POÉSIE
La poésie est d’autant plus difficile à définir qu’elle recouvre une pratique très diversifiée, plus qu’un genre particulier. Mais, tout autant que sa diversité, frappe son universalité, qui invite à chercher, par-delà ses multiples variantes linguistiques et historiques, les critères constants qui la distinguent d’autres pratiques littéraires. La forme versifiée a longtemps constitué la caractéristique majeure de la poésie; une évolution récente, et d’ailleurs limitée à certaines aires culturelles, tend à la dissocier du vers. Il convient cependant d’interroger d’abord celui-ci, pour tenter d’en ressaisir la fonction et la structure profonde, qui n’engage pas seulement la forme du poème, mais la manière dont il informe l’expérience humaine. À partir de là, on pourra se demander si la mutation moderne ne fait que mettre en œuvre par d’autres moyens les mêmes principes fondamentaux, ou si elle instaure une rupture radicale, qui affecte aussi la vision poétique du monde.
Fonctions et frontières
Aux origines de toutes les littératures, la forme versifiée apparaît en relation étroite avec la tradition orale. Les pauses et les récurrences qui la caractérisent sont liées aux nécessités de la vocalisation, de la mémorisation et de la communication. Répétitions et parallélismes allégeaient la tâche du récitant et permettaient à ses formules de se graver plus facilement dans l’esprit des auditeurs. Le rythme du vers épouse les mouvements du corps parlant, chantant, voire dansant: les termes grecs d’arsis et de thésis , qui désignent les temps faibles et les temps forts, évoquent le geste de frapper la mesure. Tous ces traits concourent à distinguer la parole ainsi mise en forme de son usage ordinaire, à lui conférer une valeur esthétique, souvent soulignée par un accompagnement musical, et parfois une valeur idéologique: le poète est dépositaire d’une vérité, profane ou sacrée.
Aussi la poésie se confond-elle presque au départ avec la littérature. Elle a longtemps accueilli une très grande diversité de genres, que l’on peut, suivant la tradition aristotélicienne, classer selon trois catégories fondamentales, définies par des modes d’énonciation différents: genres lyriques, comme l’ode ou l’élégie, où le poète est en général seul à parler; genres narratifs, comme l’épopée, où la voix du narrateur alterne avec celle des héros; genres dramatiques, comme la tragédie ou la comédie, où la parole est entièrement déléguée aux divers personnages. À mesure que se développent les littératures écrites, on assiste à l’émergence de nombreux genres en prose et à une spécialisation croissante de la poésie, qui se limite de plus en plus aux genres lyriques. Ces derniers se constituent en France à la fin du Moyen Âge, en même temps que les formes fixes, au moment même où le roman abandonne le vers. Et le drame en prose naît au XVIIIe siècle sur les cendres de la tragédie classique. On rapporte en général cette évolution à deux phénomènes corollaires: le développement d’une littérature « réaliste », qui rejette le moule unificateur du vers pour s’ouvrir à la diversité de la vie sociale et individuelle, et la promotion de la « subjectivité littéraire ».
Mais il ne faut pas s’empresser d’opposer le réalisme de la prose à un prétendu subjectivisme de la poésie; entre l’une et l’autre, la frontière est d’ailleurs fluctuante, et n’exclut pas les échanges. La prose littéraire recourt souvent à des procédés qu’on croirait propres à la poésie. Il existait en Chine et chez les Arabes une prose rimée; et la prose poétique de Rousseau ou de Chateaubriand use de rythmes analogues à ceux du vers. Les premiers poèmes en prose, ceux d’Aloysius Bertrand par exemple, se sont construits sur le modèle de formes fixes, comme la ballade. Et l’on qualifie aujourd’hui de poétiques des récits comme ceux d’Édouard Dujardin ou de Julien Gracq, qui introduisent dans un cadre narratif une énonciation lyrique (le monologue intérieur), des structures cycliques et une écriture métaphorique. Il faut donc chercher le principe commun à tous ces procédés, qui fonde leur poéticité et dont l’action ne se limite pas au vers régulier, même s’il trouve en lui son expression exemplaire.
Formes
Selon son étymologie latine (versus ), le vers se définit par le fait de revenir à la ligne. Or ce retour comporte deux implications presque contradictoires mais pour la tradition complémentaires: une rupture dans la continuité du discours et la récurrence de traits analogues d’un vers à l’autre, qui détermine précisément la périodicité du passage à la ligne. La forme vers associe donc différence et équivalence. Dans la versification régulière, l’équivalence l’emporte nettement sur la différence, au point que Roman Jakobson a pu y voir le principe même de fonctionnement du langage poétique. Dans la plupart des traditions, ce principe d’équivalence commande plusieurs niveaux d’organisation formelle du poème, au premier rang desquels: le mètre (reprise d’un nombre égal de pieds ou de syllabes), la rime (répétition de sonorités identiques en fin de vers), la strophe, où mètres et rimes sont eux-mêmes combinés et disposés selon un schéma récurrent.
Ce jeu complexe d’équivalences a pour effet de compenser la discontinuité constitutive du vers: la rime notamment marque la fin du vers, mais elle l’inscrit dans une continuité supérieure, en l’associant à un autre vers. Les différences sont intégrées dans un système d’alternances, qui régit, par exemple, la succession des syllabes accentuées et non accentuées, celle des rimes féminines et masculines, celle des différents mètres au sein de la strophe. Alternances et récurrences superposent à la succession linéaire du discours, caractéristique de la prose (prosa oratio , qui va de l’avant), une organisation circulaire, inscrite dans l’étymologie du mot strophe. Cette circularité culmine dans certaines formes fixes, liées à la danse et au chant (ballade, rondeau, virelai, etc.), qui reposent sur la reprise de vers entiers à valeur de refrain.
Des phénomènes comparables se retrouvent en dehors de la versification régulière. Ainsi le verset biblique se distingue de la prose par sa double découpe, finale et médiane, mais aussi par le parallélisme qui unit souvent ses deux parties, et que l’on retrouve à de multiples niveaux dans la plupart des poésies de tradition orale. Il est notable que, au moment même où elle rompt avec les mètres traditionnels, la poésie occidentale elle-même recourt volontiers au parallélisme et à la répétition. C’est Gerard Manley Hopkins qui écrivait: « La structure de la poésie est un parallélisme continu. » Et, dans la forme extrêmement souple du verset, Walt Whitman unifie de longues séquences par la reprise d’une même structure syntaxique, produisant un effet voisin de la litanie, qu’on retrouve chez Charles Péguy ou chez Saint-John Perse. Même le poème en prose n’est pas toujours linéaire. L’oratio soluta , pour s’organiser en poème, retrouve souvent les voies de la récurrence: la comparaison des versions en vers et en prose de certains poèmes de Baudelaire fait apparaître de notables différences mais aussi une commune tendance au parallélisme et à l’anaphore. Ces récurrences ne sont pas de pures et simples redites; elles s’accompagnent de variations. Même la reprise de termes identiques produit des effets différents en fonction du contexte nouveau où ils apparaissent, brouillant subtilement la distinction entre l’autre et le même.
La discontinuité et la circularité du vers entrent en tension, et parfois en conflit, avec la linéarité et la continuité habituelles au discours et au récit. Un des symptômes de cette tension est l’enjambement, qui résulte d’une discordance entre les frontières du vers et les articulations syntaxiques et logiques de la phrase. Il était proscrit par les poéticiens arabes, qui cherchaient à faire coïncider chaque vers avec une unité de sens, et par la doctrine classique en France, qui entendait soumettre l’ordonnance du poème à l’ordre de la raison. Ce dernier n’a cessé depuis lors d’être menacé par la multiplication des rejets et contre-rejets, qui compromettent la lisibilité d’une démonstration ou d’une argumentation, et cela n’est sans doute pas sans rapport avec le déclin de la poésie didactique. De même, l’exclusion progressive du récit hors du champ de la poésie tient pour une part à l’incompatibilité qui s’est accrue entre la circularité du poème et un mode de narration fondée sur la succession chronologique et une loi de transformation. Dans l’épopée antique ou la chanson de geste médiévale, il n’était pas rare que le même événement soit relaté à plusieurs reprises, en des vers parallèles, fixé en une sorte d’éternel présent, tout à fait étranger à la conception moderne de l’histoire.
Sens
Les structures profondes dégagées à partir de l’analyse du vers ne concernent pas seulement la forme du poème, mais sa signification même, qui en est inséparable. La poésie tend à établir une équivalence entre signifiant et signifié, produite par une « retrempe alternée en le sens et la sonorité » (Mallarmé). La rime, par exemple, n’est pas une simple homophonie; elle induit entre les mots qu’elle unit un rapport de sémantique. Lorsque, pour évoquer les tourments de l’amour, Pétrarque fait rimer pace avec sface , piena avec pena , il suggère la coïncidence paradoxale, au cœur de l’amant, d’une paix et d’une destruction, d’une peine et d’une plénitude. Il n’est donc pas possible de résumer, de paraphraser ou de traduire un poème sans lui faire perdre non seulement sa musicalité, mais une part de sa signification. Le traducteur d’un poème ne saurait se borner à en restituer le « contenu »; il doit tenter de donner dans sa propre langue un équivalent de sa physionomie rythmique et phonétique.
Un cas particulier mais exemplaire de cette équivalence entre forme et sens est fourni par toutes les variétés du « mimologisme » (Gérard Genette), qui cherche à motiver le signe linguistique par une ressemblance entre le signifiant et le référent lui-même. Rejoignant certains aspects de la calligraphie orientale ou médiévale, qui associait peinture et écriture, les poètes modernes ont exploité les propriétés mimétiques de la graphie ou de la typographie. Les calligrammes d’Apollinaire disposent leurs lettres de manière à dessiner les contours des objets évoqués; et Claudel nous invite à lire dans certains mots français de véritables « idéogrammes » (« œ est l’œil même avec la pupille et les paupières vues de profil »).
Cette « iconicité » du langage poétique n’est pas seulement plastique; elle s’étend aussi bien à tout ce qui dans la syntaxe, la rhétorique ou la phonétique du poème peut présenter une analogie avec la chose signifiée. En menant « rondement » son étude sur l’orange, Ponge espère évoquer la rotondité du fruit. Les procédés classiques de l’harmonie imitative ont suscité diverses tentatives de systématisation, depuis les exercices poétiques du chevalier de Piis, « Tantôt du taillandier, tantôt du maréchal / Imitant par des T le travail matinal », jusqu’aux essais d’« instrumentation verbale » de René Ghil. Mais on sait que, en dehors de l’onomatopée, le « symbolisme des sons », s’il peut s’appuyer sur certaines caractéristiques articulatoires (le i , voyelle antérieure, est généralement ressenti comme plus clair que le ou , voyelle postérieure), est pour l’essentiel affaire d’appréciation subjective, et surtout de contexte: si jour est plus sombre que nuit , il est possible de l’éclaircir en l’insérant dans un environnement phonétique et sémantique évoquant la transparence, comme le fait Racine quand il fait dire à Hippolyte: « Le jour n’est pas plus pur que le fond de mon cœur. »
Ces effets de sens sont de l’ordre de la connotation, qui ajoute au sens dénoté par le dictionnaire des traits de signification fluctuants, propres au locuteur et au contexte. Alors que le fonctionnement de la signification est habituellement différentiel, celui de la connotation est associatif. Il repose sur les relations qu’un mot peut nouer avec les signifiés et les signifiants qui l’entourent: le mot nuit , par exemple, ne revêt pas les mêmes connotations lorsque Mallarmé le couple à la rime avec le verbe nuire (en évoquant « Le sépulcre solide où gît tout ce qui nuit / Et l’avare silence et la massive nuit ») et lorsque Michaux le rapproche anagrammatiquement du verbe unir : « Dans la nuit / Je me suis uni à la nuit. » Or, du fait de la non-linéarité du langage poétique, ces associations débordent le cadre de la phrase, qui oriente et délimite le sens, et s’étendent à l’ensemble du poème au sein duquel les mots peuvent nouer à distance et dans tous les sens des rapports paradigmatiques aussi bien que syntagmatiques. Du fait de ces multiples associations, le vocable poétique peut se charger de plusieurs sens, qui, au lieu de s’exclure, se superposent.
La signification poétique transgresse les distinctions établies par le sens commun. Elle est foncièrement double, ambiguë, voire ambivalente: « Un poème dit une chose et en signifie une autre », écrit Michael Riffaterre. Et c’est pourquoi la poésie est par excellence un langage figuré . Les figures qu’elle privilégie sont celles qui associent des termes habituellement considérés comme contraires, et celles qui établissent des ressemblances entre des choses différentes. Alliances de mots et oxymorons suspendent le principe de non-contradiction qui régit l’énoncé logique: Corneille nous apprend qu’« une obscure clarté [peut] tomber des étoiles », et, Louise Labé, qu’une amoureuse peut avoir « chaud extrême en endurant froidure ». On sait le rôle capital joué depuis toujours en poésie par les figures d’analogie (comparaison, métaphore, allégorie, etc.), qui rapprochent des « réalités » parfois très « éloignées » selon la formule de Reverdy. On n’a pas attendu le surréalisme pour comparer l’incomparable: dans la tradition chinoise, une belle femme pouvait avoir des « sourcils de phalène »; et, bien avant Rimbaud, Góngora jouait de la métaphorisation réciproque de la terre et de la mer, comparant une cabane qui s’éclaire dans la plaine le soir au « fanal » d’un navire « à l’ancre en l’incertitude / de ce golfe d’ombres ».
Monde
Ces figures ne sont pas un simple ornement, mais l’instrument d’une configuration de l’expérience humaine. La métaphore fait image, elle donne à voir, elle propose une vision du monde, caractérisée elle aussi par une équivalence généralisée entre le langage, l’homme et l’univers. Ainsi le rythme du vers épouse, pour la plupart des traditions poétiques, celui de la vie universelle: « souffle rythmique », alternance du ying et du yang pour les Chinois, « mouvement d’attirance et de répulsion [des] forces cosmiques » pour les Négro-Africains selon Senghor. La temporalité circulaire du poème présente quelque affinité avec les cycles naturels, parfois opposés au cours linéaire de l’existence et de l’histoire humaines: pour le poète, selon Saint-John Perse, « les pires bouleversements de l’histoire ne sont que rythmes saisonniers dans un plus vaste cycle d’enchaînements et de renouvellements ».
On comprend le divorce qui s’est accusé entre la poésie et le récit, dès lors que celui-ci n’avait plus pour fonction de perpétuer la mémoire des événements mythiques du temps des origines, voués à se répéter ou à servir de modèle aux générations successives. La structure cyclique du poème convenait à l’épopée, qui transforme la matière historique elle-même en mythe, beaucoup plus qu’au roman, engagé dans la relation linéaire d’aventures singulières: « dans le vers épique [...] la totalité de la vie [s’ordonnait encore] selon une harmonie préétablie » (György Lukács). Cette aptitude à unifier la diversité de l’expérience humaine en une totalité cohérente a été souvent reconnue à la poésie; l’état poétique se caractérise, selon Valéry, par une « sensation d’univers [, par] une tendance à percevoir un monde , ou système complet de rapports ».
L’unité de ce monde est fondée sur l’analogie. Bien des traditions mythiques ou mystiques en ont fait une loi occulte de l’univers, et en Occident même, depuis le symbolisme médiéval jusqu’aux théories romantiques des correspondances. Mais la vision poétique du monde est avant tout structurée par le fonctionnement analogique d’un langage qui repose, nous l’avons vu, sur une résonance et une équivalence généralisées. Le dernier des Vers dorés de Nerval (« Un PuR eSPRit S’aCcRoît Sous l’éCoRCe des PieRres ») fait certes référence à la doctrine pythagoricienne, mais il lui donne consistance poétique grâce à la métaphore, qui permet de faire vivre l’inanimé, et par la reprise en parallèle des mêmes consonnes pour dire le règne de l’esprit et celui de la matière.
Certains poètes de l’Occident moderne restent fidèles à cette « conception d’un monde ramifié à perte de vue », même s’ils lui refusent toute caution métaphysique. Ainsi, pour Breton, « l’analogie poétique diffère foncièrement de l’analogie mystique »; elle est « tout empirique » et se fonde sur l’expérience sensible. Baudelaire, dans un sonnet célèbre, après avoir cherché la source des correspondances poétiques, dans « une ténébreuse et profonde unité » de l’univers, la trouve dans les synesthésies qui font communiquer entre elles nos sensations (« Il est des parfums frais comme des chairs d’enfants / Doux comme les hautbois, verts comme les prairies »). Et il suffit à Claudel d’avoir « vu » un jour, « juxtaposés par l’alignement de (s)on œil, la verdure d’un érable combler l’accord proposé par un pin », pour découvrir « un nouvel Art poétique de l’Univers ».
En dernière analyse, le foyer de cette analogie universelle n’est autre que le sujet lui-même: « Le poème, écrit Yves Bonnefoy, ne prétend qu’à intérioriser le réel »; « il recherche les liens qui unissent en moi les choses ». Telle était déjà l’ambition de la poésie chinoise, qui multiplie les échanges entre le ching (le sentiment intérieur) et le ch’ing (le paysage extérieur), notamment grâce à l’ambiguïté et à la réversibilité de son langage; ainsi dans ces deux vers de Li Po, qui évoquent une scène d’adieu: « Nuage flottant humeur du vagabond / Soleil couchant cœur du délaissé », par le jeu des parallélismes, les deux éléments naturels s’unissent en un paysage crépusculaire, mais aussi s’opposent, étant associés aux sentiments contrastés des deux personnages. Cette correspondance entre l’homme et l’univers se retrouve dans la poésie occidentale, avec des variantes; à l’analogie strictement codifiée entre microcosme et macrocosme s’est substituée, depuis le romantisme, une relation plus individualisée entre un paysage et un « état de l’âme », qui peut être aussi un état du corps. Relation à double sens, qui ne consiste pas nécessairement pour le poète à projeter au dehors son intériorité, mais aussi de s’approprier les qualités des choses. Cet échange définit l’espace de la poésie comme Wiltinnenraum , « espace intérieur du monde » (Rainer Maria Rilke), ou encore comme un horizon , inséparable du point de vue d’un sujet.
Sujet
La prédominance structurelle du principe d’équivalence a sans doute favorisé la spécialisation de la poésie dans le mode lyrique. Celui-ci se caractérise, nous l’avons vu, par le privilège accordé au sujet de l’énonciation. Même lorsqu’il fait parler plusieurs voix, celles-ci, au lieu d’être nettement différenciées et individualisées comme dans un roman ou au théâtre, restent souvent indéterminées et tendent à se fondre en une certaine unité musicale et stylistique; le recueil de Jules Supervielle intitulé Les Amis inconnus est traversé de « voix qui perdirent visage », et qui ne correspondent à aucun personnage identifiable, n’étant peut-être que l’écho démultiplié de la voix du poète.
Car, même lorsqu’il dit « je », le sujet lyrique ne saurait se confondre avec un moi bien défini, en quoi il se distingue par exemple du sujet de l’autobiographie. Le pronom personnel « je », à la différence du nom propre, ne fait que désigner l’instance d’énonciation, et il peut comme tel être pris en charge par quiconque opère, en lisant, la réénonciation du poème. La poésie tend à effacer la distinction entre le moi et l’autre, qui s’y trouve souvent évoqué ou invoqué comme alter ego: le « semblable » auquel s’adresse Baudelaire, le double cher aux romantiques, l’être aimé ou Dieu, objets d’une identification amoureuse ou mystique. Et, réciproquement, le pronom de la seconde personne peut renvoyer aussi bien au poète qu’à son allocutaire: « À la fin tu es las de ce monde ancien » (Apollinaire). À la limite, la voix lyrique n’est plus la « voix de personne » (Valéry), et peut être celle de tout le monde: le poète met volontiers sa gloire à n’être que le porte-parole du dieu inconnu, d’une communauté humaine, ou l’« écho sonore » des voix de la nature. Cette identification au tout est favorisée par l’ellipse des pronoms personnels, qui était de règle dans la poésie chinoise, et que réalise la syntaxe nominale souvent adoptée par les poètes occidentaux modernes: lorsque Paul Celan écrit « Merkblätter-Schmerz, beschneit, überschneit » (« Douleur d’éphéméride, neigeuse, enneigée »), est-ce lui qui souffre du temps qui passe, ou l’éphéméride, ou la neige?
La poésie lyrique ne se confond donc pas nécessairement avec le lyrisme entendu comme expression d’un sentiment personnel. Elle repose tout autant sur l’é-motion, qui est d’abord sortie de soi, comme aime à le rappeler Léopold Sédar Senghor, « mouvement centrifuge du sujet à l’objet », identification à l’Autre. Cette composante émotionnelle ne rejette pas la poésie du côté d’un pur « subjectivisme », puisqu’elle la situe en dehors de la distinction entre sujet et objet, et suppose une « co-naissance » au monde, aussi précieuse que la connaissance scientifique. Elle n’implique pas non plus un quelconque « irrationalisme »; elle propose une autre logique, qui n’est pas, contrairement à la raison occidentale, fondée sur le principe d’identité.
On ne peut s’empêcher cependant de rapprocher cette logique du poème de celle que Freud attribue au processus primaire, qui ignore selon lui la contradiction et la succession temporelle, et qui fait une large place à l’analogie et à la compulsion de répétition. Que la création poétique soit pour une part inconsciente en témoignaient déjà les multiples traditions qui faisaient de l’inspiration une folie, douce ou furieuse. Mais elles lui conféraient une origine divine, lui garantissant ainsi une valeur de révélation. Privé de cette caution transcendante, ce délire peut paraître comme une simple aliénation, ce qui rend problématique l’ambition de totalisation dont la poésie est porteuse.
Modernité et altérité
D’une façon générale, la « révolution » qui a bouleversé le langage poétique en Occident, depuis le milieu du XIXe siècle, paraît souvent comme une contestation systématique de la prédominance du principe d’équivalence. À tous les niveaux de l’organisation du poème, elle a multiplié les ruptures, libérant la différence du cadre rassurant de l’alternance, pour faire surgir une véritable altérité.
Cette révolution a été préparée à l’intérieur même de la versification régulière, par tout un travail visant à en perturber les équilibres et les symétries traditionnelles. Un bel exemple en est fourni par toutes les tentatives faites pour contourner la césure qui partage l’alexandrin français en deux parties égales: le coup fatal lui a été porté non par le trimètre romantique, qui peut encore être lu comme un vers césuré, mais par Rimbaud, lorsqu’il place une syllabe atone en sixième position, et une syllabe accentuée en cinquième ou sixième (« L’eau claire; comme le / sel des larmes d’enfance »). Cette subversion de la frontière interne du vers perturbe l’alternance régulière de l’accentué et du non-accentué, comme le fait par ailleurs la réhabilitation par Verlaine des mètres impairs; elle détruit surtout la concordance entre les articulations du vers et celle de la phrase. La règle classique qui proscrivait l’enjambement avait certes été déjà assouplie, mais les rejets et contre-rejets eux-mêmes isolaient des syntagmes qui formaient encore des unités de sens minimales. En séparant un article du nom qu’il détermine, ou une conjonction du verbe qu’elle régit, la rime d’attente verlainienne (« Pareil à la / Feuille morte ») compromet le parallélisme entre mètre et sens.
La voie était ouverte à la pratique du vers libre, qui portait atteinte au principe fondateur du vers: la récurrence d’un nombre égal de syllabes ou de pieds. Les vers deviennent plus que jamais des « lignes inégales », et le blanc, qui, dans la versification traditionnelle, avait une fonction de cadre, faisant ressortir l’unité visuelle de la strophe ou du poème, en souligne au contraire l’irrégularité, la discontinuité, voire la dispersion, comme dans le célèbre Coup de dés . En introduisant le blanc, jusqu’alors cantonné dans les marges, au cœur du poème, Mallarmé, Reverdy ou André Du Bouchet donnent à voir la confrontation permanente du langage à son autre: ce silence qui ne se borne plus à le scander, mais l’interrompt brutalement et de manière imprévisible. Alors que la versification traditionnelle satisfaisait généralement l’attente, par la récurrence de structures rythmiques et phoniques analogues, quitte à la renouveler par quelques écarts eux-mêmes réglés, le vers moderne déjoue ou déplace constamment l’attente, accentue l’ostranenie (l’étrangeté) chère aux formalistes russes.
L’invention du poème en prose a été elle aussi une ouverture à l’altérité. Il a permis d’introduire des thèmes et des langages que la tradition poétique avait proscrits. Baudelaire y cherchait une prosodie nouvelle, délivrée des exigences du mètre et de la rime, « assez souple et assez heurtée pour s’adapter » à la diversité qui caractérise aussi bien la vie de la conscience, avec ses « soubresauts », que le monde moderne: « C’est surtout de la fréquentation des villes énormes, c’est du croisement de leurs innombrables rapports que naît cet idéal obsédant. » Il ne s’agit plus d’unifier l’univers en une totalité harmonieuse mais de répondre aux tensions qui l’animent et le menacent d’éclatement.
Le poème s’investit d’une pluralité de sens, que l’équivalence ne peut plus reconduire à l’unité. Non seulement il se soumet moins que jamais à la continuité discursive, systématiquement compromise par les ruptures syntaxiques, l’ellipse ou la parataxe, mais son fonctionnement analogique est gravement perturbé par ses excès mêmes. Ainsi, en cultivant l’écart maximal entre les termes de la métaphore, la stratégie surréaliste les empêche de se fondre en une image synthétique susceptible de révéler leur identité cachée: il s’agit moins d’une comparaison que d’une confrontation, qui fait ressortir leur différence et l’incongruité de leur rapprochement, comme dans la « rencontre, sur une table d’opération, d’une machine à coudre et d’un parapluie » (Lautréamont). De même, les ressemblances phonétiques qu’exploite l’écriture automatique produisent rarement un effet de sens repérable en termes d’équivalence ou d’opposition, comme c’était souvent le cas pour les termes couplés à la rime; elles engendrent plutôt une dérive indéfinie de la signification, qui fuit toute fixation.
Cette altération du sens correspond à l’intime altérité qui traverse le sujet moderne, et que résume la célèbre formule rimbaldienne: « Je est un autre. » Lorsque Nerval écrivait: « Je suis l’autre », il restait encore dans une logique de l’identification, fût-elle délirante; Rimbaud, en faisant passer le verbe à la troisième personne, marque une coupure radicale entre le sujet de l’énoncé et celui de l’énonciation. L’unité de la voix poétique se brise; elle se diffracte selon de constants changements de ton, et se dédouble ironiquement chez Jules Laforgue; elle se dissémine et se dissimule à travers des citations empruntées à de multiples langues et langages, dans les Cantos d’Ezra Pound, par exemple.
Si aucune instance d’énonciation n’assure plus son homogénéité, le message poétique, livré au libre jeu de la différence, risque de devenir illisible. On a vu que certains des plus grands poètes modernes avaient éprouvé le besoin de réintroduire, dans le cadre souple du vers libre, du verset ou de la prose, des récurrences ou des équivalences qui assurent à leurs textes un minimum de cohérence et de lisibilité. En revanche, une partie de la production poétique contemporaine, à force de renchérir systématiquement sur la rupture, a fini par se couper de son public. On ne trouve pas un tel divorce dans des pays où la poésie a su garder le contact avec la tradition et la transmission orales, et avec ses sources populaires. Et, en France même, une nouvelle génération de poètes a éprouvé le besoin, depuis les années 1980, de renouer avec une écriture plus lisible, qui n’exclut pas le recours à l’analogie ni le retour au vers régulier.
Il semble que la poésie ne puisse pas tout à fait se passer du principe d’équivalence, en proportion même de l’altérité à laquelle elle se trouve confrontée, chaque fois qu’elle rencontre le blanc ou le silence. Ayant à dire ce qui le dépasse et défie les pouvoirs du langage, le poète ne parvient à maîtriser cette inquiétante étrangeté qu’en l’inscrivant dans une forme qui fait place au retour du même, et qui rend ainsi son expérience partageable et communicable.
poésie [ pɔezi ] n. f.
• 1511; « art de la fiction littéraire » 1350; lat. poesis, du gr. poiêsis « création »
1 ♦ Art du langage, visant à exprimer ou à suggérer par le rythme (surtout le vers), l'harmonie et l'image. « La poésie se trouve ainsi par nature, le département des Lettres le plus proche des arts » (Caillois). « Victor Hugo a su exprimer par la poésie le mystère de la vie » (Baudelaire). La poésie doit « réfléchir par les couleurs, les sons et les rythmes, toutes les beautés de l'univers » (Mme de Staël). Le vers (⇒ mètre, pied) , la rime (⇒ prosodie, versification) , le rythme en poésie (⇒ enjambement, 2. rejet) . Poésie lyrique, épique, didactique, satirique.
2 ♦ Manière propre à un poète, une école, de pratiquer cet art; l'ensemble des œuvres où se reconnaît cette manière. Poésie classique, romantique, symboliste, surréaliste.
3 ♦ (déb. XVe) Poème (généralement assez court). Les poésies de Musset. Dire une poésie. Choix de poésies. ⇒ anthologie.
4 ♦ Propriétés poétiques qui peuvent se manifester dans toute œuvre d'art (⇒ 1. poétique). Poésie du style; d'un roman, d'un film. Tableau, andante plein de poésie.
5 ♦ Qualité d'émotion esthétique (que peut éveiller un spectacle, un lieu, une situation). La poésie des ruines. Un moment plein de poésie (⇒ romantique) . « Je sais qu'il y a de la poésie dans ce gratte-ciel. Tout le monde admire l'arrivée à New York » (Valéry).
6 ♦ Aptitude (d'une personne) à éprouver l'état, l'émotion poétique. « Il y a pourtant de la poésie dans tous les êtres capables d'affections vives et profondes » (Mme de Staël). Il manque de poésie : il est terre-à-terre. — Par ext. (d'une situation) Ça manque de poésie ! c'est banal, plat, vulgaire.
⊗ CONTR. Prose; prosaïsme.
● poésie nom féminin (latin poesis, du grec poiêsis, création) Art d'évoquer et de suggérer les sensations, les impressions, les émotions les plus vives par l'union intense des sons, des rythmes, des harmonies, en particulier par les vers. Genre de poème : Poésie lyrique, épique, héroïque. Poésie dramatique. Poésie pastorale. Art des vers particulier à un poète, à une nation, à une époque : La poésie de Hugo. La poésie française. La poésie du XVIe siècle. Ouvrage en vers, de peu d'étendue ; poème : Les poésies de Musset. Recueil de poésies. Littéraire. Caractère de ce qui parle particulièrement à l'imagination, à la sensibilité : La poésie d'un pastel. ● poésie (citations) nom féminin (latin poesis, du grec poiêsis, création) Guillaume Apollinaire de Kostrowitzky, dit Guillaume Apollinaire Rome 1880-Paris 1918 […] Fondés en poésie nous avons des droits sur les paroles qui forment et défont l'Univers. Alcools, Poème lu au mariage d'André Salmon Gallimard Louis Aragon Paris 1897-Paris 1982 Il n'y a pas de poésie, si lointaine qu'on la prétende des circonstances, qui ne tienne des circonstances sa force, sa naissance et son prolongement. Chronique du bel canto Skira Louis Aragon Paris 1897-Paris 1982 La poésie est le miroir brouillé de notre société. Et chaque poète souffle sur ce miroir : son haleine différemment l'embue. Chronique du bel canto Skira Louis Aragon Paris 1897-Paris 1982 La poésie, notre poésie se lit comme le journal. Le journal du monde qui va venir. Chronique du bel canto Skira Louis Aragon Paris 1897-Paris 1982 Poésie ô danger des mots à la dérive. En français dans le texte Ides et Calendes Louis Aragon Paris 1897-Paris 1982 C'est à la poésie que tend l'homme. Il n'y a de connaissance que du particulier. Il n'y a de poésie que du concret. Le Paysan de Paris Gallimard Antonin Artaud Marseille 1896-Ivry-sur-Seine 1948 La poésie, c'est de la multiplicité broyée et qui rend des flammes. Héliogabale ou l'Anarchiste couronné Gallimard Théodore de Banville Moulins 1823-Paris 1891 Sans la justesse de l'expression, pas de poésie. Petit Traité de poésie française Georges Bataille Billom 1897-Paris 1962 [La poésie, …] le sacrifice où les mots sont victimes. L'Expérience intérieure Gallimard Georges Bataille Billom 1897-Paris 1962 L'éclat de la poésie se révèle hors des moments qu'elle atteint dans un désordre de mort. L'Orestie Éditions des Quatre-Vents Charles Baudelaire Paris 1821-Paris 1867 Tous les grands poètes deviennent naturellement, fatalement, critiques. L'Art romantique Charles Baudelaire Paris 1821-Paris 1867 Tout homme bien portant peut se passer de manger pendant deux jours — de poésie, jamais. L'Art romantique Albert Béguin La Chaux-de-Fonds 1901-Rome 1957 La solitude de la poésie et du rêve nous enlève à notre désolante solitude. Poésie de la présence Le Seuil Nicolas Boileau, dit Boileau-Despréaux Paris 1636-Paris 1711 Mais dans l'art dangereux de rimer et d'écrire, Il n'est pas de degré du médiocre au pire. L'Art poétique abbé Henri Brémond Aix-en-Provence 1865-Arthez-d'Asson, Pyrénées-Atlantiques, 1933 Académie française, 1923 Pour lire un poème comme il faut, je veux dire poétiquement, il ne suffit pas, et, d'ailleurs, il n'est pas toujours nécessaire, d'en saisir le sens. La Poésie pure Champion abbé Henri Brémond Aix-en-Provence 1865-Arthez-d'Asson, Pyrénées-Atlantiques, 1933 Académie française, 1923 Tout poème doit son caractère proprement poétique à la présence, au rayonnement, à l'action transformante et unifiante d'une réalité mystérieuse, que nous appelons poésie pure. La Poésie pure Champion André Breton Tinchebray, Orne, 1896-Paris 1966 La poésie n'a de rôle à jouer qu'au-delà de la philosophie. Les Pas perdus Gallimard André de Chénier Constantinople 1762-Paris 1794 L'art ne fait que des vers : le cœur seul est poète. Élégies Jean Cocteau Maisons-Laffitte 1889-Milly-la-Forêt 1963 Académie française, 1955 La poésie cesse à l'idée. Toute idée la tue. La Difficulté d'être Éditions du Rocher Jean Cocteau Maisons-Laffitte 1889-Milly-la-Forêt 1963 Académie française, 1955 La poésie est une religion sans espoir. Journal d'un inconnu Grasset René Daumal Boulzicourt, Ardennes, 1908-Paris 1944 Comme la magie, la poésie est noire ou blanche, selon qu'elle sert le sous-humain ou le surhumain. Poésie noire et poésie blanche Gallimard Guillaume de Salluste, seigneur Du Bartas Montfort, près d'Auch, 1544-Condom 1590 Tout art s'apprend par art, la seule poésie Est un pur don céleste. L'Uranie Gustave Flaubert Rouen 1821-Croisset, près de Rouen, 1880 Académie française, 1880 Il y a de par le monde une conjuration générale et permanente contre deux choses, à savoir, la poésie et la liberté ; les gens de goût se chargent d'exterminer l'une, comme les gens d'ordre de poursuivre l'autre. Correspondance, à Louise Colet, 1852 Edmond Haraucourt Bourmont, Haute-Marne, 1856-Paris 1941 Les plus beaux vers sont ceux qu'on n'écrira jamais. Seul Charpentier Victor Hugo Besançon 1802-Paris 1885 […] Oui, brigand, jacobin, malandrin, J'ai disloqué ce grand niais d'alexandrin. Les Contemplations, Quelques Mots à un autre, I, 26 Victor Hugo Besançon 1802-Paris 1885 Mes vers fuiraient, doux et grêles, Vers votre jardin si beau, Si mes vers avaient des ailes Des ailes comme l'oiseau. Les Contemplations, Quelques Mots à un autre, II, 2 Victor Hugo Besançon 1802-Paris 1885 La poésie c'est tout ce qu'il y a d'intime dans tout. Odes et Poésies diverses, Préface Alphonse de Prât de Lamartine Mâcon 1790-Paris 1869 [La Poésie] doit se faire peuple. Les Méditations, préface Isidore Ducasse, dit le comte de Lautréamont Montevideo 1846-Paris 1870 […] La poésie est la géométrie par excellence. Depuis Racine la poésie n'a pas progressé d'un millimètre. Elle a reculé. Grâce à qui ? aux Grandes-Têtes-Molles de notre époque. Poésies, I Commentaire « Lamartine, Hugo, Musset se sont métamorphosés volontairement en femmelettes. Ce sont les Grandes-Têtes-Molles de notre époque. » (Lettre d'Isidore Ducasse au banquier Darasse, 12 mars 1870.) Isidore Ducasse, dit le comte de Lautréamont Montevideo 1846-Paris 1870 Les jugements sur la poésie ont plus de valeur que la poésie. Ils sont la philosophie de la poésie. Poésies, II Isidore Ducasse, dit le comte de Lautréamont Montevideo 1846-Paris 1870 La poésie doit avoir pour but la vérité pratique. Poésies, II Isidore Ducasse, dit le comte de Lautréamont Montevideo 1846-Paris 1870 La poésie doit être faite par tous. Non par un. Poésies, II Michel Leiris Paris 1901-Saint-Hilaire, Essonne, 1990 Toute poésie vraie est inséparable de la Révolution. Brisées Mercure de France Jules Lemaitre Vennecy, Loiret, 1853-Tavers, Loiret, 1914 Académie française, 1895 Notre poésie a toujours trop ressemblé à de la belle prose. Ceux mêmes qui y ont mis le moins de raison en ont encore trop mis. Les Contemporains S.I.L. Michel Eyquem de Montaigne château de Montaigne, aujourd'hui commune de Saint-Michel-de-Montaigne, Dordogne, 1533-château de Montaigne, aujourd'hui commune de Saint-Michel-de-Montaigne, Dordogne, 1592 On peut faire le sot partout ailleurs, mais non en la poésie. Essais, II, 17 Gérard Labrunie, dit Gérard de Nerval Paris 1808-Paris 1855 Le vrai, c'est le faux — du moins en art et en poésie. Les Nuits d'octobre, la Femme mérinos Jean Paulhan Nîmes 1884-Neuilly-sur-Seine 1968 Académie française, 1963 La poésie (et la politique) sont, pour une part, une façon d'utiliser au mieux la folie. Lettre à J. Debû-Bridel André Pieyre de Mandiargues Paris 1909-Paris 1991 La poésie, comme l'art, est inséparable de la merveille. L'Âge de craie Gallimard André Pieyre de Mandiargues Paris 1909-Paris 1991 L'histoire, la révolution, l'amour ne vont à leurs hauts paroxysmes que par la folie de la poésie. Le Troisième Belvédère Gallimard Nicolas Poussin Villers, près des Andelys, 1594-Rome 1665 Les couleurs dans la peinture sont comme des leurres qui persuadent les yeux, comme la beauté des vers dans la poésie. Observations sur la peinture Raymond Radiguet Saint-Maur-des-Fossés 1903-Paris 1923 La poésie tient plus de la précision que du vague. Le Bal du comte d'Orgel Grasset Arthur Rimbaud Charleville 1854-Marseille 1891 La Poésie ne rythmera plus l'action ; elle sera en avant. Correspondance, à Paul Demeny, 15 mai 1871 Charles de Marguetel de Saint-Denis de Saint-Évremond Saint-Denis-le-Gast, Manche, 1613-Londres 1703 La poésie demande un génie particulier, qui ne s'accommode pas trop avec le bon sens. Tantôt, c'est le langage des dieux, tantôt c'est le langage des fous, rarement celui d'un honnête homme. Sur les caractères des tragédies, De la poésie Nathalie Sarraute Ivanovo, Russie, 1900-Paris 1999 La poésie, dans une œuvre, c'est ce qui fait apparaître l'invisible. Tel quel, n° 9 Jules Supervielle Montevideo, Uruguay, 1884-Paris 1960 Faire en sorte que l'ineffable nous devienne familier tout en gardant ses racines fabuleuses. En songeant à un art poétique Gallimard Henri Thomas Anglemont, Vosges, 1912-Paris 1993 Est en dessous du sujet toute critique qui ne participe pas de la poésie même. La Chasse aux trésors Gallimard Paul Valéry Sète 1871-Paris 1945 Bêtise et poésie. Il y a des relations subtiles entre ces deux ordres. L'ordre de la bêtise et celui de la poésie. Calepin d'un poète Gallimard Paul Verlaine Metz 1844-Paris 1896 De la musique avant toute chose, Et pour cela préfère l'Impair, Plus vague et plus soluble dans l'air, Sans rien en lui qui pèse ou qui pose. Jadis et naguère, Art poétique Messein François Marie Arouet, dit Voltaire Paris 1694-Paris 1778 Un mérite de la poésie dont bien des gens ne se doutent pas, c'est qu'elle dit plus que la prose, et en moins de paroles que la prose. Mélanges de philosophie, Des poètes Horace, en latin Quintus Horatius Flaccus Venusia, Apulie, 65-Rome ? 8 avant J.-C. Des vers ne peuvent plaire ni durer longtemps, s'ils ont été écrits par des buveurs d'eau. Nulla placere diu nec vivere carmina possunt, quae scribuntur aquae potoribus… Épîtres, I, XIX, 2-3 Commentaire On a surtout retenu les deux derniers mots, que l'on emploie par dédain ou dérision. Le proverbe était d'origine grecque. On dit en français : les méchants sont buveurs d'eau. Federico García Lorca Fuente Vaqueros 1898-Víznar 1936 La poésie, c'est quelque chose qui marche par les rues. La poesía es algo que anda por las calles. Al habla con F. García Lorca, 1936 Federico García Lorca Fuente Vaqueros 1898-Víznar 1936 Toutes les choses ont leur mystère, et la poésie, c'est le mystère de toutes les choses. Todas las cosas tienen su misterio, y la poesía es el misterio que tienen todas las cosas. Al habla con F. García Lorca, 1936 Thomas Babington Macaulay, baron Macaulay Rothley Temple, Leicestershire, 1800-Campden Hill, Londres, 1859 À mesure qu'avance la civilisation, la poésie, presque nécessairement, décline. As civilisation advances, poetry almost necessarily declines. Literary Essays, Milton Vladimir Vladimirovitch Maïakovski Bagdadi, aujourd'hui Maïakovski, Géorgie, 1893-Moscou 1930 La poésie, c'est comme le radium ; pour en obtenir un gramme, il faut des années d'effort. Entretien sur la poésie avec un inspecteur des finances Léonard de Vinci Vinci, près de Florence, 1452-château de Cloux, aujourd'hui Clos-Lucé, près d'Amboise, 1519 La peinture est poésie muette, la poésie peinture aveugle. La Pittura è una Poesia muta, e la Poesia è una Pittura cieca. Traité de la peinture ● poésie (synonymes) nom féminin (latin poesis, du grec poiêsis, création) Art d'évoquer et de suggérer les sensations, les impressions, les...
Synonymes :
Contraires :
- prose
poésie
n. f.
d1./d Forme d'expression littéraire caractérisée par une utilisation harmonieuse des sons et des rythmes du langage (notam. dans le vers) et par une grande richesse d'images. Poésie lyrique, épique.
d2./d Manière particulière dont un poète, une école pratique cet art; ensemble des oeuvres où cette manière apparaît. La poésie de L.S. Senghor. La poésie classique.
d3./d Poème. Un choix de poésies.
d4./d Caractère poétique (sens I, 2).
⇒POÉSIE, subst. fém.
I. —LITTÉRATURE
A. —1. La poésie. Genre littéraire associé à la versification et soumis à des règles prosodiques particulières, variables selon les cultures et les époques, mais tendant toujours à mettre en valeur le rythme, l'harmonie et les images. Comment la poésie touche à la musique par une prosodie dont les racines plongent plus avant dans l'âme humaine que ne l'indique aucune théorie classique (BAUDEL., Fl. du Mal, 1867, notes, p.376). —Voici de la prose sur l'avenir de la poésie: —Toute poésie antique aboutit à la poésie grecque, Vie harmonieuse. —De la Grèce au mouvement romantique, —moyen âge —il y a des lettrés, des versificateurs. D'Ennius à Théroldus, de Théroldus à Casimir Delavigne, tout est prose rimée, un jeu, un avachissement et gloire d'innombrables générations idiotes: Racine est le pur, le fort, le grand (RIMBAUD, OEuvres, Lettre à Demeny, 1969 [1871], p.345):
• 1. La poésie n'est pas le seul domaine où le symbolisme des sons fasse sentir ses effets, mais c'est une province où le lien entre son et sens, de latent, devient patent, et se manifeste de la manière la plus palpable et la plus intense, comme l'a noté Hymes dans sa stimulante communication. Une accumulation, supérieure à la fréquence moyenne, d'une certaine classe de phonèmes, ou l'assemblage contrastant de deux classes opposées, dans la texture phonique d'un vers, d'une strophe, d'un poème, joue le rôle d'un ,,courant sous-jacent de signification``...
R. JAKOBSON, Essais de ling. gén., trad. par Ruwet, t.1, 1963, p.241.
— [Dont l'ambition est souvent d'ordre ontologique] La poésie, à sa plus haute puissance, est une intuition de l'infini: c'est Dieu aperçu dans la création, l'immuable destination de l'homme présentée au milieu des vicissitudes de l'histoire (OZANAM, Philos. Dante, 1838, p.78). La poésie est l'expression, par le langage humain ramené à son essentiel, du sens mystérieux des aspects de l'existence: elle doue ainsi d'authenticité notre séjour et constitue la seule tâche spirituelle (MALLARMÉ, Corresp., 1884, p.266):
• 2. La poésie se voulut expression d'une souffrance enfermée dans un cercle sans issue: dans le verbe, elle n'espère plus trouver le salut, mais seulement la possibilité de la nuance. Elle s'affirma comme la manifestation la plus haute et la plus pure de la création littéraire: elle entra pour sa part en opposition avec le reste de la littérature et, sans tenir compte d'aucune réserve, d'aucune limite, s'arrogea la liberté de dire tout ce que lui inspiraient une imagination impérieuse, une intériorité élargie aux mesures de l'inconscient et enfin un jeu dans une transcendance qui ne se réfère plus à rien.
H. FRIEDRICH, Struct. de la poés. mod., Paris, Denoël-Gonthier, 1976, p.17.
2. Chacune des espèces du genre traditionnellement distinguées d'après le sujet, le ton, le style. Ma pensée se reporta vers ce qu'il y a de brutal et de sanglant dans la poésie des anciens. Les Grecs ne répugnaient pas à évoquer les scènes les plus atroces (...). La mythologie, la poésie épique, la tragédie sont pleines de sang (VALÉRY, Variété III, 1936, p.238). La vie mondaine des salons portait à la perfection la poésie légère (LEFEBVRE, Révol. fr., 1963, p.83):
• 3. ... les dernières stances Sur la mort ressemblent fort à celles qui terminent les Destins; le ton seul diffère. Ainsi (et c'est sans doute ce qui rend sa poésie lyrique si substantielle), nous voyons M. Sully-Prudhomme tendre de plus en plus vers la poésie philosophique.
LEMAITRE, Contemp., 1885, p.59.
SYNT. Poésie didactique, dramatique, épique; poésie chrétienne (ou sacrée); poésie érotique, lyrique, morale, noble, orphique, profane; poésie badine, burlesque, familière, gnomique, intimiste, macaronique, pastorale.
3. Poésie + épithète postposée [déterminant une école, une époque, une nationalité ou une appartenance à tel poète, en particulier] Émile Verhaeren cherchait à prolonger les résonances de la poésie hugolienne en choisissant comme thème de ses oeuvres l'évolution sociale (Arts et litt., 1936, p.40-1):
• 4. Les formes de poésie médiévales qui ont (...) pénétré jusque dans le petit peuple n'ont pas continué d'être cultivées; ce qui tout récemment encore représentait la littérature était une poésie où le raffinement de la technique comptait davantage que l'élan personnel...
Arts et litt., 1936, p.56-5.
SYNT. Poésie classique, moderne, parnassienne, romantique, surréaliste, symboliste; poésie allemande, anglaise, française, grecque, latine; poésie lamartinienne, shakespearienne.
♦Poésie pure. [Sentiment de la poésie issue de Mallarmé et de Valéry, d'une poésie pure, dénuée de tout élément discursif ou narratif, dans laquelle la fonction poétique serait exclusive de toutes fonctions autres que poétique] Théorie de la poésie pure. J'avoue éprouver un certain plaisir à ce que M. Artaud cherche à me faire passer aussi gratuitement pour un malhonnête homme et à ce que M. Soupault ait le front de me donner pour un voleur. C'est enfin M. Vitrac, véritable souillon des idées —abandonnons-leur la «poésie pure», à lui et à cet autre cancrelat l'abbé Bremond — (BRETON, Manif. Surréal., 2e Manif., 1930, p.107):
• 5. Je dis pure au sens où le physicien parle d'eau pure. Je veux dire que la question se pose de savoir si l'on peut arriver à constituer une de ces oeuvres qui soit pure d'éléments non poétiques. J'ai toujours considéré, et je considère encore, que c'est là un objet impossible à atteindre, et que la poésie est toujours un effort pour se rapprocher de cet état purement idéal. En somme, ce qu'on appelle un poème se compose pratiquement de fragments de poésie pure enchâssés dans la matière d'un discours. Un très beau vers est un élément très pur de poésie.
VALÉRY, OEuvres, t.1, Poés. pure, 1959 [1933], p.1457.
SYNT. Poésie authentique, harmonieuse, sobre; mauvaise poésie; le charme de la poésie; beauté, grandeur, noblesse de la poésie; les richesses de la poésie; avoir du génie pour la poésie; l'enthousiasme, le feu de la poésie; exceller dans la poésie; (amateur) féru de poésie; concours, prix de poésie; renoncer à la poésie; aimer la poésie; mélodie, musicalité des mots, des paroles dans la poésie; exprimer qqc. par la poésie; but de la poésie; la lyre est le symbole de la poésie; scander de la poésie; le domaine de la poésie (est illimité); faire de la poésie; le rythme, le vers, la rime dans la poésie; musique et poésie; poésie et imagination; rêve et poésie.
4. P. méton. Pièce de vers relativement courte. Vers, strophes d'une poésie; dire, réciter une poésie; choix d'une poésie; apprendre par coeur une poésie; recueil de poésies; des poésies fugitives; les poésies inédites d'André Chénier; les poésies de Musset, de Verlaine. Le grand homme du dîner serait Charles Morice, qui de critique est passé poète et lit au dessert des poésies qui, passant par sa voix caverneuse, font tout à fait l'effet de borborygmes (GONCOURT, Journal, 1894, p.605). Me souvenant des poésies de Lautréamont, j'inventais d'inverser les termes du pater (G. BATAILLE, Exp. int., 1943, p.201).
B. —P. méton.
1. [Dans le domaine littér. en gén., compte tenu de ce qui définit essentiellement la poésie] Caractère poétique (de). La poésie du style; la poésie d'un roman. Imaginez un homme qui revient de la chasse et qui répond à un autre qui l'interroge: «J'ai tant tué de petits lapins blancs —que mes souliers sont pleins de sang. —... etc.» Quelle poésie sombre en ces lignes qui sont à peine des vers! (NERVAL, Filles feu, Chans. et lég. du Valois, 1854, p.633). Ce document est un roman, un petit poème. —Un poème qui se déroule dans les couloirs de la chambre, sur les banquettes? —Un poème, parfaitement ! c'est une autre question de savoir si ce livre est un vrai poème; mais je vous assure que s'il manque de poésie, c'est que je suis un maladroit (BARRÈS, Cahiers, t.10, 1914, p.289).
2. [Dans le domaine de l'art, autre que littér., où s'impose l'idée essentielle de création] Poésie du coloris, de la couleur; poésie sonore; quelle poésie dans ce paysage! exécuter (qqc.), rendre avec poésie. Ce mot de poésie qu'il faut bien employer quand il est question de peinture, révèle une indigence de la langue qui a amené une confusion dans les attributions, dans les privilèges de chacun des beaux-arts (DELACROIX, Journal, 1863, p.134). L'atmosphère sonore pénétrante et chaude, la poésie et l'ardeur expressive de toute la partie intermédiaire en mi majeur ne sont pas sans quelque liberté de diction (CORTOT, Ét. piano Chopin, 1917, p.33). Leurs échecs mettent en relief les exceptionnelles difficultés des traductions visuelles et les persévérants efforts qu'il faut fournir pour révéler des danses empreintes d'intelligence, de poésie et de couleur (BOURGAT, Techn. danse, 1959, p.36).
— [Avec un partitif] Trouver de la poésie à (qqc.); dépourvu de (toute) poésie. Aujourd'hui que la poésie est morte et qu'elle n'est plus dans les livres, la mode veut qu'on voie de la poésie partout. Il y a de la poésie! ... est une phrase devenue comme neutre. Elle s'applique à tout (Mode, 1830, II, p.102).
II. —[Dans une accept. métaph.]
A. —[À propos de l'aspect d'une réalité quelconque qui peut avoir un pouvoir supérieur de rayonnement ou éveiller le sentiment poétique] Tout changea lorsque Hitler s'étant retourné contre les alliés communistes, la Résistance se trouva brusquement nimbée de poésie révolutionnaire (AYMÉ, Confort, 1949, p.82).
— (La) poésie de + déterminant + subst. Synon. charme, émotion. Grande poésie des choses banales: faits divers; voyages; (...) ô splendeurs de la vie commune et du train-train ordinaire, à vous cette âme perdue (LARBAUD, Barnabooth, 1913, p.55). Comme elles étaient supérieures à nous, ces filles du peuple (...) voyant plus loin et mieux que nous, et pleines de toute la poésie du vrai, devant quoi nous faisions les dégoûtés (LARBAUD, Barnabooth, 1913, p.240):
• 6. Je peux loyalement affirmer que, dans cette amitié, la chose qui comptait était le goût profond et naturel que Katherine Mansfield partageait avec moi pour la poésie de la nuit, de la pluie...
CARCO, De Montmartre au Quartier latin, 1927, p.195.
♦[D'une manière hypocor.] Souvent nous allions nous promener au cimetière, pour la vue particulièrement belle qu'on y avait; la poésie de cette petite terrasse lui plaisait très fort (JOUVE, Scène capit., 1935, p.226).
♦Au plur., rare. Cependant cet appartement si misérable lui apparut dénué des poësies de l'amour qui embellit tout: il le vit sale et flétri (BALZAC, Bourse, 1832, p.420).
SYNT. Poésie du ciel étoilé, du soir; poésie (intime, paisible, etc.) des champs; poésie des objets (vulgaires); poésie de la mer, de la nature, de la tempête, de la vie, des cimes; s'inspirer de la poésie des choses, des rues (de Paris), des ruines; la poésie de la science moderne, des idées (chez telle personne); paysage (sans mystère et) sans poésie.
B. —[Avec une connotation péj.] Lorsqu'on traite de sujets philosophiques, on doit éviter soigneusement toute espèce de poésie, et ne voir dans les choses que les choses mêmes (J. DE MAISTRE, Soirées St-Pétersb., t.1, 1821, p.302).
— Loc. verb. C'est de la poésie. C'est du rêve, c'est un idéal malheureusement inaccessible; ce sont de fausses imaginations. Et ce n'est pas là ce que tu rêvais (...) tu voulais un gentilhomme dominant l'art, à la tête des sculpteurs (...). Mais c'est de la poésie, vois-tu (BALZAC, Cous. Bette, 1846, p.195). Hélas! C'est de la poésie, cela, bonne mère. Les morts n'existent plus que dans notre mémoire, et nous avons raison de les pleurer (MÉNARD, Rêv. païen, 1876, p.199).
REM. Peinture-poésie, subst. fém. Peinture qui s'impose à l'esprit par sa force créatrice. «Joan Miro: peinture-poésie», par Margit Roweit. Le style est un peu pédant, les hypothèses parfois discutables, mais la tentative curieuse: introduire le lecteur à l'intérieur de l'univers mental de Miro (Le Point, 30 mai 1977, p.31, col. 1).
Prononc. et Orth.:[]. LITTRÉ: ,,Dans la prononciation ordinaire, de deux syllabes``: [pwezi]. V. poème. Ac. 1694-1740: poesie, en vedette, poësie dans le texte; 1762: poësie; dep. 1798: poésie. Étymol. et Hist.A. OEuvre. 1. ca 1370 «pièce de vers» (J. LE FEVRE, Leesce, éd. A. G. van Hamel, 2697: Leurs fables et leurs poësies); 2. 1666 spéc. poésie en prose (A. FURETIÈRE, Roman bourgeois, l. 1 ds Romanciers du XVIIes., éd. A. Adam, p.903: un roman n'est rien qu'une poésie en prose); 3. [XVIIes. poésie fugitive (s. réf. ds Lar. 19e, t.12, p.1237d)] 1769 (DELISLE DE SALES, De la philos. de la nature, t.3, p.373). B. Inspiration. 1. a) déb. XVIes. [et non ca 1350] «ce qui, dans une oeuvre littéraire, suscite une émotion poétique» (Prol. du correcteur, 55 ds G. DE DIGULLEVILLE, Le romant des trois Pelerinages, cité par E. FARAL ds Mél. Roques (M.) 1946, p.99: Comme se le Methamorphose L'en mettoit en langue rural, Ou poesie est toute enclose (cf. GDF. Compl.]); b) av. 1699 p.ext. «ce qui, dans une oeuvre d'art, suscite une émotion poétique» (RACINE, Annotations du Platon ds OEuvres complètes, éd. R. Picard, t.2, p.899: Tous les arts sont poésies); c) 1803 p.ext. «ce qui, dans un être, une chose, une situation, suscite une émotion poétique» (CHATEAUBR., Génie, t.1, p.232: la poésie de la nature); 2. 1694 «puissance créatrice de l'écrivain» (Ac.); 3. 1810 «aptitude d'une personne à ressentir une émotion poétique» (STAËL, Allemagne, t.2, p.114: il y a pourtant de la poésie dans tous les êtres capables d'affections vives). C. Art.1. a) 1372-74 «art de faire des vers» (N. ORESME, Politiques, éd. A. D. Menut, VIII, 13, p.357a: la poësie manifeste ceste chose); b) 1787 haute poésie (MARMONTEL, Elemens de litt., t.IV, p.507, s.v. Noblesse); c) 1857 poésie pure (BAUDELAIRE, Notes nouv. sur E. Poe, chap.IV in fine ds E. POE, OEuvres, trad. par Ch. Baudelaire, Bruxelles, 1944, p.46); 2. 1532 «manière propre à un poète, une école, une époque, un pays de pratiquer cet art» (CL. MAROT, Préf. des poésies de Villon ds OEuvres, éd. P. Jannet, t.4, p.191: les vrayes reigles de françoyse poesie). Empr. au lat. poesis «la poésie; oeuvre poétique, ouvrage en vers», et celui-ci au gr. «création, fabrication; action de composer des oeuvres poétiques; faculté de composer des oeuvres poétiques, art de la poésie, la poésie; oeuvre poétique, poème, poésie; genre poétique», dér. de (v. poème). Fréq. abs. littér.:7388. Fréq. rel. littér.:XIXes.: a) 13415, b) 8184; XXes.: a) 8092, b) 10720. Bbg. BONNEFOY Y.). La Poésie fr. et le principe d'identité. R. d'esthét. 1965, t.18, n° 3/4, pp.335-354. — BUTOR (M.). Le Roman et la poésie. Lettres nouv. 1961, n° 2, pp.53-65. — CEYSSON (P.), IMBERT (J.). La Poésie comme un lang. Paris, Larousse, 1978, 176 p.— CROCE (B.). La Poésie. Paris, P.U.F., 1951, 248 p.— LALOU (E.). Hist. de la poésie fr. Paris, P.U.F., 1961, 126 p.
poésie [pɔezi] n. f.
ÉTYM. 1514; « art de la fiction littéraire… », 1350; lat. poesis, du grec poiêsis « création », spécialt appliquée à la création par le langage.
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1 Art du langage (cit. 1), traditionnellement associé à la versification, visant à exprimer ou à suggérer au moyen de combinaisons verbales où le rythme, l'harmonie et l'image sont essentiels (⇒ Lettres; littérature). || « La poésie est un compromis entre les deux effets de l'expression » (cit. 20, Valéry). || « Victor Hugo a su exprimer (cit. 28) par la poésie le mystère de la vie » (Baudelaire). || But de la poésie (→ Hérésie, cit. 8; et aussi Moral, cit. 4, Baudelaire). || Le domaine (cit. 5, Baudelaire) de la poésie est illimité (→ 1. Idéal, cit. 2, Hugo). || La mélodie (cit. 9), la musique des mots, des paroles dans la poésie. || La poésie et l'émotion (cit. 18), le sentiment. || La poésie et l'inspiration et l'enthousiasme (cit. 6). || « Poésie, harpe (1. Harpe, cit. 6) intérieure » (et → Lyre, cit. 2, Lamartine). || La lyre, symbole de la poésie. || Poésie et imagination (cit. 5; et → Inventer, cit. 6). || Poésie et Vérité : œuvre de Goethe. || Rêve et poésie. || La poésie et l'éloquence (→ Assortir, cit. 3; 2. oratoire, cit. 2). || La diction (cit. 3), mère de la poésie. || Harmonie (cit. 24) oratoire et harmonie de poésie. || Poésie et prose (→ Dictionnaire, cit. 4; harmonie, cit. 25; langage, cit. 14; métrique, cit. 1). || Procédés de langage utilisés en poésie. ⇒ Figure, image, rhétorique; allégorie, symbole, symbolisme…; allitération, assonance. || Le vers, la rime en poésie. ⇒ Mètre, métrique, pied, prosodie, rime, vers, versification. || Le rythme en poésie. ⇒ Cadence, nombre, rythme; enjambement, hiatus, rejet… — La poésie parmi les genres littéraires (→ Drame, cit. 1; essai, cit. 23). || La poésie et les autres arts (→ Forme, cit. 57; imitation, cit. 11; maître, cit. 92). || Aimer, cultiver, goûter (cit. 13) la poésie (→ Amoureux, cit. 11; commerce, cit. 15). || Écrire, faire de la poésie rimée. ⇒ Rimer. || La poésie en tant que métier d'un écrivain (→ Accident, cit. 9; fixe, cit. 10). || Concours de poésie (→ Lauréat, cit. 2). || La poésie et l'éloquence sont parfois rattachées aux beaux-arts. ⇒ Art. || Mauvaise (cit. 5) poésie, médiocrité (cit. 5) en poésie. ⇒ Rimaillerie. || Dire, réciter, scander de la poésie.
1 Vous savez qu'on comprend sous le nom de poésie deux choses très différentes qui, cependant, se lient en un certain point. Poésie, c'est le premier sens du mot, c'est un art particulier fondé sur le langage. Poésie porte aussi un sens plus général, plus répandu, difficile à définir, parce qu'il est plus vague; il désigne un certain état, état qui est à la fois réceptif et productif (…)
Valéry, Variété, in Œ., Pl., t. I, p. 1387.
2 Ce bonhomme (Malherbe) comparait la prose au marcher ordinaire, et la poésie à la danse (…)
Th. de Racan, Lettre à Chapelain, in Lettres choisies du xviie s., p. 23.
3 (…) la poésie doit être le miroir terrestre de la Divinité, et réfléchir, par les couleurs, les sons et les rythmes, toutes les beautés de l'univers.
Mme de Staël, De l'Allemagne, II, XIII.
4 Comment faire comprendre à une masse ignorante qu'il y a une poésie indépendante d'une idée, et qui ne gît que dans les mots, dans une musique verbale, dans une succession de consonnes et de voyelles; puis, qu'il y a aussi une poésie d'idées, qui peut se passer de ce qui constitue la poésie des mots.
Balzac, Des artistes, III, in Œ. diverses, t. I, p. 358.
5 La poésie n'est pas la tempête, pas plus que le cyclone. C'est un fleuve majestueux et fertile.
Lautréamont, Poésies, Préface à un livre futur, I.
6 Observez (…) les effets de la poésie en vous-mêmes. Vous trouverez qu'à chaque vers, la signification qui se produit en vous, loin de détruire la forme musicale qui vous a été communiquée, redemande cette forme. Le pendule vivant qui est descendu du son vers le sens tend à remonter vers son point de départ sensible (…) Ainsi, entre la forme et le fond (…) se manifeste (…) une égalité d'importance, de valeur et de pouvoir (…) qui s'oppose à la loi de la prose — laquelle décrète l'inégalité des deux constituants du langage.
Valéry, Variété, in Œ., Pl., t. I, p. 1332.
7 Une bonne définition de la poésie ? Je n'en vois plus d'autre valable, que celle-ci : la poésie consiste à passer à la ligne avant la fin d'une phrase.
Gide, Attendu que…, p. 167.
8 Personne n'a mieux dit (que Mallarmé) que la poésie est une tentative incantatoire pour suggérer l'être dans et par la disparition vibratoire du mot : en renchérissant sur son impuissance verbale, en rendant les mots fous, le poète nous fait soupçonner par delà ce tohu-bohu qui s'annule de lui-même d'énormes densités silencieuses; puisque nous ne pouvons pas nous taire, il faut faire du silence avec le langage. De Mallarmé aux Surréalistes, le but profond de la poésie française me paraît avoir été cette autodestruction du langage.
Sartre, Situations III, p. 247.
9 « La poésie, dira Fargue, ce sont des mots qui se brûlent ». Mais il lui suffit qu'ils grésillent; le surréaliste veut qu'ils tombent en cendres. Et Bataille définira la poésie « un holocauste des mots ».
Sartre, Situations I, p. 209.
♦ Distinction traditionnelle des genres (cit. 14) de poésie. ⇒ Poème. || Poésie lyrique (cit. 1 à 4. ⇒ Lyrisme), mélique, épique (cit. 1), dramatique (cit. 1), didactique, gnomique, satirique, fugitive (→ Monopoliser, cit. 2), légère (cit. 30), descriptive, pastorale… || Poésie sacrée, profane. || Poésie élevée, haute poésie (1798), ou grande poésie, dont les thèmes sont considérés comme liés à un domaine élevé de la pensée. || Poésie burlesque, macaronique, familière.
10 L'esprit de société est cependant très favorable à la poésie de la grâce et de la gaieté, dont l'Arioste, La Fontaine, Voltaire, sont les plus brillants modèles. La poésie dramatique est admirable dans nos premiers écrivains; la poésie descriptive, et surtout la poésie didactique, ont été portées chez les Français à un très haut degré de perfection; mais il ne paraît pas qu'ils soient appelés jusqu'à présent à se distinguer dans la poésie lyrique ou épique (…)
Mme de Staël, De l'Allemagne, II, X.
♦ (1857, Baudelaire). || La poésie pure : la poésie qui ne serait que poésie, purifiée de tout élément étranger (narratif, discursif, etc.). || La Poésie pure, ouvrage de l'abbé Brémond.
11 (…) toute âme éprise de poésie pure me comprendra quand je dirai que parmi notre race antipoétique, Victor Hugo serait moins admiré s'il était parfait, et qu'il n'a pu se faire pardonner tout son génie lyrique qu'en introduisant de force et brutalement dans sa poésie ce qu'Edgar Poe considérait comme l'hérésie moderne capitale, — l'enseignement.
Baudelaire, Notes nouvelles sur E. Poe, IV.
2 (1549). Qualifié. Manière propre à un poète, une école, un pays, une époque… de pratiquer cet art; l'ensemble des œuvres où se reconnaît cette manière. ⇒ Chant. || La poésie profonde et plaintive de Poe (→ Œuvre, cit. 25). || Poésie savante, populaire (→ Folklorique, cit.). — Poésie antique; alexandrine, anacréontique… || Poésie classique (cit. 3) et poésie romantique (→ Latin, cit. 6). || Poésie médiévale, courtoise, des rhétoriqueurs… || Poésie baroque, post-classique, parnassienne, symboliste, dadaïste, surréaliste… || La poésie grecque, française, anglaise, allemande… || Ronsard a voulu enhardir notre poésie (→ Dénouer, cit. 7; épode, cit.). || Poésie ancienne et moderne (→ Famille, cit. 11; illustration, cit. 9).
12 La poésie de Baudelaire, c'est la poésie de Sainte-Beuve plus la poésie. Je veux dire la matière de cette poésie plus le rayon et le génie de la poésie pure, aliment de lumière, réservé aux dieux, et auquel Sainte-Beuve n'a pas goûté.
A. Thibaudet, Hist. de la littérature franç…, p. 321-322.
3 (Déb. XVe). Poème. REM. Le mot poème est plus général, s'appliquant à des œuvres plus ou moins longues, tandis que poésie, en ce sens, ne se dit que d'œuvres de faible étendue; poésie est plus courant dans l'usage familier, par ex. scolaire (réciter une poésie; tu as appris ta poésie ?). — Les poésies d'un écrivain (→ Exquisement, cit. 1; humer, cit. 10). || Premières poésies. || Poésies nouvelles (Musset). || Les poésies ossianiques (cit. 1). || La plus belle poésie ne gagne (cit. 23) rien à être mise en musique. || Les vieilles poésies françaises (→ Floral, cit.). || Choix de poésies. ⇒ Anthologie. || Vers, strophes d'une poésie.
4 (XVIIe). Propriétés et qualités essentielles à cet art, indépendantes d'une forme particulière, qui peuvent se manifester dans toute œuvre littéraire, et, par ext., dans toute œuvre d'art. ⇒ Poétique. || La poésie de l'Écriture (→ Aspect, cit. 16), des Dialogues (cit. 6) de Platon, de certaines pages de Pascal, de Chateaubriand… — Par plais. || Savourer la poésie du Code de Procédure (→ Inoculer, cit. 5, Flaubert). — Tableau, andante plein de poésie. || Quelle poésie dans cette admirable décoration ! (→ Illusion, cit. 6). || Se nourrir (cit. 38) de poésie écrite et peinte.
13 Voilà les scènes qu'il faut savoir imaginer, quand on se mêle d'être un paysagiste (…) Il s'agit bien de montrer ici un homme qui passe; là, un pâtre qui conduit ses bestiaux, ailleurs, un voyageur qui se repose (…) Qu'est-ce que cela signifie ? Quelle sensation cela peut-il exciter en moi ? Quel esprit, quelle poésie y a-t-il là-dedans ?
Diderot, Salon de 1767, Loutherbourg.
14 L'esprit du lecteur (de Michelet) se trouble; il voit les faits se changer en idées et les idées en faits; tout se fond et se confond à ses yeux en une poésie vague qui berce son imagination par le chant des phrases harmonieuses (…)
Taine, Essais de critique et d'histoire, Michelet, I.
5 En Belgique, Une des classes de la deuxième année du « secondaire supérieur », succédant à la syntaxe et précédant la rhétorique (équivalant à la première classique).
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II
1 (1765). Propriété attribuée à certaines choses ou certains êtres, en certaines occasions, d'éveiller l'état poétique. ⇒ Beauté, charme, émotion. || La poésie des couleurs (cit. 2). || La poésie d'un coucher de soleil, des ruines… || Là règne la misère (cit. 11) sans poésie (→ Masure, cit. 2). || Trouver en un lieu de l'harmonie, de la poésie (→ Apporter, cit. 14). || La poésie des ports, des départs. || « Il y a dans la science une sombre et inquiétante poésie » (→ Idée, cit. 16). || La poésie de l'ordre (cit. 27). || « L'honneur (cit. 33) c'est la poésie du devoir » (Vigny). || Une auréole de poésie.
15 (…) Ces mêmes gens qui disent « poésie des lacs » etc., détestent fort toute cette poésie, toute espèce de nature, toute espèce de lac, si ce n'est leur pot de chambre qu'ils prennent pour un océan.
Flaubert, Correspondance, 401, 20 juin 1853.
16 Je sais qu'il y a de la poésie dans ce gratte-ciel. Tout le monde admire l'arrivée à New York.
Valéry, Variété, in Œ., Pl., t. I, p. 1386.
2 (1810). Dans quelques constructions. Aptitude d'une personne à éprouver l'état poétique, à enrichir sa vie d'émotions poétiques (→ Flétrir, cit. 13; fondre, cit. 6). || Des âmes sans poésie. ⇒ Prosaïque. || Il manque vraiment de poésie !
17 Le don de révéler par la parole ce qu'on ressent au fond du cœur est très rare; il y a pourtant de la poésie dans tous les êtres capables d'affections vives et profondes; l'expression manque à ceux qui ne sont pas exercés à la trouver.
Mme de Staël, De l'Allemagne, II, X.
18 Si être poète, c'est avoir l'habitude d'un certain mécanisme de langage, ils seraient excusables. Mais, si l'on entend par poésie cette faculté qu'a l'âme d'être touchée d'une certaine façon, de rendre un son d'une nature particulière et indéfinissable en face des beautés des choses, celui qui n'est pas poète n'est pas homme, et renoncer à ce titre, c'est abdiquer volontairement la dignité de sa nature.
Renan, l'Avenir de la science, Œ., compl., t. III, p. 739.
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CONTR. Prose. — Prosaïsme. — Antipoésie.
COMP. Antipoésie.
Encyclopédie Universelle. 2012.