrophysiciens? Que selon toute apparence la matière se présente essentiellement sous des formes répertoriées: étoiles brillantes (faites de gaz très chaud) réunies sous forme de galaxies, gaz, poussières, planètes, etc. On peut estimer les masses de ces objets et, par simple dénombrement, déduire leur contribution à la densité de l’Univers. Ces estimations sont entachées d’énormes incertitudes, mais il semble que la densité (visible) avoisine 5 . 10-31 g . cm-3, soit quelques centièmes seulement de 福critique.
Cependant, l’analyse dynamique des galaxies ou des amas de galaxies et leurs modèles de formation laissent à penser qu’il existe davantage de masse que ce que nous voyons, sous la forme de ce que les astrophysiciens appellent de la masse cachée. Les quantités en jeu atteindraient 0,2 fois la valeur critique. L’Univers serait donc à courbure négative, d’extension spatiale infinie, et destiné à une expansion éternelle.
Mais certains astrophysiciens se refusent à croire que ce puisse être le cas: ils «voudraient» que l’Univers soit fini, à courbure non nulle, donc que 行 soit égal à 1. Ils sont obligés de supposer alors l’existence de quantités encore plus élevées de masse cachée, sous une forme inconnue, invisible. La question est fortement débattue car une telle hypothèse conduit à envisager notre Univers comme dominé par une espèce de particules encore inconnue. Les astrophysiciens ont cru quelque temps que les neutrinos [cf. NEUTRINOS] pourraient jouer ce rôle, mais leurs espoirs ont été déçus; la physique des particules permet néanmoins d’envisager de nombreuses espèces de particules nouvelles qui pourraient remplir ce rôle. Le débat n’est pas clos.
La constante cosmologique et l’âge de l’Univers
Ainsi, faute d’avoir pu mesurer avec précision la densité de l’Univers, nous ne savons pas quel est le bon modèle cosmologique pour le décrire. En admettant que nous ayons raison de supposer l’Univers homogène, restent à postuler les valeurs de H, de q 0, de 炙, de 行, liées entre elles par la relation:
La connaissance de ces paramètres (en principe mesurables) nous fournirait l’âge de l’Univers, son rayon de courbure, son caractère fini ou non, son destin, etc. Elle nous permettrait aussi de convertir les décalages mesurés en distances ou durées.
Parmi les paramètres mentionnés, la constante cosmologique 炙 joue un rôle particulier car elle détermine la dynamique sans se référer à son contenu. Il s’agit d’une situation insatisfaisante, contraire à un des aspects positifs de la relativité générale, selon lequel ce serait le contenu matériel seul qui déterminerait la dynamique. Pour cette raison, de nombreux cosmologues pensent que cette constante ne devrait pas être prise en compte, autrement dit qu’elle devrait être nulle. C’était par exemple l’avis d’Einstein, qui l’introduisit pourtant dans les équations en remarquant qu’elle seule permettait de concevoir des modèles d’Univers stationnaires. Aujourd’hui, on sait (par l’observation) que l’Univers n’est pas stationnaire et cet argument n’en est plus un. Les partisans d’une constante cosmologique nulle pourraient cependant être mis en difficulté par un autre argument lié à l’âge de l’Univers.
Les modèles cosmologiques prévoient pour l’Univers un âge (temps écoulé depuis la singularité initiale) inférieur au temps de Hubble = H0-1, si la constante cosmologique est nulle. Mais si la valeur de H se révèle voisine de 100, le temps de Hubble avoisine 1010 années (dix milliards d’années). Or les étoiles les plus vieilles de notre Galaxie semblent plus âgées que cette valeur. Cela impliquerait donc que la constante cosmologique n’est pas nulle. Par ailleurs, pour une valeur donnée de la constante cosmologique, l’âge de l’Univers est d’autant plus élevé que la densité de l’Univers est faible. Un âge élevé favorise ainsi les modèles à faible densité.
5. Vers le big bang
Extrapolation dans le passé
Dans l’Univers en expansion, la distance entre deux points quelconques augmente avec le temps. Autrement dit, elle diminue lorsqu’on remonte (par la pensée) dans le passé, jusqu’à se réduire à zéro. Les modèles cosmologiques compatibles avec les observations situent cet instant où les distances s’annulent dans un passé fini et sont dits à singularité initiale: on convient d’adopter cette singularité (l’instant où les distances s’annulent) comme origine des temps, définissant l’âge de l’Univers, t U, de l’ordre du temps de Hubble, H0-1.
L’évolution de l’Univers peut être calculée dans le cadre strict et bien spécifié de la théorie de la relativité générale. Mais, à mesure que l’on remonte dans le passé, les conditions physiques deviennent de plus en plus extrêmes en densité et en température. Si bien qu’il doit exister un instant, appelé temps de Planck, au-delà duquel nos connaissances physiques ne permettent pas de remonter. Notre théorie de la gravitation, la relativité générale, ne peut être appliquée aux premières fractions de seconde de l’histoire de l’Univers: il nous faudrait pour cela disposer d’une théorie quantique de la gravitation. En particulier, il n’est pas certain que l’Univers était déjà en expansion au cours de cette ère de gravitation quantique (il est même possible que les notions habituelles d’espace et de temps, donc d’expansion, n’y aient pas de sens).
Densité, pression
La matière présente dans l’Univers a subi les conséquences de l’expansion: les distances augmentant, les volumes aussi, une quantité déterminée de matière se retrouve (en moyenne) répartie dans un volume de taille croissant comme R3(t ) avec le temps. Par conséquent, sa densité décroît comme R-3. Plus on remonte dans le passé, plus l’Univers était dense. Mais la matière dense est plus chaude: l’Univers était donc plus chaud dans le passé.
Dans l’Univers très jeune, la matière très dense et très chaude émettait du rayonnement tout comme un corps incandescent émet de la lumière visible. Mais la matière universelle, de beaucoup plus chaude que n’importe quel corps incandescent, émettait un rayonnement bien plus énergétique que la lumière visible. À vrai dire, il est plus exact de dire que la matière était en équilibre avec le rayonnement: il y avait constamment absorption et émission de photons par le gaz de matière, qui baignait donc dans un rayonnement à la même température que lui (la température d’un rayonnement caractérise ses propriétés énergétiques, son domaine spectral: ainsi, un corps incandescent émet du rouge puis du blanc lorsqu’il est chauffé; un peu moins chaud, il émet de l’infrarouge; plus chaud, au contraire, il émet de l’ultraviolet, des rayons X, des rayons gamma). Cela n’est pas sans implications, car le rayonnement représente de l’énergie et, comme nous l’enseigne la relativité générale, l’énergie, c’est de la masse. L’Univers «primordial» était donc dominé dynamiquement par le rayonnement, ce qui, comme nous l’avons vu, modifiait son évolution. Cette «ère du rayonnement» a duré environ un million d’années, jusqu’à l’époque d’«équilibre matière-rayonnement», suivie par l’ère de la matière.
Le rayonnement
L’omniprésence du rayonnement est riche en conséquences. En effet, les photons du rayonnement interagissent avec les particules de matière. La matière ordinaire est essentiellement formée de protons et de neutrons d’une part (qui composent par exemple les noyaux des atomes) et d’électrons d’autre part. Dans les conditions ordinaires, les électrons sont liés aux noyaux pour former des atomes électriquement neutres (qui eux-mêmes peuvent former des molécules, des cristaux, des rochers, etc.). Mais, à très forte température, les électrons sont séparés des noyaux: la matière est ionisée. Matière neutre et matière ionisée ont des interactions différentes avec le rayonnement. Alors que les photons du rayonnement passent à peu près librement entre les atomes d’un gaz neutre, ils ont toute chance de rencontrer les électrons libres d’un gaz ionisé et ne peuvent donc se propager à travers lui: le gaz neutre est transparent alors que le gaz ionisé ne l’est pas. Rayonnement et matière ionisée sont totalement liés alors que la matière neutre peut évoluer indépendamment.
À l’âge d’un million d’années (en fait à z = 1 000), l’Univers était à une température voisine de 4 000 kelvins. Or, au-dessus de 4 000 kelvins, la matière est à l’état ionisé. Auparavant (pour z 礪 1 000), l’Univers était donc ionisé. À z = 1 000 – instant que l’on appelle recombinaison –, les électrons se sont combinés aux noyaux pour former des atomes et la matière de l’Univers est devenue neutre. Matière et rayonnement, couplés jusqu’alors, se sont découplés (d’où le nom de découplage parfois donné également à cette période) pour suivre des histoires séparées. En particulier, la matière, qui était jusqu’alors empêchée de se condenser par la pression du gaz, va commencer à se contracter. Un processus qui aboutit, des centaines de millions d’années plus tard, à l’apparition des premières étoiles et galaxies.
Le fond diffus cosmologique
Ainsi, à partir de la recombinaison, la matière suit son histoire propre en commençant à se structurer. Quant au rayonnement, il ne lui arrive à peu près rien. Il continue de remplir uniformément l’Univers. Il n’avait pas de structure et continue à n’en pas avoir. Néanmoins, il subit lui aussi l’expansion universelle, ce qui le «refroidit». Il possédait une température d’environ 4 000 kelvins à la recombinaison (il y a 15 milliards d’années environ), ce qui veut dire qu’il était composé de photons du domaine de la lumière visible; il est aujourd’hui beaucoup moins énergétique, de température 2,7 K seulement, et ses photons appartiennent au domaine des ondes radio, de longueurs d’onde voisines du millimètre. Les radioastronomes observent ce rayonnement et vérifient qu’il est extrêmement diffus, homogène, que son spectre est de nature thermique (spectre dit de corps noir), tel que le prédit le modèle de big bang, qu’il confirme ainsi brillamment. Les deux radioastronomes qui le découvrirent en 1965, Arno A. Penzias et Robert W. Wilson, reçurent le prix Nobel de physique en 1978. Ce fond diffus cosmologique, originaire de l’instant correspondant à z = 1 000, représente la trace la plus ancienne que les astronomes aient jamais enregistré.
6. L’Univers primordial
Il se trouve que ces deux moments cruciaux dans l’histoire de l’Univers – équilibre matière-rayonnement et recombinaison – coïncident à peu près (quelques millions d’années après le big bang comparés à un âge actuel voisin de 15 milliards d’années). Ils marquent une coupure entre ce qu’il est convenu d’appeler l’Univers primordial (z 礪 1 000) et l’ère de la matière. Toutes les formes de matière et de structure que nous connaissons n’ont pris naissance que bien après la recombinaison. Néanmoins, le déroulement de l’Univers primordial est jalonné d’événements remarquables, déterminés par les conditions extrêmes de densité, de pression, de température, d’énergie régnant alors. Les astrophysiciens reconstituent le déroulement de l’Univers primordial sous le nom de ce qu’on appelle modèle de big bang.
L’Univers était alors baigné de rayonnement énergétique dominant sa dynamique, intimement lié à la matière. Aucune structure n’existait. Pas de galaxies, ni d’étoiles ou de planètes, ni la moindre molécule ou le moindre atome. Les atomes ne sont nés, comme nous l’avons déjà dit, qu’à la recombinaison. De fait, en remontant plus loin encore dans le passé, les structures de plus en plus élémentaires – les noyaux d’atomes, ou même les particules qui les constituent – n’existaient même pas. La fabrication des noyaux d’atomes les plus légers – la nucléosynthèse primordiale – est une étape des plus importantes.
La nucléosynthèse primordiale
Pendant ses trois premières minutes d’existence, l’Univers ne contient que des particules individuelles (on ne peut dire libres car la densité est si élevée qu’elles interagissent toutes entre elles; néanmoins, elles ne sont pas liées dans des structures telles que des noyaux d’atomes): essentiellement des neutrons, des protons et des électrons pour la matière, des photons et des neutrinos pour le rayonnement. Il n’existe donc aucun noyau d’élément chimique puisque ceux-ci sont des assemblages liés de nucléons (sauf bien entendu des noyaux d’hydrogène, qui se réduisent à un seul proton). Mais, dans des conditions favorables, neutrons et protons peuvent fusionner pour former des noyaux d’atomes. Or, les modèles de big bang prévoient justement que de telles conditions se sont rencontrées trois minutes environ après le big bang, à une température voisine du milliard de kelvins [cf. NUCLÉOSYNTHÈSE]. Selon ces modèles, les nucléons isolés se seraient donc assemblés pour former les noyaux d’atomes les plus petits: ceux de deutérium, d’hélium et de lithium. Il se trouve que, précisément, les astronomes observent ces éléments dans l’Univers, avec les abondances prédites par ces modèles de nucléosynthèse primordiale; bien plus, aucune autre explication ne peut en rendre compte: ces éléments ne peuvent, comme les éléments plus lourds (carbone, oxygène, fer...), avoir été fabriqués à l’intérieur des étoiles. Les modèles de big bang montrent ici leur validité.
Les événements de l’Univers primordial
S’il n’y avait pas d’atomes avant la recombinaison, c’est que l’intense énergie régnante (sous forme de rayonnement par exemple) aurait aussitôt détruit tout atome présent. De même, avant la nucléosynthèse, l’énergie régnante aurait détruit tout noyau de deutérium. En remontant encore dans le temps, l’énergie augmente, atteignant des valeurs telles que les particules élémentaires elles-mêmes ne pouvaient subsister. Pendant la première microseconde après le big bang, l’Univers était rempli d’une «soupe de quarks» (les quarks sont, en l’état de nos connaissances, les constituants les plus «ultimes» de la matière). Ces quarks, au cours de la transition quark-hadron, se seraient structurés en neutrons et en protons. Mais la physique d’avant cette transition reste incertaine: pour décrire la première microseconde de l’Univers, les théories actuelles sont encore impuissantes tant densité et énergie sont élevées; c’est le royaume des hypothèses non confirmées.
L’Univers très primordial
La première microseconde de l’histoire de l’Univers est sans doute riche en événements, mais tout dépend de la théorie qui est adoptée pour décrire les interactions entre particules à très hautes densité et énergie. Il n’existe pas de telle théorie en laquelle nous puissions avoir vraiment confiance mais seulement des projets de théorie. Les physiciens s’intéressent particulièrement aux théories de grande unification, cas particulier de ce qu’on appelle théories de jauge. Or, même sans être totalement spécifiées, ces théories de grande unification permettent quelques prédictions cosmologiques.
L’essentiel de ces prédictions provient de l’existence d’une «transition de phase», épisode de l’histoire cosmique où, précisément, les théories de grande unification cesseraient d’être valables au profit de la physique plus «ordinaire» qui règne actuellement. Cette transition, aussi appelée «brisure de symétrie» (pour des raisons internes à la théorie), a entraîné un scénario relativement étonnant dont il existe plusieurs versions.
L’inflation
Dans la première version, dite d’inflation, l’Univers serait resté quelques instants dominé par une forme d’énergie particulière qui ne serait ni de la matière ni du rayonnement. La théorie conduit à lui donner le nom paradoxal d’«énergie du vide», mais, ce qui compte en cosmologie, c’est son influence dynamique particulière: au lieu d’entraîner une expansion relativement modérée (où le facteur d’échelle varie comme une loi de puissance en fonction du temps), elle entraîne une expansion très rapide, exponentielle: il se pourrait qu’en une durée aussi faible que 10-35 seconde, toutes les dimensions cosmologiques se soient accrues d’un facteur 1050, davantage que pendant tout le reste de l’histoire cosmique.
Ce modèle surprenant a des conséquences plutôt heureuses en cosmologie, par les effets de dilution extrême, et par les modifications de la structure causale de l’espace-temps qu’il entraîne. C’est pourquoi les cosmologues lui ont porté une attention soutenue. Néanmoins, il semble difficile de mettre sur pied un scénario cohérent d’inflation, et cette idée sera peut-être abandonnée aussi vite qu’elle est venue.
Les cordes cosmiques
Selon d’autres versions, la brisure de symétrie de grande unification, au lieu d’avoir entraîné l’inflation de l’Univers, pourrait avoir généré des inhomogénéités particulières: soit des inhomogénéités ponctuelles, des monopôles magnétiques (mais cette version semble incompatible avec le reste de la cosmologie), soit des êtres longilignes représentant des densités énormes d’énergie, les cordes cosmiques. Certains croient y trouver une origine à l’apparition, quelques milliards d’années plus tard, des premières galaxies. Mais tout cela est encore extrêmement spéculatif.
Les modèles que nous avons présentés fournissent une vision de l’Univers cohérente et relativement en accord avec les observations, mais des problèmes de diverses natures subsistent.
En premier lieu, la structure actuelle de l’Univers pose de nombreuses questions. Les galaxies ne sont pas réparties uniformément: elles se regroupent en amas (de dimension typique de 5 Mpc) qui eux-mêmes se rassemblent en superamas. Ces objets montrent des formes allongées ou aplaties, séparées par de grandes zones vides: on est bien loin d’un Univers homogène. On peut cependant espérer que l’homogénéité apparaît à une échelle encore plus grande, mais ce n’est pas sûr. De plus, il n’est pas prouvé que les conclusions tirées de l’étude des modèles homogènes puissent s’appliquer à l’Univers rempli de telles structures. En second lieu, les astrophysiciens n’ont pas encore compris comment ces structures sont apparues dans un Univers supposé au départ très homogène. Ils ne savent pas comment des inhomogénéités ont pu naître ni même comment, une fois apparues, elles ont pu s’amplifier jusqu’à former des structures aussi denses et aussi diverses que galaxies et amas, étoiles et planètes, structures filamentaires ou aplaties. Ce problème de la formation des galaxies constitue certainement un des points faibles de notre cosmologie.
Nous ne développerons pas ici d’autres problèmes relatifs à la densité de l’Univers, à la constante cosmologique, à la prééminence de la matière sur l’antimatière [cf. ANTIMATIÈRE] et bien d’autres. Il est néanmoins remarquable que dans ses grandes lignes le modèle marche infiniment mieux que n’importe quel autre. Ce qui n’exclut pas, bien entendu, qu’il ne soit qu’un reflet des mythes de notre civilisation.
cosmologie [ kɔsmɔlɔʒi ] n. f.
• 1582; gr. kosmologia
♦ Théorie (philosophique ou scientifique) de la formation ⇒ cosmogonie et de la nature de l'univers. — (mil. XXe; angl. cosmology) Théorie générale de la matière dans l'espace-temps ⇒ astrophysique. — Adj. COSMOLOGIQUE .
● cosmologie nom féminin Science qui étudie la structure, l'origine et l'évolution de l'Univers considéré dans son ensemble. ● cosmologie (expressions) nom féminin Cosmologie rationnelle, selon Kant, ensemble des problèmes métaphysiques concernant le monde et son origine.
cosmologie
n. f.
d1./d Didac. Partie de l'astronomie qui étudie la structure et l'évolution de l'Univers considéré comme un tout. Les concepts relativistes et les progrès de la physique des particules font évoluer la cosmologie.
⇒COSMOLOGIE, subst. fém.
A.— Science des grandes lois qui gouvernent l'univers physique :
• 1. Ce double motif m'oblige à distinguer, en cosmologie, deux sciences également fondamentales, dont l'une, sous le nom général de physique, étudie directement l'ensemble de l'ordre matériel. L'autre, plus simple et plus générale, justement qualifiée de mathématique, sert de base nécessaire à celle-ci, ...
COMTE, Catéchisme positiviste, 1852, p. 99.
B.— PHILOS. Partie de la métaphysique qui traite du monde physique. Synon. philosophie de la nature :
• 2. Ce premier thème suppose le contexte général d'une cosmologie, d'une doctrine fondamentale de la nature qui étend un système commun de déterminations aux sujets et aux choses, mêlant des déterminations de choses, comme l'idée de nature, et des déterminations de sujet, comme l'idée d'appétit.
RICŒUR, Philos. de la volonté, 1949, p. 180.
Prononc. et Orth. :[]. Ds Ac. depuis 1762. Étymol. et Hist. 1582 (H.-C. AGRIPPA DE NETTESHEIM, De l'incertitude et vanité des sciences et des arts, [trad. du lat. en fr. par L. Turquet de Mayerne], 174 ds R. Hist. litt. Fr., t. 8, p. 496). Composé de l'élément préf. cosmo- et de l'élément suff. -logie. Lat. sc. cosmologia (1531, H.-C. AGRIPPA DE NETTESHEIM, De incertitudine et vanitate scientiarum et artium, Paris, f° LVIII r°). Fréq. abs. littér. :79.
cosmologie [kɔsmɔlɔʒi] n. f.
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♦ Didactique.
1 Théorie philosophique ou scientifique de la formation (⇒ Cosmogonie) et de la nature de l'univers.
0 Ce premier thème suppose le contexte général d'une cosmologie, d'une doctrine fondamentale de la nature qui étend un système commun de déterminations aux sujets et aux choses, mêlant des déterminations de choses, comme l'idée de nature, et des déterminations de sujet, comme l'idée d'appétit.
Ricœur, Philosophie de la volonté, 1949, p. 180, in T. L. F.
2 (Milieu XXe; d'après l'angl. cosmology) Théorie générale de l'espace-temps. ⇒ Astrophysique.
➪ tableau Noms de sciences et d'activités à caractère scientifique.
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DÉR. Cosmologique, cosmologiste.
Encyclopédie Universelle. 2012.