DIASPORA
DIASPORA
À la différence du mot hébreu galout («exil»), qui se rattache à la nostalgie des origines, à la théologie du retour, aux thèses sionistes, le terme grec diaspora renvoie objectivement au phénomène historique de la dispersion des juifs à travers le monde. On s’accorde le plus souvent à distinguer deux phases dans la Diaspora: la première répond à une volonté d’essaimage des communautés, la seconde obéit à la nécessité de fuir les persécutions qui, du Moyen Âge à l’avènement du national-socialisme en Allemagne, ont cruellement frappé les juifs.
Avant l’ère chrétienne, le peuple juif avait connu deux déportations : celle de \DIASPORA 722 marquait la fin du royaume d’Israël; celle de \DIASPORA 586 a eu pour conséquence la destruction du premier Temple de Jérusalem. Toutes deux n’ont pas manqué d’enraciner dans la mentalité populaire l’esprit messianique du grand retour, favorisant en quelque sorte le sentiment que l’exil est l’épreuve par laquelle il faut passer pour toucher un jour à la Terre promise.
Après la conquête d’Alexandrie, alors que la Judée fait désormais partie du monde hellénistique, les juifs commencent à se répandre dans les régions soumises aux Ptolémées et aux Séleucides, dont ils sont les sujets. Aux communautés établies depuis longtemps en Égypte et en Babylonie s’ajoutent alors celles de Syrie, d’Asie Mineure, des îles grecques.
Au IIe siècle avant l’ère chrétienne, les Hasmonéens nouent des relations diplomatiques avec Rome et y fondent des communautés juives, dont le nombre ira grandissant dans l’Empire, qu’elles soient fixes ou sporadiques. Aussi Strabon peut-il écrire, vers le Ier siècle: «On ne trouverait pas facilement un endroit sur la terre habitée qui n’ait donné asile à ce peuple, et dont il ne soit maître.» Et, dans une lettre à Caligula, Agrippa II déclare: «Jérusalem est la métropole non seulement du pays de Judée mais de beaucoup d’autres, en raison des colonies qu’elle a envoyées, selon les occasions, dans les pays voisins, en Égypte, en Phénicie, en beaucoup de parties de l’Asie, jusqu’en Bithynie [...], également en Europe, en Thessalie, en Béotie, en Macédoine.»
Josy Eisenberg, auteur d’Une histoire du peuple juif , voit un rapport évident entre la première Diaspora et la scène rapportée dans les Actes des Apôtres, où les disciples du Christ parlent, comme par miracle, les langues qui leur permettent de se faire entendre des «Parthes, Mèdes, Élamites, habitants de Mésopotamie, de Judée, de Cappadoce, d’Égypte, juifs et prosélytes, Crétois, Arabes...» réunis à Jérusalem pour la Pentecôte. Il s’agit de pèlerins juifs venus des pays où ils se sont implantés. Constituant en effet de 7 à 10 p. 100 de la population de l’Empire, soit quelque 6 millions, la Diaspora est numériquement plus importante que les habitants de la Judée.
Parmi les causes d’une aussi étonnante dispersion, il faut compter les guerres. Les premières avaient transplanté en Égypte et en Asie Mineure des groupes de colons; le conflit de 66-73 jeta sur les marchés d’esclaves des milliers de juifs qui, par rachat ou émancipation, formeront de nouvelles communautés. La forte natalité (ne pas avoir d’enfants, c’est diminuer l’image de Dieu) et les difficultés économiques favorisèrent à leur tour une émigration où se mêlait aussi un souci de prosélytisme, encouragé par l’attrait que le monothéisme exerçait sur les masses et sur l’aristocratie. Mais il se peut, surtout, que de telles conditions aient coïncidé opportunément avec le dynamisme d’un marché en pleine expansion. Josy Eisenberg souligne justement: «Pour un marchand, être ou devenir juif, c’est l’assurance d’établir aisément des relations d’affaires dans de nombreux pays, d’y bénéficier d’un accueil chaleureux et d’une large hospitalité. Pour les pauvres, l’appartenance au judaïsme pouvait représenter la garantie d’une assistance et de secours réguliers [...]. Il y a à Alexandrie des armateurs, des banquiers, de grosses fortunes juives. Mais, à considérer l’ensemble de l’Empire, la population juive comporte une majorité de petites gens; les esclaves y sont nombreux. À Rome, ni le quartier de Trastevere, ni celui de la Porte Capène ou de Suburre ne sauraient passer pour distingués. Ce que l’on reproche le plus souvent aux juifs, ce n’est pas d’être cousus d’or, mais bien plutôt d’être loqueteux et sordides.» Une population pauvre et une société aisée séduite par l’élitisme intellectuel du judaïsme, tel est le milieu qu’embrasera la doctrine chrétienne. Le terrain était tout préparé. «Même dans les masses, note Flavius Josèphe, il y a depuis longtemps un vif désir de notre religion; et il n’est pas une seule ville grecque ou barbare où n’ait pénétré la pratique du septième jour pendant lequel on se repose, et où l’on n’observe les jeûnes et les usages des lumières, et beaucoup de nos prescriptions alimentaires.» La désacralisation des religions polythéistes prêtait un principe d’espérance à une foi qui s’adressait au cœur autant qu’à l’esprit, à une alliance raisonnable du mystère et de l’intelligence. Dans le succès remporté par le monothéisme juif, le christianisme apparaît comme un schisme où la part d’hellénisme l’emporte sur l’extrême complexité du rituel juif. En reniant sa judaïté, le christianisme récupère l’antisémitisme déjà attesté dans l’Empire romain.
Horace s’irrite de voir son ami Fuscus observer le sabbat et refuser de «faire la nique aux juifs circoncis». Pour Pline l’Ancien, «les juifs sont une nation célèbre pour son mépris des divinités». Selon Philostrate, «ce peuple s’était depuis longtemps insurgé non seulement contre les Romains, mais aussi contre le genre humain tout entier». Et, lorsque Tacite les dit «moins convaincus d’avoir incendié Rome que de haïr le genre humain», on peut penser que, dans la confusion qui les assimilait à des judaïsants, les chrétiens se glorifièrent d’avoir connu le martyre pour le premier crime et martyrisèrent les juifs pour le second.
Car la Diaspora qui se développe dans l’histoire du christianisme triomphant tient seulement à la violence des persécutions et au rejet des communautés juives qui avaient résisté à la volonté de conversion chrétienne. Les sociétés qui les toléraient le faisaient par intérêt; encore un tel intérêt n’était-il consenti que par la petite caste qui en bénéficiait au premier chef et n’empêchait-il les vexations et les massacres que par souci de protéger le commerce.
Les juifs furent d’abord expulsés d’Angleterre (1290), où l’accusation de crime rituel est employée pour la première fois. La France les chassa en 1394, l’Espagne en 1492, le Portugal en 1496. La grande persécution d’Espagne redessina la carte de l’implantation juive dans le monde. Les exilés partent vers l’est de l’Europe, la Pologne et l’Empire ottoman, tous pays alors en voie de développement. Après 1581, lors de l’indépendance des Provinces-Unies, beaucoup trouvèrent refuge à Amsterdam. Fidèles à la tradition judéo-espagnole, les Sephardim (de Sepharad , qui, en hébreu médiéval et moderne, désigne l’Espagne) fondent de nouvelles communautés en Turquie, en Palestine, en Égypte, au Maghreb. En Pologne, le roi Sigismond Auguste promulgue, en 1551, une «grande charte» qui garantit l’autonomie des juifs. Parmi ceux que l’on appellera Ashkénazes se développe le yiddish, véritable langue issue du jargon des juifs allemands. Pourtant, l’hostilité s’accroît et aboutit à un massacre perpétré par les Cosaques d’Ukraine en révolte contre le pouvoir polonais et qui, de 1648 à 1658, fera plus de 100 000 victimes. Tandis que l’antisémitisme renaît au XIXe siècle, le courant sioniste réclame la création d’un État juif qui constitue un centre de régénération de la Diaspora. La multiplication des pogroms en Russie précipite, entre 1880 et 1920, l’émigration des juifs aux États-Unis. Le mouvement s’accentuera avec la politique d’extermination entreprise par l’Allemagne nazie.
Depuis 1945, la Diaspora a changé de configuration. Les vieilles communautés du Maghreb ont presque disparu. L’indépendance de la Tunisie et de l’Algérie a fait refluer vers la France 300 000 juifs du Bassin méditerranéen. L’existence d’Israël n’a pas remis en cause l’intégration des communautés, désormais concentrées dans six pays où vivent, en 1990, environ 90 p. 100 des 19,7 millions de juifs du monde: États-Unis (près de 6 millions), pays de l’ex-U.R.S.S. (2,2 millions), Israël (plus de 4 millions), France (approximativement 550 000), Grande-Bretagne (450 000), Argentine (528 000).
diaspora [ djaspɔra ] n. f.
• 1909; mot gr. « dispersion »
♦ Hist. relig. Dispersion à travers le monde antique des Juifs exilés de leur pays. — Par ext. (1949) Dispersion (d'une communauté) à travers le monde; ensemble des membres dispersés. Les diasporas arménienne, libanaise, chinoise.
● diaspora nom féminin (grec diaspora, dispersion) (avec une majuscule) Dispersion hors de Palestine des juifs exilés ; ensemble des communautés juives dispersées à travers le monde. (La Diaspora a commencé lors de l'Exil, au VIe s. avant J.-C. elle s'est accentuée après la deuxième destruction du Temple en 70 après J.-C. Dispersion d'un peuple, d'une ethnie à travers le monde : La diaspora arménienne.
diaspora
n. f.
d1./d HIST Dispersion des Juifs, au cours des siècles, hors du territoire de leurs ancêtres.
— Par ext. Dispersion d'une ethnie quelconque.
d2./d Ensemble des membres d'une ethnie, d'une communauté dispersée. La diaspora noire.
⇒DIASPORA, subst. fém.
A.— HIST. Dispersion des Juifs à travers le monde à la suite des persécutions de l'Antiquité. Les Juifs, (...) sont en train de perdre cette moralité interne, (...) qui les avait préservés, pendant la diaspora (BLOCH, Dest. S., 1931, p. 271).
— P. méton. Communautés juives dispersées à travers le monde :
• Tyr et Damas se remplissaient de Juifs, et rivalisaient presque, pour l'importance de leur diaspora, avec Antioche et Alexandrie.
RENAN, Hist. du peuple d'Israël, t. 4, 1892, p. 215.
B.— P. ext. État de dispersion d'un peuple, d'une communauté. Une sorte de diaspora chrétienne, une chrétienté non pas groupée et rassemblée en un corps de civilisation homogène, mais répandue sur toute la surface du globe (MARITAIN, Human. intégr., 1936, p. 271).
Rem. On rencontre ds la docum. l'adj. au sens métaph. diasporique « qui tient de la dispersion ». La réflexion est un phénomène diasporique (SARTRE, Être et Néant, 1943, p. 201).
Étymol. et Hist. 1929 relig. (Lar. 20e.) Empr. au gr. proprement « dispersion » attesté dans les Septante pour désigner la situation des communautés juives installées hors de Palestine et ces communautés elles-mêmes (LIDDELL-SCOTT; v. aussi Catholicisme, s.v. dispersion). Fréq. abs. littér. :4.
diaspora [djaspɔʀa] n. f.
ÉTYM. 1909; du mot grec « dispersion », de diasperein « disséminer ». → Diaspore.
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1 Hist. relig. Dispersion à travers le monde antique des Juifs exilés de leur pays. — (Mil. XXe; attesté 1968). Par ext. Dispersion (d'une ethnie). || La diaspora tchèque, arabe, basque, chinoise.
2 Ensemble des membres dispersés d'une ethnie. || La diaspora juive. || La diaspora arménienne, chinoise, tzigane. || « Quand ils n'ont pas adopté le mode de vie britannique, les Indiens, hindous ou musulmans, comme les juifs de la Diaspora, cultivent jalousement leurs traditions familiales et religieuses » (le Nouvel Obs., 4 sept. 1972, p. 27).
Encyclopédie Universelle. 2012.