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MÉMOIRE
MÉMOIRE

La mémoire est la propriété de conserver et de restituer des informations. Cette propriété n’est pas exclusivement propre à l’homme. Celui-ci la partage avec les organismes vivants et certaines machines, de sorte qu’il est nécessaire de préciser de quel type de mémoire on parle. L’hérédité elle-même, en tant que conservation et transmission des informations nécessaires à la vie, peut être considérée comme une mémoire. La mémoire humaine est complexe dans la mesure où elle est le produit d’une triple évolution: phylogénétique (car l’espèce humaine est le point culminant d’une longue évolution biologique), historique et génétique. L’organisme humain dispose de plusieurs niveaux de mémoire plus ou moins complexes. Au niveau biologique, les cellules et les tissus sont capables de mémoire, d’une mémoire élémentaire, certes, mais réelle, en ce qu’elle comporte des phénomènes aussi variés que l’immunisation ou l’accoutumance aux drogues. Le deuxième niveau correspond à la mémoire du système nerveux, qui est essentiellement de type associatif et qui permet des acquisitions dont la complexité correspond à celle des structures nerveuses intéressées, en même temps qu’elle dépend des conditionnements et des apprentissages sensorimoteurs; c’est à ce niveau que se rattachent la plupart de nos habitudes consistant, par exemple, à marcher, manger, à conduire un véhicule. Le troisième niveau est celui de la mémoire représentative (correspondant au sens courant du mot «mémoire»); il est extrêmement complexe, car il nécessite des opérations mentales qui permettent de se représenter les objets ou événements en leur absence et dont les principaux modes sont le langage et l’image mentale visuelle. Néanmoins, le langage n’est pas un mode inné de représentation, et c’est la raison pour laquelle la mémoire de l’homme actuel est aussi le résultat d’une évolution historique. De l’histoire de l’homme est né le langage, ainsi que son intelligence et des «produits» culturels qui permettent notamment la faculté d’évaluer le temps; sans celle-ci, notre mémoire serait incomplète; les systèmes chronologiques, le calendrier, le découpage horaire, par exemple, rendent possible la référence au passé dans nos souvenirs. Enfin, la mémoire adulte est le résultat d’une évolution génétique, qui a suivi, à partir de l’enfance, les étapes de la maturation, de l’acquisition du langage et du développement des structures logiques.

L’étude de la mémoire, qui n’est parvenue à son âge scientifique qu’avec l’école behavioriste et surtout depuis la révolution informatique, semble remonter à l’Antiquité. Selon une tablette datant d’environ 264 avant J.-C., Simonide de Céos, poète grec du Ve siècle avant J.-C., aurait découvert la méthode des lieux, qui consiste à transformer en images mentales ce qu’on doit apprendre et à situer ces images par rapport à un itinéraire connu (telle rue, par exemple; tel ou tel emplacement à l’intérieur d’une maison, etc.). Cette conception d’une mémoire envisagée comme réserve d’images sera très répandue et s’imposera pratiquement jusqu’à Descartes. Quelques auteurs cependant n’y souscriront pas; c’est notamment le cas d’Aristote, pour qui la mémoire se caractérise par une sorte de recherche apparentée au syllogisme (préfiguration de l’opération logique) et par une référence au passé. À partir de Descartes et des philosophes anglais du XVIIIe siècle, le langage reprend ses droits et les images ne sont plus considérées comme le mode de représentation dominant de la mémoire; Hume et James Mill notamment voient en celle-ci un réseau associatif de souvenirs. La période scientifique commence avec le psychologue allemand Hermann Ebbinghaus (1850-1909), qui publie en 1885 la première étude expérimentale de la mémoire et qui établit la première courbe de l’oubli. Après lui, Alfred Binet étudie la mémoire des textes, Bartlett la déformation des souvenirs, Pierre Janet l’évolution de la mémoire, Théodule Ribot l’estimation temporelle des souvenirs... Mais la méthode expérimentale demeure alors fondée plutôt sur des observations que sur des données quantifiées. La rigueur scientifique en la matière est venue principalement de John Watson et de ses successeurs, qui, guidés par les principes du behaviorisme, ne prennent en considération que les faits observables, c’est-à-dire les stimulations que reçoit l’organisme et les réponses qu’il fournit. Pendant cette période et jusqu’aux années 1950, l’étude de la mémoire, tout en gagnant en rigueur, y perdra néanmoins du point de vue de la richesse et de la pertinence des théories, le mécanisme de base retenu étant alors l’association, ainsi que le conditionnement, et toute hypothèse sur des mécanismes mentaux, tels que les images et les opérations logiques, se trouvant ainsi bannie. L’essor de l’informatique, issu de l’effort de guerre, entraîna, à partir de 1950 environ, une révolution technique et théorique qui amena à concevoir la mémoire humaine non plus comme un «filet» dont les mailles sont les souvenirs, mais comme un ordinateur.

C’est essentiellement cette conception qui sous-tend les grandes théories actuelles, en se modulant en fonction des principales voies d’approche du problème. L’approche psychologique regroupe toutes les méthodes d’étude qui supposent l’intégrité des mécanismes; elle cherche à identifier les principales structures et les principaux codes de la mémoire, les mécanismes d’enregistrement, de stockage et de récupération de l’information... L’approche neurophysiologique ou pathologique s’intéresse aux structures nerveuses qui jouent un rôle dans la mémoire; elle s’occupe par exemple d’évaluer, d’après leur activité électrique ou chimique, l’importance de ces dernières et, par là, de déterminer leur rôle spécifique. Chez l’animal, des lésions provoquées ou des stimulations émises au moyen d’électrodes implantées de façon permanente permettent d’entrevoir le rôle de telle ou telle structure. À cette méthode d’investigation correspondent, chez l’homme, les lésions naturelles ou certaines stimulations électriques effectuées pendant une opération sur le cerveau. Les progrès considérables de la biochimie de la mémoire ont, pour leur part, ouvert un champ d’étude très important. Toutes ces voies d’approche – psychologique, neurophysiologique, biochimique – convergent parfois, mais leurs résultats ne permettent pas d’élaborer une théorie générale.

1. L’approche psychologique

L’analogie entre l’homme et l’ordinateur a été fructueuse dans plusieurs directions, notamment dans l’étude des codes, des structures, des mécanismes de stockage et de récupération. Néanmoins, sa valeur reste limitée car la mémoire humaine a ses caractéristiques propres, qui se manifestent dans ses aspects affectifs et sociaux.

Les structures et les codes de la mémoire

Mémoire à court terme et mémoire à long terme

Plusieurs résultats expérimentaux indiquent que la mémoire n’est pas homogène mais qu’elle regroupe deux grandes catégories de mécanismes. La première est caractérisée par une capacité limitée et par un oubli très rapide; pour cette dernière raison, on parle à ce sujet de mémoire à court terme. La seconde catégorie de mécanismes est caractérisée par une grande capacité et par un oubli progressif, qui peut s’étendre sur des années; c’est la mémoire à long terme. Étant donné la relative stabilité des informations dans le cas de cette mémoire à long terme, le problème essentiel est, comme on le verra, celui de l’organisation de ces informations.

Un des phénomènes les plus étranges de la mémoire à court terme est sa capacité limitée (en rappel immédiat). Si l’on présente à un sujet une séquence d’éléments à mémoriser et qu’on lui demande un rappel immédiat, on observe qu’un nombre moyen d’environ sept éléments pourront être rappelés. Le plus curieux est que le nombre des éléments rappelés est à peu près constant, que ces derniers soient des chiffres, des mots, des phrases significatives, ou toutes autres unités familières à la mémoire. L’analogie entre celle-ci et l’ordinateur suggère l’hypothèse que la mémoire à court terme fonctionne ici comme une mémoire fichier qui stocke non pas des quantités d’informations mais des «étiquettes» de programmes, chaque programme concernant des unités familières à la mémoire – chiffres, mots ou phrases.

Mais ces éléments ne sont conservés que pendant quelques secondes; au bout de ce délai, l’oubli est important, comme la technique Brown-Peterson le montre de façon spectaculaire. On présente une séquence de trois consonnes (par exemple, H, B, X) à la vitesse d’une consonne toutes les demi-secondes, puis le sujet doit compter à rebours de trois en trois à partir d’un nombre donné et pendant un délai imposé qui dure de 0 à 20 secondes. Le rappel moyen des séquences diminue alors très rapidement pour devenir nul au bout des 20 secondes. De nombreuses autres techniques indiquent des vitesses d’oubli comparables. Dans la vie quotidienne, ce type d’oubli passe inaperçu, mais il est pourtant très fréquent: c’est le numéro de téléphone que l’on oublie juste après l’avoir lu sur l’annuaire, parce qu’on est interpellé par quelqu’un; c’est l’incapacité de se rappeler de ce que vient de dire à la télévision un journaliste qui parle trop rapidement, etc. Pendant un certain temps, les chercheurs crurent que la mémoire à court terme était une structure simple, mais ils découvrirent, dans les années 1960, qu’elle recouvrait des mécanismes caractérisés par des codes variés.

Les codes de la mémoire humaine

Le développement des techniques de communication nous a familiarisés avec le fait que des informations peuvent être conservées sur des supports très variés: par exemple, une chanson peut être transformée en signaux électriques puis mécaniques, pour être gravée sur un disque ou encore, sous forme d’un nuage de particules métalliques, sur une bande magnétique. Il est donc aisé d’imaginer que la mémoire contient des informations sous la forme de codes spécifiques. Ces codes sont, en fait, nombreux et peuvent être classés en trois catégories: les codes sensoriels, les codes moteurs et les codes symboliques. En principe, la mémoire utiliserait autant de codes sensoriels qu’il y a de modalités sensorielles. On peut, en effet, mettre en évidence l’existence d’une mémoire pour des informations qui seraient, par exemple, tactiles, visuelles, auditives ou olfactives; mais tous ces codes n’ont pas la même importance. Les codes visuels et auditifs sont considérés comme étant les plus importants, car ils constituent les premiers modes d’existence du langage dans la mémoire. L’existence d’un stockage sensoriel visuel de très courte durée a été démontrée au cours d’expériences sur la vision tachystoscopique, c’est-à-dire à l’aide d’un appareil qui permet des présentations très brèves, de l’ordre de quelques millièmes de secondes. Sperling (1960) a montré, avec cette technique, que des sujets ne se rappelaient qu’environ 4 ou 5 lettres d’une planche contenant jusqu’à 12 lettres; comme ses sujets prétendaient voir plus de lettres pendant un instant très court, il eut l’idée d’effectuer un sondage au hasard en ne faisant rappeler qu’une rangée de 4 lettres parmi trois rangées, selon un signal déterminé. Les sujets se rappellent alors environ 3 lettres sur 4, soit, si l’on généralise à la totalité de la planche, environ 9 lettres sur 12. Mais ce supplément de stockage est très fragile dans le temps et il disparaît si le signal d’échantillonnage est seulement différé d’une demi-seconde au plus. Le fait que ce supplément de stockage soit aussi très sensible à des interférences visuelles (flash lumineux, figures visuelles) montre qu’un tel stockage est sensoriel et visuel; pour le différencier de l’image mentale visuelle, plus résistante dans le temps, certains spécialistes parlent de code iconique. Le code auditif porte sur des temps un peu plus longs (de 2 à 3 secondes). C’est ainsi que des séquences de lettres présentées auditivement sont mieux retenues en rappel immédiat que des séquences identiques présentées visuellement. D’autres codes sensoriels sont plus délicats à étudier; c’est notamment le cas du code olfactif. Des comparaisons entre la discrimination de certaines odeurs et celle de certaines figures visuelles abstraites montrent que les odeurs sont difficiles à discriminer et qu’elles sont aussi moins bien retenues que des figures visuelles pourtant complexes. Les codes moteurs ont été peu étudiés, mis à part le code vocal dont l’observation est possible par l’articulation à voix haute ou par l’articulation à voix basse (subvocalisation); la vocalisation est spécialement importante (par exemple, par rapport au code graphique), car elle intervient automatiquement pour recoder implicitement toute information linguistique présentée visuellement. Cette activité de subvocalisation est d’autant plus importante que l’information présentée – par exemple, la lecture d’un texte – est difficile à comprendre; aussi suppose-t-on que le recodage du code visuel en code auditif-vocal est utile pour préserver l’ordre des mots dans les phrases, ordre qui n’est qu’imparfaitement conservé avec le code visuel, du fait peut-être que la lecture se fait par saccades et non de façon continue. Tous ces codes sont transitoires et l’information ainsi véhiculée semble finalement être codée sous la forme de l’un des deux codes symboliques que sont le code linguistique et le code imagé et que l’on retrouvera plus loin, car ils correspondent aux principaux modes de représentation à long terme de l’information.

Le stockage et l’organisation des informations

Les mécanismes de stockage

D’après les recherches récentes, la mémoire à court terme ne paraît pas spécialement liée à des codes déterminés mais plutôt à un état d’activation temporaire de n’importe quel type de code. Pour qu’une séquence d’informations puisse dépasser cet état d’activation à court terme pour engendrer un état stable de stockage à long terme (la mémoire à long terme), deux catégories de mécanismes doivent entrer en jeu: des mécanismes physiologiques, qui dépendent du temps de présentation ou du nombre de répétitions, et des mécanismes psychologiques d’organisation des informations.

Quelles que soient les activités mentales qui accompagnent la mémorisation, le nombre de répétitions et le temps de présentation de ce qui est à apprendre améliorent la rétention à long terme; c’est ce qu’on appelle l’apprentissage par cœur. D’autres variables paraissent jouer un rôle facilitateur, telles la motivation et la tonalité affective: ainsi, les souvenirs qui peuvent être rappelés au bout de plusieurs années portent sur des événements qui sont soit très agréables, soit très désagréables.

Les mécanismes d’organisation sont moins automatiques et dépendent d’activités mentales variées. Comme l’a montré Georges Miller (1956), en s’appuyant sur l’expérience de Smith, ils consistent à grouper des «morceaux» d’informations de façon à diminuer la charge de la mémoire à court terme. Smith apprend, dans une première phase, la correspondance entre le code binaire et le code décimal (01=1, 10=2, 11=3, 100=4, 101=5, 110=6, 111=7, 1000=8, etc.). Lorsqu’on lui lit une séquence de chiffres binaires (par exemple, 10110001010111...), il est capable d’en rappeler douze (performance supérieure à la capacité moyenne de 7). Dans une seconde phase, il effectue mentalement des groupements de 2 chiffres binaires quand on lui lit une nouvelle séquence; et il code mentalement chaque groupe par le symbole décimal qui lui correspond: par exemple, 10 devient 2, 11 devient 3, etc. Étant donné que la capacité de mémorisation du sujet est constante (12), il est capable de retenir 12 symboles décimaux, ce qui permet, au rappel, de décoder ces 12 symboles décimaux en 24 chiffres binaires. Puis, dans d’autres phases, il forme des groupes de 3 ou 4 chiffres binaires et les code, de façon économique, en un symbole décimal, ce qui lui permet de tripler sa capacité; la limite est atteinte pour des groupes de 4, car un groupe ne peut plus alors être codé par un seul symbole décimal. Pour Miller, ce codage d’intégration est le prototype de ce qui se passe dans la mémorisation, avec des variantes dues à la nature de l’information: par exemple, le langage offre une hiérarchie de codes d’intégration et des symboles regroupant des informations plus nombreuses; les sons sont groupés en lettres, les lettres en syllabes puis en mots, les mots en phrases. Les images et les idées correspondent aussi à des symboles d’ordre supérieur qui permettent le groupement de nombreux mots.

L’organisation des informations dans la mémoire

La variété des mécanismes de stockage a pour conséquence une grande diversité en ce qui concerne l’organisation stable des informations dans la mémoire. Les associations verbales paraissent constituer un premier mode élémentaire d’organisation pour l’information linguistique. Certains mots évoquent de façon relativement stable d’autres mots: par exemple, «abeille» évoque plus fréquemment «miel» et «ruche» que d’autres mots. Au début des recherches sur cette question, on pensait que les associations reflétaient le rôle de l’apprentissage par cœur, les mots appris ensemble (tels que «abeille» et «miel») restant associés dans la mémoire. Cette hypothèse est sans doute en partie vraie, mais elle est incomplète, car les associations des adultes ne sont pas les mêmes que celles des enfants. Ainsi, les adultes font souvent des associations par opposition (chaud-froid, homme-femme), tandis que les enfants font des associations par contiguïté (homme-travail, etc.), de sorte qu’il faut voir, dans la formation des associations verbales, le résultat d’opérations logiques, catégorielles ou d’opposition. Le rôle important de la catégorisation a été retrouvé au cours de nombreuses recherches: il est, par exemple, très facile de mémoriser des listes de mots qui peuvent être groupés dans des catégories naturelles (animaux, plantes, etc.). La catégorisation apparaît comme un cas particulier fort important d’un processus général, l’abstraction. Lorsque les mots permettent une catégorisation, cette dernière est souvent hiérarchique: par exemple, les noms de chiens se regroupent dans la catégorie des chiens, mais celle-ci peut elle-même être associée avec d’autres catégories («chats», «oiseaux») dans celle des animaux; et l’on peut ainsi constituer des arbres hiérarchiques plus ou moins compliqués reflétant une abstraction plus poussée. L’abstraction exerce encore son rôle, même quand les catégories naturelles n’apparaissent pas. Ainsi, a-t-on pu montrer que, dans la rétention à long terme de textes, l’information retenue devient de plus en plus abstraite à mesure que le temps s’écoule, de sorte qu’on en vient à ne plus se souvenir, au bout de plusieurs mois, que des thèmes généraux.

Le langage constitue donc l’un des deux grands modes de représentation de l’information dans la mémoire, englobant à lui seul un grand nombre de codes spécialisés (graphique, phonétique, sémantique...). Le second de ces modes est l’image visuelle. Si le premier mode de représentation aboutit à une sorte de mémoire conceptuelle, le second aboutit à une mémoire analogique de type visuel-spatial, dont on a un bon exemple dans l’expérience qui consiste à demander à quelqu’un ce qu’est un escalier hélicoïdal: la plupart du temps, le sujet répond par un geste qui reproduit dans l’espace la forme en question. Il est aussi très vraisemblable que l’on recourt à des représentations imagées ou analogiques pour répondre à certaines questions telles que «combien de fenêtres avez-vous dans votre maison?» ou bien «est-ce qu’un canari est bleu?». De nombreuses recherches ont établi que la présentation de dessins est plus efficace pour la mémorisation que la présentation des mêmes objets sous forme de mots, et que le recodage mental des mots en images mentales facilite la mémorisation. Des expériences minutieuses ont montré que cette efficacité était due, en fait, à un double codage: lorsqu’un dessin est présenté, il est automatiquement dénommé, de sorte que l’information est enregistrée sous la forme de deux codes, le code imagé et le code verbal. Ces deux codes apparaissent finalement comme très complémentaires l’un de l’autre, le code imagé étant pertinent pour l’information spatiale globale, mais déficient pour le code de l’ordre séquentiel, alors que le code verbal est approprié pour le codage de l’ordre des informations, pour l’analytique. L’alliance des codes imagé et verbal est donc d’une très puissante efficacité, ce qui explique le succès des moyens de communication qui sont fondés sur la complémentarité des deux codes et qu’on qualifie d’audio-visuels (improprement, d’ailleurs, puisque dans les bandes dessinées, le langage est présenté graphiquement, c’est-à-dire visuellement, et non auditivement).

Le langage et l’image sont plus ou moins dépendants des structures et fonctions opératoires telles que la classification, la sériation, la double classification, la réversibilité, etc. J. Piaget et B. Inhelder (1968) ont montré que des configurations spatiales sont correctement rappelées après de longs délais à condition qu’elles correspondent à des structures logiques. À l’inverse, si ces configurations sont en contradiction avec une structure logique sous-jacente, se produisent à long terme des déformations des souvenirs que l’on appelle des schématisations. Par exemple, si l’on présente à des enfants des jetons noirs ou blancs et grands ou petits disposés spatialement pour former deux cercles en intersection, la figure perceptive dominante est celle d’une ellipse au milieu de deux cercles incomplets, soit trois figures; comme la structure sous-jacente est une double classification, une représentation spatiale correcte nécessite quatre parties (par exemple, un tableau avec quatre cases); aussi les enfants reproduisent-ils souvent comme souvenir un petit cercle à l’intérieur d’un grand cercle, chaque cercle étant coupé en deux, ce qui correspond à un compromis entre le souvenir de cercles comme formes perceptives et le souvenir des quatre parties de la structure logique sous-jacente.

Les processus de récupération et l’oubli

Les processus de récupération

En prenant l’ordinateur pour modèle de la mémoire, on a fait l’hypothèse que, pour retrouver des informations, il faut disposer de l’«adresse» de l’emplacement où est stockée une information spécifique (par exemple, sur quelle bande magnétique et à quel emplacement). Certains chercheurs, dont Endel Tulving (Tulving et Pearlstone, 1966), ont alors émis l’idée que certains indices jouent, pour la mémoire, ce rôle d’adresse en mémoire et facilitent le rappel. Effectivement, quand des noms de catégories sont donnés, lors de l’expérience de rappel des sujets, ceux-ci parviennent à un rappel meilleur que des sujets contrôles, qui ne bénéficient pas de cette aide. On a montré, par ailleurs, que pouvaient servir d’indices de récupération d’autres mots, ainsi que des parties de mots telles l’initiale, la première syllabe ou la rime. Telle photographie de l’album de famille ou certains lieux de notre enfance jouent également le rôle d’indices de récupération pour des souvenirs.

Le mécanisme de rappel avec indices apparaît comme général au point que le rappel libre lui-même peut être interprété comme un rappel de cette sorte, les indices étant, en l’occurrence, les informations contenues dans la mémoire à court terme au moment du rappel. La conséquence théorique de cette hypothèse est que l’on peut imaginer l’existence d’une organisation entre les indices contenus dans la mémoire à court terme, organisation qui aboutirait à diminuer la surcharge de celle-ci. On a pu constituer une telle organisation en construisant des listes dont les mots sont regroupés en catégories, puis en super-catégories d’ordre plus élevé. Certains procédés mnémotechniques, qu’on appelle des plans de récupération, correspondent à des organisations de ce type: par exemple, la phrase: «Cambronne, s’il eût été dévot, n’eût pas carbonisé son père» est un plan de récupération qui unit, au moyen d’une phrase les premières syllabes des mots désignant les périodes géologiques de l’ère primaire: cambrien, silurien, dévonien, carbonifère, permien.

La reconnaissance d’une information spécifique parmi d’autres se présente aussi comme un cas particulier, très efficace, de rappel avec indices, les indices étant alors fournis par une copie très semblable à l’information originale: par exemple, quand on mélange des mots d’une liste avec des mots pièges. La modification du contexte de récupération de l’information cible par rapport à son contexte d’enregistrement diminue la reconnaissance, ce qui montre que cette dernière est un rappel qui dépend aussi de la richesse des indices: par exemple, la reconnaissance d’un visage sur une photographie diminue environ de moitié si le chapeau est changé dans l’épreuve de reconnaissance (Brutsche et Tiberghien, 1981).

Les mécanismes de l’oubli

Si l’on met à part l’oubli de la mémoire à court terme, vraisemblablement dû au caractère transitoire de l’activité bio-électrique des circuits de neurones, et l’oubli consécutif à des lésions neurologiques, l’oubli semble, en général, provoqué par des interférences. De nombreuses expériences ont permis d’établir qu’il dépend principalement de la quantité d’informations apprises avant une liste test (interférence proactive) ou après (interférence rétroactive): plus on apprend et plus on oublie (Underwood, 1957).

Pour une part, l’interférence est due elle-même à la mise en échec des processus de récupération; ainsi, dans certaines expériences où l’on provoque des interférences, l’oubli peut être compensé si l’on fournit des indices adéquats (par exemple, des noms de catégories pour rappeler des mots appartenant à ces catégories): dans la vie courante, les notes prises sur un agenda ou les photographies d’un album ont ce rôle de permettre de récupérer des informations oubliées. En revanche, les indices de récupération ne seront plus efficaces lorsque l’interférence tient à l’excès d’informations classées à un même indice; par exemple, une personne qui passe toutes ses vacances dans le même lieu éprouvera des difficultés croissantes à se souvenir d’événements spécifiques intervenus en telle ou telle année. Dans cette situation, c’est en fait à nouveau le mécanisme d’abstraction qui entre en jeu: de plusieurs situations qui se ressemblent, des éléments communs (catégories, thèmes, etc.) se dégagent qui, eux, résisteront mieux à l’oubli que les informations épisodiques (selon l’expression de Tulving, 1972) liées à un contexte spatio-temporel unique. La prise en considération de l’abstraction résout le paradoxe posé par l’action des interférences. Il est vrai en effet, d’une part, que plus on apprend et plus on oublie, mais il faut dire aussi, d’autre part, que plus on apprend et plus nos connaissances augmentent. Le paradoxe est résolu si l’on considère que l’interférence porte sur des informations spécifiques peu répétées, alors que l’abstraction préserve de l’oubli des thèmes généraux du savoir ou toute information répétée dans des contextes variés. Ce mécanisme est très général et s’applique, par exemple, autant aux mots du vocabulaire qu’aux connaissances élaborées; ainsi, un jeune enfant reliera facilement un mot (par exemple, «avion») au contexte dans lequel ce mot vient d’être acquis, tandis que l’adulte ne pourra plus discriminer les milliers ou millions de contextes dans lesquels ce même mot lui sera apparu. Il en est de même pour des connaissances élaborées telles que les mathématiques, dont il ne restera après de longues années que les structures le plus souvent répétées explicitement ou implicitement: ainsi en est-il de la culture, ce qui reste lorsqu’on a tout oublié.

Les aspects affectifs et sociaux de la mémoire

L’analogie entre l’homme et l’ordinateur a ses limites, d’une part, parce que les activités humaines sont sans cesse évaluées en fonction de l’agrément ou du désagrément, c’est-à-dire d’après leur valeur affective, d’autre part, parce que l’homme est un être social et que ses connaissances et ses souvenirs ont très fréquemment une dimension sociale.

L’analyse des souvenirs révèle que la plupart d’entre eux (80 p. 100) portent sur des événements privés (profession, vie sentimentale, voyages, vacances, vie familiale) qui d’une façon générale sont jugés comme étant agréables. Les autres souvenirs (20 p. 100) portent sur des événements publics – guerres, révolutions, faits politiques (essentiellement décès d’hommes d’État célèbres) – qui sont jugés en moyenne comme étant désagréables (Lieury et coll., 1978, ...). L’évocation de ces souvenirs est comparable au rappel d’informations apprises dans des conditions de laboratoire; dans des questionnaires sur des événements publics (Warrington et Sanders, 1971), les bonnes réponses sont d’environ 70 p. 100 pour des événements datant d’un an et diminuent progressivement à 20 p. 100 pour des événements qui datent de quarante ans. Comme en laboratoire, la reconnaissance donne de meilleurs résultats: la bonne reconnaissance de la réponse, parmi trois choix, à la question (par exemple: «Qui était Premier ministre en telle année?») est en moyenne de 85 p. 100 pour les événements datant d’un an et diminue à 50 p. 100 pour les événements datant de quarante ans. Des résultats comparables ont été observés pour des souvenirs privés, en l’occurrence la mémorisation de noms de camarades de collège (Bahrick et Wittlinger, 1975).

Nos souvenirs seraient très incomplets si nous ne pouvions les situer dans le temps. Deux grandes stratégies semblent être utilisées à ce propos (Lieury et coll. 1979; Lieury et coll., 1980). La plus générale paraît être l’utilisation de repères chronologiques, qui jouent alors le rôle d’indices de récupération pour des informations datées: par exemple, on se refère à la naissance d’un enfant, à un examen ou à un voyage mémorable pour retrouver la date d’un séjour de vacances, ou celle de la mort d’un homme politique. Cette stratégie n’étant pas toujours possible, la datation à l’aide de repères est remplacée par une estimation temporelle globale selon un mécanisme analogue à celui qui opère dans la perception du temps (Fraisse, 1967): la date est alors donnée en fonction d’une estimation de l’éloignement temporel de l’événement. On constate, en moyenne, une sous-estimation de cet éloignement pour les événements anciens (qu’on a tendance à rapprocher du présent) et une surestimation temporelle pour les événements récents. Ce phénomène pourrait être lié au fait que plus l’événement est lointain, moins le nombre de souvenirs est grand et plus le temps paraît court: le temps serait fonction du nombre de souvenirs stockés dans la mémoire.

2. Psychophysiologie de la mémoire

Processus mnémoniques et mécanismes biologiques

La mémoire comme faculté permettant d’évoquer le souvenir d’événements passés a longtemps semblé pratiquement inaccessible à toute investigation expérimentale visant à éclairer ses mécanismes psychophysiologiques. Il paraît difficile d’admettre que des activités antérieures organisées dans le temps puissent être «engrammées» dans le cerveau sous forme de traces statiques qui rendraient l’évocation d’un souvenir comparable au déroulement d’une bande d’enregistrement magnétique; s’il en était ainsi, en effet, on comprendrait mal l’une des caractéristiques fondamentales de la mémoire: la transformation continuelle de son contenu sous l’effet du développement ontogénétique et du travail organisateur de l’intelligence, d’où résultent des améliorations paradoxales de souvenirs après plusieurs mois (B. Inhelder). C’est ce qui a fait dire à J. Piaget qu’il «souhaiterait un modèle de la mémoire où il n’y aurait plus de «trace», au sens classique du béhaviorisme, et où toute la rétention, la cohésion de ce que nous conservons du passé tiendrait à l’organisation d’ensemble du système». En revanche, A. Fessard adopte une position beaucoup plus nuancée et plus proche de la physiologie en suggérant que «le rôle de la mémoire est de favoriser l’adaptation des êtres vivants à leur milieu [...] ce qui aboutit à constituer en eux une sorte d’image ou de modèle interne de l’environnement; l’engramme, si ce mot correspond bien à une réalité concrète, ne pourrait être un simple reflet de la structure du flux des informations afférentes»; la destination première de l’engramme serait «de devenir un programme d’action», l’auteur entendant par là toute organisation qui se prépare dans l’inconscient et devient un jour susceptible d’accéder à la conscience, non seulement comme incitation volontaire à agir, mais aussi comme expression d’une émotion ou d’une pensée qui représente l’évocation plus ou moins fidèle du passé, autrement dit un souvenir reconnu ou non comme tel.

Cependant, loin de méconnaître la complexité du problème ainsi posé par la psychologie, les psychophysiologistes ont placé d’emblée leur contribution à la connaissance de la mémoire à un niveau différent: la recherche des mécanismes biologiques qui conditionnent les processus mnémoniques.

À cette fin, ils ont admis d’abord le postulat affirmant qu’à tout souvenir d’activités mentales ou comportementales antérieures correspondrait une certaine «trace» imprimée dans le tissu nerveux. Après quoi l’étude psychophysiologique de la mémoire pouvait se faire de deux manières: soit directement, par l’étude de la mémoire de l’homme normal ou des corrélations anatomo-cliniques chez des malades neurologiques souffrant de troubles mnémoniques; soit indirectement, par l’élaboration de modèles théoriques ou par l’utilisation de ces modèles simplifiés d’acquisition mnémonique que sont les processus d’apprentissage, qui sont faciles à étudier chez les animaux et qui permettent de rechercher, au moyen de techniques électrophysiologiques ou biochimiques, d’éventuelles «traces» au niveau de neurones ou d’agrégats de neurones.

L’utilisation de ces différentes voies d’approche a permis effectivement de recueillir de nombreuses données expérimentales et d’élaborer plusieurs théories.

La plupart de ces recherches s’accordent cependant pour tenter d’expliquer l’ensemble du processus de mémorisation, notamment les mémoires à court et à long terme, par l’intervention de plusieurs mécanismes distincts. Elles suggèrent en outre que, si les régions localisées du cerveau interviennent préférentiellement à certains stades de la mémorisation, c’est le cerveau dans sa totalité qui conditionnerait l’intégration des «traces» dans l’ensemble des fonctions nerveuses. Enfin, elles attribuent un rôle fondamental dans l’élaboration de la mémoire à des modifications des propriétés synaptiques des réseaux nerveux.

La tâche de la psychophysiologie contemporaine est assurément redoutable. L’un des principaux écueils qu’elle rencontre est la tentation de dissoudre les mécanismes de la mémoire dans l’ensemble des fonctions cérébrales, s’accordant ainsi avec le modèle établi par certains psychologues et qui est invérifiable au moyen de méthodes physiologiques.

Toutefois, il est permis d’espérer que la progression spectaculaire des connaissances en physiologie cérébrale incitera à imaginer des expériences dans lesquelles on cherchera à mettre en évidence, par exemple à l’occasion de comportements élémentaires, des mécanismes mnémoniques très spécifiques, accessibles à l’analyse électrophysiologique ou biochimique.

Unicité ou pluralité des mécanismes de la mémoire

Il est commode de faire la distinction, chez l’homme comme chez l’animal, entre la mémoire à court terme et la mémoire à long terme, la première caractérisant la rétention pendant quelques secondes ou quelques minutes d’une information donnée, et la seconde une rétention plus durable, parfois même définitive.

Le problème qui se pose au psychophysiologiste est de savoir s’il est légitime de distinguer ces deux types de mémoire et, dans l’affirmative, s’ils sont conditionnés par des mécanismes hétérogènes ou si, au contraire, un mécanisme unique suffit à les expliquer.

Le point de vue du psychologue

À la suite de Thorndike, les psychologues ont longtemps étudié la mémoire dans l’optique de processus d’apprentissage au cours desquels des associations s’établiraient entre stimulus et réponse, associations d’autant mieux retenues qu’elles seraient renforcées par la répétition des stimulations ou les conséquences agréables qui en découleraient pour le sujet.

Au cours des dernières années, cependant, on s’est rendu compte qu’une telle conception était loin d’être satisfaisante et qu’il fallait considérer le processus de mémorisation non comme une mise en réserve passive de traces d’associations apprises, mais plutôt comme le résultat du traitement d’informations successives par le cerveau, traitement qui s’effectuerait en fonction d’une certaine stratégie conditionnant la réminiscence ultérieure de ces informations.

On pourrait alors distinguer quatre étapes successives dans le processus de mémorisation (cf. W. H. Bartz, Memory , 1968):

– une phase sensorielle très brève, au cours de laquelle la rétention d’une information donnée se dégrade très rapidement, généralement au bout de 200 à 300 millisecondes;

– la mémorisation à court terme, d’une durée de quelques dizaines de secondes, qui constitue un goulet dans nos capacités de stockage d’informations, puisque la capacité de mémorisation à court terme ne permet pas de traiter autant d’informations par unité de temps que la phase sensorielle proprement dite; c’est à ce stade notamment qu’intervient la stratégie du sujet qui, en regroupant les informations sensorielles, peut arriver à mémoriser un plus grand nombre de données:

– la mémorisation à long terme, qui aurait une très grande capacité d’absorption mais qui ne s’effectuerait, au fur et à mesure que de nouvelles informations se présentent, qu’au prix d’une continuelle réorganisation des traces mnémoniques préexistantes;

– le processus de rappel, ou réminiscence, qui constitue un second goulet limitant les possibilités de la mémoire, puisqu’il semble y avoir dans la mémoire plus d’informations disponibles que d’informations accessibles. L’efficacité des processus de rappel dépendrait fortement de la stratégie utilisée au cours de la mémorisation proprement dite.

La première phase ne paraît pas devoir être considérée comme un phénomène mnémonique au sens strict du terme, parce que, comme le montre C. Florès, elle n’obéit pas à certaines lois propres à la mémoire. Il en va de même de la quatrième phase, qui ne concerne pas non plus le processus de mémorisation proprement dit. Reste alors à envisager le cas des mémoires à court terme ou à long terme et de la dualité éventuelle de leurs mécanismes.

C’est à D. O. Hebb (1961) qu’on doit la principale théorie dualiste: cet auteur suppose qu’une information sensorielle pénétrant dans le système nerveux central y circulerait quelque temps grâce à des boucles de neurones – d’où le nom de circuits réverbérants donné à ces boucles –, après quoi surviendraient des modifications synaptiques permanentes au niveau des neurones impliqués dans ces circuits. Les idées dualistes de Hebb ont donné lieu à des développements expérimentaux très fructueux, mais il semble qu’on doive actuellement faire preuve de prudence à leur égard, car s’il reste très utile de mettre en évidence des différences entre deux moments successifs du processus de mémorisation, plusieurs expériences montrent que la mémoire à court terme présente des caractéristiques qu’on retrouve dans la mémoire à long terme (A. W. Melton, 1963). Il ne serait donc pas exclu que ces deux stades de la mémorisation puissent relever d’un mécanisme unique.

Le point de vue du neurologue

Les neurologues sont probablement les premiers à avoir insisté sur une dualité possible des mécanismes de la mémoire en distinguant la mémoire des faits récents de celle des faits anciens.

D’une part, on peut en effet voir apparaître des troubles de la mémoire portant exclusivement sur les faits récents, comme c’est le cas dans le syndrome de Korsakoff dont la lésion causale est essentiellement située dans les corps mamillaires, ainsi que dans les traumatismes crâniens, lesquels provoquent une amnésie qui remonte parfois jusqu’à plusieurs heures avant l’accident et porte sur tous les faits indistinctement.

D’autre part, les souvenirs plus anciens peuvent également être influencés de façon spécifique, car ils peuvent être évoqués par la stimulation électrique des aires temporales du cortex cérébral chez l’homme éveillé (W. Penfield et H. H. Jasper, 1954).

Malheureusement, si de nombreuses affections cérébrales entraînent des troubles de la mémoire, il en est peu qui permettent une étude approfondie des mécanismes de celle-ci, car, dans la plupart des cas, les lésions en cause ont un caractère beaucoup trop diffus.

Certaines données très intéressantes ont cependant été recueillies chez des malades épileptiques ayant subi à des fins thérapeutiques des résections chirurgicales plus ou moins étendues du lobe temporal ou de l’hippocampe (M. Milner, 1970). C’est ainsi que la résection de la partie antérieure du lobe temporal entraîne, à gauche, un déficit très spécifique, limité à la mémorisation des mots, et, à droite, une grande difficulté de mémoriser du matériel non verbal tel que des visages, des mélodies, des parcours de labyrinthe appris par voie visuelle ou tactile; on doit noter que, chez ces patients, les perceptions sensorielles sont légèrement altérées, mais sans commune mesure cependant avec l’ampleur du déficit mnémonique.

Des troubles plus spectaculaires encore apparaissent après destruction bilatérale de l’hippocampe, le chirurgien ayant réséqué un des deux hippocampes tout en ignorant que l’autre était atrophié depuis longtemps par la maladie: ces patients sont frappés alors d’une amnésie non seulement rétrograde, portant sur les derniers mois préopératoires, mais également antérograde, les événements étant oubliés au fur et à mesure qu’ils se succèdent. Le sujet peut retenir une courte série de chiffres pendant quelques minutes, s’il est suffisamment attentif pour les répéter sans arrêt intérieurement, mais il les oublie dès que survient la moindre distraction. Si le malade doit retenir une figurine, laquelle ne se prête pas à une répétition verbale, il n’y arrivera pas pendant plus de soixante secondes, l’oubli dans ce cas étant donc exclusivement fonction de l’écoulement du temps. Par ailleurs, les souvenirs anciens du malade sont intacts, et les capacités intellectuelles et professionnelles ne paraissent pas altérées.

B. Milner, qui a affectué la plus grande partie de ces observations, estime qu’elles plaident contre une théorie unifactorielle de la mémoire et qu’il faut distinguer au moins un processus primaire – d’appréhension immédiate – et un processus secondaire, qui entre en jeu dans l’enregistrement permanent des informations nouvelles. On constate en effet que les malades ayant subi une destruction bilatérale des hippocampes ont conservé intacts leur capacité d’appréhension immédiate (ou mémoire à court terme) ainsi que leurs souvenirs anciens (mémoire à long terme); quant à l’amnésie antérograde présentée par ces malades, elle s’expliquerait probablement, d’après B. Milner, par une «altération des processus de consolidation par lesquels l’activité évanescente de la mémoire immédiate acquiert une représentation structurale stable».

Le point de vue du neurophysiologiste

Ce sont surtout des recherches, dans lesquelles le degré de mémorisation d’un réflexe défensif conditionné par épreuve unique a été testé dans diverses circonstances, qui ont permis d’assurer une assise expérimentale à la théorie dualiste de la mémoire (S. P. Grossman, 1967). On a ainsi pu montrer que la mémorisation d’un tel réflexe conditionné est nulle immédiatement après la fin de l’épreuve, mais qu’elle croît ensuite pour devenir maximale au bout de deux minutes environ. La mémorisation observée à ce moment est cependant labile, car, si on applique un électrochoc, l’animal perd toute trace de son apprentissage. L’électrochoc se révèle le plus efficace tout de suite après l’apprentissage, puis son efficacité diminue progressivement et disparaît au bout d’un certain nombre de minutes ou d’heures, à partir duquel il n’a plus aucune influence sur la mémorisation du réflexe conditionné. On parle alors de mémoire stabilisée.

On peut obtenir des effets semblables en administrant à l’animal des anesthésiques divers; par contre, lorsqu’on injecte à l’animal des stimulants, tels que de la strychnine ou de la caféine, immédiatement après une épreuve unique de conditionnement, les processus de mémorisation en sont facilités, ce qui se manifeste par un net raccourcissement de la phase de mémoire labile.

Ces expériences apportent d’importants arguments à la thèse de la dualité des mécanismes de la mémoire. Pour McGaugh, en effet, le fait que la mémoire, après une courte période où elle est labile, puisse être consolidée au point de devenir insensible à l’administration de drogues et d’électrochocs suggère que les mécanismes servant de support à la mémoire pendant la durée du processus de consolidation seraient différents de ceux qui sont établis dès la fin de ce processus.

Il faut signaler cependant que les arguments avancés à l’appui de cette théorie dualiste n’entraînent pas la conviction de tous les neurophysiologistes. J. A. Deutsch (1969), par exemple, souligne que le temps pendant lequel l’électrochoc est efficace diffère fortement suivant les auteurs – de quelques secondes à plusieurs heures – et que l’amnésie ne survient dans certains cas que plusieurs heures après l’électrochoc, ce qui est paradoxal si l’on songe que ce dernier est supposé détruire les traces mnémoniques encore labiles. Par ailleurs, l’électrochoc n’entraîne une amnésie rétrograde que s’il est appliqué dans l’appareil où l’animal a subi le conditionnement par épreuve unique: donné en dehors de cet environnement, l’électrochoc reste au contraire sans effet.

L’interprétation des expériences de McGaugh en termes de dualité des mécanismes de mémorisation connaît cependant, au cours des dernières années de la décennie de 1970, un regain d’intérêt, car d’autres techniques que l’électrochoc permettent aussi de mettre en évidence une période de consolidation progressive de traces mnémoniques récentes: ainsi, des chocs électriques non épileptogènes appliqués chez le rat dans des structures telles que l’hippocampe ou l’amygdale détruisent les traces mnémoniques récentes, mais n’influent guère sur les traces d’apprentissage ancien; par ailleurs, des stimulations de la formation réticulée mésencéphalique appliquées tout de suite après les séances d’entraînement accélèrent la rapidité d’apprentissage. Enfin, dans une remarquable série d’expériences, Bloch montre chez le rat qu’après déprivation de sommeil paradoxal pendant 48 heures l’électrochoc reste capable d’effacer les traces mnémoniques d’un conditionnement par épreuve unique. Le sommeil paradoxal apparaît ainsi comme un facteur d’importance primordiale dans la consolidation des traces mnémoniques, puisque son absence entraîne un allongement du temps d’apprentissage; par ailleurs, on constate que la durée du sommeil paradoxal chez le rat normal augmente chaque fois que celui-ci a été soumis à un nouveau type d’apprentissage.

Enfin, parmi les recherches neurophysiologiques consacrées à la dynamique de la consolidation mnémonique, il faut citer celles qui visent à établir un lien entre cette dynamique et la concentration intracérébrale de certains neurotransmetteurs ou modulateurs de l’activité synaptique. On ne peut qu’être frappé, en effet, par le fait que la destruction du locus cœruleus supprimant le sommeil paradoxal et rallongeant le temps d’apprentissage provoque une diminution importante de l’activité noradrénergique des neurones, notamment corticaux; on connaît par ailleurs le rôle souvent bénéfique de drogues cholinergiques dans les troubles mnémoniques de la maladie d’Alzheimer (cf. M. Monnier et M. Meulders, 1983).

Localisation des mécanismes

Tout au long des recherches sur l’emplacement intracérébral des mécanismes de la mémoire que poursuit la psychophysiologie depuis de nombreuses années, on a vu naître tour à tour des hypothèses apparemment inconciliables, d’après lesquelles ces mécanismes seraient soit répartis de façon diffuse dans l’ensemble du cerveau, soit, au contraire, localisés dans certaines régions cérébrales privilégiées. À l’appui de la première hypothèse, on peut citer les célèbres expériences de K. S. Lashley (1950), dans lesquelles des rats ont d’autant plus de mal à acquérir ou à retenir un apprentissage en labyrinthe qu’une plus grande partie de leur cortex cérébral a été détruite – principe de l’«action de masse» – et cela quel que soit l’endroit du cortex où la destruction a été pratiquée – principe de l’équipotentialité corticale. D’autres observations plaideraient plutôt en faveur de la seconde hypothèse et, à ce propos, on pourrait rappeler les effets, décrits plus haut, des lésions bilatérales de l’hippocampe chez l’homme, ainsi que les expériences de J. Konorski et de son école (1967), dans lesquelles le chien, ayant subi la destruction bilatérale des aires corticales auditives, perd la capacité de retenir pendant plus de quelques secondes la hauteur tonale du son. Dans un article de 1981, enfin, Ross a montré comment, chez l’homme aussi, des lésions cérébrales bien délimitées peuvent entraîner des altérations de la mémoire récente qui se limitent à une seule modalité sensorielle.

Le problème de la localisation des mécanismes de la mémoire apparaît donc difficile à résoudre, car, s’il est évident que certaines régions localisées du cerveau jouent un rôle capital dans la fixation mnémonique, il n’en est pas moins probable – et les expériences de Lashley sont là pour le rappeler – que le cerveau, dans les processus de mémorisation à long terme tout au moins, doive intervenir dans sa totalité.

De nombreuses expériences permettent de croire que cette intervention globale du cerveau ne se ferait pas diffusément mais de manière spécifique d’une région cérébrale à l’autre. Jasper et ses collaborateurs (1960), par exemple, constatent que, chez le singe, au fur et à mesure que progresse un apprentissage donné, les «activités» unitaires respectives de la plupart des neurones corticaux enregistrés se modifient quelle que soit l’aire étudiée, mais que ces modifications sont différentes d’une aire corticale à une autre, ce qui suggère que la totalité du cortex participerait à ce processus d’apprentissage, mais de manière spécifique d’une aire à une autre.

Il n’est pas exclu cependant qu’un nouveau type d’approche de la psychophysiologie de la mémoire n’apporte quelque lumière à ce problème des corrélations anatomo-fonctionnelles. En effet, si la majorité des chercheurs s’est consacrée à étudier des aspects dynamiques de la consolidation mnémonique, en distinguant notamment la mémoire à court terme de la mémoire à long terme, nombreux sont ceux qui, aujourd’hui, préfèrent l’approche plus neuropsychologique du contenu de la mémoire et qui effectuent, dans cette optique, la distinction entre trois types de mémoires correspondant respectivement à trois types de mécanismes localisables dans le cerveau: la mémoire d’association , sous-tendant ce que l’on a coutume d’appeler conditionnement pavlonien et conditionnement opérant, dont les mécanismes seraient essentiellement sous-corticaux et fonctionneraient exagérément après lésion du septum et de l’hippocampe; la mémoire de représentation ou mémoire épisodique (cf. Tiberghien, 1991), ensuite, permettant la réminiscence d’épisodes antérieurs de la vie ou l’évocation de séquences comportementales dans un déroulement spatio-temporel précis et correct, dont les mécanismes seraient liés à l’activité des structures temporales profondes, notamment l’hippocampe et le circuit de Papez, ainsi qu’à celle du cortex préfrontal; la mémoire abstraite ou mémoire sémantique (Tiberghien), enfin, gardant en souvenir la signification des événements et des choses, les modes de raisonnement et les techniques de manipulation des concepts, plutôt que des faits précis localisables dans le passé; les altérations de ce type de mémoire, qui peuvent être très ponctuelles et se manifester sous forme d’agnosies limitées, telles que la compréhension du langage écrit par exemple, s’observent principalement après des lésions du néo-cortex, pariétal, occipital ou temporal.

Les mécanismes élémentaires

La difficulté de localiser dans le cerveau des structures conditionnant sinon la fixation mnémonique, du moins la rétention à long terme, explique pourquoi l’attention des chercheurs s’est portée, surtout au cours des dernières années, sur le neurone lui-même et sur les modifications fonctionnelles que celui-ci pourrait subir au cours d’apprentissages; dans cette hypothèse, les modifications fonctionnelles éventuellement présentées par le neurone se répercuteraient sur les propriétés synaptiques de ce dernier et permettraient ainsi aux influx nerveux de se frayer de nombreux circuits qui, une fois stabilisés, constitueraient le substrat organique de la mémoire; les phénomènes de plasticité synaptique pourraient avoir ainsi un rôle capital à jouer dans le déroulement des processus mnémoniques. Certaines expériences apportent d’ailleurs d’importants arguments en faveur de cette manière de voir, puisqu’il semble que l’efficacité de la transmission à travers certaines synapses cérébrales, notamment cholinergiques, augmente fortement pendant plusieurs jours après un apprentissage donné (Deutsch, 1969).

Le problème se pose donc de savoir si l’établissement de nouvelles connexions nerveuses dans une structure donnée serait le fait de tous les neurones de cette structure ou si ces nouvelles connexions n’apparaîtraient qu’au niveau de cellules spécialisées qu’on pourrait appeler «cellules à mémoire».

La première de ces hypothèses est appuyée par l’observation de rats élevés dans un milieu riche en événements visuels et dont la totalité du cortex visuel s’épaissit parallèlement sous l’effet d’un accroissement de la glie et probablement aussi de prolongements nerveux (M. R. Rosenzweig, 1966). En revanche, les recherches de J. Z. Young (1966) sur la pieuvre, postulant l’intervention de «cellules à mémoire» dont le rôle serait déterminant dans des apprentissages au cours desquels certains comportements devraient être préférés à d’autres, plaident en faveur de la seconde hypothèse. Quelle que soit la valeur respective de ces recherches, il semble prématuré de prendre formellement position en faveur de l’une ou de l’autre de ces deux hypothèses.

Quant aux mécanismes responsables des variations de la perméabilité synaptique, il est tout naturel qu’on ait songé au rôle possible, au cours de la mémorisation à court terme, du phénomène de potentiation post-tétanique, dans laquelle des synapses ayant été traversées par une succession rapide d’influx nerveux deviennent ensuite pendant plusieurs minutes beaucoup plus faciles à franchir. Pour expliquer la mémorisation à long terme, par contre, il paraît difficile de faire appel à des mécanismes de ce type, aussi fugaces que fragiles, et c’est pourquoi on a effectué un grand nombre d’expériences dans le but de mettre en évidence des modifications durables de la constitution biochimique des neurones sous l’effet de l’apprentissage (Cardo, 1966; Hyden, 1967; Agranoff et Klinger, 1964; Flexner et Flexner, 1967).

Il faut d’abord citer ici la découverte de drogues influençant le comportement et facilitant même certains apprentissages, comme c’est le cas par exemple de la testostérone qui doit imbiber le cerveau immature du jeune rat pendant quelques jours après la naissance pour qu’apparaissent à l’âge adulte les comportements mâles innés et acquis (S. Levine, 1966).

Cette «imprégnation» obligatoire du cerveau mâle par la testostérone pendant quelques jours au cours du développement fœtal, qui se retrouve même chez l’homme, provoque une nette différence de densité entre les arborisations dendritiques respectives des hypothalamus masculin et féminin, et constitue ainsi un modèle particulièrement précieux pour l’étude des corrélations entre morphologie neuronique et aptitude à des comportements propres à l’espèce et au sexe, sorte de mémorisation de programmes d’action dans le sens où le pressentait A. Fessard. On a fait le même type de découverte chez les canaris, dont certains noyaux cérébraux, qui sont à l’origine du programme de chant, développent leurs connexions interneuroniques en fonction de la concentration sanguine en testostérone et de la complexité du chant appris (Nottebohm). Il n’est donc pas étonnant que l’attention des chercheurs soit aujourd’hui quasi polarisée sur la recherche de modifications synaptiques durables liées à la mémorisation et objectivables au microscope, telles que le gonflement de synapses hippocampiques observé par Fifkova et van Harreveldt (1977) de nombreuses heures après des expériences de potentiation post-tétanique, ou telles que les mouvements d’épines dendritiques du cortex cérébral sous l’effet d’éventuelles protéines contractiles, mouvements postulés par Crick (1982).

Au cours des dernières années cependant, les efforts conjoints de la neurophysiologie et de la biologie moléculaire ont effectué des découvertes fondamentales permettant de mieux comprendre l’encodage des traces mnémoniques. Ces recherches ont été effectuées principalement sur l’aplysie, petit mollusque marin ayant un système nerveux constitué d’environ 20 000 neurones [cf. INTÉGRATION NERVEUSE ET NEUROHUMORALE].

Il est possible d’étudier chez l’aplysie un réflexe de défense simple: la rétraction du corps de l’animal sous l’influence d’une stimulation tactile du siphon. Or, la répétition trois ou quatre fois du stimulus sensoriel s’accompagne d’une diminution progressive de la réaction motrice de défense, appelée «habituation», et on a pu constater que celle-ci s’explique par la diminution progressive de l’efficacité des synapses sensorimotrices, causée elle-même par une réduction de la quantité de médiateur synaptique (molécules transmettant l’information nerveuse de la terminaison sensorielle présynaptique au récepteur postsynaptique du neurone moteur). En outre, ces modifications peuvent durer plusieurs heures.

Inversement, ce réflexe défensif de rétraction, tel qu’il survient chez l’aplysie sous l’effet d’une stimulation tactile, peut être intensifié s’il survient de façon répétée (3 ou 4 fois) en même temps qu’une stimulation douloureuse appliquée ailleurs sur le corps. On parle alors de «sensibilisation», le réflexe de défense devenant cette fois beaucoup plus intense que normalement, phénomène pouvant également durer plusieurs heures et s’expliquant, cette fois, par l’accroissement de l’excitabilité synaptique des voies sensorielles. Cette hyperexcitabilité est, quant à elle, provoquée par une stimulation axono-axonique sérotonergique d’origine douloureuse, d’où résulte une augmentation de la quantité de transmetteur éjecté lors de chaque stimulation sensorielle.

Si l’épreuve d’habituation ou de sensibilisation est pratiquée de façon plus prolongée (plus de 10 fois successivement), on obtient une mémorisation de plusieurs semaines. Dans ce cas, on obtient non seulement des modifications de la quantité de médiateur synaptique expulsé, mais aussi la création ou la suppression de nouvelles synapses, grâce à des modifications du métabolisme des protéines. Lors des phénomènes de sensibilisation, par exemple, la protéine-kinase A s’accumule, rejoint le noyau du neurone sensoriel, où, par l’intermédiaire d’agents de transcription, plusieurs gènes sont activés, entraînant ainsi la synthèse de nouvelles protéines. Certaines de celles-ci activent en retour les protéines-kinases A, entretenant ainsi leur activité stimulante sur les gènes, grâce à une boucle de rétroaction positive. D’autres protéines, par ailleurs, contribuent à la création de nouvelles connexions synaptiques. L’inverse s’observe pour le phénomène d’habituation.

L’aplysie nous permet donc de décrire un double modèle de mémoire: l’habituation et la sensibilisation, s’expliquant pour le court terme par la seule variation de l’excitabilité synaptique et, pour le long terme, par la variation – d’ailleurs observable au microscope – du nombre de connexions synaptiques disponibles.

De nombreuses expériences ont confirmé ces conclusions et procuré en outre d’importantes précisions. Ainsi, le conditionnement défensif pourrait-il s’expliquer par le fait que, dans certains cas de sensibilisation chez l’aplysie, le stimulus tactile (conditionnel) doive précéder le stimulus douloureux (inconditionnel) pour assurer le conditionnement, lequel est alors spécifique pour cette stimulation tactile, comme dans le modèle de Pavlov.

Enfin, la plasticité synaptique est maintenant bien démontrée chez le mammifère, sur tranches d’hippocampe «in vitro», mais aussi chez l’animal intact: on sait, par exemple, que, chez le singe, l’activité sensorimotrice prolongée de quelques doigts de la main provoque, au terme de quelques semaines d’exercice, un accroissement significatif de la surface des aires corticales de projection sensorielle correspondant aux doigts exercés, démontrant ainsi l’accroissement de surface durable des projections et des réseaux nerveux corticaux atteints par des stimulations sensorielles répétitives (W. M. Jenkins et coll., 1990).

3. Les troubles de la mémoire

On étudiera ici les troubles cliniques atteignant la mémoire définie comme l’ensemble des moyens permettant le rappel du passé; mais les mécanismes de ces troubles peuvent être très divers et faire appel, selon les cas, à un manque de fixation initiale (amnésie antérograde), à un mauvais stockage des souvenirs ou au fonctionnement défectueux du processus du rappel (amnésie rétrograde). Dans les cas – seuls envisagés ici – où les troubles de la mémoire représentent l’essentiel de la scène clinique, le plus grand nombre est de nature déficitaire et constitue les amnésies. Leur classement se fait souvent en amnésies générales (comprenant l’amnésie antérograde de fixation, les amnésies rétrogrades, dont certaines sont hystériques, et l’amnésie antérograde du syndrome de Korsakoff) et en amnésies partielles (amnésies lacunaires de type confusionnel et amnésies électives de nature hystérique).

L’inconvénient d’une telle division est de rapprocher des faits disparates, de classer sous deux rubriques différentes les amnésies hystériques et de créer artificiellement une amnésie antérograde pure qui n’est autre que l’amnésie lacunaire de type confusionnel.

Il paraît donc plus simple et plus logique de distinguer: les amnésies organiques , comprenant l’amnésie lacunaire de fixation vraie, l’amnésie antéro-rétrograde (ou amnésie des faits récents, ou syndrome de Korsakoff) et l’amnésie globale des états démentiels, et les amnésies non organiques , comprenant les divers aspects des amnésies lacunaires électives d’origine hystérique.

À l’opposé des amnésies, il existe des hypermnésies pures, qui correspondent à deux ordres de faits très rares et très différents: les visions panoramiques de l’existence et les capacités mnésiques prodigieuses.

Enfin, il faut faire une place à part aux paramnésies ou illusions de mémoire; elles peuvent dominer la scène clinique, mais elles rentrent presque toujours dans le cadre du syndrome de Korsakoff ou dans celui des épilepsies temporales.

Amnésies

Les amnésies organiques

Elles comportent trois catégories de faits, pouvant s’observer isolément ou en association.

L’amnésie lacunaire totale ou de fixation vraie

L’amnésie lacunaire totale comporte une perte complète de l’évocation de tous les souvenirs pour une période limitée de temps. Elle est la conséquence directe d’un manque de fixation du souvenir et s’observe comme séquelle d’un état confusionnel, quelle que soit son étiologie; elle constitue le meilleur critère du diagnostic rétrospectif d’une confusion mentale.

La lacune mnésique est totale et antérograde, par rapport au début du trouble. Elle peut être aussi légèrement rétrograde, si le début de l’accès confusionnel est très brutal.

L’amnésie lacunaire est un symptôme majeur de deux affections particulières:

– l’épilepsie, dont elle est un critère d’organicité et où elle traduit l’absence totale d’impression de souvenirs durant le trouble comitial;

– les commotions cérébrales avec perte de connaissance initiale, qui sont suivies d’une période confusionnelle, au sortir de laquelle on constate une amnésie lacunaire comportant un déficit antérograde et un déficit rétrograde; ce dernier est directement proportionnel à la longueur du déficit antérograde, dont il représente une faible fraction; mais il a généralement l’inconvénient médico-légal d’englober les circonstances de l’accident.

À côté des amnésies lacunaires totales, il existe des dysmnésies de fixation , où le trouble parcellaire comporte simplement l’oubli irrégulier d’actes faits dans la journée ou d’actes à faire. Ces faits s’observent: dans les syndromes subjectifs post-traumatiques; dans divers syndromes frontaux (paralysie générale, maladie de Pick, tumeurs), où la mémoire à long terme est peu touchée, mais où la fixation immédiate est défectueuse; enfin chez des malades recevant des traitements prolongés de thymo-analeptiques.

L’amnésie antéro-rétrograde ou amnésie des faits récents

Décrite par Korsakoff en 1889, et longtemps considérée comme une maladie particulière à étiologie purement nutritionnelle, on envisage maintenant l’amnésie antéro-rétrograde comme un syndrome comportant un tableau clinique univoque, mais présentant des étiologies variées, nutritionnelles ou non.

La sémiologie psychiatrique du syndrome de Korsakoff se caractérise par une tétrade associant amnésie des faits récents, désorientation temporo-spatiale, fabulation et fausses reconnaissances:

– L’amnésie des faits récents est antéro-rétrograde avec un «oubli à mesure» des faits écoulés depuis le début de l’affection et une incapacité d’évoquer les souvenirs de faits écoulés dans un temps variant de quelques années à dix ou quinze ans avant l’éclosion du trouble. Cependant, la parfaite préservation de la mémoire des faits anciens, notamment des souvenirs d’enfance, le respect des connaissances didactiques et des facultés de raisonnement permettent souvent au malade de faire illusion vis-à-vis de personnes étrangères.

– La désorientation temporo-spatiale reporte les malades plusieurs années en arrière; elle leur fait commettre des erreurs grossières concernant les dates, leur âge, celui de leurs proches et les lieux où ils se trouvent.

– La fabulation, pratiquement constante, apparaît comme un phénomène de libération favorisé par le déficit mnésique. Elle consiste le plus souvent en réponses confabulantes induites, mais elle peut réaliser aussi une fabulation de remémoration délirante avec reviviscences de réminiscences vraies ou fausses; très rarement, elle prend un type imaginatif d’allure paraphrénique à thèmes fantastiques ou de grandeur; tel ce malade de Masquin qui, après un traumatisme, se croyait mort et enterré au Panthéon.

– Les fausses reconnaissances s’associent à la fabulation et ont le double aspect de la reconnaissance de personnes inconnues du malade et de la méconnaissance systématique de ses proches. Les fausses reconnaissances ne sont d’ailleurs qu’un aspect simplifié d’un phénomène plus général: la paramnésie de réduplication, qui fait vivre au malade tous les événements dédoublés, à la fois comme situation présente et comme souvenir. Le reste du tableau clinique comporte: une euphorie classique, mais inconstante, et une anosognosie (défaut de la conscience de son mal) très fréquente. Enfin, il faut souligner la conservation de la fixation immédiate, l’absence de confusion mentale (en dehors des phases aiguës où l’association peut être fortuite) et l’absence de détérioration démentielle, dans les formes habituelles de la maladie.

L’évolution du syndrome de Korsakoff est souvent défavorable, et elle se fera alors sans rémission. Cependant, certains cas régressent; il en est ainsi de la majorité des formes post-traumatiques. La réorganisation mnésique de ces formes régressives a l’intérêt de montrer que nombre de souvenirs qui paraissaient perdus avaient, en réalité, été enregistrés.

Les étiologies du syndrome de Korsakoff sont multiples et la diversité des lésions cérébrales responsables a permis d’imaginer les conditions physiopathologiques nécessaires au déclenchement des troubles.

Les étiologies nutritionnelles, alcooliques ou non, sont, en effet, liées à une avitaminose B1 et elles dépendent d’une altération bilatérale des corps mamillaires. Les étiologies tumorales relèvent de processus expansifs médians et profonds. Les tableaux vasculaires sont liés à des ramollissements bilatéraux, interrompant le circuit limbique. Les formes chirurgicales s’observent pour des exérèses bitemporales internes, des coagulations thalamiques internes, des destructions du fornix et des ablations cingulaires bilatérales et étendues [cf. ENCÉPHALE].

Au contraire, on a peu de renseignements sur les formes post-traumatiques, qui sont le plus souvent régressives, ni sur les formes postencéphalitiques ou méningées, ni sur l’ictus amnésique, qui apparaît comme un épisode korsakoffien transitoire, généralement sans lendemain.

De cet ensemble de faits, une seule notion certaine se dégage: celle de l’existence d’un circuit limbique, hippocampo-mamillo-thalamo-cingulaire, dont l’interruption, à condition d’être bilatérale, engendre un syndrome de Korsakoff.

Les amnésies globales

Les amnésies globales s’observent dans les démences avancées. Elles touchent l’ensemble des souvenirs et elles se complètent souvent d’une atteinte de la mémoire immédiate, par trouble de l’attention.

Cependant, un certain nombre de processus démentiels – démence sénile et maladie d’Alzheimer – revêtent pendant longtemps un aspect korsakoffien dénommé presbyophrénie , explicable par la prédominance ammonique des lésions.

Les amnésies non organiques

Les amnésies non organiques sont de nature hystérique et leur caractère commun est de réaliser une amnésie lacunaire élective pour un certain matériel (oubli électif de la mort d’un proche ou d’un événement marquant de la vie) ou pour une certaine période de temps (tranche de vie passée variant de quelques mois à quelques années).

Une forme particulière en est l’amnésie post-traumatique rétrograde pure, sans atteinte antérograde, qui est toujours d’origine hystérique.

Enfin, signalons les phénomènes de double personnalité (ou personnalités alternantes), chacune ayant sa mémoire propre. Très étudiés autrefois chez les médiums, ils relèvent d’un comportement hystérique, où le trouble mnésique n’apparaît qu’à titre corollaire.

Hypermnésies

Les visions panoramiques

Les visions panoramiques de l’existence consistent en un défilé incoercible de souvenirs anciens, survenant à l’occasion d’un péril de mort imminente (mourants; noyés ou pendus ayant échappé à la mort au dernier moment; sujets faisant une chute d’un lieu élevé). La vision est rarement complète; elle se limite généralement à un choix de scènes d’enfance revécues sur un mode hallucinatoire. Le mécanisme du trouble est totalement inconnu. Le phénomène a été signalé également au cours de piqûres accidentelles du bulbe rachidien.

Les capacités mnésiques prodigieuses

Les capacités mnésiques prodigieuses comportent des performances de calcul mental compliqué ou des énumérations de dates.

Elles s’observent d’abord chez des sujets normaux, très intelligents, qui présentent une facilité naturelle doublée d’un intérêt particulier pour le calcul. Les exemples les plus célèbres en sont Inaudi et le Dr Ruckle.

Elles s’observent, par ailleurs, dans le groupe dit des débiles calculateurs, sujets apparemment débiles profonds mais capables de donner, avec exactitude, le jour de la semaine correspondant à une date quelconque qu’on vient de leur proposer. Ces dates ont habituellement trait à une période passée, plus ou moins ancienne et couvrant une dizaine ou une quinzaine d’années. Ces malades semblent utiliser un mélange d’apprentissage et de moyens mnémotechniques simples.

On admet, actuellement, que ces sujets ne sont pas réellement débiles, mais qu’il s’agit de pseudo-débiles psychotiques, ayant une tendance arithmomaniaque, développée secondairement sur un mode psychotique.

Il existe enfin d’autres mémorisations inhabituelles, telles que les dons d’apprentissage de poèmes ou d’écriture musicale chez les gens normaux et leur corollaire psychotique (apprentissage de l’annuaire téléphonique).

Paramnésies

Les paramnésies, ou illusions de la mémoire, s’observent à l’état pathologique dans trois cas.

D’abord, dans le syndrome de Korsakoff, où elles sont à la base de la fabulation, des illusions de lieux (notamment les «télescopages» de lieux très éloignés les uns des autres) et des paramnésies de réduplication (impression de déjà vécu). Elles surviennent aussi dans certains onirismes avec reviviscences ecmnésiques de scènes d’enfance.

Enfin, dans l’épilepsie temporale, elles réalisent les illusions de déjà vu ou déjà entendu, et elles sous-tendent les états de rêve; dans ces derniers, il est généralement impossible de savoir si le vécu hallucinatoire est basé sur un souvenir réel ou s’il est le fruit d’une paramnésie de réduplication.

Les sujets normaux présentent parfois des illusions de mémoire à type de déjà vu ou à type de mémoire de rêve à rêve; ici encore, un faible pourcentage de ces mémoires de rêve à rêve est authentique, alors que la majorité de ces impressions relève probablement d’une illusion de mémoire.

1. mémoire [ memwar ] n. f.
XIIe; memorie 1050; lat. memoria
I
1Cour. Faculté de conserver et de rappeler des états de conscience passés et ce qui s'y trouve associé; l'esprit, en tant qu'il garde le souvenir du passé. « Ce qui touche le cœur se grave dans la mémoire » (Voltaire). Événement encore présent à la mémoire, vivant dans les mémoires. « Le peu que je savais s'est effacé de ma mémoire » (Rousseau). « Des refrains me remontent à la mémoire » (Lemaitre). Avoir, garder en mémoire : se rappeler. Chercher, fouiller dans sa mémoire. Effort de mémoire. Bonne, mauvaise mémoire. Avoir beaucoup, peu de mémoire. Une mémoire d'éléphant. Si j'ai bonne mémoire, si ma mémoire est exacte : si je me souviens bien. Loc. Avoir la mémoire courte : oublier vite. Rafraîchir la mémoire à qqn. Perdre la mémoire. Lacunes, trous de mémoire. Ma mémoire m'a trahi.
Absolt Bonne mémoire. Avoir de la mémoire. Il n'a pas de mémoire.
Loc. adv. DE MÉMOIRE : sans avoir la chose sous les yeux. Réciter, jouer de mémoire (cf. Par cœur). Dessiner de mémoire.
Mémoire auditive, gustative, olfactive, tactile, visuelle. Mémoire de... : aptitude à se rappeler spécialement certaines choses. « La mémoire des lieux, des visages, des odeurs » (Duhamel). Je n'ai pas la mémoire des noms, des chiffres.
2Psychol. Ensemble de fonctions psychiques grâce auxquelles nous pouvons nous représenter le passé comme passé (fixation, conservation, rappel et reconnaissance des souvenirs). Mémoire sélective. Mémoire-habitude : conservation dans le cerveau d'impressions qui continuent à influer sur notre comportement sous forme d'habitudes. Mémoire affective : reviviscence d'un état affectif ancien agissant sur nos représentations, sans que nous en ayons conscience. Mémoire à court terme ou mémoire de travail. « Mémoire volontaire », « mémoire involontaire » (Proust). « La détérioration de sa mémoire s'est poursuivie et le médecin a évoqué la maladie d'Alzheimer » (A. Ernaux). Perte de la mémoire. amnésie. Troubles de la mémoire. mnésique; paramnésie.
Mémoire organique. Les cellules, « comme l'esprit, sont douées de mémoire » (Carrel).
3Faculté collective de se souvenir. Rester dans la mémoire des hommes, de la postérité. « Ces noms sont restés exécrables dans la mémoire du peuple » (Michelet) .
4Inform. Dispositif destiné à enregistrer des informations en vue d'une conservation ou d'un traitement informatique ultérieur; par ext. le support physique de ces informations. Temps d'accès à une mémoire. Capacité d'une mémoire ( mémoriel) . Mise en mémoire d'une information. mémorisation; 1. adresse . Mémoire tampon. Mémoire volatile. Mémoire à tores. Mémoire à bulles : mémoire de grande capacité dans laquelle les éléments binaires sont enregistrés sous forme de bulles magnétiques. Mémoire magnétique, à semi-conducteurs. Mémoire vive, susceptible d'être écrite et lue. ⇒ RAM . Mémoire morte, n'autorisant que la lecture. ⇒ ROM; aussi EPROM. Mémoire de masse : mémoire de grande capacité utilisant généralement un support magnétique (bande, disque, feuillet magnétique).
II
1La mémoire de : le souvenir de (qqch., qqn). Conserver, garder la mémoire d'un événement. « Cette mémoire qu'il a de son visage, [...] c'est bien l'amour » (Chardonne). « Le petit être dont je voudrais prolonger un peu la mémoire » (Loti).
2Souvenir qu'une personne laisse d'elle à la postérité. renommée. Venger la mémoire de qqn. Honorer la mémoire d'un mort. Réhabiliter la mémoire d'un savant. — DE... MÉMOIRE. Un roi de glorieuse, de triste mémoire. En mémoire de (vieilli), à la mémoire de : pour perpétuer, glorifier la mémoire de ( commémoratif) . « On inaugurait une plaque à la mémoire d'Évariste Galois » (Alain).
3(En phrase négative) De mémoire d'homme : d'aussi loin qu'on s'en souvienne. De mémoire de sportif, on n'avait assisté à un match pareil.
4 ♦ POUR MÉMOIRE , se dit, en comptabilité, de ce qui n'est pas porté en compte et n'est mentionné qu'à titre de renseignement. Par ext. À titre de rappel, d'indication. Signalons, pour mémoire...
⊗ CONTR. Oubli. mémoire 2. mémoire [ memwar ] n. m.
• 1320; de 1. mémoire
1Dr. Écrit destiné à exposer, à soutenir la prétention d'un plaideur. vx factum. Mémoire ampliatif, produit par le demandeur en cassation. Mémoire en défense, établi par le défendeur. Les mémoires de Beaumarchais dans l'affaire Goëzmann.
2Vieilli État des sommes dues à un entrepreneur, un fournisseur, un officier ministériel. 2. facture. Un jardinier « qui me présente des mémoires de deux mille francs tous les trois mois » (Balzac).
3Exposé ou requête sommaire à l'adresse de qqn. Adresser un mémoire au préfet, à une assemblée.
4Dissertation adressée à une société savante, ou pour l'obtention d'un examen. Galois « envoie mémoires sur mémoires à l'Académie des sciences » (Alain). Mémoires de l'Académie des sciences. Mémoire de maîtrise.
5(1552) Plur. Relation écrite qu'une personne fait des événements auxquels elle a participé ou dont elle a été témoin. annales, 1. chronique, commentaire. « Mémoires » de Retz, de Saint-Simon. Mémoires autobiographiques, où les confessions se mêlent à l'histoire. ⇒ autobiographie, journal, 2. souvenir. Les « Mémoires d'outre-tombe », de Chateaubriand. Écrire ses mémoires. « Les Mémoires ne sont jamais qu'à demi sincères » (A. Gide).

mémoire nom féminin (latin memoria) Activité biologique et psychique qui permet d'emmagasiner, de conserver et de restituer des informations. Cette fonction, considérée comme un lieu abstrait où viennent s'inscrire les notions, les faits : Ce détail s'est gravé dans ma mémoire. Aptitude à se souvenir en particulier de certaines choses dans un domaine donné : Ne pas avoir la mémoire des dates. Image mentale conservée de faits passés : Je garderai la mémoire de ces événements. Ensemble des faits passés qui reste dans le souvenir des hommes, d'un groupe : La mémoire d'un peuple. Souvenir qu'on a d'une personne disparue, d'un événement passé ; ce qui, de cette personne, de cet événement restera dans l'esprit des hommes : Honorer la mémoire d'un héros. Informatique Dispositif capable d'enregistrer, de conserver et de restituer des données. ● mémoire (citations) nom féminin (latin memoria) Guillaume Apollinaire de Kostrowitzky, dit Guillaume Apollinaire Rome 1880-Paris 1918 Mon beau navire ô ma mémoire Avons-nous assez navigué Dans une onde mauvaise à boire Avons-nous assez divagué De la belle aube au triste soir. Alcools, la Chanson du Mal-Aimé Gallimard Louis Aragon Paris 1897-Paris 1982 Je raconte ma vie comme on fait les rêves au réveil. Blanche ou l'Oubli Gallimard François René, vicomte de Chateaubriand Saint-Malo 1768-Paris 1848 La mémoire est souvent la qualité de la sottise. Mémoires d'outre-tombe Pierre Corneille Rouen 1606-Paris 1684 Il faut bonne mémoire après qu'on a menti. Le Menteur, IV, 5, Cliton Jules Laforgue Montevideo 1860-Paris 1887 Ô mers, ô volières de ma Mémoire ! Les Complaintes, Complainte du pauvre chevalier-errant François, duc de La Rochefoucauld Paris 1613-Paris 1680 Tout le monde se plaint de sa mémoire, et personne ne se plaint de son jugement. Maximes Michel Eyquem de Montaigne château de Montaigne, aujourd'hui commune de Saint-Michel-de-Montaigne, Dordogne, 1533-château de Montaigne, aujourd'hui commune de Saint-Michel-de-Montaigne, Dordogne, 1592 Ce n'est pas sans raison qu'on dit que qui ne se sent point assez ferme de mémoire, ne se doit pas mêler d'être menteur. Essais, I, 9 Michel Eyquem de Montaigne château de Montaigne, aujourd'hui commune de Saint-Michel-de-Montaigne, Dordogne, 1533-château de Montaigne, aujourd'hui commune de Saint-Michel-de-Montaigne, Dordogne, 1592 Savoir par cœur n'est pas savoir : c'est tenir ce qu'on a donné en garde à sa mémoire. Essais, I, 26 Charles de Secondat, baron de La Brède et de Montesquieu château de La Brède, près de Bordeaux, 1689-Paris 1755 Je suis distrait, je n'ai de mémoire que dans le cœur. Mes pensées Étienne Pasquier Paris 1529-Paris 1615 Il faut que tous braves menteurs soient gens de bonne mémoire, pour se garder de méprendre. Recherches de la France, I, 3 Charles Péguy Orléans 1873-Villeroy, Seine-et-Marne, 1914 La mémoire et l'habitude sont les fourriers de la mort. Note conjointe sur M. Descartes Gallimard Charles Perrault Paris 1628-Paris 1703 Le conte de Peau-d'Âne est difficile à croire, Mais tant que dans le monde on aura des enfants, Des mères et des mères-grands, On en gardera la mémoire. Peau-d'Âne Georges Poulet Chênée 1902-Bruxelles 1991 La grande découverte du XVIIIe siècle, c'est donc celle du phénomène de la mémoire. Études sur le temps humain Plon Marie de Rabutin-Chantal, marquise de Sévigné Paris 1626-Grignan 1696 La mémoire est dans le cœur ; car, quand elle ne nous vient point de cet endroit, nous n'en avons pas plus que des lièvres. Correspondance, à Mme de Grignan, 9 septembre 1671 Charles Dickens Portsmouth 1812-Gadshill, près de Rochester, 1870 Toute mémoire humaine est chargée de chagrins et de troubles. All human memory is fraught with sorrow and trouble. A Christmas Carol, stave 2mémoire (difficultés) nom féminin (latin memoria) Sens et orthographe Ne pas confondre ces deux mots de sens et de genre différents. 1. Mémoire n.f. = capacité à se rappeler, souvenir. Il a la mémoire des chiffres. 2. Mémoire n.m. = écrit, rapport. Un mémoire de soixante pages. Mémoires n.m. plur. = relation écrite faite par une personne des événements qui ont marqué sa vie, s'écrit avec une majuscule et un s. Publier ses Mémoires.mémoire (expressions) nom féminin (latin memoria) À la mémoire de, en l'honneur de, comme souvenir de. De bonne, de glorieuse, de triste, de fâcheuse mémoire, qui a laissé un souvenir, bon, glorieux, triste, fâcheux, etc. De mémoire, en faisant appel à sa mémoire seule : Citer un texte de mémoire. De mémoire d'homme, etc., du plus loin qu'on se souvienne. En mémoire de, pour perpétuer le souvenir de : Monument élevé en mémoire d'une victoire. Pour mémoire, à titre de renseignement, de rappel : Classer le document pour mémoire. Si j'ai bonne mémoire, si mes souvenirs ne me trompent pas. Pour mémoire, terme par lequel on indique qu'un article, mentionné pour le principe, n'est pas porté en compte. Mémoire centrale ou principale, mémoire faisant partie de l'unité centrale d'un ordinateur, qui contient les programmes en cours d'exécution et les données en cours de traitement. (S'oppose aux mémoires auxiliaires.) Mémoire externe, mémoire ne faisant pas partie de l'unité centrale d'un ordinateur et qui peut seulement échanger des blocs de données avec la mémoire centrale par l'intermédiaire de canaux d'entrée-sortie. Alliage à mémoire de forme, alliage qui, grâce à l'application de traitements thermomécaniques constituant une sorte d'apprentissage, se comporte comme s'il se souvenait des morphologies qui lui ont été imposées à certains instants de son histoire. (Découvert en 1938, le phénomène s'observe en particulier avec les alliages CuZnAl et TiNiX. Probablement dû à une transformation martensitique, il est employé dans certains appareils industriels et médicaux.) ● mémoire (homonymes) nom féminin (latin memoria) mémoire nom masculin Mémoires nom masculin plurielmémoire (synonymes) nom féminin (latin memoria) Aptitude à se souvenir en particulier de certaines choses dans...
Contraires :
- oubli
Image mentale conservée de faits passés
Synonymes :
- réminiscence
- souvenance (littéraire)
- souvenir
mémoire nom masculin (de mémoire) Écrit où sont exposés les faits et les idées qu'on veut porter à la connaissance de quelqu'un : Un mémoire d'ambassadeur. Exposé complet d'une question, d'un sujet, rédigé en vue d'un examen, d'une communication dans une société savante : Présenter un mémoire de maîtrise. Relevé des sommes dues par un client à une entreprise. Acte de procédure produit devant certaines juridictions, contenant les prétentions et moyens du plaideur. ● mémoire (difficultés) nom masculin (de mémoire) Sens et orthographe Ne pas confondre ces deux mots de sens et de genre différents. 1. Mémoire n.f. = capacité à se rappeler, souvenir. Il a la mémoire des chiffres. 2. Mémoire n.m. = écrit, rapport. Un mémoire de soixante pages. Mémoires n.m. plur. = relation écrite faite par une personne des événements qui ont marqué sa vie, s'écrit avec une majuscule et un s. Publier ses Mémoires.mémoire (homonymes) nom masculin (de mémoire) mémoire nom féminin Mémoires nom masculin plurielmémoire (synonymes) nom masculin (de mémoire) Écrit où sont exposés les faits et les idées qu'on...
Synonymes :
- exposé
- rapport
- relation
Exposé complet d'une question, d'un sujet, rédigé en vue d'un...
Synonymes :
- étude
- monographie
Relevé des sommes dues par un client à une entreprise.
Synonymes :
- compte
- facture
- note
- relevé
Acte de procédure produit devant certaines juridictions, contenant les prétentions...
Synonymes :
- factum

mémoire
n. f.
d1./d Fonction par laquelle s'opèrent dans l'esprit la conservation et le retour d'une connaissance antérieurement acquise. Le siège de la mémoire.
|| De mémoire: par coeur. Citer de mémoire.
Faculté de se souvenir. Avoir de la mémoire.
d2./d Litt. Fait de se souvenir.
|| De mémoire d'homme: aussi loin que remonte le souvenir.
|| Pour mémoire: à titre de rappel, ou à titre indicatif.
d3./d Souvenir laissé par qqn ou qqch. Samory Touré, d'illustre mémoire. Ce jour, de sinistre mémoire.
|| à la mémoire de, en mémoire de: pour perpétuer le souvenir de.
d4./d Siège de la fonction de la mémoire, réceptacle des souvenirs. L'incident est gravé dans sa mémoire.
|| INFORM Dispositif servant à recueillir et à conserver des informations en vue d'un traitement ultérieur. Mettre des données en mémoire.
Mémoire morte, dont on ne peut modifier le contenu. Mémoire vive, dont on peut modifier le contenu.
d5./d Réputation de qqn après sa mort. Ternir, réhabiliter la mémoire de qqn.
————————
mémoire
n. m.
d1./d écrit sommaire destiné à exposer l'essentiel d'une affaire, d'une requête. Dresser un mémoire.
DR Exposé des faits relatifs à un procès et servant à l'instruire.
d2./d Dissertation sur un sujet de science, d'érudition. Soutenir un mémoire devant un jury.
|| Dissertation lue devant une société savante ou littéraire.
(Plur.) Recueil de ces dissertations.
d3./d état définitif, détaillé et chiffré précisant les sommes dues pour les travaux effectués, les fournitures remises, etc.
d4./d (Plur.) Relations écrites d'événements auxquels participa l'auteur, ou dont il fut témoin. "Mémoires" d'Hampaté Bâ. Syn. chronique.
Autobiographie. écrire ses mémoires.

I.
⇒MÉMOIRE1, subst. fém.
I. A. — Faculté comparable à un champ mental dans lequel les souvenirs, proches ou lointains, sont enregistrés, conservés et restitués. Garder, recueillir, retrouver qqc. dans sa mémoire; revenir à la mémoire. Sans la mémoire, que serions-nous? Nous oublierions nos amitiés, nos amours, nos plaisirs, nos affaires (CHATEAUBR., Mém., t.1, 1848, p.69). Je suis allé voir un de mes oncles (...). Il a quatre-vingt-un ans et d'intraitables souvenirs qu'il va chercher dans la nuit de sa mémoire comme au fond d'une grande caverne pleine de ténèbres; il revient toujours avec quelque chose, un nom, une date, une anecdote sur la guerre de Sécession (GREEN, Journal, 1934, p.202). Sa mémoire était cette terrible mémoire des enfants éveillés: elle enregistrait tout (MONTHERL., Lépreuses, 1939, p.1456):
1. Deux traits du caractère d'Albertine me revinrent à ce moment à l'esprit, l'un pour me consoler, l'autre pour me désoler, car nous trouvons de tout dans notre mémoire: elle est une espèce de pharmacie, de laboratoire de chimie, où on met au hasard la main tantôt sur une drogue calmante, tantôt sur un poison dangereux.
PROUST, Prisonn., 1922, p.390.
Aide-mémoire.
Les archives, la bibliothèque, le fichier, le jardin, les marées, les yeux de la mémoire. L'Empereur (...) disait qu'une tête sans mémoire est une place sans garnison (LAS CASES, Mémor. Ste-Hélène, p.1, 1823, p.829). J'ai hiverné dans mon passé (...) Mon beau navire ô ma mémoire Avons-nous assez navigué Dans une onde mauvaise à boire Avons-nous assez divagué De la belle aube au triste soir (APOLL., Alcools, 1913, p.47).
De mémoire. Apprendre de mémoire; jouer de la musique de mémoire. Les védas (...) les anciennes poésies arabes ont été conservées de mémoire pendant des siècles (RENAN, Vie Jésus, 1863, p.XLVI).
Homme sans mémoire. Amnésique. Je ne suis pas Jacques Renaud; je ne reconnais rien ici de ce qui a été à lui (...) voyez-vous, pour un homme sans mémoire, un passé tout entier, c'est trop lourd à endosser en une seule fois (ANOUILH, Le Voyageur sans bagage, Paris, La Table Ronde, 1958, p.71).
Perdre la mémoire. Ne plus être capable de retrouver des souvenirs en conformité avec les faits passés.
♦[Par confusion, erreur de localisation des événements dans le temps] Elle perdait la mémoire, brouillait les époques, parlait comme d'événements récents du bal champêtre donné pour le couronnement de l'empereur (A. FRANCE, Pt Pierre, 1918, p.192).
♦[Par perte complète des souvenirs] Il avait perdu toute mémoire, ne se souvenait plus qu'il fût marié, qu'il eût des enfans, qu'il fût roi, qu'il se nommât Charles (BARANTE, Hist. ducs Bourg., t.2, 1821-24, p.110).
1. a) [Précédé ou suivi d'un adj. spécifiant la qualité, les degrés de la mémoire] Déplorable, grande, heureuse, mauvaise mémoire. Beauvilliers avait une mémoire prodigieuse: il reconnaissait et accueillait, après vingt ans, des personnes qui n'avaient mangé chez lui qu'une fois ou deux (BRILLAT-SAV., Physiol. goût, 1825, p.290).
Avoir la mémoire courte. Avoir une grande capacité d'oubli. Il paraît que vous avez la mémoire courte en toute chose, Vampa, dit le comte, et que non seulement vous oubliez le visage des gens, mais encore les conditions faites avec eux (DUMAS père, Monte-Cristo, t.1, 1846, p.547). Avoir la mémoire longue. Avoir une mémoire qui conserve les souvenirs. L'opinion publique n'a jamais eu la mémoire longue, vous le savez aussi bien que moi; et elle l'a plus courte aujourd'hui que de votre temps (AUGIER, Effrontés, 1861, p.369). Avoir la mémoire fraîche de qqc. Avoir un souvenir très présent. Ce fut la réflexion que je fis, ayant la mémoire toute fraîche de cette affaire (COURIER, Lettres Fr. et Ital., 1806, p.725).
Si j'ai bonne mémoire, si ma mémoire est bonne. Si mes souvenirs sont exacts. Si j'ai bonne mémoire, Madame de Noailles attaqua l'ex-député boulangiste sur le nationalisme (BLANCHE, Modèles, 1928, p.53).
Mémoire ingrate.
Proverbe. Quand on n'a pas de mémoire... Quand on n'a pas de mémoire il faut avoir de bonnes jambes, (...) quand on a oublié quelque chose il ne faut pas être paresseux pour l'aller chercher (J.-F. ROLLAND, Dict. mauv. lang., 1813, p.85).
b) [Suivi d'un compl. prép. de] Mémoire d'almanach. Une mémoire d'almanach! Qui sait mieux que lui combien il y a de boutons dans chaque uniforme (BAUDEL., Salon, 1846, p.166). Mémoire d'enfer. (Ds CARABELLI, [Lang. fam.], s.d.). Mémoire de fourmi. Mémoire très précise. Elle avait par contre une mémoire de fourmi. Je lui fixais à la dernière minute des rendez-vous que je choisissais à la hâte et au hasard, le troisième noyer du champ, la cinquième écluse (GIRAUDOUX, Bella, 1926, p.78). Mémoire de linotte (p.allus. à tête de linotte). Mémoire faible. Elle se mit à chanter à tue-tête des morceaux d'opéra traînant dans sa mémoire de linotte, faisant des roulades, passant de Robert le diable à la Muette (MAUPASS., Contes et nouv., t.1, Dimanches bourg. Paris, 1880, p.322).
Familier
Mémoire de lièvre. ,,Cet homme a une mémoire de lièvre, il la perd en courant. Il n'a point de mémoire; une chose lui en fait aisément oublier une autre`` (Ac. 1835, 1878).
Avoir une mémoire d'éléphant. Avoir une mémoire exceptionnelle et en particulier être rancunier, ne pas oublier les torts d'autrui à son propre égard. C'est un individu froid, aimable, doué d'une énorme puissance de travail, d'une mémoire d'éléphant (EXBRAYAT, Pour ses beaux yeux, Paris, Le Livre de poche, 1971, p.9). Beaucoup trop d'artistes, vexés de ne pas «faire du monde», font preuve en scène d'une agressivité regrettable à l'égard de ceux qui se sont déplacés (...). Ils risquent fort de le payer cher à leur passage suivant: dans ce domaine, le public a une mémoire d'éléphant (Th. LE LURON, Comme trois pommes, Paris, Flammarion, 1978, p.87).
2. [Gén. suivi d'un adj. déterminatif ou d'un compl. prép. de, spécifiant les niveaux de la mémoire, la nature des informations]
a) [Mémoire du corps, des sens] Mémoire auditive, gustative, sensitive, sensorielle, visuelle. Il n'a jamais rencontré un homme ayant une mémoire de l'œil pareille à la sienne (...) gardant le cliché d'une chose seulement entrevue (GONCOURT, Journal, 1896, p.900). Son œil et ses jambes gardaient la mémoire de tous les plans de terrain et de tous les sentiers (JOUVE, Scène capit., 1935, p.9):
2. ... la meilleure part de notre mémoire est hors de nous, dans un souffle pluvieux, dans l'odeur de renfermé d'une chambre ou dans l'odeur d'une première flambée, partout où nous retrouvons de nous-même ce que notre intelligence (...) avait dédaigné, la dernière réserve du passé, la meilleure...
PROUST, J. filles en fleurs, 1918, p.643.
Fam. Mémoire du ventre. Mémoire des bons repas pris chez quelqu'un; la reconnaissance qui en découle. Ces ingrats regrettaient les bons dîners, les collations de la veuve, s'accordant tous à dire que cette dame faisait bien les honneurs de chez elle. — Ils avaient au moins la mémoire du ventre (REIDER, Mlle Vallantin, 1862, p.150).
b) [Mémoire de la sensibilité] Mémoire du coeur. On dirait que ma mémoire n'est que la mémoire de ma sensibilité (STENDHAL, Journal, 1806, p.276). Tous les souvenirs de son enfance revinrent à sa mémoire; son amour pour sa cousine se réveilla avec une force invincible (BALZAC, Annette, t.3, 1824, p.161).
c) [Mémoire intellectuelle] Mémoire des chiffres, des noms; mémoire verbale; cultiver sa mémoire; rafraîchir la mémoire de qqn, se rafraîchir la mémoire. Dantès répétait d'un bout à l'autre dans sa mémoire la lettre, dont il n'avait pas oublié un mot (DUMAS père, Monte-Cristo, t.1, 1846, p.271). Il les éblouissait [Proust] par les ressources d'une mémoire jamais en défaut, nourrie de lectures que l'on ne faisait plus (BLANCHE, Modèles, 1928, p.100):
3. Il se forme une piètre opinion sur la culture celui qui croit qu'elle repose sur la mémoire de formules. Un mauvais élève du cours de Spéciales en sait plus long sur la nature et sur les lois que Descartes et Pascal. Est-il capable des mêmes démarches de l'esprit?
SAINT-EXUP., Terre hommes, 1939, p.255.
d) En partic.
[À propos de la mémoire individuelle d'une pers.] Mémoire panoramique. ,,Phénomène de reviviscence d'états vécus qui s'observe soit comme aura épileptique, soit dans des situations de danger mortel`` (MOOR 1966). Voir BERGSON, Œuvres, Matière et Mémoire, Paris, P.U.F., 1917, p.168.
[À propos de la mémoire d'une pers. liée à un groupe]
Mémoire collective. ,,Savoir mystérieux d'un fond commun qu'on suppose inhérent au groupe`` (J.-C. FILLOUX, La-Mémoire, Paris, P.U.F., 1967, p.51). Mémoire collective de la famille, de classe; mémoire collective religieuse. La vivacité de la mémoire collective opposée à l'histoire écrite par le pouvoir est l'une des permanences observées par Marc Ferro au terme d'une enquête dans le monde entier (La Manipulation de l'histoire ds L'Histoire, févr. 1982, n° 42, p.92).
Mémoire héréditaire. Mémoire liée au patrimoine héréditaire. (Impression (...) d'avoir vécu dans une maison dont on n'a cependant jamais franchi le seuil), je disais à quelqu'un qu'il devait y avoir là un phénomène de mémoire héréditaire (GREEN, Journal, 1948, p.140).
3. P. anal., INFORMAT. Mémoire (d'un ordinateur). ,,Organe d'enregistrement des données, programme, résultats partiels, etc., dans lequel la machine va chercher les informations qui lui sont nécessaires au fur et à mesure du déroulement de son travail`` (DEW. Électr. 1973).
Mémoire (non) adressable, à disque, à tambour.
Mémoire centrale. Mémoire intégrée à l'ordinateur, d'accès très rapide, mais de capacité limitée (d'apr. DEW. Électr. 1973). Mémoires périphériques. Mémoires de capacité importante, mais d'accès relativement plus lent (d'apr. DEW. Électr. 1973).
SYNT. [Correspond à supra 3] Mémoire externe, tampon, temporaire, virtuelle; mémoire auxiliaire, circulaire, intermédiaire, interne, magnétique, principale, de travail; mémoire annexe, de base, de contrôle, électrostatique (Informat. 1972).
B.Spécialement
1. MÉD., BIOL. Mémoire biologique. Mémoire inhérente à la cellule vivante. Il faut bien une sorte de mémoire biologique pour édifier, dans l'embryogénie, le système nerveux lui-même (RUYER, Conscience, 1937, p.129). Mémoire de l'espèce. Instinct. (Ds LAFON 1969). Mémoire immunologique. ,,Souvenir que certains lymphocytes (...) gardent de l'antigène rencontré par les cellules dont ils proviennent`` (GARNIER-DEL. 1972).
2. MYTH. [Nom de la déesse de la mémoire appelée aussi Mnémosyne] Mnémosyne! s'écria-t-il, déesse de la mémoire, mère des chastes muses, inspire ton fidèle et fervent adorateur! (VERNE, Enf. cap.Grant, t.2, 1868, p.40). Les filles de Mémoire. Les muses. Je prie les poëtes de me pardonner d'avoir invoqué les Filles de Mémoire, pour m'aider à chanter les Martyrs (CHATEAUBR., Martyrs, t.1, 1810, p.24). Le temple de Mémoire. Temple imaginaire dans lequel, selon les poètes, les noms des grands hommes sont conservés. Ces doctes héros, dont la main de la gloire A consacré les noms au temple de Mémoire (CHÉNIER, Épîtres, 1794, p.180).
3. PHILOS. Grande fonction psychique, inséparable de la conscience de soi, indissociable de l'imagination, assurant l'unité du moi et consistant dans la reproduction d'un état de conscience passé avec ce caractère qu'il est reconnu pour tel par le sujet. Il n'y a pas de conscience sans mémoire, pas de continuation d'un état sans l'addition, au sentiment présent, du souvenir des moments passés (BERGSON, La Pensée et le mouvant, Genève, A. Skira, 1946 [1934], p.192). La mémoire n'est qu'un nom pour désigner l'activité constituante de la conscience de soi, prolongée en connaissance et développée en représentation (G. GUSDORF, Mémoire et personne, Paris, P.U.F., t.1, 1951, p.257):
4. La conscience du moi est liée à la mémoire, et c'est la mémoire en son fond métaphysique qui nous révèle toute l'histoire du passé comme notre aventure personnelle, ensevelie au coeur le plus intime de notre être.
N. BERDIAEFF, 5 méditations sur l'existence, trad. par I. Vildé-Lot, Paris, éd. Montaigne, 1936, p.146.
4. PSYCHOL. Enregistrement par le cerveau des faits passés (d'apr. Psychol. 1969). Mémoire immédiate. Reconstitution des faits d'un passé récent (d'apr. Psychol. 1969). Mémoire différée. Reconstitution d'un plus lointain passé (d'apr. Psychol. 1969).
Mémoire affective. ,,Reviviscence d'un état affectif ancien, reviviscence s'effectuant indépendamment de toute représentation consciente, ou du moins antérieurement à l'acte de prise de conscience`` (FOULQ. 1971). La mémoire affective paraît, tantôt comme un réconfort, tantôt comme un moyen de retrouver un passé perdu, tantôt pour apporter une dimension esthétique (E. JACKSON, L'Évolution de la mémoire involontaire dans l'oeuvre de M. Proust, Paris, Nizet, 1966, p.20).
Mémoire mécanique. V. mnémotechnique et J.-C. FILLOUX, op. cit., p.16.
Test de mémoire.
[Chez Bergson] Mémoire-habitude, mémoire-conscience. Il y a (...) deux mémoires profondément distinctes: l'une, fixée dans l'organisme, n'est point autre chose que l'ensemble des mécanismes intelligemment montés qui assurent une réplique convenable aux diverses interpellations possibles (...). Habitude plutôt que mémoire, elle joue notre expérience passée, mais n'en évoque pas l'image. L'autre est la mémoire vraie. Coextensive à la conscience, elle retient et aligne à la suite les uns des autres tous nos états au fur et à mesure qu'ils se produisent, laissant à chaque fait sa place et par conséquent lui marquant sa date (BERGSON, Matière et mémoire, Paris, Alcan, 1917, p.164).
[Chez Proust] Mémoire volontaire, involontaire. La mémoire volontaire, qui est surtout une mémoire de l'intelligence et des yeux, ne nous donne du passé que des faces sans vérité; mais qu'une odeur, une saveur retrouvées dans des circonstances toutes différentes réveillent en nous, malgré nous, le passé, nous sentons combien ce passé était différent de ce que nous croyions nous rappeler et que notre mémoire volontaire peignait, comme les mauvais peintres, avec des couleurs sans vérité (PROUST, Lettre à Antoine Bibesco, 1912 ds R. Hist. litt. Fr. déc. 1971, pp.945-946).
5. PATHOL. Altérations, délires, troubles de la mémoire. V. amnésie, hypermnésie, paramnésie. Il y a un point sur lequel tout le monde s'accorde, c'est que les maladies de la mémoire des mots sont causées par des lésions du cerveau plus ou moins nettement localisables (BERGSON, L'Énergie spirituelle, Paris, P.U.F., 1955, p.51).
II. — [La mémoire considérée dans son effet] Ce qu'une personne ou la postérité a retenu dans ses souvenirs.
A. — Souvenir. Avoir, conserver, garder (la) mémoire d'un événement, d'un fait, d'une journée. À cinquante ans, la mémoire des jours passés dans son pays et parmi les siens lui revenait aussi fraîche et aussi douloureuse qu'au moment de sa captivité (THIERRY, Récits mérov., t.2, 1840, p.269).
Digne de mémoire. Qui mérite qu'on s'en souvienne. Cela dura jusqu'au jour où un général qui visitait le camp (...) nous surprit à brailler ce choeur peu charitable et fit une scène digne de mémoire (AMBRIÈRE, Gdes vac., 1946, p.263).
Pour mémoire. Afin de ne pas oublier. Je note ici pour simple mémoire, que je dois commencer le travail de demain par la rédaction d'une note (DU BOS, Journal, 1928, p.89).
P. méton. Contenu du souvenir. Comme ce tango a bien su me garder la mémoire de ce temps-là (DU BOS, Journal, 1926, p.83).
Proverbe (vx). Mémoire du mal a longue trace, mémoire du bien tantôt passe (BESCH. 1845, GUÉRIN 1892).
B. — 1. Souvenir (bon ou mauvais) qu'une personne laisse d'elle en son absence ou après sa mort, en vertu de ses talents, de ses qualités, de ses hauts faits ou à cause de ses méfaits. Bénir, calomnier, célébrer, chérir, défendre, flétrir, honorer, laver, outrager, pleurer, réhabiliter, venger la mémoire de qqn; célébrer un office, élever un monument à la/en mémoire de qqn; être fidèle à la mémoire de qqn. En 1786, M. le comte de La Pérouse (...) consacra sa mémoire [de M. de La Croyère] en donnant son nom à une île, près des lieux où ce savant avait abordé (Voy. La Pérouse, t.3, 1797, p.144). Elle venait sur le port, ressusciter la mémoire chère, évoquer la grande ombre, intensément, douloureusement (VAN DER MEERSCH, Empreinte dieu, 1936, p.248):
5. C'était le fils du fameux Jacques d'Artevelde (...) qui avait gouverné sept ans la Flandre avec tant d'honneur et de succès; il avait laissé une si grande mémoire, que les Gantois disaient tous les jours: «Ah! Si Jacques d'Artevelde vivait!»
BARANTE, Hist. ducs Bourg., t.1, 1821-24, p.214.
Locutions
a) À la mémoire de qqn. En hommage d'auteur à une personne. À la mémoire de la compagne de ma jeunesse je dédie ce livre tout inspiré par son esprit (SOREL, Réflex. violence, 1908, p.3). En épitaphe. Il se promène, lisant les inscriptions des tombes. À la mémoire des soldats du régiment de marine tués à l'assaut (CLAUDEL, Part. midi, 1906, II, p.1017). Boire à la mémoire de qqn. Lever son verre en l'honneur de quelqu'un, porter un toast. Je serai moins ingrat qu'eux, je boirai à sa mémoire (DUMAS père, C. Howard, 1834, I, 3, p.238).
b) Paix à sa mémoire. [En guise de souhait pieux à l'intention d'une pers. défunte] Paix à sa mémoire! On s'est demandé de quoi il était mort (G. LEROUX, Roul. tsar, 1912, p.13).
c) Faire mémoire de qqn. Citer le nom d'un défunt au cours d'un office religieux (v. mémento des morts). Le prêtre (...) dit une oraison où il fait mémoire des morts, appelle la miséricorde sur eux (BARRÈS, Cahiers, t.6, 1908, p.113).
d) Jurer sur la mémoire de qqn. Faire serment sur une personne défunte. Jure-moi que demain matin tu seras ici... c'est très bête, mais jure-le moi sur la mémoire de ta mère (PAGNOL, Marius, 1931, II, 6, p.145).
e) De mémoire d'homme. Aussi loin que remontent les souvenirs des hommes. Cet espace roux, semé de galets ronds, où se tordaient de maigres touffes de thym et d'aspic (...). De mémoire d'homme on n'y avait jamais rien récolté (BOSCO, Mas Théot., 1945, p.245). Plus rare. [Suivi d'un autre subst.] De mémoire de chien, de rose. Jamais de mémoire de nonne on n'avait ri de si bon coeur (SAND, Hist. vie, t.3, 1855, p.239). De mémoire de guide, on n'avait vu un alpiniste pareil (A. DAUDET, Tartarin Alpes, 1885, p.194).
f) En mémoire de qqn. Pour transmettre et perpétuer le souvenir de quelqu'un. Faire, garder qqc. en mémoire de qqn. Vous donnerez à Pierre une montre en or, en mémoire de moi (A. FRANCE, Vie fleur, 1922, p.336).
2. Réputation, gloire posthume. Mourir sans mémoire. Je tiens plus à ma mémoire qu'au jour où je vis; ma mémoire, si elle dure, devant être plus longue que ma vie (CHATEAUBR., Mém., t.3, 1848, p.140). Quelle belle, noble et pure mémoire il a laissée! Son nom sera certainement un des plus honorés parmi ceux qui ne sortiront pas du souvenir des hommes (J.-J. AMPÈRE, Corresp., 1861, p.401).
♦[Expression de louange ou de détestation à l'adresse d'une personne] De bonne, d'illustre, d'horrible mémoire. Ariane, de touchante mémoire, accompagna Thésée aux portes du labyrinthe pour l'aider à tuer le monstre (BALZAC, Physiol. mar., 1826, p.70). Il ne faut pas demander maintenant où a passé la taxe que le roi Philippe le Bel, de glorieuse mémoire, a levée (DUMAS père, Tour Nesle, 1832, I, 1, p.4). Plus rare. [Le subst. désigne qqc.] La Convention de longue et sanglante mémoire unit au délire de la cruauté quelques idées très vigoureuses (CHÊNEDOLLÉ, Journal, 1809, p.47). Je marchai des heures sous la pluie pour arriver plein d'espoir à Pennyfields, de sinistre mémoire (MORAND, Londres, 1933, p.105).
REM. 1. Mémoratif, -ive, adj., vieilli. Qui se souvient, qui a mémoire de quelque chose. Je n'en suis pas bien mémoratif (Ac. 1835, 1878). Veuillez être mémorative que Cannes n'est plus dans le dépt du Var mais dans celui des Alpes Maritimes (MÉRIMÉE, Lettres Mme de Beaulaincourt, 1867, p.81). 2. Mémorieux, -euse, adj., vieilli. Qui a de la mémoire. Je sais bien pourquoi vous n'êtes plus mémorieuse au milieu [de l'histoire] comme vous l'étiez au commencement; c'est que ça commence à mal tourner pour le champi, et que ça vous fait peine (SAND, F. le Champi, 1848, p.65).
Prononc. et Orth.:[]. Ac. 1694, 1718: me-, dep.1740: mé-. Étymol. et Hist. 1. Ca 1050 «champ mental des souvenirs» avoir en memoire «garder dans l'esprit le souvenir de» (ici, le souvenir collectif, cf. sens 2) (Alexis, éd. Chr. Storey, 621); 1377 venir a memoire (à qqn) (GACE DE LA BUIGNE, Roman des Deduis, éd. Å. Blomqvist, 11031); fin XIVe s. en memoire d'homme (FROISSART, Chron., éd. Sté de l'Hist. de France, t.13, p.11); 1417-35 de memoire de homme «depuis des temps immémoriaux» (CLEMENT DE FAUQUEMBERGUE, Journal, éd. A. Tuetey, II, p.235 ds IGLF); 2. ca 1130-40 «évocation, action de se souvenir de quelqu'un ou quelque chose» faire memoire de «faire que le souvenir de quelqu'un soit gardé, garder à l'esprit» (WACE, Conception ND, éd. W. R. Ashford, 1054); 1655 liturg. cath. MÉMOIRE2
faire mémoire de «évoquer dans les prières de la messe» (BOSSUET, Réfutation du catéchisme de P. Ferry, II, 3 ds LITTRÉ); 3. 1re moitié XIIe s. «souvenir durable laissé dans la conscience des hommes» (Psautier Cambridge, 82, 4 ds T.-L.); ca 1200 de grant mimore «de grande renommée» (RENAUT DE BEAUJEU, Bel inconnu, éd. G. P. Williams, 6245); 1260 de bone mémoire «dont on garde bon souvenir après sa mort» (Archives Haute-Marne 11 H 11 Documents linguistiques de la France, Série fr., I, 121, 2, cf.aussi M. NEZIROVIC, Le Vocab. des deux versions du roman de Thèbes, Univ. Clermont-Ferrand II, fasc. 8, pp.114-115); 1690 purger, abolir la mémoire de (FUR.); 1694 à la mémoire de (Ac.); 4. 1160-74 «faculté de se souvenir» (WACE, Rou, éd. A. J. Holden, II, 1306); fin XIIIe s. par memoire «par coeur» (Les deux Bordeors Ribauz, vers 308, Fabliaux, éd. A. de Montaiglon et G. Raynaud, t.1, p.12); 1671 de mémoire (POMEY); 5. 1951 «dispositif de traitement d'information d'un calculateur électronique» (L. DE BROGLIE, Conf. Conservatoire des Arts et Métiers ds Nouvelles perspectives en microphysique, Paris, Albin Michel, 1956, p.94). Du lat. memoria «aptitude à se souvenir, souvenir, ensemble de souvenirs, témoignage du passé». Au sens 5, cf. angl. memory (1946 ds NED Suppl.2).
II.
⇒MÉMOIRE2, subst. masc.
A. — Relation manuscrite ou imprimée qui rappelle la vie, les événements auxquels est associée une personne. J'ai envie d'écrire un petit mémoire de ce qui m'est arrivé pendant mon dernier voyage à Paris (STENDHAL, Souv. égotisme, 1832, p.5). Deux heures sonnaient qu'il était encore à lire l'étrange morceau d'analyse que Robert avait appelé un mémoire sur lui-même, et dont le vrai titre eût été: «Confession d'un jeune homme d'aujourd'hui» (BOURGET, Disciple, 1889, p.61).
En partic., au plur. (avec une majuscule dans le titre d'une oeuvre). Relation, parfois oeuvre littéraire, que fait une personne à partir d'événements historiques ou privés auxquels elle a participé ou dont elle a été le témoin. Dicter, écrire ses mémoires; lire les Mémoires de Retz, de Saint-Simon. Je lis avec grand plaisir les Mémoires de Montluc. C'est un homme admirable, il raconte des choses! (COURIER, Pamphlets pol., À Conseil préfect. Tours, Lettres partic. 2, 1820, p.71). Je me suis promis dans ces mémoires de dire toute ma pensée (JOFFRE, Mém., t.2, 1931, p.437):
1. Si j'étais destiné à vivre, je représenterais dans ma personne, représentée dans mes mémoires, les principes, les idées, les événements, les catastrophes, l'épopée de mon temps.
CHATEAUBR., Mém., t.1, 1848, p.4.
B. — Exposé qui attire l'attention de quelqu'un sur une question précise.
1. Écrit sommaire qui vise à informer. Mon père a remis à l'empereur le mémoire adressé par toi. Le récit de tes attentats avait irrité sa justice (LA MARTELIÈRE, Robert, 1793, V, 9, p.71). Le maréchal de Belle-Isle, voyant que M. de Choiseul prenait trop d'ascendant, fit faire contre lui un mémoire pour le roi, par le jésuite Neuville (CHAMFORT, Caract. et anecd., 1794, p.135).
Mémoire justificatif. Madame de Longueville (...) lui transmit, quelques jours après, un mémoire justificatif, dressé par M. Arnauld. Ce mémoire, en forme d'argumentation, était raide et peu adroit (SAINTE-BEUVE, Port-Royal, t.4, 1859, p.79).
2. DR. Écrit où sont consignés les motifs d'un plaideur. Si Greslou était condamné, il déposerait le mémoire entre les mains du président, sur l'heure même (BOURGET, Disciple, 1889, p.223).
3. Dissertation sur quelque objet de science, d'érudition, de littérature rédigée à l'intention d'une société savante ou en vue d'un concours, d'un examen. Un savant mémoire; mémoire généalogique, historique; mémoire de chimie, de géométrie, de licence; lire le mémoire de qqn sur la musique, les vers à soie; présenter un mémoire de maîtrise. Il rappelait son mémoire intitulé:Du cidre, de sa fabrication et de ses effets (FLAUB., MmeBovary, t.2, 1857, p.205). Un mémoire sur l'étude du grec au moyen âge que j'avais commencé pour répondre à une question de l'Académie des inscriptions et belles-lettres, absorbait toutes mes pensées (RENAN, Avenir sc., 1890, p.I):
2. Lorsque Mendel publia son fameux mémoire sur les croisements de pois, nul ne comprit qu'une science nouvelle, aux prolongements infinis, la science de l'hérédité, venait de faire son entrée dans le monde.
J. ROSTAND, La Vie et ses probl., 1939, p. 23.
Au plur. Recueil des travaux d'une société savante. Suivant l'abbé de La Caille, la latitude ne serait que de 7 degrés 57 minutes (...).Voyez les Mémoires de l'Académie des Sciences, année 1754, page 129 (Voy. La Pérouse, t.1, 1797, p.66).
4. État détaillé des sommes dues à un entrepreneur, un artisan, un fournisseur, un homme de justice. Mémoire de frais; acquitter, payer, solder un mémoire; le mémoire de l'hôtelier, du menuisier, du peintre, du tapissier. Vous vérifierez et réglerez mon mémoire, il n'y a qu'à toiser, tous les prix sont convenus par vous au nom de Monsieur Birotteau (BALZAC, C. Birotteau, 1837, p.227):
3. ... je loue aux Bénédictins leur maison que j'ai fait rebâtir — les devis, les factures sont à mon nom et c'est moi qui ai réglé, en personne, les mémoires des entrepreneurs et de l'architecte.
HUYSMANS, Oblat, t.2, 1903, p.112.
Prononc. et Orth. V. mémoire1. Étymol. et Hist. 1. Ca 1190 «écrit, relation» (BEROUL, Tristan, éd. E. Muret, 1268); 2. 1356 dr. «document contenant les faits et les moyens d'une cause qui doit être jugée» (Ordonnances, III, 134 ds GDF.); 3. 1477 «écrit contenant des renseignements ou des instructions destinés à quelqu'un sur quelque affaire» (Lettres Louis XI ds BARTZSCH, p.131); 1580 pour mémoire (B. PALISSY, Discours admirables, p.379 ds IGLF); 4. 1551 «relevé de sommes dues, facture» (Journal du Sieur de Gouberville ds POPPE, p.305); 5. 1552 au plur. «ouvrage faisant le récit des événements que l'on a vécus au cours de son existence» (Les memoires de messire Philippe de Commines, reveus et corrigez par D.S.P., cf. aussi éd. J. Calmette, t.1, p.XXVI); 6. a) 1671 «exposé, dissertation sur un sujet d'étude précis» (au plur. dans le titre d'ouvrages rassemblant de tels textes) (Cl.PERRAULT, Mémoires pour servir à l'hist. nat. des animaux); b) 1789 au sing. (LAVOISIER, Chim., t.1, p.64). Spécialisation, au masc., de mémoire1.
STAT.Mémoire1 et 2. Fréq. abs. littér.:9258. Fréq. rel. littér.:XIXe s.: a) 17317, b) 11407; XXe s. a) 10566, b) 12129.

1. mémoire [memwaʀ] n. f.
ÉTYM. V. 1138; memorie, v. 1050; du lat. memoria, de memor, oris (→ Mémorable), de la famille du grec mnêmê (→ Mnémo-), rapproché plus tard de memini « avoir présent à l'esprit », mot de la famille de mens « esprit », cf. les comp. commemorare (→ Commémorer), et rememorarī (→ Remémorer).
———
I
1 Faculté de conserver et de rappeler des états de conscience passés et ce qui s'y trouve associé; l'esprit, en tant qu'il garde le souvenir du passé. Mnémo-, -mnésie; souvenir, (vx) souvenance. || La mémoire, réceptacle de connaissances (→ Étui, cit. 6), comparée à une cire qui garde l'empreinte des états vécus, à un palimpseste (→ Embaumer, cit. 2). || La mémoire garde, enregistre, retient… sélectionne et modifie les souvenirs (→ Élaboration, cit. 5). || Contenu de la mémoire. || L'arrière-fond (cit. 3), les trésors obscurs de la mémoire (→ Chercher, cit. 39). || Mémoire encombrée (cit. 10) de souvenirs. || « L'esprit (cit. 41) n'est que sensibilité et mémoire » (Helvétius). || Rôle de la mémoire dans la vie pratique, dans la création artistique (→ Bref, cit. 9; créateur, cit. 12). || L'imagination (cit. 22) et la mémoire.
1 Il faut compenser l'absence par le souvenir. La mémoire est le miroir où nous regardons les absents.
Joseph Joubert, Pensées, V, LV.
2 (…) il me paraît, en ce moment, que la mémoire est une faculté merveilleuse et que le don de faire apparaître le passé est aussi étonnant et bien meilleur que le don de voir l'avenir.
France, le Livre de mon ami, « Livre de Pierre », Dédicace.
3 Certes, on peut prolonger les spectacles de la mémoire volontaire, qui n'engage pas plus de forces de nous-mêmes que feuilleter un livre d'images (…) je m'étais dit, en cataloguant ainsi les illustrations de ma mémoire : « J'ai tout de même vu de belles choses dans ma vie. »
Proust, À la recherche du temps perdu, t. XV, p. 15-16.
4 Loin de porter ombrage à l'intelligence, la mémoire l'alimente, la suscite, lui fournit des matériaux.
G. Duhamel, Inventaire de l'abîme, V.
Avoir, garder dans sa mémoire, en mémoire. Rappeler (se), retenir, savoir, souvenir (se). || Ne plus avoir en mémoire. Oublier. || Étudier, repasser, répéter (un texte) pour fixer dans sa mémoire. Mémoriser. || Charger sa mémoire d'une connaissance; meubler, enrichir (cit. 7), orner sa mémoire. || Surcharger, encombrer sa mémoire. || « Ce qui touche le cœur (cit. 139) se grave dans la mémoire » (Voltaire). Marquer. || Sentiment, événement qui vit dans nos mémoires (→ Barbe, cit. 19); toujours vivant, présent à la mémoire (→ Gravé en lettres d'or). || Fait digne de mémoire. Mémorable. || Vers qui chantent dans la mémoire (→ Cou, cit. 5). || Souvenir, passé qui revient, remonte à la mémoire (→ Bouffée, cit. 5; félonie, cit. 1), à fleur (cit. 39 et 40) de mémoire. || Souvenir qui s'efface (cit. 22), sort de la mémoire, échappe à la mémoire. || Rappeler à la mémoire. Évoquer, penser (à), recorder, remémorer (se), repasser (dans), reporter (se), ressouvenir (se), revivre, revoir. || Évocation (cit. 11) par la mémoire. || Se remettre une chose en mémoire. || Chercher, fouiller (cit. 31) dans sa mémoire pour trouver un souvenir, un mot (→ Agression, cit. 2). || Efforts (cit. 10) de mémoire.Rayer de sa mémoire : s'efforcer d'oublier (→ Fumée, cit. 14).
5 Nous ne travaillons qu'à remplir la mémoire, et laissons l'entendement et la conscience vide.
Montaigne, Essais, I, XXV.
6 Savoir par cœur n'est pas savoir : c'est tenir ce qu'on a donné en garde à sa mémoire.
Montaigne, Essais, I, XXVI.
7 J'ai présent à la mémoire, comme si je le voyais encore, le spectacle dont je fus témoin lorsque Louis XVIII, entrant dans Paris le 3 mai, alla descendre à Notre-Dame (…)
Chateaubriand, Mémoires d'outre-tombe, t. III, p. 314-315.
8 Rien de ce qu'il m'a dit ne s'est effacé de ma mémoire, et je le répéterai presque mot pour mot.
A. de Vigny, Servitude et Grandeur militaires, III, II.
9 Détails oubliés, impressions anciennes nous revenaient en mémoire, tandis que lentement nous regagnions la maison, faisant à chaque pas de longues stations pour mieux échanger nos souvenirs.
Alain-Fournier, le Grand Meaulnes, III, II.
10 (…) il a tout retenu, parce que sa mémoire, où tout s'imprimait fortement, gardait ses lectures comme gravées dans l'airain.
Louis Madelin, Hist. du Consulat et de l'Empire, « De Brumaire à Marengo », VI.
11 Ces souvenirs qu'un hasard avait fait lever des bas-fonds de sa mémoire, flottaient obstinément à la surface (…)
Martin du Gard, les Thibault, t. III, p. 267.
(XIVe). Faculté collective de se souvenir. || La mémoire de la postérité : la faculté collective de garder le souvenir des hommes, des événements… || S'inscrire (cit. 2), rester, durer dans la mémoire des hommes (→ Broussaille, cit. 3; illustrer, cit. 3). || Nom resté exécrable (cit. 5) dans la mémoire du peuple. Absolt. || « Ô siècles, ô mémoire, conservez (cit. 8) à jamais ma dernière victoire » (Corneille).
12 Mon esprit, peu jaloux de vivre en la mémoire,
Ne considère point le reproche ou la gloire (…)
Voltaire, la Mort de César, III, 2.
13 Ainsi, quand je serai perdu dans la mémoire
Des hommes (…)
Baudelaire, les Fleurs du mal, « Spleen et idéal », XLVIII.
Loc. (1984). Lieu de mémoire, « unité significative, d'ordre matériel ou idéel, dont la volonté des hommes ou le travail du temps a fait un élément symbolique d'une quelconque communauté » (Pierre Nora). || «  classer le Fouquet's parmi les lieux de mémoire, nouvelle classification qui s'impose pour nous contraindre à les respecter » (Le Figaro Magazine, 1er oct. 1988).
(Qualifié ou en contexte). Degrés de tension et de vitalité de la mémoire. || Avoir une bonne mémoire, la mémoire prompte, beaucoup de mémoire (→ Esprit, cit. 93), la mémoire tenace.Loc. Une mémoire d'éléphant. || Mémoire fidèle (cit. 25), sûre, qui ne laisse rien échapper (cit. 14). || Mémoire sans défaillance (cit. 4), prodigieuse. || Il, elle a une mémoire extraordinaire, incroyable. || Il faut une bonne mémoire après (cit. 18) qu'on a menti. — ☑ (1668). Si j'ai bonne mémoire : si mes souvenirs sont exacts. || Si ma mémoire est exacte.Avoir une mauvaise mémoire (→ Frime, cit. 2), mauvaise mémoire. || Avoir peu de mémoire (→ Contention, cit. 4).Avoir la mémoire courte (cit. 12) : oublier très vite. || Mémoire infidèle, incertaine, labile, défaillante… || Les défaillances de notre mémoire. Oubli; absence (→ Effacement, cit. 1; imaginaire, cit. 5). || Lacune (cit. 5), trou, lapsus de mémoire (→ Compte, cit. 23). || Ma mémoire m'a trahi. || Se défier de sa mémoire (→ Hémistiche, cit. 3). || Perdre la mémoire en vieillissant (→ Brouiller, cit. 10; gâteux, cit. 3). || Exercer, entraîner, cultiver, fortifier sa mémoire. Mnémotechnie, mnémotechnique (→ Augmenter, cit. 3), mémorisation. || Exercice de mémoire. || Aider la mémoire de qqn. Souffler; rafraîchir (les idées). — ☑ (1549). Rafraîchir la mémoire à qqn, lui remettre qqch. en mémoire.
14 Tout le monde se plaint de sa mémoire, et personne ne se plaint de son jugement.
La Rochefoucauld, Réflexions morales, 89.
15 Pourquoi faut-il que nous ayons assez de mémoire pour retenir jusqu'aux moindres particularités de ce qui nous est arrivé, et que nous n'en ayons pas assez pour nous souvenir combien de fois nous les avons contées à une même personne ?
La Rochefoucauld, Maximes, 313.
16 Mais, garçon de quinze ans, si j'ai bonne mémoire (…)
La Fontaine, Fables, III, 1.
17 (…) j'ai rafraîchi ma mémoire de tout ce que vingt-deux jours de fièvre m'avaient un peu effacé (…)
Mme de Sévigné, 531, 4 mai 1676.
18 Avec une âme de feu, Julien avait une de ces mémoires étonnantes si souvent unies à la sottise.
Stendhal, le Rouge et le Noir, I, V.
19 Il y a là un grand trou dans ma mémoire.
Alphonse Daudet, le Petit Chose, II, XV.
Loc. adv. (1671). De mémoire : en usant de sa mémoire, sans avoir la chose sous les yeux. || Dire un texte, réciter de mémoire. Cœur (par cœur). || Citer un auteur de mémoire. || Dessiner (cit. 2) de mémoire, sans modèle.
20 (…) ceux qui s'étonnent qu'un artiste de piano ou de violon puisse jouer de mémoire, font voir simplement qu'ils ignorent l'obstiné travail par quoi on est artiste.
Alain, Propos, 28 avr. 1921, Épreuves p. caractère.
(Formes, spécialisations de la mémoire). || Mémoire intellectuelle (→ Illustre, cit. 10), visuelle, auditive.Mémoire de… : aptitude à se rappeler spécialement (certaines choses). || Avoir la mémoire des noms, des lieux, des visages (→ Impératrice, cit. 2).
21 (…) les enfants, n'étant pas capables de jugement, n'ont point de véritable mémoire. Ils retiennent des sons, des figures, des sensations, rarement des idées, plus rarement leurs liaisons.
Rousseau, Émile, II.
22 Le cœur a sa mémoire à lui. Telle femme incapable de se rappeler les événements les plus graves, se souviendra pendant toute sa vie des choses qui importent à ses sentiments.
Balzac, la Femme de trente ans, Pl., t. II, p. 726.
23 Précieuse, à vrai dire, m'apparaît la mémoire des lieux, des visages, des odeurs. Celle-là, je prends plaisir à l'exercer par des moyens indirects.
G. Duhamel, les Plaisirs et les Jeux, III, V.
Absolt. Bonne mémoire. || Avoir de la mémoire. || Il faut de la mémoire pour être exact (cit. 8). || N'avoir aucune mémoire.
24 Moi, je n'ai pas de mémoire. Excepté pour ton anniversaire, chéri. Cela, je ne l'oublie jamais.
Giraudoux, Électre, I, 2.
Myth. Nom de Mnémosyne, déesse de la mémoire. || Les filles de Mémoire. Muse.(1690). Poét. || Le temple de Mémoire : fiction poétique d'un temple où l'on garderait le souvenir des grands hommes (→ Fastes, cit. 2).
25 Les muses, filles de la Mémoire, vous enseignent que sans mémoire on n'a point d'esprit (…)
Voltaire, Mélanges historiques, « Déf. de mon oncle », XXI.
Fig. || L'histoire (cit. 13) est la mémoire des âges.Poét. || Rivages sans mémoire (→ Cours, cit. 14).
2 Psychol. Ensemble des fonctions psychiques grâce auxquelles nous pouvons nous représenter le passé et le reconnaître comme tel (fixation, conservation, rappel et reconnaissance des souvenirs). || Mémoire immédiate (des faits récents), mémoire différée (des faits anciens). || Niveaux de la mémoire, en psychologie traditionnelle : répétition (reproduction identique d'un acte), habitude (reproduction plus ou moins transformée de l'acte antérieur); mémoire associative (déclenchée spontanément par une stimulation, un autre souvenir); mémoire évocative (évocation volontaire, en fonction de la situation présente); mémoire réflexive (dirigée, en vue d'un effet créateur). || Niveaux de la mémoire, selon Delay : « mémoire sensori-motrice (souvenir élémentaire des sensations et des mouvements), mémoire autistique (celle des rêves et des rêveries, des délires mêmes, plus ou moins consciente, en rapport avec l'état intérieur et l'affectivité); mémoire sociale (par utilisation des fonctions de relation et intégration dans le temps et dans le cadre social des situations passées ou actuelles) » (d'après R. Lafon, Vocab. de psychopédagogie). || Mémoire affective : reviviscence d'un état affectif ancien, agissant sur nos représentations sans que nous en ayons conscience. || « Mémoire volontaire », « mémoire involontaire » (Proust). || Matière et Mémoire, ouvrage de Bergson (1896). || Relatif à la mémoire. Mnésique. || Traces enregistrées dans la mémoire. Engramme. || Troubles et anomalies de la mémoire. Amnésie, dysmnésie, ecmnésie, hypermnésie, paramnésie.
26 (…) outre la mémoire corporelle, dont les impressions peuvent être expliquées par ces plis du cerveau, je juge qu'il y a encore en notre entendement une autre sorte de mémoire, qui est tout à fait spirituelle, et ne se trouve point dans les bêtes (…)
Descartes, Lettre à Mersenne, 6 août 1640.
27 Il y a, disions-nous, deux mémoires profondément distinctes : l'une, fixée dans l'organisme, n'est point autre chose que l'ensemble des mécanismes intelligemment montés qui assurent une réplique convenable aux diverses interpellations possibles (…) Habitude plutôt que mémoire, elle joue notre expérience passée, mais n'en évoque pas l'image. L'autre est la mémoire vraie. Coextensive à la conscience, elle retient et aligne à la suite les uns des autres tous nos états au fur et à mesure qu'ils se produisent, laissant à chaque fait sa place et par conséquent lui marquant sa date (…)
H. Bergson, Matière et Mémoire, p. 167-168.
28 En tant que synthèse mentale l'acte de mémoire exige la reconnaissance et la conscience du temps (…) En tant qu'automatisme l'acte de mémoire n'implique ni la reconnaissance ni la conscience du temps (…)
Jean Delay, Dissolutions de la mémoire, p. 15.
28.1 Dans l'état actuel des travaux, il faut distinguer trois grandes catégories de mémoire, ou, pour parler avec plus de précision, trois significations différentes attribuées au terme de mémoire, l'un des problèmes essentiels étant alors celui de leurs relations. Il y a d'abord ce que nous appellerons la « mémoire au sens du biologiste », qui est la conservation, durant la vie de l'individu, de tout ce qui est acquis et non pas exclusivement de ce qui est acquis au niveau du comportement (conditionnement, habitudes, intelligence, etc.). Il y a en second lieu la mémoire liée au seul comportement, mais concernant aussi bien la conservation de schèmes sensori-moteurs, comme un schème d'habitudes (…) nous parlerons en ce cas de la « mémoire psychologique au sens large ». Enfin on peut désigner du terme de « mémoire psychologique au sens strict » les conduites comportant une référence explicite au passé et dont les observables sont en particulier (a) la récognition ou perception d'un objet présent mais en tant qu'ayant été déjà perçu antérieurement, et (b) l'évocation par une image-souvenir d'un objet ou événement non présents mais représentés (par une image mentale, un récit verbal, etc.) en tant qu'ayant été connus dans le passé.
J. Piaget, Épistémologie des sciences de l'homme, p. 196.
(1846). || Mémoire organique : « persistance d'une modification correspondant à une action passée avec faculté de la reproduire » (Cuvillier). || Mémoire des muscles; de la main (→ Chic, cit. 2).L'instinct, mémoire de l'espèce.
29 (…) les cellules et les humeurs, comme l'esprit, sont douées de mémoire. Chaque maladie, chaque injection de sérum ou de vaccin, chaque invasion de notre corps par des bactéries, des virus ou des substances chimiques étrangères nous modifient de façon permanente.
Alexis Carrel, l'Homme, cet inconnu, VII, II.
Par anal. Phys. (Vieilli). || Mémoire de la matière. Rémanence.
Mod. (Sens lié au sens 3). Biol. Capacité de retenir et de restituer l'information.
29.1 (…) il est impossible d'ouvrir quelque ouvrage contemporain de biologie sans retrouver sans cesse les problèmes d'information, depuis l'encodage de l'information génétique dans l'ordination des spirales d'ADN (acide desoxyribonucléique constitutif du génome) jusqu'aux problèmes de la conservation acquise ou « mémoire » (ce terme à lui seul suffirait à révéler la tendance dont nous parlions à humaniser les processus élémentaires), mémoire qui suppose probablement l'intégrité de l'ARN.
J. Piaget, Épistémologie des sciences de l'homme, p. 97.
3 (V. 1960). Techn. Dispositif permettant de recueillir et de conserver, dans les calculatrices (ordinateurs, etc.), les informations destinées à un traitement ultérieur; support matériel de ces informations. || Mémoires à cartes perforées, à cellules magnétiques, à disques, à tambours magnétiques; mémoires sur films minces, mémoire à supraconductivité. || Mémoire à ferrites (tores magnétiques).Mémoire à accès instantané, à accès sélectif, à accès séquentiel. || Mémoire centrale d'un ordinateur; mémoires auxiliaires. || Capacité d'une mémoire. || Mémoire morte, à informations non modifiables (opposé à mémoire vive).REM. De nombreux autres syntagmes sont utilisés dans la langue technique. — … en mémoire. || Mettre une information en mémoire; mise en mémoire ( Mémorisation).
29.2 Dans la mémoire humaine (…) c'est la forme qui se conserve; la conservation même n'est qu'un aspect restreint de la mémoire (…) La machine ne pourrait remplir une semblable fonction que si le ruban magnétique déjà enregistré était supérieur à un ruban neuf pour fixer certaines figures sonores, ce qui n'est pas le cas. La plasticité dans la mémoire humaine est plasticité du contenu lui-même.
Gilbert Simondon, Du mode d'existence des objets techniques, p. 122.
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II
1 a (V. 1155). || La mémoire de : le souvenir de (qqch., qqn). || Avoir mémoire, la mémoire de qqch. || Conserver la mémoire d'un événement. || Garder la mémoire d'événements, en fêtant leur anniversaire (cit. 1). || Immortaliser (cit. 3) la mémoire d'un fait héroïque. Commémoration, immortalité. || Peuple qui garde la mémoire d'un usage. Tradition. || Demeure dont la mémoire est chère (→ Hôtel, cit. 1). || La mémoire d'un si beau jour me revient (→ Aucun, cit. 5). || Perdre la mémoire de qqch. (→ Imprimer, cit. 9).
30 Massacrons tous ses saints. Renversons ses autels.
Que de son nom, que de sa gloire
Il ne reste plus de mémoire.
Racine, Athalie, IV, 6.
31 (…) et la vue de tout ce qui renaît, de tout ce qui est heureux, vous réduit à la douloureuse mémoire de vos plaisirs.
Chateaubriand, Mémoires d'outre-tombe, t. II, p. 73.
32 Vous souvient-il de notre histoire ?
Moi, j'en ai gardé la mémoire (…)
A. de Musset, Premières poésies, « À Juana ».
33 Cette mémoire qu'il a de son visage (…) ces soupirs, c'est bien l'amour (…)
J. Chardonne, les Destinées sentimentales, p. 142.
(En parlant des personnes dont on se souvient). Rare. || La mémoire de qqn, que l'on a de qqn. || Garder la mémoire de qqn. || « Avez-vous bien (cit. 64) promis d'oublier ma mémoire ? » (Racine).Cour. || La mémoire de qqch. || La mémoire d'un nom (→ Épitaphe, cit. 3), d'une famille (→ Mare, cit. 5). || « Ta mémoire, ton nom, ta gloire vont périr » (→ Âme, cit. 31, Musset). || Honorer la mémoire d'un mort. Cendre (fig.). || Venger la mémoire de qqn.
34 Le petit être délicieux, dont je voudrais prolonger un peu la mémoire en parlant de lui, était le fils unique de Sylvestre (…)
Loti, Figures et Choses…, « Passage d'enfant ».
b (1655). Liturgie. Commémoration dans l'office du jour. Commémoraison, mémento. || Faire mémoire des défunts, d'un saint, d'une fête.
2 (XIe). Souvenir (bon ou mauvais) qu'une personne laisse d'elle à la postérité. Renommée, réputation. || Consacrer la mémoire d'un poète (→ Laurier, cit. 3). || Illustrer sa mémoire (→ Besoin, cit. 59). || Les dieux t'ont laissé vivre assez (cit. 33) pour ta mémoire. — ☑ (XIIIe). De… mémoire (avec un adj.). || Prince de glorieuse mémoire; de triste, de sinistre mémoire.Ternir, souiller la mémoire. || Mémoire flétrie (cit. 4).Dr. || Réhabiliter la mémoire d'un condamné défunt, en obtenant l'annulation, par voie de révision, d'un jugement qui l'a condamné. — ☑ (1863). Loc. Curateur à mémoire, qui représente le défunt au procès en révision.
35 Sauvons de cet affront mon nom et sa mémoire (…)
Racine, Bérénice, III, 1.
36 J'ai fait illustre un nom qu'on m'a transmis sans gloire.
Qu'il soit ancien, qu'importe ? Il n'aura de mémoire
Que du jour seulement où mon front l'a porté.
A. de Vigny, Poèmes philosophiques, « L'esprit pur ».
(V. 1360). En mémoire de (vieilli), À la mémoire de : pour perpétuer, glorifier le souvenir de. || Objet déposé dans une chapelle en mémoire d'une grâce obtenue. Ex-voto. || Garder un bibelot en mémoire de qqn. || Discours; monument, statue à la mémoire d'un grand homme. Commémoratif. || Inaugurer (cit. 3) une plaque à la mémoire de qqn. || Épitaphe à la mémoire d'un disparu (→ In memoriam).
3 (1413). En phrase négative. De mémoire d'homme : aussi loin que remontent les souvenirs des hommes. || De mémoire d'homme, rien de tel ne s'était jamais produit. (S'emploie aussi avec d'autres noms de personnes, et, par plais., d'animaux, de choses).
37 Thémis n'avait point travaillé,
De mémoire de singe, à fait plus embrouillé.
La Fontaine, Fables, II, 3.
38 De mémoire d'homme, on n'a point vu de temps si vilain.
Mme de Sévigné, 312, Jeudi à midi…, 1673.
39 Si les roses qui ne durent qu'un jour, faisaient des histoires (…) elles diraient : « Nous avons toujours vu le même jardinier; de mémoire de rose on n'a vu que lui… assurément il ne meurt point comme nous, il ne change seulement pas. »
Fontenelle, Entretiens sur la pluralité des mondes, 5e soir.
4 Pour mémoire : pour garder le souvenir. || Épitaphe (cit. 1) écrite pour mémoire (vx).(1868). Comptab. Formule employée pour signaler qu'un article, une valeur ne sont mentionnés qu'à titre de renseignement, sans être portés en compte.(V. 1950). Par ext. À titre de renseignement, d'indication, de rappel. || Je vous signale, pour mémoire, un excellent livre sur la question.
CONTR. Omission, oubli.
DÉR. 2. Mémoire. — V. aussi Mémorable, mémorandum, mémorial, mémoriel, mémorisation, mémoriser.
COMP. Aide-mémoire. — V. aussi Commémoration, immémorable, immémorial.
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2. mémoire [memwaʀ] n. m.
ÉTYM. V. 1160, « écrit (pour que mémoire en soit gardée) »; de 1. mémoire.
Écrit destiné à rappeler certains faits ou à les faire connaître.
1 (1477). Écrit sommaire (exposé, requête, instructions) à l'adresse de qqn. || Écrire, adresser un mémoire à qqn. || Mémoire au chef de l'État. Cahier. || Mémoire justificatif (→ Laver, cit. 19).
1 Cependant les ennemis dont il était environné avaient, chacun de leur côté, envoyé au général de l'ordre des mémoires, où ce qu'ils savaient de la mauvaise conduite d'Hudson était exposé.
Diderot, Jacques le fataliste, Pl., p. 655.
2 (XIVe). Dr. Écrit destiné à exposer et à soutenir la prétention d'un plaideur (→ Exemption, cit. 4). || Signifier, notifier un mémoire par exploit d'huissier (→ Exproprier, cit. 3). || Mémoire d'avocat. || Les cinq mémoires de Beaumarchais. Factum (vx). || Mémoire ampliatif, produit par le demandeur en cassation (cit. 3). || Mémoire en défense, établi par le défendeur. || Mémoire préalable, « qui doit être adressé au préfet préalablement à l'introduction d'une instance contre l'État ou certaines administrations publiques » (Capitant).
2 Les mémoires de Beaumarchais sont ce que j'ai jamais vu de plus singulier, de plus fort, de plus hardi, de plus comique, de plus intéressant (…)
Voltaire, Correspondance, 4077, 3 janv. 1774.
3 (1834). Dissertation sur un sujet d'étude (histoire, sciences, etc.), généralement destinée à être lue dans une société savante (→ Exponentiel, cit. 1). || Présenter, soumettre un mémoire à une académie. || Mémoire présenté pour l'obtention d'un diplôme d'études supérieures.Au plur. Recueil des travaux d'une société savante. || Mémoires de l'Académie des sciences.
3 À quinze ans, il dévore la Géométrie de Legendre. Il rejette les traités élémentaires d'algèbre, qui l'ennuient, et apprend l'algèbre dans Lagrange; à seize ans il commence à inventer. Il envoie mémoires sur mémoires à l'Académie des Sciences.
Alain, Propos, 10 août 1909, Évariste Galois.
4 (1551). État détaillé des sommes dues à un entrepreneur, un artisan, un fournisseur, un officier ministériel. Compte, facture, note.
4 — Vous souvenez-vous bien de tout l'argent que vous m'avez prêté ? — (…) J'en ai fait un petit mémoire.
Molière, le Bourgeois gentilhomme, III, 4 (→ aussi Article, cit. 6).
5 (…) un jardinier qui me coûte à moi douze cents francs de gages, et qui me présente des mémoires de deux mille francs tous les trois mois.
Balzac, Honorine, Pl., t. II, p. 277.
5 (1552). || Mémoires : relation, récit qu'une personne fait par écrit des choses, des événements auxquels elle a participé ou dont elle a été témoin. || Mémoires historiques, qui rapportent des faits historiques, propres à servir à l'histoire. Annale(s), chronique(s), commentaire(s); et aussi mémorialiste. || Mémoires autobiographiques, où les confessions se mêlent à l'histoire. Autobiographie, cahier(s), journal, souvenir(s). → Confession, cit. 8. || Les mémoires de ma vie (→ Apporter, cit. 39, Chateaubriand). Histoire. || Écrire ses mémoires (→ Raconter sa vie; et aussi fausser, cit. 4; influence, cit. 16).(Dans un titre, avec la majuscule). || Les Mémoires d'outre-tombe, de Chateaubriand. || Mémoires d'un touriste, de Stendhal.
6 Les Mémoires que les gens en place ou les gens de lettres, même ceux qui ont passé pour les plus modestes, laissent pour servir à l'histoire de leur vie, trahissent leur vanité secrète (…)
Chamfort, Maximes, « Sur la science », XXXVII.
7 Roger Martin du Gard, à qui je donne à lire ces Mémoires (Si le grain ne meurt), leur reproche de ne jamais dire assez, et de laisser le lecteur sur sa soif (…) Les Mémoires ne sont jamais qu'à demi sincères, si grand que soit le souci de vérité : tout est toujours plus compliqué qu'on ne le dit.
Gide, Si le grain ne meurt, I, X, p. 280, Note.

Encyclopédie Universelle. 2012.