posséder [ pɔsede ] v. tr. <conjug. : 6>
• XIV e; pursedeir v. 1120; possider,XIIIe; lat. possidere
1 ♦ Avoir (qqch.) à sa disposition de façon effective et généralement exclusive (qu'on en soit ou non propriétaire). ⇒ 1. avoir, détenir. Posséder une maison, une voiture, une télé. Elle possède une grosse fortune (cf. Être à la tête de). Posséder un bien à titre précaire, posséder pour autrui (dr.). « L'un ne possédait rien qui n'appartînt à l'autre » (La Fontaine ). « Celui-ci, sans mot dire, vend tout ce qu'il possède, linge, habits, machines, meubles, livres » (Diderot). C'est lui qui possède ces documents, ils sont entre ses mains. — Absolt Faim d'avoir et de posséder. ⇒ convoiter. Ceux qui possèdent (⇒ possédant) .
♢ Par ext. Posséder le pouvoir. « Qui possédait la meilleure épée, possédait le droit » (Fustel de Coulanges).
♢ (Sujet chose) Pays qui possède de grandes richesses naturelles. ⇒ abonder, renfermer. « Un pays qui possède un territoire, un empire colonial » (Martin du Gard). Ce musée possède des Picasso.
2 ♦ Fig. Avoir en propre (une chose abstraite). « Il ne suffit pas de posséder une vérité, il faut que la vérité nous possède » (Maeterlinck). ⇒ détenir. Posséder la preuve de qqch.
♢ Par ext. Avoir (une qualité). « Cet homme possédait en plus les plus beaux yeux du monde » (Céline). « Pour avoir du talent, il faut être convaincu qu'on en possède » (Flaubert). Posséder une mémoire excellente, un grand courage.
3 ♦ Avoir une connaissance sûre de (qqch.). ⇒ connaître. Posséder un art, un métier. « Ceux qui possèdent Aristote et Horace » (Molière). « Je doute que l'on trouve beaucoup d'exemples de grands écrivains qui ne possèdent admirablement leur langue » (A. Gide). ⇒ maîtriser. Elle possède à fond son sujet.
4 ♦ Obtenir les faveurs de (qqn). « Autrefois on rêvait de posséder le cœur de la femme dont on était amoureux » (Proust).
♢ (1655) Posséder une femme, un homme : accomplir avec elle, lui, l'acte sexuel. ⇒ connaître, prendre; fam. 1. baiser, niquer; s'envoyer, se faire, se farcir, se payer, se taper. « En possédant cette femme, Eugène s'aperçut que jusqu'alors il ne l'avait que désirée » (Balzac).
5 ♦ (1910) Fam. Tromper, duper. Il nous a bien possédés ! ⇒ 1. avoir, feinter, rouler. Se faire posséder.
6 ♦ (XVIe) Dominer moralement. La jalousie le possède, le tient, le subjugue.
7 ♦ Vx ou littér. Maîtriser (ses propres états). « Il semblait bien plus posséder son exaltation qu'être possédé par elle » (Malraux). — Pronom. Se posséder. ⇒ se contenir, se dominer, se maîtriser. « Elle s'entêta, ne se possédant plus, inconsciente » (Zola). Il ne se possède plus de joie : il ne peut contenir sa joie (cf. fam. Ne plus se sentir).
8 ♦ (XVIIe) S'emparer du corps et de l'esprit de (qqn), en parlant d'une force occulte. « Un démon m'habitait. Il ne me posséda jamais plus impérieusement » (A. Gide). ⇒ possédé.
● posséder verbe transitif (ancien français possider, du latin possidere) Avoir un bien en propriété : Posséder une maison. Avoir à sa disposition quelque chose : Une nation qui possède une armée puissante. Contenir quelque chose en soi : Le jardin possède de beaux arbres fruitiers. Posséder un talent d'orateur. Maîtriser parfaitement une connaissance, une langue : Posséder l'anglais. Littéraire. En parlant d'un sentiment, d'une force considérée comme extérieure, dominer quelqu'un : Une ambition effrénée le possédait. Familier. Tromper quelqu'un, le duper : Se faire posséder par un escroc. Avoir avec une femme un rapport sexuel. ● posséder (citations) verbe transitif (ancien français possider, du latin possidere) Albert Camus Mondovi, aujourd'hui Deraan, Algérie, 1913-Villeblevin, Yonne, 1960 Se donner n'a de sens que si l'on se possède. Carnets Gallimard Albert Camus Mondovi, aujourd'hui Deraan, Algérie, 1913-Villeblevin, Yonne, 1960 Je ne sais pas posséder. L'Envers et l'endroit Gallimard Frédéric II le Grand, roi de Prusse Berlin 1712-Potsdam 1786 Insensés que nous sommes, nous voulons tout conquérir, comme si nous avions le temps de tout posséder ! l'Anti-Machiavel ou Essai de critique sur « le Prince », de Machiavel Jean Giono Manosque 1895-Manosque 1970 La richesse de l'homme est dans son cœur. C'est dans son cœur qu'il est le roi du monde. Vivre n'exige pas la possession de tant de choses. Les Vraies Richesses Grasset Eugène Guillevic Carnac 1907-Paris 1997 On ne possède rien, jamais, Qu'un peu de temps. Exécutoire Gallimard Maurice Maeterlinck Gand 1862-Nice 1949 Quand on n'a pas ce que l'on aime, Il faut aimer ce qu'on n'a pas. Treize Chansons de l'âge mûr Fasquelle saint Basile, surnommé le Grand Césarée 329-Césarée 379 À l'affamé appartient le pain que tu gardes. À l'homme nu, le manteau que recèlent tes coffres. Au va-nu-pieds la chaussure qui pourrit chez toi. Au miséreux, l'argent que tu tiens enfoui. Patrologie grecque, XXXI, Homélie 6 (traduction F. Quéréjaulmes) ● posséder (synonymes) verbe transitif (ancien français possider, du latin possidere) Avoir un bien en propriété
Synonymes :
- avoir
- détenir
Avoir à sa disposition quelque chose
Synonymes :
- bénéficier de
- jouir de
Contenir quelque chose en soi
Synonymes :
Maîtriser parfaitement une connaissance, une langue
Synonymes :
- entendre
- savoir
Littéraire. En parlant d'un sentiment, d'une force considérée comme extérieure, dominer...
Synonymes :
- absorber
- habiter
- hanter
- obséder
posséder
v. tr.
d1./d Avoir en sa possession ou à sa disposition, détenir. Posséder des terres. Posséder une charge.
— Avoir le bénéfice de, jouir de. Posséder le secret du succès.
|| Posséder une femme, avoir avec elle des relations sexuelles.
|| Fam. Posséder qqn, le tromper, le duper. Syn. avoir, rouler.
d2./d (Personnes) Avoir (une qualité). Il possède une grande habileté manuelle.
|| (Choses) Avoir (une propriété). Cette plante possède des vertus sédatives.
d3./d Connaître à fond, savoir parfaitement. Il possède bien l'anglais. Syn. maîtriser, dominer.
d4./d Dominer, subjuguer, égarer (qqn), en parlant d'une passion, d'une émotion. La passion du jeu le possède.
d5./d S'emparer de l'être, de l'âme de (qqn), en parlant d'une puissance diabolique.
⇒POSSÉDER, verbe trans.
I. —Qqn possède
A. —Qqn possède qqc.
1. Avoir à soi, disposer en maître de (quelque chose), et pouvoir en tirer profit et jouissance. Synon. détenir, être propriétaire de. Posséder des biens, des fonds, des richesses, des terres, des valeurs, de l'immobilier. C'était une Altesse (...) issue de la race la plus noble et possédant la plus grande fortune du monde (PROUST, Guermantes 2, 1921, p.425). La nuit (...) il se sentait beaucoup plus sûr de lui depuis qu'il possédait une arme (VAILLAND, Drôle de jeu, 1945, p.74):
• 1. On a aussi un peu trop dit que le Parisien était un homme plutôt aisé, sinon secrètement très riche, un capitaliste égoïste possédant bibliothèque, miniatures, tabatières, vases, coupé, laquais, cave, château et maîtresse.
FARGUE, Piéton Paris, 1939, p.176.
♦Ne pas posséder un sou. Ne rien avoir à soi. —Le pauvre jeune homme! s'écria Madame Grandet. —Oui, pauvre, reprit Grandet, il ne possède pas un sou (BALZAC, E. Grandet, 1834, p.95).
— [Le compl. est un indéf. (rien, quelque chose) ou un rel. (ce que)] Cette femme que vous calomniez et que vous voulez que j'abandonne, fait le sacrifice de tout ce qu'elle possède pour vivre avec moi (DUMAS fils, Dame Cam., 1848, p.218). Vigneron s'écoute un peu maintenant que le voilà dans l'aisance. Il a raison. Un homme vaut davantage quand il possède quelque chose (BECQUE, Corbeaux, 1882, I, 9, p.92). Le Guenn a une très belle fortune, ne l'oubliez pas, et cette petite ne possède presque rien (BERNSTEIN, Secret, 1913, I, 2, p.6).
— [Avec un subst. attribut de l'obj. précédé de la prép. pour] Cet officier (...) possédait pour tout bien (...) un écu de six francs (STENDHAL, Chartreuse, 1839, p.6).
— Absol. En 1848, la révolution a pour ennemis le paupérisme, la division du peuple en deux catégories, ceux qui possèdent et ceux qui ne possèdent pas (PROUDHON, Révol., 1852, p.266). Celui qui peine croit facilement que celui qui possède l'exploite (PESQUIDOUX, Livre raison, 1928, p.227).
a) DR. CIVIL. Détenir une chose ou en jouir, ou jouir d'un droit personnellement ou par l'intermédiaire d'un tiers, que l'on soit ou non titulaire véritable et effectif du droit de propriété, mais apparemment comme si on l'était (d'apr. BARR. 1974). Posséder de bonne foi. L'installation sur le fonds d'autrui doit toutefois recevoir l'accord de la personne possédant la jouissance du sol et celui au moins tacite du propriétaire (JOCARD, Tour. et action État, 1966, p.146):
• 2. On est toujours présumé posséder pour soi, et à titre de propriétaire, s'il n'est prouvé qu'on a commencé à posséder pour un autre. Quand on a commencé à posséder pour autrui, on est toujours présumé posséder au même titre, s'il n'y a preuve du contraire.
Code civil, 1804, art. 2230 et 2231, p.408.
b) [Le compl. désigne un pouvoir, un droit] Jouir de. Synon. bénéficier. Comment dire à tous ceux qui remplissent toutes les administrations, possèdent toutes les charges, jouissent de toutes les fortunes: Allez-vous-en! (LAS CASES, Mémor. Ste-Hélène, t.2, 1823, p.38). De retour dans ses états, où, pour son malheur, il [Ernest III] possède un pouvoir sans limites, il s'est mis à déclamer follement contre les libéraux et la liberté (STENDHAL, Chartreuse, 1839 p.92). Les femmes ne possédaient pas le droit de propriété (QUEFFÉLEC, Recteur, 1944, p.93).
c) [Le compl. désigne un diplôme] Être titulaire de. Pour être admis à postuler le diplôme de docteur en pharmacie les candidats doivent posséder le diplôme de pharmacien (Encyclop. éduc., 1960, p.222).
2. P. anal.
a) Avoir en soi, contenir, et pouvoir tirer profit et jouissance de.
— [Le suj. désigne une région, un pays] Au 1er janvier 1892, le département de Meurthe-et-Moselle possédait 44 hauts-fourneaux allumés (Ch. DURAND, Industr. minér. Lorr., 1893, p.48). Le développement d'une industrie de la potasse dans quelques pays étrangers possédant des gisements (Industr. fr. engrais chim., 1956, p.7).
— [Le suj. désigne un bât. publ.] Quant au musée [du Conservatoire national] (...) il possède plus de 1900 instruments, tous du plus haut intérêt, soit technique, soit historique (Enseign. mus., 1950, p.9). En 1959 on comptait, pour l'ensemble de l'Allemagne fédérale 10500 bibliothèques possédant près de 25 millions de volumes (MASSON, SALVAN, Bibl., 1961, p.87).
b) [Le suj. désigne un état] Avoir acquis, par la conquête, un territoire étranger. Depuis deux mois la conquête du Maroc était accomplie. La France, maîtresse de Tanger, possédait toute la côte africaine de la Méditerranée, jusqu'à la régence de Tripoli (MAUPASS., Bel ami, 1885, p.327).
B. —Qqn possède qqn
1. Vx. Avoir avec soi, profiter et jouir de (la compagnie de quelqu'un). On nous a tant parlé de vous, mademoiselle, dit la duchesse que nous avions grand hâte de vous posséder ici (BALZAC, Modeste Mignon, 1844, p.278). Cette pauvre mère est déjà tout en fête, en songeant que dans quelques mois elle me possédera encore (RENAN, Lettres, 1844, p.172).
2. [La pers. possédée est assimilée à un bien matériel] Avoir à soi, disposer en maître de (quelqu'un) et pouvoir en tirer profit et jouissance.
a) Vx. Posséder des esclaves. L'esclavage est la plus grande des questions purement terrestres (...). «L'homme possédé par l'homme!» Ceci est la plus haute offense qui puisse être faite à Dieu, seul maître du genre humain (HUGO, Corresp., 1862, p.368).
b) [La pers. possédée est une maîtresse, un amant] V. supra ex. 1. Jusque sur les montagnes, là-bas, qui nous séparent de la Chine et de la Turquie, il n'y a pas une princesse, vous m'entendez (...), pas une souveraine, mariée ou non, chrétienne ou païenne, qui ne possède un amant familier, un trousseur bien choisi toujours prêt à répondre (AUDIBERTI, Mal court, 1947, II, p.172).
♦[Avec un subst. attribut de l'obj. précédé de la prép. pour] Ce monsieur riche et âgé possédait pour maîtresse la plus belle des créatures (GUITRY, Veilleur, 1911, I, p.4).
3. [Le suj. désigne un homme] Posséder une femme
a) Vx. L'avoir pour épouse:
• 3. ... sa famille [du mari] désirant que son nom se perpétuât l'a engagé à se marier avec la charmante Victorine qui est de la même maison. Il paraît sentir son infériorité; mais il croit que la dignité de mari suffit pour faire disparaître toutes les inégalités personnelles (...) tel est l'heureux mortel qui possède Victorine...
SÉNAC DE MEILHAN, Émigré, 1797, p.1634.
b) Avoir avec elle des rapports charnels. Posséder une femme toute entière, corps et âme. Je ne sais quelle idée diabolique me passa par la cervelle, quel désir fou me vint de la posséder [Pâquerette], en plein air, à la face de toute la nature (COURTELINE, Femmes d'amis, Canot, 1888, p.145).
4. THÉOL. CATH.
a) [Le suj. désigne un être surnaturel et maléfique] S'emparer du corps et de l'esprit de. Elle s'élève à présent vers le ciel de tout son essor; et les démons impurs qui la troublaient et la possédaient en sont à jamais chassés! (COPPÉE, Bonne souffr., 1898, p.14):
• 4. 14 août. —Je suis perdu! Quelqu'un possède mon âme et la gouverne! Quelqu'un ordonne tous mes actes, tous mes mouvements, toutes mes pensées. Je ne suis plus rien en moi (...). Je désire sortir. Je ne peux pas. Il ne veut pas et je reste, éperdu, tremblant, dans le fauteuil où il me tient assis.
MAUPASS., Contes et nouv., t.2, Horla, 1886, p.1114.
— P. anal. S'approprier le corps et l'esprit de, envahir. Elle m'obsédait, me possédait, me hantait la tête et les sens, à tel point que je ne restais plus une seconde sans penser à elle (MAUPASS., Contes et nouv., t.2, Magnétisme, 1886, p.780).
b) [Le suj. désigne Dieu] Habiter et animer. À ces heures où Dieu nous possède et nous remplit, nous faisons rejaillir sur toutes ses oeuvres l'éclat du rayon qui nous enveloppe (SAND, Lélia, 1833, p.54).
c) [Le compl. désigne Dieu] Avoir en soi, pouvoir jouir de (la présence divine). Dans la cité de Dieu (...) ce qui est à chacun est à tous, et (...) tous possèdent Dieu qui renferme tous les biens (LAMENNAIS, Paroles croyant, 1834, p.246). Tout vous coule entre les doigts, sable et cendres, contrairement aux mystiques qui possèdent Dieu et sont possédés en retour (CENDRARS, Bourlinguer, 1948, p.134).
5. Au fig. et fam. Tromper, duper. Synon. fam. avoir, feinter, rouler. Se faire posséder par qqn. Moi, il m'a séduit, et, dans l'escouade, il nous a tous possédés (CENDRARS, Main coupée, 1946, p.211). Ça fait rien, fait Sylvestre, dites-le: elle vous a possédés! (VIALAR, Clara, 1958, p.161).
C. —Au fig.
1. [Le compl. désigne une notion abstr.] Avoir pour soi, pouvoir jouir, tirer profit de. Synon. détenir. Posséder le bonheur, la liberté. [Emma] se répétait: «J'ai un amant: un amant!» (...) Elle allait donc posséder enfin ces joies de l'amour, cette fièvre du bonheur dont elle avait désespéré (FLAUB., Mme Bovary, t.2, 1857, p.185). Ce secret a été possédé aussi bien par les graveurs japonais que par Ingres ou Toulouse-Lautrec (HUYGHE, Dialog. avec visible, 1955, p.168):
• 5. Il ne suffit pas d'être courageux, tenace, désintéressé et de marcher droit contre vent et marée sur son but, il faut avoir bien choisi son but. Déroulède possédait la vérité. Il entraînait ses ligueurs et la France.
BARRÈS, Cahiers, t.11, 1917, p.226.
— [Le compl. désigne un sentiment qu'une pers. peut ressentir à l'égard d'une autre] Puisque je n'ai jamais possédé votre coeur, et que vous m'enlevez votre estime, que me reste-t-il à perdre? (COTTIN, Mathilde, t.2, 1805, p.288). Ah! je m'élancerais au milieu des flammes de l'enfer pour posséder ton amour! (MÉRIMÉE, Jaquerie, 1828, p.371). Posséder l'estime de mes amis, et la bienveillance publique, serait un besoin pour moi (SENANCOUR, Obermann, t.2, 1840, p.38).
2. [Le compl. désigne une qualité, une aptitude mor. ou phys.] Être pourvu de, avoir. Posséder une grande bonté, une grande culture, beaucoup de mémoire, le sens du travail bien fait, le don d'écrire; posséder une beauté classique, une grande résistance, un corps massif. Selon la définition d'Aristote, la vraie femme doit posséder l'aptitude à l'éducation des enfants. C'est là son intelligence (MÉNARD, Rêv. païen, 1876, p.113). J'ai beau me répéter son peu de beauté vraie, sa câlinerie animale et traîtresse, la fourberie de ses yeux, n'empêche qu'elle possède un charme à elle (COLETTE, Cl. école, 1900, p.280). La mère Le Berre, se disait-il, possédait vraiment l'humeur acariâtre (QUEFFÉLEC, Recteur, 1944, p.187).
3. [Le compl. désigne une matière, un métier, que l'on a dû apprendre] Avoir une bonne connaissance de. Posséder un art, un auteur, une science, une technique; posséder son latin, son grec; posséder la question, son sujet. Le comte Bielowsky possède à fond les langues slaves (BENOIT, Atlant., 1919, p.191). Ce travail —en réalité fort complexe —est confié à un ouvrier intelligent, instruit, et devant posséder parfaitement son métier: c'est le metteur en pages (E. LECLERC, Nouv. manuel typogr., 1932, p.198):
• 6. Les sages ont, depuis longtemps, renoncé à expliquer le coeur des femmes; ils possèdent l'astronomie, l'astrologie, l'arithmétique; (...) mais ils ignorent entièrement pourquoi une femme préfère un homme à un autre.
GAUTIER, Rom. momie, 1858, p.307.
II. —Qqc. possède
A. —Qqc. possède qqc.
1. Avoir en soi, contenir. L'huile de noisette possède (...) un stimulant (BALZAC, C. Birotteau, 1837, p.140). Pour toutes les machines possédant des tuyauteries (...) il y a lieu de veiller strictement à ce qu'une vidange complète soit effectuée (AMBROISE, Monteur mécan., 1949, p.101).
2. Dans le lang. sc. [Le suj. désigne un végétal, un minéral ou une substance chim.] Être pourvu (d'une propriété, d'une caractéristique), avoir. Le caoutchouc possède une élasticité que n'ont pas les ficelles des hamacs usuels (ROUSSET, Trav. pts matér., 1928, p.52). Les halogènes possèdent la propriété de se fixer aisément sur les doubles liaisons lorsqu'elles ne font pas partie d'un noyau aromatique (CHARTROU, Pétroles natur. et artif., 1931, p.107). Des appareils modernes (...) exigent en général un charbon possédant un minimum de pouvoir calorifique (STOCKER, Sel, 1949, p.67).
B. —Au fig. Qqc. possède qqn [Le suj. désigne un sentiment, une tendance] Occuper entièrement l'esprit de. Synon. dominer, habiter, hanter, obséder, subjuguer. L'ambition, la jalousie, la passion le possède. Le même ardent désir les possédait tous deux de le voir enfin rentrer au pays, s'y marier, y reprendre la place à laquelle le désignaient sa fortune et son nom (CHÂTEAUBRIANT, Lourdines, 1911, p.39). On ne peut penser à la fois à sa propre mort et à celle des autres: possédé par l'idée fixe de ma fin prochaine, comment me fussé-je inquiété de la tension d'Isa? (MAURIAC, Noeud vip., 1932, p.265).
— Vieilli ou littér. [Le suj. désigne un bien matériel] Exercer une domination, une emprise sur. Le peuple est d'hier propriétaire, ivre encore, épris, possédé de sa propriété (...) il pense à la terre qui est à lui, et le fait vivre (COURIER, Pamphlets pol., Pétition pour vill., 1822, p.142). Je vois à Pau la Moselle où je fus élevé (...) c'est-à-dire tous les premiers objets qui me possédèrent et dont je méconnus longtemps ce qu'ils recèlent de discipline (BARRÈS, Amori, 1902, p.236).
III. —Empl. pronom. Avoir la maîtrise, le contrôle de soi. Synon. se contenir, se dominer, se maîtriser. Un accès de colère folle emporte une seconde hors de son calme cette femme qui se possède si bien (A. DAUDET, Rois en exil, 1879, p.368):
• 7. ... c'est une joie, se possédant pleinement, d'aventurer sa vie aux frontières du péril, de le frôler à son vouloir, ou bien, d'un vif élan calculé juste, de bondir soudain au travers...
GENEVOIX, Raboliot, 1925, p.145.
— [À la forme nég.] Ne plus se posséder. Ne plus se contrôler; perdre son calme, son sang-froid. Oscar, la face contre terre, écumait de rage (...) Moreau, qui ne se possédait plus, offrait une face sanglante à force d'être injectée (BALZAC, Début vie, 1842, p.416).
♦Ne pas, ne plus se posséder (de joie, d'allégresse). Ne plus contenir sa joie, son allégresse. Brulart surtout ne se possédait pas de joie; il sautait, gambadait, tonnait (SUE, Atar-Gull, 1831, p.22). Le bonhomme ne se possédait plus d'allégresse (MAUPASS., Pierre et Jean, 1888, p.305).
Rem. On relève très rarement, au XIXe ou au XXes., la forme trans. anc. posséder un sentiment:«le contenir». Il semblait bien plus posséder son exaltation qu'être possédé par elle (MALRAUX, Cond. hum., 1933, p.316).
Prononc. et Orth.:[], (il) possède []. PASSY 1914 [-] sous l'infl. des formes fortes, [-ede]. Ac. 1694, 1718: posseder; dep. 1740: posséder. Conjug. v. abréger. Étymol. et Hist.1. a) 1364 «avoir la propriété de» (Arch. nat. ds FAGNIEZ t.2, p.96); b) 1617 possédante «femme qui possède» (CRESPIN d'apr. FEW t.9, p.240) —1637 (ibid.); 1897 les possédants (BARRÈS, Déracinés, p.97); 2. a) 1562 posséder les reins de qqn «connaître et diriger les affections et pensées les plus secrètes (en parlant de Dieu qui dirige l'homme)» (Bible ... de l'impr. A. Rebul, Pseaumes de David, 139, 13 f° 212 v°); b) 1567 possédé de maling esprit (AMYOT, Marcel., 31 ds LITTRÉ); c) 1666 possédé part. passé subst. (BOILEAU, Satires, IV, 81, éd. A. Cahen, p.68); 3. 1580 (MONTAIGNE, Essais, éd. P. Villey, I, chapitre 28: cette amitié qui possède l'âme); 4. a) 1637 posséder une femme «l'avoir pour épouse» (CORNEILLE, Cid, III, 6); b) 1666 «avoir ses faveurs» (LA ROCHEFOUCAULD, Maximes, éd. J. Truchet, p.301, var.); 5. 1652 se posséder «se dominer» (CORNEILLE, Pertharite, III, 3); 6. 1666 «connaître à fond» (PASCAL, Pensées, éd. Lafuma, série III, fragment 427). Réfection, d'apr. possesseur, possession de l'a. m. fr. possider «avoir la possession, la jouissance d'un bien» (1299 Chartes de Mezières ds MORLET, p.177 —XVes., v. FEW t.9, p.239), issu du lat. possidere de même sens, qui a vécu parallèlement, du XIIe au XIVes. dans des formes francisées porseoir, porseir, porsoier, v. FEW, loc. cit. et T.-L., GDF. Fréq. abs. littér.:7722. Fréq. rel. littér.:XIXes.: a) 11421, b) 9176; XXes.: a) 11478, b) 11273.
DÉR. Possédable, adj. a) [En parlant d'une chose] Que l'on peut posséder, détenir. Ainsi ne sera pas le même ton diamant non possédable, lequel brillait de cette qualité (SAINT-EXUP., Citad., 1944, p.964). b) [En parlant d'une femme] Que l'on peut posséder, avec laquelle on peut avoir des rapports sentimentaux et charnels. J'avais beau fondre toute la matière charnelle la plus exquise pour composer, selon l'idéal que m'en avait tracé Saint-Loup, la jeune fille légère et la femme de chambre de Mme Putbus, il manquait à mes deux beautés possédables ce que j'ignorerais tant que je ne les aurais pas vues: le caractère individuel (PROUST, Sodome, 1922, p.723). — []. — 1re attest. 1534 (RABELAIS, Gargantua, éd. Calder, Screech, XXX, p.190); attest. isolée, repris dep. BOISTE 1834; de posséder, suff. -able.
posséder [pɔsede] v. tr. [CONJUG. céder.]
ÉTYM. XIVe; v. 1120, pursedeir; possider au XIIIe; lat. possidere.
❖
1 Avoir (un bien, une chose à sa disposition), d'une manière effective (et le plus souvent exclusive) et pouvoir s'en réserver la jouissance, l'usage (qu'on en soit ou non propriétaire). ⇒ Avoir, détenir, disposer (de), jouir (de), tenir; disposition, possession (→ 2. Importer, cit. 13). || Posséder de l'argent, une fortune, des richesses… ⇒ 2. Capital (cit. 7), capitaliste (→ Attacher, cit. 48; noble, cit. 25). || Posséder de grands biens. → Opter, cit. 2. || Il possède de la fortune, des biens (→ Être à la tête de…). || Posséder cent écus (cit. 4) de rente. || Conserver (cit. 15), garder ce qu'on possède. || Donner, partager ce qu'on possède, le peu qu'on possède (→ Nécessiteux, cit. 2). || « L'un ne possédait rien qui n'appartînt (cit. 2) à l'autre ». || Perdre tout ce qu'on possède (→ 2. Importer, cit. 21). || Ne rien posséder (→ Pauvreté, cit. 10), posséder assez pour vivre (→ Avoir de quoi vivre). — Posséder des immeubles, une maisonnette (cit.), un coin de terre, une terre. — Par ext. || Le monarque (cit. 2) possède tout le pays. ⇒ Maître (être maître de). — Anciennt. (Compl. n. de personne). || Posséder des esclaves, des serfs, des paysans. || Posséder des concubines (→ Patriarche, cit. 3). — Vouloir posséder ce qu'ont les autres. ⇒ Jalousie (2.), jaloux (→ Envieux, cit. 3). || « Qui vit content (cit. 7, Boileau) de rien possède toute chose ». || Qui n'a rien à désirer (cit. 3) perd pour ainsi dire tout ce qu'il possède (→ Malheureux, cit. 9). || Ce qu'on désire (cit. 5) posséder.
1 Il n'est pas nécessaire de pouvoir disposer d'une chose (…) pour l'avoir; il suffit qu'elle nous appartienne; mais pour la posséder, il faut qu'elle soit en nos mains, et que nous ayons la liberté actuelle d'en disposer, ou d'en jouir.
2 Toutes les occupations des hommes sont à avoir du bien; et ils n'ont ni titre pour le posséder justement, ni force pour le posséder sûrement (…)
Pascal, Pensées, VII, 436 bis.
3 Un amateur du jardinage,
Demi-bourgeois, demi-manant,
Possédait en certain village
Un jardin assez propre, et le clos attenant.
La Fontaine, Fables, IV, 4.
4 Ils appellent à leur secours l'ami Gousse. Celui-ci, sans mot dire, vend tout ce qu'il possède, linge, habits, machines, meubles, livres; fait une somme, jette les deux amoureux dans une chaise de poste, les accompagne à franc étrier jusqu'aux Alpes (…)
Diderot, Jacques le fataliste, Pl., p. 557.
5 Quand tu trouves un diamant qui n'est à personne, il est à toi. Quand tu trouves une île qui n'est à personne, elle est à toi. Quand tu as une idée le premier, tu la fais breveter : elle est à toi. Et moi je possède les étoiles, puisque jamais personne avant moi n'a songé à les posséder.
Saint-Exupéry, le Petit Prince, XIII.
♦ Par plaisanterie :
6 Un soir, venant de perdre une bataille honnête,
Ne possédant plus rien qu'un grand mal à la tête,
Je regardais le ciel (…)
A. de Musset, Poésies nouvelles, « Une bonne fortune » XXIII.
7 (…) je ne possède que des dettes (…)
Chateaubriand, Mémoires d'outre-tombe, t. V, p. 160.
♦ Absolt. || Désirer (cit. 15) avec force, c'est presque posséder. || Posséder et donner (→ Joie, cit. 24). || Faim (cit. 15) d'avoir et de posséder. ⇒ Convoiter, convoitise. || Ceux qui possèdent. ⇒ Possédant. → Classe, cit. 5; contrat, cit. 6; 1. loi, cit. 10. || « Posséder est peu de chose, c'est jouir qui rend heureux » (cit. 37).
8 Un vieillard n'existe que par ce qu'il possède. Dès qu'il n'a plus rien, on le jette au rebut.
F. Mauriac, le Nœud de vipères, I, III.
8.1 La Propriété, c'est la source de bien des malheurs, se met tout à coup à débiter le père Taupe, d'une voix monotone (…) Le secret du bonheur, c'est de ne pas posséder. Pour vivre heureux, vivons cachés, et pauvres, car moins l'on possède, plus on échappe à la fatalité.
R. Queneau, le Chiendent, p. 283.
♦ Dr. || La personnalité, aptitude à posséder (→ Patrimoine, cit. 3). || Posséder par propriété, à titre précaire, à juste titre, de bonne foi… ⇒ Possession. || Posséder pour soi; pour autrui (code civil, art. 2236).
9 On est toujours présumé posséder pour soi, et à titre de propriétaire, s'il n'est prouvé qu'on a commencé à posséder pour un autre.
Code civil, art. 2230.
♦ Par ext. (Le compl. désigne un avantage par un mot abstrait). Avoir en propre. || Posséder des charges, des dignités… || Posséder le pouvoir (→ Arbitraire, cit. 6). || Posséder des droits (3. Droit, cit. 3 et 8).
10 Vous seul ne pourriez pas ce que peut le vulgaire,
Et seriez devenu, pour avoir tout dompté,
Esclave des grandeurs où vous êtes monté !
Possédez-les, Seigneur, sans qu'elles vous possèdent.
Corneille, Cinna, II, 1.
11 (…) dans la société féodale, la justice se rendait le plus souvent au nom de la force. Qui possédait la meilleure épée, possédait le droit.
Fustel de Coulanges, Leçons à l'Impératrice, p. 184.
♦ (Sujet n. de chose : collectivité, etc.). || État qui possède une aristocratie (cit. 7). || Pays qui possède de grandes richesses naturelles (⇒ Abonder, renfermer), plusieurs gisements de houille (⇒ Compter)…, un empire colonial… (⇒ Possession).
12 (…) un pays qui possède un territoire, un empire colonial (…)
Martin du Gard, les Thibault, t. VI, p. 126.
2 Avoir en propre (une chose abstraite, idée, sentiment, caractère, qualité) dont on peut jouir, profiter. || Posséder, prétendre posséder la vérité (→ Anéantir, cit. 2; discussion, cit. 6; incompréhensible, cit. 5). || Posséder une certitude. || Posséder le secret de qqn, la preuve de qqch. ⇒ Détenir. — Relig. || Posséder la gloire éternelle. — Posséder le vrai bonheur (→ Lambris, cit. 5), la joie (→ Créer, cit. 13).
13 (…) il ne suffit pas de posséder une vérité, il faut que la vérité nous possède.
Maeterlinck, le Trésor des humbles, XII.
14 On ne possède réellement que ce qu'on désire, car il n'est pas pour l'homme de possession totale, absolue.
Bernanos, Journal d'un curé de campagne, p. 143.
♦ (1580, Montaigne). Avoir (une qualité, une vertu, un talent). — REM. Cet emploi, admis par l'Académie (8e éd.), ne se justifie que lorsque posséder renchérit sur avoir par l'idée d'exclusivité, de permanence ou d'utilité de la qualité envisagée. — Posséder des facultés (→ Équilibre, cit. 14), une supériorité (→ Géomètre, cit. 2), des talents (→ Peindre, cit. 11; imitation, cit. 2). || Posséder une longue expérience (→ Désagréable, cit. 4), une mémoire excellente (→ Lacune, cit. 5). || Posséder une nature d'esprit (cit. 132), des manières nobles (→ Autre, cit. 93), un air comme il faut (cit. 36). || Posséder à la fois charme et beauté. ⇒ Unir.
15 (…) il croit, avec quelque mérite qu'il a, posséder tout celui qu'on peut avoir, et qu'il n'aura jamais (…)
La Bruyère, les Caractères, I, 24.
16 Pour avoir du talent, il faut être convaincu qu'on en possède (…)
Flaubert, Correspondance, 323, 30 mai 1852.
♦ (En parlant de caractères physiques). || Posséder un corps souple (→ Avantage, cit. 18), une encolure de taureau, d'immenses narines (cit. 6). — REM. Cet emploi constitue soit un figuré plaisant du sens 1 (→ ci-dessus, cit. 6, Musset), soit une redondance fâcheuse par rapport à avoir.
17 Waterspiel possédait une voix de clown, une large bedaine et des paupières au bord enflammé, si bien qu'il avait toujours l'air de rire.
G. Duhamel, la Pierre d'Horeb, XIV.
18 (le médecin-chef) venait d'être nommé à quatre galons. Cet homme possédait en plus les plus beaux yeux du monde (…) il s'en servait beaucoup pour l'émoi de quatre charmantes infirmières (…)
Céline, Voyage au bout de la nuit, p. 82.
♦ Sc. (Sujet n. de chose). Avoir en propre et en permanence. || Posséder certains caractères, certaines propriétés (→ 2. Ensemble, cit. 18; haschisch, cit. 2; oxygène, cit. 2). — Cour. (Emploi critiqué). Avoir. || Ses oreilles possédaient une sorte de mobilité (cit. 2)… || L'avion possède une ceinture de hublots (cit. 4).
3 (Mil. XVIIe). Avoir une connaissance de (qqch.). ⇒ Connaître (I., 2.). || Posséder un art, un métier (cit. 16), une technique… || Posséder un idiome (cit. 3), une langue étrangère, une science (→ Mécanique, cit. 11). || Posséder son latin, son grec…, son Shakespeare… || Posséder à fond les principes d'hygiène (cit. 2). || Posséder son rôle, le connaître parfaitement, le jouer avec maîtrise (→ Acteur, cit. 8).
19 Ceux qui possèdent Aristote et Horace voient d'abord (…) que cette comédie pèche contre toutes les règles de l'art.
Molière, Critique de l'École des femmes, 6.
20 (Ils) embrassent toutes (les connaissances) et n'en possèdent aucune (…)
La Bruyère, les Caractères, XIII, 2.
21 Pour suffire aux exigences imprévues des auteurs, il faut posséder à fond tous les pays, toutes les époques, tous les styles; il faut connaître la géologie, la flore et l'architecture des cinq parties du monde.
Th. Gautier, Portraits contemporains, Joseph Thierry.
22 Mais je doute que l'on trouve beaucoup d'exemples de grands écrivains qui ne possèdent admirablement leur langue, qui ne sachent profiter et jouer de ses ressources, tout en tenant compte de ses règles, fût-ce en les bousculant un peu.
Gide, Attendu que…, p. 51.
4 Être en mesure de profiter, de jouir de (un sentiment, chez une autre personne). || Posséder l'amour, l'affection d'une femme. || Posséder les faveurs, les bonnes grâces. — Posséder le cœur (cit. 75) d'une femme.
23 Ne possédez-vous pas son oreille et son cœur ?
Racine, Esther, III, 2.
24 Autrefois on rêvait de posséder le cœur de la femme dont on était amoureux; plus tard, sentir qu'on possède le cœur d'une femme peut suffire à vous en rendre amoureux.
Proust, Du côté de chez Swann, Pl., t. I. p. 196.
♦ Par ext. (Compl. nom de personne).
a (XVIIe, Sévigné). Vx. Avoir avec soi, profiter de la présence et de la compagnie de… — Spécialt. « Jouir de la présence d'une personne dont la vie se prolonge » (Bossuet, in Littré). || « J'ai l'inappréciable (cit. 3) bonheur de posséder encore ma mère » (Duhamel). ⇒ Avoir.
b (XVIIe). || Posséder une femme : jouir de ses faveurs, en être aimé (dans les rapports sentimentaux aussi bien que physiques). → Amour, cit. 11; assouvissement, cit. 6. || Posséder une femme tout entière (cit. 18), corps et âme… — REM. Cet emploi, de nos jours, comporte souvent l'idée d'appropriation, de domination exercée sur la personne que l'on possède (→ ci-dessous la cit. de Proust qui constitue un jeu de mots avec le sens 1).
25 J'avais rassemblé mes plus tendres affections dans une personne selon mon cœur, qui me les rendait. Je vivais avec elle sans gêne, et pour ainsi dire à discrétion (…) En la possédant, je sentais qu'elle me manquait encore, et la seule idée que je n'étais pas tout pour elle faisait qu'elle n'était presque rien pour moi.
Rousseau, les Confessions, IX.
26 (…) les femmes de notre faubourg aiment, comme toutes les autres, à se baigner dans l'amour; mais elles veulent posséder sans être possédées.
Balzac, la Duchesse de Langeais, Pl., t. V, p. 200.
27 (…) quand je commençais à regarder Albertine comme un ange musicien merveilleusement patiné et que je me félicitais de posséder, elle ne tardait pas à me devenir indifférente; je m'ennuyais bientôt auprès d'elle, mais ces instants-là duraient peu : on n'aime que ce en quoi on poursuit quelque chose d'inaccessible, on n'aime que ce qu'on ne possède pas, et bien vite je me remettais à me rendre compte que je ne possédais pas Albertine.
Proust, la Prisonnière, Pl., t. III, p. 384.
28 Ce que vous appelez, mon cher maître, l'orgueil du mâle est si fort, et le fait d'avoir vraiment possédé une femme, d'avoir eu d'elle et son corps, et son âme, et ses sentiments, et ses sensations, satisfait cet orgueil (…)
Paul Bourget, le Disciple, IV, VI.
29 (…) les êtres sont incommunicables et se dérobent à toutes les observations : en particulier, la personne aimée nous est complètement étrangère; nous ne la possédons jamais.
J. Chardonne, Éva…, p. 16.
♦ Spécialt. Vx. Épouser (une femme). Cf. Beaumarchais, le Barbier de Séville, IV, 1.
c (XVIIe). Avoir des rapports sexuels de type viril avec (un ou une partenaire). || Posséder une femme, accomplir avec elle l'acte sexuel. ⇒ Connaître (II., 3.), pénétrer, prendre (→ Difficile, cit. 32); (fam.) baiser, bourrer, enfiler, piner, tringler… → Envoyer (s'), faire (se), payer (se).
30 Leur passion bien préparée avait grandi par ce qui tue les passions, par la jouissance. En possédant cette femme, Eugène s'aperçut que jusqu'alors il ne l'avait que désirée, il ne l'aima qu'au lendemain du bonheur : l'amour n'est peut-être que la reconnaissance du plaisir.
Balzac, le Père Goriot, Pl., t. II, p. 1057.
31 Nous nous persuadons qu'un corps peut être possédé (…) Nous entrons en lui, nous buvons son souffle nous ne le possédons pas (…) Nous ne trouvons jamais ce corps que nous cherchions.
F. Mauriac, le Fleuve de feu, II, p. 123.
d (XVIIe, fig. du sens 1). Fig. Exercer une domination sur qqn, le tenir à sa merci (→ Domination, cit. 5). Absolt. → Esclave, cit. 6.
32 (…) les becs de gaz faisaient danser devant ses yeux des nudités, les bras souples, les épaules blanches de Nana; et il sentait qu'elle le possédait, il aurait tout renié, tout vendu, pour l'avoir une heure le soir même.
Zola, Nana, V.
e (1910, « se moquer de…, tromper », in Chautard; 1914, « forcer à faire quelque chose », in Dauzat). Fam. (Du sens sexuel). Avoir le dessus sur (qqn), et, spécialt, en trompant, en dupant… || Il nous a bien possédés ! ⇒ Avoir (supra cit. 56), feinter, pigeonner, rouler. || Se faire posséder.
5 (XVIe, Montaigne). Le sujet désigne un sentiment, une tendance. Dominer moralement (qqn), s'emparer de son esprit, de son âme. ⇒ Dominer. || La jalousie le possède, le tient, le subjugue. || Quel chagrin (2. Chagrin, cit. 17) vous possède ? || Une certitude inébranlable le possède (→ Entêtement, cit. 5). Au p. p. || Possédé par l'ambition (→ Impossible, cit. 20), de l'envie de… (→ Parader, cit.). || Cet homme pris et possédé de son savoir (→ Guet, cit. 5). — Son talent le possède (→ Maîtrise, cit. 9).
33 (…) — Cet amour, Seigneur, qui vous possède.
Racine, Britannicus, III, 1.
34 — Quoi ! cette égoïste passion de l'âge mûr s'est emparée de vous, à vingt ans, Henri ! L'ambition est la plus triste des espérances. — Et cependant elle me possède à présent tout entier; car je ne vis que par elle, tout mon cœur en est pénétré.
A. de Vigny, Cinq-Mars, XI.
35 J'attendais une révélation. L'incroyable certitude me possédait que cette soirée où j'avais quinze ans me réservait des surprises infinies (…)
F. Mauriac, la Robe prétexte, X.
♦ (Le sujet désigne une chose concrète). || Ce malheureux « ne possédait pas l'or, mais l'or (1. Or, cit. 17) le possédait » (La Fontaine).
36 L'aîné possédera seul; que dis-je, c'est lui qui est possédé : les usages de sa terre le dominent, ce fier baron; sa terre le gouverne, lui impose ses devoirs; selon la forte expression du moyen âge, il faut qu'il serve son fief.
Michelet, Hist. de France, IV, II.
6 Vx. ou littér. Dominer, maîtriser (ses propres états). ⇒ Contenir, maîtriser. || Posséder son âme (→ Calmer, cit. 6, Sévigné). || Posséder sa colère, sa douleur… → ci-dessous Se posséder.
37 (…) sa pensée semblait haleter comme une respiration (…) La possession complète de soi-même (…) Sa voix saccadée était pénétrée d'une certitude sauvage, mais il semblait bien plus posséder son exaltation qu'être possédé par elle.
Malraux, la Condition humaine, IV, 11 avril, Une heure.
7 (XVIIe). S'emparer du corps et de l'esprit de (qqn), en parlant d'une force occulte, surnaturelle (esprit, démon…). || Un démon le possède (→ ci-dessous Possédé).
38 Un démon m'habitait. Il ne me posséda jamais plus impérieusement qu'à notre retour à Alger (…)
Gide, Et nunc manet in te, Journal intime, 8 févr. 1939.
♦ Relig. (En parlant de la grâce, de l'esprit divin…).
39 (…) c'est un Dieu qui remplit l'âme et le cœur de ceux qu'il possède (…)
Pascal, Pensées, VIII, 556.
40 Donc, ceux qui étaient possédés quelque temps de la grâce par ce premier effet, cessent de prier, manque de ce premier effet.
Pascal, Pensées, VII, 514.
——————
se posséder v. pron.
♦ (→ ci-dessus, 6.). ⇒ Contenir (se), dominer (se), maîtriser (se). || Un homme calme et froid, qui se possède parfaitement. || La modération (cit. 1) est l'état d'une âme qui se possède. — (Plus fréquemment au négatif). || Ne pas se posséder : perdre son sang-froid, s'emporter. || Il ne se possédait pas (→ 1. Pensée, cit. 5). || Il ne se possède plus de joie : il est transporté, il ne se sent pas de joie.
41 Je prie à tout hasard; et quoi qu'il m'advînt, je ne m'en réjouirais ni m'en plaindrais, si je me possédais; mais c'est que je suis inconséquent et violent, que j'oublie mes principes ou les leçons de mon capitaine et que je ris et pleure comme un sot.
Diderot, Jacques le fataliste, Pl., p. 640.
42 Encore à cette seconde, elle pouvait rattraper la phrase, lâchée dans un oubli de tout. Il lui aurait suffi de rire, de jouer l'étourdie. Mais elle s'entêta, ne se possédant plus, inconsciente.
Zola, la Bête humaine, I.
——————
possédé, ée p. p. adj. et n.
1 Les biens possédés de bonne foi. — Fig. || Le bonheur pleinement possédé. — Fam. || Il a été bien possédé (→ ci-dessus 4., e.).
2 (XVe). Spécialt. → ci-dessus, 7. Se dit de la personne dont une puissance occulte, surnaturelle…, s'est emparée. || Possédées d'un démon (→ 2. Griot, cit. 1), du démon (→ Muet, cit. 17), du diable, par des esprits malins (→ Exorciste, cit.1). Par métaphore. || « (…) et comme possédé par le démon (cit. 11, Chateaubriand) de mon cœur ». || La cathédrale (cit. 2) était possédée et remplie de Quasimodo. — Absolt. || Elles étaient possédées (→ Ensorceler, cit. 1).
♦ (XVIIe). N. || Un possédé, une possédée. ⇒ Démoniaque (→ Démon, cit. 12). || Les possédées de Loudun. || Exorciser (cit. 4) un possédé (→ Horoscope, cit. 3). — Les Possédés, roman de Dostoïevski.
43 (…) la chicane s'était emparée du corps de ce petit homme, de la même manière que le Démon se saisit du corps d'un possédé.
Furetière, le Roman bourgeois, I, p. 13.
44 — (…) Cependant, Jacques, si vous étiez possédé… — Quel remède y aurait-il à cela ? — Le remède ! ce serait, en attendant l'exorcisme… ce serait de vous mettre à l'eau bénite pour toute boisson.
Diderot, Jacques le fataliste, Pl., p. 726.
44.1 (…) comme la pythie de Delphes est possédée d'Apollon, la Grèce est la possédée d'un romanesque ébloui.
Malraux, la Métamorphose des dieux, p. 57.
♦ ☑ (1709). Loc. Se démener, jurer comme un possédé. ⇒ Furieux, insensé. — Fig. (→ Furie, cit. 4; obséder, cit. 7).
45 Pourquoi dit-on un amoureux ? On devrait dire un possédé. Être possédé du diable, c'est l'exception; être possédé de la femme, c'est la règle. Tout homme subit cette aliénation de soi-même. Quelle sorcière qu'une jolie femme !
Hugo, l'Homme qui rit, II, III, IX.
❖
COMP. Coposséder, déposséder.
Encyclopédie Universelle. 2012.