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PENSÉE
PENSÉE

«Penser» a, dans notre vocabulaire courant, des sens multiples. Mais les pensées sont avant tout des états mentaux, doués de contenus, avant d’être les produits d’une activité réflexive de l’esprit. Une théorie de la pensée doit d’abord s’appuyer sur une conception du mental. Les pensées ont des contenus «intentionnels» qui sont susceptibles d’être vrais ou faux. Mais on ne peut pour autant les isoler de l’esprit qui les pense. Selon la conception cartésienne, elles sont nécessairement conscientes et «privées», au sens où je suis le seul capable d’en connaître les contenus. Mais les philosophes qui, comme Wittgenstein, s’opposent à cette identification du mental et du privé insistent au contraire sur les critères publics et linguistiques de toute possession de pensées, et sur leur nature dispositionnelle plutôt que sur les processus – mentaux ou physiques – qui les sous-tendent. La philosophie contemporaine de la psychologie, inspirée par les «sciences cognitives» et l’intelligence artificielle, s’intéresse au contraire à la nature des processus et des représentations mentales, et puise son inspiration dans une forme renouvelée de mécanisme, en comparant les pensées aux calculations internes d’un ordinateur. Elle explique ainsi l’intelligence et les activités de pensée par la manipulation de représentations symboliques encodées dans l’esprit. Mais, malgré ses efforts réductionnistes, elle se heurte à l’irréductibilité des contenus intentionnels, c’est-à-dire au fait que les pensées ont le pouvoir de représenter le monde d’une certaine façon, et de causer des actions en vertu de leurs contenus, sans que ces propriétés puissent recevoir ultimement une explication scientifique.

1. Qu’appelle-t-on penser?

Le verbe «penser» et le substantif correspondant «pensée» recouvrent une grande variété d’activités, d’événements, de phénomènes ou d’états mentaux. On peut cependant distinguer deux sens principaux de ces termes. Au sens le plus large, une pensée est un certain état mental, dont le contenu représente un certain état de choses. «Il est tombé par terre parce qu’il pensait qu’il y avait une chaise derrière lui.» «J’ai tout de suite pensé que vous étiez Livingstone.» Dans ces contextes, on pourrait remplacer «penser» par «croire», «juger» ou «reconnaître». «Penser» appartient à la catégorie des verbes que les philosophes appellent, à la suite de Russell, «attitudes propositionnelles» tels que «douter que», «vouloir que», «souhaiter que», par lesquels nous rapportons les contenus (exprimés par les propositions complétives introduites par «que») des attitudes que nous attribuons à des individus, en particulier quand nous cherchons à expliquer leur comportement.

En ce sens large, où «penser» est plus ou moins synonyme de «croire», une pensée n’est pas nécessairement un acte d’assentiment réfléchi à un contenu mental (le conducteur peut penser qu’il doit tourner à droite sans y réfléchir), bien qu’elle puisse l’être en principe (le conducteur peut concentrer son attention sur le fait qu’il doit tourner à droite). Au sens étroit, une pensée est un acte réfléchi, conscient et délibéré dans lequel on s’engage volontairement: le joueur d’échecs pense qu’il doit avancer sa tour, le cuisinier pense à son menu, le philosophe pense que le néant n’a pas de propriétés. Une pensée est, en ce sens, rarement un acte mental isolé: elle fait partie intégrante d’un raisonnement, d’un calcul ou d’une suite d’autres pensées. Elle est alors un processus discursif, actif et intentionnel, qui dure un certain temps, et dont le résultat peut être un certain nombre de jugements ou un certain nombre d’actions accomplies délibérément.

Quand on se demande ce qu’est la pensée et si on peut l’attribuer à des créatures autres que les humains, comme les animaux et les ordinateurs, on ne pose donc pas nécessairement la même question, selon qu’il s’agit de la pensée au sens large d’une «attitude propositionnelle» ou de la pensée au sens étroit d’une activité consciente et réfléchie, et la réponse varie: nous sommes en général plus disposés à attribuer aux humains la seconde, et peut-être à attribuer aux animaux et aux ordinateurs seulement la première. De même quand nous nous demandons si une pensée peut être inconsciente, la réponse n’est pas la même selon qu’il s’agit des pensées au sens étroit (qui semblent par définition conscientes) ou des pensées au sens large (la plupart sont accessibles à la conscience bien qu’elles ne soient pas l’objet d’une conscience actuelle, alors que d’autres pourraient – selon la conception freudienne par exemple – demeurer à jamais inconscientes).

Les deux formes de pensée sont cependant étroitement dépendantes l’une de l’autre: une créature qui n’aurait pas de pensées au sens large ne pourrait sans doute pas avoir de pensées au sens étroit, parce qu’elle ne serait pas capable de réfléchir sur, ou avec, ses pensées (d’avoir des pensées du «second ordre» sur des pensées du «premier ordre»). Conversement, de nombreux philosophes considèrent que la capacité à avoir des pensées réfléchies ou conscientes est constitutive de la capacité de penser en général. La frontière entre les deux est donc souvent difficile à établir, et il n’est pas évident qu’on ait réellement affaire à deux types de pensées distincts. Quoi qu’il en soit, comprendre ce qu’est la pensée, c’est chercher à savoir comment ces diverses formes de phénomènes ou d’activités mentaux peuvent se relier entre elles et engendrer ce que nous appelons des «pensées». Les pensées peuvent ensuite se détacher des actes mentaux qui les ont produites et se constituer en des ensembles de contenus autonomes qui sont échangés, transmis ou communiqués entre des individus ou des groupes, de manière à devenir des œuvres individuelles (les Pensées de Pascal) ou sociales (la «pensée bororo»). Mais on ne peut comprendre ces faits plus vastes et plus complexes si l’on ne cherche pas d’abord à savoir comment une pensée peut être produite, entretenue, et acquérir un contenu.

2. L’intentionnalité des pensées

Au sens large, toute attitude propositionnelle et son contenu impliquent une «pensée» ou sont une forme de pensée: on ne peut pas croire que p sans avoir la pensée que p , ni désirer que p sans avoir la pensée que p . C’est en ce sens que l’on peut dire qu’attribuer des attitudes propositionnelles à un être quelconque, c’est lui attribuer des pensées. Si l’on accepte cette caractérisation générale des pensées comme attitudes propositionnelles, on leur attribuera les propriétés que tous les états mentaux de ce type ont en commun.

En premier lieu, elles sont dirigées vers certains contenus propositionnels, c’est-à-dire des contenus dont l’attribution implique l’usage d’une proposition complétive gouvernée par «que», comme dans «Stanley pense que Livingstone est un explorateur».

Ces contenus peuvent être appelés «intentionnels», au sens que donnaient à ce terme Brentano et Husserl: les objets qui font partie de ces contenus n’existent pas à proprement parler, mais ont une «inexistence intentionnelle», relative aux actes mentaux qui les visent. Selon Brentano, ce trait constitue un critère du mental comme tel, qui le distingue du physique. Mais on peut reformuler ce critère comme critère non pas du mental, mais de la manière dont nous le décrivons. En effet, les phrases utilisées pour rapporter des contenus de pensée ou d’autres attitudes propositionnelles ont trois caractéristiques qui les distinguent des phrases ordinaires attribuant une propriété à un objet ou décrivant un événement (comme «Pierre est grand» ou «Le bateau part»).

1. Leur valeur de vérité n’est pas fonction de la valeur de vérité des propositions complétives qu’elles gouvernent: la vérité, ou la fausseté, de «X croit (pense, désire, etc.) que p » n’est pas fonction de la vérité (ou de la fausseté) de p (mais seulement du fait que X a, ou n’a pas, la croyance, la pensée ou le désir que p ).

2. Les expressions désignant des objets ou propriétés figurant dans les propositions complétives gouvernées par «que» ne peuvent pas être remplacées par des expressions qui ont la même référence («Pierre pense que Cicéron est un orateur» n’implique pas «Pierre pense que Tullius est un orateur»).

3. On ne peut pas affirmer l’existence des objets désignés par ces expressions («Pierre pense que le Père Noël apporte des jouets» n’implique pas «Il existe un Père Noël»). Les logiciens (par exemple W. V. O. Quine, 1956) disent que ces phrases sont non extensionnelles ou intensionnelles.

L’intensionnalité du mode de description des contenus d’attitudes propositionnelles peut ainsi être tenue comme un critère de l’intentionnalité de ces contenus.

En deuxième lieu, ces contenus ne sont pas, contrairement aux contenus d’autres états mentaux comme les sensations ou les expériences, intrinsèquement liés à la manière dont ils apparaissent aux sujets qui ont ces attitudes. Une sensation ou une qualité perçue (comme une douleur ou une sensation de rouge) ont un contenu subjectif qui ne se représente pas de la même manière que les représentations «propositionnelles» qui semblent associées aux croyances ou aux pensées. Celles-ci n’ont pas de phénoménologie distinctive (à la différence de la sensation olfactive provoquée par le roquefort, ma pensée «que le roquefort est un fromage» n’est pas essentiellement associée à une sensation – par exemple olfactive – et peut être entretenue indépendamment d’une telle sensation).

En troisième lieu, les contenus de pensée et d’attitudes ont, à la différence des sensations, une certaine structure: ils sont composés de ce qu’on appelle ordinairement des concepts. Il paraît difficile d’attribuer à quelqu’un, par exemple, la pensée «que ceci est un bouquet de roses» si l’on ne peut pas lui attribuer la possession des concepts de rose et de bouquet.

Enfin, les attitudes propositionnelles et leurs contenus ont la propriété de pouvoir être combinés les uns aux autres de manière à rendre compte de la rationalité d’un sujet. Nous attribuons des pensées, des croyances et des désirs à des individus pour expliquer la rationalité de leur comportement. On explique, par exemple, le fait qu’un agent a pris la fuite en disant qu’il croyait «qu’un ours le poursuivait, que l’ours est dangereux» et qu’il désirait «se mettre à l’abri», et ainsi de suite. Ce n’est que si les croyances, pensées et désirs de l’agent peuvent avoir une telle structure rationnelle qu’on est en mesure de lui attribuer ces «raisons» d’agir.

On peut se demander si ces caractéristiques des pensées comme contenus d’attitudes propositionnelles – leur intentionnalité, leur caractère structuré et systématique – ne sont pas intrinsèquement celles de contenus et de significations linguistiques, et si la possession de pensées ne dépend pas de la possession d’un langage. On peut aussi se demander si la possession de pensées en ce sens n’implique pas une forme de conscience. À la différence d’une sensation ou d’une expérience, une attitude propositionnelle peut ne pas être consciente. Mais n’est-il pas également essentiel à une pensée qu’elle puisse être consciente? Ces deux questions, la relation de la pensée au langage et sa relation à la conscience, sont précisément celles sur lesquelles divergent les théories philosophiques de la pensée. Elles sont, en un sens, contenues dans la célèbre définition platonicienne de la pensée comme «dialogue que l’âme se tient à elle-même» (Théétète ). Mais cette définition est ambiguë: signifie-t-elle que ce dialogue se produit in foro interno dans un langage purement mental dont les mots ne sont que l’enveloppe externe? ou bien que l’âme a besoin des mots d’un langage public pour simplement pouvoir entrer dans ce dialogue?

3. Une conception «platonicienne» de la pensée: Frege

La réponse la plus radicale à ces questions consiste à nier que la pensée puisse s’identifier à des structures linguistiques ou avec des représentations mentales. Le logicien Frege est peut-être le meilleur représentant d’une telle conception. Pour lui, les pensées (Gedanken ) sont des entités objectives, identifiées aux significations des phrases d’un langage, qui ont la propriété d’être vraies ou fausses de toute éternité, indépendamment des esprits qui peuvent reconnaître leurs conditions de vérité, et de manière absolue, c’est-à-dire indépendamment de toute relativisation à un contexte. Bien qu’elles aient, comme les phrases, une structure, les pensées fregéennes ne sont ni de nature linguistique ni de nature psychologique: elles ne sont pas, en un sens quelconque, des représentations symboliques ou mentales, mais des entités exprimées par des signes, situées dans un univers idéal, comme celui des idées platoniciennes.

Une pensée est, en ce sens, comparable à ce que les logiciens appellent une «proposition», c’est-à-dire le contenu objectif véhiculé par une phrase ou sa signification, par opposition aux occurrences concrètes de cette phrase. L’objectivité de ces entités est destinée, selon Frege, à assurer l’objectivité des lois de la logique qui sont le prototype des pensées vraies. Mais cette théorie «réaliste» des pensées se heurte à des difficultés bien connues. En premier lieu, si les pensées sont des entités particulières, comment peut-on les identifier? Qu’est-ce qui compte comme l’identité de deux pensées? Un critère de la synonymie de deux expressions est notoirement difficile à formuler. En second lieu, si les pensées sont autonomes par rapport à l’esprit, comment celui-ci peut-il les reconnaître? Frege suppose qu’elles sont «saisies» par des actes d’intuition et que l’affirmation de leur vérité ou de leur fausseté donne lieu à des jugements. Mais si les pensées existent, comme le dit Frege, de toute éternité, prêtes à être découvertes, comme le géographe découvre un pays inconnu, par quelle faculté mystérieuse pouvons-nous accéder à elles? Une difficulté comparable affecte toute théorie platonicienne de la reconnaissance des formes ou des essences.

4. La conception cartésienne de la pensée

Même si une pensée n’est pas seulement un acte mental, il est raisonnable de supposer qu’elle repose sur des actes mentaux, dont les contenus sont constitués par certaines représentations dans l’esprit. On appelle couramment «cartésienne» la conception de la pensée associée aux deux thèses suivantes:

1. La connaissance que nous avons de nos propres états mentaux est certaine et infaillible;

2. Il n’y a rien dans notre esprit dont nous ne soyons en quelque manière conscients. Descartes lui-même ne soutenait pas ces thèses sans nuances, mais il y a peu de doute qu’elles forment le noyau de sa philosophie de l’esprit.

La première thèse assimile la pensée (cogitatio ) à l’esprit (mens ) et sert à établir le dualisme: nos pensées ne peuvent pas être identiques à des états de notre corps, parce que nous ne pouvons pas concevoir clairement et distinctement qu’elles le soient. L’esprit est donc une chose (une substance) essentiellement distincte du corps, dont la pensée est l’attribut principal et dont les diverses pensées sont des modes.

La seconde thèse assimile la pensée à la conscience – ou tout au moins à tout ce qui est susceptible d’être conscient – et donne à la notion de pensée son extension maximale: celle-ci recouvre non seulement les «attitudes propositionnelles», mais également les sensations (cf. Principes de la philosophie , I, 9).

La marque distinctive de la conception cartésienne est donc que, d’une part, elle étend à l’ensemble de ce que nous avons appelé les pensées les caractéristiques des sensations et des expériences et, d’autre part, elle tend à assimiler les contenus d’attitudes propositionnelles à des pensées potentiellement réflexives: penser, ce n’est pas nécessairement penser qu’on pense, mais c’est au moins être en mesure de le faire.

On dit souvent que les pensées sont, selon cette conception, essentiellement «privées»: leur existence et leur nature dépendent du sujet qui les pense (les cogitationes reposent sur le cogito ). Nul autre que moi ne peut accéder au contenu de mes propres pensées et le vérifier (c’est pourquoi l’âme, ou l’esprit, est toujours plus «facile» à connaître que le corps, et les contenus des autres esprits moins accessibles que les contenus de notre esprit). Il s’ensuit que j’ai toujours une autorité ou un «accès privilégié» à ces pensées, qui les rend à la fois transparentes et indubitables, et susceptibles d’être l’objet d’une attention et d’une réflexion particulières. Descartes admet que les pensées ont une certaine structure: elles sont composées d’«idées», qui peuvent se combiner entre elles et représenter le monde, avec un degré plus ou moins grand de certitude selon qu’elles proviennent de la sensation et de l’imagination, ou de l’entendement en tant qu’il est capable de produire des idées claires et distinctes, et ainsi conférer à ces représentations une objectivité (garantie par la véracité divine).

Tous ces traits de la conception cartésienne concourent à distinguer la pensée de son expression sensible dans le langage, qui n’est pas la condition, mais la conséquence de la pensée. Ce qui distingue, en dernière analyse, les hommes des animaux ou des machines, c’est la capacité à former une quantité non limitée d’idées, et à les appliquer «à propos» ou de manière créatrice, qui est la seule marque d’une véritable pensée (comme l’a souligné Chomsky, pour qui, comme Descartes, le langage humain est le miroir de la pensée humaine).

On peut, par extension, appeler «cartésiennes» toutes les conceptions qui font des pensées des épisodes privés et des processus mentaux accompagnant l’activité de penser, dont les contenus sont constitués d’idées immédiatement présentes et connaissables. En ce sens, des doctrines empiristes, qui nient la théorie cartésienne de l’innéité des idées, comme celle de Locke, ou qui nient la thèse cartésienne que l’esprit trouve son support dans un moi substantiel, comme celle de Hume, peuvent être aussi considérées comme «cartésiennes».

5. Critique de la conception cartésienne: Peirce, Wittgenstein et Ryle

La conception cartésienne promeut une image de la pensée que des philosophes comme Peirce, Wittgenstein et Ryle considèrent comme un mythe pur et simple. Bien que distincts, leurs arguments ont de nombreuses affinités. Tous trois insistent, à des degrés divers, sur le fait que les pensées, comme attitudes propositionnelles, ne peuvent pas être mises sur le même plan que les sensations, ni être conçues, sur le modèle de celles-ci, comme intrinsèquement privées et subjectives. Une pensée, ou une croyance, n’est pas un acte mental interne, mais un état, ou une activité, dont l’attribution dépend de conséquences extérieures observables dans le comportement des agents. En ce sens, les énoncés attribuant des contenus de pensée ne sont pas des énoncés catégoriques, faisant référence à des événements internes, mais des énoncés hypothétiques ou conditionnels décrivant des manières dont l’agent se comporterait s’il tenait ces contenus de pensée comme vrais.

Selon Peirce, avoir une croyance, c’est avoir une certaine «disposition» à agir. Comme le dit Ryle, croire que la glace de l’étang est mince, ce n’est pas entretenir un certain contenu mental correspondant: c’est être prêt à ne pas s’engager sur la glace ou à rappeler les enfants qui s’y aventureraient. Et si le cartésien devait continuer à insister sur le caractère intrinsèquement privé des sensations dont il dérive sa théorie de la pensée en général, il se heurterait à l’argument célèbre que Wittgenstein a dirigé contre la notion d’un «langage privé». Un tel «langage», qui se réduirait à des noms de sensations, et dont les significations résideraient uniquement dans les actes d’ostension par lesquels celui qui éprouverait ces sensations leur imposerait des noms, ne pourrait pas être vraiment un langage, parce qu’il manquerait des règles et des critères publics sans lesquels un langage ne peut exister.

En montrant qu’un langage privé est impossible, Wittgenstein entend non seulement réduire à l’absurde la thèse selon laquelle un contenu mental quelconque pourrait être privé, mais aussi affirmer que toute attribution d’un contenu mental présuppose la possession d’un langage. On ne peut attribuer une sensation à quelqu’un que dans la mesure où l’on a un concept (un «critère») de ce que c’est qu’avoir une sensation de ce type. Et on ne peut posséder un tel concept que si l’on est en mesure de l’exercer par des jugements essentiellement linguistiques. En ce sens, tout contenu mental (et toute «pensée» au sens cartésien du mot) doit répondre à des «critères extérieurs», et en particulier à des critères linguistiques. Il s’ensuit qu’il n’y a pas de privilège spécial du moi ou de l’ego cartésien dans l’accès à ses propres pensées, ni d’infaillibilité particulière de la connaissance de soi. De la même manière, Peirce soutient que toute pensée est un signe qui suppose l’usage du langage, et requiert un mode d’expression public par lequel tout signe mental est interprété par un tiers, y compris quand elle paraît être purement solitaire. Pour Peirce, toute pensée est bien un dialogue avec soi-même, mais dans lequel le moi parle à un autre moi qui se pose en «interprète» de ce que dit le premier. Une pensée se mesure à d’autres pensées ou signes, qui sont ses antécédents ou conséquents, et doit nécessairement faire partie d’un processus d’inférence ou de raisonnement.

Quand ils critiquent l’illusion du caractère purement privé des pensées, Wittgenstein et Ryle n’insistent pas tant sur la fausseté de la conception cartésienne que sur sa vacuité. Supposer que la pensée est un processus interne qui accompagnerait toute manifestation extérieure (en particulier linguistique) de ce que nous appelons «penser» et qui pourrait en principe être dissocié de ces manifestations, ce n’est rien expliquer du tout. «Prononcez une phrase et pensez-la; dites-la en la comprenant – Et maintenant ne la dites pas, et faites ce dont vous l’avez accompagnée quand vous l’avez dite en la comprenant» (L. Wittgenstein, 1953, paragr. 332, in biblio.). L’opération qui consiste à dégager la pensée de son revêtement linguistique n’est pas seulement impossible, elle n’a pas de sens parce que le processus incorporel supposé accompagner la pensée n’ajoute rien à celle-ci.

On peut dire la même chose de la pensée réflexive. Quelle est, demande Ryle, la différence entre accomplir une activité quelconque (par exemple jouer au tennis) de manière attentive et réfléchie et l’accomplir sans réfléchir? La différence ne tient pas au fait qu’on ferait, dans l’activité réfléchie, quelque chose de plus, penser, qui serait séparable de l’activité elle-même. Elle tient au style et à la manière dont on accomplit l’activité en question. Le point important n’est pas seulement que la pensée n’est pas un processus incorporel ou un épisode mental, mais qu’elle n’est pas un processus du tout, ni même un acte particulier. C’est une activité, dont les descriptions sont étroitement liées à des manifestations physiques du corps. Mais ce n’est pas non plus un processus physique. En ce sens, le matérialisme, pour lequel la pensée est un processus corporel sous-jacent à ses manifestations, est tout aussi erroné que le dualisme.

La position d’auteurs comme Peirce, Ryle et Wittgenstein a souvent été décrite comme «behavioriste», parce qu’elle réduirait les processus mentaux à leurs manifestations extérieures comportementales. Mais ce qualificatif ne s’applique en toute rigueur qu’à Ryle, pour qui notre vocabulaire mental usuel doit toujours pouvoir être traduit en un vocabulaire comportemental ou dispositionnel (il s’agit alors d’un «behaviorisme logique»).

La conception d’ensemble de ces auteurs est cependant mieux décrite comme néo-aristotélicienne. Quand Ryle dénonce le mythe cartésien du «fantôme dans la machine» (the ghost in the machine ), et l’«erreur de catégorie» (category mistake ) que fait le dualiste quand il suppose que l’esprit peut être, comme le corps, une substance ou une entité qui viendrait doubler les processus ou états physiques, et quand Wittgenstein dit que «le corps humain est la meilleure image de l’âme humaine», ils sont beaucoup plus proches de la conception aristotélicienne (et thomiste) d’après laquelle l’esprit n’est pas une substance, mais la forme ou la propriété d’une substance. De même, quand ils refusent l’assimilation cartésienne des propriétés de la pensée aux propriétés «subjectives» des sensations, ils se rapprochent de la théorie aristotélicienne et médiévale qui sépare nettement les sensations de l’intellect et fait de celui-ci une capacité, au même titre que les autres facultés mentales (P. T. Geach, 1957).

6. Pensée, machines et fonctionnalisme

Tout cela peut-il être tenu comme une réfutation définitive du cartésianisme? Jusqu’à un certain point seulement. Ce dernier s’accorde avec la psychologie du sens commun quand il traite les états mentaux comme des causes du comportement. Mais la difficulté propre au dualisme a toujours été d’expliquer l’interaction entre le mental et le physique, qu’il rend mystérieuse. Supprime-t-on le problème en soulignant, comme Wittgenstein et Ryle, que la relation entre les descriptions mentales et les descriptions physiques du comportement est seulement conceptuelle (ou «critérielle»)? Dire, comme Ryle, que ma pensée qu’il fait beau pourrait être définie par une liste, même ouverte, de dispositions (à aller à la plage, à partir en pique-nique, etc.), c’est se heurter à l’échec notoire de toute définition behavioriste du mental: on ne peut réduire des états mentaux à du comportement que moyennant la postulation indéfinie d’autres états mentaux, à leur tour à définir. Et dire, comme Wittgenstein, que mon action d’aller à la plage est un «critère» (parmi d’autres) de ma pensée qu’il fait beau ne rend pas justice à notre intuition que cette pensée est plutôt la cause de mon action (Wittgenstein dirait ici plutôt qu’elle en est la raison et refuserait d’identifier les raisons et les causes).

Mais comment rendre compte de cette intuition sans retomber dans les difficultés de l’interactionnisme cartésien? Le matérialisme, qui identifie les états mentaux à des états physiques, supprime le problème en ramenant toute causalité mentale à une forme de causalité physique, mais ne peut pas le résoudre, parce qu’aucune réduction de propriétés mentales à des propriétés physiques ne peut être accomplie: jusqu’à ce jour, la neurophysiologie n’a jamais pu dire quelles propriétés du cerveau ou des neurones pourraient être responsables (ou identiques à) des propriétés mentales (les neurones de l’«homme neuronal» expliquent-ils mon contenu de pensée quand je pense à ma grand-mère?).

Les philosophes contemporains qui ont voulu échapper à ces difficultés se sont tournés vers une théorie de la pensée qu’on peut considérer, à bien des égards, comme néo-mécaniste, parce qu’elle exploite les analogies entre la pensée et les états d’une machine et traite, comme Hobbes, la pensée comme une forme de calcul. Les progrès de la technologie des ordinateurs et des sciences de l’artificiel (intelligence artificielle [I.A.], informatique théorique) ont ici joué un rôle décisif. Le fait que ce qu’on appelait au début des «machines à penser» puissent apparemment reproduire une certaine quantité de comportements et de tâches ordinairement qualifiés comme «intelligents» (comme jouer aux échecs ou démontrer des théorèmes) a suscité à la fois l’espoir que toutes les propriétés de ce que nous appelons «penser» pourraient être un jour reproduites artificiellement, et la suggestion que le fonctionnement des ordinateurs pourrait servir de modèle théorique pour comprendre les propriétés de la pensée naturelle.

L’un des principaux fondateurs de la théorie logique des automates, Turing (1950), soutenait qu’il n’y avait aucune objection de principe à ce que les machines «pensent», pourvu qu’elles puissent imiter suffisamment de ce que nous appelons le comportement intelligent. À cela les philosophes ont opposé une série d’objections a priori. Certaines tiennent à la nature proprement logique des programmes sur lesquels sont fondés les travaux d’intelligence artificielle. Le modèle théorique des «machines logiques» est celui des «machines de Turing», qui sont des systèmes finis d’instructions pour accomplir des actions sur des suites de symboles qui sont les «entrées» de la machine, de manière à produire des «sorties» sous la forme d’inscriptions de symboles, après le passage de la machine par divers états. Une machine de Turing est la réalisation de la notion logique de calculabilité: si une fonction est calculable, elle l’est par une telle machine. Or, selon la «thèse de Church», il n’y a pas d’algorithme pour la calculabilité: la notion de «procédure effective» n’est pas démontrable. Il s’ensuit qu’on ne peut, sans faire une pétition de principe, comparer l’esprit à une machine de Turing.

Les programmes d’intelligence artificielle reposent par ailleurs sur les formalismes de la logique. Or, selon le théorème de Gödel, on ne peut démontrer, dans un système formel, la non-contradiction d’un tel système. On en a tiré un argument contre le mécanisme: il y a au moins une chose que les machines ne peuvent pas faire, qui est de démontrer leur propre cohérence. Ces arguments sont difficiles à évaluer et on voit mal en quoi ils menacent réellement les projets d’intelligence artificielle, parce que, comme l’a remarqué D. Dennett, les limitations qui peuvent peser sur un algorithme ne sont pas nécessairement des limitations de mécanismes particuliers utilisant cet algorithme. Or, c’est à sa capacité de reproduire certains des mécanismes de pensée «intelligents» qu’on mesure les succès de l’intelligence artificielle, et pas à sa prétention à reproduire l’ensemble de ce qu’on appelle l’intelligence ou la pensée.

D’autres objections font plus directement appel à des caractéristiques que les programmes d’intelligence artificielle n’ont pas, mais que l’intelligence naturelle semble avoir: sentir et être capable d’assentiment ou d’une véritable compréhension linguistique. Nombre d’auteurs (J. Searle, H. Dreyfus) insistent alors sur l’incarnation des processus de pensée dans un corps et retrouvent l’inspiration de phénoménologues comme Merleau-Ponty, pour lesquels la condition nécessaire de toute pensée est son implication dans un «monde» ou un arrière-plan de pratiques. Par définition, les programmes d’intelligence artificielle en semblent incapables, comme en témoigne le «problème du cadre» (frame problem ) rencontré par tout programme supposé réaliser une tâche ou accomplir un apprentissage quelconque: comment une machine peut-elle représenter les informations de son environnement et les intégrer?

À ces objections les partisans de l’intelligence artificielle peuvent toujours répondre en insistant sur la distinction entre une version forte de leur entreprise – destinée à reproduire le comportement intelligent – et une version faible – destinée seulement à le simuler –, et soutenir qu’ils adoptent seulement la seconde. Ici encore, même si la construction d’un robot capable d’avoir des émotions ou un véritable «être-au-monde» serait une réalisation étonnante, ce n’est pas l’objectif que poursuit l’intelligence artificielle. La question «les machines pensent-elles?» reste peu claire, en raison même de la texture ouverte du terme «penser». Un optimisme exagéré quant aux capacités des machines est aussi peu justifié qu’un pessimisme de principe.

La suggestion que les propriétés abstraites des programmes d’un ordinateur pourraient servir à comprendre la nature de certains processus mentaux rencontre des problèmes parallèles. Elle est à l’origine de la thèse «fonctionnaliste» en philosophie de l’esprit. Pour celle-là, les états mentaux ne sont ni des processus d’essence mentale (comme le veut le cartésien) ni des processus d’essence physique (comme le veut le matérialiste), mais s’identifient à leurs rôles causaux ou fonctionnels. Avoir la pensée que p , c’est être dans un état susceptible d’entrer en relation avec d’autres états mentaux (par exemple des désirs) et de produire causalement d’autres états mentaux (par exemple d’autres pensées) ou des actions. Comme les états internes du programme d’un ordinateur, les pensées se définissent par leurs relations logiques et causales, c’est-à-dire «fonctionnelles». Il n’est pas essentiel à la pensée qu’elle soit réalisée dans une substance mentale ou physique quelconque, tout comme un programme peut être «implanté» sur des machines de composition matérielle différente.

Les philosophes qui, comme H. Putnam et J. Fodor, défendent cette hypothèse admettent cependant qu’elle ne peut, en toute rigueur, s’appliquer qu’aux états mentaux les plus «intellectuels», comme les pensées ou les croyances, et qu’elle est nécessairement inadéquate pour les sensations et les expériences subjectives. Le problème est ici très comparable à celui du behaviorisme: avoir une douleur, par exemple, ne peut pas se réduire à la possession d’un état «fonctionnel» approprié, parce que deux créatures qui exemplifieraient le même état fonctionnel pourraient ne pas être dans le même état qualitatif de douleur. Ici encore, le fonctionnalisme retrouve l’inspiration aristotélicienne, qui hiérarchise l’esprit en facultés distinctes. Mais, même limité aux processus mentaux «supérieurs» comme la pensée, il se heurte à une difficulté de principe, qui est celle d’individualiser et de définir correctement les contenus propres des pensées.

7. Langage de la pensée et individuation des contenus intentionnels

Le fonctionnalisme est plus ou moins la thèse «officielle» des sciences «cognitives», c’est-à-dire de toutes les disciplines qui cherchent à expliquer le comportement en termes de traitement de l’information et de manipulations de représentations mentales. Si l’on veut échapper à l’interactionnisme cartésien, il est nécessaire de supposer que ces représentations sont physiques et exercent des effets physiques sur le comportement. La solution proposée par J. Fodor (1975, 1987) consiste à identifier ces représentations avec des symboles physiques dans l’esprit, constituant un «langage de la pensée» (le «mentalais») comparable au langage «interne» des ordinateurs, qui «agissent» précisément en fonction des inscriptions concrètes qu’ils manipulent. Penser est un état fonctionnel qui implique des relations (calculatoires) avec des symboles ou phrases d’un langage interne, qui ne peut être que «privé» et «inné». La comparaison fort peu cartésienne des pensées aux états d’une machine se trouve donc associée chez Fodor à cette thèse «cartésienne» d’une pensée dont les contenus ne peuvent être individualisés que par les états internes des sujets, indépendamment des propriétés de l’environnement (principe dit du «solipsisme méthodologique»). Et l’hypothèse «intellectualiste» que défend Fodor contre Wittgenstein est aussi «cartésienne»: toute manifestation d’intelligence repose sur la possession, par l’esprit, de représentations et sur un calcul sur ces représentations, et toute activité de «suivre une règle», comme celle de parler un langage naturel, implique la possession par l’esprit de représentations explicites et de processus cognitifs internes présidant à l’exercice de cette activité. (On peut néanmoins se demander ce qu’il reste du «cartésianisme» ici, puisque ces processus et représentations ne sont pas conscients.)

Cette théorie «représentationnelle» de la pensée ne va pas de soi.

En premier lieu, si penser, c’est inscrire dans son esprit une certaine «phrase mentale» composée de symboles d’un code interne représentant le contenu de cette pensée, qui va se représenter cette pensée? Non pas le sujet lui-même – car les représentations de la psychologie cognitive et de l’intelligence artificielle sont largement inconscientes et «infra-personnelles» – mais de petits «homoncules» (D. Dennett) chargés, pour chaque tâche cognitive, d’accomplir les diverses routines sur lesquelles est fondée l’intelligence. Mais il est clair que ces processus infra-personnels n’interprètent rien et ne peuvent pas être dits, au sens ordinaire, comprendre les représentations qu’ils activent. Et, s’ils «interprètent» les contenus des symboles qu’ils manipulent, ne doivent-ils pas déjà posséder un langage? Fodor n’évite ici la régression à l’infini qu’en postulant l’innéité du «langage de la pensée».

Mais, même si l’on admet cette hypothèse, il est difficile d’admettre que toute pensée doit faire l’objet d’une représentation explicite dans l’esprit. En ce sens, Wittgenstein et Ryle ont sans doute raison de dire que nombre de pensées et de croyances reposent sur un fonds dispositionnel implicite: je crois sans doute que les éléphants ne portent pas de pyjamas, mais cette pensée ne m’est jamais «venue à l’esprit». Et, comme on l’a noté ci-dessus, la plupart des pensées ont une structure holistique: leur contenu ne se définit pas individuellement par l’inscription d’une représentation individuelle, mais par leurs relations à d’autres contenus de pensée. Comme on l’a vu, on n’a de pensées que si l’on peut articuler des concepts qui en forment les contenus. Mais comment peut-on attribuer à quelqu’un la possession d’un concept donné sans lui attribuer aussi l’ensemble des concepts nécessaires à la possession de ce concept isolé?

En second lieu, n’y a-t-il pas une tension entre la conception hiérarchique de l’esprit comme ensemble de facultés avancée par Fodor (1983) et sa thèse selon laquelle la psychologie cognitive explique, comme le sens commun, le comportement comme causé par des attitudes propositionnelles reposant sur la calculation de représentations?

En effet, la thèse fodorienne de la «modularité de l’esprit» implique que l’esprit est composé d’une collection de «modules» séparés, et que les systèmes «périphériques» de traitement de l’information (vision, audition, langage, etc.) sont autonomes par rapport aux «systèmes centraux», qui recouvrent les facultés «supérieures» de pensée, de croyance et de conscience. Le traitement de l’information est dans les premiers rapide, isolé et étanche par rapport aux processus «holistiques» – plus lents – des seconds (ce qui implique, notamment, qu’à un certain niveau la perception est indépendante des jugements). Mais Fodor énonce une «loi» selon laquelle les sciences cognitives doivent nécessairement en savoir plus sur les systèmes modulaires que sur ceux de la pensée. Il s’ensuit que les sciences cognitives sont, à la fois, fondées sur la psychologie des attitudes propositionnelles et partiellement ignorantes du fonctionnement des processus centraux qui les constituent. Et, de fait, la psychologie cognitive semble aujourd’hui moins avancée dans des domaines comme la psychologie du raisonnement et de la pensée (P. Johnson-Laird et P. Wason, 1985) que dans des domaines comme ceux de la vision ou du traitement du langage.

Enfin, la thèse représentationnaliste se heurte à une difficulté majeure quand il s’agit d’individualiser les contenus de pensée. Leur individuation doit être avant tout, selon Fodor, fondée sur la structure ou la syntaxe des symboles du langage interne des représentations, et les contenus sémantiques des attitudes propositionnelles doivent refléter cette structure syntaxique (par exemple, la pensée d’Œdipe qu’«il va épouser Jocaste» diffère de la pensée qu’«il va épouser sa mère» parce que les phrases encodées dans son langage mental ne contiennent pas les mêmes symboles). Or c’est un fait, propre à l’intentionnalité des pensées, que l’individuation sémantique de leurs contenus est un trait irréductible. Les pensées ont un contenu parce qu’elles ont certaines conditions de vérité et de référence, qui font qu’elles peuvent représenter des états de choses du monde. Or, si le «solipsisme méthodologique» qui doit, selon Fodor, prévaloir en psychologie cognitive implique que les contenus de pensée des individus doivent être spécifiés par des processus et représentations purement «internes» ou «cartésiens», comment ces contenus peuvent-ils avoir une sémantique totalement indépendante de l’environnement?

H. Putnam (1975) a proposé une expérience de pensée fameuse, destinée à montrer qu’il y a nécessairement une divergence entre les contenus de pensée que nous spécifions en faisant appel à la psychologie interne des individus et les contenus que nous spécifions en référence à des traits de l’environnement extérieur. Supposons que, sur une «Terre jumelle» en tous points semblable à la nôtre, l’eau ait les mêmes propriétés phénoménales que l’eau sur Terre, mais une composition chimique différente («XYZ» au lieu de H2O). Selon Putnam, les habitants de cette planète jumelle auront les mêmes états psychologiques que les nôtres à propos de l’eau, mais les contenus sémantiques de leur pensée différeront des nôtres parce qu’ils feraient référence à une autre substance que l’eau. Cela montre que le contenu sémantique des pensées ne peut pas consister exclusivement en des représentations purement internes. Or on peut soutenir à bon droit que nombre de nos pensées sont – comme celles qui portent sur l’eau dans cette expérience de pensée – «indexicales», et que l’influence de l’environnement extérieur sur l’individuation de leurs contenus est inéluctable.

Si l’on généralise cette conception de la pensée, on en viendra à dire que la plupart de nos pensées sont telles que nous n’avons aucun accès privilégié, cartésien, à leurs contenus, dont l’individuation repose sur la nature du monde qui nous entoure. Cette conception menace directement l’entreprise de la psychologie cognitive, s’il est vrai qu’elle est fondée sur le paradigme d’une individuation purement «individualiste» ou «interne» des pensées et des représentations. Il n’est pas sûr néanmoins qu’on doive en tirer une conclusion aussi radicale, dans la mesure où ces arguments reposent essentiellement sur des analyses de nos attributions usuelles d’attitudes propositionnelles au moyen du langage. Ces attributions peuvent, dans certains cas, faire référence à la psychologie «étroite» des individus (comme quand nous disons «Jean croit que l’auteur des Catilinaires est un orateur» en employant les termes que nous prêtons à Jean) et, dans d’autres, faire référence au contenu «large» des pensées (comme quand nous disons «Jean croit que Cicéron est un orateur», en employant le nom «Cicéron» avec la référence que nous prêtons à ce nom, mais que Jean ne connaît pas nécessairement, s’il ne sait pas que l’auteur des Catilinaires est Cicéron).

Il est difficile de tirer de ces emplois linguistiques divers un argument généralisé sur la nature des pensées elles-mêmes. Mais il y a bien un sens où toute possession d’une pensée requiert un monde extérieur au sujet qui la pense: avoir une pensée n’est pas seulement avoir une représentation quelconque, mais c’est aussi être capable d’en communiquer le contenu et d’interpréter le comportement d’autrui comme l’exercice de la même faculté. Ce n’est que s’il peut y avoir un accord de ce genre entre l’interprète d’une pensée et celui qui l’a, et un tel processus de reconnaissance mutuelle, que l’on peut attribuer, au sens plein du terme, des «pensées». C’est ce qui rend difficile l’attribution de pensées véritables à des animaux et à des machines. Leur «rationalité» semble suspendue à leur possibilité de communiquer avec leurs semblables, et donc de comprendre authentiquement un langage (D. Davidson, 1975).

L’espoir de théoriciens comme Fodor est de parvenir à expliquer entièrement l’intentionnalité de la pensée en termes de processus physiques et naturels (J. Fodor, 1987), sans pour autant souscrire au matérialisme radical des philosophes qui soutiennent que le mental doit être purement et simplement éliminé parce que les neurosciences ne pourront pas trouver, dans le cerveau, des configurations physiologiques qui correspondraient à ce que nous appelons des «pensées» ou des «croyances». Mais rien n’indique qu’une telle «naturalisation» du mental soit à la portée des sciences de la cognition, en sorte qu’on puisse rendre compte de l’intentionnalité en termes de processus naturels de traitement de l’information. Les philosophes qui, comme les phénoménologues, souscrivent à la thèse de Brentano, selon laquelle l’intentionnalité est la marque irréductible du mental, seront sans doute tentés d’en conclure que toute explication scientifique de l’intentionnalité des pensées est vaine.

Mais on peut tirer aussi une leçon différente, proche de celle qu’a proposée Dennett (1978). Les attributions d’attitudes propositionnelles et de pensées à des créatures (qu’il s’agisse d’humains, d’animaux ou d’ordinateurs) ne sont peut-être pas des attributions d’états réels, dont l’essence sous-jacente, mentale ou physique, pourrait être un jour révélée. Elles ont plutôt un statut de normes, de rationalité, nécessaires à toute explication du comportement, que nous ne pouvons manquer d’imputer à des êtres quelconques si nous voulons les interpréter. En ce sens, ni le cartésianisme ni une forme de théorie matérialiste de la pensée ne sont justifiés, mais il y a bien une irréductibilité de l’intentionnalité dans le fait que toute élucidation d’un contenu de pensée comporte un élément normatif, quelle que puisse être la théorie psychologique qui en expliquera les processus.

1. pensée [ pɑ̃se ] n. f.
• 1150 « ce qu'on pense »; de 1. penser
I ATout ce qui affecte la conscience.
1 Philos. Vx Tout phénomène psychique conscient. « J'appelle pensée tout ce que l'âme éprouve, soit par des impressions étrangères, soit par l'usage qu'elle fait de la réflexion » (Condillac).
2Mod. La pensée de qqn, ce qu'il pense, sent, veut. Deviner la pensée de qqn. Transmission de pensée ( télépathie) .
L'esprit. « un autre objet a chassé Elvire de ma pensée » (Molière). Dans la pensée de qqn : dans son esprit (spécialt opposé à la réalité). « L'avenir est ce qui n'existe que dans notre pensée » ( Proust). En pensée, par la pensée : en esprit (et non réellement). Se transporter quelque part par la pensée, par l'imagination.
BActivité psychique, faculté ayant pour objet la connaissance.
1 ♦ LA PENSÉE. « Toute la dignité de l'homme est en la pensée » (Pascal). esprit, intelligence, raison; entendement. « L'apparition de la pensée a marqué un nouveau et prodigieux progrès de la vie » (Broglie). Objet de la pensée abstraite : concept, notion (aussi noème) . Théories matérialistes, spiritualistes de la pensée. Expression de la pensée : langage, parole. Démarches, opérations de la pensée. abstraction, généralisation, raisonnement.
2 ♦ LA PENSÉE DE QQN, sa réflexion, sa façon de penser; sa capacité intellectuelle.
Façon de penser, de juger. Je partage votre pensée là-dessus. opinion, point de vue. « Voilà, je vous ai dit à peu près ma pensée » (Hugo). Les mots ont trahi, ont dépassé sa pensée. Il m'a parlé franchement, sans déguiser sa pensée. Aller jusqu'au bout de sa pensée : ne pas craindre de penser (de dire) tout ce qu'implique une idée, un jugement. — Spécialt Position intellectuelle d'un penseur. philosophie. La pensée de Gandhi, de Sartre.
C(Qualifié)
1Manière de penser. Pensée claire, obscure, originale, banale. « Plus la pensée est profonde, plus l'expression est vivante » (Hugo). Pensée généreuse, engagée. La libre pensée.
2Ensemble d'idées, de doctrines communes à plusieurs. La pensée marxiste. Les grands courants de la pensée contemporaine. La pensée politique.
II ♦ UNE, DES PENSÉES.
1(Sens large) Tout ensemble de représentations, d'images, dans la conscience. idée, image, sentiment. Souvenir qui hante les pensées de qqn. « C'est dans de telles minutes que l'on découvre le fond de ses pensées » (Bourget). (Affectif) Avoir une pensée émue pour qqn. Ayez une petite pensée pour moi. Recevez nos plus affectueuses pensées.
2Spécialt Phénomène psychique à caractère représentatif et objectif. idée. Cette pensée ne m'a jamais effleuré. « Conduire par ordre mes pensées » (Descartes). Perdre le fil de ses pensées. Pensées banales (cf. Lieu commun), profondes, vagues. Être tout à ses pensées, perdu dans ses pensées. Il « reste absorbé dans ses pensées comme un somnambule » (Lautréamont). méditation, réflexion, rêverie. « Le gouffre de tes yeux, plein d'horribles pensées » (Baudelaire). Mauvaises pensées.
3Par ext. Expression brève d'une idée. aphorisme, maxime, sentence; 1. adage, dicton, proverbe. Les « Pensées », de Pascal.
III ♦ LA PENSÉE DE (qqn, qqch.) :action de penser à (qqn, qqch.). ⇒ 1. penser (II). « la pensée constante d'Odette donnait aux moments où il était loin d'elle le même charme particulier qu'à ceux où elle était là » (Proust). « À la seule pensée de monter avec lui sur la charrette des criminels, je sens un frisson de mort dans mes veines » (Balzac). Loin de moi la pensée de le critiquer. — LA PENSÉE QUE : le fait de penser, de savoir que. « La seule pensée qu'il pût me toucher m'était odieuse » (Daniel-Rops). ⊗ HOM. Panser, penser. pensée 2. pensée [ pɑ̃se ] n. f.
• 1460; de 1. pensée, la fleur étant considérée comme l'emblème du souvenir
Plante (violacées) cultivée dans les jardins pour ses fleurs veloutées très colorées. Bordure de pensées violettes, jaunes. Pensée sauvage à petites fleurs.

pensée nom féminin (de penser) Ensemble des processus par lesquels l'être humain au contact de la réalité matérielle et sociale élabore des concepts, les relie entre eux et acquiert de nouvelles connaissances : La pensée logique. Les démarches de la pensée. Manière d'exercer cette activité psychique : Avoir une pensée rigoureuse. Le fait de penser à quelque chose, d'imaginer ce qui n'est pas réel, présent ; image, représentation ainsi fournie, idée : Loin de moi la pensée de vous faire tort. Idée, représentation psychique ayant une valeur plus ou moins affective (surtout pluriel) : De sombres pensées l'habitaient. Dans des formules de politesse en fin de lettre (surtout pluriel) : Meilleures pensées. Façon de juger, de penser ; intention, opinion : Je vais vous livrer le fond de ma pensée. Ensemble d'idées propres à quelqu'un, à un groupe, etc. : La pensée chrétienne. Réflexion brève, sentence particulière extraite d'un texte : Disserter sur une pensée de Voltaire.pensée (citations) nom féminin (de penser) Henri François d'Aguesseau Limoges 1668-Paris 1751 […] L'esprit le plus pénétrant a besoin du secours du temps pour s'assurer, par ses secondes pensées, de la justice des premières. Mercuriales Émile Chartier, dit Alain Mortagne-au-Perche 1868-Le Vésinet 1951 Le style est la poésie dans la prose, je veux dire une manière d'exprimer que la pensée n'explique pas. Avec Balzac Gallimard Émile Chartier, dit Alain Mortagne-au-Perche 1868-Le Vésinet 1951 Nul ne pense pour soi ; cela ne peut aller […] L'universel est le lieu des pensées. Propos de littérature Gallimard Émile Chartier, dit Alain Mortagne-au-Perche 1868-Le Vésinet 1951 La pensée ne respecte rien qu'elle-même. Propos de littérature Gallimard Émile Chartier, dit Alain Mortagne-au-Perche 1868-Le Vésinet 1951 J'aime mieux une pensée fausse qu'une routine vraie. Propos d'un Normand, tome II Gallimard Émile Chartier, dit Alain Mortagne-au-Perche 1868-Le Vésinet 1951 Les nations étant inévitablement plus bêtes que les individus, toute pensée a le devoir de se sentir en révolte. Correspondance avec Romain Rolland, « Salut et Fraternité » Albin Michel Émile Chartier, dit Alain Mortagne-au-Perche 1868-Le Vésinet 1951 En toute œuvre d'art, la pensée sort de l'œuvre, et jamais une œuvre ne sort d'une pensée. La Visite au musicien, les Arts et les Dieux Gallimard Gaston Bachelard Bar-sur-Aube 1884-Paris 1962 La pensée pure doit commencer par un refus de la vie. La première pensée claire, c'est la pensée du néant. La Dialectique de la durée P.U.F. Gaston Bachelard Bar-sur-Aube 1884-Paris 1962 Dans la pensée scientifique, la méditation de l'objet par le sujet prend toujours la forme du projet. Le Nouvel Esprit scientifique P.U.F. Simone de Beauvoir Paris 1908-Paris 1986 Pensée de vaincus, pensée vaincue. Privilèges Gallimard Henri Bergson Paris 1859-Paris 1941 Il faut agir en homme de pensée et penser en homme d'action. Écrits et paroles, Message au Congrès Descartes P.U.F. Emmanuel Berl Le Vésinet 1892-Paris 1976 La pensée est révolutionnaire, ou elle n'est pas. Mort de la pensée bourgeoise Grasset Louis, vicomte de Bonald château du Monna, près de Millau, 1754-château du Monna, près de Millau, 1840 Académie française, 1816 La parole est dans le commerce des pensées ce que l'argent est dans le commerce des marchandises, expression réelle des valeurs, parce qu'elle est valeur elle-même. Législation primitive considérée dans les derniers temps par les seules lumières de la raison André Breton Tinchebray, Orne, 1896-Paris 1966 Ne pas alourdir ses pensées du poids de ses souliers. Nadja Gallimard André de Chénier Constantinople 1762-Paris 1794 Allumons nos flambeaux à leurs feux poétiques ; Sur des pensers nouveaux faisons des vers antiques. L'Invention Fernand Crommelynck Paris 1886-Saint-Germain-en-Laye 1970 La pensée est dans le mal et le mal est dans la pensée, sans qu'on sache qui a commencé. Tripes d'or Gallimard René Descartes La Haye, aujourd'hui Descartes, Indre-et-Loire, 1596-Stockholm 1650 Il me semble que les pensées des hommes se gèlent ici pendant l'hiver aussi bien que les eaux. Correspondance, à Brégy, 15 janvier 1650 à Stockholm René Descartes La Haye, aujourd'hui Descartes, Indre-et-Loire, 1596-Stockholm 1650 Je ne me fie quasi jamais aux premières pensées qui me viennent. Discours de la méthode Denis Diderot Langres 1713-Paris 1784 Mes pensées, ce sont mes catins. Le Neveu de Rameau Antoine Fabre d'Olivet Ganges, Hérault, 1767-Paris 1825 [L'homme] est une plante qui porte des pensées, comme un rosier porte des roses, et un pommier des pommes. L'Histoire philosophique du genre humain Léon-Paul Fargue Paris 1876-Paris 1947 […] La pensée, oui, dans une belle chair. Sous la lampe Gallimard Nicolas Fontaine Paris 1625-Melun 1709 Les hommes ont leurs pensées et Dieu a les siennes. Mémoires pour servir à l'histoire de Port-Royal Anatole François Thibault, dit Anatole France Paris 1844-La Béchellerie, Saint-Cyr-sur-Loire, 1924 Académie française, 1896 […] En tout temps et dans tous les pays, la pensée des âmes méditatives fut un sujet de scandale. Les Opinions de Jérôme Coignard Calmann-Lévy Remy de Gourmont Bazoches-au-Houlme, Orne, 1858-Paris 1915 Il y a des écrivains chez lesquels la pensée semble une moisissure du cerveau. Des pas sur le sable Société littéraire de France Remy de Gourmont Bazoches-au-Houlme, Orne, 1858-Paris 1915 Une pensée fausse n'est jamais bien écrite, ni mal écrite une pensée juste. Il y a là quelque chose d'inséparable. Promenades littéraires Mercure de France Marie Jean Hérault de Séchelles Paris 1759-Paris 1794 Pour bien saisir les différences, il faut refroidir sa tête, et ralentir le mouvement de sa pensée. — Pour bien remarquer les analogies, il faut échauffer sa tête, et accélérer le mouvement de sa pensée. Théorie de l'ambition, Codicille politique et pratique d'un jeune habitant d'Épône Victor Hugo Besançon 1802-Paris 1885 Sonnez, sonnez toujours, clairons de la pensée. Les Châtiments, l'Expiation, VII, 1 Victor Hugo Besançon 1802-Paris 1885 L'instinct, c'est l'âme à quatre pattes ; la pensée c'est l'esprit debout. Tas de pierres Éditions Milieu du monde Francis Jammes Tournay, Hautes-Pyrénées, 1868-Hasparren, Pyrénées-Atlantiques, 1938 Et moi, je ne sais pas ce que mes pensées pensent. Le Deuil des primevères Mercure de France Joseph Joubert Montignac, Corrèze, 1754-Villeneuve-sur-Yonne 1824 Le son du tambour dissipe les pensées ; c'est par cela même que cet instrument est éminemment militaire. Carnets Jean de La Bruyère Paris 1645-Versailles 1696 Entre toutes les différentes expressions qui peuvent rendre une seule de nos pensées, il n'y en a qu'une qui soit la bonne. Les Caractères, Des ouvrages de l'esprit Jules Lachelier Fontainebleau 1832-Fontainebleau 1918 Le monde est une pensée qui ne se pense pas, suspendue à une pensée qui se pense. Psychologie et métaphysique Alcan Jean de La Fontaine Château-Thierry 1621-Paris 1695 Quittez le long espoir et les vastes pensées. Fables, le Vieillard et les Trois Jeunes Hommes Jules Lagneau Metz 1851-Paris 1894 De l'inconscient au sens strict : c'est la pensée spontanée, élémentaire, sans liaison, c'est-à-dire la sensation sans aucune pensée proprement dite : il y a de l'inconscient, mais non dans la pensée. Fragments Alphonse de Prât de Lamartine Mâcon 1790-Paris 1869 L'homme est Dieu par la pensée. Les Méditations, préface Gustave Lanson Orléans 1857-Paris 1934 La pensée ne s'achève que lorsqu'elle a trouvé son expression. Histoire de la littérature française Hachette Gustave Le Bon Nogent-le-Rotrou 1841-Paris 1931 Chez beaucoup d'hommes, la parole précède la pensée. Ils savent seulement ce qu'ils pensent après avoir entendu ce qu'ils disent. Aphorismes du temps présent Flammarion Claude Lévi-Strauss Bruxelles 1908 Peut-être découvrirons-nous un jour que la même logique est à l'œuvre dans la pensée mythique et dans la pensée scientifique, et que l'homme a toujours pensé aussi bien. Anthropologie structurale Plon Claude Lévi-Strauss Bruxelles 1908 Le propre de la pensée sauvage est d'être intemporelle. La Pensée sauvage Plon Pierre Louis, dit Pierre Louÿs Gand 1870-Paris 1925 C'est la pensée toute vivante qui dicte le style immortel. Dès qu'elle a trouvé ce qu'elle cherche, elle n'est plus. Poétique Crès Roger Martin du Gard Neuilly-sur-Seine, 1881-Sérigny, Orne, 1958 La pensée ne commence qu'avec le doute. Correspondance avec A. Gide Gallimard Jean-Baptiste Poquelin, dit Molière Paris 1622-Paris 1673 La parole a été donnée à l'homme pour expliquer ses pensées, et tout ainsi que les pensées sont les portraits des choses, de même nos paroles sont-elles les portraits de nos pensées. Le Mariage forcé, 6, Pancrace Blaise Pascal Clermont, aujourd'hui Clermont-Ferrand, 1623-Paris 1662 Pensée fait la grandeur de l'homme. Pensées, 346 Commentaire Chaque citation des Pensées porte en référence un numéro. Celui-ci est le numéro que porte dans l'édition Brunschvicg — laquelle demeure aujourd'hui la plus généralement répandue — le fragment d'où la citation est tirée. Jean Paulhan Nîmes 1884-Neuilly-sur-Seine 1968 Académie française, 1963 L'esprit est un monde à l'envers. Le clair y procède de l'obscur, la pensée y sort des mots. Les Fleurs de Tarbes Gallimard Henri Petit 1900-1978 Toute pensée efface un rêve. Les Justes Solitudes Grasset Nicolas Poussin Villers, près des Andelys, 1594-Rome 1665 Quant à la pensée, c'est une faculté de l'esprit, qui va se fatiguant à l'entour des choses. Observations sur la peinture Marcel Proust Paris 1871-Paris 1922 L'amour cause […] de véritables soulèvements géologiques de la pensée. À la recherche du temps perdu, Sodome et Gomorrhe Gallimard Raymond Queneau Le Havre 1903-Paris 1976 Toute action est déception, toute pensée implique erreur. Le Chiendent Gallimard Jean Rostand Paris 1894-Ville-d'Avray 1977 Académie française, 1959 Réfléchir, c'est déranger ses pensées. Pensées d'un biologiste Stock Marcel Schwob Chaville 1867-Paris 1905 Pense dans le moment. Toute pensée qui dure est contradiction. Le Livre de Monelle Mercure de France Charles Maurice de Talleyrand-Périgord Paris 1754-Paris 1838 La parole a été donnée à l'homme pour déguiser sa pensée. Paul Valéry Sète 1871-Paris 1945 Les vilaines pensées viennent du cœur. Mélange Gallimard Commentaire Contrepoint du mot de Vauvenargues. Luc de Clapiers, marquis de Vauvenargues Aix-en-Provence 1715-Paris 1747 Les grandes pensées viennent du cœur. Réflexions et Maximes Alfred, comte de Vigny Loches 1797-Paris 1863 […] Qu'est-ce qu'une grande vie sinon une pensée de la jeunesse exécutée par l'âge mûr ? Cinq-Mars François Marie Arouet, dit Voltaire Paris 1694-Paris 1778 Ils ne se servent de la pensée que pour autoriser leurs injustices et n'emploient les paroles que pour déguiser leurs pensées. Dialogue, le Chapon et la Poularde (1763) Commentaire Cette boutade se rencontre déjà en Angleterre, dans Robert South ou dans Edward Young (1683-1765), le poète des Nuits. En France, on l'attribue le plus souvent à Talleyrand. François Marie Arouet, dit Voltaire Paris 1694-Paris 1778 Les paroles sont aux pensées ce que l'or est aux diamants ; il est nécessaire pour les mettre en œuvre, mais il en faut peu. Le Sottisier Simone Weil Paris 1909-Londres 1943 La pensée fuit le malheur aussi promptement, aussi irrésistiblement qu'un animal fuit la mort. Attente de Dieu Fayard Marguerite de Crayencour, dite Marguerite Yourcenar Bruxelles 1903-Mount Desert Island, Maine [É.-U.], 1987 Il n'est pas difficile de nourrir des pensées admirables lorsque les étoiles sont présentes. Alexis ou le Traité du vain combat Plon Isocrate Athènes 436-Athènes 338 avant J.-C. Nous faisons de la parole précise le témoignage le plus sûr de la pensée juste. Sur l'échange, 255 (traduction G. Mathieu) Emilio Castelar y Ripoll Cadix 1832-San Pedro del Pinatar 1899 Quand la pensée se tait, les révolutions parlent. Cuando el pensamiento calla, las revoluciones hablan. En el discurso defendiendo al periódico, La Soberanía nacional Mao Zedong, Mao Tsö-tong ou Mao Tsé-toung Shaoshan, Hunan, 1893-Pékin 1976 L'existence sociale des hommes détermine leur pensée. Citations du président Mao Tsé-Toung, XXII Edgar Allan Poe Boston 1809-Baltimore 1849 Toute pensée, en un mot, était ressentie par eux comme un outrage personnel. All thought, to be brief, was very properly resented as a personal affront to themselves. Eureka Arthur Schopenhauer Dantzig 1788-Francfort-sur-le-Main 1860 C'est la pensée qui donne au style sa beauté, mais chez les pseudo-penseurs c'est le style qui doit orner les pensées. Der Stil erhält die Schönheit vom Gedanken, statt daß bei den Scheindenkern durch den Stil schön werden sollen. Parerga und Paralipomena William Shakespeare Stratford on Avon, Warwickshire, 1564-Stratford on Avon, Warwickshire, 1616 La pensée est l'esclave de la vie, et la vie est le fou du temps… … Thought's the slave of live, and life time's fool… Henry IV, V, 4, Hotspur sir Philip Sidney Penshurst, Kent, 1554-Arnhem 1586 Des pensées élevées sont placées au cœur de la courtoisie. High-erected thoughts seated in the heart of courtesy. Arcadia, V Robert South 1634-1716 La parole a été donnée au commun des mortels pour communiquer leurs pensées, mais aux sages pour la déguiser. Speech was given to the ordinary sort of men whereby to communicate their mind ; but to wise men, whereby to conceal it. Sermon, 30 avril 1676 pensée (difficultés) nom féminin (de penser) Orthographe Libre pensée s'écrit sans trait d'union. ● pensée (expressions) nom féminin (de penser) À la pensée de, rien que de penser à. Avoir une pensée pour quelqu'un, l'avoir présent à l'esprit par respect pour sa mémoire, par affection ou pour le soutenir dans un moment difficile. Dans la pensée de quelqu'un, dans son intention. En pensée, seulement en esprit, mais non dans la réalité. Péjoratif. La pensée unique, l'ensemble des opinions dominantes, conventionnelles, des idées reçues, dans les domaines économique, politique et social. Mauvaises pensées, intentions ou opinions malveillantes ou pessimistes ; désirs érotiques. Par la pensée, en imagination. ● pensée (homonymes) nom féminin (de penser) panser verbe penser verbepensée (synonymes) nom féminin (de penser) Ensemble des processus par lesquels l'être humain au contact de...
Synonymes :
Manière d'exercer cette activité psychique
Synonymes :
Idée, représentation psychique ayant une valeur plus ou moins affective...
Synonymes :
- réflexions
Dans des formules de politesse en fin de lettre (surtout...
Synonymes :
Façon de juger, de penser ; intention, opinion
Synonymes :
- méditation
- méditations
- préoccupation
- réflexion
- vue
Ensemble d'idées propres à quelqu'un, à un groupe, etc.
Synonymes :
- idéologie
Réflexion brève, sentence particulière extraite d'un texte
Synonymes :
pensée nom féminin (de pensée) Petite plante herbacée ornementale du genre viola, caractérisée par des fleurs bicolores ou tricolores (violet et jaune, blanc) ayant quatre pétales tournés vers le haut et un vers le bas. ● pensée (citations) nom féminin (de pensée) Jacques Prévert Neuilly-sur-Seine 1900-Omonville-la-Petite, Manche, 1977 Tu as regardé la plus triste la plus morne de toutes les fleurs de la terre Et comme aux autres fleurs tu lui as donné un nom Tu l'as appelée Pensée. Paroles, Fleurs et couronnes Gallimardpensée (homonymes) nom féminin (de pensée) panser verbe penser verbe

pensée
n. f.
d1./d Faculté de réfléchir, intelligence.
d2./d Opération de l'intelligence, idée, jugement, réflexion qui sont produits par la faculté de penser. Avoir de profondes pensées. être complètement perdu dans ses pensées.
d3./d Souvenir. Avoir une pensée pour un disparu.
d4./d Intention. Je n'ai jamais eu la pensée de vous offenser.
d5./d Esprit, en général. Cela m'est venu à (dans) la pensée.
d6./d Opinion, façon de penser. Dites-moi votre pensée sur ce point.
|| Ensemble des idées, des opinions habituellement reçues par un individu, au sein d'un groupe humain, etc. étudier la pensée de Montaigne. La pensée politique américaine.
|| Libre pensée: V. ce mot.
d7./d Brève maxime, aphorisme. Les "Pensées" de Marc Aurèle.
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pensée
n. f. Plante ornementale (Fam. violacées) dont les fleurs ont de larges pétales veloutés diversement colorés.

I.
⇒PENSÉE1, subst. fém.
I. —[La pensée comme faculté]
A. —Principe de la vie psychique.
1. HIST. DE LA PHILOS. [Chez Descartes et ses continuateurs] Activité psychique dans son ensemble. Aussi bien, les exemples de pensée que Descartes aime à rappeler sont-ils tous des actes. Concevoir, affirmer, vouloir, imaginer, sentir, ce sont là des opérations comme il le note dans l'Exposé «géométrique», aussitôt après la définition de la pensée (R. VERNEAUX, Les Sources cartésiennes et kantiennes de l'idéalisme fr., Paris, Beauchesne, 1936, p.123). L'affectivité est encore [dans l'acte du cogito] un mode de la pensée au sens le plus large; sentir est encore penser (RICOEUR, Philos. volonté, 1949, p.83). V. attendre ex. 17 et penser1 I A ex. de Condillac:
1. ... le point de vue systématique où Descartes a employé le mot pensée [it. ds le texte] pour exprimer l'attribut essentiel et l'essence même de l'âme, par opposition au corps qui a l'étendue pour essence...
MAINE DE BIRAN, Journal, 1823, p.402.
2. Lang. cour.
a) Ensemble des facultés psychologiques tant affectives qu'intellectuelles. Synon. âme, coeur, esprit (v. ce mot 2e section I B 1). C'était un de ces jours tristes qui oppressent, écrasent la pensée, compriment le coeur, éteignent en nous toute force et toute énergie (MAUPASS., Contes et nouv., t.1, Épave, 1886, p.717). La force leur a été donnée [aux rois] par le Seigneur et la puissance par le Très-Haut, qui examinera leurs actes et sondera leur pensée (Théol. cath. t.4, 1 1920, p.1013):
2. Christine survint, appuya un bol de lait contre les lèvres de la malade, refit l'arrangement des oreillers, embrassa sa mère, partit. Les bouffissures blafardes s'élargissaient sur le visage et sur le cou, et sans doute sur tout le reste d'un corps qui se préparait à vivre tout seul de son côté, de quelque vie laide et monstrueuse. Sa pensée, sa tendresse, tout ce qui constituait sa mère, avait à s'arranger de cela, pendant que c'était encore possible.
MALÈGUE, Augustin, t.3, 1933, p.313.
PARAPSYCHOL. Transmission de pensée.
b) Activité affective consciente. Loin de vous comme en votre présence, je ne puis m'occuper que du seul amour; les plus tristes objets n'en peuvent détacher ma pensée (COTTIN, Mathilde, t.2, 1805, p.161). Ses yeux s'obscurcirent, sa pensée se voila, et il n'entendit plus que très vaguement geindre l'essieu des roues (A. DAUDET, Tartarin de T., 1872, p.104). V. irrépressible ex.:
3. Elle rouvrit les yeux. Elle regarda sa mère, son père, d'un regard qui déjà n'était plus de ce monde. On lisait en elle une pensée intense, une suprême angoisse, une poignante supplication qu'elle ne pouvait plus exprimer.
VAN DER MEERSCH, Invas. 14, 1935, p.416.
B. —[P. oppos. à affectivité, sensibilité] Principe de la vie intellectuelle. Synon. entendement, esprit (v. ce mot 2e section I C), intelligence.
1. PHILOS., PSYCHOL.
a) Ensemble des fonctions psychiques et psycho-physiologiques ayant la connaissance pour objet; ensemble des phénomènes par lesquels ces fonctions se manifestent. Genèse, mécanismes, opérations, productions, troubles de la pensée. La pensée est-elle autre chose que la reproduction interne des phénomènes extérieurs, classés suivant la constance de leurs liaisons? (BOUTROUX, Contingence, 1874, p.99). Si la pensée ne mettait elle-même dans les choses ce qu'elle y trouvera ensuite, elle serait sans prises sur les choses (MERLEAU-PONTY, Phénoménol. perception, 1945, p.425). V. abstrait ex. 14, analogie ex. 10, distinguer A 3 ex. de Vuillemin, homme ex. 2, intelligence I A 1 c ex. de Lamarck, intelligent ex. 2:
4. Philosophes et linguistes se sont toujours accordés à reconnaître que, sans le secours des signes, nous serions incapables de distinguer deux idées d'une façon claire et constante. Prise en elle-même, la pensée est comme une nébuleuse où rien n'est nécessairement délimité. Il n'y a pas d'idées préétablies, et rien n'est distinct avant l'apparition de la langue.
SAUSS. 1916, p.155.
♦[Suivi d'un adj. indiquant la nature ou la forme, le degré ou le niveau de la pensée] Pensée abstraite, spéculative; pensée notionnelle, symbolique; pensée analytique, intuitive, discursive; pensée autistique, égocentrique. Tout nous engage à considérer le mécanisme de la pensée syncrétique comme intermédiaire entre celui de la pensée logique et celui de ce que les psychanalystes ont appelé d'un mot hardi le «symbolisme» des rêves (J. PIAGET, Le Lang. et la pensée chez l'enfant, Neuchâtel, 1948 [1923], p.152):
5. La vie collective (...) ne peut exister que par la communication entre les hommes et cette communication suppose l'antériorité logique d'une pensée conceptuelle.
Traité sociol., 1967, p.67.
b) Connaissance discursive. Synon. raison. Un être vivant est un être observable, tandis que le tout de l'univers est construit ou reconstruit par la pensée (BERGSON, Évol. créatr., 1907, p.15). Il faut que la pudeur, la honte, l'indignation, l'euphorie des idéaux, la sensation du juste et de l'injuste, soient des seuils infranchissables à la pensée (VALÉRY, Suite, 1934, p.79):
6. L'arsenal des opérations de l'esprit est transfiniment illimité, mais grâce à lui, toute notion accessible peut être présentée en termes finis. La métamathématique de Cantor a ouvert à la pensée l'éblouissante perspective de son propre infini.
Gds cour. pensée math., 1948, p.117.
2. Lang. cour.
a) Faculté de connaître, de raisonner, de juger; activité intellectuelle qui en est la source. La pensée est le labeur de l'intelligence, la rêverie en est la volupté. Remplacer la pensée par la rêverie, c'est confondre un poison avec une nourriture (HUGO, Misér., t.2, 1862, p.51). Au fond de l'esprit de l'homme, il existe une puissance de pensée insoupçonnée et latente qui dépasse de beaucoup le peu que nous en connaissons (BARRÈS, Cahiers, t.12, 1919, p.222). V. harmonier II B ex. de Balzac:
7. L'exercice de la pensée, la recherche des idées, les contemplations tranquilles de la science nous prodiguent d'ineffables délices, indescriptibles comme tout ce qui participe de l'intelligence, dont les phénomènes sont invisibles à nos sens extérieurs.
BALZAC, Peau chagr., 1831, p.102.
b) En partic.
) Ensemble des capacités intellectuelles d'une personne. Pensée active, claire, défaillante, faible, ferme, prompte, vive; altération, engourdissement, fléchissement de la pensée. Il regardait ces gens de ses yeux bleus, troubles et sans pensée, et il tournait un peu sa tête bouffie où semblait s'éveiller un commencement d'attention (MAUPASS., Contes et nouv., t.1, Hérit., 1884, p.528). Le petit Mouron, doux et modeste, toujours timide, toujours un peu lent de pensée (A. FRANCE, Vie fleur, 1922, p.366). Leur intelligence [des amorphes] est superficielle, leur pensée étroite; ils lisent peu, observent mal, n'ont aucune aptitude à l'abstraction, aucun sens de l'esprit ou de l'ironie (MOUNIER, Traité caract., 1946, p.248).
Loc. [À la forme nég.] La pensée ne l'encombre pas. Il n'est pas (très) intelligent; il est sot. Il jetait un regard singulièrement trouble et voilé, sans malice aucune. Comme la pensée ne l'encombrait pas, il pouvait sortir tout de go ce qui lui passait par la tête (GIDE, Si le grain, 1924, p.533).
) Mise en oeuvre de ces capacités; aptitude à réfléchir. Il est bien certain, reprit-il, après un silence de pensée, que c'est la Vierge qui agit dans ces cas-là sur nous (HUYSMANS, En route, t.1, 1895, p.33). Il percevait là une symétrie à laquelle sa pensée s'arrêta un instant sans pouvoir lui donner un sens précis (AYMÉ, Uranus, 1948, p.104):
8. En quinze ou seize ans et après son apprentissage, l'avoué, le notaire, le marchand, tous les travailleurs patentés ont gagné du pain pour leurs vieux jours. Je ne me suis senti propre à rien en ce genre. Je préfère la pensée à l'action, une idée à une affaire, la contemplation au mouvement.
BALZAC, L. Lambert, 1832, p.126.
[Avec la fonction de déterm.]
Homme de pensée (gén. p.oppos. à homme d'action). Celui qui met en oeuvre son goût pour la réflexion et, p.ext., pour les choses de l'esprit, la culture; en partic., celui dont la tâche principale est le travail de la réflexion. Il était réservé à notre temps de voir des hommes de pensée ou qui se disent tels faire profession de ne soumettre leur patriotisme à aucun contrôle de leur jugement (BENDA, Trahis. clercs, 1927, p.65). Mon père, homme de pensée, de culture, de tradition, était imprégné du sentiment de la dignité de la France (DE GAULLE, Mém. guerre, 1954, p.1). V. homme ex. 25:
9. Par un de ces contrastes fréquents chez les hommes de pensée, M. Weil, qui ne sortait pas de ses livres et vivait uniquement de la vie de l'esprit, était passionné de choses militaires.
ROLLAND, J.-Chr., Maison, 1909, p.1049.
Travail, ouvrage de pensée. Qu'on ait à exécuter un travail de pensée ou un travail d'atelier ou d'industrie, il faut se tenir à sa pièce, la creuser, la façonner, la perfectionner tous les jours (GAMBETTA, 1876 ds Fondateurs 3e Républ., p.120).
c) P. méton.
) L'esprit en tant que siège des facultés intellectuelles. Sinistre! c'est l'épithète qui vient à la pensée en le voyant (GONCOURT, Journal, 1864, p.22). L'idée de tromper mon mari n'avait jamais effleuré ma pensée (GIDE, École femmes, 1929, p.1296):
10. ... il se mit à l'insulter, à l'injurier, à l'appeler par tous les méchants noms et tous les mots impurs dont était pleine sa pensée.
BLOY, Journal, 1899, p.306.
En partic. Attention, application mentale. Ne pas avoir la pensée à ce qu'on fait; détourner sa pensée de quelque chose. Il s'acharnait sur ses livres du matin au soir; mais il ne faisait rien de bon: sa pensée était ailleurs (ROLLAND, J.-Chr., Antoinette, 1908, p.896).
P. méton. Personne (qui pense). Deux regards, deux pensées qui se cherchent à travers l'univers finissent toujours par se retrouver (LAMART., Confid., 1849, p.39).
) L'esprit en tant que faculté de se représenter ce qui n'existe pas en réalité. Dans sa pensée, il unissait les deux enfants. Il allait les unir, dans la réalité (ROLLAND, J.-Chr., Nouv. journée, 1912, p.1566).
Loc. adv.
En pensée, par la pensée. Par l'imagination; en partic., par le souvenir. Remonter (jusqu'à), se reporter à, (faire) revivre par la/en pensée. Je songe vaguement à mon dernier voyage; je revois en pensée ma chère cathédrale, la via Cannobio, la maison du passé (MILOSZ, Amour. init., 1910, p.126). Il regardait cette demeure décrépite et mélancolique et, déjà, par la pensée, il la voyait comme elle allait être bientôt (DUHAMEL, Désert Bièvres, 1937, p.87). De manière imaginaire ou au moyen de l'abstraction. Se placer, se transporter quelque part par la/en pensée. Un astronome, habitué à vivre en pensée dans les espaces interplanétaires, doit avoir beaucoup moins de mal qu'un autre à mourir (MARTIN DU G., Thib., Épil., 1940, p.968). En déplissant par la pensée les chaînes de montagnes actuelles d'origine alpine, on étend considérablement les surfaces émergées (COMBALUZIER, Introd. géol., 1961, p.140). [P. oppos. à en fait, en réalité, par action, par omission] Pécher, commettre une faute, un crime par la/en pensée. Adultères par la pensée, êtes-vous moins souillées d'un péché du coeur que d'un péché du corps? (PÉLADAN, Vice supr., 1884, p.225). Christophe se demandait (...) quelle étrange satisfaction elle pouvait trouver à troubler, à souiller, ne fût-ce qu'en pensée, la pureté de leur affection (ROLLAND, J.-Chr., Adolesc., 1905, p.357).
De pensée (rare). Si j'étais resté chaste, mon ami, si je l'étais resté de fait et aussi de pensée (SAINTE-BEUVE, Volupté, t.2, 1834, p.33).
[L'accent est mis sur une faculté partic.]
♦Mémoire, souvenir. (Être) cher, présent, vivant à la pensée; rester gravé dans la pensée; bannir, rayer de sa pensée; fouiller dans sa pensée. Malgré moi, à chaque arrêt, des enfants de l'école s'interposaient dans ma pensée; je les voyais avec les yeux de l'âme dans les attitudes ayant existé (FRAPIÉ, Maternelle, 1904, p.295):
11. L'autre jour, j'ai été au collège voir un gamin que l'on m'avait recommandé à Paris; tout le temps du collège m'est revenu à la pensée. Je t'ai revu battant la semelle contre le mur, par un temps de neige, dans la cour des grands...
FLAUB., Corresp., 1864, p.138.
♦Imagination, rêve, rêverie. Creuser de frais vallons que la pensée adore, Remonter, redescendre, et remonter encore (LAMART., Harm., 1830, p.393). Je me créai une femme, je la dessinai dans ma pensée, je la rêvai (BALZAC, Peau chagr., 1831, p.113). On devine, par ce qu'on voit, ce qu'on ne voit pas. On sonde avec l'oeil et la pensée les dedans du corsage et les dessous de la robe (MAUPASS., Contes et nouv., t.1, Échec, 1885, p.999).
II. —Manière d'user de cette faculté; manière de penser et d'exprimer ce qu'on pense; attitude, détermination de l'esprit propre à une personne ou à un groupe de personnes.
A. —[La pensée est le fait d'une pers. individuelle]
1. Manière de juger. Synon. opinion, appréciation, avis, point de vue (v. point1). Parler contre sa pensée; aller au bout de sa pensée. Chacune de tes paroles sera une vérité que j'écouterai à genoux. Est-ce que jamais j'ai eu une pensée autre que la tienne? (ZOLA, Faute Abbé Mouret, 1875, p.1467). Je demande au sultan de m'indiquer, en toute confiance, quel est le fond de sa pensée quant aux rapports du Maroc et de la France (DE GAULLE, Mém. guerre, 1959, p.224). V. s'arc-bouter ex. 2:
12. Il suffisait qu'une pensée fût extraordinaire, qu'elle choquât le sens commun, pour que je m'en fisse aussitôt le champion, au risque d'avancer les sentiments les plus blâmables.
MUSSET, Confess. enf. s., 1836, p.124.
Loc. diverses
Dire sa pensée (à qqn). Donner son opinion, dire ce que l'on ressent (sur un point particulier). Elle est si dissimulée avec moi, sans doute parce qu'elle me craint, car je l'ai élevée sévèrement, qu'elle ne peut ou qu'elle n'ose me dire sa pensée (RESTIF DE LA BRET., M. Nicolas, 1796, p.16). Je crois, pour vous dire ma pensée, que ni moi ni un autre aujourd'hui ne saurait faire oeuvre qui dure (COURIER, Lettres Fr. et Ital., 1810, p.840). Dire toute sa pensée. Dire franchement ce qu'on pense sans ménagement. Il parlait vivement et sans retenue, disant toute sa pensée avec ignorance des ménagements (MAUPASS., Contes et nouv., t.2, Ami Jos., 1883, p.1263).
Entrer dans la pensée de qqn. Envisager les choses de son point de vue; comprendre les motifs qui le font agir. [Être discipliné veut dire] qu'on entre franchement dans la pensée, dans les vues du chef qui a ordonné, et qu'on prend tous les moyens humainement praticables pour lui donner satisfaction (FOCH, Princ. guerre, 1911, p.97).
Dans la pensée de qqn. Selon sa manière d'envisager les choses. Synon. dans l'esprit, dans l'idée de qqn. Dans notre pensée donc, si l'avenir amène ce que nous attendons, les chances de guerre et de révolution iront diminuant de jour en jour (HUGO, Rhin, 1842, p.480). En suivant son raisonnement, sa logique. Dans la pensée de Maxwell le déplacement de ce pôle dans un diélectrique produit aussi dans le diélectrique des forces électromotrices d'induction (H. POINCARÉ, Électr. et opt., 1901, p.418).
Liberté de pensée.
SYNT. Cacher, communiquer, déguiser, développer, dissimuler, nuancer, préciser, systématiser sa pensée; confier sa pensée à qqn; conquérir qqn à sa pensée; comprendre, partager la pensée de qqn; émettre, soutenir une pensée; souscrire à une pensée.
2. Opinion raisonnée; position intellectuelle systématique ou non. Démarche, évolution d'une pensée; construire, orienter une pensée; accréditer, diffuser une pensée. Quelle douleur j'ai, quand il me faut délayer ma pensée, et l'affaiblir pour qu'elle soit intelligible, de suite, à une salle de spectateurs (MALLARMÉ, Corresp., 1865, p.168). Je verrai peut-être se réaliser ma seule ambition, celle d'avoir une revue bien à nous, où je puisse écrire librement toute ma pensée (BOURGET, Actes suivent, 1926, p.148):
13. Il n'y a de pensée que dans un homme libre; dans un homme qui n'a rien promis, qui se retire, qui se fait solitaire, qui ne s'occupe point de plaire ni de déplaire.
ALAIN, Propos, 1925, p.667.
Libre(-)pensée. V. libre(-)penseur rem.
3. Ensemble des idées autour desquelles une personne organise sa vie. Synon. morale, philosophie. Les grandes causes demandent des hommes supérieurs, de nobles coeurs, de grandes âmes. L'élévation de pensée et de caractère, voilà ce qu'il nous faudrait et ce qui nous manque (AMIEL, Journal, 1866, p.276). Je comprenais qu'il avait sa carrière, sa pensée, sa vie publique, que ne devait pas se permettre d'encombrer mon amour (GIDE, École femmes, 1929, p.1254):
14. D'assez bonne heure (...), sans accepter aucun dogme religieux ou philosophique, j'étais assez bien arrivé à concilier toutes mes tendances, à me confectionner un cadre solide de vie, de pensée; une façon de morale.
MARTIN DU G., Thib., Épil., 1940, p.947.
B. —[La pensée est le fait d'un penseur ou d'un groupe soc.]
1. [Le plus souvent suivi d'un adj. ou d'un compl. déterminatif de]
a) Ensemble des idées, des façons de penser, propre à une personne ou à une école, à un peuple, à une race ou à une époque. Synon. philosophie. Le rayonnement d'une pensée. Tu le regardes [Barrès] comme un simple écrivain, moi comme un maître; tu apprécies son talent, moi sa pensée (RIVIÈRE, Corresp. [avec Alain-Fournier], 1905, p.177). La théorie platonicienne des idées a dominé toute la pensée antique, en attendant qu'elle pénétrât dans la philosophie moderne (BERGSON, Deux sources, 1932, p.256):
15. Chacun dans des domaines variés, un Spinoza, un Bayle, un Locke, par exemple, a légué à la pensée européenne et spécialement à la pensée française une attitude critique que l'évolution historique et en particulier les transformations économiques contribueront largement à accentuer.
VEDEL, Dr. constit., 1949, p.15.
SYNT. Pensée cartésienne, hégélienne, marxiste, socratique, stoïcienne; pensée de Marc Aurèle, de Montaigne, de Rousseau; pensée de Husserl, de Nietzsche, de Sartre; pensée de Valéry, de Gide; pensée allemande, chinoise, chrétienne, hindoue, judaïque, musulmane, occidentale; pensée classique, contemporaine, médiévale, moderne.
b) Ensemble des idées, système doctrinal qui est à la base d'un style de société, qui sert de norme à une action collective. Synon. idéologie, idée (v. ce mot I A 4 b). Pensée démocratique, prolétarienne, républicaine, révolutionnaire. J'admire comment la pensée populaire tient ferme depuis tant de siècles (ALAIN, Propos, 1929, p.901):
16. Les «chiens de garde» [réf. à l'oeuvre de P. Nizan] étaient si bien arrivés, après huit ans de lycée et les années de faculté, à nous convaincre de l'identité de la raison et de la pensée bourgeoise que nous avions aussi jeté la raison par dessus bord et avec elle les sciences exactes...
VAILLAND, Drôle de jeu, 1945, p.18.
c) Ensemble des réflexions qui caractérisent un domaine particulier de l'activité collective. Pensée juridique, littéraire, politique, scientifique, sociale, sociologique. Le contact avec l'Europe, et notamment avec la poésie anglaise, a provoqué un grand renouvellement de la pensée religieuse, philosophique et artistique (Arts et litt., 1936, p.56-4). Toujours la pensée économique s'est attachée à la société; elle a surgi de l'expérience économique de la société, mais les dominantes de cette expérience ont varié (Univ. écon. et soc., 1960, p.4-3).
2. La pensée (humaine). Mouvement général des idées, des philosophies, des sciences au cours des périodes historiques. Progrès de la pensée; monument, grand nom de la pensée. La métropole même de la sociabilité humaine, la patrie de la pensée, la terre de la poésie, de la philosophie et de l'art, la Grèce (HUGO, Rhin, 1842, p.428). Ces trusts qui ont porté l'industrie américaine à cet état de perfection et de concentration, qui est le grand fait des cinquante dernières années de la pensée humaine (ARAGON, Beaux quart., 1936, p.196):
17. Sans évoquer les nombreux exemples que nous fournirait l'histoire de la pensée, rappelons seulement combien les systèmes de philosophie eurent d'influence sur le développement du savoir en général et, particulièrement, du savoir occidental.
MARIN, Ét. ethn., 1954, p.12.
3. P. méton.
a) Ensemble des personnes concernées par une activité intellectuelle. Synon. les penseurs. Lorsque Bonaparte saisit le pouvoir, que la pensée fut bâillonnée (...), la vérité disparut (CHATEAUBR., Mém., t.2, 1848, p.645). À votre majorité de parlementaires, oppressive et incompétente, nous opposerons l'élite française, la pensée française (BARRÈS, Cahiers, t.8, 1910, p.162):
18. ... cette éducation au tambour des lycées impériaux, où Bonaparte, empereur, voulait mettre la pensée de toute la France en uniforme et faire un peuple de soldats au lieu d'un peuple de citoyens.
LAMART., Confid., 1849, p.312.
b) Groupe de personnes auxquelles on prête ou on reconnaît un pouvoir lié à leur activité intellectuelle. Moulin avait créé, aussi, le «Bureau d'information et de presse», dirigé par Georges Bidault, qui nous tenait au courant de l'état des esprits, notamment dans les milieux de la pensée, de l'action sociale et de la politique (DE GAULLE, Mém. guerre, 1954, p.236):
19. Lucien fut en un moment séduit par les réflexions du gentilhomme, et charmé de voir s'ouvrir devant lui les portes des salons d'où il se croyait à jamais banni quelques mois auparavant. Il admira le pouvoir de la pensée. La presse, l'intelligence étaient donc le moyen de la société présente.
BALZAC, Illus. perdues, 1839, p.431.
4. Dans le domaine des beaux-arts et de la litt.
a) Manière dont un auteur, un artiste s'exprime dans son oeuvre; sens de cette oeuvre; les idées qu'elle exprime. L'écrivain altérant sa pensée, tourmentant son style, pour conquérir le public (L. BLANC, Organ. trav., 1845, p.197). La banalité de sa pensée se cachait sous un flot d'images (GIDE, Faux-monn., 1925, p.1166). C'est le rôle du chef de choeur (...) de donner confiance au chanteur pour retrouver la pensée du compositeur et la traduire avec exactitude dans ses notes et dans son esprit (Arts et litt., 1935, p.36-13). V. entrer A 2 a ex. de Bergson:
20. L'oeuvre d'art reflète d'abord une part d'organisation lucide où trouvent à s'appliquer les convictions intellectuelles, l'échelle des valeurs dont est constituée la pensée de l'artiste.
HUYGHE, Dialog. avec visible, 1955, p.435.
SYNT. Affaiblir, déformer, dénaturer, rendre (bien/mal), résumer, traduire, trahir la pensée de qqn; pensée académique, compliquée, délicate, fade, forte, insuffisante, médiocre; audace, fraîcheur, indigence, nullité, originalité, pauvreté, puissance, vigueur de pensée.
b) En partic.
[Dans une oeuvre littér.]
♦Fond (p.oppos. à forme). Comme pensée, le livre est fort ingénieux dans les détails. Comme forme, très irrégulier, —du haut et du bas (BARBEY D'AUREV., Memor. 1, 1837, p.109). Hier, il m'a lu l'allocution qu'il a préparée pour sa réception de doctor honoris causa à l'université d'Oxford. Texte d'une forme raffinée, mais, hélas, d'une banalité de pensée manifeste (MARTIN DU G., Notes Gide, 1951, p.1419).
♦Sens profond; idée directrice. Ce fier personnage à la figure basanée exprime la pensée de toute la composition (BARRÈS, Greco, 1911, p.22):
21. [E. Quinet] affirme que la Révolution pouvait se sauver par la justice. À l'honneur de Robespierre, il préfère l'honneur de la liberté. Voilà la pensée du livre; elle s'y répand en flots d'éloquence; elle donne à tout l'ouvrage une unité majestueuse et convaincante.
FERRY, 1866 ds Fondateurs 3e Républ., p.112.
P. méton., rare. Idée originale; génie. Le Poussin, en peignant les danses des bergères, place dans le paysage le tombeau d'une jeune fille, sur lequel est écrit:Et moi aussi je vécus en Arcadie. Il y a de la pensée dans cette manière de concevoir les arts, comme dans les combinaisons ingénieuses de Gluck (STAËL, Allemagne, t.3, 1810, p.377).
III.Avec un indéf. ou au plur. Produit de cette faculté.
A. —Toute représentation dans la conscience (laquelle inclut notamment celle d'un sentiment, d'une sensation, d'un état d'âme). Tourner toutes ses pensées vers qqn; être le confident des pensées de qqn; se faire une place dans les pensées de qqn; toutes mes pensées vous appartiennent. Son âme s'exhale en pensées, en rêves d'amour, en élans impuissants vers une insaisissable félicité (KARR, Sous tilleuls, 1832, p.234). Elle était toute vivacité; la moindre pensée se lisait sur ses traits; elle s'émouvait du moindre incident (ARLAND, Ordre, 1929, p.518). Que de fois, considérant un homme avancé en âge, j'imagine ce tissu serré d'actes et de pensées que représente un seul destin (MAURIAC, Journal 1, 1934, p.56). V. coeur ex. 56:
22. —Êtes-vous certaine (...) que vous n'auriez pas été aussi bien aimée, mieux aimée par un homme simple, qui n'aurait pas été un grand homme, qui vous aurait offert toute sa vie, tout son coeur, toutes ses pensées, toutes ses heures, tout son être (...)?
MAUPASS., Contes et nouv., t.1, J. Romain, 1886, p.1295.
♦[Dans un style archaïsant ou plais.] Objet des pensées de qqn (la reine, la dame de ses pensées). Personne qui est l'objet d'un amour romanesque. Synon. dulcinée. Ce paladin qui s'en va dans la campagne cherchant des torts à redresser, et prêt à se faire tuer pour la dame de ses pensées (JANIN, Âne mort, 1829, p.14). Nous irons au cirque ce soir, dit l'avoué. Vous ne m'écoutez plus, vous songez à l'objet de vos pensées; malgré vos amours, j'espère que vous viendrez dîner à la maison? (CHAMPFL., Bourgeois Molinch., 1855, p.166).
En partic. Témoignage de sollicitude. Synon. attention. Une pensée amicale, charitable; une charmante, une gentille, une touchante pensée; avoir une pensée émue, une pensée toute particulière pour qqn. Remerciez pour moi M. de Mirecourt de sa bonne pensée (HUGO, Corresp., 1853, p.170). C'est une très délicate pensée que vous avez là (DRUON, Gdes fam., t.1, 1948, p.52).
Au plur. [Dans la corresp.; avec un sens atténué] Meilleures pensées. J'ai grand besoin de toi. Mes affaires vont mal. Affectueuses pensées. Ton Laurent (DUHAMEL, Combat ombres, 1939, p. 210).
B. —1. [P. oppos. à sentiment, sensation] Toute représentation mentale à caractère objectif (laquelle comprend également l'image). Un homme ne vit que par le milieu extérieur où il baigne; et les sensations qu'il en reçoit, se transforment chez lui en mouvement, en pensées et en actes (ZOLA, Dr Pascal, 1893, p.256). La danse excelle à nous vider (...) de nos pensées, de façon que nous répondions au signe seulement par le signe (ALAIN, Beaux-arts, 1920, p.203):
23. Le corps n'est (...) pas un objet. Pour la même raison, la conscience que j'en ai n'est pas une pensée, c'est-à-dire que je ne peux le décomposer et le recomposer pour en former une idée claire.
MERLEAU-PONTY, Phénoménol. perception, 1945, p.231.
[En assoc. syntagm.]
♦[La pensée du point de vue de son origine, de sa vie, de son mouvement] Il sentait la terre se dérober sous ses pieds et ses pensées tourbillonner dans son cerveau comme dans un songe (SAND, Lélia, 1839, p.443). Une pensée lui venait, qu'il repoussait avec violence (MALÈGUE, Augustin, t.2, 1933, p.16).
SYNT. a) Pensée errante, lancinante, obsédante. b) Une pensée effleure, illumine, occupe, traverse, visite qqn, l'esprit; une pensée habite, hante, obsède, poursuit, remplit, saisit, suit, travaille qqn; une pensée vient à qqn, à l'esprit, s'impose à l'esprit; une pensée jaillit, survient, éclot/germe (dans le cerveau); chasser, écarter, rejeter une pensée; se débattre contre une pensée. Au plur. Les pensées s'agitent, se bousculent, couvent, se dispersent, se pressent, remuent, tournoient, trottent, vagabondent, virevoltent (dans la tête, dans le cerveau, dans l'esprit); les pensées foisonnent, fourmillent; le tumulte, la multitude des pensées; un flot de pensées; le fil, la trame des pensées; mettre de l'ordre dans ses pensées; aérer, rassembler ses pensées; être prisonnier, être la proie de pensées.
♦[La pensée ou son expression du point de vue de sa qualité, de sa forme] Pensée cohérente, contradictoire, décousue, floue, juste, nette, obscure, vague; pensée banale, bizarre, extravagante, féconde, folle, forte, frivole, légère, originale, profonde, puérile, subtile, superficielle. Je n'eus que la force de me traîner à mon lit avec l'aide de Larive. Toutes mes pensées étaient si confuses que j'avais à peine le souvenir de ce qui s'était passé (MUSSET, Confess. enf. s., 1836, p.188). Sorbier songea qu'il aurait plaisir à casser sa canne sur l'échine de l'épouse mais ce fut une pensée fugitive qu'il n'eut pas le courage d'exprimer (AYMÉ, Nain, 1934, p.49):
24. ... elle aimait la poésie, les rêves, les pensées capricieuses, brumeuses et vagabondes; et son mari commence par lui dire que Lamartine est incompréhensible, que les rêveurs sont des fous, qu'il n'y a de vrai que l'argent et la géométrie.
FLAUB., Smarh, 1839, p.72.
♦[La pensée du point de vue de sa résonance affective] Les maux d'estomac encouragent la rumination, les pensées moroses et l'opposition (MOUNIER, Traité caract., 1946, p.609). V. oreiller A ex. de Michelet:
25. Je m'en allais dans la campagne, je marchais des journées entières, dans l'espérance de fuir deux pensées déchirantes qui m'assiégeaient tour à tour: l'une, que je ne posséderais jamais celle que j'aimais; l'autre, que je manquais à l'honneur en restant chez M. le maréchal d'Olonne.
DURAS, Édouard, 1825, p.175.
SYNT. Pensée accablante, affligeante, amère, apaisante, atroce, consolante, désagréable, douce, douloureuse, effrayante, enivrante, exaspérante, grisante, inquiétante, insupportable, pénible, terrible. Souvent au plur. Pensées ardentes, chagrines, lugubres, sinistres, suaves, tristes, voluptueuses; noires pensées; (être plein de) sombres pensées.
♦[La pensée du point de vue de sa réf. à la morale] Un naïf (...) incapable d'une pensée basse et d'un mensonge même dans la colère (GONCOURT, Journal, 1895, p.753):
26. Une étrange contradiction subsistait toujours malgré lui entre ses pensées et ses paroles; jamais pensées plus magnifiques et élevées; jamais paroles plus sardoniques et basses.
JOUHANDEAU, M. Godeau, 1926, p.268.
Le plus souvent au plur., vieilli. Basses, mauvaises pensées; pensées déshonnêtes; pensées vilaines et impures. Pensées contraires à la morale, à la chasteté; désirs érotiques. Moi aussi je suis honnête, pour moi aussi dans certains cas un homme peut être dessexué, si bien que je n'ai aucun mérite à ne pas avoir de «pensées coupables» (TRIOLET, Prem. accroc, 1945, p.249). V. déshonnête ex. et iman ex. 2:
27. Ils en arrivaient à voir le mal dans leurs actes les plus innocents: un regard, un serrement de main; ils rougissaient, ils avaient de mauvaises pensées. Leurs rapports devenaient intolérables.
ROLLAND, J.-Chr., Matin, 1904, p.173.
[Allus. littér. à Vauvenargues] Les grandes pensées viennent du coeur. V. coeur II A 3.
SYNT. Pensée généreuse, innocente, noble, pure; pensée avilissante, dégoûtante, dégradante, déloyale, honteuse, indigne, inconvenante, monstrueuse, répréhensible, vile; souvent au plur. pensées immondes, interdites, libidineuses, lubriques.
♦[La pensée du point de vue de son objet, de sa nature] Broudier, qui, le ventre en saillie, et les doigts dans la barbe, roulait des pensées de gouvernement (ROMAINS, Copains, 1913, p.187):
28. Hier, à sept heures et demie, j'eus une funeste pensée. Une pensée de mort, une lugubre, une apocalyptique pensée; je ne sais ce qui put me l'inspirer à dîner.
MUSSET ds Le Temps, 1831, p.127.
♦[La pensée du point de vue de son expression] Déguiser ses pensées, dire sa pensée, lire une pensée dans les yeux de qqn. Ils parlotèrent d'abord de politique, échangeant des pensées, non pas sur les idées, mais sur des hommes: les personnalités, en cette matière, primant toujours la Raison (MAUPASS., Contes et nouv., t.2, Fils, 1882, p.315). Son interlocuteur, qui devinait ses pensées, fronça légèrement les sourcils, marqua une impatience à peine perceptible (SIMENON, Vac. Maigret, 1948, p.52):
29. Pour le Chinois, l'idéogramme et le mot parlé sont au même titre des signes de l'idée: pour lui l'écriture est une seconde langue, et dans la conversation, quand deux mots parlés ont le même son, il lui arrive de recourir au mot écrit pour expliquer sa pensée.
SAUSS. 1916, p.48.
RHÉT. Figure de pensée. V. figure I B 3 b.
2. En partic.
a) Au plur.
[Dans certaines loc. figées usuelles; sert à désigner un état de méditation, de réflexion profonde, intense ou de rêverie] Être absorbé, abîmé, plongé, se réfugier dans ses pensées; (être) tout à ses pensées; s'entretenir avec ses pensées; tirer qqn de ses pensées. Vers la fin du repas je rompis le silence; car les Alibert, voyant mon air soucieux, par discrétion me laissaient à mes pensées (BOSCO, Mas Théot., 1945, p.234):
30. Souvent, quand il était auprès d'elle, elle ne l'écoutait plus, elle le laissait parler seul, regardant vaguement devant elle, perdue dans de secrètes pensées...
ZOLA, M. Férat, 1868, p.79.
Vieilli. Espérances, espoirs. Pauvre fille. Point jolie, mais intéressante, piquée au coeur du ver de l'ennui, des vaines pensées (MICHELET, Journal, 1842, p.448):
31. [Durant le développement de l'ivresse] les lèvres se rétrécissent et vont rentrant dans la bouche, avec ce mouvement d'anhélation qui caractérise l'ambition d'un homme en proie à de grands projets, oppressé par de vastes pensées, ou rassemblant sa respiration pour prendre son élan.
BAUDEL., Paradis artif., 1860, p.361.
b) Rare
Synon. de image, souvenir. Tant que je vivrai, tu demeureras dans le coeur que tu as réjoui, (...) je serai heureuse par le souvenir de mon bonheur, et (...) ta chère pensée subsistera dans cette chambre (BALZAC, Méd. camp., 1833, p.83). Certains jours la pensée de Chloé ne me quitte pas, elle m'accompagne partout et si je me réveille au milieu de la nuit, je vois au pied du lit son fantôme qui rigole (VAILLAND, Drôle de jeu, 1945, p.82).
P. anal., vieilli. Être imaginaire, irréel, idéal; chimère. Elle a quelque chose d'idéal et de charmant qui force à s'en occuper. On dirait, à la voir si délicate, si svelte, que c'est une pensée (KRÜDENER, Valérie, 1803, p.16):
32. Cédar et Daïdha, ravis d'étonnement,
Ne comprenaient plus rien à cet apaisement;
Ils se croyaient, voyant ces choses renversées,
Transportés par un songe au monde des pensées.
LAMART., Chute, 1838, p.924.
3. P. méton.
a) Expression concise, orale ou écrite, d'une réflexion ou d'un sentiment personnels. Synon. aphorisme, maxime, sentence, trait. Pensée brillante, bien frappée, d'un goût douteux. Il y a pour le connaisseur des pensées remarquables partout, même dans la conversation des sots et dans les écrits les plus médiocres (JOUBERT, Pensées, t.2, 1824, p.107). Les réflexions que j'écris ici m'ont été suggérées par cette pensée de Montesquieu (...) à savoir qu'au moment où l'esprit de l'homme a atteint sa maturité, son corps s'affaiblit (DELACROIX, Journal, 1849, p.314). Il avait sur lui un portefeuille; le même qui avait contenu le cahier où il avait écrit tant de pensées d'amour pour Cosette (HUGO, Misér., t.2, 1862, p.381):
33. Le carnet noir avait cinquante feuillets: vingt seulement étaient utilisés. L'auteur inconnu y avait noté, d'une écriture saccadée, nerveuse, de brefs fragments qui ressemblaient à des pensées.
DANIEL-ROPS, Mort, 1934, p.92.
b) LITT., PHILOS., le plus souvent au plur.
) Ensemble de réflexions réunies en recueil par un auteur. Des genres littéraires qui se proposent formellement d'énoncer des idées: l'essai, le recueil de pensées, la critique (BENDA, Fr. byz., 1945, p.88). V. supra III B 3 a ex. de Joubert:
34. Des maximes et pensées détachées. —Ce genre d'ouvrages est le plus trompeur de tous parce qu'il singe la pensée sans la pensée même. Rien de plus prétentieux, sententieux et en réalité de plus facétieux que ce genre d'écrits.
VIGNY, Journal poète, 1852, p.1302.
) Ensemble de réflexions constitué soit de fragments d'un ouvrage inachevé, soit d'extraits d'une oeuvre complète. Augustin disserta sur une pensée de Pascal (MALÈGUE, Augustin, t.1, 1933, p.185). V. apophtegme ex. 1.
C. —1. [D'un point de vue subjectif] Synon. de but, dessein, intention, volonté. Loin de moi la pensée de, il n'entre pas dans ma pensée. Quand un assassin tue, il a une pensée, c'est de voler. Quand un brave homme, à coups de baïonnette, crève un autre honnête homme, père de famille ou grand artiste peut-être, à quelle pensée obéit-il? (MAUPASS., Contes et nouv., t.1, Dimanches bourg. Paris, 1880, p.328). Je ne peux pas croire qu'il y ait une pensée de vengeance dans ton attitude (MONTHERL., Exil, 1929, II, 8, p.71):
35. Elle mit une passion étrange à se charger: pour avoir agi ainsi en somnambule, il fallait, à l'entendre, que, depuis des mois, elle eût accueilli dans son coeur, qu'elle eût nourri des pensées criminelles.
MAURIAC, Th. Desqueyroux, 1927, p.280.
Arrière-pensée. Pensée de derrière la tête. V. derrière1 I A 3 a.
Loc. prép.
Dans une pensée de + subst., dans une pensée + adj. Dans un esprit, une intention, une volonté, un but de..., avec une idée de..., d'un point de vue... Dans une pensée d'apaisement, de modération, d'équilibre, de bonne administration. Le maire, Hourdequin, qui, sans pratiquer, soutenait la religion par principe autoritaire, commit la faute politique de ne pas prendre parti, dans une pensée conciliante (ZOLA, Terre, 1887, p.347). Les formules démocratiques, énoncées d'abord dans une pensée de protestation, se sont ressenties de leurs origines (BERGSON, Deux sources, 1932, p.301).
Dans la pensée de + inf., dans cette pensée, c'est dans cette pensée que. Dans le but, le dessein, en vue (de); (c'est) sous cet angle, dans cette perspective que... Quand on les considère [les banques] comme des leviers de commande, c'est généralement dans la pensée de les faire servir à la réalisation d'objectifs extra-économiques (BAUDHUIN, Crédit et banque, 1945, p.129):
36. Quant à eux [les anciens pouvoirs de l'Europe], ils savent bien que la Révolution française est un accident local et passager dont il s'agit seulement de tirer parti. Dans cette pensée, ils conçoivent des desseins, font des préparatifs, contractent des alliances secrètes...
TOCQUEVILLE, Anc. Rég. et Révol., 1856, p.58.
2. [D'un point de vue objectif] Synon. de cause, projet. Au temps où subitement s'ouvrait, dans une nuit de 1815, le premier bourgeon d'un des rameaux de la Neuvième Symphonie, Beethoven semblait avoir laissé tomber la pensée de cette oeuvre projetée en 1812 (ROLLAND, Beethoven, t.1, 1937, p.211):
37. Dieu donc, ayant fait le monde par bonté, c'est-à-dire dans l'intention de lui communiquer ses biens, qui ne sont autres que la perfection et la béatitude, il nous faut maintenant connaître le plan qu'il a suivi dans la réalisation de cette généreuse pensée.
LACORD., Conf. N.-D., 1848, p.94.
Grande pensée (qqf. p.iron.). Cause à laquelle on consacre son existence. L'argent fut donc, et avec raison, la grande pensée de mon père, et moi je n'y ai jamais pensé qu'avec dégoût (STENDHAL, H. Brulard, t.1, 1836, p.86):
38. Aussi la liberté de penser a-t-elle été jusqu'ici peu favorable aux entreprises qui exigent que des masses d'individus renoncent à leur individualité pour s'atteler au joug d'une grande pensée et la traîner majestueusement par le monde.
RENAN, Avenir sc., 1890, p.68.
3. Dans le domaine de la création artist. (Première) pensée (d'un ouvrage). Première conception. Synon. ébauche, projet. Les premiers linéaments par lesquels un maître habile indique sa pensée contiennent le germe de tout ce que l'ouvrage présentera de saillant (DELACROIX, Journal, 1857, p.34).
[P. méton. du déterminé] Cette étude est bien meilleure que la partie correspondante du tableau. Quelle différence entre cette première pensée si heureuse et la réalisation! (A. FRANCE, Vie fleur, 1922, p.460).
IV. —Action de penser à quelque chose ou à quelqu'un; résultat de cette action.
A. — Pensée de qqc.
1. Fait de se représenter mentalement quelque chose, d'en avoir conscience. Démuni de tout, isolé, sous le coup d'une mort affreuse, je demeurais calme, attentif, l'esprit en éveil. La pensée de ma triste vie ne m'accablait pas (MAURIAC, Noeud vip., 1932, p.288). V. éclaircir II B 1 ex. de Lamartine:
39. Le véritable amour rend la pensée de la mort fréquente, aisée, sans terreurs, un simple objet de comparaison, le prix qu'on donnerait pour bien des choses.
STENDHAL, Amour, 1822, p.252.
2. Fait d'imaginer quelque chose. Il avait tant d'affection pour moi que la pensée de mes souffrances lui était insupportable (PROUST, Fugit., 1922, p.437).
3. Fait d'envisager quelque chose. Sans la pensée d'un autre monde, je ne comprendrais pas celui-ci (E. DE GUÉRIN, Lettres, 1835, p.99). Sans la pensée de la revoir [une personne], ce voyage aurait eu pour Christophe peu de charme (ROLLAND, J.-Chr., Nouv. journée, 1912, p.1441).
B. —Pensée de qqn. Fait d'avoir toujours présente à l'esprit l'image d'une personne aimée ou de laquelle on est épris; p.méton., cette image elle-même. Vous êtes mon unique pensée et la somme totale de mon bonheur (BALZAC, Corresp., 1822, p.183). La valeur des objets importait peu. Elle était heureuse d'être la pensée constante de son amant. Elle acceptait les bijoux comme de simples souvenirs (ZOLA, M. Férat, 1868, p.78). Nous écrivons pour toutes les familles qui vivent dans la pensée de leurs fils et maris à l'armée (BARRÈS, Cahiers, t.11, 1916, p.187):
40. Je peux bien dire que je n'avais pas encore perçu vraiment ce qu'avait été ton amour. Mais parce que je sais maintenant quelle «possession» ce peut être que la pensée de quelqu'un, parce que je sais cela, je devine ce que tu portes en toi.
RIVIÈRE, Corresp. [avec Alain-Fournier], 1908, p.365.
C.Loc. diverses
1. La (seule) pensée, à la pensée de + subst. ou + inf., que + prop. complét. ou à valeur de complét. Le fait de se représenter mentalement quelque chose ou quelqu'un; le fait d'envisager quelque chose. Il était déchiré de remords, à la pensée de son père. Il voulait lui avouer tout, lui demander pardon (ROLLAND, J.-Chr., Matin, 1904, p.138). Il s'approcha de moi. Je reculai. La seule pensée qu'il pût me toucher m'était odieuse (DANIEL-ROPS, Mort, 1934, p.230):
41. Si je n'ai pas l'autorité nécessaire pour parler de la plupart des travaux que je viens d'énumérer, je me console à la pensée du jugement que va porter sur eux l'homme éminent par qui j'ai l'honneur d'être reçu dans votre illustre compagnie.
PASTEUR ds Travaux, 1882, p.423.
2. Rare. Dans la pensée que + prop. complét. En croyant, en imaginant que. La vue du billet lui déplut, dans la pensée que c'était encore quelque demande de secours (BOURGES, Crépusc. dieux, 1884, p.284).
3. Avoir la pensée de + inf. Synon. de songer à, avoir l'idée de. Votre alliance seroit pour nous un honneur auquel nous n'aurions jamais eu la pensée de prétendre (BALZAC, Annette, t.2, 1824, p.111). Cette demande ne laissa pas que d'étonner beaucoup la comtesse, qui d'abord eut la pensée de refuser (PONSON DU TERR., Rocambole, t.5, 1859, p.353). V. former ex. 12.
Prononc. et Orth.:[]. Homon. panser. Att. ds Ac. dep. 1694. Étymol. et Hist.1. a) 1176 pansée «ce qu'on pense» (CHRÉTIEN DE TROYES, Cligès, éd. A. Micha, 5246); b) 1621 [éd.] jetter ses premières pensées sur la toile (E. BINET, Essai des merveilles de Nature, chap.X, La Platte Peinture, p.201); 1669 pensée «courte réflexion ayant un sens profond et exprimé sous une forme littéraire» (Pensées de M. Pascal sur la religion); 1713 «ce qu'un auteur veut exprimer» (HAMILTON, Grammont, 9 ds LITTRÉ); 2. a) fin XIIes. bone pansée «sage réflexion» (Orson de Beauvais, 33 ds T.-L.); ca 1274 (home) de très bonne pensée (ADENET LE ROI, Berte, éd. A. Henry, 3446); 1216 rentrer en sa pensée «méditer» (GUILLAUME LE CLERC, Fergus, éd. W. Frescoln, 3093); 1278 entrer en une pensée «se mettre à méditer» (SARRAZIN, Hem., éd. A. Henry, 4502); mil. ou fin XIIIes. [date du ms.] «activité psychique volontaire qui se porte sur un être ou une chose déterminée (ici Dieu)» (Romances et Pastourelles, éd. K. Bartsch, I, 9, 26); ca 1260 «réflexion, méditation» (Ménestrel Reims, éd. N. de Wailly, § 80); b) ca 1200 «attachement amoureux» (CHATELAIN DE COUCY, Chansons, éd. A. Lerond, XXIII, 8); 1380-87 «témoignage de l'attention, de l'amour portés à quelqu'un» (JEAN CUVELIER, Chronique de Bertrand Du Guesclin, éd. E. Charrière, 9519); c) ca 1200 [ms. de la 1re moitié du XIVes.] «l'esprit considéré comme le siège de ce qui est pensé» (Mon. Renouart, B. N. 368, f° 246f ds GDF. Compl.); d) ca 1215 «manière de penser» (Aymeri de Narbonne, 1330 ds T.-L.); e) 1er quart XIIIes. «dispositions morales» (RECLUS DE MOLLIENS, Charité, 138, 3, ibid.); f) ca 1220 «idée qui se présente à l'esprit» (Anseïs de Carthage, 332, ibid.); g) ca 1223 li oel de la pensée (GAUTIER DE COINCI, Vie de Ste Christine, 1749, ibid.); h) ca 1274 «ce qu'on a décidé, ce qu'on veut» (ADENET LE ROI, Berte, éd. citée, 1644); 3. a) 1re moitié du XIIIes. estre en molt grief pensée, estre en mout grant pensée de (aucun) «se faire du souci» (La fille du Comte de Ponthieu, éd. C. Brunel, 288-289 et 379); XIVes. [date du ms.] estre en pensée (por) «être en souci (pour)» (Eneas, éd. J. J. Salverda de Grave, 1re éd., 3332, var. ms. E; le ms. A (fin XIIes.) porte à cet endroit estre en pensé por, v. 2e éd.); b) 1636 pensée «opération de l'intelligence, faculté de penser» (MONET). Part. passé fém. subst. de penser1. A remplacé l'a. fr. pense subst. fém. «pensée» (1re moitié du XIIes., Psautier Oxford, 30, 28 ds T.-L.), pans subst. masc. «id.» (1176, CHRÉTIEN DE TROYES, Cligès, éd. citée, 3817). Bbg. MOMBELLO (G.). Les Avatars de talentum... Torino, 1976, p.102, 103, 104, 340, 346. —RONSJÖ (E.). Le Mode du verbe ds les prop. compl. introd. par l'idée que, la pensée que. Moderna Språk. 1967, t.61, pp.19-36. — SCKOMMODAU (H.). Das Frühe neufrz. Wort- und Begriffsfeld des Denkens. Z. fr. Spr. Lit. 1978, t.88, pp.313-325.
II.
⇒PENSÉE2, subst. fém.
A.BOT. Plante herbacée, de la famille des Violacées, annuelle ou vivace, aux fleurs veloutées tricolores, comptant de nombreuses espèces sauvages ou cultivées, considérée comme le symbole du souvenir. Pensée des champs; bourriche de pensées. Les alouettes sont partout ce soir. Il y a déjà des pensées bleues, blanches, violettes, par bandes dans l'herbe (POURRAT, Gaspard, 1931, p.109):
1. Des pensées, des oeillets, des ravenelles, quelques rosiers, agonisaient au fond de ce puits sans air et chauffé comme un four par la réverbération des toits.
MAUPASS., Contes et nouv., t.1, Dimanches bourg. Paris, 1880, p.296.
B.P. méton.
1. La fleur elle-même. Sur le piédestal s'accumulent les humbles couronnes et les petits bouquets d'immortelles et de pensées (MÉNARD, Rêv. païen, 1876, p.218). Yeux en grand deuil violet comme des pensées! (LAFORGUE, Poés., 1887, p.207). V. émail ex. 3.
[Dans son utilisation médicinale] Le docteur s'est mis à rire de mes craintes (...) «Tant que vous mènerez votre chaste vie monacale et que vous travaillerez douze heures par jour, prenez tous les matins une infusion de pensée sauvage» (BALZAC, Lettres Étr., 1834, p.129).
2. Représentation stylisée de cette fleur (relativement au symbole qu'elle évoque). Un médaillon encadré qui contenait une pensée dessinée en cheveux rouges (CHAMPFL., Avent. Mlle Mariette, 1853, p.175). Dans la paume qu'elle lui tendait il mit une pensée de saphir (L. DE VILMORIN, Belles am., 1954, p.213). V. médaillon ex. 2.
3. En empl. apposé inv. [Désigne la nuance violet pourpre d'une variété de pensée] Ruban pensée. Elle portait un tablier de soie violet pensée, avec la bavette (SAND, Mare au diable, 1846, p.200). Des velours ramagés, couleur pensée, formaient les rideaux et les portières (BOURGES, Crépusc. dieux, 1884, p.102):
2. Toilette de visite (chapeau Figaro). —Jupe en faille pensée avec un grand volant, haut sur la traîne et bas devant. Tunique en velours pensée garnie de plumes bleu très-pâle, et de brandebourgs en passementerie pensée. Manches ornées de crevés de satin pensée. Chapeau Figaro en velours pensée et bleu très-clair.
MALLARMÉ, Dern. mode, 1874, p.779.
Prononc. et Orth.:[]. Homon. panser. Att. ds Ac. dep. 1694. Étymol. et Hist. 1460-66 (MARTIAL D'AUVERGNE, Arrêts d'amours, éd. J. Rychner, p.36, 65). De pensée1, cette fleur étant considérée comme l'emblème du souvenir, cf. 1558 herbe de la pensée (L. FUCHS, Histoire des plantes ds ROLL. Flore t.2, p.173).
STAT.Pensée1 et 2. Fréq. abs. littér.:33822. Fréq. rel. littér.:XIXes.: a) 48592, b) 34905; XXes.: a) 47002, b) 55408.
BBG. —GIESE (W.). Myosotis, ein Beispiel volkstümlicher Namengebung. Beitr. rom. Philol. 1966, t.5, p.169. —HERMODSSON (L.). Der Pflanzenname «Stiefmütterchen». Studier i modern Språk- vetenskap. 1956, t.19, pp.42-60. —QUEM. DDL t.16.

1. pensée [pɑ̃se] n. f.
ÉTYM. V. 1130; → Pensé, n. m.; subst. verbal de 1. penser.
———
I
A Didact., cour. Ce qui affecte la conscience.
1 Didact., vx. Tout phénomène psychique conscient. || La pensée, opposée à l'étendue, à la matière, chez Descartes.
1 Par le nom de pensée, je comprends tout ce qui est tellement en nous, que nous en sommes immédiatement connaissants. Ainsi toutes les opérations de la volonté, de l'entendement, de l'imagination et des sens, sont des pensées.
Descartes, Réponse aux 2e objections, Pl., p. 390.
2 J'appelle pensée tout ce que l'âme éprouve, soit par des impressions étrangères, soit par l'usage qu'elle fait de sa réflexion.
Condillac, Origine des connaissances humaines, III, 16.
2 Mod. a Activité de la conscience considérée dans son ensemble ou ses manifestations, chez un individu. Âme, cœur, esprit. || La pensée de qqn, sa pensée, ce qu'il pense, sent, veut. || « Ton corps est abattu (cit. 28) du mal de ta pensée » (Musset). || Lire au fond (cit. 26) de la pensée de qqn. || Deviner (cit. 7), pénétrer la pensée d'autrui (→ fam. Ce qu'il a dans la tête, dans le ventre). || Le mystère de sa pensée intime demeure impénétrable (cit. 16). Moi.|| « La pensée est incommunicable (cit. 3), même entre gens qui s'aiment » (Baudelaire). || Transmission de pensée. Télépathie.
3 On cesse de désirer et d'aimer ce qu'on cesse de poursuivre; la pensée ne peut guère s'occuper avidement de ce qui est obtenu, puisque l'imagination n'a plus d'efforts à conseiller.
É. de Senancour, De l'amour, p. 107.
4 La mélancolie de ces souvenirs comptait peu au prix de ce goût qu'il avait pour la vie d'autrui, pour tout ce qui révélait la pensée, le sentiment des êtres.
Martin du Gard, les Thibault, t. II, p. 221.
Au plur. (En insistant sur la multiplicité des formes que revêt cette activité de l'esprit). || Poésie qui jette le désordre (cit. 17) dans nos pensées. || Ce souvenir des morts continue à occuper nos pensées (→ Aura, cit. 1). || Les soucis qui hantent (cit. 16) nos pensées.
5 Il ne se possédait pas, c'est vrai, mais c'est précisément dans de telles minutes que l'on découvre le fond de ses pensées.
Paul Bourget, Un divorce, III.
b Spécialt. L'activité affective consciente. || Je ne puis détacher ma pensée de lui (→ Folie, cit. 29). || Toute sa pensée était pour le blessé (→ 1. Balle, cit. 12). || Mort qui vit dans la pensée des vivants. Souvenir (→ Oublier, cit. 19). — ☑ Loc. La dame (cit. 4, 5 et 8), la souveraine, la reine de ses pensées (→ Introniser, cit. 3).Pas une seule de ses pensées qui ne fût pour le pays (→ Idolâtre, cit. 8).
6 (…) un autre objet a chassé Elvire de ma pensée.
Molière, Dom Juan, I, 2.
c L'intention, la volonté. || Dans la pensée de (et inf.) : dans l'intention, le dessein de… || Il n'entre pas dans la pensée de l'auteur (cit. 22) de… || Loin de moi la pensée de… (→ Contraste, cit. 8; division, cit. 9; incontestable, cit. 2). || Dévoiler, exprimer sa pensée (→ Blesser, cit. 17). || Son unique pensée était d'aller plus loin (cit. 5). || Il n'avait plus qu'une pensée, que deux pensées… Idée (cit. 52; → Brusquer, cit. 3). || Porter, mûrir, nourrir (cit. 30) dans son cerveau des pensées criminelles, malfaisantes (cit. 4).|| « Une pensée de la jeunesse exécutée (cit. 26) par l'âge mûr » (Vigny). Projet.
7 Je souhaitai son lit, dans la seule pensée
De vous laisser au trône où je serais placée.
Racine, Britannicus, IV, 2.
8 Il formait des desseins politiques et poursuivait la réalisation d'un plan gigantesque. La pensée de sa pensée, l'œuvre de son œuvre était de renverser la république.
France, l'Île des pingouins, V, I.
(Dans le domaine de la création artistique et littéraire). || Ce n'était pas, dans la première pensée de Chateaubriand, le sujet de « René » (→ Fraternel, cit. 1).Par métonymie. || La (première) pensée d'un ouvrage, son ébauche.
9 Pensée : (Première pensée). Les premiers linéaments par lesquels un maître habile indique sa pensée contiennent le germe de tout ce que l'ouvrage présentera de saillant.
E. Delacroix, Journal, 25 janv. 1857.
B Activité psychique, faculté ayant pour objet la connaissance.
1 La pensée. Esprit, intelligence, raison.Spécialt. La connaissance conceptuelle et discursive ( Entendement); les phénomènes cognitifs par lesquels l'activité psychique se manifeste. || L'espace (cit. 1 et 3), construction de la pensée. || Objet de la pensée abstraite. Concept, notion. || Les catégories de la pensée. || Les formes et les degrés de la pensée : pensée conceptuelle, rationnelle; pensée primitive et enfantine (ou pensée prélogique). || Troubles pathologiques du fonctionnement de la pensée ( Folie). || La Pensée et le Mouvant, de Bergson. || De l'acte à la pensée, de Henri Wallon.|| « C'est la pensée qui fait l'être (2. Être, cit. 10), qui fait la grandeur de l'homme » (Pascal). || La pensée et la parole remplissent l'intervalle (cit. 6) qui sépare l'homme du singe. || La pensée artificielle (P. de Latil), la cybernétique.
10 Toute la dignité de l'homme est en la pensée. Mais qu'est-ce que cette pensée ? Qu'elle est sotte ! La pensée est donc une chose admirable et incomparable par sa nature. Il fallait qu'elle eût d'étranges défauts pour être méprisable; mais elle en a de tels que rien n'est plus ridicule. Qu'elle est grande par sa nature ! qu'elle est basse par ses défauts !
Pascal, Pensées, VI, 365.
11 L'histoire de la philosophie nous fait surtout assister à l'effort sans cesse renouvelé d'une réflexion qui travaille à atténuer des difficultés, à résoudre des contradictions, à mesurer avec une approximation croissante une réalité incommensurable avec notre pensée.
H. Bergson, la Pensée et le Mouvant, IX, p. 290.
12 La pensée est une activité immédiate, provisoire, toute mêlée de parole intérieure très diverse, de lueurs précaires, de commencements sans avenir; mais aussi, riche de possibilités, souvent si abondantes et séduisantes qu'elles embarrassent leur homme plus qu'elles ne le rapprochent du terme.
Valéry, Variété, V, p. 179.
13 L'apparition de la pensée a marqué un nouveau et prodigieux progrès de la Vie. Liée à l'existence de la conscience qui en est la condition nécessaire, la Pensée lui est supérieure : ses formes élevées qui tendent, par l'abstraction et la généralisation, à s'affranchir des données toujours limitées et particulières de la perception, dépassent infiniment la simple conscience.
L. de Broglie, Nouvelles perspectives en microphysique, p. 280.
La pensée et la matière, le corps, le cerveau. || Théories matérialistes, mécanistes et déterministes de la pensée. || Théories vitalistes, spiritualistes de la pensée. || Autonomie de la pensée (→ Liberté, cit. 34).
14 Pour se faire une idée juste des opérations de la pensée, il faut considérer le cerveau comme un organe particulier destiné à la produire, de même que l'estomac et les intestins à faire la digestion, le foie à filtrer la bile (…) Le cerveau digère en quelque sorte les impressions; il fait organiquement la sécrétion de la pensée.
G. Cabanis, Hist. physiologique des sensations, in Cuvillier, Précis de philosophie, t. II, p. 474.
15 Nous avons montré que l'intelligence s'est détachée d'une réalité plus vaste, mais qu'il n'y a jamais eu de coupure nette entre les deux : autour de la pensée conceptuelle subsiste une frange indistincte qui en rappelle l'origine.
H. Bergson, l'Évolution créatrice, III, p. 194.
16 (…) le mythe matérialiste (…) a l'avantage de ramener la pensée à n'être qu'une des formes de l'énergie universelle et de lui ôter ainsi son aspect pâlot de feu follet.
Sartre, Situations III, p. 183.
Problème psychologique de la pensée sans images (cit. 53). || Pensée et perception (cit. 3). || Expression (cit. 5) de la pensée. || « Chez l'orateur, le geste (1. Geste, cit. 4) court derrière la pensée » (Bergson). || Verbalisation de la pensée. Langage (cit. 2 et 6), parole (cit. 22 et 23). || « Les pensées prennent la teinte des idiomes » (→ Former, cit. 41, Rousseau). || La Pensée et la Langue, de F. Brunot. || Le Langage et la Pensée, de H. Delacroix.
17 Intellection ou intuition, la pensée utilise sans doute toujours le langage; et l'intuition, comme toute pensée, finit par se loger dans des concepts (…)
H. Bergson, la Pensée et le Mouvant, II, p. 31.
2 Cour. a L'activité cérébrale, considérée comme la source de la faculté de connaître, comprendre, juger, raisonner… Intelligence, raison; 2. penser (vx); et aussi compréhension. || Le travail de la pensée (→ Discours, cit. 13). || Les applications successives et les caprices de notre pensée (→ 1. Écart, cit. 8).La pensée, forme supérieure du génie humain. || L'illusion (cit. 31), « une nuit pour la pensée » (Balzac).Chemin, démarches, mouvements, opérations de la pensée. Raisonnement (→ Association, cit. 21; chercheur, cit. 2). || Pensée qui chemine (cit. 6) lentement. || Formes, méthodes (cit. 3) de pensée.
18 La pensée est semblable au compas qui perce le point sur lequel il tourne, quoique sa seconde branche décrive un cercle éloigné. L'homme succombe sous son travail et est percé par le compas.
A. de Vigny, Journal d'un poète, 1829.
19 Sonnez, sonnez toujours, clairons de la pensée.
Hugo, les Châtiments, VII, I.
Absolt. Capacité, puissance intellectuelle de qqn. || Sa pensée s'assoupit (cit. 13). || Engourdissement (cit. 4), éparpillement (cit. 2) de la pensée. — ☑ Fam. La pensée ne l'encombre pas (→ Go, cit. 2), ne l'étouffe pas : il n'est pas intelligent (cf. L'intelligence, l'esprit ne l'étouffe pas).
b Manière dont s'exerce cette faculté. Jugement. || Avoir la pensée prompte, nette (cit. 22). || Fièvre, souci qui obnubile (cit.), obombre (cit. 2) la pensée.
20 (…) ceux dont la pensée, loin d'être obscurcie, dominée et bâillonnée par leurs passions, grandit et divinise toutes les émotions de la vie et dégage l'idéal contenu dans toutes les sensations qu'ils éprouvent.
Villiers de L'Isle-Adam, Contes cruels, « L'inconnue ».
(Déb. XIIIe). Loc. Dans la pensée de qqn : relativement à sa manière de voir, selon lui, à ses yeux (→ Gehenne, cit. 3). || Dans la pensée des anciens (→ Attribution, cit. 2), des modernes (→ Grotesque, cit. 13)… || Dans ma pensée, ce mot n'a pas une valeur péjorative (→ Dans mon esprit).
c Effort de l'intelligence. Réflexion. || Arrêter (cit. 40), faire porter sa pensée sur… || « Le sérieux que donne nécessairement (cit. 2) la pensée continuellement fixée sur ce qui est grand » (Stendhal).(Par oppos. à action). || La pensée et l'action (→ Contemplation, cit. 4). || Divorce (cit. 5) de la vie pratique et de la pensée théorique. || Homme de pensée et homme d'intrigue (→ Double, cit. 7).
d (Au sens le plus courant et le plus vague). Esprit. || Idée qui se présente, qui vient à la pensée (→ Néant, cit. 11). || Ce que les mots offrent à la pensée (→ Dénommer, cit. 2). || Ce que conçoit la pensée ( Conception). || Désordre (cit. 5 et 18) de la pensée. || Hypothèse (cit. 4) qui fixe notre pensée.
(1636). Spécialt. Par oppos. au réel, à ce qui est objet d'expérience. Imagination. || L'homme est assujetti (cit. 28) à sa pensée (Fustel de Coulanges). || Pensée diffuse, vagabonde, qui erre (cit. 24) sans qu'on puisse la fixer (cit. 13). || L'avenir est ce qui n'existe que dans notre pensée (→ Modifiable, cit. 2, Proust).
21 La pensée est une terre vierge et féconde dont les productions veulent croître librement (…).
Hugo, Odes et Ballades, Préface. → Classer, cit. 4.
En pensée, par la pensée… (→ Casimir, cit.; doux, cit. 20). || Un cérébral, un contemplatif (cit. 2) qui vit par la pensée. || Commettre une faute en pensée (→ Encore, cit. 7). || Se tourner en pensée vers sa jeunesse (→ Faillir, cit. 7). || Transportez-vous par la pensée dans ce lieu de délices.
C La manière de penser, telle qu'elle s'applique à des objets déterminés; l'attitude d'esprit propre à un individu ou à un groupe.
1 Position intellectuelle, métaphysique, morale… telle qu'elle s'exprime de façon plus ou moins systématique. Philosophie. || La pensée bergsonienne (→ Négativement, cit. 2).Par anal. (À propos d'un écrivain). || La pensée de Vigny, de Balzac…
22 (…) la pensée de Gandhi est à deux étages : des substructions religieuses qui sont considérables, et l'action sociale qu'il construit sur ces bases invisibles (…) Il est religieux par nature, politicien par nécessité.
R. Rolland, Mahatma Gandhi, p. 32.
Au sing. collectif. (À propos d'un groupe, d'un milieu, d'une société…). || La pensée chrétienne, hindoue (→ Forêt, cit. 8). || Les grands courants de la pensée contemporaine, moderne (→ Existentialisme, cit. 1).La pensée européenne, extrême-orientale, africaine. || La Pensée sauvage, ouvrage de Cl. Lévi-Strauss (jeu de mots avec 2. pensée).
23 Toute pensée indienne est magique. Il faut qu'une pensée agisse, agisse directement, sur l'être intérieur, sur les êtres extérieurs (…) La philosophie orientale fait croître les cheveux et prolonge la vie.
Henri Michaux, Un barbare en Asie, p. 20 et 21.
La pensée artistique, philosophique, politique, religieuse (→ Approfondissement, cit. 5), scientifique… || Les grands courants de la pensée mathématique.
Par métonymie' Les penseurs. || Lorsque Bonaparte saisit le pouvoir, que la pensée fut bâillonnée… (cit. 3, Chateaubriand). || Mettre la pensée au service de la paix (→ Instituer, cit. 6).
2 (Caractères de la pensée). a (Relativement aux valeurs intellectuelles). || Pensée claire, puissante, ferme, floue (cit. 7), incertaine (→ Fuyant, cit. 7), obscure (→ Ampoule, cit. 3). || « L'homme ne peut jamais être assez sûr de sa pensée pour jurer fidélité (cit. 8) à tel ou tel système » (Renan). || Banalité, originalité, profondeur de la pensée.
b (Relativement à l'expression). || Expression admirablement (cit. 1) ajustée à la pensée. || Ne pas trouver les mots pour objectiver (cit. 2) sa pensée. || Mots qui dépassent ou qui diminuent (cit. 6) la pensée. || Cela a dépassé, trahi sa pensée, ce n'est pas ce qu'il voulait dire. || Recherches qui efféminent (cit. 2) et trahissent la pensée.
24 Que si l'on veut déclarer sa pensée j'aime qu'on l'articule sans chaleur, et en toute transparence, de manière qu'elle s'expose moins comme une production d'un individu que comme un effet de conditions qui se conviennent et se combinent dans un instant, ou comme un phénomène d'un autre monde que celui où l'on trouve des personnes et leur humeur.
Valéry, Variété V, p. 89.
Le contenu intellectuel (d'un texte). || Chapitre où la pensée manque de clarté, est difficile à interpréter, où l'auteur n'a pas su exprimer clairement ce qu'il pense. || Notes qui précisent la pensée d'un auteur.Le sens profond (d'un texte, d'une œuvre). || La pensée d'un drame (→ Équation, cit. 3).(Par oppos. à la forme). Contenu. || Des lettres de pensée nuancée mais de forme lourde (cit. 7). || L'ouvrage n'est ni grave par la pensée ni calme par le style (→ Extraordinaire, cit. 16, Chateaubriand). || « Plus la pensée est profonde, plus l'expression est vivante » (Hugo, Post-Scriptum de ma vie).
25 Un mauvais style, c'est une pensée imparfaite.
J. Renard, Journal, 15 août 1898.
c (Relativement aux valeurs morales). || Avoir de l'élévation dans la pensée (→ Indestructible, cit. 2). || La hauteur de sa pensée (→ Brièveté, cit. 5). || Avoir la pensée généreuse mais un peu fuyante (cit. 7). || Avoir une pensée désintéressée (→ Chaos, cit. 6).
d (Relativement à l'aspect social). || Pensée engagée (cit. 53), qui implique un engagement.La liberté (cit. 12 et 30) de pensée. || Libérer sa pensée (→ Libertin, cit. 1). || Pensée qui s'affranchit, s'émancipe (cit. 9).Spécialt. (Relativement à la religion). || La libre pensée. Libre (cit. 7).
e Loc. Pensée unique : ensemble des présupposés et des raisonnements formant les références idéologiques de l'économie de marché, capitaliste et néo-libérale, à prétention universelle (→ Mondialisation) après la disparition des systèmes de référence du monde communiste. — L'expression est péjorative et polémique; elle n'est pas revendiquée par ceux à qui elle s'applique.
25.1 Dans les démocraties actuelles, de plus en plus de citoyens libres se sentent englués, poissés par une sorte de visqueuse doctrine qui, insensiblement, enveloppe tout raisonnement rebelle, l'inhibe, le trouble, le paralyse et finit par l'étouffer. Cette doctrine, c'est la pensée unique, la seule autorisée par une invisible et omniprésente police de l'opinion. (…)
Qu'est-ce que la pensée unique ? La traduction en termes idéologiques à prétention universelle des intérêts d'un ensemble de forces économiques, celles, en particulier, du capital international. Elle a été, pour ainsi dire, formulée et définie dès 1944, à l'occasion des accords de Bretton-Woods.
Ignacio Ramonet, « La pensée unique », in Le Monde diplomatique, janv. 1995, p. 1.
3 Spécialt. Façon de voir, de juger, dans tel ou tel cas particulier. Sentiment; 2. penser (vx); → ci-dessous, II. || Entrer dans la pensée de qqn. || Je comprends, je partage votre pensée. Vue (point de). || Sa pensée dut être que sa sœur voulait mettre la main (cit. 37) sur le magot. || Cacher (cit. 19, 22 et 23) sa pensée. || Dissimuler (cit. 4) sa pensée. || Parler contre sa pensée (→ Farder, cit. 7).Exprimer éloquemment (cit. 2), succinctement sa pensée. || Aller jusqu'au bout de sa pensée (cf. fam. Vider son sac). || « Publier votre pensée (…) c'est un devoir » (cit. 11, P.-L. Courier). Opinion.Je t'ai dit ma pensée. Avis; penser (façon de); → Arranger, cit. 18. || Si j'osais dire ma pensée… (→ 2. Montre, cit. 4). || Ouvrir franchement sa pensée… (→ Nature, cit. 47).
26 Ma pensée au grand jour partout s'offre et s'expose;
Et mon vers, bien ou mal, dit toujours quelque chose.
Boileau, Épîtres, IX.
27 Voilà. Je vous ai dit à peu près ma pensée.
Hugo, la Légende des siècles, XX, III.
———
II Une, des pensées; la pensée de (qqch., qqn).
1 (XVIIe). || Une, des pensées. Phénomène psychique à caractère représentatif et objectif. Idée (cit. 3 et 4).|| « L'esprit (cit. 41), faculté productrice de nos pensées » (Helvétius). || Platon représentait les choses corporelles comme l'ombre des pensées de Dieu (→ Archétype, cit. 3, Chateaubriand). || Genèse (cit. 4) des pensées humaines.
a (Relativement à l'origine des pensées, à leurs rapports, à leur place dans la vie de l'esprit).Il sentait des pensées lui venir (→ Formuler, cit. 4), lui traverser l'esprit. || Il resta incapable (cit. 6) d'aucun mouvement, d'aucune pensée. || Conduire par ordre (cit. 6) ses pensées. || L'art de lier ses pensées en écrivant (cit. 2). || Laisser vaguer ses pensées (→ Distrait, cit. 20). || Perdre le fil (cit. 35) de ses pensées. || Foisonnement (cit. 2) des pensées. || Pensées errantes (2. Errant, cit. 11), incohérentes (→ Folie, cit. 3). || Pensée lancinante (→ Abandonner, cit. 11). || Cette pensée lui trottait par l'esprit. || Pensées qui assiègent (cit. 13), lancinent (cit. 1), obsèdent (cit. 2) qqn. || Balayer (cit. 13), chasser des pensées de l'esprit.Le plus clair (cit. 26) de nos pensées allait vers…, tournait autour de… Préoccupation.
28 Ces deux pensées étaient si étroitement mêlées dans son esprit qu'elles n'en formaient qu'une seule; elles étaient toutes deux également absorbantes et impérieuses, et dominaient ses moindres actions.
Hugo, les Misérables, I, VI, III.
29 Toujours est-il que le tour des pensées ne saurait rester le même; elles suivent à la déroute une préoccupation impérieuse. On vient d'ouvrir le couvercle de la boîte.
Aragon, le Paysan de Paris, p. 10.
b (Relativement à la qualité, à l'ampleur ou au contenu intellectuel). || Pensées banales (→ Esprit, cit. 172), qui sont devenues des lieux (cit. 55) communs. || Pensées frivoles, superficielles. || Étroitesse (cit. 2) de ses pensées. || Pensées mesquines, extravagantes (→ Élucubration).Son front abrite de hautes pensées (→ Étaler, cit. 29). || Rouler de profondes pensées dans son esprit (cit. 103). || Élévation, hauteur, profondeur, gravité, sérieux, fluidité (cit. 3) et lucidité de ses pensées. || Pensées fécondes, stériles (→ Distinguer, cit. 14). || Cet auteur ne manque pas de pensées fortes, subtiles, originales ( Idée).
30 Ne voulez-vous point vous défaire de vos pensées extravagantes ?
Molière, George Dandin, II, 7.
c (Relativement au degré d'intensité). || S'abandonner à de vagues pensées. Rêverie. || S'absorber, être perdu dans ses pensées. Méditation, réflexion. || Être tout à ses pensées (→ Familier, cit. 7). || Pensées trop intenses (cit. 2).
31 Il appuie son coude sur la table, et reste absorbé dans ses pensées comme un somnambule.
Lautréamont, les Chants de Maldoror, VI.
32 Dans son cerveau fatigué, des embryons de pensées tentaient de prendre consistance (…)
Martin du Gard, les Thibault, t. IV, p. 196.
d (Relativement aux valeurs morales). || Généreuses, nobles pensées. || « Les grandes pensées viennent du cœur » (cit. 151, Vauvenargues). || Avoir d'affreuses, de mauvaises pensées (→ Misanthropie, cit. 2). || Pensées déloyales. || Se détourner (cit. 21) d'une pensée. || Les obscures pensées qui le poussent à s'avilir (cit. 20). — ☑ Pensées déshonnêtes, impures; mauvaises pensées : désirs, imaginations contraires à la chasteté. || S'enfoncer plus avant (cit. 61) dans les mauvaises pensées. || Pensées immondes (cit. 6), coupables (→ Couvrir, cit. 17).
33 Le gouffre de tes yeux, plein d'horribles pensées,
Baudelaire, les Fleurs du mal, « Tableaux parisiens », XCVII.
34 Les vilaines pensées viennent du cœur.
Valéry, Mélange, p. 165.
e (Relativement à l'aspect affectif). || Les petites pensées plaisantes qui lui venaient (→ Enfouir, cit. 5). Imagination.De noires pensées. || Rouler de tristes pensées (→ Distraction, cit. 4). || Laver (cit. 20) son imagination des pensées désagréables. Image.
35 Une fois mis en amour, Haverkamp était moins exposé que personne à faire fiasco par suite d'une impression désagréable, d'une pensée importune.
J. Romains, les Hommes de bonne volonté, t. V, VIII, p. 70.
36 Elle se confie à lui, elle met entre les mains de l'homme sa détresse et ses inquiétudes, ses pensées lourdes où reviennent passer les trois mêmes petites figures, déjà pâlottes et comme défleuries.
M. Genevoix, Raboliot, III, IV.
f (Relativement à l'objet de pensée). || Des pensées d'avenir, de mort, de paix, de vengeance… || Des pensées philosophiques lui venaient à fleur (cit. 38) d'âme.Pensée abstraite. Notion.
g (Relativement à l'expression). || Échanger des pensées ( Impression). || « Un cœur généreux ne doit point démentir ses pensées » (→ Dissimulation, cit. 1, Montaigne). || Déguiser (cit. 9) ses pensées, une de ses pensées (Voltaire; → Dépraver, cit. 3).Expliquer ses pensées (→ Parole, cit. 3). || Expression qui rend une pensée (→ Entre, cit. 15). || Lire une pensée dans les yeux de qqn (→ Béer, cit. 17).Rhét. || Figures de pensées.
36.1 Il n'y a pas de belles pensées sans belles formes, et réciproquement.
Flaubert, Correspondance, 143, 18 sept. 1846.
2 (XIVe). Manifestation, témoignage d'intérêt, de sollicitude. || Avoir une pensée (affectueuse) pour qqn. Penser (à, II., 3.), souvenir (→ Oublier, cit. 3).Par métonymie. || Femme qui est la dernière pensée d'un mourant (→ Frapper, cit. 18).
(Dans le sens affaibli d'une simple formule de politesse à la fin d'une lettre). || Meilleures pensées. || Recevez nos très affectueuses pensées, nos plus tendres pensées.
3 La pensée de (qqn, qqch.) : action de penser à qqn ou à qqch.; résultat de cette action ( Aspect). || La pensée du meurtre (→ Humain, cit. 6), de la mort (1. Mort, cit. 3; → Atteindre, cit. 15), d'un acte irréalisé (→ Mur, cit. 20)… || La seule pensée de ces crimes abominables (cit. 1). || Il me revient la pensée de… Souvenir (→ Fond, cit. 20).
37 (…) la pensée constante d'Odette donnait aux moments où il était loin d'elle le même charme particulier qu'à ceux où elle était là.
Proust, À la recherche du temps perdu, t. II, p. 74.
La pensée de…, la seule pensée de… (suivi de l'inf.). Idée.La pensée que : le fait de penser, de savoir que. || La pensée lui vint qu'ils avaient besoin d'un jardinier (→ Offrir, cit. 10). || La pensée ne m'avait jamais effleuré (cit. 12) que je dusse m'en servir. || La pensée cruelle que je n'étais pas aimé… (→ Habiter, cit. 12).Rien ne pouvait me distraire (cit. 6) de cette pensée qu'elle allait partir.Se réjouir à la pensée que… (→ Dirigisme, cit. 1).
38 Consolons-nous de tout par la pensée que nous jouissons de notre pensée même, et que cette jouissance, rien ne peut nous la ravir.
A. de Vigny, Journal d'un poète, 1834.
39 Jean ne pouvait rien contre ses désirs : la pensée que cette maison était pleine de livres, fût-ce de livres pour les curés (…) éveillait en lui une tentation aussi violente que les pires.
F. Mauriac, la Pharisienne, IV.
À la pensée…, à la seule pensée de… (cf. Rien que de penser à…). || À la seule pensée des souffrances de l'humanité future (→ Monter, cit. 18).(Avec l'inf.). || À la seule pensée de monter sur la charrette des criminels (→ Fatal, cit. 8).À la pensée, à la seule pensée que…
40 (…) à la pensée que j'allais partager le sort de plusieurs petites filles, peu à peu, toutes mes craintes s'évanouirent.
France, le Livre de mon ami, Livre de Pierre, II, V.
41 Une sorte de panique les prenait à la pensée qu'ils pouvaient, si près du but, mourir peut-être.
Camus, la Peste, p. 292.
4 (1690). Paroles ou écrits par lesquels une pensée est exprimée. || Voilà une pensée intéressante, qui mérite d'être développée. Observation, remarque (→ aussi Méditer, cit. 6). || Il a eu, à ce propos, quelques pensées neuves et spirituelles (→ Entendre, cit. 19). || Aiguiser (cit. 14), ciseler de fines pensées. || Discours semé de pensées brillantes ( Trait), dont certaines sont d'un goût douteux ( Concetti).Pensée courte, incisive, bien frappée. Aphorisme, apophtegme, maxime, sentence. || Pensée populaire. Adage, dicton, proverbe.
42 (…) il s'est glissé dans un livre quelques pensées ou quelques réflexions qui n'ont ni le feu, ni le tour, ni la vivacité des autres (…)
La Bruyère, les Caractères, Introd.
43 On tourne une pensée comme un habit, pour s'en servir plusieurs fois.
Vauvenargues, Réflexions et maximes, 491.
44 Il serait trop aisé de répliquer qu'il est des proverbes étonnants, et des clichés ingénieux; que telle pensée, pour être commune, ne manque cependant pas d'acuité, ni de finesse.
J. Paulhan, les Fleurs de Tarbes, p. 147.
Littér. (Au plur.). || Pensées sur la comète, ouvrage de Bayle (1680).Absolt. Recueil de considérations d'ordre philosophique, moral, politique…, représentant soit des fragments d'un ouvrage demeuré inachevé, soit des extraits de l'œuvre complète d'un auteur. || Les Pensées de Marc-Aurèle, de Pascal (1670), de Joubert (1838). || Pensées, maximes et anecdotes de Chamfort (1795). → aussi Mépris, cit. 11; nul, cit. 10.
HOM. Panser, pensé (n. m.), 2. pensée, 1. penser, 2. penser.
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2. pensée [pɑ̃se] n. f.
ÉTYM. 1512; même étym. que 1. pensée, la fleur étant considérée comme l'emblème du souvenir.
Violette (famille des Violacées, n. sc. : Viola tricolor), d'une variété cultivée dans les jardins pour ses grandes fleurs veloutées, généralement multicolores, aux nuances disposées de façons très diverses; ces fleurs. || Bordure, corbeille de pensées. || Pensée commune, d'un mauve foncé. || Pensées blanches, jaunes, noires… || Pensées panachées, striées… || Pensée demi-deuil.Pensée sauvage.
0 Les bassins, comblés, n'étaient plus que de vastes jardinières (…) Dans un des plus larges, un coup de vent avait semé une merveilleuse corbeille de pensées. Les fleurs de velours semblaient vivantes, avec leurs bandeaux de cheveux violets, leurs yeux jaunes, leurs bouches plus pâles, leurs délicats mentons couleur chair.
Zola, la Faute de l'abbé Mouret, II, VII.
(1841, Balzac; couleur de pensée, 1634, in D. D. L.). Vx. || Couleur pensée. (En fonction d'adj.; 1845). Mod. D'une couleur violet sombre. || Un chapeau pensée.
HOM. Panser, pensé (n. m.), 1. pensée, 1. penser, 2. penser.

Encyclopédie Universelle. 2012.