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MONNAIE
MONNAIE

L’étymologie et la linguistique suffisent à rendre quelque peu mystérieuses l’origine et la signification du mot «monnaie». Le terme français provient de ce que la monnaie romaine était frappée dans le temple de Juno Moneta (de monere : l’avertisseuse?), au Capitole, et portait parfois cette épithète sous l’effigie de la déesse. Mais les Romains eux-mêmes employaient les mots nomisma (du grec 益礼猪晴靖猪見, ce qui est consacré par la loi), nummus (du grec 益礼羽猪猪礼﨟, désignant une monnaie de Tarente) et aussi pecunia (de pecus , troupeau); ce dernier terme, comme le sanscrit rupa (roupie) et le germain feo , vieh (cf. anglais fee , salaire), rappelait l’époque où toute propriété était évaluée en têtes de bétail (capita , têtes, a donné «capital»); ainsi l’hébreu keseph désigne-t-il à la fois le mouton et l’argent, gemel à la fois le chameau et le salaire. Quant aux langues modernes, elles font référence à des métaux (l’allemand Geld , argent), mais aussi à toute espèce en circulation (l’anglais currency ) ou encore à l’ancienne unité romaine, le denier (denarius , dix as), qui a donné denaro en italien, dinero en espagnol, dinar (bulgare, serbe, arabe) sur tout le pourtour de l’Empire latin.

Ces sources diverses, par leur variété même, font comprendre ce qu’est d’abord la monnaie: tout instrument d’échange économique, qu’il soit incarné dans le cheptel, représenté par un métal conventionnel ou simplement fondé sur une domination étatique. Denrée et marchandise utile, ou monnaie symbole, la monnaie fut ainsi soumise, dès son origine, à l’ambiguïté dénotée par Aristote: «Parfois la monnaie semble être une pure futilité [...] et, aussi loin qu’aille sa nature, un pur rien, car si ceux qui s’en servent abandonnent une monnaie pour une autre, elle devient sans valeur et sans utilité pour les nécessités de la vie.»

Cette constatation, déjà valable à une époque où la valeur de la monnaie semblait cependant gagée par la rareté ou la difficulté d’extraction du métal qui la matérialisait, a renforcé sa vigueur à partir du XVIIe siècle, où est apparu en Occident le papier-monnaie: la valeur de ce dernier fut garantie tour à tour par un stock monétaire et une libre convertibilité en métal au choix du porteur, puis par l’existence de biens fonciers (assignats), enfin par la simple parole de l’autorité émettrice (cours forcé). De nos jours, l’ambiguïté n’est pas complètement levée: les États-Unis d’Amérique, artisans historiques de la «démonétisation» de l’or, sont en même temps le pays qui préserve le principal stock mondial du métal demeuré, de quelque manière, «précieux».

Mesure théoriquement impartiale de la valeur des échanges économiques, la monnaie, par là même, se dévalue, s’érode, plus rarement se réévalue, en fonction des évolutions économiques et politiques. C’est dire que sa valeur n’est pas seulement déterminée par l’acte arbitraire de l’autorité qui l’a émise et la garantit. Le pouvoir a toujours vu dans l’acte de battre monnaie, ou de posséder le privilège d’émission, l’une de ses prérogatives fondamentales; mais en fixant la valeur d’un morceau d’or, d’argent, de cuivre ou de papier, et surtout le rapport de ces valeurs entre elles, il a toujours avoué que les principes monétaires n’obéissaient point à des règles objectives, et pouvaient par conséquent échapper à leurs auteurs. Après vingt-huit siècles d’activité monétaire, en Orient et en Occident, l’actualité tend à prouver, des querelles théoriques des économistes aux difficultés pratiques des gouvernements, que l’outil humain le plus simple par son abstraction demeure le plus rebelle.

La monnaie se présente aujourd’hui à l’homme de la rue sous trois formes différentes: des pièces de métal, ayant cours légal, c’est-à-dire pouvant être imposées en paiement de tout achat ou en règlement de toute dette; puis des billets de banque ayant aussi cours légal, qui sont parfois convertibles en métal, mais bénéficient très souvent aussi du cours forcé, ce qui signifie que la banque qui les a émis est dispensée de les rembourser en métal; il existe une troisième catégorie moins connue: les unités économiques, constatant qu’elles peuvent faire leurs règlements en tirant des chèques sur des banques où elles ont fait antérieurement des dépôts à vue, comptent comme des avoirs monétaires le montant des comptes courants que les banques leur ont ouverts. Il y a donc trois séries d’instruments monétaires: la monnaie métallique, la monnaie «fiduciaire» (billets de banque), la monnaie «scripturale» (comptes courants en banque).

Pour expliquer les principaux phénomènes intéressant ces divers instruments, une théorie a été récemment élaborée, assez différente de celle qui avait cours au XIXe siècle. D’autre part, il a fallu poser les principes d’une politique tendant à ce que les émissions de monnaie non seulement ne troublent pas le fonctionnement de l’économie, mais aussi facilitent la croissance de celle-ci. Il conviendra d’examiner séparément ces deux aspects, l’un théorique, l’autre politique, des principales idées concernant la monnaie.

1. Histoire de la monnaie

Les instruments monétaires avant la monnaie

On a cru longtemps – après Aristote, Nicolas Oresme (Traité des monnaies , 1370), Guillaume Budé – que la monnaie, sous forme métallique, avait peu à peu remplacé le simple troc, et cela à une date assez récente (VIIIe-VIIe s. av. J.-C.). L’ethnologie et l’archéologie ont prouvé que les choses s’étaient passées de façon quelque peu différente: le troc proprement dit est une vue de l’esprit, car le transfert de propriété dans les sociétés dites primitives, loin d’être un acte simple, est au contraire entouré de formalités complexes, liées à la magie. Ainsi l’idée de bœuf-monnaie (monnaie de sang) a-t-elle succédé à l’idée de bœuf de sacrifice, cette dernière étant elle-même liée à la valeur intrinsèque de l’animal dans une civilisation pastorale: c’est encore en bœufs que s’évalue la dot des filles dans certaines régions d’Afrique orientale.

Quant à la monnaie métallique, ses formes sont aussi anciennes que l’histoire: le code d’Hammurapi (vers 1760 av. J.-C.) évalue des gages en poids d’argent; cependant, un sicle d’argent (16,82 g) valait idéalement le prix d’un porc, deux porcs valaient un mouton, et banquiers et marchands prêtaient indifféremment en argent ou en orge; on doit donc admettre que la «monnaie» n’existait pas comme telle dans l’économie mésopotamienne, bien que celle-ci utilisât des lingots d’or, d’argent et de bronze. On a trouvé à Mohenjo Daro, dans la vallée de l’Indus, des barres de cuivre oblongues, revêtues d’empreintes que l’on peut dater du début du IIIe millénaire avant J.-C. Des lingots de fer ont servi aux Hittites au IIe millénaire et aux Doriens au XIIe siècle, des saumons de plomb au roi assyrien Sennachérib vers 700 avant J.-C.

En même temps que cette «monnaie» de blocs bruts, à peine marquée d’un signe, existait une «monnaie» faite d’objets manufacturés: disques, anneaux, haches, fers de lance, marmites et chaudrons. Ainsi a-t-on découvert à Argos des broches réunies en faisceaux, en Égypte des anneaux épais, en Chine des rasoirs (dont l’anneau a donné naissance à la sapèque), des couteaux, des houes; dans L’Iliade , Achille offre en prix, aux funérailles de Patrocle, des haches à double tranchant. Mais le symbolisme n’était pas pour autant ignoré; plaques de bronze imitant des peaux de bêtes à Mycènes, ou fondues en forme de vêtements en Chine.

Quoi qu’il en soit, pendant des siècles, l’Égypte ancienne, les Juifs, l’Assyrie, malgré l’abondance et la variété de leur activité économique et commerciale, se passèrent de monnaie au sens strict du terme.

La monnaie antique

Asie Mineure

La tradition et les trouvailles archéologiques s’accordent à faire naître la monnaie en Anatolie, au début du VIIe siècle. Pays légendaire de Gygès et de Crésus, où coule le Pactole, la Lydie vit apparaître, sous Gygès, des pièces d’electrum (alliage naturel d’or et d’argent, de couleur ambrée: 兀凞﨎精福礼益) avec protomé de lion à l’avers, et au revers la marque du poinçon, dans le système sexagésimal mésopotamien. À dire vrai, ces pièces sont plutôt des pastilles de forme irrégulière et rappelleraient encore de petits lingots. Au même moment (vers 680), les cités côtières marchandes – Milet, Éphèse, Phocée – frappaient des monnaies «privées». C’est Crésus qui, le premier, frappa double monnayage, or et argent, dans des pièces plus pures et plus légères (vers 550), les créséides qui firent sa réputation. Plus tard, toujours en Asie Mineure, l’Empire perse frappa, sous Darius, la darique (vers 510), égale à un sicle babylonien et réservée aux échanges avec l’étranger; mais à l’intérieur, les échanges se faisaient en nature, et l’emploi de termes monétaires dans les documents n’était toujours qu’un procédé de compte, sans réalité économique. Ces dariques, portant l’emblème de l’archer royal, furent frappées jusqu’à la conquête d’Alexandre; les satrapes, à leur tour, usurpant le droit de monnayage, frappèrent monnaie à leur propre effigie (vers 400).

Grèce

Les noms sous lesquels sont désignées les monnaies grecques sont des noms de poids: talent, mine, sicle. Mais l’existence de deux systèmes de référence rendait les équivalences assez difficiles à calculer: l’un de ces systèmes, originaire d’Argos et d’Égine, prévalut dans le Péloponnèse; l’autre en Attique et Eubée.

En fait, Rhodes, Milet, Corinthe, grandes places commerciales, frappèrent elles aussi leur monnaie, d’après des étalons originaux. La complexité des comptes était donc extrême et, dans les réunions panhelléniques de Delphes ou d’Olympie, la présence de changeurs (trapézites) indispensable.

Chacune de ces monnaies portait d’abord un type fixe, servant de blason à la cité émettrice: phoque à Phocée, taureau à Samos, cerf ou abeille à Éphèse, lion à Milet, chouette à Athènes. Mais comme, du VIIe au IIIe siècle avant notre ère, près de 1 400 villes et 500 chefs d’État battirent monnaie, ces types sont en fait très variés et reflètent l’évolution politique d’une cité. Ainsi, à Athènes, les types monétaires firent apparaître les vicissitudes de la lutte entre tyrans et aristocrates, puis entre ces derniers et Clisthène. Après la victoire sur les Perses, Athènes donna enfin une base monétaire à sa prépondérance: la chouette de son tétradrachme d’argent se répandit dans tout le bassin méditerranéen de 476 à 413, le monnayage des alliés étant suspendu. Ce n’est que dans les périodes de crise (407, 295) qu’Athènes frappa des monnaies d’or: l’impossibilité de recourir aux mines du Laurion imposait la fonte du trésor et des statues. Quant aux pièces de bronze, elles n’eurent qu’une durée éphémère.

En dehors d’Athènes, c’est la Grande-Grèce (Sicile et Italie du Sud) qui frappa les monnaies les plus belles et les plus variées: dauphin de Tarente, coq d’Himère, faucille de Zancle (Messine) et surtout la figure féminine du tétradrachme de Syracuse.

Au-delà des régions helléniques, leur monnaie s’imposait encore: les pièces de Carthage ou de Marseille imitèrent celles de Syracuse, les pièces de Rosas (Espagne) celles de Rhodes avec la rose pour emblème commun. Dès le IVe siècle, les Gaulois copiaient sans scrupules les statères d’or de Philippe de Macédoine.

C’est après la mort d’Alexandre, fils de Philippe, que se répandit le portrait monétaire, inspiré de la Perse conquise: dans toutes les monarchies hellénistiques, le visage des souverains permit de caractériser les monnaies d’or en général, plus rarement d’argent (Phénicie, Macédoine).

Rome

La première monnaie romaine – d’origine étrusque – était en bronze et assez grossière, sous forme de plaques rectangulaires (un peu analogues à celles que l’on avait vues dans le bassin oriental de la Méditerranée, cinq siècles plus tôt), et portait l’image d’un bœuf, ou divers symboles religieux, aes signatum . C’est la loi des Douze Tables (450 av. J.-C.) qui substitua définitivement, dans les transactions, cette monnaie au bétail. Aux alentours de l’an 300, de véritables pièces furent frappées, pesant une livre (275 g) et d’une valeur d’un as, divisé en douze onces. Mais les guerres réduisirent vite le poids de ces pièces: en 217, l’as ne pesait plus qu’une once; entre-temps, pendant les guerres contre Pyrrhus (279-269), Rome était entrée en contact avec les cités grecques et leur monnaie d’argent: c’est en 268 que les premiers deniers d’argent (1 denier = 10 as) furent frappés au temple de Juno Moneta. Le sesterce, d’usage courant, valait deux as et demi.

Pendant les guerres contre Hannibal, Rome adopta la même solution que les cités grecques en cas de crise: elle frappa des monnaies d’or, dont le métal provenait de Capoue, de Syracuse, et des trésors privés ou publics romains. Cependant, entre la défaite de Carthage et les guerres civiles, la monnaie romaine rivalisa honorablement, dans l’ensemble du bassin méditerranéen, avec les pièces helléniques: l’or affluait d’Espagne et n’était pas frappé, mais gardé par le Trésor ou échangé. C’était l’argent qui circulait (40 000 ouvriers l’extrayaient des mines de Carthagène), enrichissant les chevaliers, adjudicataires de sa production.

Des Gracques à Sylla, les troubles qui emportèrent la République ne manquèrent pas d’avoir leur répercussion sur la monnaie: l’or affluait, par saccades, du fait des butins de guerre et des proscriptions, les périodes de nécessité le faisant sortir à nouveau du Trésor. On dut même, en 86, autoriser le paiement en bronze des dettes d’argent.

Pendant toute cette période républicaine, la frappe des monnaies était contrôlée par les tresviri aere, argento, auro flando feriundo , qui les marquaient de leur nom et de leurs emblèmes personnels, y ajoutant d’autre part divers symboles historiques (arcs de triomphe, trompettes), religieux (dioscures, tauroboles) ou monumentaux (aqueduc de l’Aqua Martia, 144-140); parfois des allégories, ou même des portraits de consuls, de vestales, de chefs d’État alliés ou vaincus. Sous Sylla et César, le portrait du dictateur apparut sur les monnaies d’or, mais ce n’est qu’en 44 avant J.-C. qu’une telle effigie d’un vivant devint légale, ainsi que la pratiquaient depuis trois siècles les monarchies hellénistiques. Vers 100 avant J.-C., le Sénat, dans un dernier effort pour marquer ses prérogatives, avait fait apposer sur les monnaies son sigle: S. C. (ex Senatusconsulto ). Mais c’est que la réalité du pouvoir commençait à lui échapper.

Sous l’Empire, c’est-à-dire de la victoire définitive d’Auguste (23 av. J.-C.) à la chute de Rome en 476 de notre ère, la monnaie romaine obéit à plusieurs caractéristiques. D’abord l’universalité, puisqu’elle avait cours dans tout l’univers occidental connu; mais en même temps la variété: centralisé par Auguste à Rome, puis à Lyon, ramené à Rome par Caligula, le monnayage reprit dans les provinces à la chute de Néron, à la mort de Commode, après le règne de Valérien, en somme pendant toutes les périodes de crise où la circulation économique se ralentissait et où l’autorité politique se partageait. Dernier caractère: une continuelle dépréciation. Sous Auguste, on frappait l’or et l’argent traditionnels, avec l’aureus (1/45 de livre), le denier (1/96 de livre), l’as (1/4 d’once). Mais ensuite apparut l’orichalque, alliage naturel de cuivre et d’étain, dans lequel étaient frappés les sesterces, ainsi que la monnaie de cuivre. Simultanément, la dépréciation de l’argent était de 15 p. 100 sous Trajan, de 25 p. 100 sous Marc Aurèle, de 40 p. 100 sous Septime Sévère.

On note quatre grandes tentatives de réforme: celle de Caracalla en 215, qui créa l’antonianus (= 2 deniers); celle d’Aurélien qui créa le libelle en bronze, égal à 50 millièmes de la livre; celle de Dioclétien, en 296, qui créa systématiquement des ateliers provinciaux (Londres, Trèves, Lyon, Carthage, Antioche, Alexandrie, Thessalonique): ces monnaies ne différaient entre elles que par l’initiale de l’atelier; enfin celle de Constantin qui créa le solidus d’or, qui devait se dégrader jusqu’à devenir notre sou, égal à 1/72 de la livre.

Durant cette période impériale, le rôle joué par la monnaie en matière de propagande politique, en tant que symbole d’autorité, ne cessa d’accompagner son rôle strictement économique: tout usurpateur commençait par faire battre monnaie à son effigie. Les souverains légitimes diffusaient leur propre portrait, leur titulature, leurs héros ou dieux favoris; mais on trouve aussi sur le monnayage impérial des scènes de la légende traditionnelle de Rome, les cérémonies du culte impérial et des jeux, des abstractions personnifiées de la religion romaine, comme l’Abondance, l’Éternité, la Clémence, la Fécondité et surtout la Paix. Lorsqu’un règne long et prospère, comme celui d’Hadrien, permettait le rétablissement de l’économie, la monnaie était appelée à porter elle-même témoignage de la felicitas temporum .

Le Moyen Âge

L’Occident

À partir des invasions barbares, les nouvelles royautés ne cessèrent de frapper des monnaies «impériales»: tantôt elles portaient l’effigie de l’empereur régnant, celui de Constantinople; tantôt elles copiaient une effigie ancienne. Ainsi le monnayage romain dura-t-il, dans la Gaule méridionale, jusqu’au milieu du VIIe siècle. Les souverains barbares se contentèrent au début d’adjoindre leur propre monogramme, puis leur nom entier (les rois francs en prirent l’initiative après la mort de Clovis). C’est en 538 que Théodebert Ier s’enhardit jusqu’à frapper une monnaie d’or à son nom, rompant ainsi l’unité fictive de l’Empire.

Mais, si les nouveaux pouvoirs manifestaient ainsi leur affranchissement par rapport au souverain byzantin, ils n’avaient généralement pas le moyen de se réserver, dans leurs propres États, la frappe de la monnaie; celle-ci n’était plus monopole d’État, puisqu’il n’y avait plus d’État. Évêques, propriétaires, localités émirent chacun leurs propres pièces: dans la Gaule mérovingienne, il n’y eut pas moins de 1 500 monétaires pour la monnaie d’or la plus fréquente, le tiers de sou, émis dans un millier de localités différentes. On a compté une centaine d’ateliers en Grande-Bretagne, autant dans l’Espagne wisigothique. Cependant, les rois lombards réussirent à rétablir à leur profit le monopole monétaire dès le VIIe siècle: «Si quelqu’un a mis une effigie sur de l’or ou frappé une monnaie sans l’ordre du roi, qu’il ait la main coupée», dit une loi de Rotharis, vers 640.

Quel était le métal de ces monnaies? Le bronze et le cuivre d’abord, mais leur monnayage, peu abondant, ne dura guère: en effet, les anciennes pièces romaines suffisaient amplement, par leur grand nombre, aux échanges locaux et régionaux, ainsi que l’ont montré les trésors d’Évreux (112 000 pièces) et de La Venera, province de Vérone (50 000); surtout, la frappe de ces métaux ne satisfaisait guère l’ambition des souverains barbares: ils cessèrent de mettre en circulation des monnaies de bronze dès qu’ils osèrent marquer leur nom sur l’or: du coup, la frappe du cuivre disparut, pour ne réapparaître qu’au XVIe siècle en France et en Angleterre.

L’argent, quant à lui, fut peu frappé jusqu’au VIIe siècle. Le denier d’argent finit alors par disparaître, tout en étant maintenu comme unité de compte. C’est le sou d’or, solidus ou aureus , qui demeurait la base du système. En Gaule, au VIe siècle, on peut parler d’un monométallisme or.

Cependant, dès la première moitié du VIIe siècle, se manifestèrent les prodromes d’un retour au bimétallisme, qui établit une équivalence concrète entre le denier d’argent, désormais réel, et le sou d’or. C’est l’un des traits de ce que l’on a appelé la réforme carolingienne, bien qu’elle ait vraisemblablement commencé dès Clotaire II et Dagobert, grâce à l’orfèvre Éloi. On en caractérisera les tendances, telles qu’elles apparurent clairement sous le règne de Charlemagne.

On constate d’abord un retour, en principe, au caractère public de la monnaie, entraînant une disparition progressive du nom des monétaires; à partir de 790, la monnaie est frappée soit in palatio (au palais du roi), soit dans l’un des ateliers locaux surveillés par les comtes. Cependant, après Charlemagne, le système se relâcha, au bénéfice des comtes et des abbayes, mais toujours par concession royale: jusqu’au XIIe siècle, la dispersion monétaire allait à nouveau caractériser l’Occident.

D’autre part, on assiste au renforcement du denier d’argent, base pondérale et monétaire qui devait durer jusqu’à la Révolution en France, jusqu’à nos jours en Angleterre; le denier valut, à partir du VIIIe siècle, 1/240 de livre, la livre valant elle-même 20 sous: le sou vaut ainsi 12 deniers. Il s’agissait bien d’une réévaluation par rapport au sou, puisque celui-ci valait auparavant 40 deniers et non pas 12.

Enfin, simultanément, l’or cessa d’être frappé, sinon de circuler. Plusieurs hypothèses ont été émises pour en rendre compte: thésaurisation de l’or par les églises dans les reliquaires et par les nobles pour leurs bijoux, interruption des échanges avec le bassin oriental de la Méditerranée, due moins aux Arabes, comme on l’a cru, qu’aux ruptures politique et économique avec Byzance. Au total, entre le VIIIe et le XIIIe siècle, tous les métaux précieux furent assez rares en Europe occidentale, et les paiements en nature – brebis, froment, peaux, ou même poivre – fort répandus. Le monnayage reflétait donc le retour à une économie rurale de subsistance, dans laquelle les échanges internationaux avaient provisoirement régressé, et contribuaient même, pour ceux qui subsistaient, à diminuer le stock d’or.

Byzance et l’Islam

La Méditerranée orientale et méridionale conservait, quant à elle, un système beaucoup plus proche de celui de l’Empire romain. On a vu que Constantin, en créant le solidus d’or titrant 4,48 g (plus tard 益礼猪晴靖猪見 puis 羽神﨎福神羽福礼益: hyperpère), avait jeté les bases d’un ordre monétaire solide et durable. Le besant, selon le nom que lui donnait l’Occident, allait symboliser pendant près d’un millénaire la fortune de Byzance. Au début du VIe siècle, Anastase compléta le système en essayant de donner au follis de cuivre une valeur stable par rapport à l’or; on avait ainsi: une livre d’or = 72 nomismata ; un nomisma = 12 millaresia d’argent; un millaresion = 24 folleis de cuivre. Il est possible que Nicéphore Phocas (968) ait tenté une dévaluation à la suite de ses campagnes contre les Bulgares; mais c’est surtout à partir du règne de Nicéphore III (1079), qui vit l’Asie Mineure conquise par Soliman, que la monnaie commença de se dévaluer véritablement. Le processus fut accéléré sous Alexis Comnène, pour le règne duquel on connaît six types différents de nomismata : la pièce ne représentait plus, en 1118, que le tiers de sa valeur. Il est vrai que, la dévaluation de la monnaie d’or entraînant le relèvement proportionnel du montant nominal des impôts, de nombreux contribuables pauvres accédaient ainsi aux tranches d’imposition supérieure, ce qui entraînait, pour le Trésor, quelque compensation.

Sous les successeurs d’Alexis, le nomisma , devenu hyperpère, se rétablit quelque peu: au commencement du XIIIe siècle, il était revenu à près de 90 p. 100 de sa valeur nominale. Mais la reprise des guerres, la concurrence de la monnaie des républiques italiennes, l’affaiblirent à nouveau au début du XIIIe siècle. La teneur en métal fin ne fut plus que de 16 carats sous Jean Vatatzès (1250), 15 sous Michel Paléologue (1260), 14 sous Andronic II (1300), 12 au début du XIVe siècle, soit la moitié de la valeur originelle. La lutte entre Cantacuzènes et Paléologues, à laquelle se mêlaient les Turcs, Venise et Gênes, aggrava encore la situation. Sous Manuel II (1420), la frappe de l’or devint rare; elle disparut complètement sous Jean VIII (1425-1448): Byzance avait adopté à son tour la monnaie d’argent, et la conserva jusqu’à sa chute.

Cependant, du Xe au XIIe siècle, les échanges avec l’Occident avaient donné à la monnaie byzantine un prestige considérable. Dans les grandes occasions, c’est souvent en besants que s’effectuèrent symboliquement les versements. Les croisades, pour leur part, avaient contribué à accroître les échanges entre les deux bassins de la Méditerranée; elles avaient aussi donné l’occasion aux royaumes francs de frapper, dans l’or d’Afrique, de belles monnaies qui assurèrent quelque temps leur force économique.

Quant à l’Islam, il conservait lui aussi un monnayage hérité de Rome, et donc apprécié dans les échanges internationaux: si l’on n’a trouvé en Occident que peu de monnaies arabes (348 en tout du VIIe au XIIIe s.), on en a découvert en abondance dans l’Europe orientale et septentrionale. Sous les califes omayyades, l’Islam n’avait utilisé que les espèces byzantines ou sassanides; c’est sous Abd el-Malik qu’apparurent, en 695, les premières pièces d’or – le dinar (de dinarius ) – et d’argent – le dirhem (de drachme). Leur valeur ne varia pas sensiblement jusqu’au lendemain des croisades. Venu par caravanes du Soudan, de Nubie et d’Abyssinie, l’or musulman permettait au dinar de demeurer une bonne copie du sou d’or constantinien; quant à l’alimentation en argent, elle était assurée, à partir de 750, par la mise en service des mines de Transoxiane. Certains ont pensé, avec Henri Pirenne, que cette puissance monétaire de l’Islam, jointe à sa puissance politique, avait contribué à «embouteiller» l’Occident et à le réduire à l’étalon-argent carolingien; d’autres, comme Maurice Lombard, estiment au contraire que c’est l’afflux de l’or musulman qui a provoqué le nouveau démarrage de l’économie occidentale, à partir de l’Italie du Nord et des pays de la Meuse. Les historiens les plus récents tendent en fait à minimiser l’influence de ces métaux: ils constatent d’autre part que, vers le milieu du XIIIe siècle, la grande période de l’or musulman s’achève et qu’en France, notamment, on commença alors à frapper de la «fausse monnaie sarrasine», pour le commerce avec les pays d’Islam.

Le nouveau système médiéval et les débuts des Temps modernes

À l’orée du XIIIe siècle, en effet, l’Occident, selon le mot de Guy Fourquin, «s’anime et devient conquérant». Le premier indice de ce «décollage» fut la reprise du monnayage de l’or. C’est désormais cette soif du métal précieux qui servit de moteur à l’expansion européenne, jusqu’au XIXe siècle.

Vers 1200, la frappe des grosses pièces d’argent, venant suppléer le denier, insuffisant pour les «grandes négociations», avait commencé de manifester l’essor commercial. C’est dans la partie la plus active de l’Europe, l’Italie, qu’elles apparurent d’abord: Venise (1202), Florence (1237), Lucques (1242), puis Gênes, Milan, Bologne, Sienne. En France, le « gros tournoi» de Saint Louis, valant 12 deniers, apparut en 1266; il fut imité en Aragon, en Flandre, en Angleterre (1279) et en Bohême (1278). Quant à la reprise de la frappe de l’or, elle se manifesta d’abord en Sicile, sous Frédéric II, c’est-à-dire au carrefour de l’économie occidentale avec celles de Byzance et des pays musulmans (1231), puis à Florence (1252) et Gênes, en France (écu d’or, 1266), etc. Les conséquences politiques se firent tôt sentir; en France, en Angleterre, la monnaie royale eut désormais tendance à s’imposer par rapport à celle des barons: Louis X, en 1315, donna une liste définitive de trente seigneurs et églises autorisés à frapper. L’observation de cette règle suivit le sort de la puissance royale elle-même: la Bretagne, la Flandre, la Guyenne, le Béarn battirent or et argent jusqu’à leur réunion au royaume. C’est sous Louis XIV que l’unification de la monnaie devint totale. En Angleterre, où les monnaies épiscopales disparurent avec la Réforme, la concentration fut également précoce. En Italie et en Allemagne, la dispersion monétaire demeura le reflet du morcellement politique.

Ainsi la monnaie était-elle redevenue, comme à Rome, monnaie d’État. Mais, dès lors, les souverains allaient se trouver aux prises avec le difficile problème du rapport des valeurs entre les deux métaux monnayables: l’or et l’argent. C’est la grande question des « mutations », qui, aux XIIIe et XIVe siècles, fut le prétexte des premières interrogations théoriques sur la monnaie.

Trois éléments pouvaient en effet entrer en jeu pour fixer la valeur de la monnaie: la taille (quantité de pièces d’un certain type frappées dans un lingot d’un marc, soit 245 g), l’aloi (titre, proportion d’argent ou d’or entrant dans l’alliage dont on faisait le lingot d’un marc), le cours (valeur, exprimée en monnaie de compte, de chaque espèce en circulation).

Ce cours légal devait-il s’aligner sur le cours commercial des métaux, puisqu’une pièce est elle-même une marchandise, sa valeur intrinsèque étant liée à son contenu en métal précieux? Ou pouvait-il être arbitraire, à la discrétion du souverain? Dans le second cas cependant, la volonté princière ne parvenait pas à abolir les variations du cours commercial, elles-mêmes liées à la plus ou moins grande abondance des arrivées de métal brut (argent du Harz, des Vosges, de Saxe, or amené d’Afrique par le commerce italien avec les musulmans). Dès lors, «la mauvaise monnaie (c’est-à-dire la moins rare) chasse la bonne», qui est thésaurisée, utilisée pour les paiements extérieurs, ou fondue et vendue par les particuliers à la Monnaie, en échange des pièces de «mauvaise monnaie», lesquelles sont reçues en plus grand nombre. C’est la loi dite de Gresham, que Thomas Gresham, financier anglais du XVIe siècle, a en réalité empruntée à Nicolas Oresme, trésorier du roi de France Charles V.

Dans ces conditions, les princes, selon les cas, recoururent soit à la dévaluation, soit au renforcement. La première se faisait en diminuant le poids d’or ou d’argent fin contenu dans l’unité monétaire, donc en réduisant l’aloi; ou bien en créant des pièces nouvelles du même aloi que les anciennes, mais d’un poids diminué permettant ainsi d’en tailler davantage dans un même lingot; ou bien encore en faisant varier uniquement le cours légal des espèces. Quant au renforcement, ou réévaluation, il consistait à baisser le cours, en monnaie de compte, des pièces en circulation, ce qui entraînait une déflation, jusqu’à l’émission massive de nouvelles pièces fortes. De toute manière, ces mutations n’étaient pas seulement liées à la situation intérieure d’un pays: elles étaient souvent imposées par l’évolution monétaire de ses voisins. Une contrée à monnaie forte, dont les voisins ont une monnaie faible, risquerait de voir cette «mauvaise monnaie» chasser la sienne. C’est ce qui se produisit lors du règne de Philippe le Bel, qui tenta de protéger la monnaie française contre les secousses du marché européen, elles-mêmes liées à la grande remise en ordre des circuits commerciaux (qui, sous l’impulsion italienne, se détournaient des foires de Champagne).

L’Église, qui avait toujours vu dans la monnaie «la mesure de la valeur des biens», ne manqua pas de s’interroger sur la légitimité de l’altération des monnaies. Ainsi Thomas d’Aquin, analysant avec pertinence les caractéristiques du système, conseillait de ne pas trop souvent recourir aux mutations; le pape Honorius IV, à propos de la Sicile, en autorisait une par règne.

Mais la réalité n’en imposait pas moins de fréquentes et redoutables oscillations, ainsi que le montre l’exemple de la France.

Dès la fin du règne de Saint Louis, l’augmentation du cours commercial de l’or avait compromis l’équilibre du bimétallisme, d’où une réévaluation nominale de l’argent en 1290 et 1295, suivie d’une mutation réelle, affectant le titre des espèces, en 1303. Entre 1306 et 1313, tentative de retour à la «bonne monnaie», qui ramène le rapport argent/or à 15,27. Nouvel affaiblissement, entre 1318 et 1319; rétablissement provisoire par Philippe VI, qui stabilise la monnaie à un palier nettement inférieur à celui de la monnaie de Saint Louis: en soixante ans, l’argent avait perdu 3,3 p. 100 de sa valeur, l’or 30,5 p. 100.

Mais, dans l’ensemble des pays d’Europe, ces modifications successives étaient peu comprises des populations, qui n’en apercevaient pas la cause nécessaire: l’adaptation progressive du cours légal de la monnaie au cours commercial des métaux précieux.

Les bouleversements et l’insécurité qu’entraîna la guerre de Cent Ans provoquèrent des cascades de dévaluations, coupées d’efforts de redressement, où la «bonne monnaie» se stabilisait provisoirement, à un niveau toujours inférieur au précédent. Simultanément, la thésaurisation s’accentuait: comme dans toute période de crise, les riches cherchaient à garder par devers eux leurs disponibilités, en argent plus encore qu’en or, sous forme de vaisselle ou de bijoux. Tout cela contribuait à ralentir la circulation monétaire et à provoquer cette «disette» qui caractérisa le XIVe siècle, justifiant les grandes entreprises de quête des métaux précieux au siècle suivant.

Il convient enfin de dire un mot des systèmes de compte, rendus indispensables par la multiplicité des monnaies d’origines diverses. Un marchand parisien pouvait avoir en caisse, en effet, non seulement des livres et sous « tournois », « parisis », «mansois» et « viennois », mais chacune de ces monnaies en deniers «forts», «bons», «faibles», suivant l’année d’émission. Enfin, au moment même où ces monnaies étaient en caisse, le prix de l’or pouvait changer. D’où les efforts pour constituer un système de compte pratique, permettant de tenir une comptabilité. Ainsi, en France, on conserva pendant plus d’un siècle comme unité de référence le gros de Philippe VI émis en septembre 1329.

Il faut lier à ces phénomènes le développement, à partir du début du XIVe siècle, de la monnaie-papier, sous forme de lettre de change ou, plus rarement, de chèque. La monnaie-papier à son tour contribuait à renforcer le rôle de quelques unités de référence particulièrement solides ou liées à l’or, comme le florin de Florence, le ducat de Venise, la lire de Gênes, l’écu de Savoie pour les foires de Genève, le florin hongrois pour les Allemands. Pendant que la France et l’Angleterre se déchiraient, banquiers et changeurs de l’Europe centrale et méditerranéenne purent ainsi maintenir leurs affaires, faire fructifier d’importants capitaux, prêter aux souverains en guerre, voire assurer la trésorerie du pape. La péninsule Ibérique affirmait au même moment son réveil par la Reconquista: il était temps de renouveler l’alimentation de l’Ancien Monde en métaux précieux.

Les Temps modernes et l’époque contemporaine

L’époque moderne: or et argent

C’est la quête de l’or – et aussi de l’argent – qui fut l’un des ressorts principaux des grands voyages d’exploration du XVe siècle: ceux des Portugais, vers le Rio de Ouro (confondu avec le Sénégal, 1436) et la côte de Guinée; de Colomb vers Cipango et le Japon, qui se révélèrent être l’Amérique, mais lui apportèrent néanmoins le métal désiré. Dès Noël 1492, l’or natif était en effet découvert dans l’actuelle Haïti, où «les chrétiens qui se trouvaient déjà à terre troquaient des quantités d’or inouïes, en échange de n’importe quoi». Les étapes suivantes consistèrent d’abord à transférer en Europe l’or accumulé par les Indiens au cours des siècles passés, soit trente à trente-cinq tonnes au total en vingt-cinq ans, dont 90 p. 100 provenant des îles, puis à exploiter l’argent du Mexique à partir de 1546, du Pérou surtout après 1575, et l’or de Buritica, qui fit la prospérité de Carthagène. L’or et l’argent permirent à l’Amérique coloniale, pendant trois siècles, d’importer à grands frais les produits de la péninsule Ibérique; dans les exportations américaines, que les stricts contrôles du Monopole rendaient à peu près exactement équivalentes aux importations, l’or et l’argent représentaient 90 à 95 p. 100 de la valeur totale, soit, sur trois siècles, peut-être, 70 000 tonnes en équivalent-argent.

Parvenus à Séville dont ils fondaient la prospérité, les métaux précieux, jusqu’à la fin du XVIe siècle, ont également contribué à enrichir l’Espagne, par les foires de Valladolid et par le circuit officiel de la cour de Madrid, qui prélevait 20 p. 100. Ensuite, l’argent et l’or furent rapidement attirés vers le Portugal et Anvers, pour équilibrer les échanges industriels espagnols et le trafic provenant de l’océan Indien. Ce trafic, contrôlé par les Portugais, poursuivait de son côté l’apport traditionnel de l’or africain: le Mozambique exporta, au XVIe siècle, une quantité égale à environ la moitié de l’or américain, soit près de 10 p. 100 du total des trésors du Nouveau Monde. Enfin, une partie des métaux précieux américains était expédiée, par Acapulco, vers l’Asie, et fut donc provisoirement retirée du circuit monétaire de l’Ancien Continent.

L’effet le plus net de cette augmentation du stock monétaire européen fut la hausse des prix: ils quadruplèrent en Espagne de 1500 à 1620, et, dans les autres pays, à proportion de l’intensité de leurs liens économiques avec l’Espagne: rapide en France, en Italie, en Angleterre et en Flandre, la hausse ne se fit sentir qu’au début du XVIIe siècle dans les régions plus lointaines. Ce phénomène suscita l’inquiétude des contemporains, en particulier de ceux qui bénéficiaient de revenus fixes: rentiers, nobles percevant des redevances en espèces, mais aussi salariés, dont le salaire était en retard sur les prix; en revanche, paysans, artisans et négociants, mieux en mesure d’agir sur le volume et le prix de la production, connurent, dans l’ensemble, un développement plus favorable. C’est alors que la réflexion économique commença à se tourner vers la montée des prix. Jean Bodin (1595) mit le doigt sur la plaie: «La cause principale de l’élévation des prix est toujours l’abondance de ce avec quoi le prix des marchandises est mesuré [...], l’abondance d’or et d’argent [...], aujourd’hui plus grande qu’elle ne l’a jamais été pendant les quatre siècles précédents.»

Cependant le relatif épuisement des mines de l’Amérique espagnole à partir de 1620 correspondit à une stabilisation des prix européens. Le XVIIe siècle, siècle de crises, fut ainsi marqué en France par le souci de Colbert de maintenir ou d’attirer dans le royaume le maximum de métaux précieux, grâce à l’exportation industrielle. Mais, dès le siècle suivant, l’expansion reprenait, due à la fois au nouvel afflux d’or du Brésil, au perfectionnement des instruments de crédit et à la mise au point d’un système bimétalliste strict.

À partir de 1717 en Angleterre, de 1726 en France, furent arrêtées des monnaies stabilisées: la teneur métallique de la pièce et sa valeur monétaire demeurèrent invariables (en France le louis d’or de 24 livres, l’écu d’argent de 6 livres), sans que l’unité de la monnaie de compte correspondît forcément à une pièce de monnaie déterminée: il n’existe pas de pièce d’une livre. Ainsi, grâce à des pouvoirs puissants et assis – installation définitive de la maison de Hanovre en Angleterre, qui mettait un terme à plusieurs siècles de luttes dynastiques ou politiques, fin de la minorité de Louis XV en France –, le problème pendant depuis le début du Moyen Âge se trouvait résolu. Ses données ne pouvaient plus être altérées que par la lente évolution du rapport entre l’or et l’argent, oscillant entre 14,5 et 15,5 selon les pays, et par les modifications des rapports économiques entre les principales nations de l’Europe. En 1779, l’Espagne éleva le prix du marc d’or de 14 marcs 7 onces d’argent à 15 marcs 7 onces; la France suivit en 1785, sous le ministre Calonne (de 14 marcs 5 onces à 15 marcs 5 onces), dans l’espoir de déthésauriser l’or, d’activer la circulation économique et de conserver à la monnaie d’argent, considérée comme la principale, une incontestable fixité. Après la tourmente révolutionnaire, la loi du 7 germinal an XI devait fixer le régime monétaire de la France sur les bases mêmes choisies par Calonne, et ce jusqu’en 1928. Mais une telle stabilité ne doit pas dissimuler les profonds changements qui la rendaient possible.

Si l’on s’en tient à la production des métaux précieux, on constate que le XIXe siècle s’est caractérisé par la mise en exploitation de nouveaux et importants gisements, aussi bien d’or que d’argent: Californie en 1848, Australie en 1851, Transvaal en 1886, Alaska en 1896, pour l’or; Nevada en 1873 pour l’argent. La production d’or quadrupla entre 1851 et 1880, puis à nouveau entre 1881 et 1930. Quant à la production d’argent, elle était de son côté multipliée par cinq pendant la même période. Ce qui entraîna deux conséquences: une augmentation proportionnelle du stock d’or par rapport à l’argent (jusqu’au début du XXe siècle au moins), une abondance d’argent qui empêchait de le considérer désormais comme un métal vraiment rare.

À partir de 1865, la France, la Belgique, la Suisse, plus tard l’Italie et la Grèce, constituèrent une union monétaire, dite Union latine, dont les monnaies, frappées suivant des types uniformes, avaient cours légal dans chacun des autres pays de l’Union. Le rapport entre l’or et l’argent était arrêté à 1/15,5; les monnaies d’or et d’argent avaient cours légal illimité au même titre; l’or et l’argent pouvaient être librement exportés ou importés, vendus et achetés sans restriction à la Monnaie contre toute monnaie légale; enfin, les billets de banque étaient échangeables à vue et au porteur contre de l’or ou de l’argent.

Quant à l’Angleterre, dès 1816, suivie par l’Empire allemand en 1873, elle était restée fidèle au monométallisme: la pièce d’or d’une livre était en même temps monnaie de compte. Mais la frappe de l’argent n’était pas libre, et la valeur libératoire des pièces d’argent était limitée à 40 shillings. Aux États-Unis enfin, la querelle entre les tenants du monométallisme or, confirmé par Cleveland en 1893, et ceux du bimétallisme prit un tour politique en 1896, lors de l’élection du président républicain William McKinley; son rival démocrate William Bryan avait en vain déclamé: «Non, vous n’enfoncerez pas sur le front des travailleurs cette couronne d’épines, vous ne crucifierez pas l’humanité sur une croix d’or!»

En fait, l’avilissement des cours de l’argent conduisit l’ensemble du monde, dans les années 1900-1914, au monométallisme: l’or, importable et exportable, était seul admis à la frappe libre, gageait le papier, jouissait d’un pouvoir libératoire illimité. L’argent et les autres métaux n’étaient plus utilisés que pour la fabrication des monnaies d’appoint. C’est ce système de l’étalon-or, comparable au fond à la stabilisation constantinienne, qui fut ruiné par la guerre mondiale de 1914-1918.

La monnaie de papier

On a vu, aux XIVe et XVe siècles, apparaître en Italie une monnaie de papier constituée par des lettres de change. C’est au début du XVIIe siècle que les banques commerciales d’Amsterdam (1609) et de Hambourg (1619) commencèrent à émettre des certificats de dépôt, libellés dans la monnaie de compte du lieu, et qui garantissaient au porteur un avoir en florins d’argent. La Suède suivit en 1661, en raison du caractère encombrant de sa monnaie de cuivre. L’Angleterre enfin, en 1694, mit au point, en créant sa Banque, l’instrument de sa fortune.

Très vite, en effet, on s’était aperçu qu’une banque respectable, bénéficiant de la garantie de l’autorité politique, pouvait émettre une valeur en billets supérieure à celle de son encaisse métallique, et donc faire fructifier largement les dépôts. C’est sur une amélioration de ce principe que fut fondé le crédit public britannique, lors de la guerre contre la France menée par Guillaume III d’Orange: une somme de £ 1 200 000, réunie par des capitalistes de la Cité de Londres, fut tout entière prêtée à l’État, contre un intérêt annuel de 8,30 %. La banque pouvait, par privilège, émettre du papier pour une valeur égale au capital ainsi prêté, et les billets étaient remboursables en or. Ainsi le papier de la Banque d’Angleterre n’avait d’autre couverture que les gains mêmes de la banque, à savoir, au moins au début, la seule certitude du remboursement royal. Cet établissement du crédit public, chanté par tous les auteurs britanniques des XVIIe et XVIIIe siècles, tels Yarranton et Joseph Addison, fut pour le pays l’équivalent d’une «mine d’or» comme disait George Berkeley, et lui permit d’emprunter dans des proportions colossales pour financer les guerres, voire, pendant le conflit de 1792-1815, de faire vivre le Trésor sur les seuls billets de l’Échiquier, qui gageaient une anticipation annuelle sur certaines recettes gouvernementales: ainsi, en 1797, la réserve en numéraire ne comportait-elle que 1,27 M£, contre 2,9 M£ de billets et 10,6 M£ d’avances au gouvernement. D’où un cours forcé (Restriction Act) provisoire.

C’est en réalité la prospérité commerciale anglaise qui autorisait l’identification, proposée notamment par David Ricardo, entre le billet de banque-crédit bancaire, le papier-monnaie et la monnaie métallique. Dès 1816, on l’a vu, la Grande-Bretagne reconstruisit un système fondé sur l’or. Il n’en restait pas moins prouvé qu’en cas de crise le rôle monétaire du métal pouvait être à peu près volatilisé et remplacé par celui d’un papier simplement gagé sur la parole de l’État.

C’est cette parole de l’État qui, en France, demeura douteuse de 1674 à 1814. Colbert s’efforça, par la Caisse des emprunts (1674), de mettre en circulation une monnaie-papier. Mais celle-ci dut toujours être finalement convertie en rentes.

C’est surtout le système de Law qui, après la mort de Louis XIV, jeta le discrédit en France sur les méthodes inspirées de l’Angleterre. John Law, dès 1707, avait publié un mémoire «pour prouver qu’une nouvelle espèce de monnaie peut être meilleure que l’or et l’argent». En fait, son esprit ne distinguait pas le crédit et la monnaie, et cette confusion, rendue inoffensive en Angleterre, d’une part grâce aux liens économiques et politiques entre la maison d’Orange et les capitalistes, d’autre part grâce au commerce maritime, lui fut fatale. Fondée en 1716, la Banque générale émit des billets convertibles à vue, stipulés en «écus de banque», monnaie de compte équivalant à un certain poids d’argent. Convertie en Banque royale en 1718, la Banque émit dès lors des billets stipulés en livres tournois, qui avaient force légale et faisaient même prime sur l’or. Simultanément, la Compagnie des Indes occidentales, bénéficiant du privilège du commerce avec l’Amérique, mettait sur le marché ses actions. Enfin, nommé contrôleur général des finances, Law joignit à la Compagnie l’ensemble des recettes publiques, qu’il était chargé de percevoir. Les expédients de 1720 – cours forcé, lutte contre l’accaparement et la spéculation, réduction progressive des actions et des billets – accélérèrent la banqueroute qu’ils voulaient prévenir, et la méfiance du public envers l’État ne se démentit plus jusqu’à la fin de la monarchie.

Les expériences de la Caisse d’escompte (1776), et surtout des assignats révolutionnaires (1789) gagés sur les biens confisqués au clergé, puis des mandats territoriaux (1796) n’aboutirent qu’à renforcer cette méfiance, jusqu’à la création prudente, par Napoléon, du véritable billet de banque, contemporain de la réforme monétaire du franc germinal, analysée plus haut. À compter de 1803, en effet, la nouvelle Banque de France put émettre des titres gagés par son encaisse-métallique, et librement convertibles. Cette convertibilité, qui ne fut suspendue qu’en 1848-1850 et 1870-1878, c’est-à-dire pendant les années de crise ou de guerre, familiarisa peu à peu le public avec le papier: à la fin du XIXe siècle, la monnaie métallique et la «monnaie de papier» représentaient, en France, un montant en circulation à peu près égal (3 milliards chacune).

La Première Guerre mondiale et les polémiques contemporaines

La Grande Guerre eut pour premier effet de suspendre partout la convertibilité or du billet et d’imposer le cours forcé, sauf en Angleterre, où la convertibilité demeurait théoriquement possible, mais où le transport de l’or était interdit. C’est aux États-Unis que l’Ancien Continent dut se pourvoir, contractant des dettes considérables, gagées sur son encaisse métallique.

À la fin de la guerre, le mark, la livre et le franc commencèrent à se déprécier par rapport à leur parité or; malgré des tentatives de consolidation entre 1923 et 1928, il apparut bien vite que les monnaies n’étaient plus réellement basées sur l’or, mais sur des avoirs déposés dans les banques de Londres et de New York, et que les billets de banque étaient donc seulement convertibles en livres ou en dollars. De toute manière, l’inflation consécutive à la guerre avait fait progresser les signes monétaires dans des proportions très supérieures à celles des stocks d’or.

La débâcle de 1931, qui frappa tous les pays occidentaux, entraîna la dévaluation générale de toutes les monnaies, y compris le dollar, dont la valeur fut fixée en 1934 à 1/35 de l’once d’or.

Après la Seconde Guerre mondiale, la poursuite de l’inflation, l’hétérogénéité des politiques économiques nationales, les dévaluations en cascade n’ont pas permis la stabilisation du système, malgré les accords de Bretton Woods (1944), consécutifs à la guerre et qui confirmèrent le dollar et la livre comme «monnaies de réserve», et ceux de mars 1968 réduisant la libre convertibilité en or du dollar aux transactions entre autorités monétaires nationales et supprimant de ce fait le marché libre de l’or. Les années suivantes devaient consacrer la démonétisation du métal jaune et l’abandon du système de Bretton Woods: le 15 août 1971, les États-Unis annoncent la suppression complète de la convertibilité en or du dollar; en janvier 1976, les États membres du Fonds monétaire international entérinent le passage à des taux de change flottants dégagés de toute référence à l’or (accords de la Jamaïque). En conséquence, le substrat commun de toutes les monnaies convertibles n’est plus l’or, mais le dollar: les États créanciers des États-Unis doivent périodiquement réévaluer leur monnaie, les États débiteurs dévaluer la leur.

Ce sont donc les doctrines de Law, de Ricardo, d’Adam Smith et de Keynes qui paraissent triompher: elles reposent sur le postulat que l’or est appelé à disparaître comme signe monétaire et qu’il n’existe pas de différence entre monnaie et crédit. À l’inverse, les «monétaristes» de l’école française, tel Jacques Rueff, ont affirmé qu’il n’est pas possible de prolonger à l’excès une falsification du cours commercial des métaux, et qu’il faudra bien, un jour ou l’autre, aligner la valeur nominale du dollar sur son prix réel. Périodiquement, de graves remous sur le marché des changes sont venus confirmer que la monnaie n’est pas mieux domestiquée de nos jours que du temps de Philippe le Bel et que le conflit reste entier entre les États les plus puissants, soucieux de confirmer leur hégémonie politico-économique par la primauté de leurs signes monétaires, les États rivaux, qui refusent cette dépendance, et les «manieurs d’argent», soucieux de conserver, face aux risques économiques encourus, une couverture fixe et stable, dans une monnaie quelconque.

La monnaie en Asie

Longtemps, les circuits monétaires de l’Asie ont été distincts de ceux du monde occidental (Afrique, Europe et Amérique). En Chine, l’Empire des Qin et des Han (IIIe s. av.-IIe s. apr. J.-C.) connaissait principalement la sapèque de cuivre, pesant d’abord une demi-once (7,5 grammes), puis – sapèque wuzhu – cinq grains (3 g). Théoriquement, la sapèque représentait un dix-millième de la livre d’or, mais en fait beaucoup moins. Le Moyen Âge chinois, jusqu’en 581, ne modifia pas ces données de base. C’est sous les Tang (618-907) que l’appauvrissement des stocks de cuivre commença d’apparaître. En principe, l’État se réservait un droit de préemption sur l’ensemble du cuivre produit dans une cinquantaine de mines, situées surtout dans le sud du pays, et frappait la sapèque, rondelle de cuivre percée d’un trou; mille sapèques enfilées sur un lien de jonc constituaient une ligature (min ). Mais l’abondance de la fausse monnaie, la thésaurisation du cuivre dans les monastères bouddhiques altéraient progressivement la qualité de la monnaie officielle. Vers 817, il devint courant de prélever 8 p. 100 des pièces sur une ligature, pour se prémunir contre cet affaissement.

C’est alors qu’apparut le papier-monnaie, justifié par la lourdeur des ligatures, la diversité des espèces et des retenues, le manque chronique de numéraire. À la fin du VIIIe siècle, les grands commerçants prirent l’habitude de confier leur monnaie, contre un bon, aux divers représentants du pouvoir impérial. Les bons ainsi utilisés, véritables lettres de change, appelés «monnaie volante» (feiqian ) ou bien «change commode» (bianhuan ), furent en définitive émis par trois administrations contrôlées par les mandarins: le ministère des Finances, le Bureau des revenus publics et le Commissariat du sel et du fer. Au même moment, l’imprimerie faisait son apparition, facilitant à son tour la circulation des idées et des biens.

Sous les Song (960-1279), la persistance de la pénurie de cuivre aboutit à la création d’une monnaie de fer, dont la circulation jouissait d’un monopole dans le Sichuan et se pratiquait concurremment à celle du cuivre dans le Shaanxi et le Shanxi. Dans le reste du pays, c’est-à-dire autour de la capitale, et dans les régions du Sud-Est, le cuivre continuait seul à avoir cours. Le taux de change cuivre-fer fut au XIe siècle stabilisé à 1/10. Cependant la lourdeur de la monnaie de fer contribuait au développement du papier-monnaie, principalement dans le Sichuan, émis d’abord par des banquiers, puis par l’État à partir de 1070 environ, sous forme d’assignats. Au XIIe siècle, avec une forte avance sur l’Occident, l’État chinois avait ainsi découvert les avantages de la planche à billets; il ne devait pas tarder à découvrir son corollaire, l’inflation ruineuse, accélérée encore sous les Mongols (XIIIe et XIVe s.).

Sous les Ming (1368-1644), la Chine entra en contact avec les courants monétaires occidentaux: paradoxalement, alors que l’Espagne avait découvert l’Amérique en cherchant l’or de Cathay, donc de l’Empire chinois, c’est l’argent des colonies espagnoles d’Amérique, diffusé à partir des Philippines à la fin du XVIe siècle, qui ranima l’économie monétaire chinoise sous la forme de lingots et de pièces. À la fin du XVIIIe siècle, le carolus d’argent espagnol se mit à circuler dans la zone côtière chinoise, entraînant des déséquilibres constants dans le commerce des métaux: si, en principe, mille ligatures de sapèques valaient désormais un taël, soit une once (38 g en moyenne) d’argent, le taux variait considérablement selon le lieu, la conjoncture économique, la qualité de l’alliage, et surtout la proximité de chaque province ou son éloignement par rapport au commerce international vers les Philippines, le Japon ou l’Inde. Ce n’est qu’en 1853 que l’Empire mandchou en tira la conséquence, en remplaçant le dollar espagnol, thésaurisé à l’excès, par le dollar d’argent mexicain, sans pour autant parvenir à enrayer l’affaiblissement de la monnaie intérieure. En 1867, diverses mesures parvinrent à rétablir quelque peu la valeur du cuivre, bien vite compromise par les révoltes du Yunnan, principale source d’approvisionnement. Jusqu’à l’avènement de la République, les expédients que constituaient la monnaie de fer et le papier-monnaie continuèrent d’être utilisés. Au fond, selon le mot de Franck H. King, la Chine n’a jamais eu avant 1948 ni économie ni système monétaire unifiés. Et la plupart des malentendus entre la Chine et les autres puissances à la fin du XIXe siècle n’ont eu d’autre cause que l’insistance des pays occidentaux à vouloir que la Chine agît comme si elle avait un système monétaire, et la mauvaise volonté – ou l’incapacité – de la Chine à en avoir un.

La monnaie inconvertible des pays socialistes

En même temps que le monopole du commerce extérieur, les États socialistes modernes se sont réservé le droit exclusif de réaliser toutes opérations en devises et en or sur le territoire national, et ont interdit l’exportation de leur monnaie. Une même unité, théoriquement fondée sur l’or, avait ainsi plusieurs valeurs très différentes: l’une pour la circulation intérieure, l’autre pour les échanges avec l’extérieur. Mais cette dernière était elle-même factice, puisque les monnaies-«devises» des pays de l’Est, inconvertibles, n’avaient qu’un rôle comptable: elles permettaient de mesurer, par rapport au dollar, l’évolution du commerce avec l’étranger. Compté en zloty-devises, le commerce extérieur de la Pologne pouvait ainsi apparaître dix fois moins élevé qu’en zloty intérieurs. Seul le rouble «transférable», établi en 1957 et fort contesté par les alliés de l’Union soviétique, a tenté de jouer pour le bloc oriental le rôle d’une monnaie de référence. En réalité, l’ensemble des pays communistes, Chine comprise, a hésité sur la marche à suivre en matière d’échanges internationaux, dans l’attente d’éléments nouveaux concernant l’avenir du dollar américain, qu’une crise du capitalisme, analogue à celle de 1929, aurait pu cette fois abattre.

2. Monnaie et création monétaire

Il convient de rechercher d’abord la raison pour laquelle les économies nationales ne sauraient se passer d’une monnaie, avant d’expliquer comment la monnaie est créée; la nature ou la définition de la monnaie seront ainsi connues. Les fonctions de la monnaie en découlent, de même que celles des banques. On examinera ensuite, brièvement, la question de savoir si, du fait des banques, une économie nationale peut souffrir d’une insuffisance ou d’une surabondance de monnaie. On évoquera enfin la question, encore théorique, de la création d’une monnaie internationale.

La monnaie dans l’économie

Nous montrerons d’abord que l’existence d’une monnaie est indispensable dans une économie afin de rendre commensurables ou homogènes entre eux les différents produits physiques, qu’ils soient de consommation ou d’investissement.

Nous expliquerons ensuite la raison principale pour laquelle la monnaie bancaire est une évolution avantageuse de la monnaie métallique.

En toute économie où la monnaie est bancaire (c’est-à-dire aujourd’hui dans tous les pays du monde), celle-ci est créée par les banques. Nous analyserons en conséquence la nature profonde de toute création monétaire.

Nous parviendrons finalement à la définition correcte de la monnaie; même la monnaie dite matérielle est non pas une matière, mais une pure forme numérique qui a un objet matériel, à savoir le produit «monétisé» de chaque période.

Pourquoi la monnaie est indispensable

Seule la présence d’une monnaie dans une économie rend la multitude des différents biens physiques commensurables. Il est vrai que les économistes ont longtemps pensé que, dans une économie d’échange, les biens sont mesurables même en l’absence de toute monnaie. Mais il est aujourd’hui démontré que seule une économie de production, définie par la substitution temporaire d’une somme de monnaie au nouveau produit physique de chaque période, permet d’établir des réseaux d’équivalence à la fois entre la monnaie et le produit (valeurs absolues) et entre les différents produits eux-mêmes (valeurs relatives).

Économie d’échange et numéraire

Soit une dotation initiale de biens, répartis entre les agents d’une économie. Quelle est la mesure de ces biens? Afin de répondre à cette question, certains auteurs avaient nourri l’espoir de découvrir les utilités cardinales des biens. Ainsi, Irving Fisher avait tenté de dégager le concept de l’util , l’unité objective d’utilité. Si sa tentative n’avait pas échoué, on aurait pu déterminer le nombre d’utils attachés à chaque bien. Tous les biens économiques seraient alors devenus commensurables ou homogènes par leur utilité, chacun étant réductible à un nombre précis d’utils. Mais ce projet grandiose s’est heurté à des difficultés insurmontables. Conscient de ce fait, Irving Fisher, après Vilfredo Pareto, a proposé de classer les utilités et les préférences selon une échelle ordinale .

Un critère précis permet de juger si les utilités ordinales remplissent efficacement la fonction qu’on attend d’elles. Énonçons ce critère: est-il formellement possible de construire des échanges entre équivalents sur le fondement des utilités ordinales? Si on ne le peut pas, c’est que cette approche conduit dans une impasse.

Or les économistes de l’école néo-classique pensent que les échanges peuvent effectivement être formalisés dans une série d’équations sur le seul fondement de l’utilité (ordinale) des biens. Une seule condition est requise à cette fin: il faut que l’économie comporte un «numéraire».

Il est essentiel de comprendre la nature exacte du numéraire, car celui-ci annonce déjà la monnaie proprement dite.

À cet égard, le pas décisif avait déjà été franchi par Léon Walras. Le numéraire est un nombre pur, sans dimension . Un échange de correspondance s’était établi entre Léon Walras et le grand mathématicien Henri Poincaré, portant sur le point essentiel de savoir si le numéraire doit être rapporté à la valeur des produits (c’est-à-dire à une dimension des produits) ou directement aux produits eux-mêmes. La théorie mathématique de la mesure ne connaît que les mesures «dimensionnelles». Ainsi l’unité de mesure de l’espace le plus simple, à deux dimensions, est-elle une unité de distance ou de longueur. La distance entre les points i et j est, par exemple, de 2 mètres. Cette mesure est dimensionnelle. Il serait absurde de dire que la longueur de la droite séparant ces deux points est le nombre 2 sans dimension. C’est la raison pour laquelle Poincaré n’a jamais pu accepter l’unité de mesure des grandeurs économiques proposée par Walras. N’est-il pas vrai, en toute science, que mesurer signifie déterminer la valeur numérique d’une dimension? Même si l’on compte les têtes d’un cheptel, cette «mesure-dénombrement» est exprimée par un nombre se rapportant à une dimension: il serait insensé de prétendre qu’un troupeau peut être représenté par un nombre pur; il s’agit d’un nombre de moutons, de bovins, d’oies, etc., et non d’un nombre sans dimension.

Or, malgré les apparences, c’est Walras qui avait raison. C’est que l’économique fait exception; son originalité fondamentale, face à toutes les autres sciences, tient précisément au fait que son unité de mesure est un nombre pur, sans dimension. En son sens scientifique rigoureux, reçu par les économistes du monde entier, le numéraire est un nombre sans dimension associé à un bien marchand. Il n’est donc pas question de rechercher une dimension qui serait commune au numéraire et aux biens réels. Le numéraire 3 associé au bien a en sa quantité physique x forme unité avec x . a ; prétendre comparer entre elles la valeur de trois unités du numéraire et la valeur de x unités physiques du bien a reviendrait à comparer un objet avec lui-même. Si le nombre 3 est la mesure de x unités physiques du bien a , il en est ainsi pour une raison précise: c’est que le nombre 3 est, en quelque sorte, la représentation de x . a dans l’ensemble des nombres. Gérard Debreu, notamment, pose l’axiome selon lequel les biens sont présents dans l’ensemble des nombres réels; en d’autres termes, les biens sont des nombres. Dans le monde physique, on compte et on dénombre des dimensions; en économie, on dénombre des nombres (ce qui n’est pas une redondance). Si x unités physiques du bien a sont représentées par le nombre 3 et que y unités du bien b sont représentées par le même nombre, la valeur, purement numérique, des biens a et b , en leurs quantités physiques respectives de x et de y unités, est le nombre 3 sans dimension.

Sans doute les théories fondées sur le numéraire de Walras, ou théories néo-classiques, ne réussissent-elles pas la transformation du numéraire en monnaie. Ces théories restent donc abstraites car, dans le monde concret, c’est la monnaie, et non le numéraire walrasien, qui est la mesure de toutes les grandeurs économiques.

Mais là n’est pas la question principale. Si la présence d’un numéraire dans une économie permet logiquement la détermination des prix relatifs, le paradigme néo-classique est une explication valide des lois régissant une économie d’échange. Or il est possible de démontrer aujourd’hui, sans trop de difficulté, que les prix relatifs restent totalement indéterminés dans le paradigme néo-classique.

Exprimées en un numéraire, les mesures sont cardinales. Le problème fondamental est donc de savoir si les utilités ordinales peuvent être révélées (Paul Samuelson) dans les transactions, de telle sorte que les termes de chaque échange soient numériquement égaux entre eux.

Soit le cas le plus simple d’une économie constituée de deux agents, A et B, disposant chacun d’un seul bien; A est doté d’une quantité x d’un objet physique a, et B d’une quantité physique y d’un objet physique b .

Chaque agent désire acquérir une partie de la dotation de l’autre, et chacun est prêt, pour cela, à céder une partie de sa propre dotation. Supposons que les agents se mettent d’accord, après un «tâtonnement», sur un échange dont les termes sont les suivants: A cède x a, et B cède y b , selon le schéma où les flèches montrent les cessions réciproques.

Mais, pour que l’échange ci-dessus soit mathématiquement «formalisé», il est indispensable de substituer un signe d’égalité à ces flèches:

Si l’on ne parvenait pas à écrire l’équivalence de x a et de y b , les objets physiques a et b resteraient incommensurables. Or toute science repose sur la mesure de son objet. Faute d’une égalité entre ses deux termes, la transaction décrite ne serait même pas un véritable échange. Et toute la science économique est l’étude des échanges (même dans une économie de production).

Les théoriciens de la tradition (Walras, John Hicks, Samuelson, Kenneth Arrow) affirment que la mathématisation des échanges est une possibilité formelle. La raison qu’ils invoquent est que «n équations peuvent être établies pour n biens; cependant, deux complications obèrent ces dénombrements; [...] en fait, les équations ne déterminent que les n –1 prix relatifs; d’autre part, ces équations ne sont pas indépendantes; il suffit que n –1 d’entre elles soient satisfaites pour que le n -ième le soit d’après la loi de Walras» (Arrow). Il semble donc que les solutions requises puissent être dégagées. Arrow reconnaît cependant que les prix, même relatifs, ne peuvent être déterminés qu’à un facteur de proportionnalité près.

Mais il y a beaucoup plus grave. Le paradigme néo-classique comporte une erreur de logique dans ses fondements prémathématiques. Raisonnons dans le cadre de notre exemple simple. Les biens a et b admettent peut-être un seul prix relatif d’équilibre; en ce sens, deux biens (n = 2) définissent une seule inconnue (n –1). Mais, comme cette inconnue ne peut être déterminée qu’à l’aide d’un numéraire, il est certain que chaque bien a une série de prix possibles dans le numéraire choisi. Il en découle que deux inconnues (n et non pas n –1) doivent être déterminées en numéraire pour deux biens. Le paradigme néo-classique n’a de solution que si l’une de ces inconnues tombe, car les auteurs ont raison d’affirmer qu’ils ne disposent que de n –1 équations indépendantes (c’est-à-dire d’une seule équation dans notre exemple). Mais le nombre des inconnues ne peut être réduit d’une unité que si l’on pose que le prix de l’un des biens est invariant dans le numéraire choisi; si le prix en numéraire du bien a , en sa quantité physique x , est le nombre pur 3, le prix relatif du bien b dans le bien a peut effectivement être déterminé par la résolution d’une équation. Or il est impossible de savoir, avant que les échanges aient lieu, si le prix en numéraire de x a est effectivement égal au nombre 3; le théoricien a sans aucun doute le droit de décider par convention qu’une unité physique d’un bien choisi au hasard a pour prix le nombre 1, mais il commet une pétition de principe en se donnant par avance le nombre d’unités physiques du bien numéraire qui seront présentes dans un échange effectif; dès que ce vice formel est évité, il apparaît qu’une économie d’échange comportant n biens appelle la détermination en un numéraire de n (et non de n –1) prix indépendants. Même dans une pure économie d’échange, le paradigme néo-classique ne réussit donc pas à déterminer les prix.

Si le monde ne comportait que deux biens, il serait inutile de rechercher leur mesure. Mais, en toute période, chaque économie nationale comprend n biens (où n est un nombre très grand). La tâche primordiale de la science économique est ainsi de découvrir le principe de la mesure des biens. Ce n’est qu’après l’avoir trouvé que la théorie peut examiner avec fruit les grandes questions de la production et de la répartition des biens. À cette fin, la mesure des grandeurs doit s’appliquer à deux catégories essentielles de l’économie, à savoir au revenu et au capital.

Mais par quelle méthode l’équivalence x a = y b peut-elle être établie?

C’est ici que la monnaie intervient nécessairement. Si elle n’était pas présente dans les transactions, aucun échange au sens propre ne pourrait exister, car les objets cédés réciproquement n’admettraient aucune mesure numérique et ne pourraient donc être les termes d’une équivalence.

Économie de production et monnaie

Dès que la monnaie s’interpose dans les échanges, elle permet l’établissement d’équivalences du type suivant, où q U.M. est une quantité précise d’unités monétaires:

À ce stade de l’analyse, nous ignorons encore le principe qui permet de trouver l’équivalence de x unités physiques du bien a , ou de y unités physiques (distinctes) du bien b , avec q unités de monnaie. Nous constaterons que seules les économies de production permettent d’établir des relations d’équivalence entre la monnaie et les biens. Nous montrerons plus loin comment les équivalences s’établissent dans les économies concrètes entre produits et unités de monnaie. Dès à présent, une information positive se dégage: en leurs quantités respectives x et y , les biens physiques a et b sont équivalents entre eux pour la raison sine qua non que x a est équivalent à q U.M., ainsi que y b .

Dans la tradition de Walras, on pensait que les biens se mesurent entre eux. En réalité, une marchandise ne peut pas mesurer une autre marchandise, pas plus qu’elle ne peut se mesurer elle-même. Il est intéressant de noter que la monnaie a toujours été conçue comme une unité de mesure. Cependant, deux changements de paradigme ont eu lieu dans l’histoire de la théorie monétaire. Les économistes classiques (Adam Smith, David Ricardo) pensaient que les unités de monnaie sont des nombres attachés à la valeur-travail. Puis les économistes néo-classiques (l’école de Walras, à laquelle appartiennent encore de nombreux auteurs contemporains, «prékeynésiens») considèrent que la monnaie est elle-même un bien ou une marchandise dont la valeur, comme celle de tout bien, est déterminée par son utilité. D’après ces deux grandes écoles de pensée, les valeurs monétaires expriment une dimension (travail incorporé, utilité) qui serait la qualité commune et mesurable de tous les biens économiques.

Le numéraire n’est pas une monnaie, mais l’unité de monnaie est un numéraire, nombre sans dimension.

Nous reviendrons sur la définition de l’unité de mesure monétaire, que nous supposons ici connue. Étant donné que q U.M. (= 10 francs par exemple) est le prix de x unités du bien a , on sait qu’il existe une relation d’équivalence qui admet pour termes le nombre pur 10 (appelé ou dénommé franc) et la quantité x de la marchandise a .

Comme il n’existe aucune valeur dimensionnelle en économie – ni une valeur-travail ni une valeur-utilité qui seraient objectivement mesurables –, les marchandises ne pourraient pas être évaluées en l’absence de la monnaie, qui apporte, et est seule à pouvoir apporter, leur mesure numérique. Si la monnaie n’existait pas, les marchandises ou les produits resteraient ce qu’ils sont physiquement, à savoir un chaos d’objets hétéroclites, dont aucun ne pourrait être quantitativement comparé à aucun autre.

En toute économie, la monnaie est l’étalon purement numérique des marchandises; et aucune économie ne peut étalonner ses produits sinon au moyen de la monnaie. On a longtemps cru à l’existence, au moins abstraite, d’un étalon des valeurs qui serait lui-même pourvu de la valeur qu’il permet de mesurer dans les autres objets. Cette croyance est préscientifique. Selon la seule conception qui soit à la fois logique et adéquate aux faits, la valeur des biens est leur expression numérique en monnaie; et il est bien clair que les nombres, et donc les unités de monnaie, ne s’expriment pas eux-mêmes. En économie, les mesures sont uniquement numériques, non dimensionnelles. Les biens n’ont aucune dimension de valeur; la valeur des biens est leur expression en une somme d’unités monétaires, chaque unité de monnaie étant un nombre concret.

Les produits d’une économie monétisée sont parfaitement homogènes entre eux car ils sont tous mesurés en unités de monnaie.

On voit ainsi que la raison d’être primordiale de la monnaie est de rendre les marchandises homogènes entre elles. Aucune dimension unitaire ne peut rendre compte de la diversité profuse de la dimension physique des biens. Le seul élément qui soit commun à tous les produits, physiquement hétéroclites, est leur expression numérique en monnaie.

Examinons maintenant une autre question fondamentale: est-il préférable que la monnaie soit métallique ou fiduciaire ?

Le choix historique entre la monnaie précieuse et la monnaie fiduciaire

Au début du XIXe siècle déjà, David Ricardo a démontré que la monnaie de banque est l’unité monétaire qui est la plus économique et aussi la plus sûre et la plus stable.

La façon la plus simple de se représenter le problème du choix de l’unité monétaire est de se demander si un nombre inscrit sur une pièce de métal précieux est une meilleure unité de compte qu’un nombre qui est simplement porté sur une coupure de papier, émis par une banque centrale, ou inscrit dans les comptes d’une banque secondaire. Si les unités de monnaie avaient une valeur, l’or et l’argent seraient évidemment une meilleure garantie de cette valeur que du papier (billets de banque ou monnaie fiduciaire au sens strict) ou qu’une écriture dans les comptes bancaires (monnaie secondaire, dite scripturale). Mais, comme l’unité monétaire est un nombre, il est inutilement coûteux d’inscrire les «nombres monétaires» (1 franc, 10 francs, 100 francs, etc.) sur une pièce de métal précieux. Dès lors que, d’après la loi, l’unité monétaire de la France est le franc, cette unité est représentée avec la même authenticité par les unités de monnaie fiduciaire ou scripturale qu’elle le serait par des inscriptions portées sur des lingots ou des pièces d’or (ou d’argent).

Longtemps, toutefois, un doute a subsisté: l’unité de monnaie a-t-elle une valeur stable même dans le cas où elle n’est inscrite que sur du papier? Ricardo, connu comme le «prince des économistes», a répondu par l’affirmative. Un billet d’une livre sterling émis par la Banque d’Angleterre a, en vertu de sa définition légale, exactement la même valeur – entendons qu’elle est une unité numérique tout aussi valide – qu’un poids d’or équivalant à une livre sterling.

En sa qualité d’unité numérique, la monnaie est tout aussi «forte» quand elle est fiduciaire ou scripturale que lorsqu’elle était constituée d’un métal précieux.

Cependant, la question rebondit sous une autre forme: si l’unité monétaire mesure les marchandises, n’est-il pas également vrai que les marchandises mesurent l’unité monétaire? En tant que la monnaie est «mesurante», elle a même valeur (numérique), qu’elle soit métallique ou bancaire. Mais, en tant qu’elle est mesurée par les marchandises, la monnaie précieuse paraît offrir une plus grande garantie de stabilité. Depuis les expériences de John Law, on sait assez que le papier-monnaie peut se déprécier jusqu’à perdre toute valeur, alors que l’or ou l’argent sont des valeurs «naturelles» que l’homme ne peut manipuler à sa guise.

Ricardo a définitivement démontré que, dans un régime où un métal précieux – or ou argent – est l’étalon des espèces, c’est en réalité le prétendu étalon qui dérive sa valeur de la monnaie bancaire et non l’inverse. Si le niveau général des prix augmente dans une économie, l’étalon monétaire se déprécie dans la même proportion que les autres marchandises, si bien que l’or monétaire (saisi dans l’étalon) se déprécie par rapport à l’or-métal. Il est donc illusoire de chercher à garantir la stabilité de la monnaie bancaire en la liant à un étalon.

Avant de conclure avec Ricardo que le meilleur régime concevable d’une économie monétaire est la présence des seules monnaies bancaires, il faut encore répondre à un dernier contre-argument. Sans doute un métal précieux, érigé en étalon des valeurs, ne saurait-il répondre à l’attente du législateur car, dans la réalité des faits, c’est la monnaie, et non l’étalon, qui est la mesure de tous les biens économiques, y compris le bien choisi comme étalon. Mais la déception tient ici à la coexistence d’un étalon précieux et d’une monnaie de banque. La stabilité de la monnaie ne serait-elle pas garantie dans un régime où toutes les espèces monétaires seraient constituées d’or ou d’argent, à l’exclusion de toute monnaie bancaire?

Ricardo a également résolu cette dernière question. La valeur de chaque pièce d’or ou d’argent est déterminée par son coût de production, qui est stable, il est vrai, au moins dans le moyen terme. Mais la valeur de la masse des pièces qui sont en circulation dans une économie nationale n’est pas déterminée par l’addition des coûts de production de chaque pièce individuelle; bien au contraire, la masse monétaire emprunte sa valeur aux biens de consommation et d’investissement qu’elle est chargée d’écouler: c’est donc la valeur des produits réels qui détermine la valeur de la monnaie, et non l’inverse. Prenons un exemple simple. Si, d’après sa définition légale, chaque pièce est constituée d’une once d’or, dont le coût de production est de deux livres sterling, la valeur de chaque pièce n’est en fait que d’une livre sterling en toute situation où les pièces en circulation dans l’économie sont deux fois trop nombreuses pour écouler le produit disponible dans la période pertinente (déterminée par la «vitesse moyenne» par année de la circulation des pièces). Un seul principe préside ainsi à la détermination de toutes les valeurs, sans excepter la valeur de chaque pièce de monnaie, c’est le coût de production des biens non monétaires. Il est clair, dès lors, qu’une monnaie purement métallique ne peut en aucun cas être plus stable que la monnaie bancaire.

Les enseignements apportés par Ricardo, en une période où la monnaie de banque n’avait pourtant pas encore atteint son développement moderne, ont été confortés par l’évolution subséquente des faits. Dans tous les pays du monde, sans exception, les monnaies nationales sont aujourd’hui détachées de tout étalon des valeurs. Ni l’or ni l’argent ne sont plus en circulation dans les paiements, nationaux ou internationaux. Les monnaies de notre planète, partout bancaires, ont perdu toute teneur et ont cessé d’être convertibles en un métal précieux. À l’intérieur des économies nationales, l’or et l’argent sont devenus des marchandises comme les autres. Même dans l’espace international, l’or a perdu son rôle privilégié. En effet, depuis la Conférence de Gênes en 1922, les réserves officielles des pays, détenues dans leurs banques centrales, sont aussi bien constituées de devises (donc de monnaies bancaires) que d’or.

Il est d’autant plus intéressant d’étudier la signification précise et la technique de la création des monnaies bancaires.

Nature des créations de monnaie

Expliquons d’abord le principe général de l’intégration , par création monétaire, du nouveau produit de chaque période dans une somme de monnaie. Nous montrerons ensuite que, contrairement aux idées reçues, ce sont les banques de dépôt (ou banques secondaires) qui émettent la monnaie de chaque pays, les banques centrales intervenant dans le mécanisme de la compensation. Nous examinerons enfin la question du multiplicateur des dépôts.

Intégration du produit dans la monnaie

Dans chaque pays, les banques créent la monnaie nationale. La nature même de sa création confère immédiatement à la monnaie son rôle primordial d’enveloppe numérique des nouveaux produits.

Situons le raisonnement dans une économie nationale. Soit la banque de dépôt B1. L’entreprise E, qui emploie le travailleur A, demande à sa banque (B1) de verser un salaire de 100 unités de monnaie à A, en paiement du bien a , son produit de la période considérée. Afin de mettre le processus de la création monétaire en pleine lumière, supposons que la banque B1 ne dispose chez elle d’aucun dépôt préalable, dans lequel elle pourrait puiser le salaire de A. En effet, l’utilisation par une banque d’un dépôt préalable ne définirait pas une création monétaire. Il est évident que le raisonnement serait pris dans un cercle vicieux si les créations monétaires n’existaient pas; en effet, en l’absence de toute création monétaire, le public ne pourrait disposer d’aucune somme positive de monnaie bancaire; en conséquence, les dépôts constitués dans les banques seraient forcément nuls. Il est donc logiquement nécessaire de reconnaître que les banques prêtent au public des sommes de monnaie que le public ne leur a pas prêtées. C’est justement le cas de B1, qui paie le salaire de A en créant 100 unités de monnaie.

Comme tout salaire, le salaire de A a une définition double: sa forme est une somme de monnaie (100 U.M.); mais son objet est un produit. Si les salaires étaient payés par prélèvement dans un fonds ou sur un capital préalable, leur objet serait un produit d’une période antérieure. Or les économistes ont abandonné la doctrine du fonds des salaires. C’est qu’ils ont constaté qu’en chaque période les salaires créés (en leur forme monétaire ou nominale) ont pour objet le produit courant des salariés. Le fait essentiel est que les banques ne créent jamais l’objet réel des salaires mais seulement leur forme nominale ou numérique. Cette conclusion serait vérifiée même si les salaires étaient prélevés dans un fonds préalable; la production de chaque période apporterait alors l’objet des salaires d’une période postérieure, les salaires courants trouvant leur propre objet dans la production d’une période antérieure. Le fait constant est que, dans leurs créations, les banques ne peuvent susciter qu’un «objet immatériel», entendons la forme numérique des produits de chaque période et non des actifs monétaires. Si les salaires sont néanmoins des actifs positifs, ils le sont dans leur objet, qui est le produit de chaque période; en elle-même, abstraction faite de son objet, la forme bancaire ou monétaire des salaires n’est pas un actif.

Technique de la création monétaire

L’examen de la technique de la création monétaire confirme cette analyse. Suivons l’exemple du paiement de 100 unités de monnaie pour le salaire courant de A; c’est la banque B1 qui crée ce salaire pour le compte de l’entreprise E. Cette création monétaire est effectuée sous la contrainte de la comptabilité à partie double. Selon cette discipline comptable très stricte, les banques (notamment) ne peuvent jamais créditer un agent sans le débiter dans le même mouvement. Représentons les flux de la création monétaire dans un compte en T:

Ces écritures sont équilibrées «en diagonale», ce qui est inhabituel. Mais il s’agit de flux . Or même la comptabilité dite de flux ne retrace en fait que le résultat des flux concernés. Les écritures portées dans les comptes cachent les flux dont elles résultent. Il est bon que l’analyse les fasse apparaître, comme ci-dessus. La ligne 1 définit une création monétaire: l’entreprise E bénéficie de la création de 100 unités de monnaie; à défaut, l’entreprise ne pourrait pas payer les salaires qu’elle doit puisque, rappelons-le, les salaires ne sont pas prélevés dans un fonds préalable. À la ligne 2, les salaires de 100 unités de monnaie sont effectivement payés, par le débit de l’entreprise et le crédit de son employé. La ligne 3 porte une information cruciale: les unités de monnaie versées sont aussitôt déposées dans la banque qui les a créées. On comprend bien que les unités de monnaie scripturale ne peuvent exister que dans les banques. Considérons maintenant la représentation graphique des flux que nous venons de mettre au jour (cf. figure).

Les flux (1), (2) et (3), qui correspondent aux écritures comptables 1, 2 et 3 du compte en T, forment un circuit de monnaie «véhiculaire». Les objets réels acheminés ou véhiculés par ces flux sont le bien produit cédé par A et le titre de dépôt bancaire correspondant que l’entreprise cède en contrepartie.

Le circuit de monnaie véhiculaire comporte une équivalence, voie étroite par laquelle la valeur s’introduit dans le champ de l’économie. Dans la période considérée, le facteur de production A cède à E le bien a , nouvellement produit; cette cession est l’objet d’un circuit de 100 unités de monnaie véhiculaire; on en induit que le bien a est équivalent à 100 unités de monnaie. Pour exprimer cette équivalence d’une façon imagée, on peut dire que le circuit de 100 unités de monnaie se forme et se referme sur le bien a , qui est ainsi englobé dans 100 unités de monnaie, comme dans une enveloppe . En dernière analyse, on constate que la formation du salaire de A apporte à celui-ci son propre produit, mais sous sa forme nominale: le bien a est déposé sous forme monétaire dans l’avoir de A.

L’analyse s’étend à l’intégration du produit dans une multitude de salaires et également dans les revenus non salariaux. Dans tous les cas, les titulaires de revenus perçoivent le produit nouveau comme objet de leurs rémunérations.

Il est également intéressant de noter que la même analyse est valide pour les titres financiers (actions et obligations) et pour les biens d’occasion, qui ne font pourtant pas partie du produit national: les acquéreurs de ces derniers biens achètent en effet de nouveaux produits pour le compte des vendeurs de ces biens.

Les banques de dépôt émettent les monnaies nationales

Les économistes ont longtemps pensé que toute monnaie bancaire est créée par les banques centrales, encore appelées instituts d’émission. Depuis au moins un siècle, les auteurs reconnaissent que les banques de dépôt (ou banques secondaires) sont, elles aussi, créatrices de monnaie. Partout dans le monde, la monnaie scripturale, émise par les banques de dépôt, a même nettement pris le pas sur la monnaie fiduciaire, émise par les banques centrales. Une observation un peu plus avancée établit le fait que les banques de dépôt ont le monopole de l’émission monétaire, sauf en ce qui concerne les opérations sur devises. Les banques centrales sont les banques de dépôt des Trésors publics; et, même si elles ont une clientèle privée (entreprises et ménages), c’est à nouveau en leur qualité de banques de dépôt. En outre, s’il est vrai que des billets de banque circulent dans le public, ceux-ci sont «injectés» dans l’économie, comme d’ailleurs les pièces de monnaie, par des annulations équivalentes de dépôts dans les banques secondaires. Enfin, les unités de monnaie centrale présentes dans les relations entre un institut d’émission et le réseau de «ses» banques secondaires forment une somme de monnaie interbancaire, dont il est correct de dire, d’une part, qu’elle est purement scripturale et, d’autre part, que sa somme est nulle dans le système bancaire.

Il est vrai, néanmoins, qu’en un certain sens la monnaie centrale est la seule monnaie dont dispose une économie nationale.

La transformation des monnaies secondaires en monnaie centrale

Le mécanisme de la compensation permet aux banques secondaires de régler quotidiennement, à travers leur banque centrale (qui intervient comme dans une catalyse), les dettes qu’elles portent les unes envers les autres. Il en résulte que les unités de monnaie secondaire représentent des unités de monnaie centrale, si bien qu’il est vrai de dire que toute monnaie intervenant dans les paiements est ou représente une monnaie centrale. C’est la raison pour laquelle les économies nationales disposent chacune d’une monnaie unique (le franc français pour la France, le dollar américain pour les États-Unis d’Amérique, etc.), créée par son système bancaire, unité organique en chaque nation des banques secondaires et de «leur» banque centrale. Les instituts d’émission unifient les monnaies de leur nation en intervenant comme «prêteurs de dernier ressort» pour le compte des banques secondaires, qui se paient ainsi entre elles.

Le «multiplicateur des dépôts»

Une question qui a longtemps obéré l’analyse monétaire est celle du «multiplicateur des dépôts». Suivons toujours le même exemple simple. La banque B1 a recueilli le dépôt de 100 francs constitué par l’agent A; B1 doit donc 100 francs à A, dette inscrite au passif de la banque; mais quelle est la définition de l’actif correspondant? Les auteurs avaient pensé qu’il s’agissait d’une somme de monnaie; on le constate, pensaient-ils, dans le cas suivant: A retire son dépôt sous la forme de billets de banque, et son fournisseur le reconstitue (dans la même banque ou dans une autre) sous cette même forme; les billets déposés chez B1 constituent un actif dans sa caisse; on voit ainsi, semble-t-il du moins, que la contrepartie de la dette des banques envers le public est une somme de monnaie équivalente qui serait déposée par le public dans les banques. Si la contrepartie de la monnaie était la monnaie elle-même, on conçoit aisément que les dépôts pourraient se multiplier; les banques seraient à même de prêter simultanément à un nombre indéfini de clients chaque dépôt reçu par elles. La dette des banques serait en quelque sorte fictive si elles trouvaient à leur actif les sommes de monnaie qu’elles doivent au public; elles pourraient s’engager à hauteur de trois fois 100 francs, par exemple, sur le fondement d’un dépôt de 100 francs seulement, puisque les sommes de monnaie prêtées en surplus seraient, elles aussi, déposées chez elles.

Dans la réalité des faits, les choses se passent tout autrement. Lorsque les banques créent une somme de monnaie, elles «monétisent» une partie équivalente de la production de leur pays; ce faisant, les banques reçoivent en dépôt un produit équivalent, qui est en attente d’être écoulé. C’est le produit nouveau de chaque période qui est la contrepartie des nouvelles créations monétaires. Il en résulte – ce qui est beaucoup plus satisfaisant pour l’esprit – que les banques ne peuvent en aucun cas prêter plusieurs fois un même produit, déposé chez elles. Le prétendu multiplicateur des dépôts est logiquement égal à 1. La monnaie est l’objet d’une création et non d’une multiplication.

La vraie nature de la monnaie

Il est difficile de comprendre la vraie nature de la valeur en économie; ce concept ne prend son sens positif que dans la valeur monétaire. Or comment faut-il entendre exactement la valeur de la monnaie? L’analyse qui précède permet de répondre à cette question, sans doute la plus fondamentale de toute la théorie monétaire.

On peut proposer l’analogie d’un objet qui a été déposé dans une consigne (banque) et de l’émission d’un ticket qui permettra à son titulaire de retirer son dépôt. Un ticket de consigne est une «non-valeur», car son coût de production est négligeable. L’objet déposé n’est sans doute pas dépourvu de valeur, au moins aux yeux du déposant. Mais de quelle «valeur» s’agit-il? À cet égard, on peut parler de l’utilité du bien déposé; mais cette utilité est-elle objective? et, si l’utilité du bien déposé est subjective (définie par et pour son seul propriétaire), est-elle alors mesurable?

Les économistes ont patiemment recherché la mesure exacte de la valeur-utilité des biens; ils n’y sont pas parvenus. La connaissance économique a progressé en découvrant une toute nouvelle définition de la valeur des biens. Telle qu’elle est conçue par la science moderne, la valeur économique est une relation entre des termes qui sont strictement des non-valeurs. À partir du moment où deux objets forment une relation d’équivalence entre eux, il est légitime de dire que chacun est la valeur de l’autre. Dans ces conditions, il est «métaphysique» (au sens de Karl Popper) de rechercher la valeur économique, qui est une relation , dans les biens eux-mêmes. Une relation d’équivalence entre deux non-valeurs définit la valeur de ces objets l’un par rapport à l’autre. On peut résumer le progrès décisif accompli par la science économique moderne en disant que, dans le prix monétaire d’un bien – 100 francs pour le bien a –, elle reconnaît l’existence d’une seule valeur, qui est précisément la relation d’équivalence établie entre 100 francs (une somme de nombres concrets, dépourvue de toute valeur sinon purement numérique) et le bien a (une autre non-valeur). Dans le stade préscientifique de notre discipline, les auteurs cherchaient à déterminer la valeur de la monnaie, puis la valeur des biens réels; et, en cas d’égalité de valeur d’une somme de monnaie d’une part et d’un bien réel de l’autre, on parlait de l’équivalence de ces biens. Dans un système théorique purement abstrait, sans correspondance avec les faits, on trouvait par exemple les deux équations suivantes, et on en déduisait une troisième relation d’équivalence: 100 francs = x unités de valeur; bien a = x unités de valeur; donc: 100 francs = bien a .

Les théories dépassées ne disparaissent pas d’un seul coup; elles s’étiolent progressivement. C’est la raison pour laquelle on enseigne encore dans certains cours professés dans les universités du monde entier que la monnaie a une valeur, comparable à la valeur des biens réels. C’est complètement erroné. La science économique aurait progressé plus rapidement si elle avait pleinement pris en compte la nature de la monnaie bancaire. Comment les unités de monnaie de banque, simples écritures de nombres dans des livres comptables (monnaie secondaire) ou sur du papier «volant» (monnaie centrale), auraient-elles la moindre valeur? Et, puisque la monnaie est privée de valeur, comment concevoir que les biens qu’elle permet d’acheter sont, quant à eux, des valeurs positives?

Tout titulaire d’un dépôt bancaire est en possession d’un pouvoir d’achat; et toute dépense d’un pouvoir d’achat monétaire est l’action par laquelle un produit préalablement déposé dans une somme de monnaie (et, donc, dans la banque qui l’a émise) en est «chassé». L’émission des rémunérations suscite les revenus nominaux au sein desquels la production concomitante dépose le nouveau produit ainsi monétisé; dans cette opération, le produit est mesuré par sa forme numérique, comme un noyau dans son enveloppe, de laquelle il est définitivement retiré au moment de son achat «final», au sens même de la comptabilité nationale.

Il se confirme ainsi que l’étalon des mesures économiques est un pur nombre, sans dimension. L’idée antique, mais qui se manifeste encore dans l’opinion (même parmi certains économistes), d’après laquelle l’unité de monnaie ne serait parfaite que si sa valeur était immuable, est une vue de l’esprit. Même la monnaie précieuse, or ou argent, n’a une valeur positive qu’au moment où elle est déposée dans une forme numérique, c’est-à-dire en sa qualité de nouveau produit d’une période donnée. Dès lors qu’il est saisi dans sa fonction monétaire, le métal précieux perd ses qualités physiques propres, et il ne joue plus que le rôle d’un étalon numérique (nombre inutilement inscrit sur un produit coûteux) des nouveaux biens dont il monétise les productions successives.

Les fonctions de la monnaie et les fonctions des banques

Jusqu’à une date récente, les économistes n’avaient pas réussi à définir la monnaie, sinon par ses fonctions. On posait en principe que «la monnaie est ce qu’elle fait». À ce stade de l’analyse, la monnaie n’était pas encore devenue un objet de science rigoureux. La théorie des émissions monétaires, effectuées par les banques de dépôt, met fin à cet état de chose, en apportant toute la rigueur requise dans ce domaine de la connaissance.

Les fonctions de la monnaie et des banques découlent directement de la nature des unités monétaires, et non pas l’inverse.

Les trois fonctions de la monnaie

L’énumération des trois fonctions essentielles de la monnaie est connue depuis Aristote. Ce qui est nouveau, c’est la connaissance du fait que ces trois fonctions – unité de compte, instrument de paiement, réserve de valeur – sont non pas simultanément portées par une unité de monnaie indifférenciée, qui serait plurifonctionnelle si elle existait, mais au contraire par trois unités de monnaie distinctes . Appelons M la monnaie de compte, M la monnaie de paiement et M la monnaie en sa qualité de réserve de valeur.

La monnaie M, unité de compte

S’il était possible de la saisir, au moins par l’esprit, avant qu’elle ne fût créée, on s’apercevrait que la monnaie est un pur nombre et, qui plus est, un nombre n’admettant aucune association avec les biens réels. Chaque jour, avant qu’elles ne soient l’objet d’une émission, les unités de monnaie sont encore étrangères à l’économie, qui ne traite pas de nombres purs mais uniquement des nombres qui représentent les produits déposés dans les banques, auxquelles les entreprises doivent les rémunérations courantes des facteurs de production. Léon Walras enseignait déjà que le franc est le nombre 1 dénommé franc. Malgré les apparences, on est loin du «nominalisme» ou du «numéralisme», puisque le nombre 1 appelé franc, qui est déjà une parfaite unité de compte, mais qui n’est pas encore transformé en un revenu par la production réelle, n’est en présence d’aucun produit qu’il puisse compter: M est bien une grandeur nominale, mais une grandeur qui, justement parce qu’elle est nominale, n’appartient pas (encore), ni en elle-même ni par représentation, à la classe des biens économiques.

En sa qualité d’unité de compte, la monnaie est un nombre et ressemble donc au numéraire de Walras. Cependant, le numéraire walrasien désigne tout à la fois un nombre et un bien réel associé à ce nombre. Même dans la phase du tâtonnement, pendant laquelle les agents sont censés être à la recherche des échanges équilibrés, le numéraire est lié à une marchandise. Avant les échanges et, plus spécifiquement, avant ces échanges d’un type particulier que définissent les productions monétisées, la monnaie de compte, quant à elle, n’est jamais associée aux marchandises; si le paiement monétaire des productions réelles ne substituait pas une somme de rémunérations ou de revenus nominaux aux produits physiques, la monnaie resterait ce qu’elle est en elle-même, à savoir un nombre qui n’aurait de la monnaie que le nom (franc, dollar, etc.).

La monnaie M, unité de paiement

Charles Rist écrit que les nombres ne s’échangent pas contre des biens réels. Il avait parfaitement raison, car des échanges de ce type seraient contre nature. Les unités de compte ne peuvent donc pas être utilisées en unités de paiement; la monnaie M ne peut pas être identique à la monnaie M. Cela signifie qu’une opération est formellement nécessaire pour changer une unité de compte en une unité de paiement. Nous connaissons bien l’opération dont il s’agit: c’est la production réelle, à condition, bien entendu, qu’elle soit monétisée. Il est presque inutile de rappeler ici le sens précis de la monétisation d’une production (et, par voie de conséquence, du produit correspondant). On sait qu’une production est monétisée dès lors que ses facteurs sont rémunérés en monnaie, au lieu d’être «payés» directement en nature. En chaque période, les facteurs de production obtiennent une somme de monnaie dont le noyau est le nouveau produit national; le paiement des facteurs est donc réel et non nominal; seule la forme de leur paiement est nominale ou numérique; l’objet de leur paiement est leur propre produit.

Les deux monnaies, M et M, unité de compte et unité de paiement, sont donc l’une et l’autre ce qu’une forme vide (M) est à une forme emplie d’un produit (M). Les unités de compte ne peuvent pas figurer dans les paiements; et les unités de paiement dérivent toute leur force libératoire non de la confiance du public, comme on le dit encore souvent, mais du produit qu’elles contiennent objectivement.

Dans les manuels on apprend que «la monnaie brise les trocs». Ce n’est pas vrai du tout. Dans le monde tel qu’il existe, les échanges ne sont pas relatifs; le troc d’une laitue contre un navet – opération d’un type fort rare et sans intérêt – n’est pas un échange. Nous avons démontré plus haut qu’il est formellement impossible de construire des relations d’équivalence entre biens distincts. Les paiements monétaires sont d’un tout autre ordre, car ils définissent des échanges absolus . Le paiement des facteurs de production vaut substitution d’une somme de monnaie à leur produit physique; et le paiement final du produit réalise la substitution inverse, le produit cessant d’être représenté par une somme de monnaie et les revenus monétaires étant détruits dans les comptes bancaires. Dans les deux cas, un seul et même objet, à savoir le produit national, est changé en une somme de monnaie, qui lui est identique par substitution, pour être finalement changé en lui-même, au moment où il se substitue à la somme de monnaie qui s’était temporairement substituée à lui. Dans les économies concrètes, les échanges sont donc des changes ou des conversions (et non des déplacements dans les deux sens opposés), l’une contre l’autre, d’une marchandise et d’une seconde marchandise distinctes. Payés sur le marché des facteurs de production, les agents reçoivent leur propre produit sous forme monétaire. Payées sur le marché des produits, les entreprises cèdent le produit physique «libéré» par la monnaie et par les banques. Les échanges (absolus), qui ne sont des paiements ni sur le marché des facteurs de production (paiements qui ne sont pas une formation de salaires, rentes, dividendes, intérêts de la période considérée), ni sur le marché des produits (paiements qui ne définissent pas le retrait net et la destruction d’un dépôt bancaire) sont des transferts; ce sont alors les bénéficiaires de ces transferts qui sont à même de retirer un produit équivalent à la place de ses titulaires initiaux.

La monnaie M, unité de réserve

Récapitulons. L’unité de compte, M, est un pur nombre; présente dans les paiements, la monnaie M absorbe (marché des facteurs de production) ou libère (marché des produits) un bien produit; il reste à définir M, unité de réserve. Celle-ci ne s’identifie ni à M ni à M, car elle est définie par le maintien dans un intervalle de temps (court, moyen ou long) d’un produit dans sa forme monétaire.

Répétons que tout titulaire d’un dépôt dans une banque est propriétaire d’une somme de monnaie qui comporte un noyau réel, constitué par un produit en attente d’être écoulé. C’est précisément cette attente qui définit une épargne ou un capital monétaire, autrement dit une réserve de valeur. Ainsi, l’objet réservé est non pas une simple somme de monnaie, mais son «contenu-produit». Une réserve de valeur monétaire est un pouvoir d’achat actuel changé en un pouvoir d’achat futur; et tout pouvoir d’achat monétaire porte sur un produit réel. Par-delà les apparences, les agents qui se constituent des réserves monétaires de valeur déposent donc dans leur patrimoine des produits futurs et non un «bien monétaire», qui serait doté en permanence de quelque mystérieuse valeur propre. Dans ces conditions, l’épargnant trouvera finalement un autre produit, c’est-à-dire le produit d’une autre période, postérieure. Et la somme de monnaie prétendument conservée par l’épargnant disparaît, elle aussi, dans la période où l’épargne est formée, si bien que la valeur apparemment réservée est en fait une valeur qui ne se formera, autour d’un nouveau produit, que dans la période où ce capital se dénouera, l’épargnant devenant alors consommateur ou investisseur. En attendant, la réserve monétaire est constituée d’un droit à un dépôt futur, exigible de la banque dépositaire à l’échéance, et non d’un dépôt qui se maintiendrait par inertie dans le temps. Les dépôts «oisifs» n’existent pas, car ils apporteraient une perte sèche aux banques, qui seraient dans l’obligation de payer des intérêts aux déposants sans percevoir d’intérêts créditeurs corrélatifs.

L’épargne micro-économique est à somme nulle (un emprunteur faisant face à un prêteur). L’épargne macroéconomique est un prêt auquel ne correspond aucun emprunt. Il s’agit de l’avance que les banques consentent à l’ensemble de l’économie nationale au moment où elles créent, pour une période donnée, la forme nominale des nouveaux produits. En chaque période, les nouveaux revenus sont prêtés au processus de production; l’épargne qui se forme ainsi représente le temps objectif qui s’écoule entre le moment où le nouveau produit est monétisé et le moment où il sera démonétisé dans son écoulement sur les marchés. C’est ce «capital-temps», net pour l’économie nationale tout entière, qui définit l’épargne macroéconomique et les réserves à somme positive de capitaux monétaires.

Le capital-temps, ou capital macroéconomique, s’enrichit d’abord de la somme totale des nouveaux revenus de chaque période, au moment où ceux-ci sont mécaniquement repris à leurs titulaires pour être remplacés par des dépôts bancaires. En fait, les titulaires de revenus sont donc tous détenteurs de capitaux monétaires. Mais, sauf dans le cas où il est «fixé», le capital-temps est réversible. Tout titulaire d’un dépôt qui le retire afin de financer un achat sur le marché des produits défait son capital monétaire. Il reste à expliquer comment une mesure positive du capital-temps peut être fixée de telle sorte qu’il devienne irréversible. C’est l’investissement au sens strict qui opère cette transformation. Le fonds permettant de financer les investissements est constitué par des profits actuels ou par des profits futurs, avancés par des ménages. Les profits sont les revenus propres des entreprises. La partie des profits qui est redistribuée aux ménages en intérêts, dividendes ou rentes redevient un revenu des ménages; une autre partie des profits est réservée par les entreprises; enfin, la partie complémentaire des profits est investie. Avant d’être investis, les profits sont prélevés dans les revenus des ménages; en effet, il serait circulaire de dériver les profits de la dépense des profits. Or les ménages épargnent à due concurrence le produit contenu dans leurs revenus monétaires lorsqu’ils dégagent, dans leurs achats sur le marché des produits, le profit net des firmes. Capté par les entreprises, le produit épargné par les ménages permet de financer la production des «biens-profits» ou des biens-capitaux, encore appelés biens d’investissement. On voit ainsi qu’un capital monétaire, prélevé dans le capital-temps, est fixé définitivement dans les biens d’investissement.

En conclusion, M est la monnaie proprement dite, M est le revenu monétaire et M est le capital monétaire. On voit ainsi toute la richesse des significations et des fonctions de la monnaie, dont on disait pourtant naguère que l’utilité n’est due qu’à l’incertitude et que l’utilisation avait pour effet principal de diminuer les coûts de transaction. En réalité, si la monnaie n’existait pas, aucune mesure n’existerait en économie, qui ne serait donc pas l’objet d’une organisation ni d’une science; de leur côté, les revenus macroéconomiques seraient inexistants, eux aussi, et les agents ne disposeraient d’aucun pont entre le présent et l’avenir (capital macroéconomique). Monnaie et macroéconomie sont les objets inséparables d’une réalité et d’une science uniques.

Les deux fonctions des banques de dépôt

Selon un adage célèbre, «les prêts bancaires font les dépôts». On démontre aujourd’hui que ce n’est pas exact. D’après la simple logique, un dépôt ne peut pas être prêté s’il ne préexiste pas; et il est inconcevable qu’un prêt trouve son financement dans son propre résultat. C’est dans la phase de la recherche que des idées bizarres peuvent s’imposer; dès que la lumière est faite, tout est beaucoup plus simple. Nous sommes déjà en possession de toutes les informations pertinentes, qu’il suffit de rassembler.

Intermédiaires monétaires

Les banques de dépôt sont d’abord des intermédiaires monétaires. L’origine première de tout dépôt constitué dans les banques est la production nationale qu’elles monétisent.

L’équivalence du produit et du revenu de chaque période n’est pas seulement un fait comptable; c’est aussi la réalité économique primordiale. Le professeur Henri Guitton avait coutume de dire que les faits macroéconomiques ne sont pas visibles à l’œil nu. Il avait raison, car un observateur non averti ne saurait trouver la présence du produit national dans les banques; cependant, il suffit de raisonner pour l’y déceler. La théorie américaine des real bills et notre théorie de l’escompte annoncent l’analyse correcte: les effets de commerce représentent le nouveau produit; or les banques n’achètent pas les effets ou les traites; elles s’en servent, éventuellement, en garantie de bonne fin des opérations; quelle que soit la technique employée, qui varie selon les pays et les époques, les banques assument le paiement des revenus afférents à la nouvelle production nationale de chaque période; elles paient ainsi en lieu et place des entreprises; il en résulte la formation d’une dette équivalente des entreprises envers les banques, dette dont l’objet est précisément le nouveau produit de la période considérée. Les banques remplissent ainsi la toute première mission qui leur incombe: recevoir en dépôt chez elles les nouveaux produits successifs, jusqu’à leur vente finale sur les marchés.

Considérons la monétisation du produit d’un mois; admettons qu’elle ait lieu au trentième jour du mois considéré. Ce jour-là, les banques créent, pour la production du mois en cours d’achèvement, x unités de monnaie en paiement de tous les facteurs de production. Le produit courant est ainsi déposé dans les banques et simultanément dans x unités de monnaie. Cette somme de monnaie est aussitôt détruite par les banques; on le comprend aisément, puisque les titulaires de revenus achètent, à hauteur de leurs rémunérations, des dépôts bancaires; ces achats valent destruction de la monnaie dépensée. On pourrait se demander naïvement s’il est bien utile que les banques créent des unités de monnaie pour les détruire aussitôt. C’est tout à fait indispensable. La création-destruction instantanée d’une somme de monnaie est une émission. Si les banques (secondaires) n’émettaient pas des sommes de monnaie pour le paiement nominal des facteurs de la production des mois successifs, le produit réel de ces facteurs ne pourrait pas être déposé dans une forme monétaire ou nominale. Nous l’avons assez montré: comme la forme monétaire des produits est leur unique mesure objective, l’économie nationale constituerait alors un chaos, car elle ne disposerait d’aucun moyen pour rendre commensurables des produits physiquement hétéroclites. La création-destruction instantanée de x unités de monnaie dans le paiement de toutes les rémunérations, salariales et non salariales, des facteurs de production du mois considéré, soumet le produit correspondant à un mouvement de va-et-vient par lequel il est projeté dans le «moule» constitué par x unités de monnaie, c’est-à-dire dans une enveloppe purement numérique. Cette immersion du produit dans le moule monétaire est la condition sine qua non de la mesure objective de ce produit. Même si le produit auquel la forme monétaire est ainsi imprimée est aussitôt retiré de la somme de x unités de monnaie, qui est détruite sans délai, il reste que sa mesure a été déterminée avec précision et d’une façon irréversible; la preuve en est que, trois semaines plus tard, le même produit sera écoulé par la dépense finale de x unités de monnaie sur le marché des produits; déterminée par l’émission de x unités de monnaie sur le marché des facteurs de production, la valeur du produit courant est reproduite à l’identique sur le marché des produits, au moment (trois semaines plus tard) où les banques émettront une seconde fois, relativement au même produit, la somme de x unités de monnaie; à ce moment-là, le produit courant sera de nouveau instantanément projeté dans la forme numérique constituée par x unités de monnaie, pour en être retiré dans le même mouvement «ondulatoire» et, cette fois, définitivement. Relativement à la production du mois considéré, la première émission de x unités de monnaie suscite le dépôt des revenus courants dans les banques, en faveur des facteurs de production. Simultanément, une mesure équivalente de dépôts négatifs se forme dans les entreprises. Les résultats de la seconde émission de x unités de monnaie, survenant trois semaines plus tard, sont identiques, à ceci près que ce sont les entreprises, cette fois, qui recueillent le dépôt positif de x unités de monnaie, alors que les titulaires de revenus, qui écoulent le produit courant dans leurs achats finals, voient se creuser un dépôt de – x unités monétaires dans leur avoir. Des deux côtés, on constate finalement la fusion de deux dépôts équivalents mais de signe algébrique contraire: le produit courant est écoulé et, corrélativement, les dépôts créés par la production courante sont effacés. Dans la macroéconomie nationale, le même processus double de la formation-création des revenus et de leur dépense-destruction se répète période après période.

Représentons les deux intermédiaires monétaires correspondant à la monétisation (1) puis à la démonétisation (2) du produit d’une période.

Dans l’opération 1, le revenu macroéconomique courant de la nation considérée est déposé dans ses banques; on constate ainsi que les dépôts ne naissent pas des prêts, comme le voudrait l’adage cité, mais de la production nationale, ce qui est beaucoup plus satisfaisant pour l’entendement.

Dans l’opération 2, le revenu est définitivement retiré des banques pour être détruit dans l’achat final du produit correspondant; la destruction des dépôts, qui n’est pas prévue dans la logique de l’adage, est logiquement nécessaire puisque la production et la consommation sont des flux de signe algébrique opposé.

Intermédiaires financiers

Les banques de dépôt sont aussi des intermédiaires financiers. En un mot, chaque banque de dépôt est une caisse d’épargne. Comme pour une caisse d’épargne ordinaire (institution qui n’exerce aucune intermédiation monétaire), les dépôts ne sont pas tous immédiatement retirés par leurs titulaires; les dépôts laissés en attente alimentent les prêts accordés par les dépositaires.

Cette seconde fonction des banques, qui présuppose la première, ne le lui cède guère en importance; faute d’intermédiations financières exercées par les banques de dépôt, le produit monétisé resterait plus longtemps en attente d’être écoulé, ce qui alourdirait son coût, par l’inclusion d’intérêts plus élevés.

Il serait souhaitable que, dans la pratique, les deux fonctions des banques, intermédiations monétaire et financière, soient attribuées à deux départements distincts, département des émissions et département des prêts. Avant que cette réforme soit mise en œuvre, il existera toujours un certain danger de déséquilibre, car il peut arriver qu’une banque prête des dépôts qu’elle n’a pas reçus; dans ce cas, elle crée sans monétiser un nouveau produit, ce qui conduit à l’inflation. Mais, nous allons le constater tout de suite, ce risque est minime.

La monnaie et les grands déséquilibres

Selon une théorie purement quantitativiste de la monnaie, il serait concevable que les banques d’un pays créent trop de monnaie ou pas assez. L’explication des déséquilibres de la monnaie, inflation et chômage, serait alors simple: pour juguler l’inflation, il suffirait de restreindre les émissions de monnaie, tandis qu’il faudrait au contraire accroître les créations de monnaie dans les périodes de récession ou de déflation.

Ces idées naïves n’ont plus guère cours de nos jours. On sait maintenant que l’inflation et la déflation sont des déséquilibres qui peuvent être simultanés; ils sont présents tous deux dans la «stagflation». Les économistes ont également pu se convaincre du fait que l’inflation et le chômage ne sont pas dus aux banques, qui rempliraient imparfaitement leur double mission d’intermédiaires monétaires et financiers.

La théorie moderne de l’intégration en chaque période du nouveau produit dans une somme de monnaie nouvellement créée à cet effet démontre la neutralité de l’activité des banques, qui ne sont nullement responsables de la rupture, au sein de l’économie nationale, des «grands équilibres» monétaires. Une banque ne pourrait effectuer une «sur-création» de monnaie que si elle accordait des crédits d’une valeur monétaire supérieure à la quote-part du produit national qu’elle a reçu en dépôt chez elle. Mais, dans ce cas, la banque en question deviendrait débitrice nette des autres banques et se verrait donc obligée de recourir au marché monétaire afin de combler son déficit; en fin de compte, aucune sur-création générale de monnaie ne peut avoir lieu, car les banques excédentaires comblent, par le jeu quotidien du marché monétaire, le déficit des banques qui ont nourri des prêts au-delà des dépôts qu’elles ont reçus. Dès 1930, John Maynard Keynes a démontré que les banques ne pourraient être coresponsables de l’inflation que par l’effet d’une collusion semblable à une entente illicite qui permettrait à tout un secteur de l’industrie d’imposer au marché des prix trop élevés. Même la banque centrale ne saurait se livrer à une surémission, sauf dans les pays, devenus rares, où le Trésor public peut faire fonctionner à son profit la «planche à billets». En ce qui concerne leur responsabilité éventuelle dans le domaine de la déflation, la conclusion correcte est tout aussi rassurante pour les banques. Dès 1929, Friedrich August von Hayek a prouvé qu’il est impossible de lutter efficacement contre le chômage en maintenant artificiellement les dépenses monétaires à un niveau élevé. Comme le produit du plein-emploi, le produit du sous-emploi est déposé dans la somme des rémunérations de facteurs de production; si, par une création supplémentaire de monnaie, l’on agrandissait l’enveloppe nominale du produit donné, l’effet immédiat, «osmotique», de cette mesure serait d’affaiblir d’autant le pouvoir d’achat de l’unité monétaire; le pouvoir d’achat global de l’économie resterait donc fixé à son niveau initial, et l’emploi, même insuffisant, serait reconduit à son niveau inchangé. Il est généralement reconnu aujourd’hui que les grands déséquilibres de l’économie nationale, l’inflation et le chômage, ne sont pas dus à des facteurs purement monétaires. Aussi n’est-ce pas le lieu ici de les étudier.

Pour conclure, proposons une esquisse de la théorie de la création d’une monnaie dans un espace international.

La question de la création d’une monnaie internationale

Dans son plan de Clearing Union, présenté en 1944 à la conférence de Bretton Woods, Keynes avait préconisé la création du «bancor», nouvelle monnaie de paiement et de réserve internationale. Cette idée n’a pas été retenue, bien qu’elle ait reçu un timide commencement d’application dans la création, par le Fonds monétaire international, des droits de tirages spéciaux. Il faut bien admettre qu’aujourd’hui encore ce sont essentiellement des monnaies nationales (parmi lesquelles le dollar des États-Unis exerce encore une certaine prédominance) qui assurent la fonction de moyens de paiement des exportations de biens commerciaux et de titres financiers ainsi que la fonction d’unités de réserve dans les encaisses des banques centrales. On appelle «euromonnaies» (ou, plus correctement, «xéno-monnaies») les unités de monnaies nationales, d’une valeur de plusieurs milliers de milliards de dollars américains, qui sont déposés dans l’espace international représenté par les «euro-banques». Les mouvements quotidiens de ces énormes masses de monnaie dépassent de loin les règlements des flux de biens, de services et de capitaux compris dans la balance des paiements des pays. Cependant, ces mouvements sont, par définition, à somme nulle, si bien qu’ils n’ont pas une incidence directe sur la valeur extérieure des monnaies (les changes), ni sur la relation d’intégration qui s’établit en chaque période, à l’intérieur des économies, entre la monnaie nationale et le produit correspondant.

La question de la création d’une monnaie internationale revêt à nouveau une grande importance du fait du projet d’instituer une monnaie unique pour l’Europe, selon le plan prévu par le traité de Maastricht. Si ce plan doit être appliqué un jour, en sa dernière phase, les différentes monnaies des pays (sauf exception) de l’Union européenne auront purement et simplement disparu. Alors l’écu jouera le rôle de toute monnaie; unité fiduciaire (émise par la banque «fédérale» de l’Europe) et unité scripturale (émise par les banques de dépôt de la zone), l’écu sera le dépositaire, en chaque période, du nouveau produit réel de l’Europe communautaire; le produit intégré dans l’écu sera présent sur les marchés des biens et sur le marché des titres financiers, exactement comme les produits intégrés dans une monnaie nationale. L’histoire dira si l’application du «plan Keynes», évoqué plus haut, n’est pas une étape nécessaire avant que le plan de Maastricht, beaucoup plus ambitieux, ne puisse être appliqué. Dans ce cas, les nations de l’Union européenne disposeraient d’abord d’une monnaie semblable au bancor , et tout paiement international serait effectué en deux mouvements: en monnaies nationales par les résidents européens et dans la monnaie commune pour ce qui est des relations entre chaque pays membre et le reste du monde.

monnaie [ mɔnɛ ] n. f.
moneie, monoieXIIe; lat. moneta « qui avertit », surnom de Junon, le temple de Juno moneta servant d'atelier pour la frappe des monnaies
1Pièce de métal, de forme caractéristique, dont le poids et le titre sont garantis par l'autorité souveraine, certifiés par des empreintes marquées sur sa surface, et qui sert de moyen d'échange, d'épargne et d'unité de valeur. pièce. Étude des médailles et des monnaies. numismatique. Aspect d'une monnaie. avers, cordon, cordonnet, crénelage, face, grènetis, légende, listel, millésime, module, 3. pile, tranche. Monnaies d'or et d'argent. Monnaies de cuivre, de bronze, de nickel. Monnaies divisionnaires, d'appoint, de billon. Aloi, titre d'une monnaie. Monnaie fourrée, rognée.
Par ext. Ensemble des pièces de même type. Frapper, fondre une monnaie. Retirer une monnaie de la circulation. démonétiser. L'ensemble des pièces utilisées comme monnaie (2o). Pièce de monnaie. Battre monnaie. Hôtel de la Monnaie, et ellipt La Monnaie : établissement où l'on frappe monnaies et médailles. — FAUSSE MONNAIE : contrefaçon frauduleuse des pièces de monnaie ayant cours légal (et par ext. dans le lang. cour. de toute monnaie légale). Fabricant de fausse monnaie. faussaire, faux-monnayeur.
2Écon. Tout instrument de mesure et de conservation de la valeur, moyen d'échange des biens ( monétaire). Monnaie métallique : lingots, barres, puis pièces de métal. ⇒ argent. Monnaie manuelle. espèces, numéraire. Monnaie fiduciaire : (vx) monnaie de papier (monnaie fiduciaire constituée par des billets dont la valeur fictive [nominale], d'abord représentée par du métal précieux contre lequel on pouvait l'échanger, repose de nos jours sur la garantie de la banque d'émission); mod. papier-monnaie ( papier) . Monnaie scripturale ou monnaie de banque. carte (bancaire, de crédit, de paiement), chèque, transfert (électronique), virement. Monnaie électronique : tous les moyens de paiement par support informatique. ⇒ monétique. Quasi-monnaie : dépôts d'épargne liquide (facilement transformables en monnaie). Monnaie de compte : référence conventionnelle de mesure de valeurs particulièrement utilisée dans les relations internationales. ⇒ 2. étalon . Monnaie de facturation, de règlement. devise. Monnaie de réserve, convertible en or. Monnaie panier : monnaie internationale de référence établie à partir de plusieurs monnaies nationales. ⇒ euro. Monnaie verte : taux de conversion de la monnaie d'un pays de la C. E. E. en euros, utilisé pour la fixation des prix agricoles et la détermination des montants compensatoires. Rôle de la monnaie dans les fluctuations économiques ( monétarisme) .
Cour. Unité monétaire de référence dans un pays donné. Monnaie étrangère. devise. Cours d'une monnaie. Appréciation, dépréciation, dévaluation, dévalorisation, réévaluation, revalorisation de la monnaie nationale par rapport aux autres monnaies. Monnaie forte, faible. Valeurs relatives de plusieurs monnaies. change, cours, 1. pair, parité. Monnaie convertible. La monnaie française est le franc.
Fig. Servir de monnaie d'échange. Payer qqn en monnaie de singe. C'est monnaie courante : c'est une chose très fréquente, très banale. « À partir d'un certain âge, les attaques sont monnaie courante » (Aragon).
3Cour. Ensemble de pièces, de billets de faible valeur que l'on porte sur soi comme argent de poche. Petite, menue monnaie. ferraille, mitraille (cf. Pièces jaunes). Je n'ai pas un sou de monnaie. Passez la monnaie ! Mettre sa monnaie dans un porte-monnaie.
Spécialt Ensemble des pièces, des billets de valeur moindre qui représente la différence entre la valeur d'une pièce, d'un billet et le prix d'une marchandise. appoint . Rendre la monnaie sur cent francs. « Quand la caissière lui eut rendu la monnaie de sa pièce de cent sous » (Maupassant). Gardez la monnaie. Loc. Rendre à qqn la monnaie de sa pièce, user de représailles envers lui, lui rendre la pareille (cf. Œil pour œil, dent pour dent). — Somme constituée par plusieurs pièces ou billets représentant au total la valeur d'une seule pièce, d'un seul billet. La monnaie d'un billet de mille francs. Faire de la monnaie : échanger un billet, une pièce contre l'équivalent en petites pièces, en petits billets. Pouvez-vous me donner la monnaie de cent francs ? Changeur de monnaie. monnayeur.

monnaie nom féminin (latin moneta, de Moneta, surnom donné à Junon) Pièce de métal frappée par l'autorité souveraine pour servir à la mesure des valeurs, aux échanges, à l'épargne : Monnaie d'or, d'argent, de cuivre. Tout instrument légal ayant les mêmes fonctions : Monnaie de papier. Monnaie de compte. Unité monétaire de tel ou tel pays : Le yen est la monnaie japonaise. Ensemble de pièces ou de billets de faible valeur : Petite monnaie. Je n'ai pas de monnaie sur moi. Différence entre la somme effectivement payée en argent liquide et la somme exacte due : Rendre la monnaie. Équivalent de la valeur d'une coupure, d'une pièce en coupures ou en pièces de moindre valeur : Vous auriez la monnaie de 200 euros ? Faire de la monnaie.monnaie (citations) nom féminin (latin moneta, de Moneta, surnom donné à Junon) comte Joseph de Maistre Chambéry 1753-Turin 1821 Les fausses opinions ressemblent à la fausse monnaie qui est frappée d'abord par de grands coupables, et dépensée ensuite par d'honnêtes gens qui perpétuent le crime sans savoir ce qu'ils font. Les Soirées de Saint-Pétersbourg Hérondas IIIe s. avant J.-C. Ce ne sont pas des mots qu'il faut au marché, c'est de la monnaie. Mimes, VII, 49-50 (traduction L. Laloy) monnaie (difficultés) nom féminin (latin moneta, de Moneta, surnom donné à Junon) Orthographe Attention aux dérivés. 1. Avec deux n : monnayable, monnayer, monnayeur. 2. Avec un seul n : monétaire, monétarisation, monétarisme. Remarque Monnaie, issu de latin moneta, ne s'est écrit avec deux n qu'à partir du xviiie s. ● monnaie (expressions) nom féminin (latin moneta, de Moneta, surnom donné à Junon) Battre monnaie, fabriquer, émettre de la monnaie. Hôtel de la Monnaie ou des Monnaies, ou simplement Monnaie, atelier où l'on fabrique la monnaie. Monnaie blanche, autrefois, pièce d'argent. Monnaie centrale, émise par la banque centrale d'un pays. Monnaie décriée, monnaie qui, dans son pays d'émission, n'a plus cours forcé et qui, sous ce rapport, est assimilée à la plupart des monnaies étrangères. Monnaie d'échange, ce qui, dans une négociation, peut permettre d'obtenir quelque chose de la partie adverse au nom de la réciprocité. Monnaie des médailles, atelier où l'on fabrique des médailles. Familier. Passer, envoyer la monnaie, invite à donner de l'argent. Payer en monnaie de singe, se moquer au lieu de payer. Rendre à quelqu'un la monnaie de sa pièce, user de représailles à son égard, lui rendre la pareille. ● monnaie (synonymes) nom féminin (latin moneta, de Moneta, surnom donné à Junon) Pièce de métal frappée par l'autorité souveraine pour servir à...
Synonymes :
- espèces
Tout instrument légal ayant les mêmes fonctions
Synonymes :
- argent
- numéraire
Ensemble de pièces ou de billets de faible valeur
Synonymes :
- ferraille (familier)
- mitraille (familier)

monnaie
(théâtre royal de la) grand théâtre de Bruxelles, au style néo-classique, construit en 1856 sur la place de la Monnaie.
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monnaie
n. f.
d1./d Ensemble des valeurs, matérialisées par des pièces de métal ou des billets de papier ayant cours légal, qui servent de moyen d'échange. Monnaie d'or, de cuivre, de bronze, d'aluminium. Monnaie métallique. Monnaie de papier ou monnaie fiduciaire.
|| (Nouv.-Cal.) Monnaie canaque: monnaie traditionnelle, faite de coquillages, d'os et de poils de roussette, et échangée lors des grandes cérémonies coutumières.
|| Monnaie de compte, qui n'est pas représentée matériellement par des pièces ou des billets.
Monnaie utilisée dans un état donné. La gourde est la monnaie d'Haïti. Syn. unité monétaire. (V. tabl. monnaies.)
Fausse monnaie, fabriquée frauduleusement en dehors des émissions légales.
Battre monnaie: faire fabriquer de la monnaie.
|| Loc. fig. C'est monnaie courante.
Servir de monnaie d'échange: tenir lieu de moyen d'échange dans une tractation.
d2./d Pièces ou billets de faible valeur. Je n'ai pas de monnaie sur moi, je n'ai qu'un gros billet.
(oc. Indien) Monnaie pistaches: monnaie de faible valeur. Ma bourse est pleine de monnaie pistaches.
d3./d Ensemble de pièces ou de billets dont la valeur totale équivaut à celle d'une pièce ou d'un billet unique. Auriez-vous la monnaie de mille francs?
d4./d Ensemble de pièces ou de billets représentant la différence de valeur entre un prix à payer et le signe monétaire donné en paiement. Rendre la monnaie.
Loc. fig. Rendre à qqn la monnaie de sa pièce, user de représailles contre lui, se venger.

⇒MONNAIE, subst. fém.
A. — Pièce d'alliage ou de métal de titre, forme et poids caractéristiques, frappée sur l'avers et le revers d'une empreinte particulière, et garantie par l'autorité d'émission comme moyen légal d'échange, de paiement et d'épargne. Monnaie fourrée; fausse monnaie; monnaie de bronze, de cuivre, d'argent. Deux de mes grands oncles avaient rang de souverains et des monnaies à leur effigie sont au musée du Louvre (VILLIERS DE L'I.-A., Corresp., 1873, p.179). J'ai fouillé sur le rivage de l'océan un tumulus inviolé; j'y ai trouvé, selon la coutume, des haches de silex, des épées de bronze, des monnaies romaines (A. FRANCE, Île ping., 1908, p.3):
1. Sans qu'il soit encore permis de résoudre ce problème, nous rappellerons que, d'après les traditions de l'antiquité, l'invention de la monnaie d'or était attribuée aux Lydiens.
J. DÉCHELETTE, Manuel archéol. préhist., celt. et gallo-rom., t.2, 1914, p.406.
Hôtel de la Monnaie, des monnaies, ou simplement, La Monnaie. Établissement d'émission et de frappe des médailles et monnaies. (Dict. XIXe et XXe s.).
Battre, frapper (de la) monnaie. Fabriquer des pièces de monnaie. Ainsi il continuait à battre de la monnaie d'or et d'argent, tandis qu'il n'était permis à un vassal que de frapper de la monnaie de cuivre (BARANTE, Hist. ducs Bourg., t.2, 1821-24, p.17).
P. métaph. Une comédienne au luxe accoutumée Bat aisément monnaie avec sa renommée (AUGIER, Aventur., 1848, p.208). Voilà Lamartine qui bat monnaie avec les rêves de sa jeunesse (SAINTE-BEUVE, Poisons, 1869, p.88).
Rem. Monnaie de papier, fausse monnaie se prêtent volontiers à des emplois métaphoriques. La philantropie est la fausse monnaie de la charité (CHATEAUBR., Congrès Vérone, t.1, 1838, p.79). La notion de mécanismes, de formes, est l'or qui garantit la monnaie de papier des concepts scientifiques (RUYER, Esq. philos. struct., 1930, p.234).
B.DR. CIVIQUE. ,,Instrument légal assurant l'exécution des obligations de sommes d'argent et servant d'étalon de valeur pour l'estimation des biens n'ayant pas d'expression pécuniaire`` (Jur. 1974). Monnaie constante, flottante; monnaie étalon. La monnaie métallique n'a aucune place, aucune raison d'être, dans l'état collectiviste (ZOLA, Argent, 1891, p.305). La Brige: Remarquez que je vais vous signer les billets, payables après-demain matin. Monsieur Saumâtre: Je n'accepte pas cette monnaie. La Brige: Pourquoi? Elle en vaut une autre (COURTELINE, Client sér., Hortense couche-toi! 1894, II, p.79). Il faut attendre 1926 pour que les Chambres procèdent à un simple réajustement des droits, conséquence de la dévaluation de la monnaie et de l'augmentation générale du coût de la vie (STOCKER, Sel, 1949, p.110).
Monnaie fiduciaire.
Monnaie scripturale. ,,Monnaie immatérielle permettant d'opérer par virement le transport d'une somme du débit d'un compte au crédit d'un autre sans emploi d'aucune monnaie réelle`` (Banque 1963).
Monnaie de compte. ,,Valeur admise comme unité dans les comptes, mais qui n'est pas représentée par une monnaie réelle en circulation`` (Banque 1963).
En compos.:
2. Il avait été fabriqué pour 45 milliards d'assignats tombés à rien. Le Directoire se décida à brûler solennellement la planche qui servait à les imprimer, mais, se trouvant sans ressources, remplaça ce papier-monnaie par un autre, les mandats territoriaux, qui eurent aussitôt le même sort.
BAINVILLE, Hist. Fr., t.2, 1924, p.90.
En partic. Unité monétaire particulière ayant cours dans un pays donné ou dans une communauté économique. Monnaie faible, forte; monnaie européenne; monnaie qui se dévalorise; stabilisation d'une monnaie. La monnaie française perd beaucoup au change en Italie, n'emporte donc que ce qu'il te faut pour le voyage (FLAUB., Corresp., 1851, p.133):
3. Comme l'Union soviétique était obligée de faire, pour certains produits, des achats à l'étranger, on a dû établir une équivalence entre la monnaie russe et les monnaies étrangères: celles-ci ayant changé de valeur, le rouble dut s'adapter à ces modifications.
LESOURD, GÉRARD, Hist. écon., 1966, p.453.
Expr. fig.
(C'est) monnaie courante. Chose habituelle, pratique courante. Je me force pourtant à regarder en face cette dénonciation: nous avons vécu dans des temps où une infamie de cet ordre fut monnaie courante (MAURIAC, Mém. intér., 1959, p.92).
Payer en monnaie de singe (fam.). Faire des grimaces, des plaisanteries au lieu de payer; ne pas s'acquitter d'une dette. Lousteau s'habituait à voir sa besogne faite par Dinah, et il la payait comme dit le peuple dans son langage énergique, en monnaie de singe (BALZAC, Muse départ., 1844, p.222).
Expr. proverbiale. La mauvaise monnaie chasse la bonne. Quand deux valeurs sont en concurrence, la meilleure disparaît. Les conditions de la vie moderne tendent inévitablement, implacablement à égaliser les individus, à égaliser les caractères; et c'est malheureusement et nécessairement sur le type le plus bas que la moyenne tend à se réduire. La mauvaise monnaie chasse la bonne (VALÉRY, Variété III, 1936, p.225).
C. — Ensemble de pièces et de billets de faible valeur. Menue, petite monnaie; ne pas avoir un sou de monnaie; passez la monnaie; monnaie d'appoint. Aurélie: Que te dit le conducteur du tramway si tu es longue à trouver ta monnaie? Constance: Il m'engueule, comme dirait Gabrielle (GIRAUDOUX, Folle, 1944, II, p.121):
4. ... le mâle, un gamin, pipe au bec, lisait l'Humanité indifférent à sa compagne qui, tout en sirotant un lait chaud, s'amusait, seule, à polir ses ongles, à compter sa monnaie, à inspecter ses quenottes dans sa glace de poche et à observer du coin de l'œil les nouveaux venus...
MARTIN DU G., Thib., Sorell., 1928, p.1172.
Au fig. [Pour désigner ce qui a peu de valeur] Mais après tout, c'est un peu la petite monnaie de la gloire! (GONCOURT, Journal, 1887, p.686). À chaque manifestation des conservateurs (de 1875 à 1914), le radicalisme (...) a resserré d'un cran l'écrou administratif (...). Ces bonshommes en rébellion contre une douzaine de sergents de ville (...) c'était là cette race servile, la monnaie humaine qui passe de main en main (BERNANOS, Gde peur, 1931, p.II).
Rendre la monnaie; (rendre) la monnaie sur/de telle ou telle somme. Donner une somme d'argent correspondant à la différence entre la valeur d'une pièce ou d'un billet et le prix d'une marchandise. Il faut que je fasse les comptes du chocolat. À vendre ça dans la bousculade de la récrée, tous les jours je m'y perds quand je rends la monnaie. J'y suis de ma poche (MONTHERL., Ville prince, 1951, II, 2, p.888).
P. métaph. Le ton insolite de sa voix fait dresser toutes les têtes; c'est une discordance. Il ne sait pas rendre de monnaie; veut-il riposter, il tire de sa poche de l'or et pas de sous (RENAN, Avenir sc., 1890, p.467).
Expr. fig. Rendre à qqn la monnaie de sa pièce. User envers quelqu'un des mêmes mauvais procédés; se venger de. Son frère n'a cette fois pas trop bien réussi dans ses calculs, et ne peut se féliciter de sa sagesse. Mais il a l'air de craindre qu'on ne s'aperçoive de sa mortification et qu'on ne lui rende la monnaie de sa pièce (AMIEL, Journal, 1866, p.290).
Faire de la monnaie; faire la monnaie de x francs. Échanger une grosse coupure contre son équivalent en coupures ou en pièces de moindre valeur. Quand la concierge fut en haut, elle lui dit, en lui tendant le billet: — M'ame Minet, vous voudriez aller me faire de la monnaie (DRUON, Gdes fam., t.1, 1948, p.98).
Loc. fig. Monnaie d'échange.
D.P. ext., pop. Synon. de argent. Le trou avait beau se creuser dans la monnaie, elle [Gervaise] tenait, de son air raisonnable, avec son tranquille sourire, les comptes de cette débâcle de leurs économies (ZOLA, Assommoir, 1877, p.151).
REM. Menouille, subst. fém., arg. et pop. Monnaie, argent. La menouille en poche, on revient au rendez-vous [à l'assommoir] (POULOT, Sublime, 1872, p.149).
Prononc. et Orth.:[]. Ac. 1694, 1718: -noye, 1740-1798: -noie, dep. 1835: -naie. DELILLE, Poés. fugit., 1807, p.226; SUARÈS, Voy. Condottière, t.2, 1932, p.56 et t.3, 1932, p.86: -noie. Étymol. et Hist. 1. 1170 monoie «argent» (CHRÉTIEN DE TROYES, Erec, éd. M. Roques, 2062); 1216 monnoie (GUILLAUME LE CLERC, Fergus, éd. E. Martin, p.108, 24); spéc. 1181-90 monoie «pièce de métal servant aux échanges, frappée par une autorité souveraine» (CHRÉTIEN DE TROYES, Perceval, éd. W. Roach, 5761); ca 1245 monnoie «droit de battre monnaie» (PHILIPPE MOUSKET, Chron., éd. de Reiffenberg, 1118); 1671 monoie «lieu destiné à la fabrication des monnaies» (POMEY); a) ca 1230 monnoie dou païs (Eustache le Moine, 57 ds T.-L.); 1296 monae corante (Dolo, A. Côtes-du-Nord ds GDF. Compl.); b) 1297 bone mousnoie (Revenus des terres de l'Art., A.N. KK 394, f° 8 ds GDF. Compl.); 2e moitié XIIIe s. fig. fausse monoie (Les vers du monde ds Nouv. Rec. de Contes, éd. A. Jubinal, t.2, p.126); c) 1305 monoye blanche (Lettre patente, 19 mai ds Ordonnances des rois de France, t.1, p.430); 1653 fig. payer en la même monnaie «donner une chose équivalente, de même nature» (Th. CORN., L'Amour à la mode, I, 1 ds LITTRÉ); 2. 1365 petite monnoie «ensemble de pièces de faible valeur» (ORESME, Traictié des monnoies, éd. L. Wolowski, p.15); fin XIVe s. «ensemble de pièces représentant la valeur d'une seule pièce» (FROISSART, Chron., éd. L.Mirot, III, § 19, 2); 3. 1690 (FUR.: Il y a deux sortes de monnoyes, l'une réelle, comme sont toutes les espèces qui ont cours; l'autre imaginaire et de compte, inventées pour la facilité du commerce, ou de la supputation). Du lat. Moneta, d'abord «mère des muses», surnom de Junon, puis nom du temple qui lui était dédié à Rome et où l'on fondait la monnaie, d'où les sens «hôtel de la monnaie» et «argent monnayé», également att. en lat. médiév. au sens de «droit de battre monnaie» (ca 820 ds Nov. Gloss.). L'étymol. pop. a rapproché à tort Moneta de monere «avertir», v. ERN.-MEILLET. Fréq. abs. littér.:1677. Fréq. rel. littér.:XIXe s.: a) 3737, b) 1809; XXe s.: a) 1724, b) 1931. Bbg. BAMBECK (M.). Galloromanische lexikalia aus volksprachlichen mittelalterlichen Urkunden. In:[Mél. Gamillscheg (E.)]. München, 1968, p.64 (s.v. monnoie). — QUEM. DDL t.10.

monnaie [mɔnɛ] n. f.
ÉTYM. 1216, monnoie; monoie, v. 1175; du lat. moneta « qui avertit », surnom de Junon, le temple de Juno moneta servant d'atelier pour la frappe des monnaies, mais certains pensent qu'il s'agit d'une étym. « populaire », le mot pouvant être d'origine phénicienne.
1 Pièce de métal, de forme caractéristique ( Nummulaire), dont le poids et le titre sont garantis par l'autorité souveraine, certifiés par des empreintes marquées sur sa surface, et qui sert de moyen d'échange, d'épargne et d'unité de valeur. Pièce. || Les médailles et les monnaies (→ Fossile, cit. 1). || Étude des médailles et des monnaies. Numismatique; numismate. || Aspect d'une monnaie. Carnèle, cordon, cordonnet, crénelage, croix, envers, face, grènetis, légende, listel, millésime, module, pile, tête, tranche. || Monnaie à fleur de coin. || Monnaie fruste, saucée, serrate. || Le frai, le fruste d'une monnaie. || Monnaies d'or ( Jaunet) et d'argent (→ Espèces sonnantes et trébuchantes). || Monnaies de cuivre, de bronze, de nickel, d'alliage de bronze… || Monnaies divisionnaires, d'appoint, de billon (dont le prix de revient est inférieur à la valeur « faciale »). || Aloi, fin, titre d'une monnaie.Monnaies grecques, massaliotes (cit.), romaines, gauloises, françaises (→ Jeton, cit. 2)… || Monnaie à l'effigie d'un souverain.Fabrication des monnaies. Monnayage, monnayer, monnayeur; ajustage, pesage, recuit, taille, trébuchage, triage; ajuster, cisailler, créneler; barbille, flan, pied-fort; coin, matrice, pesette, poinçon, trébuchet, virole. || Matières d'or et d'argent utilisées dans la fabrication des monnaies. || Tolérance admise dans le poids, le diamètre des monnaies.L'Administration des monnaies et médailles (cit. 1). || Hôtel des monnaies (ou de la Monnaie → ci-dessous).Monnaie fourrée, rognée. || Altération, contrefaçon des monnaies. || Contrefaire (cit. 9), altérer les monnaies d'or et d'argent.
1 Le coffre avait été rempli jusqu'aux bords (…) Tout était en or de vieille date et d'une grande variété : monnaies française, espagnole et allemande, quelques guinées anglaises, et quelques jetons dont nous n'avions jamais vu aucun modèle. Il y avait plusieurs pièces de monnaie, très grandes et très lourdes, mais si usées, qu'il nous fut impossible de déchiffrer les inscriptions.
Baudelaire, Trad. E. Poe, Histoires extraordinaires, « Scarabée d'or ».
Par ext. Ensemble des pièces de même type. || Frapper, fondre une monnaie (→ Darique, cit.; flèche, cit. 11). || Refondre, réformer une monnaie. || Émettre une nouvelle monnaie. || Retirer une monnaie de la circulation. Démonétiser.
L'ensemble des pièces utilisées comme monnaie (au sens 2). || Pièce de monnaie. Pièce.Battre (cit. 12 et 13) monnaie. || Hôtel de la Monnaie, et, ellipt, la Monnaie : établissement où l'on frappe monnaies et médailles.Spécialt. || Fausse monnaie : contrefaçon frauduleuse des pièces de monnaie ayant cours légal, et, par ext., dans le langage courant, de toute monnaie légale, soit sous forme d'espèces métalliques, soit sous forme de billets. || Fabricant de fausse monnaie. Faussaire, faux-monnayeur.
2 Soyez seul, et arrivez par quelque accident chez un peuple inconnu : si vous voyez une pièce de monnaie, comptez que vous êtes arrivé chez une nation policée.
Montesquieu, l'Esprit des lois, XVIII, XV.
3 Tout le monde sait que chaque pièce de monnaie a deux valeurs : une valeur monétaire en tant qu'instrument légal d'échange sur lequel figure le nombre fixe d'unités monétaires qu'il représente et une valeur métallique en tant que lingot d'un certain poids et d'un certain titre, lingot qui subsisterait seul si la pièce était fondue.
Paul Reboud, Précis d'économie politique, t. I, §417.
2 (1690). Écon. Tout instrument de mesure (→ Commensurable, cit.) et de conservation de la valeur, de moyen d'échange des biens. || Échange sans monnaie. Troc. || Qui concerne la monnaie. Monétaire. || La monnaie « support numérique et indéterminé du pouvoir d'achat » (Baudin). || Théorie de la monnaie marchandise, selon laquelle la valeur de la monnaie provient de la valeur de la matière (métal précieux, etc.) qui lui sert, directement ou non, de support. || Théories modernes, psycho-sociologiques de la monnaie.
4 La monnaie est un signe qui représente la valeur de toutes les marchandises.
Montesquieu, l'Esprit des lois, XXII, II.
5 Si la monnaie est un bien économique en ce sens qu'elle est limitée et désirable (…) elle est quelque chose de spécifique. Elle ressortit au monde des biens, mais y occupe une place à part parce qu'elle est un moyen d'échange général et immédiat, dans un milieu institutionnel déterminé.
Francis Perroux, Revue écon. contemporaine, sept.-oct. 1943.
Pouvoir libératoire de la monnaie.Volume de la monnaie : masse monétaire ( Inflation; déflation). || Raréfaction de la monnaie (→ Gêner, cit. 17). || Vitesse de circulation de la monnaie.
6 (…) lorsqu'un peuple trafique sur un très grand nombre de marchandises, il faut nécessairement une monnaie, parce qu'un métal facile à transporter épargne bien des frais (…) Lorsque les nations ont une monnaie, et qu'elles procèdent par vente et par achat, celles qui prennent plus de marchandises se soldent, ou paient l'excédent avec de l'argent (…)
Montesquieu, l'Esprit des lois, XXII, I (→ aussi Échange, cit. 4; marchandise, cit. 3).
Formes de monnaie. || Monnaie métallique, constituée par des lingots, des barres, puis des pièces de métal (→ ci-dessus, 1.). Espèce (II., B.), numéraire; bimétallisme, monométallisme (→ Convertible, cit. 1; cours, cit. 20; dépréciation, cit. 1).Monnaie fiduciaire. || Monnaie de papier : monnaie fiduciaire constituée par des billets dont la valeur fictive (valeur nominale), d'abord représentée par du métal précieux contre lequel on pouvait l'échanger ( Convertibilité, convertible; encaisse), repose, d'une manière générale de nos jours, sur la garantie de la banque d'émission. || Papier-monnaie, qu'on ne peut convertir en monnaie métallique. Inconvertible. || Monnaie scripturale ou monnaie de banque ( Chèque, virement).Monnaie électronique, utilisée dans les systèmes de paiement informatisés (cartes de paiement). aussi Monétique.Monnaie de compte (qui n'est pas représentée par du métal ou des billets) et monnaie effective.Absolt. || Monnaie, dans le langage courant, ne se dit guère que de la monnaie effective. Argent (II., 2.).
7 Qui a inventé la monnaie de papier ? On ne sait. Elle était connue en Chine de temps immémorial et le voyageur Marco Polo au XIVe siècle en avait rapporté la description. L'antiquité nous a laissé maints exemples de monnaies, sinon de papier du moins de cuir ou d'une valeur purement conventionnelle, que l'on appelait monnaies obsidionales parce qu'elles avaient en général été émises dans des villes assiégées, pour suppléer à la monnaie métallique qui faisait défaut.
Charles Gide, Cours d'économie politique, t. I, p. 471.
8 S'il n'y a pas de différence de nature entre la monnaie de papier et la monnaie scripturale, il y a pourtant une différence de qualité entre elles. La monnaie étant acceptée pour son pouvoir d'achat présente une plus grande garantie lorsqu'elle la tient d'une institution publique (…) Le billet de banque bénéficie du crédit de l'État dans la plupart des systèmes d'émission. La monnaie de banque est fondée sur la solidité d'un établissement particulier (…)
H. Germain-Martin, in Romeuf, Dict. des sciences économiques, Monnaie.
Par ext. Cour. Unité monétaire particulière; monnaie admise et utilisée dans un pays donné (→ Indexer, cit.). || Cours d'une monnaie. || Valeur d'une monnaie. || Monnaie qui s'apprécie; qui se dévalorise. || Maintenir la valeur d'une monnaie (→ Financier, cit. 3). || Définition d'une monnaie par rapport à l'or, l'argent, une monnaie étrangère de référence ( Dévaluation, réévaluation). || Revalorisation, stabilisation d'une monnaie.Bonne, mauvaise monnaie. || « La mauvaise monnaie chasse la bonne », lorsque deux monnaies circulent librement dans un pays, la meilleure a tendance à disparaître de la circulation (loi de Gresham). → Fâcheux, cit. 13. — Valeurs relatives de plusieurs monnaies. Change, cours, pair, taux. || Monnaie forte, faible.
9 J'insiste souvent sur ce prix des monnaies; c'est, ce me semble, le pouls d'un État, et une manière assez sûre de reconnaître ses forces.
Voltaire, Essai sur les mœurs, LI.
Monnaies de l'antiquité orientale et gréco-romaine. Darique, sicle; drachme; mine, obole, statère, talent, tétradrachme; as, aureus, denier, quinaire, scrupule, sesterce. || Anciennes monnaies françaises. Agnel, angelot, angevin, blanc, carolus, denier, douzain, écu, esterlin, franc, liard, livre (parisis, tournois), louis, maille, marc, moneron, napoléon, obole, pistole, pite, quadruple, seizain, six-blancs, sou, teston. || Anciennes monnaies étrangères. Aspre, belga, besant, carlin, doublon, douro, ducat, ducaton, escalin, gulden, jacobus, kreutzer, maravédis, monaco, pagode, para, patard, picaillon, plaquette, quadruple, réal, réis, rixdale, sapèque, sequin, tael, thaler, toman. || Monnaies françaises actuelles et modernes. Franc; euro.
Principales monnaies étrangères actuelles et modernes : afghani (Afghanistan); bath (Thaïlande); balboa (Panamá); birr (Éthiopie); bolivar (Venezuela); cedi (Ghana); colon (Costa-Rica, Salvador); cordoba (Nicaragua); couronne (Islande, Danemark, Norvège, Suède, Tchécoslovaquie); cruzeiro (Brésil); dalasi (Gambie); dinar (Algérie, Bahrein, Iraq, Jordanie, Koweit, Libye, Tunisie, Yémen [République démocratique populaire du], Yougoslavie); dirham (Émirats arabes unis, Maroc); dollar (Australie, Bahamas, Barbade, Belize, Bermudes, Canada, États-Unis d'Amérique, Fidji [îles], Guyana, Hong-Kong, Jamaïque, Libéria, Nouvelle-Zélande, Porto-Rico, Rhodésie, Sainte-Lucie, Singapour, Taïwan, Trinité et Tobago); dong (Viêtnam); drachme (Grèce); ekpwele (Guinée équatoriale); escudo (Portugal, Cap-Vert [République du]); euro (Union européenne); florin (Antilles néerlandaises, Pays-Bas, Surinam); forint (florin) en Hongrie; franc (Belgique, Burundi, Djibouti, France et D. O. M., Principauté de Monaco, Andorre, Luxembourg, Madagascar [République démocratique de], Mali, Ruanda, Suisse, Liechtenstein); franc C. F. A. (Bénin, Cameroun, Centrafricaine [République], Comores [République démocratique des], Congo [République populaire du], Côte-d'Ivoire, Gabon, Haute-Volta, Niger [République du], Sénégal, Tchad, Togo); franc C. F. P. (Nouvelle-Calédonie, Polynésie française); gourde (Haïti); quarani (Paraguay); kina (Papouasie, Nouvelle-Guinée); kip (Laos); kwacha (Malawi, Zambie); kwanza (Angola); kyat (Birmanie); lek (Albanie); lempira (Honduras); leone (Sierra Leone); leu (Roumanie); lev (Bulgarie); lilangeni (Swaziland); lire (Italie); livre (Chypre, Égypte, Falkland [îles], Gibraltar, Irlande, Liban, Malte, Royaume-Uni, Soudan, Syrie, Turquie); maluti (Lesotho); mark (R. F. A., R. D. A.); mark finlandais (Finlande); metical (Mozambique); naira (Nigeria); ouguiya (Mauritanie); pataca (Macao); peseta (Espagne, Andorre); peso (Argentine, Bolivie, Chili, Colombie, Cuba, Dominicaine [République], Guinée-Bissau, Mexique, Philippines, Uruguay); pula (Botswana); quetzal (Guatemala); rand (Afrique du Sud); rial (Arabie Saoudite, Iran, Oman, Qatar, Yémen [République arabe du]); riel (Kampuchéa [Cambodge]); ringitt (Malaysia); rouble (U. R. S. S.); roupie (Inde, Indonésie, Maurice [île], Népal, Pakistan, Seychelles [îles], Sri-Lanka [Ceylan]); schilling (Autriche); shekel (Israël); shilling (Kenya, Ouganda, Somalie, Tanzanie); sily (Guinée); sol (Pérou); sucre (Équateur); taka (Bangladesh); won (Corée [République démocratique populaire de], Corée [République de]); yen (Japon); yuan (Chine [République populaire de]); zaïre (Zaïre); zloty (Pologne). aussi Aigle, cent, centavo, couronne, guinée, kopeck, lepton, penny, pfennig, shilling, souverain, tchervonetz.
3 (1365). Cour. Ensemble de pièces, de billets de faible valeur que l'on porte sur soi comme argent de poche. || Petite, menue (cit. 7) monnaie. Bigaille (argot), ferraille, mitraille (fam.). || Mettre sa monnaie dans un porte-monnaie. || Avoir de la monnaie sur soi. || Je n'ai pas un sou de monnaie.Passez la monnaie !
10 Le quart d'heure de Rabelais arrivé, le comte se trouva sans monnaie.
Balzac, Un homme d'affaires, Pl., t. VI, p. 816.
11 (…) mon ami fit un soigneux triage de sa monnaie; dans la poche gauche de son gilet il glissa de petites pièces d'or; dans la droite, de petites pièces d'argent; dans la poche gauche de sa culotte, une masse de gros sols, et enfin, dans la droite, une pièce d'argent de deux francs qu'il avait particulièrement examinée.
Baudelaire, le Spleen de Paris, XXVIII.
Spécialt. Ensemble des pièces, des billets de valeur moindre qui représente la différence entre la valeur d'une pièce, d'un billet et le prix d'une marchandise. Appoint. || Rendre la monnaie (→ Jouvenceau, cit. 2). || Rendre la monnaie sur mille francs, sur cent euros.
12 Quand la caissière lui eut rendu la monnaie de sa pièce de cent sous, Georges Duroy sortit du restaurant.
Maupassant, Bel-Ami, I, I.
12.1 (…) il se gardait donc de dire aucune parole qui, spirituelle, imaginative, sensible ou simplement personnelle, pût paraître vous livrer quelque chose de lui, les transactions de la vie mondaine vous ayant mis sur son chemin comme un fournisseur à qui on rend la monnaie de sa pièce, mais avec qui l'on n'échange pas des présents.
Proust, Jean Santeuil, Pl., p. 709.
Spécialt. Somme constituée par plusieurs pièces, plusieurs billets représentant au total la valeur d'une seule pièce, d'un seul billet. || La monnaie d'un billet de cent euros. || La monnaie de cent euros. || Faire de la monnaie : échanger un billet, une pièce contre l'équivalent en petites pièces, en petits billets.
4 Loc. div. Fig. (Par anal. du sens 1). Fausse monnaie (→ Flatterie, cit. 1; gloire, cit. 2).
(Par anal. du sens 2). → Épargner, cit. 2. ☑ Servir de monnaie d'échange.Payer qqn en monnaie de singe.C'est monnaie courante : c'est chose très fréquente, très banale.Payer qqn en même monnaie. || Il faut bien le payer de la même monnaie (→ Empressement, cit. 9). || Je le paye en sa monnaie (→ Enfiler, cit. 11).
13 La science est dans la plupart de ceux qui la cultivent une monnaie dont on fait grand cas, qui cependant n'ajoute au bien-être qu'autant qu'on la communique, et n'est bonne que dans le commerce.
Rousseau, Julie ou la Nouvelle Héloïse, I, XII.
14 Oui, naturellement, une petite attaque. Oh ! ne vous effarouchez pas du mot, madame. À partir d'un certain âge, les attaques sont monnaie courante.
Aragon, les Beaux Quartiers, I, XXII.
(Par anal. du sens 3).Rendre à qqn la monnaie de sa pièce, user de représailles envers lui, lui rendre dent pour dent. || Vulgaire monnaie (→ Frapper, cit. 11). || Petite monnaie (→ Frapper, cit. 51).
15 Les diseurs de bons mots appelèrent ces huit maréchaux (nommés après la mort de Turenne) la monnaie de M. de Turenne (…)
Henri Martin, Hist. de France, LXXXIV, in Littré.
16 (…) caresses qui ne sont pas, comme on croit, la menue monnaie de l'amour, mais au contraire, la plus rare, et auxquelles seule la passion puisse recourir.
R. Radiguet, le Diable au corps, p. 60.
DÉR. (Du même rad.) Monétaire, monnayer.
COMP. Monétique. Monnaie-du-pape. Papier-monnaie, porte-monnaie.

Encyclopédie Universelle. 2012.